DE CE fut un Grec, Phanès, mercenaire dans l’armée du pharaon d’Égypte, qui dit à Cambyse comment il pourrait s’emparer de la vallée du Nil. Les Arabes étaient encore les maîtres des routes qui menaient de l’Assyrie à l’Égypte. Sur les conseils de Phanès, Cambyse fit donc une alliance avec la fleur belliqueuse de l’Arabie, afin d’assurer le succès de son expédition. Un serment, dont Hérodote a complaisamment conservé le cérémonial étrange, quasi religieux, consacra l’amitié des Arabes et des Perses. Pour justifier son ambition et sa conquête, Cambyse reprochait aux Égyptiens les condescendances qu’ils avaient eues pour Crésus, son ennemi, le roi des Lydiens. Dans l’armée du roi des Perses, en marche, il y avait un corps d’Ioniens et d’Éoliens qui savaient la manière d’attaquer et de battre les mercenaires grecs aux ordres du pharaon Psamétik III. Cambyse savait exactement les difficultés de son expédition, qu’il avait mis plusieurs années à préparer. En 527 (ou 525) l’armée des Perses pénétrait en Basse-Égypte, au moment où la flotte phénicienne, qui avait suivi le littoral, entrait dans le Nil. Les troupes du pharaon furent battues dés la première rencontre. Le héraut qui vint à Memphis, remontant le Nil, pour annoncer la victoire des Perses et traiter de la paix, montait un vaisseau de Mitylène. Les Égyptiens de Memphis, accourus en foule, s’acharnèrent à la destruction du navire dont les débris furent exposés en trophée. Les Perses insultés assiégèrent Memphis, qui dut se rendre et s’humilier. Hérodote, s’attachant à décrire le caractère de Cambyse, lui prête déjà, à l’occasion de cette victoire, des actes incroyables de générosité et de sauvagerie. Il semble vrai pourtant que, maître de l’Égypte, Cambyse voulut, ainsi que Cyrus l’avait fait à Babylone, se concilier les Égyptiens en acceptant leurs dieux, en conservant aux prêtres leurs privilèges consacrés. Le vainqueur vint à Saïs, en personne, accomplir les rites du culte et s’initier aux mystères. Les Éthiopiens, au sud de l’Égypte maîtrisée, et les Carthaginois à l’ouest, redoutant les folles ambitions du vainqueur, gardaient une attitude de résistance. Cambyse, en effet, projetait d’aller soumettre Carthage par terre, tandis que les Phéniciens menaceraient la ville nouvelle du côté de la mer. En même temps des espions, envoyés en Éthiopie, y eussent préparé la campagne que le roi des Perses se promettait d’entreprendre de ce côté, après la chute de Carthage. Mais les Phéniciens refusèrent d’agir contre les Carthaginois issus de mêmes pères, et Cambyse dut se contenter de son expédition en Éthiopie. Le roi des Éthiopiens venait de renvoyer à Cambyse, avec des paroles insolentes, les singuliers ambassadeurs que le roi des Perses lui avait adressés. Avec une incroyable imprévoyance, Cambyse partit, se dirigeant vers le sud, menant son armée. A Thèbes, il détacha du gros des troupes cinquante mille guerriers chargés d’aller réduire les hommes de l’oasis d’Ammon et d’incendier le temple où leurs dieux rendaient des oracles. Puis, sans autre réflexion, quittant la voie qui suivait le bord du Nil, il s’engagea vers l’inconnu, sur les traces d’une caravane récemment passée. Bientôt perdu dans le désert vaste, sous l’implacable soleil d’Afrique, Cambyse s’exerça dans le vide : sa rage s’épuisait dans ce silence énorme, obstiné, et chaque jour, de plus en plus, ses soldats succombaient à la soif, à la faim, à la peur. L’invisible ennemi eut raison du maître des mondes. Énervé, affolé, Cambyse ordonna la retraite, alors que son armée était déjà presque toute anéantie. On attendit à Memphis les cinquante mille hommes qui devaient détruire le sanctuaire d’Ammon. Pas un seul ne revint. Devenu fou, tout à fait, Cambyse se vengea lâchement Il fit mettre à mort de nombreux Égyptiens et quelques Perses ; il fit battre de verges, publiquement, des prêtres qu’il avait d’abord choyés ; il tua de sa main- le taureau sacré, l’Apis-dieu, se plaisant à rire de ce sacrilège. Tout ce que l’Égypte avait conçu et réalisé de respectable ou de consolant, fut en butte à la colère du roi déçu ; il méconnut les lois qui étaient la garantie des propriétés ; il abolit les manifestations de la joie religieuse ; il osa même toucher au culte des morts. Souvent ivre, Cambyse extravaguait, et comme sa nature était méchante, suivant l’expression de Josèphe, sa rage imaginait de continuelles horreurs. En Médie, où la nouvelle de l’incurable folie du roi était parvenue, les prêtres, les mages, voulurent s’emparer du pouvoir. Les deux races principales qui étaient le fond du groupe mède, mélangées, ne se confondaient pas absolument. Les Touraniens, avec leur divinité redoutable, leurs devins et leurs sorciers, n’avaient encore rien compris à la pure morale mazdéenne, tandis que les Aryens, eux, répugnaient à l’adoration des divinités touraniennes, laides et exigeantes. Les mages, en exploiteurs habiles, avaient préféré le dieu des Touraniens, Ahriman, et délaissé le dieu des Aryens, Ormuzd, parce que le premier favorisait davantage l’établissement d’une monarchie sacerdotale. Les Aryens, et les Perses par conséquent, penseurs ou guerriers, étaient les adversaires des mages, que les Touraniens acceptaient. Cambyse, jaloux de son frère Smerdis l’avait fait assassiner dès les commencements de son règne. Le peuple, en Médie, pleurait la victime sans croire cependant à sa mort. Les mages eurent l’idée d’annoncer que Smerdis le fils de Cyrus était vivant, et le mage Gaumatès, se présentant comme le frère de Cambyse échappé aux bourreaux, prit le pouvoir. Cambyse, furieux, quitta l’Égypte aussitôt. Il dut s’arrêter à Damas, blessé, pour y mourir. Le mage Gaumatès, le faux Smerdis, redoutant les Perses, — car l’avènement des prêtres dépossédait l’aristocratie persane jusqu’alors maîtresse du pays, — donna quelques lois conformes à l’esprit du Zend-Avesta. Les Perses n’acceptant pas les conséquences de la supercherie des mages, sept d’entre eux, appartenant à la tribu des Pasargades, conspirèrent le renversement des prêtres. Parmi les sept conjurés, le principal était Darius, fils d’Hystaspe. Le faux Smerdis régnait absolument et durement. Nul n’osait dénoncer le mensonge, personne n’osait dire quoi que ce fût. Darius mena les conjurés vers l’imposteur, qui fut surpris dans son palais et mis à mort. Lorsque l’on apprit, en Médie, en Perse et dans les autres provinces, la mort du mage Gaumatès, le même peuple qui avait subi l’autorité du faux Smerdis, opprobre de la patrie et du trône antique, enhardi, délivré, déchaîné, se prit à massacrer les mages partout. La célébration de cet anniversaire, — la magophonie, — devint une fête médique. Les conjurés donnèrent aux Mèdes un gouvernement monarchique, désignant comme roi (521) Darius, fils d’Hystaspe, qui descendait d’Achœménès par un frère cadet du père de Cyrus. Le roi déclara qu’il renverserait les temples et les autels des mages en Médie. Il put dire, plus tard : L’empire qui avait été arraché à notre race, je l’ai restauré. La chute retentissante de Jérusalem et de Babylone, la fin
pitoyable de Cyrus et de Cambyse, l’audace triomphante du mage Gaumatès, et l’avènement
de Darius dû à la conspiration de sept hommes,
diminuaient considérablement, aux yeux des peuples en formation, l’importance
des rois. Lorsque Darius fut couronné, l’empire tout entier se mit en
insurrection. A Babylone, dès la mort de Cambyse, et en imitation servile de ce qu’avaient fait les mages en Médie, un prêtre, Nidintabel, avait pris le pouvoir se donnant comme fils de Nabuchodonosor. Darius marcha sur l’antique Babel qu’il trouva prête à la résistance. Hérodote dit que les Chaldéens de Babylone, héroïques, avaient égorgé leurs femmes pour conjurer la famine dans la cité que les Mèdes allaient investir. Babel fut prise (518). Darius, après avoir détruit les fortifications, fit crucifier trois mille Babyloniens. Cette atrocité intimida les peuples en révolte. Pendant que j’étais à Babylone,
dit Darius dans l’inscription de Béhistoun, les
provinces suivantes devinrent rebelles contre moi : En six années (519-514), soit par lui-même, soit par des lieutenants de son
choix, Darius non seulement refit l’empire de Cyrus, mais l’agrandit. Les
Susiens, effrayés, tuèrent leur chef, Martrya. Les Mèdes, soulevés par un homme nommé Phraorte, furent châtiés par le
Perse Hydarnès, et Phraorte, en fuite, poursuivi, pris à Ragœ, ramené devant
Darius, subit d’épouvantables mutilations : Je
lui coupai le nez, les oreilles, la langue... il fut tenu enchaîné à ma porte ; tout le peuple le voyait
; ensuite, je le fis crucifier à Ecbatane, lui et les hommes qui avaient été
ses complices. En Perse, où les mages avaient couronné un faux Smerdis, Vahyazdate, l’insuccès de
Phraorte produisit une grande impression ; les guerriers, après deux
rencontres, se soumirent au général de Darius, Artavarde, qui fit mutiler et
crucifier Vahyazdate. L’Arachosie, un instant victorieuse, subit la loi d’Hyanès
(Vivâna). Une nouvelle insurrection des Babyloniens passionnés d’indépendance, conduite par Arakou,
un faux fils de Nabonahid, fut vite
réprimée par Intaphrés. Deux batailles (517) suffirent à Hystaspe, le père de Darius, pour faire
rentrer Les provinces des bords de l’Hellespont, — Phrygie,
Bythinie, Paphlagonie et Cappadoce, — appartenaient, comme domaines héréditaires, à deux des sept conjurés
qui avaient renversé le mage Gaumatés. L’empire de Darius s’étendait, en conséquence, de l’Indus
à Aucun lien moral, ni religieux, n’unissait le Bactrien parlant le zend au Perse parlant la langue propre des Achéménides, à l’Assyrien s’exprimant en paroles asiatiques, à l’Égyptien à qui tous les mots étaient devenus bons pour dire ses idées, mais dont les idées demeuraient intactes ; pendant que le Médo-Perse, en contact avec les Asiatiques un peu partout, notamment en Chaldée, s’abandonnait aux charmes corrupteurs de ses vaincus. Le monarque, satisfait, devenait un despote ; l’armée se livrait à de honteuses jouissances ; le peuple se laissait prendre aux illusions du succès. Des légions d’esclaves, de tout âge, aptes à servir les caprices de la plus outrageante sensualité, encombraient les camps et les villes où les maîtres incontestés, soudainement enrichis, se reposaient de leurs sanglants labeurs. Parmi le peuple, les misérables eux-mêmes, ceux qui ne participaient pas à la distribution des butins, éprouvaient et satisfaisaient des tentations immondes. Un contrat de cette époque nous est parvenu, constatant, avec la sanction de jugés réguliers, une association de Perses, de sectateurs de Zoroastre, faite pour acquérir et déterminer les droits de possession d’une femme esclave payée au prix d’une monnaie d’argent. La morale avestique, — l’horreur du mensonge et des dettes, l’amour du vrai et le respect de la nature — persiste, parce que la race, d’instinct, se défend ; mais le prêtre s’insinue, le mage fait son cheminement, l’Asiatique compte sur sa victoire définitive. Les Perses, en voie de corruption hâtive, n’osent pas encore accepter l’intervention directe du sacrificateur devant l’autel, ni polluer le feu du sacrifice ; ils ont cependant abandonné, déjà, le rite primitif, le bûcher brûlant sur la terre nue et la libation du homa que les femmes préparaient. Il y a maintenant des banquets formidables où la fraternité s’adonne à des spectacles dégradants ; le droit est ravalé jusqu’à légitimer l’achat ou la déchéance d’une favorite ; le Zend-Avesta n’est plus qu’utilisé, suivant les circonstances. Si tous les juifs, profitant du décret de Cyrus, avaient
quitté Babylone, les Médo-Perses eussent peut-être évité l’enlisement
chaldéen. Mais les hommes d’Israël
devenus riches ou honorés, à Térédon et à Babylone, n’avaient pas obéi à la
voix des prophètes, et A Jérusalem, où tous les juifs pauvres étaient allés, suivis de nombreux étrangers, un mouvement inverse allait se produire. La nouvelle démocratie israélite, plus accessible aux saines pensées, très mélangée d’Égyptiens, avait acquis à Babylone même, au contact des Iraniens, des Médo-Perses, de précieuses facultés, soit un certain désir d’ordre, une expérience de la sécurité qui résulte des lois, des garanties que contient toute morale. D’autre part, les prophètes qui préparaient sérieusement la constitution d’un empire juif, imprégnés du Zend-Avesta, en avaient admiré les leçons. Malheureusement, le patriotisme aryen d’Isaïe II était aux mains d’Aggée, qui ne pensait qu’à la reconstruction matérielle du temple et reprenait le Jéhovah des temps troublés, à titre d’épouvantail, pour secouer l’indifférence des juifs. Il n’y avait, à côté d’Aggée, que Zacharie, tout aux prêtres, voulant et prêchant la monarchie absolue. La mort de Cyrus avait à bon droit inquiété les juifs revenus à Jérusalem, que les peuples d’alentour détestaient, et qui furent dénoncés à Cambyse par les Cuthéens de Samarie, comme prenant prétexte de la réédification du temple pour relever les fortifications abattues. La mort de Cambyse délivra les juifs soupçonnés. Darius, reprenant la politique imprévoyante de Cyrus, doux aux Asiatiques, se fit le protecteur d’un second exode des Juifs de Chaldée, qui partirent escortés de mille cavaliers... au son de la musique, des tambours, des flûtes, tous leurs frères jouant. L’inauguration du temple de Jérusalem, achevé, n’eut lieu que la sixième année du règne de Darius (516). On sacrifia douze boucs, cent taureaux, deux béliers et quatre cents agneaux. La prépondérance de la caste sacerdotale était complète. Les lévites, armés, formaient une garde défensive. La royauté s’affirmait dans la descendance de David. Les sépulcres des rois de Juda, dispersés, furent recherchés, recueillis et solennellement transportés dans les caveaux de Kobour-el-Molouk. |