La Grèce (de 1300 à 480 av. J.-C.)

 

CHAPITRE IV

 

 

DE 626 A 538 Av. J.-C. - Le royaume de Médie. - Arbace, Déjocès, Phraorte, Cyaxare. - Achœménès, chef des Perses. - L’invasion des Scythes. - Astyage, roi des Mèdes. - Naissance de Cyrus. - La Perside. - Perses et Mèdes. - L’Arménie : Tigrane, roi. - Bataille de Thymbrée : Cyrus bat Crésus, roi de Lydie. - Oracles grecs. - Exode des Phocéens. - Perses et Grecs. - L’empire de Cyrus.

 

IL existait un royaume de Médie depuis que le roi Cyaxare, violent et passionné, maître d’une armée divisée en phalanges régulières (626) et conduite par des officiers instruits, braves et ordonnés, aryens sans doute, avait discipliné les hordes médiques. Sous Arbace, qui n’avait été qu’un chef, sous Déjocès, vrai roi, et sous Phraorte, monarque jaloux de son bien, la Médie était demeurée iranienne, fidèle à Zoroastre, désirant la paix entre les hommes : Mon fils, dit le père de Tobie, je suis vieux et près de quitter cette vie ; prends tes enfants, et va te rendre en Médie, car je crois à ce qu’a dit le prophète Jonas au sujet de Ninive, savoir qu’elle sera détruite, tandis qu’en Médie la paix régnera durant un certain temps.

Le royaume de Médie, nouveau, qu’aucune convoitise ne troublait, semblait devoir achever l’œuvre de Zoroastre commencée en Bactriane. L’esprit touranien, brutal mais fidèle, et l’esprit aryen, léger mais loyal, se combinant à merveille, eussent peut-être, alors, inauguré l’Europe en Iran sans l’intervention déplorable des mages venus de Chaldée, Asiatiques turbulents et corrupteurs.

Les Perses avaient eu l’intuition de ce malheur, lorsque leur chef, Achœménès, les avait conduits en Médie. Mais le roi des Modes, Phraorte, avait battu le chef des Perses, et il en était résulté l’affirmation de deux groupes distincts : les Mèdes, au nord ; les Perses, au sud.

C’est comme roi des Mèdes et suzerain des Perses que Cyaxare, après s’être dégagé de la rude et longue domination des Scythes (625-607), s’était uni à Alyatte, roi des Lydiens, et avait accepté le fleuve Halys, coulant au milieu de l’Asie-Mineure, comme la ligne séparatrice des deux royaumes.

Astyage, ce roi des Mèdes que Moise de Khorène appelait le roi des serpents, monarque cruel et soupçonneux, successeur de Cyaxare (595), prépara sa chute dès son avènement. La légende, fabuleuse, s’empare de ce dernier roi des Mèdes et raconte un rêve qu’il eut : Sa fille Mandane, qu’il avait donnée pour femme à un Perse descendant direct d’Achœménès, venait de mettre au monde un fils. Le roi Astyage vit dans son sommeil un cep qui partait du sein de sa fille Mandane et couvrait toute l’Asie de ses pampres verts. Les mages de Médie, consultés, avant interprété ce songe comme annonçant la royauté du fils de Mandane, et la gloire des Perses, le roi, troublé dans ses projets, inquiet, ordonna que l’on mît à mort ce rejeton menaçant. L’enfant condamné, sauvé par Harpage, fut confié aux soins d’un berger qui lui donna le nom d’Agradate.

Agradate, — qui devait être Cyrus, — montrait continuellement la noblesse de son origine. Des enfants de son âge, partageant ses jeux, l’élurent pour roi parce qu’il parlait avec prudence et se conduisait en héros. La renommée d’Agradate étant arrivée aux oreilles d’Astyage, il reconnut son petit-fils au récit des merveilles rapportées, et se vengea d’Harpage qui avait désobéi, en l’obligeant à se nourrir de la chair de son propre fils, tué dans ce but.

Harpage se rendit aussitôt chez les Perses pour les soulever contre le roi des Mèdes ; il leur signala l’existence d’Agradate, ce descendant direct du grand Perse Achœménès, puis il revint en Médie pour y préparer la chute d’Astyage. Agradate-Cyrus, appelé, vint se placer à la tête des Perses menaçant les Mèdes. Astyage, stupide, donna le commandement de son armée à Harpage, qui le trahit, passant aux Perses. Les Arméniens, que Tigrane gouvernait, se prononcèrent pour Cyrus. Le roi des Mèdes, abandonné, vaincu, pris, n’avait eu que le temps d’ordonner un crucifiement de mages.

La fable des commencements de Cyrus, purement anecdotique, et supportable, se complique dans Xénophon, Ctésias, Hérodote et le Shah-Nameh. — Un mulet sera roi des Mèdes, avait dit l’oracle de Delphes. — Nicolas de Damas fait de Cyrus le fils d’un pasteur et d’une gardeuse de chèvres, œuvre d’un croisement, mulet, bâtard. Le héros descendait certainement d’Achœménès, par cinq générations semble-t-il, avec un Cambyse pour père, et pour grand-père Teipses. Sa mère, esclave, ou concubine, — fille d’un Parthe ou d’un Scythe, — descendue de Géorgie en Médie où tant de races se trouvaient alors mélangées, valut au vigoureux Achéménide, à Cyrus, ce don de piété, de bonté, de justice que Xénophon, Ctésias, Hérodote et Isaïe s’accordent à signaler.

Le sang de l’Aryen dominait en Cyrus. Les Perses eurent donc le maître qu’ils désiraient. Le Fars, Pars ou Parsistan, — la Perside actuelle, — avec ses plages brûlantes, et dont les plaines centrales étaient fertiles, nourrissait, conservait un groupe d’hommes robustes, sains, et belliqueux jusqu’à l’excès pour la défense de leurs troupeaux ou le triomphe de leurs idées. Ceux qui vivaient dans les montagnes, — Parétacéniens, Cosséens et Uxiens, — étaient excitables jusqu’à la sauvagerie. La tribu par excellence des Perses, c’était encore les Pasargades. Parmi les Pasargades, le clan des Achéménides, auquel Cyrus appartenait, formait la phratrie la plus estimée.

On pourrait dire des Perses, qu’ils furent des sectateurs de Zoroastre avant de connaître le Zend-Avesta. Le sentiment le plus élevé de la dignité humaine, cette chose caractéristique de l’Arya, les Perses des premiers temps l’eurent au plus haut point. De cinq à vingt ans, dit Hérodote, on apprend trois choses aux Perses : à monter à cheval, à tirer l’arc et à dire la vérité.

Leur culte, simple, védique, ne comportait ni sanctuaire, ni statue, ni autel. Sur le bûcher brûlaient les offrandes, et parmi les victimes choisies, la préférable, comme en Aryavarta, c’était le cheval. Le prêtre buvait le homa et le distribuait au peuple, ainsi que cela se pratiquait aux Pays des sept rivières ; et comme en Bactriane, les cérémonies se terminaient par un banquet fraternel. Le Zend-Avesta ne régissait pas encore la nation ; mais dès que les Perses le connurent, il devint leur Livre, définitivement.

Les Mèdes livrés aux mages, ces Asiatiques venus de Chaldée, étaient incapables de servir le grand œuvre de Zoroastre. Énervés, amollis, comme leurs souverains, ils devaient subir fatalement la domination des Perses le jour où les Perses auraient, ce qui leur avait manqué jusqu’alors, un chef digne d’eux. Cyrus, maître des Perses et des Mèdes, régnera sur les deux peuples, et les adversaires du conquérant le nommeront roi des Mèdes. La Bible fera des Mèdes, ou Madaï, vus d’ensemble, une race blanche, japhétique ; les Grecs désigneront indifféremment leur grand ennemi sous le nom de Mède ou de Perse.

Depuis la défaite d’Achœménès, Perses et Mèdes ne peuvent cependant plus être confondus. Le Mède à la longue chevelure a perdu tout caractère ethnique ; il est, comme l’Assyrien de la même époque, un mélange de races, croisées. Cyrus menant les deux nations à la bataille, les actes du roi des rois seront diversement qualifiés au même moment. C’est ainsi qu’un prophète d’Israël dira, dans une même page, la grande vertu et la grande cruauté de l’armée de Cyrus : — Voyez ! J’excite contre eux les Mèdes, qui n’estiment pas l’argent, et ne font point cas de l’or. Mais leurs arcs mettront en pièces les jeunes guerriers. Ils n’épargneront pas le fruit des entrailles. Des enfants, leur œil n’aura pas de pitié. Conduits par des Aryens incorruptibles, par des Perses, les guerriers de Cyrus, Touraniens pour la plupart, sont impitoyables aux vaincus. Toutes les abominations après la victoire ; pas une lâcheté pendant la lutte loyale, en plein jour : C’était une coutume chez les peuples iraniens de ne combattre qu’à la lumière du soleil.

Roi des Perses et vainqueur d’Astyage, Cyrus abandonna son nom d’Agradate et se fit nommer Kurus. Interprète fidèle de l’idée perse, il fit relever dans tout l’Iran les Atesh-gah ou pyrées zoroastriens, se laissant toutefois aller à la faiblesse de tolérer les sanctuaires du magisme médique. Le roi d’Arménie, Tigrane, salua Cyrus en se reconnaissant comme son vassal, en adoptant et eu propageant en Arménie la religion zoroastrienne, qui s’y répandit en conservant toutefois un caractère assyrien. Cette vassalité de l’Arménie, acceptée par Cyrus à des conditions honorables pour les Arméniens, sanctionnée comme volontaire, fut définitive.

Il y eut dans tout l’Iran, jusques aux frontières de l’Inde, un mouvement vers Cyrus. L’énumération des princes qui se rangèrent autour du grand Aryen a, dans le Shah-Nameh, l’allure d’une nomenclature féodale. C’était bien réellement un empire que Cyrus venait de constituer, pour ainsi dire en un jour.

L’amitié des Arméniens, sûre, était une grande force pour Cyrus. Géographiquement, le pays d’Arménie dominait les Asiatiques subjugués, à l’est, et tenait en respect, à l’ouest, les groupes de la petite Asie, notre Asie-Mineure. Le mont Ararat se dressait, au centre, comme une forteresse, une vigie, nœud stratégique des hauteurs dominant l’Asie-Mineure, l’Assyrie et la Médie. Toujours très tourmentée, l’Arménie ne se prêtait pas à la formation d’une nationalité. Des migrations diverses s’y étaient produites. Les Chaldéens d’Ismidagan et d’Hammourabi l’avaient tenue ; les Égyptiens de Thoutmès III, vainqueurs des Rotennou, l’avaient occupée ; les Assyriens l’avaient prise et Téglath-Phalasar Ier l’avait divisée en petites royautés tributaires du roi des rois. C’est alors que les divinités chaldéennes vinrent se substituer aux vieux dieux d’Arménie. Le roi Barouir, qui s’était joint à Arbace pour détruire Ninive, avait été châtié par Téglath-Phalasar II ; Sargon était venu à son tour ravager le pays, que le roi Argistis releva ; et c’est pourquoi, lorsque la grande force des Mèdes apparut, les Arméniens, qui savaient leur faiblesse, sollicitèrent et obtinrent une protection : Phraorte désigna le roi qui la gouvernerait. Jaloux de la popularité et de la beauté du roi d’Arménie Tigrane Ier, dont les cheveux étaient blonds, le roi des Mèdes, Astyage, voulut l’attirer à Ecbatane pour l’y retenir ; prévenu, le roi des Arméniens s’abstint, et dès que Cyrus se fut manifesté, Tigrane se déclara pour les Perses contre les Mèdes.

Pendant que les peuples qui étaient à l’ouest de la Médie avaient la crainte de Cyrus, ceux qui vivaient en Iran, et au delà, du côté de l’Inde, venaient au vainqueur comme à un maître attendu. Les Iraniens de la Sogdiane et de la Margiane saluèrent le roi nouveau. La Parthie, chose remarquable, fit comme les Iraniens. Mais ce qui fut important, c’est la soumission spontanée des Bactriens, ces mazdéens si fidèles, ces hommes si braves, si fiers de la pureté de leur sang, de l’authenticité de leurs traditions, et que les Assyriens n’avaient jamais pu dompter. Le Caboulistan résista, les rois de Caboul étant hypocrites et vaniteux, princes afghans sans doute, c’est-à-dire d’origine chaldéenne, tout à fait Asiatiques. L’Inde, troublée par les brahmanes à la domination desquels les Aryas résistaient, se trouvait hors de la portée des Mèdes grâce aux agitations du Caboulistan.

Les Carmaniens s’étant confédérés aux Bactriens, aux Sogdiens, aux Margiens et aux Parthes, pour agrandir l’empire, Cyrus affirma sa maîtrise en châtiant les Saces, ces hordes remuantes dont la Bactriane était continuellement menacée. Le roi des Saces, Amorgès, étant pris, Sacie devint tributaire du roi des Mèdes. Les Touraniens de l’Hyrcanie, voisins de la mer Caspienne, tourmentaient l’Iran ; Cyrus accourut et les Hyrcaniens, sans combat, se soumirent. L’Albanie et l’Ibérie, le Daghestan et la Géorgie firent comme l’Hyrcanie. Mais Cyrus dut provoquer et battre les Colchidiens, ainsi que les nations des âpres montagnes qui longent le littoral sud-est du Pont-Euxin, les Mardes, les Macrons, les Chalybes qui avaient inventé l’acier et les Tibaréniens. En quatorze années (559-545), Cyrus était devenu le maître incontesté des territoires allant de l’Hindou-Koush au fleuve Halys.

Crésus, qui était alors roi de Lydie, prince considérablement riche et puissant, à l’extrémité occidentale de l’Asie-Mineure, s’alarma des mérites de Cyrus, tandis que les Babyloniens prenaient une attitude de résistance. Déjà sous le gouvernement d’Alyatte, et après six années de lutte (603-597), les Lydiens avaient été battus par les Mèdes de Cyaxare et le fleuve Halys admis comme la marque séparant les deux royaumes devenus amis.

Crésus, qui avait succédé à son père Alyatte, continuant la dynastie des Mermnades, tourmentait les Grecs des côtes de la Petite-Asie, prenant des villes, pillant, frappant de taxes énormes les vaincus, Mysiens, Maryandiniens, Bythiniens, Paphlagoniens, Cariens et Pamphyliens. Il occupait toutes les terres comprises entre l’Hellespont, le Pont-Euxin, l’Halys et le Taurus, n’ayant épargné que les Lyciens protégés par les rois de Babylone.

Fier de ses succès, Crésus songeait à prendre l’offensive contre les Perses. Bon en ses heures de calme, munificent, très soupçonneux, enclin à la superstition, et par conséquent craintif, — bienfaisant et libéral a dit Pindare, — sceptique et défiant dirions-nous, — Crésus fit consulter les oracles de Delphes, de Dodone, de Branchide près de Milet, d’Amphiaraüs à Thèbes, de Trophonius à Lebadea et d’Ammon en Libye. Les prêtres de Delphes furent ceux qui le satisfirent le mieux : S’il envahit les Perses, avait répondu l’oracle, Crésus renversera une puissante monarchie.

Ne voyant que son but, que son rêve, incapable de réflexion, et malgré l’avis de son conseiller très prudent, Sandanis, Crésus se leva pour marcher contre les Perses avec l’armée de mercenaires qui lui obéissait. Il partit résolu, audacieux, franchit l’Halys par un canal de dérivation exécuté sur les plans de Thalès, entra en Cappadoce et battit les Cappadociens qu’il dispersa ou transporta. Cyrus, accouru, rencontrant Crésus en Ptérie, le provoqua sans délai. Le choc des deux armées fut épouvantable, prolongé par la résistance et l’acharnement. La bataille était sans résultat lorsque la nuit vint. Crésus pensant avoir suffisamment intimidé son adversaire, ou redoutant peut-être un nouveau combat, se retira vers sa ville capitale, songeant à s’assurer des secours pour le printemps prochain, en s’adressant aux Babyloniens, aux Égyptiens et aux Lacédémoniens. Mais Cyrus, tenant sa victoire, poursuivit Crésus, vint camper sous les murs de Sardes.

Dans la vaste plaine de Thymbrée, la cavalerie lydienne se déploya. Les Perses, à ce que dit Hérodote, avaient en avant-garde une ligne d’hommes montés sur des chameaux dont la vue et l’odeur frappèrent d’impuissance les chevaux des Lydiens. Crésus se retrancha dans sa ville, avec ses cavaliers, se croyant invulnérable, attendant les secours demandés. Après quatorze jours d’investissement, — car ils ignoraient encore l’art des sièges, — les Perses entrèrent dans Sardes, victorieux. La chute de la ville lydienne et la défaite de Crésus devinrent le sujet de mille légendes. Hérodote et Ctésias accumulent les incidents extraordinaires. Le vainqueur usa de générosité envers les vaincus, gardant Crésus auprès de lui, prenant ses avis, le consultant sur ses autres entreprises, laissant aux Lydiens le libre exercice de leurs lois, sous le gouvernement d’un prince de leur race, Pactyas.

L’empire lydien si longuement rêvé par Crésus était ruiné ; l’empire des Mèdes s’affirmait avec Cyrus. Les oracles des Grecs exploitaient cette surprise en rappelant qu’ils avaient annoncé la chute d’un empire et le triomphe d’un mulet. L’empire lydien n’existait plus ; le mulet désignait Cyrus, puisque sa mère et son père étaient de races différentes.

Des villes et des colonies grecques offrirent à Cyrus une allégeance semblable à celle qu’il avait imposée aux Lydiens, tandis que Sparte lui envoyait des ambassadeurs chargés de l’intimider. Cyrus dédaigna les offres et les menaces des Grecs avec une insolence enjouée. Parmi les villes de l’Asie-Mineure toutes soumises aux armes perses, Milet fut honorée d’un traitement spécial. Cet acte de pure politique tendait à séparer Milet de la cause générale des Lydiens. Les trésors de Crésus avaient été transportés à Ecbatane.

Pactyas, qui gouvernait Sardes, ayant essayé de soulever les Lydiens, Cyrus envoya le Mède Mazarès qui désarma tous les révoltés sans rencontrer une résistance. Pactyas put se dérober un instant au châtiment qu’il avait mérité. Le Mède Harpage, chargé par Cyrus d’achever la soumission de l’Asie-Mineure, tourmenta les Ioniens, entourant leurs villes, bâtissant contre les murs qu’il ne pouvait franchir, des tours plus hautes d’où ses guerriers lançaient leurs flèches. Les Phocéens indomptables, ainsi menacés, n’ayant obtenu aucun secours de Sparte malgré l’envoi d’un ambassadeur revêtu d’une robe de pourpre, abandonnèrent leur ville pendant la nuit, allant coloniser Alalia en Corse et Massilia en Gaule. Les Teïens s’en furent rebâtir Abdère, en Thrace.

Priène succomba comme avaient succombé Sardes et Phocée. Les habitants de Priène furent vendus et leur territoire subit la colère des troupes. Les habitants d’Arina (le Xanthos des Grecs) et de Caunas, désespérés, moururent dans l’incendie de la ville, allumé de leurs propres mains. L’Ionie, la Lycie et la Carie supportèrent le joug des Perses. Chios et Lesbos vinrent rendre hommage au vainqueur.

Cyrus, dont l’énergie était incessante pendant l’action mais dont le caractère devenait faible après le succès, laissa ses troupes abuser de leur victoire. Les excès du châtiment dont les vaincus furent frappés mit une haine profonde, définitive, entre les Perses et les Grecs.

Pendant que ses lieutenants, — Mazarès d’abord, Harpage ensuite, — humiliaient l’Asie-Mineure, Cyrus prenait possession de son empire oriental. L’Ariane, ou Arie, la Drangiane et l’Arachosie, — provinces de l’Afghanistan actuel, — où vivaient alors des tribus aryennes, pures, ignorant Zoroastre, ayant encore la religion des Védas, ne résistèrent pas à la séduction du nouveau maître. Cyrus étendit son influence jusqu’à l’Indus, jusqu’à Peschaver (Puruschapura). La Gédrosie, au sud de l’Ariane, se soumit.

L’empire de Cyrus couvrait cinquante degrés de longitude ; il allait des côtes méditerranéennes de l’Asie-Mineure jusqu’à l’Oxus, au nord-est, et jusqu’à l’Indus à l’est. Mais l’œuvre impériale n’était qu’un fait. Le maître était venu, imposant sa force, surprenant les vaincus, sauf les Grecs, par sa tolérance et sa générosité, laissant les peuples libres pourvu qu’ils satisfissent avec régularité à l’envoi du tribut annuel consenti, vivres et hommes. Cyrus avait en lui la grande idée zoroastrienne ; ses troupes, généralement, imposaient l’admiration autant que la crainte. Cependant, le héros, le vainqueur et ses guerriers passaient, avec leur bravoure et leur vertu, ne laissant en chemin aucun germe. Le conquérant était redouté des Grecs autant que des Babyloniens, tremblant pour leurs cités et leurs autels, et s’étonnant ensuite, après la défaite, de l’indifférence avec laquelle Cyrus laissait en honneur, partout, les divinités qu’il n’adorait pas. Les prêtres épargnés, méprisaient presque ce vainqueur si peu zélé pour la grande idée zoroastrienne.

Kyros, dit Eschyle, fut un homme heureux, qui donna la paix à tous les siens. Il réunit au Royaume le peuple des Lydiens et celui des Phrygiens, et il dompta toute l’Ionie. Et les dieux ne s’irritèrent point contre lui, parce qu’il était plein de sagesse. — Ils accomplissent mal leurs destinées dans l’histoire, les hommes contre lesquels les dieux ne s’irritent pas.