DE 19 Av. J.-C. à 14 Ap. J.-C. - Politique d’Auguste. - Finances et armée. - Soulèvement des Germains. - Agrippa en Asie et Auguste en Gaule. - Tibère et Drusus. - Paix de douze ans. - Naissance de Jésus. - Soumission des Pannoniens et des Dalmates. - Marbod et Arminius. - Désastre de Varus. - Tactique de Germanicus. - Deuils et isolement d’Auguste. - Conspiration de Cinna. - Mort d’Auguste : son œuvre. A la mort de César, l’Empire s’étendait sur trois continents ; mais l’Italie n’était pas constituée, et Rome devenait, envahie d’étrangers, comme une cité exceptionnelle. Auguste rompit avec la tradition, ne voulut pas accroître ses difficultés en cherchant à augmenter l’Empire. Tandis en effet que l’influence romaine se développait dans les provinces, Rome, croyant communier des Grands-Grecs, prenant la suite d’Athènes, s’hellénisait, à l’exemple pernicieux d’Alexandrie. Auguste, se préoccupant d’abord de sa propre sécurité, s’assura de l’armée et organisa les finances. Aux anciens revenus du Trésor — taxes directes consacrées, — il en ajouta de nouveaux, soit le 1/100e de tout ce qui se vendait aux enchères, le 1/20e de tous les héritages, le 1/50e du prix des esclaves. Les 300 ou 400 millions qu’il préleva ainsi lui suffirent, car les provinces pourvoyaient à leurs propres dépenses. En dehors du Trésor public, très prudemment, Auguste eut son Trésor particulier (fiscus) pour le paiement des soldats et des fonctionnaires. Il inaugura la commode substitution des impôts en argent aux impôts en nature. L’armée, pour- l’entretien de laquelle Auguste imposait durement les provinces, ainsi que les Italiens d’ailleurs, ne lui inspirait pas une grande confiance. Les camps étaient comme des villes où l’homme libre et l’esclave, le Romain et l’Étranger, se confondaient. L’arbitraire qui présidait aux nominations des chefs, comme aux services, désaffectionnait, et chez les soldats, enfin, le calcul froid des bénéfices à recueillir de la guerre avait succédé à l’instinct de gloire qui animait jadis les légions, alors que pour reprendre son bouclier ou son glaive le légionnaire se précipitait dans la mêlée, tant était redoutée la honte de rester sans armes. Pour tenir ces masses, on humiliait les coupables, en faisant
désigner par le sort ceux qui seraient battus de
verges, ou on les décimait cruellement, ou encore les laissait-on exposés hors des camps en face de l’ennemi, ce
qui eût été comme une glorification au temps de Auguste avait donc pris toutes les précautions, réglé sa
politique, restreint son ambition au dehors, affirmé son omnipotence dans
Rome, imposé la paix à l’intérieur et
à l’extérieur. L’armée, dont il disposait, comprenait 25 légions, 400.000
hommes installés en camps permanents,
en face des barbares hostiles. Des flottilles sillonnaient le Rhin, le Danube
et l’Euphrate ; 4 flottes — à Ravenne, à Fréjus, à Misène et au Pont-Euxin, —
faisaient la police des mers. Voici
qu’un long cri de guerre se fit entendre aux bords du Danube ; des Germains
venaient de battre la cavalerie romaine, d’enlever à Lollius l’aigle de la 5e
légion. Les Sicambres, les Usipiens et les Tenctères, en armes, bravaient
Rome ; des supplices atroces étaient publiquement infligés à des marchands
romains. Agrippa étant en Syrie, pour y contenir les Asiatiques, Auguste
partit pour A Rome, pacifiée, Auguste prit le Grand Pontificat,
Agrippa confirmé pour cinq ans dans la puissance tribunitienne. Une révolte
des Pannoniens (13),
due à la légitime exaspération d’un peuple tyrannisé, — les Romains font garder leurs troupeaux non par des chiens
et des bergers, mais par des loups, dira Tibère, — fut réprimée
par Agrippa, qui mourut victorieux (mars 12), irréparable perte pour Auguste. Ami sûr, collègue nécessaire, et accepté par tous les ambitieux,
modeste, dévoué, donnant toute sa gloire à son
prince, ouvrier principal de En Gaule, Drusus, sûr des Gaulois, qui redoutaient encore
les Germains, et qui lui avaient dressé, à Lyon, une statue colossale
entourée de soixante images des Cités
gauloises reconnaissantes, commençait sa campagne de Germanie. Il fit creuser
un canal du Rhin au lac Flevo, pénétra deux fois jusqu’au Weser, entra dans
le pays des. Chauques, et, mal renseigné, se mit en très critique situation.
Des barbares, qui étaient pour lui, le sauvèrent. Pendant ce temps, le frère
de Drusus, Tibère, écrasait les Pannoniens (11). Drusus, très prudent, heureux de ses
succès, un instant compromis, se replia,
sentant qu’à s’éloigner trop de Des troubles graves en Germanie, accentués, obligèrent
pour ainsi dire Drusus à recommencer son expédition. Conduit par la victoire
jusqu’à l’Elbe, il surprit et terrifia les ennemis, alors en proie à de grandes discordes, occupa le pays
qu’il désirait, repoussant une dernière attaque, furieuse : ce dernier succès
dû surtout à la présomption des Germains
qui n’avaient pas utilisé toutes leurs forces. Les Cimbres ayant imploré
l’amitié de Rome, Drusus revint à ses cantonnements pour y passer l’hiver. Il
mourut d’une chute de cheval, accidentelle (9). Rome perdait son héros le plus pur.
Tibère, qui était à Pavie, accourut remplacer Drusus, avec l’intention de
conquérir Rome paraissait dominer le monde ; nul n’osait plus tirer
une épée ; les peuples renonçaient à eux-mêmes, impuissants ou corrompus. La
gloire des armes, accaparée, épuisée peut-être par le Grand César, n’ayant abouti qu’à l’assassinat
du triomphateur, n’était plus une tentation. La violence, mentant à ses
promesses, n’avait donné à personne ce qu’il en avait espéré. L’illusion de
la tyrannie militaire se dissipait. Et ceux qui voyaient de trop près la
grandeur romaine, prenaient en pitié Cependant Marbod, le Marcoman, fondait un grand royaume en Germanie (9), appuyé d’une armée de 70.000 fantassins et 4.000 cavaliers disciplinés à la romaine ; les Suèves, les Serions et les Lombards acceptant sa suzeraineté. Auguste, préoccupé, et pour en finir d’un coup, réunit plus de légions qu’il n’était nécessaire, pensait-il, et il allait agir, lorsqu’une révolte soudaine des Pannoniens et des Dalmates le surprit. Rome parut vraiment en péril. Des princes thraces envoyèrent des troupes aux Romains ; mais les Sarmates et les Daces étaient menaçants ; en dix jours ces barbares pouvaient être aux portes de Rome. Auguste négocia, d’abord. Marbod ayant consenti à traiter
avec les Romains, Tibère pouvait exterminer les rebelles ; il partit donc
avec son neveu Germanicus, menant 15 légions. Il soumit les Dalmates et les
Pannoniens en trois campagnes, des trahisons ayant singulièrement préparé ce
résultat. Les Romains accueillirent la nouvelle de cette victoire par de formidables démonstrations de joie. Germanicus
triomphait. Or, cinq jours avant la victoire de
Germanicus, un chef des Chérusques, Hermann (Arminius), — un
Germain élevé à Rome, un ami d’Auguste, — anéantissait les trois légions de
Varus, leur chef tué. Près du Rhin, les tribus barbares, qui connaissaient la
force des légions, demeuraient tranquilles ; mais dans l’intérieur de Arminius avait préludé par quelques actions où ne
participèrent ni les Suèves, ni Marbod, jaloux de son rival sans doute, ni
les Bataves, ni les Chauques de la côte, ni les Frisons ; mais sa complète
victoire sur Varus, exclusivement due à l’incapacité du général romain, —
fonctionnaire lourd et sans intelligence, promu au commandement parce qu’il
était le mari fastueux de la nièce
d’Auguste, — assura la renommée du triomphateur. Le très puissant et très malheureux Auguste, à Rome, isolé, — la mort lui ayant enlevé tous ses amis, presque toute sa famille ; sa fille Julie et Tibère, fils de l’impératrice Livie, lui restant seuls, — comme accablé de sa propre gloire, comme perdu dans l’éblouissement de son rêve réalisé, se tourmentait maintenant à résoudre un problème d’apparence insoluble : Comment, en république, léguer une souveraineté ? Car c’était le chef-d’œuvre embarrassant d’Auguste d’avoir constitué sous la forme républicaine le despotisme monarchique le plus absolu. Auguste avait adopté les fils aînés de Julie, Caïus et Lucius César, malgré les lois. Tibère, que cette adoption lésait, dissimulant son ennui, quitta Rome, disparut, oublié à Rhodes pendant sept années. Auguste perdait ainsi son unique général. Et voici que dans sa maison les débordements des siens empoisonnèrent les derniers jours du monarque. Il dut exiler Julie à Pandataria à cause de ses désordres honteux ; Lucius mourut à Marseille, subitement ; Caïus périt en Cilicie, frappé par un Arménien (4 ap. J.-C.). Le troisième fils de Julie n’étant âgé que de quatre ans, le retour de Tibère s’imposait. L’empereur l’appela. Mais Livie, abusant de la vieillesse d’Auguste, lui fit adopter le fils de Julie, Agrippa Posthume, et Tibère dut adopter lui-même son neveu Germanicus. Ces intrigues détruisaient le prestige d’Auguste, ces inconséquences le diminuaient. Cinna, le petit-fils de Pompée, put logiquement songer à faire assassiner l’empereur. Le complot de Cinna, découvert, ayant avorté, Livie conseille à Auguste d’accabler le coupable d’un magnifique pardon. Plus tard, Auguste fit Cinna consul. Ni la clémence, ni la sévérité du monarque ne purent arrêter la rapide déchéance royale. Agrippa Posthume, étalant ses débauches, se rendant odieux, fut relégué dans l’île de Planasia ; un an après, accusée des mêmes crimes que sa mère, la seconde Julie fut chassée. Agé de soixante-dix ans, le maître du monde restait seul, découragé. Il partagea ses prérogatives avec Tibère, qu’il prit pour collègue, et il mourut en Campanie le 19 août de l’an 14. On l’ensevelit dans le tombeau qu’il s’était construit à Rome. Le règne d’Octave Auguste avait été comme une surprise.
Reprenant le rôle de Sylla, et comédien parfait, il sut dès l’origine
dissimuler ses ambitions, abdiquant la dictature le jour où 10.000 gardes et
120.000 vétérans à ses ordres lui répondaient de l’exécution de sa volonté.
Héritier du prestige militaire de César devant le monde, il éluda sagement
toute comparaison en n’acceptant que les guerres inévitables, les batailles
qu’aucune négociation préalable n’avait pu empêcher. Vaincre par des
trahisons chez l’ennemi fut pour Auguste une tactique ; il détruisit ainsi
l’esprit guerrier, pour n’avoir pas à en souffrir. Il réduisit les provinces
par le dépeuplement, ou la ruine ; ou bien, comme en Gaule et en Espagne, il
apporta savamment un tel trouble dans la vie nationale — par le remaniement
des circonscriptions, la confusion des pouvoirs, la diversité des privilèges
accordés et des charges imposées, l’influence exercée sur les choses de la
religion, — que l’anarchie morale des esprits lui fut une garantie
d’obéissance. Homme d’État, il calcula que Rome devait être nourrie un tiers
de l’année par l’Égypte, un autre tiers par l’Afrique, le troisième tiers par
Peut-être Auguste eut-il le sentiment de son erreur, car
il s’appliqua constamment, sinon à diminuer, au moins à ne pas agrandir
l’Empire. L’impulsion qu’il donna, non sans énergie, à cette politique de
satisfaction limitée fut telle, que jusqu’à Trajan on la respectera, on la suivra. Ayant abandonné réellement S’appuyant sur l’armée, qu’il fit permanente, Auguste n’eut pas un seul capitaine
; après Agrippa et Drusus, et la retraite de Tibère, les troupes restèrent
sans chef. Auguste redoutait-il un rival ? On le croirait, à voir le soin
avec lequel il éloigna de Rome les grands commandements militaires. Maître
unique des soldats, comme il était juge unique, — et par le droit d’édit et
par le droit de grâce, — Auguste n’organisa ni Protecteur des arts, ou plutôt collectionneur, et désireux
de fournir un aliment aux esprits désœuvrés, sa bienveillance tiède ne fit
guère surgir que des fleurs pâles. Sauf en architecture, — Vitruve en écrira
les règles, — Cependant un plaisir d’écrire, un goût des lettres échauffait un peu ces têtes froides. Auguste, Germanicus et Tibère écrivaient ; Caligula, Claude et Néron écriront, en prose et en vers. Un écrit d’Auguste sur les forces et les ressources de l’Empire est perdu ; dans le Précis de sa vie, il se flatte d’avoir donné la paix au monde pendant quarante-quatre années ; il avait simplement bénéficié de la gloire de jules César et de l’étonnement admiratif qu’éprouvaient les lecteurs émus des Commentaires ; car la merveilleuse rhétorique du prétendu vainqueur perpétuel subjuguait le monde bien plus sûrement, alors, que la force des armes romaines. Auguste pouvait laisser impunément son glaive au fourreau. Sage si l’on veut, d’esprit limité, étroit, son front bas ne contenant que des capacités restreintes, médiocres, mais tout à fait appropriées aux nécessités du moment, instrument de la destinée, trop méprisé d’abord, trop applaudi ensuite, proscripteur impitoyable au temps du Triumvirat, clément jusqu’à la sottise à la fin de son règne, Auguste n’eut qu’un but unique, son repos, et il déploya pour l’obtenir, pour le conserver, toutes les sagacités du politique le plus rusé, le plus sagace, le plus persévérant. Il sut tout maintenir, mais il ne fonda rien, pas même un gouvernement militaire. Ce tyran ne trouva pas la formule de la tyrannie. Auguste avait eu l’idée d’une sorte d’Hellénisme romain, impraticable, où se fassent combinées la royauté intellectuelle d’Athènes, la grandeur de Sparte — illusion de lectures, — et la splendeur d’Alexandrie. Les richesses de l’Orient, que l’Égypte amassait et procurait, hantaient les imaginations. Auguste, voulant supplanter Alexandrie, déplacer le centre attractif des intelligences, flattait les écrivains. L’histoire, l’ode et l’épopée fleurirent lorsque l’héroïsme et l’éloquence n’eurent plus même l’occasion de s’exercer. Sénèque échouera dans son essai de relèvement de l’art dramatique, — cette mâle manifestation des littératures, — et nul ne montera plus à la tribune aux harangues puisqu’elle a été renversée, puisque l’éloquence a été pacifiée. Mais les médecins seront exonérés de tout impôt, porteront l’anneau d’or des chevaliers, parce que l’affranchi Musa a pu guérir Auguste malade. |