DE UNE partie des Scythes qui pendant dix-huit années avaient
occupé Ces hordes scythiques, — mélange de races, — on les
connaissait peu, on les désignait vaguement. Il était humiliant pour Darius, le maître des maîtres, de laisser vivre, au nord, librement, ces masses d’hommes redoutables, indomptés, menaçants, alors qu’il disposait d’une armée lasse de repos, impatientée, et que son pouvoir, despotisme apparent, se subordonnait de plus en plus à la volonté des mages. Il a été dit qu’en marchant avec ces guerriers contre les
Scythes, Darius voulait, missionnaire de Zoroastre, porter le Zend-Avesta aux
Touraniens. Il suffit peut-être de constater qu’il existait alors,
réellement, un danger scythique. Les
hordes qui avaient jadis envahi Du côté de l’Orient, les passes impraticables de l’Hindou-Koush
et le fleuve Oxus, que gardaient les gens de L’Arménie, gouvernée par le successeur de Tigrane Ier, Vahaku, roi très bon que les Arméniens avaient mis au rang des dieux, restait fidèle aux Mèdes. Les Caucasiens, de race aryenne, blanche, pure, foule guerrière frémissante de lances aiguës, étaient comme une solide garnison dans une forteresse imprenable. Mais entre le Caucase et l’Arménie, les Colchidiens, les Ibériens et les Albaniens préoccupaient Darius. L’Ibérie, — Les hommes de l’Albanie, aux bords de la mer Caspienne, occupant le Laghestan, le Daghestan et le Chirvan actuels, divisés en tribus ayant chacune son chef, quasi-nomades, très nombreux, menaient leurs troupeaux aux steppes ou conduisaient leurs charrues de bois en guerriers, ayant toujours au poing leur lance lourde. Ils étaient habiles à forger des vêtements de fer, à tisser des cottes de mailles. Unis à leurs voisins d’Ibérie, dont ils aimaient l’influence, et qu’ils imitaient, on craignait les Albaniens, — ou Alains, — à cause des surprises que faisait redouter la brutalité, les surprises de leur ignorance. De l’autre côté du Caucase, l’histoire légendaire cite avec effroi des tribus très redoutées, vivant en des lieux où se complaisaient les monstres et mauvais génies. C’est là que, sous la grande image de Prométhée, l’humanité s’affirmant, délivrée, fut clouée vivante sur un roc et livrée aux vautours par les dieux jaloux. Entre la mer Caspienne et la mer Noire, et du côté de l’Orient,
les rois des rois se considéraient comme suffisamment protégés contre les peuples du nord. Les Scythes que Darius devait
combattre occupaient le territoire compris, au nord du Pont-Euxin, entre l’Ister
(le Danube) à
l’ouest, et le Rha (le
Volga) à l’est. Les Scythes qui avaient jadis envahi C’est donc vers Chez les Scythes d’Asie, les Touraniens dominaient, Ougros-Finnois purs ; et parmi les Scythes d’Europe, il y avait beaucoup d’hommes appartenant au groupe du rameau germanique resté hors de la race aryenne ou indo-européenne, se rapprochant de la race ougro-finnoise, appartenant plutôt, en conséquence, aux Scythes d’Asie. Les Grecs ont simplifié le problème en appliquant à ces deux grandes divisions d’un ensemble de barbares, une désignation générale empruntée au gothique skiatha (archer) : Scythes. Le type principal des Scythes d’Europe que Darius allait provoquer, — grands cavaliers et grands buveurs, — se distinguait par l’épaisseur des sourcils, l’abondance de la barbe, la force du nez droit et aquilin, et le déploiement continuel de goûts, de pratiques, d’appétits de toute nature, excessifs. Dans ce groupe presque finnois, formé des représentants ou précurseurs des Bas-Allemands et des Scandinaves, polyandres, se trouvaient des Asiatiques polygames, rusés, excessivement habiles, et des Touraniens déjà mongolisés, fidèles au culte de la lance, ou pieu dressé, et des Aryens, — comme les Parthes parmi les Scythes d’Asie, — dont l’influence est encore appréciable. La langue des Scythes d’Europe a beaucoup de mots iraniens. Le groupe principal des Scythes d’Europe campait entre le Borysthène (Dnieper) et le Tanaïs (Don). Les Scolotes, les hommes au bouclier, — Skildus gothique, — vivaient en tribus confédérées, ayant chacune son chef, sa coutume et son culte. Une de ces tribus, privilégiée, donnait le roi à la confédération ; c’étaient les Scythes royaux des Grecs. La nomenclature des groupes scythiques, relevée dans
Hérodote, nous vaut quelques traits excellents, des appellations importantes
: Entre l’Ister (Danube)
et le Tyras (Dniester),
— Au Panticapès commençaient les Scythes nomades. Entre le Borysthène et le Tanaïs, au sud, les Scolotes, et au-dessus des Scolotes, au nord, les Mélanchlœnes, hommes aux vêtements noirs, purs Finnois, allant rejoindre les Androphages à l’est. Ces deux groupes étaient, pour les autres Scythes, comme des nations étranges ; ils pratiquaient la sorcellerie et menaient une vie extraordinaire. Les Sarmates, ou Sauromates, frileux, établis entre le Caucase et le Tanaïs et le Rha se rejoignant, guerriers par excellence, menaient leurs femmes aux batailles. Au nord des Sarmates, entre les deux fleuves s’éloignant l’un de l’autre, les Budins aux yeux bleus, dont la chevelure était blonde, avaient bâti leur ville toute en bois, Gélonus, l’ayant ainsi nommée parce qu’ils s’étaient unis aux Gélons, sur l’emplacement même de la cité. Ils pratiquaient dans des temples un culte dont les fêtes étaient célèbres. On y reconnaît ces Ases, ces Scandinaves primitifs, adorateurs d’Odin, et dont l’Edda et les Sagas nous parlent précisément comme s’étant organisés près du Pont-Euxin. Les Gélons, mêlés aux Budins et aux Sarmates, se donnaient pour des Grecs venant civiliser leurs hôtes en échange de l’hospitalité qu’ils en recevaient. Les groupes inorganisés, quasi-sauvages, — Touraniens, Ouraliens et Ougro-Finnois, — au nord et au nord-est des Budins, — comprenaient : les Thyssagétes grands chasseurs ; les Argippéens occupant l’Oural Baschkique, tribu sacrée vendant de l’or aux négociants de Panticapée, par l’entremise des Arimaspes monstrueux, à un seul œil ; les Issedons, au delà de l’Oural, exploitant les mines de l’Altaï. Les Saces et les Massagètes, au sud des Issedons et des Budins, au nord du Touran, appartenaient aux Scythes d’Asie. Parmi les Scythes d’Europe, peut-être faut-il comprendre
les Taures occupant la partie sud-occidentale de Sur la rive droite du bas Danube campaient les Gètes, peuples de Thrace qui ne considéraient la mort que comme une suspension de la vie et lançaient leurs flèches vers le ciel quand il tonnait. De l’autre côté du fleuve s’étendaient les Agathyrses, Thraces également, très hardis, amis des Scythes, ayant la communauté des femmes dans leur coutume. Les mœurs des hordes scythiques étaient diverses, comme les races composant l’agglomération. Mille fables, absurdes ou terrifiantes, conservées, troublent encore nos recherches. L’Europe est certainement en formation déjà, et beaucoup plus qu’on ne l’a pensé, dans ce groupement où s’observent et se tâtent, alliés pour la période d’installation, des Asiatiques, des Touraniens, des Finnois et des Aryens seuls Européens véritables. Quelles variétés dans cet ensemble, depuis les Scythes d’Hérodote, se nourrissant de la chair de leurs chevaux et du lait de leurs juments, trait par des esclaves auxquels on crevait les yeux pour les empêcher de fuir, ou buvant le sang de leur ennemi dans des crânes, jusqu’aux nomades d’Eschyle, habitant les hautes régions sous de grands toits d’osier tressé, ou vivant, armés d’arcs, sur des charrettes aux roues solidement construites. Ces hommes adoraient, suivant leurs origines, ou Taviti,
la déesse du feu , la vierge védique,
ou le Jupiter Papœos, l’aïeul, ou la
terre, Apia, ou le soleil, Œtosyros, ou Darius s’avance contre cette multitude qui lance des flèches enduites d’huile médique, de bitume enflammé, qui brandit, dans le combat, la longue épée, le fer forgé par le marteau. La foule immense, venue du fond du nord avec ses bataillons formés de peuples nombreux, attend Darius. L’armée des Mèdes, qui avait traversé toute l’Asie-Mineure, de l’est à l’ouest, franchit le Bosphore de Thrace sur un pont construit par le Samien Mandroclès. Elle ne rencontra de résistance que chez les Gètes, vite battus d’ailleurs, et repoussés. Un autre pont, jeté sur le Danube, permit aux envahisseurs de pénétrer sur le territoire scythique proprement dit. Les cités grecques de Les rois scythes s’assemblèrent aussitôt que Darius eut franchi l’Ister. Les Scolotes, les Sarmates et les Budins voulaient que l’on affrontât les Mèdes ; les Taures, les Agathyrses, les Neures, les Androphages et les Mélanchlænes, impressionnés, ne se rangeant pas à cet avis, ne prirent qu’un engagement de neutralité. Les tribus alliées, modifiant leur tactique, convinrent alors de se présenter à l’envahisseur, de feindre une résistance, et de reculer lentement, toujours, devant les Mèdes, en comblant les puits, en détruisant toutes les œuvres de la nature. Ou bien, affamés, affaiblis, trop engagés dans l’intérieur des terres ravagées, nues, les Mèdes deviendraient une proie facile ; ou bien, suffisamment approvisionnés, — car les ânes nombreux qui suivaient l’armée, inconnus aux Scythes, leur causaient un étonnement mêlé d’effroi, — les Mèdes s’avanceraient victorieux, et les tribus neutres, menacées, se trouveraient forcées de se défendre, de se prononcer, de se joindre aux alliés pour écraser l’ennemi. Trompé, enhardi, poursuivant les Scythes qui se dérobaient, Darius traversa les premières plaines, franchit les premiers fleuves, surprit la ville de Gélonus, abandonnée, qu’il fit incendier, établit une garnison sur le haut Oaros, chez les Budins en fuite, et pénétra chez les Mélanchlenes, chez les Androphages, chez les Neures, chez les Agathyrses. Dans ce territoire vaste, qu’il ignorait, jouet de ses ennemis, Darius s’enfonçait chaque jour davantage, lorsque les Scolotes, commandés par leur roi Indathyrse, se montrèrent au sud, c’est-à-dire sur les derrières des Mèdes, qu’ils obligeaient ainsi à une action déterminée. C’est qu’à ce moment les Agathyrses et des groupes finnois, divers, délibéraient sur les avantages qui résulteraient pour eux d’une alliance avec les Mèdes ; les Scythes royaux, inquiets, en offrant la bataille à Darius, le détournaient de la voie qu’il avait suivie, l’éloignaient de ceux qui, l’ayant vu passer, et rassurés sur ses intentions, songeaient à se soumettre. Darius ne vit pas le piège. L’hiver, ce redoutable allié des Scythes, approchait. Pour que le désastre des Mèdes fût complet, le roi des Scolotes, très audacieux, attirant l’ennemi là où il espérait le battre, lui offrit une victoire facile. Quelques groupes de cavaliers gardant mal, avec intention, des bestiaux rassemblés, furent attaqués et battus. Mais les troupes de Darius étant épuisées, le plan des Scolotes échoua. Le roi des rois ordonna la retraite vers le Danube. Les Ioniens qui gardaient le passage
de bois sur le fleuve, instruits de la désastreuse et ridicule
campagne des Mèdes, entendirent Miltiade, d’Athènes, qui gouvernait alors Histiée de Milet reçut le territoire de Myrcinos, sur le Strymon, en récompense du grand service qu’il avait rendu à Darius. De la cité protégée de murailles qu’il créa sur ce point, bien placée, il pensait pouvoir un jour, favorisé par les vents étésiens, conquérir toutes les villes riches de l’Archipel. Coès avait obtenu l’île de Lesbos. Mégabyze, laissé par Darius en Thrace, se hâtait d’agir
avant que le succès complet des Scythes, raconté, n’eût détruit le prestige
des Mèdes. Périnthe, la colonie samienne, fut prise, et le lieutenant de
Darius battit et transporta les Péoniens. Les tribus de Or pendant que Darius, impuissant, se perdait au pays des Scythes, Au même moment (508-506), un corps de Mèdes arrivait au Haut-Indus, mené par Scylax de Caryanda, qui construisit une flottille avec des bois de Kachemire, rêvant de descendre le grand fleuve indien jusqu’à la mer. Trente mois après son départ, ayant glorieusement réalisé son but, Scylax arrivait avec sa flotte à l’extrémité de la mer Rouge. ,Peut-être, alors, les Perso-Mèdes qui campaient au Pendjâb, — la vingtième satrapie de Darius, — allèrent-ils jusqu’au Gange, vers l’est ? Le beau succès de Scylax dut distraire Darius, plus curieux que guerrier, de son échec en Scythie. Il pouvait d’ailleurs, devant ses peuples, se vanter des résultats de sa campagne en Europe, car son armée ayant été détruite, il n’existait plus de témoins de son revers, et son lieutenant Mégabyze venait de reculer les frontières occidentales de l’empire jusqu’au Danube. Les historiens se sont accordés à dire, jusqu’ici, que la vue de l’Europe avait excité l’envie de Darius. Il ne serait pas invraisemblable, ainsi que cela est écrit dans Hérodote, que la transportation des Péoniens en Iran ait eu pour cause la rencontre qu’avait faite Darius d’une Péonienne de grande beauté. C’était un monde nouveau pour lui que le roi des rois avait découvert. Historiquement, l’Europe et l’Asie se distinguaient à ne plus pouvoir être confondues. L’antagonisme consacrait la séparation. Et c’était le chef des Perses, le successeur de Cyrus, le maître des Iraniens, qui commandait aux Asiatiques ! L’histoire, grâce à la faiblesse de Cyrus, dont Darius
accentuait les conséquences, allait se développer contrairement aux destinées
naturelles, aux influences normales de la géographie et de l’ethnographie.
Les Perses, ces purs Aryens, allaient être les ennemis acharnés des Grecs
nouveaux, des Hellènes, plus Asiatiques et Finnois qu’Européens, pendant que
toute l’Asie-Mineure, — si mal nommée, qui n’a presque rien d’Asiatique, — et
toute Les Finnois grossiers et excessifs, venus du nord, et les
Touraniens robustes, venus de l’est, répandus en Scythie, en Grèce, en
Europe, allaient y perdre leurs qualités, devenir mous et indolents, glabres,
montrant aux Aryens étonnés, qu’ils avaient subjugués, leurs hommes frappés d’impuissance
et leurs femmes devenues infécondes, au service du despotisme asiatique si
bien fait pour exploiter les faiblesses incurables et les insatiables
appétits. Dans cette tourmente illogique, l’Aryen perdit sa gaieté. C’est bien fini. Malgré la nature, et malgré les hommes pourrait-on dire, par le jeu brutal des événements historiques, par le caprice triomphant de quelques êtres, l’Asie s’est étendue à l’Occident, jusqu’à la mer Égée. Le Bosphore sépare maintenant les deux mondes. — Quand tu auras traversé le détroit qui sépare les deux continents, dit le Prométhée d’Eschyle, va vers l’Orient, sur la route de Hélios... Puis, ayant abandonné la terre d’Eurôpé, tu aborderas le continent d’Asia. |