Européens et Asiatiques. - La Petite-Asie ou
Asie-Mineure (Asie antérieure). - La Thrace. - La Macédoine. - La
péninsule Chalcidique. - La
Thessalie. - Le mont Olympe. - La Hellade. - L’Épire. -
Bosnie, Herzégovine, Dalmatie, Monténégro, Serbie, Bulgarie. - Sofia et
Stamboul. - Grèce et Hellénie. - Grèce et Grecs.
EN s’opposant aux volontés de Darius, les Scythes avaient
défendu les Européens menacés. La grande et
terrible lutte de l’Europe et de l’Asie, dont parle Hérodote, est
inaugurée. Des siècles et des siècles passeront, — jusqu’à nos jours, — sans
que la victoire définitive de l’un des deux mondes ait donné aux hommes la
solution nécessaire. La bataille sera terrible,
et désolante, parce que la querelle est mal engagée, parce que le champ du
combat lui-même est mal choisi. Des Aryens camperont en Asie, armés,
héroïques, et des Asiatiques gouverneront les Européens, longtemps, alors que
des groupes finnois, plus redoutables que les Touraniens, intervenant avec
violence, compromettront le résultat du choc décisif, inévitable.
L’Europe qui aurait dû s’étendre et se maintenir jusqu’à l’Oural,
peut-être jusqu’au Gange, au moins jusqu’à la Djumna, à l’est, et
conserver son grand lac méditerranéen, avec toute l’Asie-Mineure, la Palestine, la Syrie et le nord de l’Afrique,
va se trouver refoulée à l’ouest des Balkans avant que les Européens se
soient suffisamment organisés sur leur domaine.
Les Phéniciens ont d’abord pris tout le littoral
méditerranéen ; puis, franchissant le détroit de Gibraltar, ils sont allés
jusqu’aux îles Britanniques, et au-delà, pour y trafiquer de l’ambre et de l’étain
recueillis, laissant en route des colonies qui n’ont été partout que des
ferments de corruption.
Arrêtés dans leur marche vers l’ouest par les Carpates et
les Balkans, — ce bouclier de mille kilomètres,
— et par le Danube au cours changeant,
les Asiatiques ont tourné l’obstacle au nord, jetant au centre de l’Europe
même, en plein pays des hommes blancs,
la brune et mauvaise race de Chaldée, tandis que les Germains et les
Scandinaves, descendant au sud, suivis des Finnois, venaient en Grèce,
finalement, y troubler l’épanouissement de l’Aryen, ainsi que les Assyriens l’avaient
fait en Asie-Mineure.
Le Danube, rompant sa digue énorme, — comme le Nil à
Silsileh, — enfonçant les portes de fer
qui le retenaient, pour venir à son delta actuel, avait ouvert aux hyperboréens une route vers le pays adorable où
l’Europe naissait, leur livrant ainsi la Macédoine, la Chalcidique et la Thrace, jusqu’au point
extrême où devait s’élever la ville par
excellence, — Polis, — la Byzance riche en
poissons, très chaude en été, aimée
des colombes et des hirondelles, que la grave cigogne peut
habiter, et qu’assainissent chaque hiver les vents froids venus de Russie.
La
Petite Asie, ou Asie-Mineure, ainsi que la nommèrent sans
raison les empereurs byzantins, et qui fut le
continent pour les Hellènes, caractérisée par le mouflon et l’olivier,
dont les rivières sont ombragées d’ormes et de saules, appartient à l’Europe,
avec quelques animaux africains. Des lacs desséchés où le sel durci miroite,
et des volcans éteints dont la traînée se
prolonge vers l’Arménie et la
Perse, tourmentent le vaste plateau qui va, s’élevant
vers l’est, jusqu’à la froide Arménie, aux sources de l’Euphrate et du Tigre.
Au nord, le long de la mer Noire, rangées parallèlement, les montagnes mènent
au plateau central. Au sud se dresse le mont Taurus, faisant face à l’Égypte.
Les plaines centrales, tour à tour brûlantes et glacées,
mal connues d’ailleurs, ne donnent rien, ou presque rien. Les vallées qui
descendent à la mer, — au nord, à l’ouest et au sud, — d’une très grande
fertilité, nourrissent encore ces troupeaux de blanches
brebis et ces bœufs aux pieds lents
dont parle Homère.
Les fleuves de l’Asie-Mineure qui vont à la Méditerranée, à l’ouest,
par des baies profondes, semblent, en les entourant de leurs eaux, vouloir
reprendre des îles détachées hier du continent. C’est, du nord au sud, le
Scamandre troyen, aux tourbillons d’argent
; l’Hermus aux flots rouges et bourbeux,
dont les alluvions continuelles comblent le golfe de Smyrne, avec son affluent
roulant de l’or, le Pactole, passant à
Sardes ; le Caystros, qui va vers Samos ; le Méandre aux ondes paresseuses, qui a détruit l’antique
port de Milet. — Au sud, c’est le Xanthos rapide ; au nord, c’est l’Halys qui
fut la limite acceptée de l’empire perse, ayant à sa droite la rude
Paphlagonie que protège au sud, comme un rempart, le mont Olgassys.
Boulevard des hordes asiatiques se précipitant vers l’Europe,
l’Asie-antérieure a subi le passage de nombreuses races d’hommes, n’est plus
qu’une confusion ethnique, inextricable. Cependant la nature y a conservé ses
droits, et l’on retrouve, sous les dominations modernes, malgré le Turc, au nord-ouest,
le long de la mer Égée, la
Petite-Phrygie battue des vents
où se dressait Ilios riche en or et en airain,
et la plaine fleurie du Scamandre,
souvent inondée, que Téglath-Phalassar Ier avait ravagée ; la Mysie dont la fertilité
est demeurée proverbiale ; la
Lydie vantée, avec
sa Smyrne maritime, ses lauriers-roses éblouissants et ses arbres chargés de
fruits ; la Carie,
trop favorable, amollissant ses peuples ; la Lycie, toute plantée de vignes et de blés au
temps d’Homère, dont les grasses brebis
et le vin doux rendaient envieux ; et
la grande Phrygie, riche en troupeaux,
au centre, avec la
Cappadoce aux hivers rigoureux,
stérilisée.
La Thrace,
séparée de la
Petite-Phrygie ou Phrygie hellespontienne, par l’âpre
Propontide, — funeste aux marins et marâtre aux
nefs dit Eschyle, — tient à l’Asie-Mineure, qu’elle continue
malgré la brutale séparation des eaux. Au nord-ouest des larges plaines se dresse le mont Rhodope, qui
va jusqu’en Épire, s’entrecroisant avec les Balkans alpins, dont les
premières pentes ont une raideur de pyramide, dont les sommets mal nivelés,
couverts de hêtres, de mélèzes, de sapins, sont le séjour des chamois et des
ours, avec des vallonnements verts, tout prairies, et des chênaies et des
vignobles sur les coteaux. Le mont Pengée, riche
en métaux précieux, qui s’en détache, venant au sud, protège le
fleuve Strymon séparant la
Thrace de la
Macédoine.
De ces hauteurs gouvernant le climat de la Thrace, descendaient,
suivant les saisons, ces tempêtes brûlantes d’éclairs
ou ces coups de froid qui rendirent si
redoutable aux Hellènes la Thraké neigeuse, malgré la richesse et l’abondance de
ses œuvres, malgré la valeur des hommes qui la peuplaient. La Thrace nourrice des brebis donnait aux Grecs des
étalons superbes, des blés renommés, des vins exquis, des fruits sans
pareils. Les jardins d’Andrinople, la cité riante,
où coulent les eaux vives de trois rivières, sont les témoins de ce passé. C’est
là, nous l’avons vu, qu’Histiée avait voulu fonder sa ville, rivale de Milet.
Le Strymon, dont le nom est sanscrit, le Nestor et l’Hèbre
arrosaient magnifiquement le pays. Le Danube avait apporté du nord et jeté en
Thrace des alluvions de même nature, une terre semblable à la terre que
transportent et déversent le Pô, le Rhône et le Rhin.
La Macédoine,
séparée de la Thrace
par le Strymon et le Pangée, se limite avec moins de précision à l’ouest, où
ses frontières se confondent avec celles de l’Épire et de l’Illyrie.
Cependant le mont Scardos, au nord, continuant le mont Rhodope, s’infléchissant
ensuite par un coude brusque et descendant jusqu’au Pinde, peut être
considéré comme une séparation naturelle. Au sud, les monts Cambuniens
isolent rigoureusement la
Macédoine de la Thessalie.
Les deux principaux fleuves de la Macédoine, la Vystrista (l’Axios ?) au lit changeant, le Vardar (l’Haliacmon) ou Rongeur, qui a fait sa trouée dans des granits
jaunes semblables aux roches de Numidie, tiennent en fertilité d’anciens lacs
salins que des alluvions ont comblés.
La Thrace
et la Macédoine
ont sur la mer Égée des côtes formées de terres riches, d’un accès difficile,
sans ports naturels, dangereuses quand soufflent les vents du sud. Ce ne sont
que falaises inabordables, ou bas terrains marécageux plus redoutables aux
marins que les rocs abrupts. Mais la Macédoine a la péninsule Chalcidique, et ses
trois caps audacieux, dont l’un est le mont Athos, l’Hagion Oros, le mont de
Zeus d’Eschyle, fier de ses vignes et de ses orangers, de ses bois de châtaigniers,
de sapins et de chênes. De là, comme d’une merveilleuse vigie, le regard voit
les deux grands témoins humiliés, muets, de la grande lutte finie, et qui
debout, impérissables, sont comme des temples abandonnés, comme des tombes :
le mont Ida, qui dominait la
Troie aryenne ; le mont Olympe, qui était le trône de la
divinité des premiers Grecs.
Le mont Olympe, l’Olympos
neigeux, bizarre, superbe, aux vallées
sans nombre, avec ses quarante-deux pics découpés comme des
créneaux et ses cinquante-deux fontaines jaillissantes, vient de la Thrace, insensiblement,
par une série de gradins traversant toute la Macédoine méridionale,
l’antique Pœnie, le berceau des Grecs.
Les forêts de platanes, de chênes et de châtaigniers qui couvraient l’Olympe
comme d’un épais manteau de verdure, et les jardins de lauriers fleuris qui étaient
l’enchantement de ses vallons, et les neiges éclatantes dont étaient plaquées
les anfractuosités de ses rocs inaccessibles, que les nuages du matin
dérobaient au regard, que les soleils du soir empourpraient, faisaient, tout naturellement,
du mont admirable et mystérieux, la demeure des premières divinités.
Le mont Ossa, l’Ossa pointu,
et le long Pélion, le Pélion sacré, aux forêts que le vent secoue, continuent, en
les prolongeant au sud, et formant la singulière péninsule de Magnésie, les
vals gracieux et les parois sauvages du mont Olympe.
Fermée au nord par les monts Cambuniens, à l’ouest par le
Pinde, au sud par le mont Othrys, la Thessalie était un camp retranché, large
forteresse très bien placée. En elle coulait le fleuve Pénée, l’arrosant, allant
à la mer de Thrace, au golfe Thermaïque, par l’adorable val de Tempé, œuvre
divine, œuvre d’Hercule ayant donné
cette issue aux lacs intérieurs, stagnants. La Thessalie nébuleuse, grâce aux dieux, était devenue la
terre bénie nourrissant un peuple de cavaliers.
Les lentes théories de Delphes, alors que la Hellade resplendira, et
que les Grecs véritables auront été noyés dans le flot des peuples divers
survenus, se rendront au val de Tempé, aux bords du Pénée, dont les eaux étaient claires et rapides, pour y
cueillir les lauriers qui seront le prix des vainqueurs aux jeux.
Au sud de la
Thessalie, c’est la Hellade privée de
plaines, rude aux hommes, incapable de les nourrir, et pourtant
séductrice, attirante. Sur la terre thessalienne, favorisée du ciel, bien
européenne, aux horizons doux continuellement estompés de brouillards légers,
bleuâtres, l’homme peut vivre comme la nature, utilisant ses forces sans les
user, conservant en soi le germe pur des premières sèves, et prêt ainsi,
continuellement, à renaître sain et gai.
A l’ouest de la Thessalie, c’est l’Épire sans port, le pays
des roches, horriblement tourmenté, avec ses fleuves aux lits
changeants, ses grondements de feux souterrains, et cependant reliée à la Macédoine et à la Thrace par les chamois et
les bouquetins, heureux dans ses forêts de pins et de hêtres. Sur les monts
Acrocérauniens, qui sont l’ossature de l’Épire, régnera le Jupiter lanceur de foudres, le Zeus tonnant. Là, aux environs de la froide Dodone, coulent le Cocyte et l’Achéron,
ces déversoirs du lac de Janina.
Cette nature extraordinaire va se continuant, s’accentuant,
au nord de l’Épire et de la
Thessalie, jusqu’au Danube : C’est la Bosnie, cette Suisse sans neiges ; l’Herzégovine et la Dalmatie, aux longs remparts parallèles, hérissés çà et là de crêtes
aiguës, dont les vallons sont d’anciens volcans éclatés ; le
Monténégro, si mal nommé par les Vénitiens, aux roches d’un calcaire
blanc-gris, aux amoncellements ;désordonnés de pierres énormes, brisées ; la Serbie, toute accessible
par les vallées de la Morava,
de la Drina
et du Timok, boisées de chênes, aux plaines vastes, silencieuses, que balayent périodiquement les
vents de Russie ; la
Bulgarie plate, ayant en elle Sofia, où Constantin eut l’idée,
un instant, de bâtir sa ville, — Stamboul,
— et qui est le nœud stratégique de la
péninsule des Balkans.
C’est au sud de ces territoires, à l’ombre méridionale du
mont Olympe, que va se dérouler la grande histoire de la Grèce, l’histoire des
Grecs de Thèbes, d’Argos, de Sparte et d’Athènes qui vont repousser les
hordes asiatiques, inaugurer notre civilisation, la civilisation des
Européens. Et pourtant, qui pourrait nous dire avec exactitude le nombre des
véritables Aryens vivant à Thèbes, à Argos, à Mycènes, lorsque les Achéens s’en
furent attaquer, prendre et incendier la ville aryenne par excellence, la Troie de Priam ? Et qui
oserait prophétiser ce qui serait advenu, si la Grèce des Pélasges et des
Scythes, si la Grèce
des Aryens, des Européens, s’était .résolument cantonnée et développée au
nord de l’Olympe, ayant pour limites la mer Ionienne, la mer d’Hadria (l’Adriatique) à l’ouest, le Danube au nord,
le Pont-Euxin, la mer Noire à l’est, comprenant, comme aux origines, les deux
Phrygies de l’Asie-Mineure au moins ? Les témoins de ce passé très nébuleux n’ont
pas encore été tous questionnés. De la Troade à l’Épire, les terres de la Thrace de la Macédoine recèlent les
mêmes tombeaux, tumulus innombrables des premiers Grecs, des Grecs aryens
vaincus à Troie et qu’Homère a chantés.
Le mot Gracia, que les Romains appliquèrent mal, et que
nous avons conservé à tort, était la dénomination d’un coin de l’Épire, tout
petit. On peut étendre ce mot, en tant que désignation normale, jusqu’à
Constantinople à l’est, et, considérant le Bosphore et les Dardanelles comme
un fleuve, non comme un détroit séparatif, l’appliquer à toute l’Asie-Mineure,
au sud du Caucase, à l’Iran et à l’Inde du nord, car c’est l’Europe
jusque-là.
Au sud de l’Olympe, ce n’est plus la Grèce, mais la Hellade, — la Hellade aux belles femmes d’Homère, — territoire
européen sans doute, au point de vue géographique, mais plutôt méditerranéen,
et dont les destinées dépendront des races qui viendront y vivre, y dominer
chacune à son tour, comme sur les côtes syriennes d’abord, et sur les côtes
africaines ensuite, les Phéniciens asiatiques imposèrent leur prépondérance.
La chute de Troie, la victoire des Achéens, l’envahissement
de la Thrace
et de la Macédoine
par les hordes médiques, la déchéance de Dodone, l’avènement de Delphes, et les
grands tumultes de peuples au sud de l’Olympe qui furent la
conséquence de ces événements, devraient terminer l’histoire de la Grèce proprement dite, de la Grèce aryenne, et l’histoire
des Hellènes commencerait.
Il est cependant possible à l’historien, pour concilier
toutes choses, de donner aux dénominations inexactes qui ont prévalu jusqu’ici,
une valeur positive suffisante, que favorise d’ailleurs l’emploi traditionnel
des mots : Le récit des faits antérieurs à la chute de Troie serait l’Histoire
de la Grèce,
ou des Grecs ; — le récit des événements qui se sont succédé au sud de la Macédoine et de l’Épire,
depuis l’époque héroïque jusqu’à l’avènement de Rome, serait l’histoire de l’Hellénie
ou des Hellènes.
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