DE FUSIUS CALÉNUS vient de livrer l’Espagne à Octave. Lépide, réclamant implacable, est envoyé en Afrique. Antoine, retenu en Égypte par Cléopâtre, asiatisé, s’y endort, lorsqu’une attaque des Parthes, en Syrie, l’arrache à son sommeil ; et voyant alors sa situation vraie, déplorable, il se décide à agir contre celui qui détient l’Occident. Antoine, Pollion, Domitius et Sextus Pompée, unis contre le maître de Rome, iront à Brindes (40). Cette coalition, connue, grandit Octave en le montrant, un contre tous, seul défenseur des Romains que l’avenir menaçait. Octave, dissimulant ses inquiétudes, redoutait la guerre. Une mutinerie des soldats d’Antoine et la mort de Fulvie lui offrirent l’occasion de l’entente qu’il désirait. Les deux généraux s’entendirent en effet pour le partage du monde romain. Octave aura l’Occident et se chargera de combattre Sextus Pompée ; Antoine aura l’Orient, avec l’obligation de vaincre les Parthes ; l’Afrique donnée à Lépide. Les consulats seront réservés aux amis des deux généraux. Pour consacrer le pacte, Antoine épousa Octavie, la sœur d’Octave. Des fêtes tristes célébrèrent cet accord, où manquait Sextus Pompée. Réunis au cap Misène, Antoine, Octave et Sextus Pompée
durent former un nouveau Triumvirat. Sextus obtint En Sicile, Sextus Pompée se ridiculisait. Sa cour de
Syracuse, théâtrale, l’entourait d’une solennité comique ; il y régnait, se
faisant nommer sérieusement Fils de Neptune, drapé d’un manteau couleur d’eau de mer, ayant pouf sceptre un trident. Il
savait les intentions de ses collègues ; et devançant l’accord d’Antoine et
d’Octave contre lui, il se constitua une flotte. A la seule nouvelle de cet
armement, les vivres augmentèrent de prix à Rome, la peur s’empara des
Romains. Une trahison livra Agrippa venait de pacifier l’Aquitaine et de passer le
Rhin, comme César. Consul (37), il construisit une flotte, creusa un port, exerça les
matelots et les légionnaires. Octavie ayant ramené Antoine à Tarente, où se
trouvaient Mécène et Agrippa, le Triumvirat fut renouvelé pour cinq ans.
Antoine reçut 2 légions et partit pour sa guerre
en Asie ; Octave devait prendre Lépide, en Sicile, s’attribuant les mérites du succès, ayant accru ses légions de toutes les forces de Sextus Pompée, abandonnait le Triumvirat, tâchait de s’isoler. Octave, très habile en ces sortes d’affaires, débaucha les troupes de Lépide qui dut s’humilier. Octave ne lui laissa que la dignité de Grand Pontife, sans toucher à ses biens, et le relégua à Circéri. La fuite de Sextus Pompée et l’éloignement de Lépide
laissaient Antoine et Octave en face l’un de l’autre. Octave disposait de 45
légions et de plus de 500 vaisseaux, troupe trop nombreuse, ingouvernable,
mal composée ; il distribua de larges gratifications — 500 drachmes à chacun
— et licencia 20.000 hommes. A Rome, couronné de fleurs, poussé au Capitole,
il n’accepta du peuple, lui abandonnant tout,
que l’inviolabilité tribunitienne, afficha sa générosité, donna à son gouvernement
l’appareil suffisant d’un républicanisme correct, déclara enfin qu’il
abdiquerait aussitôt qu’Antoine aurait vaincu les Parthes. Antoine
grandissait en Asie, de réputation au moins. Pendant que sa vie à Athènes,
avec Octavie, n’était qu’une fête ininterrompue, ses lieutenants battaient
les Albaniens, les Ibériens et les Parthes. Dans les Jeux grecs, magnifiques,
offerts aux Athéniens, Antoine se montra en Hercule ; il épousa Pallas, un
jour, mais pour en recevoir la dot : 1.000 talents. Un échec au siège de
Samorate (37)
ne le diminua pas. Octavie et ses enfants restés à Tarente, il rejoignit
Cléopâtre à Laodicée, lui cédant Antoine s’en fut combattre les Parthes avec 60.000 hommes
exercés, 20.000 cavaliers et 60.000 auxiliaires. Évitant les plaines de Octave suivait jour par jour, anxieux, les mouvements
d’Antoine. Il n’empêcha pas les messagers de son rival, à Rome, d’annoncer
faussement la victoire sur les Asiatiques
qu’Antoine s’attribuait, et il feignit de croire à ce mensonge, jusqu’à
laisser placer la statue du Victorieux
dans le temple de Une courte expédition en Arménie, heureuse, permit à
Antoine de s’emparer du roi vaincu et de l’envoyer chargé de chaînes d’or à Alexandrie ; ce succès fut
l’occasion d’un Triomphe solennel, d’une manifestation grave : Antoine en
effet qualifia Alexandrie de Capitale de l’Orient
et provoqua Rome, à titre de Ville rivale.
Antoine, à ce moment, quitta la toge, prit la pourpre, ceignit le diadème, se
montra monarque oriental, avec un
cimeterre au côté, fit rois ses deux fils, Alexandre et Ptolémée, procéda au
partage de l’Empire. Pour les Égyptiens, qu’il considérait comme ses sujets, et pour les Grecs, qui étaient en grand
nombre dans sa Ville, il parut en Osiris, puis en Bacchus, sur un char paré de guirlandes, le thyrse en main. Il
dépouilla A Rome, Octave s’organisait et gouvernait.
Agrippa, secondant loyalement l’énergie calme de son maître, pacifiait
l’Italie, embellissait Rome, se faisait aimer du peuple. Des jeux
extraordinaires, répétés, — cinquante-neuf jours de fêtes ! — ne permettaient
pas de s’imaginer qu’un autre pût
faire davantage. Les billets pour les spectacles,
largement distribués, servaient comme de monnaie nouvelle, que l’on
échangeait contre des vêtements, des vivres, de l’argent même. Octave procurait
de la gloire aux Romains, délivrait l’Adriatique des pirates, écrasait les
Iapodes, les Liburnes, les Corcyréens et les Dalmates, recevait trois
blessures à l’assaut de Metulum, pénétrait jusqu’à Antoine, prêt, réclame à Octave une part des butins enlevés à Sextus et à Lépide ; Octave, avec hauteur, réplique par un blâme significatif. A cette réponse, claire, les amis d’Antoine comprirent que la guerre était décidée. Antoine entendait prendre l’offensive. Cléopâtre le rejoignit à Éphèse. Des fêtes invraisemblables, où des armées de danseurs, de joueurs de flûte et de comédiens évoluaient, se combinaient avec les préparatifs des batailles. La vie inimitable, continuée, faisait perdre à Antoine un temps qu’Octave utilisait, négociant des trahisons, rendant son ennemi suspect, tâchant de le faire haïr. Antoine avait déposé chez les vestales, à Rome, un testament où il reconnaissait comme successeur de César le fils que le dictateur légal avait eu de la reine d’Égypte, — Césarion, — et demandait à être enseveli avec Cléopâtre. Plancus vola ce testament, qu’Octave fit lire au Sénat. Le scandale fut tel, qu’un décret immédiat retira le consulat de l’année à Antoine (31) et déclara la guerre à la reine d’Égypte, à Cléopâtre, qui dans le délire de ses espérances rêvait la chute du Capitole et les funérailles de l’Empire. Octave prit possession du consulat (1er janv. 31), ce qui mit fin légalement aux pouvoirs des Triumvirs. Il disposait de 80.000 fantassins et de 12.000 cavaliers ; sa flotte ne comptait que 250 vaisseaux légers, mais les équipages en étaient excellents. Antoine, qui n’était plus pour les Romains que le ministre de Cléopâtre, avait 100.000 fantassins, 12.000 cavaliers et 500 gros navires, très lourds, à 10 et 8 rangs de rames, mal construits, mal équipés, mal dirigés. Antoine campe à Actium, sur la côte d’Acarnanie. Octave est en face de lui, sur la côte d’Épire. Les vaisseaux légers d’Octave, rapides, insaisissables, accablent de piques, de pieux et de traits enflammés les forteresses flottantes d’Antoine, les entourent, cherchant — Agrippa conduisant la manœuvre, — à les envelopper. Soixante navires égyptiens menacés tournent la proue, se dégagent, s’enfuient. Antoine, distinguant parmi eux les voiles de pourpre du vaisseau de Cléopâtre, abandonne ses soldats. La flotte égyptienne se défend encore ; mais sans chef, elle se rend. L’armée de terre, intacte, ne voulant pas croire à la lâcheté de son général, à son départ surtout, résiste pendant sept jours encore aux négociations de César Octave, et succombe. Antoine, désespéré, honteux, assis à la proue de son navire fuyant, aborde au cap Ténare, refusant de revoir Cléopâtre, auprès de laquelle cependant les femmes de la reine le ramenèrent bientôt. Octave arrive en Égypte. Ne pourrait-on pas s’entendre, négocier ? Antoine se retirerait à Athènes et Cléopâtre, détrônée, laisserait l’Égypte à ses enfants. Octave ne consent à traiter que si Cléopâtre, d’abord, chasse ou fait tuer Antoine. Antoine, furieux, provoque son rival. Un succès de cavalerie favorise Antoine ; mais la flotte, achetée, passe à César, et la cavalerie fait défection. L’infanterie est écrasée. Antoine, se croyant trahi par Cléopâtre, se suicide. La reine se donne la mort, revêtue de ses habits royaux. Octave se rend en Asie Mineure, y reçoit une ambassade parthe, organise la province pendant l’hiver (29) et prend possession de son cinquième consulat. Revenu dans Rome, il y célébra trois Triomphes, — Dalmates, Actium et Égypte, — distribua 1.000 sesterces à chaque soldat, 400 à chaque citoyen, ferma le temple de Janus, — témoignage de paix, — qui était ouvert depuis deux siècles. Quelle constitution le triomphateur imposera-t-il à ce peuple si bassement prosterné, et satisfait pour l’heure ? Octave ne lui accordera que ce qu’il mérite, c’est-à-dire un fantôme d’indépendance, une apparente liberté, tandis que lui, le despote, ne prendra ni le titre de roi, ni la charge de dictateur, car la toute-puissance est dans sa volonté. C’est comme consul qu’il maîtrisera cette foule. Pour conserver son prestige, toutefois, il se fit décerner le titre d’Imperator. Octave ne touche pas au Sénat, certes, mais il partage
avec Agrippa L’Empereur se dirigea vers la terre
des Celtes, en Gaule, pour y organiser le Pays gaulois, des Pyrénées au Rhin, de Les Gaules d’Auguste comprenaient soixante
circonscriptions, chaque cité responsable des désordres de son territoire. L’armée du Rhin veillait,
campée là où Celtes et Germains, en contact, s’entretenaient chacun dans sa
haine. Lugdunum (Lyon)
fut la capitale romaine des Gaules romanisées ; Agrippa en fit le point
central des routes militaires qui menaient à l’Océan, au Rhin, à Auguste s’en fut ensuite organiser l’Espagne. En Afrique,
il fit roi des Maures le fils de Juba, ce Numide lettré
et craintif, et revint à Rome pour y fermer de nouveau le temple
de Janus. En Asie, Auguste visita De L’Égypte — l’un des greniers de Rome, où la superstition et la licence, dit Tacite, entretiennent un esprit d’inconstance et de discorde, et qui ne connaît ni loi, ni magistrats, — parut à Auguste assez pourrie, hellénisée, pour ne mériter aucun ménagement. Il la séquestra simplement, interdisant aux sénateurs et aux citoyens de rang sénatorial de s’y rendre, décidant que les gouverneurs n’y seraient que des chevaliers. Auguste emprunta aux Égyptiens la science de l’Administration, qu’il appliqua aux choses de Rome ; c’est d’Alexandrie qu’il rapporta l’idée, toute ptolémaïque, de la protection des artistes. Il voulut succéder, à Rome, aux rois de Pergame et aux Ptolémées. L’organisation des provinces asiatiques achevée, — Tralles, Laodicée, Paphos rebâties ; des provinces obérées remises à compte par l’Empereur, — la paix conclue sans combat avec les Parthes de Phraate, ce dernier ayant rendu les drapeaux pris à Crassus, les Arméniens eux-mêmes lui demandant un roi, Auguste put jouir de sa royauté tranquille. Depuis six ans le temple de Janus était fermé. Ainsi, dira Florus, exprimant bien l’erreur commune, ainsi, tout le genre humain fut réuni par une paix ou une alliance universelle et durable. Illusion, parce qu’en Europe la paix d’Auguste ne dépendait que d’un prestige trompeur, ou plutôt d’une lassitude momentanée, et qu’en Asie, très ignorant des exigences ethnographiques, trop facilement dédaigneux de ces Asiatiques qu’il croyait domptés, le dominateur temporaire s’était contenté de précautions insuffisantes. Il n’avait pas vu — Tacite le dira, — que les Arméniens haïssaient également les Romains et les Parthes, et que leur soumission n’était qu’un choix, comme en Gaule, entre deux ennemis. Pompée et Lucullus, mieux avisés, avaient considéré l’Euphrate comme une barrière ; Auguste, définissant mal les limites, n’admettait, à tort, comme garanties de sécurité, que la mer et les pays sans défense. Les frontières de l’Empire d’Auguste, théoriques,
comprenaient la fortification du Rhin, l’installation au Danube des
avant-postes des légions, l’intimidation des Parthes et l’influence exercée
sur les Arméniens ; Carthage rebâtie et Alexandrie utilisée, surveillée,
répondant de l’Afrique et de l’Égypte. Cette œuvre n’était pas celle d’un
conquérant, mais d’un policier. La seule expédition militaire réfléchie fut celle
d’Arabie, qui échoua. Instruit par le géographe Isidore et par le roi de
Maurétanie, Juba, Auguste confia à Caïus César la mission de s’emparer de
l’Arabie. Une flotte de 80 vaisseaux et de 130 bâtiments transporta au Yémen
10.000 hommes avec des auxiliaires fournis par Obodas, roi des Nabatéens, et
Hérode, roi des juifs. Les maladies eurent raison du corps expéditionnaire
avant qu’il pût agir ; mais la démonstration avait amplement suffi pour
ruiner le commerce des Arabes. Le gouverneur de l’Égypte, Pétronius,
poursuivit la reine d’Éthiopie, Candace, et pénétra dans son royaume. Les
Éthiopiens, abrités sous leurs boucliers de peaux
de bœuf, avaient, au nombre de 30.000, envahi En Afrique, Balbus avait rouvert la route de l’intérieur par le Fezzan ; Quirinius avait maîtrisé, au désert libyen, la nation indomptable à la guerre. Auguste, à Rome, omnipotent, incontesté (19), maintenait sa puissance en opprimant par tous les moyens la classe riche et éclairée, donnant ainsi à la foule le spectacle agréable d’un despotisme imposé aux aristocrates ; et la plèbe applaudissait, soutenant le maître, son maître. |