Les Égyptes (de 5000 à 715 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXV

 

 

DE 1462 A 715 Av. J.-C. - Fonctionnaires et grands vassaux. - Divinisation du pharaon. - Harem de Ramsès II. - Le grand eunuque de Séti. - Les femmes d’Asie. - Amours égyptiennes. - L’homme et la femme. - La famille. - Jouets. - Villes. - Meubles. - Les grands domaines. - Institutions militaires. - Armes. - Équitation. - Stratégie.

 

LE culte des grands ancêtres avait été fait somptueux par les premiers pharaons. L’Égyptien croyant que la mort n’était qu’une interruption d’existence, qu’une deuxième vie semblable à la première était vécue à l’ouest de l’Egypte, les monarques finirent par se faire rendre dés ce monde, dès leur existence première, les honneurs qu’ils n’auraient dû recevoir qu’après leur mort. Plus tard, lorsque les dynasties asiatiques s’installèrent sur les bords du Nil, et dés que les prêtres, organisés, eurent divinisé les ancêtres, les pharaons, ne pouvant plus renoncer aux hommages que recevaient leurs prédécesseurs, se trouvèrent comme des dieux. Sous la XIXe dynastie, — bien avant sans doute, mais jamais aussi complètement qu’alors, — le pharaon ne se montre plus qu’avec le costume d’Ammon, le dieu de Thèbes, entouré de thuriféraires balançant leurs encensoirs, de flabellifères penchant leurs longs éventails de plumes blanches sur le front du monarque deux fois couronné, ayant au front l’uræus. Ses enfants, les généraux et les grands dignitaires lui font cortège ; le peuple se prosterne, le saluant de retentissantes acclamations. C’est un dieu ; un dieu vivant. Thoth, parlant à Séti, affirme lui-même la divinité du monarque : Tu crées les humains, tu fais naître les générations des hommes. L’essence divine, éternelle, des pharaons est un dogme : Ton être est l’être de l’éternité ; l’être de l’éternité est ton être.

Bien que dieux, les pharaons n’étaient pourtant pas les meilleurs des hommes, et l’exemple de leur vie royale dut profondément troubler la pure conscience des Égyptiens. Le peuple, qui ne voit pas les monarques souvent, se scandalise peu des immoralités souveraines dont le spectacle ne frappe pas directement ses yeux ; mais les grands dignitaires de la cour, mais les grands vassaux, spectateurs continuels de la corruption pharaonique, sont incités par leur ambition même à imiter le monarque, à se corrompre comme lui pour l’égaler. Il n’y eut pas d’Égyptien riche, ou puissant, sous les dynasties du Nouvel-Empire, qui ne vécût ou ne voulût vivre, autant qu’il le pouvait, en pharaon.

Ramsès II, qui fut peut-être le monarque le mieux divinisé, eut un harem où lui naquirent cent soixante-dix enfants, dont soixante-neuf fils. On a dit de ce pharaon qu’il ouvrit son gynécée à l’une de ses propres filles. Il est certain que la démoralisation était profonde sous la XIXe dynastie. Séti décora du collier d’or, qui était la marque distinctive du haut mérite, son grand eunuque Horkhem. Et Séti, qui pousse l’outrecuidance jusqu’à faire représenter cette cérémonie sur la pierre, se rendait parfaitement compte de l’immoralité de son caprice souverain, puisque dans l’inscription expliquant le tableau, parmi les souhaits du monarque, se trouve ce vœu : que Horkhem ne soit pas ravalé dans le palais. Serviteurs dignes de tels maîtres, les courtisans récompensaient le pharaon avec une impudence qui ne surprend que par la grossièreté de ses manifestations. On collectionne, pour les rééditer en l’honneur du roi, toutes les flatteries imaginées pour ses prédécesseurs ; ou bien, simplement, dans les inscriptions publiques, monumentales, disant la gloire d’un pharaon passé, on substitue au nom du monarque mort le nom du monarque vivant. Tout est permis au pharaon. Dans le palais de Médinet-Abou, Ramsès II se fait représenter plusieurs fois dans son gynécée, caressant l’une de ses femmes toute nue.

L’invasion des femmes asiatiques devait être pour l’Égypte un grand élément de corruption, car rien ne pouvait y réfréner le développement sensuel d’une race qui semble avoir ignoré l’amour. Amoureuses comme elles étaient musiciennes, c’est-à-dire pour le seul plaisir que leur grâce ou leur talent pouvaient procurer, ces femmes furent de plus en plus recherchées, et elles infestèrent le pays. C’était parfois comme une rage. Les hommes venus d’Asie obtenaient tout des Égyptiens lorsqu’ils se présentaient à eux avec leurs femmes. C’est ainsi qu’Abraham offrit Sarah au pharaon.

Il est remarquable, — et c’est peut-être un fait unique au monde, — que dans toute la littérature égyptienne, — sculptée, peinte, gravée ou écrite, — les passages sont extraordinairement rares où l’écrivain ait exprimé l’idée d’un sentiment d’amour. La rhétorique égyptienne même, dans sa forme conventionnelle, n’a pas de ces jeux de style qui, par la fiction d’une émotion d’amour ressentie, démontrent au moins la connaissance de cette émotion. L’Égyptien semble n’avoir de tendresse que pour son pays ; si, loin de l’Égypte, il en parle, c’est avec une simplicité touchante qu’il exprime le sentiment vrai qui l’émeut. Certes, l’époux fera de son épouse, et avec sincérité, l’amie principale de son cœur ; les monuments diront souvent la tendre affection par laquelle l’homme et la femme sont unis, et dans la vie, et dans la mort ; mais de l’amour, rien, ou presque rien. Le calendrier copte actuel, tout imprégné de traditions antiques, et qui satisfait dans tous les cas l’esprit des Égyptiens, exprime avec une franchise dont la brutalité n’est pas sans charme, ce qu’est l’amour pour les Égyptiens : un phénomène naturel auquel nul n’échappe, un incident de la vie universelle, inévitable, qui a sa périodicité comme le Nil, comme les fleurs, comme les fruits, et qui se peut enregistrer. Le calendrier copte a ces trois indications : 27 mars : La terre reçoit la pluie avec amour. 29 mars : Floraison des rosiers. Les bêtes entrent en rut. 11 octobre : Cueillette générale des fruits. Réveil des passions sensuelles.

Cette absence du sentiment d’amour, cette ignorance, pour dire mieux, des joies de la recherche, des craintes de l’attente, des splendeurs du premier baiser obtenu, laissaient l’Égyptien comme intact, en pleine possession de ses facultés affectives et sensuelles, jusques au jour de l’union, préparée, raisonnée, consentie, et froidement consommée. L’avenir de cette union dépendait de la femme, absolument ; si elle était en même temps, pour l’époux, mère, sœur, fille, épouse, surtout amie ; si elle représentait, dès les premiers jours, toute la conception de la famille, le mariage devenait réellement indissoluble, parfait. La femme, dans ce cas, était l’égale de l’homme. En réalité, pour l’Égyptien des premiers temps, le mariage ne devait être qu’un fait accroissant la famille, une sorte d’acte d’adoption. Il ne semble pas que la rigueur des sens, ni l’excitation cérébrale, aient été, sur les bords du Nil, les moyens employés par la nature pour assurer la reproduction des espèces. La paresse de cœur qui caractérise l’Égyptien frappait son cerveau et ses reins ; et c’est par indolence que, désirant inaugurer une famille nouvelle, il arrivait souvent que le frère épousait sa sœur. Peut-être aussi, à cette époque lointaine, l’Égyptien voyageant avait-il une famille, une femme au moins, et parfaitement légitime, bien-aimée, dans chacune des contrées, dans chacune des villes où il séjournait ?

Le fils aîné, par son nom, continuait la grande famille des ancêtres. Le mariage unissait si bien l’homme et la femme, que même sous la XIXe dynastie, au moment de la plus grande corruption, des manifestations touchantes d’amour conjugal se lisent sur les pierres funéraires.

Il n’y avait aucune inégalité de droit, ni de coutume, entre l’homme et la femme. Le mari, maître de la maison, est toujours figuré tenant à la main la longue canne, souvent ornée, qui témoignait de son droit de commandement. La femme pouvait exercer ce droit, en fait, et commander. Il y eut des femmes attachées au service du culte dans les temples. Les pharaons associaient presque toujours leurs femmes aux honneurs qui leur étaient rendus, et quelquefois leurs filles. Les princesses royales avaient une maison, une cour, comme les princes. Les courtisans honoraient les femmes des hauts dignitaires, leur prodiguant des marques de respect, excessives. L’histoire entière de l’Égypte, par les actes de la régente Hatasou, par l’importance des reines mères, par les monuments, les inscriptions et les papyrus, prouve que la femme, et quelle qu’elle fût, pouvait briguer tous les honneurs. Il importe de remarquer, cependant, que ces droits n’étaient garantis ni parles lois, ni par les croyances, ni par les mœurs ; qu’ils résultaient uniquement de la valeur personnelle de la femme, en tant qu’être organisé se manifestant. Le mari, par exemple, pouvait abandonner sa compagne, comme un ami rompt avec son ami, comme un associé renonce à son association. Un fonctionnaire de la XXe dynastie se vante de n’avoir pas quitté sa femme le jour où le pharaon le promut à une grande dignité. Les tombeaux des reines valent les tombeaux des rois. La femme d’Aménophis III, dans sa maison éternelle de Thèbes, accomplit elle-même les rites parmi les divinités, faisant les offrandes, jouant du cistre. Les déesses ne sont pas inférieures aux dieux ; elles protègent les reines, elles font la destinée heureuse des nouveau-nés. Les Hathors deviennent ainsi des fées bienfaisantes.

Après l’invasion des Pasteurs, un grand changement se produit. Les femmes visent à la domination, non plus par la mise en œuvre positive de leur valeur intellectuelle, mais par l’exploitation étudiée de leurs charmes, de leur grâce, de leur beauté. Elles ont le dédain du travail et la passion de la coquetterie. Les femmes asiatiques, sans scrupules, se sont montrées aux Égyptiens vêtues de gaze, frappant du plat de la main des disques de peau tendue, et donnant aux yeux, en des poses savantes, la fête de leur svelte nudité. Surexcitée, l’Égypte s’abandonne, se livre, et désormais, après la victoire, au partage du butin, le pharaon aura sa part de femmes choisies. Ménephtah Ier obtient ainsi douze femmes blanches prises au vil chef des Libyens. L’Égyptienne, menacée dans sa dignité par cette invasion, dut se défendre, réclamer des droits, exiger des garanties. Diodore de Sicile dit que par contrat, au jour du mariage, les femmes égyptiennes en étaient venues à se réserver une part d’autorité. L’envahissement féminin tournant au scandale, des ordonnances sévères visèrent le dévergondage importé d’Asie. Un Ramsès rendit aux femmes le droit de sortir librement et de se parer.

Les familles étaient nombreuses dans l’ancienne Égypte. De stèles figuratives, il résulterait que les familles composées de huit, douze enfants, étaient ordinaires. Rien encore n’est venu signaler une différence entre les unions légitimes ou illégitimes. Tous les enfants d’un même père sont cités fraternellement, sans distinction. L’amour des enfants se manifeste avec une grande intensité. On pourrait dire que l’imagination des Égyptiens ne fut réellement active que dans la recherche des plaisirs de l’enfance. Des jouets de toutes sortes, — poupées raides, articulées et chevelues, mannequins, paumes de cuir et de bois, osselets, sabots à fouet, toupies, pions, petits instruments aratoires, — se trouvent dans les tombeaux les plus anciens.

Les villes étaient mal bâties. Tout le luxe des constructions s’épuisait aux nécropoles. Les maisons éternelles, faites avec des blocs de calcaire, de grés, ou de granit, contrastaient avec la simplicité primitive des maisons temporaires, où les vivants vivaient, et qui se bâtissaient avec du bois et des briques crues mélangées de paille. L’existence des Égyptiens, toute de plein air, s’accommodait fort bien de ces abris sommaires. Et puis le Nil était à redouter. L’inondation, parfois, ravageant les terres, une ville emportée était promptement rebâtie. Les sépultures, au contraire, devaient être défendues par leur propre poids. La maison civile, pour ainsi dire sacrifiée à l’avance, recevait peu d’ornements, peu de meubles. Le nécessaire, l’indispensable seul, y figurait.

Quelquefois un grand travail préalable, ordonné par le pharaon, fixait l’emplacement d’une ville nouvelle ; sur un remblai, d’épaisses murailles en briques, basses, se coupant à angles droits, formaient un immense damier dans les casiers duquel on bâtissait des quartiers. Malgré cette protection, la ville endiguée ne rassurait pas l’Égyptien, qui n’y bâtissait que sa maison de boue ordinaire, traditionnelle, à un étage, avec un escalier extérieur menant à la terrasse formant toit plat. Les grandes habitations comportaient une cour intérieure autour de laquelle ouvraient les chambres ; ces chambres donnaient toutes, généralement, sur un corridor. Quelques Égyptiens agrémentaient leur demeure de portiques de pierre, ornés ; de pavillons de bois, gracieux ; d’une seconde toiture, légère, surmontant la terrasse, et que d’élégantes colonnettes supportaient.

Les meubles, ordinairement, se résumaient en fauteuils, sièges, tabourets, coffres, nattes et paniers. Des artistes habiles sculptaient les pieds des tabourets, marquetaient d’ivoire et d’ébène le plat des sièges et le dossier des fauteuils, peignaient de couleurs vives les nattes de jonc, les corbeilles en côtes de palmier tressées, les couvercles à charnières des coffrets de bois. Les ustensiles de ménage étaient de bois, de terre cuite, de calcaire, d’albâtre, de granit et de bronze ; mille ornements en égayaient les lignes : émaux variés dessinant des étoiles, des fleurs, des bêtes ; colorations intéressantes, en bleu, en rouge et en noir ; vernis rayés ou lisses ; anses figuratives, palmées et feuillues. Le bronze, d’un bon alliage, rendait un beau son. Des inscriptions hiéroglyphiques contournaient les vases ; le fond des coupes s’enrichissait de dessins aux incrustations d’or.

Hors des villes, et quelquefois dans les villes mêmes, mais rarement, la maison d’un haut fonctionnaire, ou d’un grand, s’étendait comme un monde à part. C’était une société complète, voulue ainsi, parfaitement hiérarchisée, avec ses prêtres, son clergé, ses sacrificateurs, ses scribes, ses intendants, ses porteurs, ses gardiens de toutes sortes, ses artisans, ses ouvriers, ses agriculteurs, ses bouviers, ses bergers, ses bateliers, ses valets, son médecin, son vétérinaire, son maître des jeux, ses musiciens, ses chanteurs, ses lutteurs, ses mimes, ses acrobates et ses nains. De ces domaines, aux terres vastes, le temple de Gournah nous a laissé une intéressante représentation. La maison, dans ce cas, était grande, car elle comprenait, en même temps que l’habitation de la famille, les salles d’approvisionnement, et, dans une certaine mesure, les greniers. Des jardins admirablement soignés, avec leurs arbres taillés en pyramide, entouraient la maison.

Ayant la conception de la rapidité de cette vie, et s’en consolant, — car il la trouvait suffisamment agréable, — en songeant à l’éternité de la seconde existence meilleure, l’Égyptien ne considérait en somme la ville que comme un camp bâti. Toujours prêt pour le départ, — émigration ou mort, -il se déplaçait avec une facilité extraordinaire ? N’ayant pas, en outre, au commencement au moins, l’idée de nations rivales existant au dehors de la vallée du Nil, il n’avait pas conçu la nationalité ; et pourvu qu’il pût se défendre contre les voleurs venant du sud, de l’est ou de l’ouest, en nombre plus ou moins grand, sa quiétude était complète. Les pharaons, eux, et vite après Ménès, sinon avant, redoutaient les hommes du sud, noirs ; et comme ils trouvaient chez ces hommes des pierres indestructibles, de l’ivoire, de l’or, du fer peut-être, et des esclaves, ils constituèrent une armée, défensive aux yeux des Égyptiens, conquérante en réalité, au but du monarque.

Le pharaon fut l’incontestable et unique chef de l’armée. Il déléguait ses commandements, mais d’une façon limitative, pour une expédition déterminée, pour la garde d’une province ou d’une place. L’oéris, portant la plume d’autruche, était le chef militaire ; les princes avaient ce titre, de droit. Les grades se qualifiaient par des mots équivalant à ceux de cousin, parent, ou ami du pharaon. La personnalité souveraine dominait exclusivement ce service public. Lorsque, sous la XIIe dynastie, le système féodal l’emportant, les grands vassaux se furent partagé l’Égypte, créant une série de petites souverainetés héréditaires, le pharaon demeura, — dernier pouvoir, — chef militaire du pays. Le monarque de Meh s’honore, par une inscription, d’avoir reconnu cette autorité : J’ai marché en qualité de fils d’un chef, de chambellan, de général de l’infanterie, de monarque de Meh. Je conduisis les butins de mon maître. Pas un de mes soldats n’a déserté. Chaque grand vassal, sous Ousortésen Ier, devait au pharaon un contingent fixé en cas de guerre, un tribut en temps de paix. Les pharaons, d’ailleurs, méritèrent de conserver cette prérogative, car ils n’hésitèrent presque jamais à mener les troupes à la bataille, à combattre personnellement. Hors du costume d’Ammon, dont les pharaons du Nouvel-Empire se revêtirent pour apparaître au peuple comme des divinités, le costume des pharaons fut essentiellement militaire. Pentaour dit de Ramsès II : Voici que Sa Majesté se leva. Il saisit ses armes et revêtit sa cuirasse, semblable à Baal, dans son heure.

L’armée égyptienne proprement dite ne fut constituée qu’après l’invasion des Pasteurs ; cependant, sous la XIIe dynastie, des guerriers, déjà admirablement exercés, avaient une grande valeur individuelle. Le camp d’Aouaris, ou d’Aouar, montre ce que pouvait donner une éducation militaire. Thoutmès III eut à ses ordres une véritable armée. Les hommes de pied portaient au bras un grand bouclier, couvrant le buste ; au chef, un casque en cuir ou de métal, orné au sommet ; une cuirasse protégeait leur poitrine. L’armement de ces fantassins de première ligne se composait d’une lance, d’une hache courte et d’un poignard long, de bronze, à manche de bois ; les hommes de seconde ligne, ou troupe légère, avaient un bouclier rond, un sabre recourbé, — harpé, le khopesh, — une massue, un arc pesant, souvent triangulaire, avec un énorme carquois. Les massues de bois avaient la forme d’un sabre courbe, épointé, ou bien d’un casse-tête à boule ronde, ovale, ovoïde. Les flèches, longues, de roseau, étaient à pointe de silex, d’or ou de bronze. Des trompettes, des tambours et des joueurs de flûte traversière marquaient la cadence des marches de guerre et de parade.

E n’y avait pas en Égypte, alors, de cavalerie proprement dite, bien que l’art de l’équitation y fût connu, mais des hommes de char. C’est sur un char de guerre que les pharaons combattaient personnellement. Le cavalier, en effet, était essentiellement asiatique, les vastes espaces à franchir, en Asie, nécessitant l’emploi du cheval. Dans la vallée du Nil, en temps de guerre, l’emploi du cheval était difficile, la délicatesse de l’animal s’accommodant mal, au sud, des terres dures ; au nord, des terres molles. Dès les premières batailles contre les Syriens, le cheval fut amplement utilisé. Les Rotennou vaincus donnèrent des chevaux à Thoutmès III. L’Égyptien demeura rebelle aux chevauchées ; c’est à peine s’il osait se servir du cheval sellé pour hâter l’envoi d’un message. En attelant la bête, l’Égyptien la maîtrisait mieux. Les hommes de char, ou cavaliers, lançaient à l’ennemi la pique nue, la javeline à courroie qui revenait au lanceur, les traits minces à la pointe acérée, engluée de poison, le bâton servant d’ordinaire à la chasse des oiseaux, et le harpon hameçonné.

Les soldats, divisés en sortes de compagnies, — Égyptiens ou mercenaires, — s’exerçaient continuellement, soit par une gymnastique personnelle, soit par la lutte à deux, soit par le simulacre, en corps formés, groupés, d’une marche offensive ou d’une attitude de résistance. Sur un ordre, on simulait également une prise d’armes, la mise en défense d’un terrain, l’organisation d’un camp fortifié. L’entrée de la palissade est gardée par un gros de fantassins ; la tente du pharaon, dressée au point opposé à l’entrée, est entourée de la maison militaire du monarque. Les chevaux et les ânes, harnachés ou bâtés, ont le fourrage devant eux ; derrière eux s’étend la ligne des chars. A la droite, les troupes ; à la gauche, les ambulances.

La marche en bataille veut les fantassins, lourdement armés, en tête, par rangées de dix hommes ; les troupes légères aux flancs, les chars ensuite. Le pharaon est au centre, avec sa garde personnelle. Les troupes de pied ont des enseignes de ralliement ; les cavaliers sont guidés par un char mâté d’une lourde hampe portant un ornement symbolique : c’est, sous la XIXe dynastie, une tête de bélier au disque solaire. Dans l’ensemble de l’armée, les cavaliers avaient une situation supérieure à celle des fantassins. Tout Égyptien pouvait donner son fils au pharaon, l’envoyer au camp ; le jeune Égyptien qui se destinait à la cavalerie payait à l’avance les frais de son éducation militaire et de son équipement. L’ordre de marche variait à la volonté du commandement. Parfois les lourds fantassins, mis en réserve, étaient au centre, et les troupes légères, lancées comme des tirailleurs, sur tous les points menacés.

La représentation d’une bataille contre les Khétas indique une marche d’attaque en colonne, par rangs de quatre. La supériorité des Égyptiens sur les Asiatiques provenait surtout de l’ordre absolu qui régnait dans l’armée des pharaons. En temps de paix, des officiers allaient inspecter les camps, passer des revues. Je suis arrivé à Éléphantine, dit un rapport appartenant à la XIXe dynastie, et j’accomplis ma mission. Je passe en revue les fantassins et les cavaliers des temples, ainsi que les domestiques, les subordonnés qui sont dans les demeures des officiers de Sa Majesté. Les Asiatiques se battaient à l’aventure, innombrables, couvrant les montagnes et les vallées, comme des sauterelles dans leur multitude, désordonnés, plaçant jusqu’à trois hommes sur un seul char.