Le Christianisme (de 67 av. J.-C. à 117 ap. J.-C.)

 

CHAPITRE VIII

 

 

DE 40 A 19 av. J.-C. - Nouveau partage du monde romain. - Triumvirat Octave, Antoine et Sextus Pompée. - Édilité d’Agrippa. - Rupture entre Octave et Antoine. - Bataille d’Actium. - Mort d’Antoine et de Cléopâtre. - Octave en Asie Mineure, en Gaule, en Espagne, à Rome, en Sicile et en Grèce. - Galates et Hellènes. - Exploitation de l’Égypte romaine. - Frontières de l’Empire. - Arabes et Éthiopiens. - Octave Auguste à Rome.

 

FUSIUS CALÉNUS vient de livrer l’Espagne à Octave. Lépide, réclamant implacable, est envoyé en Afrique. Antoine, retenu en Égypte par Cléopâtre, asiatisé, s’y endort, lorsqu’une attaque des Parthes, en Syrie, l’arrache à son sommeil ; et voyant alors sa situation vraie, déplorable, il se décide à agir contre celui qui détient l’Occident. Antoine, Pollion, Domitius et Sextus Pompée, unis contre le maître de Rome, iront à Brindes (40). Cette coalition, connue, grandit Octave en le montrant, un contre tous, seul défenseur des Romains que l’avenir menaçait.

Octave, dissimulant ses inquiétudes, redoutait la guerre. Une mutinerie des soldats d’Antoine et la mort de Fulvie lui offrirent l’occasion de l’entente qu’il désirait. Les deux généraux s’entendirent en effet pour le partage du monde romain. Octave aura l’Occident et se chargera de combattre Sextus Pompée ; Antoine aura l’Orient, avec l’obligation de vaincre les Parthes ; l’Afrique donnée à Lépide. Les consulats seront réservés aux amis des deux généraux. Pour consacrer le pacte, Antoine épousa Octavie, la sœur d’Octave. Des fêtes tristes célébrèrent cet accord, où manquait Sextus Pompée.

Réunis au cap Misène, Antoine, Octave et Sextus Pompée durent former un nouveau Triumvirat. Sextus obtint la Sicile, la Corse, la Sardaigne et l’Achaïe, avec 17.500.000 drachmes d’indemnité (39). Une joie générale salua ce traité honteux. Le premier soin des Triumvirs fut d’abaisser le Sénat, en y introduisant des barbares et des affranchis. Aux Comices, le peuple recevait maintenant à l’avance, par écrit, les ordres de vote. Cette usurpation légalisée et le bruit de la réconciliation hypocrite signalent bien l’état d’avilissement des esprits. Octave put partir pour la Gaule, où la révolte de quelques peuples l’appelait, tandis qu’Antoine marchait aux Parthes, après avoir fait ratifier à l’avance tout ce qu’il réaliserait en Asie.

En Sicile, Sextus Pompée se ridiculisait. Sa cour de Syracuse, théâtrale, l’entourait d’une solennité comique ; il y régnait, se faisant nommer sérieusement Fils de Neptune, drapé d’un manteau couleur d’eau de mer, ayant pouf sceptre un trident. Il savait les intentions de ses collègues ; et devançant l’accord d’Antoine et d’Octave contre lui, il se constitua une flotte. A la seule nouvelle de cet armement, les vivres augmentèrent de prix à Rome, la peur s’empara des Romains. Une trahison livra la Corse, la Sardaigne, 3 légions et une escadre à Octave ; mais il subit un échec dès la première rencontre et sa situation militaire devint extrêmement critique. Agrippa le sauva.

Agrippa venait de pacifier l’Aquitaine et de passer le Rhin, comme César. Consul (37), il construisit une flotte, creusa un port, exerça les matelots et les légionnaires. Octavie ayant ramené Antoine à Tarente, où se trouvaient Mécène et Agrippa, le Triumvirat fut renouvelé pour cinq ans. Antoine reçut 2 légions et partit pour sa guerre en Asie ; Octave devait prendre la Sicile. Une tempête ne permit qu’à Lépide de débarquer, et il assiégea Lilybée. Octave, ensuite, le rejoignit. Sextus Pompée visa la flotte, qu’il attaqua entre Mylos et Naulaque (3 septembre 36). Agrippa battit Sextus, qui s’enfuit en Asie avec 17 vaisseaux, prit des villes, intrigua avec le roi de Pont et le roi des Parthes, et finalement trahi, mourut à Milet, frappé par un officier d’Antoine (35).

Lépide, en Sicile, s’attribuant les mérites du succès, ayant accru ses légions de toutes les forces de Sextus Pompée, abandonnait le Triumvirat, tâchait de s’isoler. Octave, très habile en ces sortes d’affaires, débaucha les troupes de Lépide qui dut s’humilier. Octave ne lui laissa que la dignité de Grand Pontife, sans toucher à ses biens, et le relégua à Circéri.

La fuite de Sextus Pompée et l’éloignement de Lépide laissaient Antoine et Octave en face l’un de l’autre. Octave disposait de 45 légions et de plus de 500 vaisseaux, troupe trop nombreuse, ingouvernable, mal composée ; il distribua de larges gratifications — 500 drachmes à chacun — et licencia 20.000 hommes. A Rome, couronné de fleurs, poussé au Capitole, il n’accepta du peuple, lui abandonnant tout, que l’inviolabilité tribunitienne, afficha sa générosité, donna à son gouvernement l’appareil suffisant d’un républicanisme correct, déclara enfin qu’il abdiquerait aussitôt qu’Antoine aurait vaincu les Parthes. Antoine grandissait en Asie, de réputation au moins. Pendant que sa vie à Athènes, avec Octavie, n’était qu’une fête ininterrompue, ses lieutenants battaient les Albaniens, les Ibériens et les Parthes. Dans les Jeux grecs, magnifiques, offerts aux Athéniens, Antoine se montra en Hercule ; il épousa Pallas, un jour, mais pour en recevoir la dot : 1.000 talents. Un échec au siège de Samorate (37) ne le diminua pas. Octavie et ses enfants restés à Tarente, il rejoignit Cléopâtre à Laodicée, lui cédant la Phénicie, la Cœlésyrie et l’Arabie, comme s’il disposait des provinces romaines du Nil au Taurus.

Antoine s’en fut combattre les Parthes avec 60.000 hommes exercés, 20.000 cavaliers et 60.000 auxiliaires. Évitant les plaines de la Mésopotamie, il passa chez les Arméniens, dont le roi Artavasde était son allié, et dut s’arrêter devant les murs de Phraata, que les assiégés défendirent. Chaque journée de la retraite d’Antoine fut marquée par un combat meurtrier. Le souvenir de Xénophon le soutenant, il fut admirable de bravoure, de patience, de bonté. Il n’arriva à l’Araxe qu’après vingt-sept jours de marche, ayant perdu en route 24.000 légionnaires. Mais toute l’énergie d’Antoine tomba aussitôt la retraite effectuée ; il dédaigna même de châtier le roi d’Arménie, pour se rendre en hâte auprès de Cléopâtre qui vint le rencontrer près de Leuconomé, entre Béryte et Sidon, et l’emmena en Égypte. Cette marche rapide, que rien ne justifiait, — sinon l’inextinguible passion du général, — exécutée en plein hiver, par les neiges, coûta encore 8.000 hommes aux légions. Une querelle entre Phraate et le roi des Mèdes, pour le partage des dépouilles d’Antoine, laissait à celui-ci, d’apparence, le temps d’attendre.

Octave suivait jour par jour, anxieux, les mouvements d’Antoine. Il n’empêcha pas les messagers de son rival, à Rome, d’annoncer faussement la victoire sur les Asiatiques qu’Antoine s’attribuait, et il feignit de croire à ce mensonge, jusqu’à laisser placer la statue du Victorieux dans le temple de la Concorde. Ses amis d’ailleurs racontaient déjà la vérité, et le peuple, un instant trompé, s’irritait contre Antoine qui, plein de confiance, se préparait à la lutte décisive (353-4).

Une courte expédition en Arménie, heureuse, permit à Antoine de s’emparer du roi vaincu et de l’envoyer chargé de chaînes d’or à Alexandrie ; ce succès fut l’occasion d’un Triomphe solennel, d’une manifestation grave : Antoine en effet qualifia Alexandrie de Capitale de l’Orient et provoqua Rome, à titre de Ville rivale. Antoine, à ce moment, quitta la toge, prit la pourpre, ceignit le diadème, se montra monarque oriental, avec un cimeterre au côté, fit rois ses deux fils, Alexandre et Ptolémée, procéda au partage de l’Empire. Pour les Égyptiens, qu’il considérait comme ses sujets, et pour les Grecs, qui étaient en grand nombre dans sa Ville, il parut en Osiris, puis en Bacchus, sur un char paré de guirlandes, le thyrse en main. Il dépouilla la Grèce et l’Asie, systématiquement, pour orner sa Capitale, emporta toute la bibliothèque de Pergame, — 200.000 volumes, — et dénombra son armée : 100.000 hommes.

A Rome, Octave s’organisait et gouvernait. Agrippa, secondant loyalement l’énergie calme de son maître, pacifiait l’Italie, embellissait Rome, se faisait aimer du peuple. Des jeux extraordinaires, répétés, — cinquante-neuf jours de fêtes ! — ne permettaient pas de s’imaginer qu’un autre pût faire davantage. Les billets pour les spectacles, largement distribués, servaient comme de monnaie nouvelle, que l’on échangeait contre des vêtements, des vivres, de l’argent même. Octave procurait de la gloire aux Romains, délivrait l’Adriatique des pirates, écrasait les Iapodes, les Liburnes, les Corcyréens et les Dalmates, recevait trois blessures à l’assaut de Metulum, pénétrait jusqu’à la Save, domptait une partie des Pannoniens et maîtrisait les Salasses dans les Alpes. En Afrique, le dernier des princes de Numidie étant mort, Octave agrandit la province.

Antoine, prêt, réclame à Octave une part des butins enlevés à Sextus et à Lépide ; Octave, avec hauteur, réplique par un blâme significatif. A cette réponse, claire, les amis d’Antoine comprirent que la guerre était décidée. Antoine entendait prendre l’offensive. Cléopâtre le rejoignit à Éphèse. Des fêtes invraisemblables, où des armées de danseurs, de joueurs de flûte et de comédiens évoluaient, se combinaient avec les préparatifs des batailles. La vie inimitable, continuée, faisait perdre à Antoine un temps qu’Octave utilisait, négociant des trahisons, rendant son ennemi suspect, tâchant de le faire haïr.

Antoine avait déposé chez les vestales, à Rome, un testament où il reconnaissait comme successeur de César le fils que le dictateur légal avait eu de la reine d’Égypte, — Césarion, — et demandait à être enseveli avec Cléopâtre. Plancus vola ce testament, qu’Octave fit lire au Sénat. Le scandale fut tel, qu’un décret immédiat retira le consulat de l’année à Antoine (31) et déclara la guerre à la reine d’Égypte, à Cléopâtre, qui dans le délire de ses espérances rêvait la chute du Capitole et les funérailles de l’Empire. Octave prit possession du consulat (1er janv. 31), ce qui mit fin légalement aux pouvoirs des Triumvirs. Il disposait de 80.000 fantassins et de 12.000 cavaliers ; sa flotte ne comptait que 250 vaisseaux légers, mais les équipages en étaient excellents. Antoine, qui n’était plus pour les Romains que le ministre de Cléopâtre, avait 100.000 fantassins, 12.000 cavaliers et 500 gros navires, très lourds, à 10 et 8 rangs de rames, mal construits, mal équipés, mal dirigés.

Antoine campe à Actium, sur la côte d’Acarnanie. Octave est en face de lui, sur la côte d’Épire. Les vaisseaux légers d’Octave, rapides, insaisissables, accablent de piques, de pieux et de traits enflammés les forteresses flottantes d’Antoine, les entourent, cherchant — Agrippa conduisant la manœuvre, — à les envelopper. Soixante navires égyptiens menacés tournent la proue, se dégagent, s’enfuient. Antoine, distinguant parmi eux les voiles de pourpre du vaisseau de Cléopâtre, abandonne ses soldats. La flotte égyptienne se défend encore ; mais sans chef, elle se rend. L’armée de terre, intacte, ne voulant pas croire à la lâcheté de son général, à son départ surtout, résiste pendant sept jours encore aux négociations de César Octave, et succombe. Antoine, désespéré, honteux, assis à la proue de son navire fuyant, aborde au cap Ténare, refusant de revoir Cléopâtre, auprès de laquelle cependant les femmes de la reine le ramenèrent bientôt.

Octave arrive en Égypte. Ne pourrait-on pas s’entendre, négocier ? Antoine se retirerait à Athènes et Cléopâtre, détrônée, laisserait l’Égypte à ses enfants. Octave ne consent à traiter que si Cléopâtre, d’abord, chasse ou fait tuer Antoine. Antoine, furieux, provoque son rival. Un succès de cavalerie favorise Antoine ; mais la flotte, achetée, passe à César, et la cavalerie fait défection. L’infanterie est écrasée. Antoine, se croyant trahi par Cléopâtre, se suicide. La reine se donne la mort, revêtue de ses habits royaux.

Octave se rend en Asie Mineure, y reçoit une ambassade parthe, organise la province pendant l’hiver (29) et prend possession de son cinquième consulat. Revenu dans Rome, il y célébra trois Triomphes, — Dalmates, Actium et Égypte, — distribua 1.000 sesterces à chaque soldat, 400 à chaque citoyen, ferma le temple de Janus, — témoignage de paix, — qui était ouvert depuis deux siècles. Quelle constitution le triomphateur imposera-t-il à ce peuple si bassement prosterné, et satisfait pour l’heure ? Octave ne lui accordera que ce qu’il mérite, c’est-à-dire un fantôme d’indépendance, une apparente liberté, tandis que lui, le despote, ne prendra ni le titre de roi, ni la charge de dictateur, car la toute-puissance est dans sa volonté. C’est comme consul qu’il maîtrisera cette foule. Pour conserver son prestige, toutefois, il se fit décerner le titre d’Imperator.

Octave ne touche pas au Sénat, certes, mais il partage avec Agrippa la Préfecture des mœurs, ce qui lui permettra de procéder légalement, et surtout rapidement, à la proscription de ses adversaires. Il porte de 800.000 à 1.200.000 le cens sénatorial, pour fermer le Sénat, et paye de ses deniers les insuffisances des sénateurs complaisants en exercice : ce fut ce Sénat extraordinaire, pensionnaire d’Octave, sanctionnant tous les caprices, assumant toutes les responsabilités. Il révise l’ordre équestre, crée les princes de la jeunesse, augmente le nombre des patriciens, relève toutes les anciennes institutions, en les annulant en fait, nul n’ayant la possibilité d’agir. Il accepte le titre républicain de Premier du Sénat, parce qu’il votait le premier, s’assurant ainsi la direction des votes. Terminant enfin la longue comédie de son installation, Octave vient à la Curie (27) pour y déposer ses pouvoirs. On l’accuse d’abandonner la République ! Cette accusation le fait hésiter... On le presse, on le supplie, on le menace ! Une loi, heureusement, confirmant son despotisme, le lui imposant, on l’investit du proconsulat, ce qui lui livre toutes les provinces ; mais il ne reçoit ce pouvoir qu’à la condition de gouverner avec le Sénat. Vingt-cinq légions lui sont données. Munacius Plancus lui fait décerner le qualificatif d’Auguste jusqu’alors réservé aux dieux (17 janvier 27) ; et le peuple l’acclame... Octave Auguste pouvait s’éloigner, laissant Rome sous l’écrasante impression des hypocrisies qui l’avaient séduite.

L’Empereur se dirigea vers la terre des Celtes, en Gaule, pour y organiser le Pays gaulois, des Pyrénées au Rhin, de la Méditerranée à l’Océan, y amener des Italiens, en masse. Un facile succès, mais bruyant, sur les Belges et les Aquitains soulevés, favorisa l’organisateur. Il modifia les divisions consacrées, arbitrairement, pour éviter toute entente ultérieure. L’Aquitaine, la Celtique et la Belgique formèrent les trois Gaules, la Narbonnaise restant intacte, à part. Des villes changèrent de nom, les unes diminuées, d’autres agrandies. Des colonies toutes romaines firent installées, — à Orange, Carpentras, Cavaillon, Nîmes, Valence, en dehors des colonies latines d’Aix, d’Apt, de Vienne, de Vivier ; — Marseille, en punition de sa résistance à César, perdit Agde et Cette. Arelate (Arles), créée, devait être le centre commercial de la province ; Forum Julii (Fréjus), l’arsenal de l’Empire. Une inégale répartition des privilèges et des charges faisait naître des jalousies entre les cités gauloises. Narbo, colonie de vrais Romains envoyés par les Gracques, se dressait en face de Marseille, frappée.

Les Gaules d’Auguste comprenaient soixante circonscriptions, chaque cité responsable des désordres de son territoire. L’armée du Rhin veillait, campée là où Celtes et Germains, en contact, s’entretenaient chacun dans sa haine. Lugdunum (Lyon) fut la capitale romaine des Gaules romanisées ; Agrippa en fit le point central des routes militaires qui menaient à l’Océan, au Rhin, à la Manche et aux Pyrénées. Une victoire décisive sur les Salasses (25) avait permis de tracer à travers leurs montagnes une voie qui mettait Lyon à trois jours de l’Italie. S’attaquant au druidisme, qui lui semblait être comme le ciment des Gaules, Octave Auguste fit Romains les dieux gaulois. Des autels furent élevés à Belen-Apollon, à Mars-Camul, à Diane-Arduinna. Il abolit les sacrifices humains et n’accorda le droit de cité qu’aux villes qui abandonnaient les rites druidiques. La révolution religieuse, toute matérielle, s’accomplit rapidement, sans regrets. Les Gaulois ne parurent pas tenir aux druides, ni à leurs divinités.

Auguste s’en fut ensuite organiser l’Espagne. En Afrique, il fit roi des Maures le fils de Juba, ce Numide lettré et craintif, et revint à Rome pour y fermer de nouveau le temple de Janus. En Asie, la Galatie et la Lycaonie furent réduites en provinces. Les Scythes et des Indiens apportèrent leurs hommages à l’Imperator. Pendant l’absence de l’empereur, le Sénat et le peuple, à Rome, l’accablèrent d’honneurs et de pouvoirs (25-23). Mis au-dessus des lois, ses privilèges s’étendirent sur ses parents, sur tous les siens ; son gendre et neveu Marcellus brigua impunément le consulat dix ans avant l’âge requis. Fidèle à sa comédie de l’abnégation, Auguste voulut abdiquer le consulat ; on le lui imposa avec la confirmation de son inviolabilité. Monarque absolu, il s’appliquait à montrer l’impuissance des magistratures républicaines, fournissant ainsi à ses sujets la justification de leurs renoncements.

Auguste visita la Sicile et la Grèce, passa l’hiver à Samos, se rendit en Asie Mineure pour y régler toutes choses souverainement. Pergame, Éphèse, Smyrne, Sardes et Cyzique importunaient les Romains de leurs querelles, ces niaiseries grecques. Les luttes des municipalités et les excès des associations, multipliées, maintenaient la Grande Péninsule, la province des Cinq cents villes, en un état d’anarchie favorable aux Romains ; Auguste y distribua selon son caprice les impôts et les libertés. Il donna à Polémon, roi de Pont, pour se garantir des Arméniens, voisins, un second royaume, le Bosphore Cimmérien ; il accrut le domaine des rois de Judée et de Cappadoce ; il déposa le roi de Comagène ; il pacifia et colonisa la Pisidie... La Galatie, peuplée de Gallo-Grecs, soldats excellents, frères des Trévères, parlant le celte comme eux, devint province romaine.

De la Grèce, de l’Hellénie déchue, — vil ramas de toutes les nations, dit le Pison de Tacite, — nul ne se préoccupait, sinon comme d’un souvenir merveilleux, d’un sanctuaire déshonoré, mais d’un berceau dont on pouvait se prévaloir et qu’il fallait à ce titre respecter. Il n’y avait plus de Grecs, presque, en Hellénie ; les Hellènes actuels, petits et communs, rabougris, alertes mais faibles, qui ne donnaient plus un seul soldat vigoureux, où se recrutaient seulement des histrions pour le cirque, avaient cessé d’être les descendants de ces héros que les statues de marbre immortalisaient. Aux Athéniens, aux Spartiates, aux Achéens, avaient succédé, en Hellénie, une population vile, trafiquant de tout sans pudeur, toujours prête aux ignominies. On vendait jusqu’à des morceaux de la patrie : Julius Nicanor ayant acheté l’île de Salamine, le vendeur enthousiasmé qualifia Nicanor de nouveau Thémistocle, de nouvel Homère. Ce capitaliste avait en effet écrit quelques vers. Athènes, Argos, Élis, Mantinée du Péloponnèse, dernières villes encore actives, étaient encombrées de financiers italiens qui les épuisaient, les achevaient. Plus de marine. Le Pirée n’était qu’un village ; la mendicité y était presque la seule industrie. Auguste prohiba les ventes de territoire. Les verges et la hache du préteur maintenaient une sécurité relative dans l’ensemble des communes autodémocratiques qui formaient la Grèce d’alors.

L’Égypte — l’un des greniers de Rome, où la superstition et la licence, dit Tacite, entretiennent un esprit d’inconstance et de discorde, et qui ne connaît ni loi, ni magistrats, — parut à Auguste assez pourrie, hellénisée, pour ne mériter aucun ménagement. Il la séquestra simplement, interdisant aux sénateurs et aux citoyens de rang sénatorial de s’y rendre, décidant que les gouverneurs n’y seraient que des chevaliers. Auguste emprunta aux Égyptiens la science de l’Administration, qu’il appliqua aux choses de Rome ; c’est d’Alexandrie qu’il rapporta l’idée, toute ptolémaïque, de la protection des artistes. Il voulut succéder, à Rome, aux rois de Pergame et aux Ptolémées.

L’organisation des provinces asiatiques achevée, — Tralles, Laodicée, Paphos rebâties ; des provinces obérées remises à compte par l’Empereur, — la paix conclue sans combat avec les Parthes de Phraate, ce dernier ayant rendu les drapeaux pris à Crassus, les Arméniens eux-mêmes lui demandant un roi, Auguste put jouir de sa royauté tranquille. Depuis six ans le temple de Janus était fermé. Ainsi, dira Florus, exprimant bien l’erreur commune, ainsi, tout le genre humain fut réuni par une paix ou une alliance universelle et durable. Illusion, parce qu’en Europe la paix d’Auguste ne dépendait que d’un prestige trompeur, ou plutôt d’une lassitude momentanée, et qu’en Asie, très ignorant des exigences ethnographiques, trop facilement dédaigneux de ces Asiatiques qu’il croyait domptés, le dominateur temporaire s’était contenté de précautions insuffisantes. Il n’avait pas vu — Tacite le dira, — que les Arméniens haïssaient également les Romains et les Parthes, et que leur soumission n’était qu’un choix, comme en Gaule, entre deux ennemis. Pompée et Lucullus, mieux avisés, avaient considéré l’Euphrate comme une barrière ; Auguste, définissant mal les limites, n’admettait, à tort, comme garanties de sécurité, que la mer et les pays sans défense.

Les frontières de l’Empire d’Auguste, théoriques, comprenaient la fortification du Rhin, l’installation au Danube des avant-postes des légions, l’intimidation des Parthes et l’influence exercée sur les Arméniens ; Carthage rebâtie et Alexandrie utilisée, surveillée, répondant de l’Afrique et de l’Égypte. Cette œuvre n’était pas celle d’un conquérant, mais d’un policier. La seule expédition militaire réfléchie fut celle d’Arabie, qui échoua. Instruit par le géographe Isidore et par le roi de Maurétanie, Juba, Auguste confia à Caïus César la mission de s’emparer de l’Arabie. Une flotte de 80 vaisseaux et de 130 bâtiments transporta au Yémen 10.000 hommes avec des auxiliaires fournis par Obodas, roi des Nabatéens, et Hérode, roi des juifs. Les maladies eurent raison du corps expéditionnaire avant qu’il pût agir ; mais la démonstration avait amplement suffi pour ruiner le commerce des Arabes. Le gouverneur de l’Égypte, Pétronius, poursuivit la reine d’Éthiopie, Candace, et pénétra dans son royaume. Les Éthiopiens, abrités sous leurs boucliers de peaux de bœuf, avaient, au nombre de 30.000, envahi la Haute-Égypte, battant 3 cohortes, ravageant Philæ, Éléphantine et Syène. Pétronius repoussa ce peuple de bergers gouverné par des reines et détruisit leurs villes. La frontière d’Égypte fut à Syène au nord, et sur la côte, à l’est, Béréniké, la ville troglodyte.

En Afrique, Balbus avait rouvert la route de l’intérieur par le Fezzan ; Quirinius avait maîtrisé, au désert libyen, la nation indomptable à la guerre. Auguste, à Rome, omnipotent, incontesté (19), maintenait sa puissance en opprimant par tous les moyens la classe riche et éclairée, donnant ainsi à la foule le spectacle agréable d’un despotisme imposé aux aristocrates ; et la plèbe applaudissait, soutenant le maître, son maître.