Les Égyptes (de 5000 à 715 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXI

 

 

DE 1405 A 1338 Av. J.-C. - Dix-neuvième dynastie. - Ramsès Ier (1462-1456). - Séti I- (1456-14o5). - Révoltes en Syrie. - Traité d’alliance avec les Khétas. - Architecture. - La salle hypostyle de Karnak. - Assemblées publiques. - Canal de Séti. - Ramsès II (1405-1338), Sésostris - Soulèvement de la Syrie. - La confédération asiatique. - Ramsès II devant Kadesh. - Traité de paix. - Monuments. - Le pharaon et les prêtres.

 

LE pharaon Haremheb étant mort sans héritier (1462), une dynastie nouvelle, — la XIXe, — s’inaugure avec un Ramsès. On a dit que ce souverain n’était pas de race égyptienne, qu’il venait du delta, qu’il descendait des rois pasteurs ? Étouffée sous l’invasion permanente d’étrangers venant de toutes parts, lasse, assourdie, l’Égypte accepte le pharaon qui lui promet la paix, que ce pharaon soit Africain, Asiatique, Éthiopien ou Pasteur ; et pourvu que le maître des Égyptes satisfasse un certain nombre de traditions, nul n’osera lui reprocher son origine, nul ne voudra lui désobéir, se révolter.

C’était une tradition, par exemple, que dés son avènement le pharaon nouveau s’en fût guerroyer au sud, en Éthiopie. Ramsès Ier combattit les Éthiopiens, fit une expédition en Syrie, et revint en Égypte, pour y mourir, en l’an 1456, après sept années d’un règne sur lequel les monuments nous renseignent peu. La deuxième campagne de Ramsès Ier signale la confédération puissante d’un grand nombre de tribus tenant tous les pays que limitent l’Euphrate, les monts Taurus et la mer. Parmi ces tribus confédérées, la tribu des Khétas est prépondérante. Ramsès Ier aurait rencontré et combattu ces Khétas sur l’Oronte.

Séti Ier, qui succède à Ramsès Ier (1456), se transporte aussitôt en Syrie, accule les ignobles Asiatiques au pied du Liban, les châtie avec dureté, et revient à Thèbes triomphant, acclamé par les prêtres, offrant ses prisonniers au dieu Ammon ? L’histoire doute encore du caractère belliqueux de cette première campagne. Les villes de la côte syro-méditerranéenne, parmi lesquelles Tyr la maritime, riche en poissons florissait, devenaient profondément indifférentes à la nationalité de leur suzerain. Les Phéniciens avaient sans doute accueilli le pharaon comme un maître acceptable, et réglé avec lui, sans animosité, les conditions de la paix qu’ils désiraient avant tout. Asiatique, comme Ramsès Ier, Séti Ier vivait en pleine communauté de sentiments avec les scribes et les prêtres, et ceux-ci imaginèrent sans doute la grande première bataille de Séti, pour lui préparer un triomphe impressionnant.

Mais à l’est de la Phénicie, de la Palestine, de la Syrie occidentale, et jusqu’à l’Euphrate, les Khétas, à la tête de la grande confédération qu’ils dominaient, se présentent comme des belligérants, insultent l’Égypte, la menacent. Séti Ier marche, sérieusement cette fois, contre le roi des Khétas, — Sapalel, — le rencontre aux environs de Kadesh, le bat, et envoie ses dépouilles au sanctuaire d’Ammon. Battus mais non vaincus, les Khétas ne se sont pas soumis. Le successeur de Sapalel, le roi Motour, ou Motener, faisant valoir sa force, traitant avec le pharaon Séti Ier d’égal à égal, conclut un traité d’alliance offensive et défensive. La frontière égyptienne s’arrête à l’Oronte. Des garnisons installées à Gaza, à Ascalon et à Mageddo, permanentes, témoignent de l’inquiétude de Séti Ier. Cette fois encore les scribes exaltèrent outre mesure le pharaon, célébrant ses louanges, lui attribuant des victoires qu’il n’avait pas remportées, lui donnant un empire qu’il ne possédait pas. Au temple d’Abydos, le prétendu vainqueur figure, héros superbe et bienveillant, à la physionomie douce et fière, recevant en hommage toute une théorie de vierges nues venant à lui, représentant les diverses provinces des Égyptes.

L’origine étrangère de Séti Ier nuisait à son pouvoir. Sans le combattre, les Égyptiens le considéraient comme un usurpateur, ne lui reconnaissant pas le droit légitime de gouvernement. Pour donner à la XIXe dynastie, fondée par Ramsès Ier, ce droit qui lui manquait, Séti Ier épousa la petite-fille du pharaon Amenhotep III, la princesse Taï, et il en eut un fils qui, par sa mère, étant de race royale, possédait, suivant la coutume, le droit de gouverner les Égyptes. Séti Ier s’associa son fils, qui n’était encore qu’un enfant aux cheveux tordus en une lourde tresse tombant sur l’épaule, marque distinctive des héritiers présomptifs.

Nul n’aurait osé, dans la vallée du Nil, contester à Ramsès enfant, au futur Ramsès II, la moindre des prérogatives royales, et en cela toutes les traditions égyptiennes étaient respectées ; mais, en fait, dans les temples, les prêtres courtisans dédaignaient la tradition, et Séti recevait les hommages. Le prince royal, traité comme tel devant les dieux, tenait le plat des offrandes, versait la libation, prononçait les paroles sacrées ; mais Séti, en véritable pharaon, exécutait seul les rites. Sur les monuments, Séti Ier est glorifié : Tu as fortifié l’Égypte, tu as étendu tes ailes sur ses habitants ; tu es pour elle un mur de métal aux créneaux hérissés de pointes, dont tu as scellé la façade avec du fer, si bien que les barbares n’ont pu le forcer. C’est le règne des scribes. Le dieu Thoth lui-même intervient, pour écrire, par la main des sculpteurs sacrés, le témoignage de la perfection de Séti Ier, juste et véridique. A bout d’imagination, les poètes de la cour, ne sachant plus comment exalter le monarque, fort embarrassés d’énumérer des victoires qui n’existaient pas, prirent le chant triomphal de Thoutmès III et l’appliquèrent textuellement, en entier, à Séti Ier, ne changeant que le nom du héros.

Ce désir d’une glorification imméritée eut au moins l’avantage, pour l’Égypte, de faire renaître l’art des architectes, dans d’excellentes conditions. Le rapetissement des idées, la mesquinerie des conceptions, qui avaient corrompu l’art de la XVIIIe dynastie, cessent avec Séti Ier Les mensonges hyperboliques valent à Karnak un chef-d’œuvre, la salle hypostyle ; au grand temple d’Abydos, d’incomparables sculptures ; à la vallée des rois, la tombe du souverain, qu’on admire, parce qu’on ne comprend pas qu’un architecte ait même osé en concevoir le plan. Le monumental, le grandiose, caractérise ce règne. Séti Ier fit réunir la mer Rouge au Nil par un canal, creuser des puits artésiens, tracer une belle route de caravanes allant de Radasieh, qui est en face d’Edfou, jusques aux mines d’or du Gebel-Akeky.

De Ramsès II, qui fut le successeur dynastique de Séti Ier, les historiens grecs racontent que dès l’âge de dix ans, vainqueur des Asiatiques de Syrie et des Arabes, il gouverna les Égyptiens ; c’est le pharaon des légendes. Il est certain que Ramsès II réclama très vite son droit de gouvernement ; qu’il se qualifia de très bonne heure de Maître des deux mondes ; que son père Séti Ier, gouvernant de moins en moins à mesure que son fils Brandissait, finit par lui céder le sceptre et disparut. Le peuple était impatient d’obéir à un pharaon de race royale ; or le peuple avait maintenant une opinion, et il l’exprimait. Une inscription dit que Ramsès II était pharaon dès le ventre de sa mère.

Le mépris que le peuple avait publiquement manifesté pour l’usurpateur Séti Ier, et la jeunesse du véritable pharaon régnant, Ramsès II, enhardirent les nations vassales. Le Soudan, pour se séparer de l’Égypte, livra aux vice-rois d’Éthiopie une série de combats heureux ; en Asie, en Syrie, jusqu’à l’Euphrate, les Khétas, menant vingt peuples très forts, défiaient les Égyptiens ; à l’ouest enfin, les Libyens aux yeux bleus et aux cheveux blonds, massés près du delta, menaçaient d’envahissement le Bas-Nil. Ramsès II courut en Éthiopie, soumit les révoltés en deux rencontres, et cette victoire rapide intimida la confédération des Khétas, qui déclara aussitôt vouloir respecter le traité d’alliance fait avec Séti Ier.

Cette première et courte campagne de Ramsès II, — le Sésostris des Grecs, — devint, dans le récit des Hérodote et des Strabon, une expédition extraordinaire, menée jusqu’à l’Indus, avec une flotte de quatre cents navires, continuée au centre de l’Afrique jusqu’au pays de la cannelle, ayant valu à l’Égypte la possession de toutes les côtes de la mer Rouge, colonisées. Le butin merveilleux que Ramsès II rapporta de cette brillante campagne n’a jamais existé que dans l’imagination des historiens grecs, trompés sans doute par les prêtres égyptiens qu’ils avaient questionnés. Victorieux, Ramsès II fit deux promenades militaires en Syrie, le long de la côte, jusqu’à quelque distance au nord de Beyrouth, dans les villes chananéennes où les garnisons de Séti étaient maintenues, et il revint ensuite aux bords du Nil jouir de la paix qui favorisa les quatre premières années de son règne (1405-1401).

Vers la quatrième année de son pouvoir, Ramsès II apprit le soulèvement de toute la Syrie, l’ébranlement belliqueux de la formidable confédération asiatique. Les Khétas, substitués aux Rotennou des anciens temps, étaient décidément les irréconciliables ennemis des Égyptiens. Depuis l’époque des Rotennou, la terre asiatique s’était couverte d’hommes, l’Asie Mineure s’était peuplée. Les Khétas, admirablement placés entre l’Asie Mineure et la Syrie septentrionale, étaient comme le centre naturel de la longue ligne de bataille se développant de l’Euphrate à l’Hellespont, formée de mille tribus, diverses évidemment, mais unies par un but commun : la convoitise des richesses égyptiennes.

La situation était excessivement grave pour Ramsès II, car il n’avait pas seulement à affronter cette longue ligne de bataille ; l’Égypte était comme cernée de toutes parts : la Méditerranée jetait continuellement, et sur la côte asiatique et sur la côte africaine, des groupes d’hommes avides, très audacieux, venus des îles ou du continent : Achéens, Étrusques, Sardes, etc. — Ces ennemis nouveaux, suivant que les hasards de leur navigation les conduisaient en Afrique ou en Asie, ou en Égypte même, se mélangeaient aux Libyens, ou s’alliaient aux Khétas, ou s’installaient aux bouches mêmes du Nil.

Au sud, en Abyssinie, les révoltes étaient fréquentes, parce que, depuis la XIe dynastie, de nombreux Arabes, franchissant la mer Rouge, étaient venus se mélanger aux Nègres, modifier profondément le caractère des Kouschites. Il y avait alors, dans le pays de Kousch, des hommes turbulents, fiers, tenaces, ayant l’instinct de l’indépendance et le goût des armes.

C’est dans la vallée de l’Oronte que se trouve le nœud de la confédération asiatique ; la ville de Kadesh est la forteresse avancée de ce vaste camp plein de menaces. Ramsès oppose à Kadesh une ville fortifiée qu’il fait bâtir sur la frontière, entre l’Égypte et l’Arabie, — Aanakhtou, ou Pa-Ramsès, — traverse le pays de Chanaan, va camper en face de la ville forte des Khétas. Là, étudiant le pays, voulant une victoire sûre, il s’abandonne à sa préoccupation, et tombe dans un piège. Le prince des Khétas a imaginé de faux déserteurs qui vont annoncer à Ramsès la retraite imprévue des confédérés ; Ramsès s’avance, trompé, suivi de sa seule maison militaire ; il n’est qu’à une faible distance de ses ennemis, massés, prêts à l’étreindre, lorsque deux nomades, surpris, saisis, bâtonnés, laissent leur peur dire la vérité au pharaon. Ramsès s’arrête, réunit ses grands officiers, appelle ses légions ; mais ses légions sont trop en arrière, et les Khétas, se levant, poussant des clameurs, se précipitent, coupent l’armée égyptienne en détruisant la légion centrale, la légion de Phra. Ramsès, bravement, court avec sa maison militaire au vide laissé par la légion massacrée, charge l’ennemi huit fois, tient en arrêt le prince des Khétas jusqu’à la nuit, et permet ainsi aux deux tronçons de l’armée égyptienne, ralliés, de se présenter à la bataille le lendemain, de vaincre magnifiquement les Syriens. En déroute, les vaincus échappèrent cependant aux Égyptiens, grâce à une sortie de la garnison de Kadesh qui favorisa la fuite des troupes syriennes vers le nord. Le prince des Khétas demanda la paix à Ramsès ; Ramsès ne lui accorda qu’une trêve.

Voici qu’au lendemain de la victoire tout le pays de Chanaan se soulève derrière Ramsès, coupant sa voie de retraite au pharaon, tandis que le prince des Khétas, malgré la trêve, ayant reconstitué une armée, reprend l’offensive. La confédération syrienne est très diminuée ; les peuples de l’Asie Mineure qui s’étaient alliés aux Syriens, les ont abandonnés. Il n’y aura plus de grande bataille, mais une série de rencontres, qui pendant quinze années tourmenteront Ramsès.

Les monuments nous donnent les noms des peuples alliés aux Khétas, et qui formèrent la grande confédération menaçant l’Égypte. Un poème, — le poème de Pentaour, — écrit pour perpétuer les victoires du grand Ramsès, énumère les nations vaincues et les villes frappées. Toutes les désignations de ce document ne sont pas encore identifiées ; mais on y voit nettement deux groupes principaux, l’un comprenant les peuples de la Syrie du nord et de la Mésopotamie ; l’autre, formé des peuples de l’Asie Mineure. En Libye, parmi les hordes que Ramsès vint combattre, et qu’il vainquit si rudement que la terreur fit la paix de la frontière occidentale, se trouvaient les Méditerranéens, — Shardanes et Tourshâ ou Tyrsènes, — que Ramsès prit et qu’il incorpora dans sa garde.

Pendant quinze années, Ramsès II guerroya en Syrie contre les Asiatiques. Chaque chef de tribu espérait, par une victoire sur le pharaon, prendre le droit de reconstituer à son profit la grande confédération syrienne. L’armée des Khétas demeurait cependant la principale ; et lorsqu’elle fut épuisée, après quinze ans de luttes, l’armée égyptienne, lasse, ne désirait plus conquérir le pays. Le chef de Khétas, Motour, avait été assassiné ; c’est avec son frère Khétasar que Ramsès traita de la paix.

Les conditions de la paix entre Égyptiens et Khétas, entre Ramsès H et Khétasar, ne furent, au fond, que la reproduction des clauses déjà convenues avec Ramsès Ier et Séti Ier : paix éternelle, alliance offensive et défensive, protection du commerce et de l’industrie, exercice de la justice assurée, extradition des coupables, renvoi des émigrants, mais avec promesse de ne les point punir, profession d’égalité et de réciprocité parfaites entre les deux peuples. Ce traité fut loyalement observé, de part et d’autre, jusqu’à la mort de Ramsès II. Le pharaon épousa la fille du prince des Khétas, et le prince des Khétas fut l’hôte de Ramsès II en Égypte.

Par son traité avec le prince des Khétas, Ramsès II a fait des Asiatiques les égaux, les rivaux légitimes des Égyptiens. Sa politique, toute personnelle, semble ne rechercher que sa propre glorification. Pendant les soixante-sept années de son règne, les architectes ne cessent pas de lui dédier des monuments, les sculpteurs de le célébrer, les graveurs de raconter ses fastes. Ses œuvres ne suffisant pas à sa vanité, il substitue son nom à celui de ses prédécesseurs partout où il le peut faire, dans les récits glorieux du passé. C’est ainsi que les historiens grecs, trompés, attribuèrent à Ramsès-Sésostris toutes les conquêtes des pharaons qui l’avaient précédé. En réalité, Ramsès II n’augmenta pas l’étendue de l’empire égyptien, bien diminué depuis Thoutmès III, et sa bravoure, partout exaltée, pourrait bien, comme ses victoires, n’être que le mensonge d’un courtisan.

L’exagération des œuvres de Ramsès II lui fit attribuer non seulement les monuments anciens sur les inscriptions desquels il avait fait insérer son nom, mais encore des monuments imaginaires. On affirmait que le grand Sésostris avait fait bâtir un temple dans chaque ville, à la divinité principale du lieu. Constructeur infatigable, les œuvres bâties de Ramsès II étaient cependant plus que suffisantes pour étonner l’avenir.

Toute l’Égypte monumentale dit le nom de Ramsès : c’est le grand spéos d’Ibsamboul, avec ses quatre colosses monolithes, de vingt mètres de hauteur, surplombant le Nil, comme taillés dans une falaise ; — c’est l’achèvement, à Louxor, du temple d’Amenhotep III, avec ses deux merveilleux obélisques ; — c’est le pylône de Karnak, racontant la prise de Kadesh ; — c’est le temple de Gournah, élevé à la mémoire de Ramsès par Séti Ier et qu’il achève ; — c’est le Ramesseum, avec son Ramsès gigantesque, l’Osymandias des Grecs ; — c’est le grand temple de Tanis, restauré et agrandi ; — ce sont enfin les temples d’Abydos, de Memphis, de Bubaste, réédifiés, ou consolidés, ou achevés ; les carrières de Silsileh ouvertes ; les mines du Sinaï exploitées...

La personnalité du pharaon, absorbante, envahissait tout. Déjà, sous Séti Ier, les sculpteurs donnaient à toutes les statues la physionomie du souverain régnant ; sous Ramsès II, le pharaon s’approprie les statues anciennes en inscrivant son nom aux socles. Comme s’il avait prévu l’usurpation monumentale de Ramsès II, Séti Ier, rebâtissant le temple d’Abydos, avait fait graver son nom à l’extrémité des pièces de bois reliant les blocs de pierre, invisibles.

Les tableaux qui représentent les victoires de Ramsès sont égyptiens par la vérité des détails, asiatiques par l’exagération du récit. Les soldats, au camp, se reposent, ou gardent les bagages, ou fourbissent leurs armes, ou donnent la bastonnade aux prisonniers, et cela est simplement dessiné, vrai, vivant ; mais les combats sont excessifs, bruyants, quasi fantastiques. Ramsès y est représenté se ruant sur la place de Khéta, debout sur son char qu’emportent des chevaux fougueux mordant leurs mors, secouant leurs harnais richissimes, chargés de colliers, portant au front le disque divin, piétinant des vaincus entassés. Un lion combat pour le monarque.

Les triomphes du pharaon, gravés sur les murs, sont une épopée. L’armée marche par divisions. Le roi, sur son char, fouet en main, mène la théorie que les prisonniers précèdent. L’influence des prêtres est ici bien marquée. En entrant à Thèbes, le roi victorieux met pied à terre, et c’est du palais que vient le cortège triomphal, pour le recevoir et le conduire au temple d’Ammon-Râ.

Les musiciens sont en avant, avec les flûtes, les trompettes et les tambours, suivis de choristes chantant. Puis marchent, en un ordre rigoureux, surveillé, les parents et les familiers du pharaon, les pontifes, les fonctionnaires, le fils aîné du roi, brûlant de l’encens devant le triomphateur. A l’approche du temple, Ramsès est dans une chapelle portative, dans le naos, que douze chefs militaires ont pris sur leurs épaules, pendant que des flabellifères font de l’ombre sur la face auguste du souverain divinisé. De jeunes enfants, appartenant à la caste sacerdotale, portent avec respect les insignes du commandement : le sceptre, l’arc, le carquois, la massue. Derrière le pharaon viennent les grands prêtres et les généraux. La foule, que sépare une cohorte, termine le cortège.

Le roi n’entrait qu’à pied dans le temple ; descendu de son naos triomphal, il venait répandre du vin et brûler des parfums sur l’autel. La divinité subordonnait le monarque ; le triomphateur s’amoindrissait. Les prêtres, chez eux, magnifiques, s’organisaient en procession, portant les statues des ancêtres, les enseignes sacrées, les vases, les tables de proposition, tout le matériel du culte et des sacrifices. Un prophète psalmodiait des invocations, et les clercs menaient en grande pompe un taureau blanc qui symbolisait le dieu Ammon-Râ, qu’un prêtre encensait. Le dieu, dont la statue était portée par vingt-deux hommes, sur un riche palanquin, était entouré d’officiants élevant vers la divinité des éventails de plumes aux longues hampes et des rameaux fleuris. Lorsque Ammon était à son sanctuaire, le pharaon, orné du pschent symbolisant son autorité sur les deux Égyptes, était admis à lui venir rendre grâces, pendant que des chœurs religieux retentissaient. Devant le corps sacerdotal, grave, omnipotent, le pharaon sacrifiait au dieu, suivant les rites, en coupant une gerbe de blé avec une faucille d’or. Alors seulement le souverain reprenait son casque de guerre, sa dignité de monarque, retournait à sa demeure avec un cortège de prêtres et d’officiers. Sur un pilier quadrangulaire de grès rouge trouvé à Karnak, Ramsès II est représenté deux fois à genoux, faisant l’offrande du vin à Ammon et à Mouth, les divinités thébaines.

Les prêtres récompensaient le maître soumis, en lui accordant, parfois, des honneurs divins. On le qualifiait d’Aimé d’Osiris, d’Horus, d’Isis et de Héket ; on le représentait avec le disque ailé ; on le nommait Soleil stable et vigilant ; on le laissait proclamer ses victoires sans le démentir, haranguer le peuple et les soldats : Livrez-vous à la joie, et qu’elle s’élève jusqu’au ciel ; les étrangers sont renversés par ma force ; la terreur de mon nom est venue, leurs cœurs en ont été remplis ; je me suis présenté devant eux comme un lion ; je les ai poursuivis, semblable à un épervier ; j’ai anéanti leurs âmes criminelles. Ammon-Râ était à ma droite comme à ma gauche ; son esprit a inspiré mes résolutions ; il a préparé la perte de nos ennemis ; Ammon-Râ, mon père, a humilié le monde entier sous mes pieds, et je suis sur le trône à toujours ! Ramsès n’est que l’exécuteur des ordres d’Ammon, positivement. Le Ramesseum de Thèbes le représente recevant de la main même de la divinité thébaine la faux de la bataille, le fouet du commandement et le pedum de la direction. Reçois, dit Ammon à Ramsès, la faux de la bataille pour contenir les nations étrangères et trancher la tête des impurs ; prends le fouet et le pedum, pour diriger la terre d’Égypte. Partout, Ramsès se donne comme le fils préféré du roi des dieux, engendré du roi des dieux, pour prendre possession du monde.