DE CHAQUE fois qu’ils avaient transporté des Juifs de En vain les prophètes élevaient la voix, tantôt jetant la menace à pleine bouche, tantôt rééditant, avec un charme infini, les féeriques promesses du temps de la captivité ; une indifférence profonde répondait, chez les juifs, aux appels des nabis. La grande colère d’Aggée ne produisait rien. Zacharie, plus ardent qu’Aggée peut-être, certainement plus circonspect, cherchait moins à entraîner le peuple qu’à le dominer. Il voulait une cléricature puissante, dictant ses ordres à un monarque obéi : Voici venir un homme qui obtiendra la majesté et siégera sur son trône comme roi, et sera prêtre sur son trône, et entre les deux il y aura un conseil de salut. Zacharie fit du temple la maison qu’habitait le dieu : — Réjouis-toi, fille de Sion ! car je vais venir demeurer chez toi, dit l’Éternel. — La présence réelle de Jéhovah dans le sanctuaire exigeait un culte comme la présence d’un souverain exige une cour, un rite, un sacerdoce, des prêtres par conséquent. Le but des nabis de Le roi, choisi par Dieu, — car
c’est toi que j’ai élu, Zorobabel, dit Jaheweh Çebaôt par la voix
d’Aggée, — est sacré : Ne touchez pas à mes
oints, et à fines prophètes ne faites point de mal. La troupe des
lévites armés gardait le temple et, dans le temple, le roi : Et les lévites se posteront autour du roi, les armes à la
main, et quiconque voudra pénétrer dans le temple sera mis à mort, et vous
serez avec le roi, en permanence. La dynastie de David, justifiée
en droit dans Aggée avait été violent, et sa violence s’était perdue dans le bruit des querelles. Zacharie, de sens aryen, ami de l’ordre, de la paix, du repos, mais incertain et indécis, tâchait de concilier, devant Dieu, le pouvoir civil et le pouvoir sacerdotal en antagonisme déjà. Il prêchait comme Zoroastre : Rendez la justice fidèlement, et pratiquez, l’un envers l’autre, la charité et la pitié ; n’opprimez pas la veuve et l’orphelin, l’étranger et le pauvre ; et ne méditez pas dans vos cœurs le malheur de vos frères ! Peine perdue, vaine tentative, Israël n’écoute pas : Ils refusèrent d’écouter, ils raidirent le cou et se bouchèrent les oreilles pour ne pas entendre. Comme découragé, Zacharie qui s’était jusqu’alors livré à sa propre nature, mesurant chaque chose, cherchant partout le vrai, pour le dire, essaya, afin d’impressionner ses auditeurs, d’une rhétorique imagée et finit par se perdre, lui si franc, si logique, si simple, dans les dédales d’un symbolisme tourmenté. La verve naturelle d’Ezéchiel, traduite par Zacharie péniblement, devint, sur les lèvres du nabi, quelque chose de lourd et d’obscur. Retenant sa pensée, toute franche, sincère, prête à jaillir, pour ne l’exprimer qu’au moyen d’une allégorie, Zacharie mentait à sa nature, et il échoua. Ce fut un grand malheur, cet échec de Zacharie. Néhémie et Esdras, qui vinrent ensuite avec l’esprit
réformateur, eurent à constater l’insuccès de Zacharie et l’implacable
indifférence du peuple juif en matières religieuses. Ils substituèrent à l’idée
jusqu’alors dominante de la fondation d’une église, l’idée de la formation d’un
peuple, d’une nation, et par contrat. Esdras refit Le sacerdoce existait, le culte fonctionnait, le temple
était fini, et le peuple, pauvre et découragé,
déçu, désillusionné, se souvenant des promesses qui avaient été faites et qui
ne se réalisaient pas, abandonnait les devoirs
religieux. Malachie qui était prêtre, qui était asiatique, et vrai
juif, se manifesta dés le premier jour comme un révolutionnaire, — révolutionnaire
réfléchi, conspirateur clairvoyant, législateur infaillible. Méprisant le
peuple et sachant le moyen d’utiliser ses défauts, Malachie devint
promptement le maître. Le dernier des prophètes d’Israël agit pour ainsi dire
en dictateur : Plus de tribunes, plus d’orateurs publics, plus de cris au dehors, mais le labeur patient dans la
demeure, la recherche du vrai utilisable, et la promulgation de la vérité
découverte, de la formule rédigée, de Malachie calcule d’abord, et froidement, les revenus du culte, le produit des offrandes ; il dénonce les prêtres qui osent mettre sur l’autel des viandes profanes, et les fidèles qui ne craignent pas d’apporter aux prêtres, pour le sacrifice, des animaux boiteux ou malades. — Offrez donc cela à votre gouverneur, dit le prophète, sera-t-il content de vous, ou vous sera-t-il bien favorable ? Et il maudit ces trompeurs, au nom de l’Éternel. Il administre ces revenus, rendant obligatoire le transport des dîmes dans les entrepôts sacrés : Apportez toute la dîme au magasin, dit l’Éternel, pour qu’il y ait de quoi manger dans ma maison. Remontant aux traditions, Malachie parlait au nom de Moïse. La crainte de Jéhovah n’existant plus, il commence par formuler l’accusation : Servir Dieu, avez-vous dit, n’aboutit à rien ; qu’avons-nous gagné à observer ce qu’il veut qu’on observe ?... Le doute, le blasphème exprimé, Malachie annonce le châtiment, la justice de l’Éternel : Oui, j’arriverai vers vous pour le jugement, et sans retard je porterai témoignage contre les sorciers et les adultères, et les parjures, et contre ceux qui vexent l’ouvrier à cause de son salaire, et la veuve et l’orphelin, et ceux qui font tort à l’étranger, sans me craindre. De nouveaux émigrants, venus de Babylone, apportaient aux Juifs que Malachie maîtrisait, et à Malachie lui-même, très intelligent, des impressions nouvelles dues au contact des Perses. Or à ce moment les Juifs de Jérusalem, domptés par un juif énergique, se défiaient, pour la première fois peut-être, de leur orgueil présomptueux. Leurs yeux s’ouvraient au spectacle de leur corruption ; ils mesuraient exactement l’étroitesse de leur cerveau. S’en remettant à Malachie, qui les subjuguait, du soin de les organiser, ils concevaient maintenant, ces Juifs aux cous raides, insupportables et personnels, l’idée d’une humanité vaste dans laquelle le monde d’Israël n’occupait qu’une place, et ils comprenaient que dans ce monde il y avait d’autres hommes, puissamment groupés, pensant et agissant autrement qu’eux. Le juif consent à entendre et à examiner les formules étrangères ; ne renonçant pas à son rêve de domination, il admet que cette domination universelle ne pourra se réaliser qu’à la condition de se concilier les peuples avant de les exploiter. La persévérante séduction se substitue à la force active ; la condescendance apparente remplace l’absolutisme brutal ; la loi de bonté et de pardon efface la condamnation préalable et l’impitoyable châtiment ; la patience, l’habileté et l’hypocrisie deviennent les vertus théologales d’un sacerdoce qui n’avait vécu jusqu’alors que de fièvres, d’audaces et d’imprécations. Ce sont les origines du Christianisme. Le grand tapage, dans le monde connu, c’était maintenant Darius qui le faisait : — Que de villes il a prises, sans même avoir traversé le fleuve Halys, sans avoir quitté sa demeure, dira le chœur des vieillards, dans le drame d’Eschyle. — Darius vient d’écraser toutes les révoltes (514) ; il tient dans sa main l’empire de Cyrus reconstitué. Pour légitimer son pouvoir aux yeux des peuples, il a pris pour femmes Atossa et Artystone, les deux filles du fondateur de la dynastie. |