DE 5004 à 4235 av. J.-C. - Premiers rois, premiers dieux. - Horus, fils d’Isis et d’Osiris. - Première dynastie (5004-4751). - Ménès, fondateur de Memphis. - Deuxième dynastie (4751-4449). - Arts. - Troisième dynastie (4449-4235). - Snewrou, roi des deux Égyptes. - Abydos, ville sainte. - Premiers monuments : cavernes. - Sphinx de Gizeh et temple d’Armachis.- La vie égyptienne sous les premières dynasties. HORUS, fils d’Isis et d’Osiris, aurait été en Égypte le dernier des dieux ayant régné. D’après Diodore,
les Égyptiens n’estimaient pas à moins de 18.000 ans la période du
gouvernement des dieux jusqu’à Horus, et il ajoute : Depuis, le pays a été gouverné par des hommes.
» Manéthon, suivant ce qu’en disent ceux qui nous ont conservé sa liste des
rois, désignait comme prédécesseurs de Ménès, des dieux et des demi-dieux : Après le règne des demi-dieux et celui des mânes,
dit-il, vint Mais, l’histoire voulant des certitudes, il faut
reconnaître Ménès comme le premier roi des Égyptiens, puisque ni sa
personnalité souveraine, ni son gouvernement ne peuvent être mis en question.
Hérodote, répétant ce que lui apprirent les prêtres, dit que Ména, ou Ménès,
régla le cours du Nil qui allait alors vers Immédiatement avant Ménès, Thinis était la ville capitale des Égyptiens. Par Étienne de Byzance, nous pourrions croire que Thinis avait été là où se trouvait Abydos. Cette affirmation n’est pas absolue ; Thinis devait être plus rapprochée du Nil qu’Abydos ? Guerrier, Ménès dut combattre, en Égypte même, les tribus qui résistaient à son vœu de constitution monarchique, ou encore des hordes qui, venues du sud, tourmentaient les Égyptiens. La nécessité de se grouper, d’accepter le commandement d’un maître, ne peut résulter que de la crainte qu’inspire un ennemi. Téta, qui fut le successeur de Ménès, bâtit les fondations
d’un grand palais à Memphis. Au commencement de son règne, l’apparition d’une
grue à deux têtes fut l’heureux présage de la prospérité que ce souverain
donna à l’Égypte. Ata, qui succède à Téta, élève sa pyramide dans la
nécropole de Saqqarah. Hésepti règne après Ata, et Mériba vient ensuite, dont
le pouvoir aurait été violent, cruel même, produisant une révolte qui
entraîna la chute de De Kakéou aurait inauguré une série
de rois législateurs. Qualifié de mâle
des mâles, de taureau des taureaux,
on lui attribue la constitution religieuse et politique de l’Égypte. Sous
Nowerkara, qui vint après Send, l’Égypte fut absolument heureuse : le Nil coula du miel pendant onze journées. Le tombeau de Thothotep à Saqqarah, et la statue de Sépa,
que possède le Louvre, donnent à cette époque une grande valeur artistique.
Les sculpteurs, comme les graveurs, sont rudes, sincères, vigoureux ; ni l’ordre, ni le fini
ne les préoccupe. Leurs figures sont trapues, fortes, dans une ébauche qui
semble avoir épuisé la fougue de l’artiste devenu dédaigneux de l’achèvement,
satisfait d’avoir vu sa pensée prendre une forme, ne se souciant guère de
perdre son temps pour autrui. Les hiéroglyphes, désordonnés, sans relation de
mesure avec les figures qu’ils accompagnent ou ornementent, disent brièvement
ce que leur auteur a voulu dire, sans phrases, et par l’emploi de signes
figuratifs, ce qui est une simplification. Il y a certainement de la
sauvagerie dans l’art de cette dynastie ; le décousu, le dédain même y sont
bien égyptiens, mais le manque de goût étonne ; l’impatience surtout
surprend. Des étrangers ne seraient-ils pas venus jeter leur influence dans
ce renouveau de l’art égyptien ? Le second roi de C’est Bébi qui inaugure Pour assurer à l’Égypte tous les fruits de sa victoire, ce
pharaon mit le delta à l’abri des incursions,
en érigeant une série de travaux de défense sur la ligne frontière qui
séparait la vallée du Nil de En ordonnant la construction de Memphis, Ménès avait
déplacé le centre de l’Égypte royale, constitué l’Égypte de l’avenir,
rapprochée de la mer Méditerranée. Le déplacement du peuple ne pouvait se
faire que progressivement, à mesure que les architectes édifieraient la cité
nouvelle. Sous Snewrou, et pour la première fois sans doute, le royaume fondé par Ménès fut une unité. Les chefs de tribus, ou de groupes, les princes qui avaient résisté à Ménès et que Ménès dut combattre, devinrent de hauts dignitaires à la cour du pharaon, avec le titre de premiers officiers. La civilisation égyptienne reçut de ces premiers organisateurs une empreinte qu’elle conserva inaltérablement jusques au delà des conquêtes persane, grecque et romaine. Cette conception monarchique ne perdit jamais son originalité, son individualisme, pourrait-on dire ; et cela rend presque évidente une civilisation- antérieure, très complète, ayant donné aux Égyptiens l’expérience de leur caractère, de leurs aspirations, de leurs besoins. Le type de la monarchie qui fut instituée par Ménès devint définitif, tant il s’appliquait bien aux nécessités de la vie égyptienne. De nombreux détails sont venus déjà confirmer l’existence d’une longue civilisation égyptienne antérieure à Ménès. L’art rude de cette époque procède d’un art antérieur, qu’il imite grossièrement, avec le désir de trouver un art nouveau. Mais ce ne seront ni les sculpteurs, ni les graveurs qui, par leurs œuvres, caractériseront cette période historique. Les constructeurs des pyramides seront les traducteurs des tendances contemporaines. La légende d’Osiris, qui domine ce temps, ne se termine pas à sa disparition. Osiris ne meurt pas ; reconstitué par l’amour, il vit dans un autre monde, un monde réel, où il continue sa première existence. Chaque Égyptien voit en soi un Osiris qui se survivra, et, sans désirer la mort, car la vie est douce sur les bords du Nil, la fin ne sera pour lui, ni un châtiment, ni une épouvante ; mourir, pour l’Égyptien, ce n’est pas cesser de vivre, mais passer d’une vie à l’autre, commencer une deuxième existence. Les villes des morts deviennent ainsi aussi importantes, sinon plus, que les villes des vivants, et les demeures des trépassés doivent être semblables aux demeures des hommes qui vivent. Depuis le pharaon jusques au plus humble des Égyptiens, cette préoccupation de la seconde demeure est incessante. Il faut bâtir des temples aux dieux qui ont quitté la terre, et des tombes aux hommes qui la quitteront. Les souverains étant des hommes-dieux, leurs secondes demeures seront en même temps des temples et des tombeaux. La tombe d’Osiris, à Abydos, était l’exemple intellectuel
et matériel qui s’imposait. La nature égyptienne, la terre égyptienne, fournissait aux architectes
les modèles impressionnant leur inspiration. Sur toute la longueur du Nil,
presque, des falaises se dressent, qui, friables, semblent solliciter la main
de l’ouvrier. Il est si facile de creuser dans ces montagnes de longs
couloirs, de profondes cavernes ! Et cela dispense de rechercher, pour
construire des habitations solides, les bois et les métaux qui manquent à l’Égypte
complètement. Les premières habitations égyptiennes durent être creusées dans
la montagne ? Il est certain, dans tous les cas, que les tombeaux y furent
généralement troués dans le roc, et que les deux monuments caractérisant le
mieux l’Égypte, aux deux extrémités de sa grande carrière originale, — le
sphinx de Gizeh et le grand temple d’Ibsamboul, — ont été taillés dans des
blocs immenses, naturels, tenant au sol. Le temple du Sphinx, — ou temple d’Armachis,
— et les merveilleux monuments de Thèbes, de Karnak, d’Abydos, de Denderah,
de Philæ et de Le temple ainsi édifié convenait bien aux dieux ; mais les hommes, très soucieux de la conservation de leurs dépouilles mortelles, voulaient pour leurs tombeaux toute la sécurité des longs couloirs creusés dans le roc, aboutissant à la chambre sépulcrale, obscure, silencieuse, inabordable aux hommes et aux animaux. Les montagnes nombreuses dans lesquelles ces tombes pouvaient être creusées avaient souvent la forme pyramidale. Pourquoi les pharaons, autour de leurs propres tombeaux, ne construiraient-ils pas la montagne où leurs restes charnels reposeraient ? La forme de la pyramide, cette montagne artificielle, vint de cette idée à laquelle l’art ajouta la rectitude d’orientation, la hardiesse de la chambre funéraire centrale, le dessin mystérieux des couloirs conducteurs, le calcul précis de l’effet voulu. Les premières dynasties eurent la passion des pyramides. C’est une pyramide qui, dans les hiéroglyphes, détermine Memphis devant le signe générique de ville ou contrée. Pendant que les pharaons édifiaient les pyramides, les artistes sculptaient le Sphinx de Gizeh, à pleine pierre, emplissant de quelque maçonnerie les trous et les creux que le roc naturel laissait béants. Cette figure énorme, et qui cesse d’être monstrueuse lorsqu’on la regarde avec attention, représentait l’Horus des deux horizons, une divinité, si l’on veut, un pharaon peut-être, celui qui régna sur les deux Égyptes, sur les deux horizons, avant Ménès ? Le Sphinx n’est certes pas un chef-d’œuvre ; on ne saurait cependant refuser à cette gigantesque composition la grâce relative des choses bien proportionnées, le caractère de l’immuable, l’effet pleinement obtenu de l’étonnant. Le temple d’Armachis, qui est proche du Sphinx, complète admirablement l’ensemble des œuvres égyptiennes vieilles de cinq mille ans avant Jésus. Le Sphinx, seul, isolé, peint d’un rouge sombre, regardait l’est avec des yeux grands ouverts, hardis ; au sud du Sphinx était le temple, sorte de cube énorme de maçonnerie, lourd, nu, tout de calcaire, et simplement orné à l’extérieur de rayures s’entrecroisant. Une porte basse, étroite, était la seule entrée du monument. A l’intérieur, tout y est rectiligne, dessiné, bâti carrément, sans qu’un trait, un ornement, un hiéroglyphe quelconque vienne détruire la magnifique nudité des blocs de granit et d’albâtre. Il reste à décider si le Sphinx ne serait pas antérieur à Ménès, et si le temple d’Armachis ne serait pas la tombe du roi qui ordonna l’exécution du Sphinx ? Pline pensait que le Sphinx lui-même était une tombe ? Les carrières de Tourah, prés de Memphis, devaient fournir
aux pharaons constructeurs des blocs d’un calcaire excellent ; les granits d’Hammamât,
descendus au fleuve sur des traîneaux que tiraient des bœufs, arrivaient en
barques jusqu’à la rive du Nil, au droit du chantier ; aux environs de Siout
et de Béni-Souef, les architectes trouveront les albâtres ; plus tard, les
basaltes de Les statues de cette époque distancent l’architecte du
sculpteur. La religion du vrai maîtrise l’artiste, et ce sont comme des
portraits qui ont, même au point de vue ethnographique, une incontestable
valeur. Deux Égyptiens, le prince Ra-Hotep et la parente
du roi, Nefer-t, conservés au musée de Boulac, montrent que le
type de la race qu’ils représentent, et qui était contemporain de Snewrou,
est sans rapport avec la race qui va peupler Une peinture du tombeau de Meydoun, à la gouache, sur stuc et pisé, donne le récit naïf de la vie sous les premiers rois. L’Égyptien y est d’abord représenté dans sa maison, entouré de sa famille, calme, satisfait, heureux ; puis, chassant dans un marécage ; une troisième peinture énumère les animaux de la ferme, défilant un à un ; et dans une autre, le maître préside aux travaux de ses champs, sans morgue, pendant que paissent des troupes d’oies. C’est là l’image d’une existence, et en même temps la formule d’un vœu. Cet Égyptien, cet homme d’il y a soixante siècles, ne désire pas autre chose, pour sa seconde vie, pour sa vie d’au delà, que le recommencement de sa vie actuelle ; et lorsqu’il imagine, pour la représenter sur les parois de son tombeau, la réalisation de son vœu, il ne sait concevoir mieux que ce qu’il possède. La récompense suprême ne serait, pour lui, qu’une continuation. Il ne demande rien de plus. |