Le Christianisme (de 67 av. J.-C. à 117 ap. J.-C.)

 

CHAPITRE XI

 

 

L’art oratoire. - Crassus, Antonius, Hortensius. - Cicéron. - Orateurs judiciaires. - Acta diurna. - Gazettes, pamphlets, affiches, - Idées importées à Rome. - Avocats gaulois. - Polybe. - Hellénisme. - La langue latine. - Sisenna. - Varron. - Cicéron et César écrivains. - Théâtre.

 

L’ART oratoire eût été capable, peut-être, à Rome comme en Hellénie, de procurer aux rares artistes de la parole et de la pensée cette jouissance de soi qui donne à l’être le sentiment de son indépendance véritable et l’exonère de l’attrait des passions viles. Malheureusement les orateurs romains étaient engagés dans de mauvaises voies et la susceptibilité d’Octave ne leur laissa pas le temps de reconnaître leur erreur. Très vite, trop vite, le vulgarisme asiatique d’Hortensius l’emporta ; l’art oratoire et la littérature en subirent la déplorable influence. Cicéron lui-même, quoique enfant de l’Académie, à son dire, élève de l’école ambulante ouverte par Platon, se vanta de son éclectisme, et s’essayant en tous les genres, sous toutes les formes, troubla beaucoup plus qu’il ne stimula ses admirateurs. Des Gracques à Cicéron, Crassus, Marcus Antonins et Hortensius furent les grands orateurs, réputés ; nourris dans toute sorte d’études libérales, ils avaient affecté d’ignorer les Grecs, auxquels pourtant ils empruntaient toute leur science.

La morgue aristocratique de Crassus, corrigée d’un habile enjouement, mesuré, s’imposait par la coordination logique et la brièveté grave du discours ; on le qualifia d’homme divin. Antonius, plus mêlé aux choses de la Politique, bouche par laquelle les aristocrates parlaient, athlète énergique, prudent et dévoué, n’écrivant pas ses discours, charmait et impressionnait par l’harmonieux arrangement de ses mots et de ses pensées. A côté, un Philippe, colère et passionné, très lettré, très subtil, très grec, abondant et incisif, redouté pour ses invectives, déconcertant par le désordre de ses compositions ; un Cotta, doux, fin, insinuant, au langage facile et pur ; un Rufus violent, toujours excessif, dont l’éloquence était presque tragique, brillant improvisateur ; Hortensius enfin, orné et plein de feu, dont la faconde plaisait au vulgaire. C’est l’écho de ces paroles encore résonnantes, le bruit de ces réputations diverses, toutes applaudies, que Cicéron rêva de dominer : — Si, dit-il, au lieu de s’asservir opiniâtrement à un seul maître, on voulait prendre de chacun ce qu’il a de meilleur... Et fidèle à sa propre leçon, il tâcha d’emprunter à chacun ce par quoi chacun avait réussi.

Ouvrier incomparable, Cicéron pénétrera tous les secrets de son métier. Il découvre que l’éloquence dépend plus du nombre que de l’harmonie du langage ; que l’action du corps doit accompagner la pensée, l’exprimer autant que la parole ; que la physionomie doit servir l’expression ; que l’attitude surtout doit être étudiée. Chaque geste, calculé, doit marquer l’effet général de la pensée ; le but, c’est d’émouvoir : pas de principes, car ils gêneraient l’orateur, qui discute fort au long sur toutes sortes de sujets et soutient également le pour et le contre ; une déclamation savante, qui fasse croire que l’orateur est convaincu de ce qu’il dit. La langue latine lui étant insuffisante pour la mise en œuvre de tous ces moyens, Cicéron enrichit son vocabulaire de mots grecs, nombreux, si nuancés !

A ce moment, l’art oratoire devenait séduisant ; il était, dans Rome, la manifestation des hautes intelligences ; par les études qu’il imposait à l’orateur, par le respect attentif et la critique inévitable des auditeurs, il allait être cette école de goût qui manquait aux Romains ? Auguste ne l’entendit point ainsi : pacifiant l’éloquence, renversant la tribune aux harangues, il supprima l’art nouveau. La seule plaidoirie d’avocat fut tolérée, le temps mesuré aux plaideurs. La jeune École, vigoureuse, mâle, disparut ; l’art de parler demeura comme une littérature d’arrangeurs de mots, avortée. Cicéron se soumit à ce verdict, s’en accommoda. L’harmonie et la clarté des Grecs restèrent comme un bien vacant.

Les plaidoiries non politiques, seules permises, jouirent de la vogue ; mais les orateurs, privés d’un auditoire digne d’eux, se tournèrent du côté de la populace, au Forum. Cette populace lisait les Acta diurna rapportant les séances du Sénat, et où s’inséraient les menus faits de la vie publique ; colportait et commentait les pamphlets ; riait des objections affichées par des anonymes ; fréquentait les publicistes, bavards de nouvelles, admis, par crainte autant que par curiosité, chez les Grands. Au silence de la tribune suppléait un tapage d’écrits multipliés, incessants, de paroles légères ou méchantes, scandaleuses, partout répandus. Les plaidoiries judiciaires, les discours du Barreau continuaient un peu la tradition du beau langage ; mais les rhéteurs, les improvisateurs, pullulaient. Partout où on dirige ses pas, dit Cicéron, on ne voit que rhétoriciens.

Par les ports, notamment ceux d’Ostie et de Pouzzoles, arrivaient, avec les marchandises de pur trafic, les idées étrangères. Le navire qui monta jusqu’à Rome, pour y débarquer l’obélisque de la Porte du Peuple, avec 40.000 boisseaux romains de froment, de la toile, du verre, du papier, du poivre et 1.200 passagers, apportait aussi aux Romains un chargement autrement riche, l’esprit d’Alexandrie, encore gréco-égyptien, mais affadi d’asiatisme et tourmenté de prétentions hébraïques, violentes. Le classicisme qui en résultera, avec son despotisme de la règle, détruira le langage italique.

D’Égypte n’arrivaient pas seulement les œuvres intellectuelles des Alexandrins, car Alexandrie recevait et distribuait les mille produits déversés en transit dans ses entrepôts. Les peuples de l’Aurore et ceux de l’Océan rouge, suivant l’expression d’Horace, — les Arabes et les Hindous, — ne trafiquaient pas exclusivement de leurs ors et de leurs parfums ; il y avait dans les ballots chargés, — où se confondaient le noir ébène des Indiens, la branche qui donne l’encens de Saba, le bois odorant qui distille le baume et la baie de l’acanthe toujours vert qui croît dans les forêts d’Éthiopie, dont parle Virgile, — les papyrus écrits après Manéthon, très lus, recherchés, où l’idée de la Providence, tout aryenne, s’était formulée, où la conception des œuvres néfastes de l’Ahriman touranien s’était insinuée, en ce style d’allure lyrique, plaintif et volontaire, qui dénonce l’Hébreu de Chaldée.

Mais ces Idées, plutôt jetées sur les bords du Tibre comme en surcroît de curiosité, et comme abandonnées, sans importance, seront toutes recueillies et exploitées — pareilles aux types de lampes et aux articles de fabrique, importés, — par les manouvriers de l’esprit public, venus à Rome des régions grecques, de Marseille, de l’Asie Mineure surtout, depuis Sylla, continuellement. Cette École asiatique, remuante, séduisante, qui donnait le ton, et qui avait à sa tête Arellius Fuscus et Cestius Pius, se méfiait des Italiens et des Espagnols, leur disputant parfois l’influence au sein de la jeunesse latine. Les Grecs d’Ionie se considéraient en légitime possession de l’art divin, et ils repoussaient les avocats gaulois, — Montanus, de Narbonne, Domitius Afer, de Nîmes, — qui osaient parler et écrire à côté d’eux. Les Grecs l’emportaient, parce qu’ils étaient plus nombreux et plus habiles ; si bien, — dans les écrits de Varron notamment, — que les imitations du grec, forcées, aboutirent souvent à l’énigme.

Et comment ne seraient-ils pas accourus à Rome, qui les payait si largement, ces rhéteurs, ces savants, ces philosophes, dont la vie était problématique chez eux, auxquels les Romains ne demandaient, pour les entretenir, que de l’amusement ? Le Romain, fier de son cuisinier et de son bouffon, montrait avec la même vanité son philosophe, — l’épicurien Philodémos, par exemple, philosophe domestique chez le consul Lucius Pison et le régalant de ses fines épigrammes, — et son poète, et son chroniqueur. Rome bénéficiait de la déchéance des dynasties de Pergame, de Cyrène, de Bithynie, de Syrie et d’Alexandrie. Ce cosmopolitisme ambulant, attiré et concentré à Rome, se résuma de fait en une littérature redondante, à la fois grossière et molle, prétentieuse et vulgaire, clinquante.

Tous pédagogues au Latium, les Grecs — occupés à vaincre leur vainqueur farouche, a écrit Horace, — étaient savants, grammairiens ou compilateurs : Nicandre, prêtre d’Apollon, versificateur et médecin ; Méléagre, inventeur inépuisable d’épithètes et de synonymes, mouvementé, gracieux ; Panétius et Posidonius, enthousiastes de Platon ; Polybe, patriote, emmené comme otage, devenu l’ami, le compagnon de Scipion Émile, qui innova l’histoire par la recherche des causes et l’exposition des conséquences. Expliquant et jugeant, Polybe écrit comme sous la dictée de la raison, en un style naturel, sans marque d’originalité, utilisant tous les vocables, acceptant toutes les formules, pourvu qu’il puisse développer sa leçon d’homme d’État. Sa technicité ne s’embarrasse pas de rhétorique, et sa lourdeur, pas plus que ses négligences, ne nuisent à l’énoncé de sa politique et de sa morale. Il donna aux Romains le bel exemple d’un citoyen retournant dans sa patrie, en Achaïe, pour y mourir.

Polybe, comme historien, eut des imitateurs : Juba l’Africain, le Numide, dont on vantera l’exactitude et l’honnêteté d’écrivain ; Denys d’Halicarnasse, qui voulut absolument ne voir que des Grecs chez les Romains, et dont le style fabriqué, l’imagination bizarre, l’absence de discernement et le « sans gêne » du récit, sont le plus complet extrait de l’Hellénisme contemporain ; Diodore de Sicile, compilateur fatigant, sans écriture ni pensée, peut-être inférieur encore à Denys d’Halicarnasse, mais, du moins, ayant sauvé pour nous de précieux documents ; l’encyclopédiste Strabon enfin, voyageur et critique, dont l’érudition nette, claire, simplement offerte, est toute vibrante de l’intuition du vrai, et si naïve, que les fables elles-mêmes, sous sa plume, y montrent leur part de réalité historique.

Aux rois de Pergame et d’Alexandrie, qui avaient aimé les artistes et les savants de l’Hellénie attirés à leur Cour, avait succédé le maître éloigné, le Romain, dont les faveurs allaient surtout aux amis proches, aux courtisans ingénieux, aux flagorneurs. L’Alexandrie intellectuelle se diminuait en s’expatriant, et Rome n’en recevait pas la valeur intacte, car les littératures étrangères ne se transportent qu’en perdant en route la plus grande partie de leur chaleur. Froidement donc, l’Hellénisme s’étendit sur Rome, non plus tel qu’on l’avait proscrit au temps des Scipions, mais quasi glorieux, outrecuidant, quoique rapetissé, obséquieux, prêt aux concessions. On écrivit en grec, dans Rome, de la prose et des vers ; et tout légionnaire envoyé à la conquête d’un morceau du monde, fut bientôt suivi de l’instituteur hellénique.

Asinius Pollion et Mécène avaient donné l’exemple irrésistible de l’adaptation des choses grecques aux choses romaines, avaient patronné, mis à la mode, cet amalgame où l’antique simplicité du Latium, un peu rude, mais encore saine, disparut. Depuis lors, une langue pompeuse, traînante, étrange parfois, fut employée à couvrir la nudité vulgaire, plate, des idées et des sentiments. La mosaïque de sensations qui se cristallisait dans les cerveaux romains se retrouve nécessairement dans leurs œuvres, langue et tendances. La pesante et longue phrase de Varron s’étale à côté des modulations et des périodes cicéroniennes ; la légèreté de Catulle se manifeste ; allègrement, sans scandale, en face de la gravité de Lucrèce, supportée sinon appréciée. Cette littérature sans unité, disparate, sera-t-elle compensée au moins par la majesté de l’histoire ? Non. La fable, la passion, la méchanceté et, ce qui est pire, l’indifférence et le puéril, ramèneront l’Histoire au bas niveau de la Littérature. Clitarque, le biographe d’Alexandre, conduira directement, avec ses fictions, au demi-roman de Quinte-Curce. Sisenna, le premier, d’un style incorrect, aussi menteur qu’un Grec, excita cependant assez l’intérêt, pour que Cicéron, avec quelques sages réserves toutefois, pût qualifier son Histoire de supérieure sans contredit à toutes celles qui avaient paru jusqu’alors...

Varron combattit le dernier pour l’antique personnalité romaine. Rome, toute au plan d’unification universelle tracé par César, cherchait des professeurs partout, à Marseille notamment, désirant s’instruire à la façon hellénique, pour répandre ensuite dans le monde une science romaine condensée, définitive, en forme de code au besoin. Mais de même que César, tout en affirmant l’unité impériale avait tenu compte des nécessités différentes, et par exemple accepté l’emploi en Orient de la monnaie d’or, — la pièce lourde d’Alexandre, — en imposant le denarius d’argent aux Occidentaux, ainsi Varron essaya de faire le départ des divinités italo-helléniques, grecques et romaines. Varron n’arrêta pas plus l’élan décisif des Romains vers les divinités blanches des Grecs, que César n’eût réussi à empêcher le mélange des monnaies ; car nul ne saurait décréter la limite des intérêts et des sentiments. Les Peuples de Rome, las des divinités bariolées, voulaient un culte commun, et ils le faisaient italo-hellénique.

César avait chargé Varron de ranger les livres qui appartenaient à l’État ; Antoine, dédaigneux des livres, avait chassé Varron ; Auguste le rappela. Ce qui nous reste du Bibliothécaire nous révèle sa douce philosophie, son goût d’artiste, la bonhomie enjouée de sa finesse souvent épointée, son esprit et sa mesure, l’originalité de ses digressions, l’étendue de ses connaissances, la sincérité de ses caprices d’écrivain, le talent véritable avec lequel, disant tout sans rien dire de trop, il n’oublie jamais son but, ce qui fait l’unité de sa composition. La grâce de ses descriptions se retrouvera dans Virgile. S’il invoque les dieux, ce n’est que pour se conformer à l’usage : Puisque les dieux, comme on dit, viennent en aide à ceux qui entreprennent une ouvre, je commencerai par les invoquer. Ses écrits de jeunesse, continués, ses Satires Ménippées, perdues, hardi mélange de prose et de vers, sont encore le fruit du milieu sabin mûri en pleine Rome.

L’amour de Rome, qui fit tout rapporter par Varron à la race romaine, suivant en ceci la leçon de son maître Stylo, ne put que l’égarer sur un terrain inconsistant. Le roman historique, en pleine vogue, le détournait des voies sûres ; les historiens le trompaient sur les origines du monde romain autant que sur les développements du monde hellénique ; et lui, sans critique, sans système, de bonne foi, allait tout droit à son intention. Son goût, sa raison, son bon sens, son intuition et sa poésie suppléaient à ses insuffisances ; l’horreur qu’il avait des spéculations philosophiques lui épargnait la sottise des impérieuses et définitives démonstrations. C’est pourquoi les philosophes le poursuivaient de leurs invectives et de leurs sarcasmes. Varron, simplement, répondait aux philosophes : Avec la dixième partie du mal que se donne un maître pour former un esclave à devenir boulanger, il deviendrait un philosophe ; sans doute, quand on doit apprécier le boulanger et le philosophe, l’artiste en pâte vaut cent fois le philosophe... Le peuple lisait les satires de Varron et applaudissait à ses franchises ; mais ses lecteurs ne lui donnèrent pas de disciples ; t’eût été trop de travail.

Grâce à Varron, à ses écrits esthétiques surtout, — et à quelques écrivains secondaires aussi, que la fièvre des succès immédiats ne livrait pas au goût public, — le vieux latin se conserva, religieusement protégé par une élite. Cicéron écrivain, abandonnant la manière d’Hortensius, ayant appris des maîtres rhodiens la joie de la pureté du langage, apporta dans l’Écriture l’art de l’arrangement périodique des mots. Et c’est ce qu’il y a de vraiment admirable dans l’exagération des Catilinaires, dans la verve haineuse des Philippiques contre Antoine, harangues sans profondeur, sans vue d’avenir, vain concert d’harmonieuses paroles. La lecture de la Correspondance de Cicéron, colportée, développa jusqu’à la manie le goût du genre épistolaire, et ce furent des documents historiques. Les sensations de la vie d’exil dictèrent à Cicéron des paysages charmants, le firent littérateur, malgré lui.

L’éloquence impériale de César, — qualificatif exact de Fronton, — faite de mots choisis, — ce qu’il considérait d’ailleurs comme la base de l’art oratoire, — très travaillée, fut un modèle admirable de perfection pour les écrivains du temps d’Auguste. Fuyant, ainsi qu’il l’écrivait lui-même, tout mot non entendu ou inaccoutumé, César revenait à la langue latine primitive. Ses lettres, d’une allure vive et pourtant retenue, prouvent cette âme maîtresse d’elle-même qui, même dans les circonstances les plus tragiques, ne se départit jamais d’un calme attentif ; et ses Commentaires, donnés pour tromper ses contemporains, beauté sans parure, d’une brièveté correcte et lumineuse, demeureront l’un des plus beaux chefs-d’œuvre de l’art d’écrire.

L’Oraison funèbre que César prononce en l’honneur de Julie, où se manifeste tant d’orgueil aristocratique ; l’Anti-Caton, ce pamphlet visant Cicéron ; le Traité de l’analogie, dédié encore à Cicéron, signalaient déjà cette maîtrise du langage, cette harmonie toujours appropriée au sujet qui est bien la signature de l’auteur noble et divin, suivant l’expression de Vossius. Les Commentaires restent l’exemple achevé d’une composition où la malignité politique la plus compliquée, la plus consommée, s’allie à la plus parfaite des rhétoriques. Par ses Mémoires, César, général démocratique, justifia — jusqu’à rendre impossible même un essai d’accusation, — ses entreprises absolument inconstitutionnelles, poursuivies sans instructions, exécutées sans mandat. La sérénité du panégyrique, la simplicité du langage et la candeur des arguments en imposèrent au peuple le plus soupçonneux, le plus brutal, le plus jaloux de son autorité. L’éloquence la plus haute condescendait à s’astreindre au cadre d’un écrit corrupteur.

L’influence littéraire de César fut considérable ; elle mit en échec l’Alexandrinisme romano-hellénique, poésies épiques et élégiaques, épigrammes et contes. Et les lecteurs romains, trop familiers aux périodes bien arrangées et balancées, éprouvèrent l’immédiate séduction de cet art nouveau, puissant, de cette langue simple et limpide. Mais l’éducation à la grecque, efféminée d’asiatisme, — la palestre à côté de la salle des bains, — ne favorisait pas cette réaction virile ; César lui-même, par l’application d’un impérialisme spécial, par la destruction de la nationalité italique, empêchait que l’on nourrît l’idée d’un retour à une littérature unique. Le romanisme parlait deux langues, l’une vigoureuse, latine, l’autre molle, hellénique.

Le Théâtre aurait pu, seul, par la nécessité de l’action et de l’intérêt à soutenir, émouvoir, passionner l’auditeur, retremper les âmes. Mais Plaute et Térence n’avaient pas de successeurs ; des bouffons occupaient la place des Roscius et des Ésope. Sénèque, froid et déclamateur, ne put rien contre les Pylade et les Bathylle. L’art dégradé de la pantomime avait supplanté l’art dramatique, définitivement. Le dialogue se réfugia — à l’exemple des Grecs, — dans la littérature esthétique, professionnelle. Il faut dire que tout l’attirail des représentations théâtrales — l’art des gestes, de la voix, du costumé drapé, de la virtuosité, des cabales et des claques, — avait été transporté au Forum, et qu’en supprimant le Forum Auguste avait supprimé, les dispersant, et les acteurs et le public. Il ne restait aux littératures, comme moyens, que les librairies, les bibliothèques, et quelques lecteurs groupés.