Le Christianisme (de 67 av. J.-C. à 117 ap. J.-C.)

 

CHAPITRE V

 

 

DE 67 A 50 Av. J.-C. - Consulat de Pison. - Terreur de Rome. - Catilina. - Cicéron politicien. - Le Parti des honnêtes gens. - Caton. - Pompée, Crassus et César. - César en Gaule. - Ambiorix et Indutiomar. - Insurrection gauloise, nationale. - Vercingétorix. - Alésia. - Gloire et ambition de César.

 

CONSUL d’une république finie, impossible, Pison se signale par le cynisme de ses déprédations, les atrocités de ses fantaisies gouvernementales. Rome agonisait entre l’école des Gracques revendiquant toutes les libertés et l’école de Sylla réclamant tous les despotismes. Des vétérans en proie à d’injustes misères, victimes de la plus monstrueuse des ingratitudes, ou ruinés par leur propre insouciance, des sicaires multipliés et des paysans affairés, chassés de leurs terres, n’attendaient qu’un appel pour former tout naturellement l’armée de la révolution.

La révolte était inévitable ; tout l’annonçait. Un Romain, Catilina, connu de tous, dont on citait avec terreur, mais non sans un sentiment particulier d’admiration, les férocités commises sous Sylla et l’indépendance de la morale, concussionnaire, impitoyable, incestueux, capable de tous les crimes et de toutes les hontes, d’une bravoure folle, élève accompli de cette pédagogie du vice dont Rome s’enorgueillissait presque alors, Catilina voulut être consul. Le Sénat raya son nom de la liste des candidats. Dissimulant mal sa fureur, excité sans doute par des ambitieux, — Crassus et César peut-être ? — Catilina résolut d’expulser le Sénat. Deux fois dénoncée, deux fois la conspiration avorta ; mais le conspirateur, bravant ses adversaires, venant siéger parmi eux, démontrant ainsi, publiquement, leur lâche bassesse, continuait son ouvre, recrutait des complices, préparait son avènement.

Cicéron ose enfin se déclarer contre Catilina, l’apostrophe devant les sénateurs. Le révolutionnaire démasqué, forcé d’agir, quitta Rome, prédisant la ruine prochaine de la Cité, en des termes qui épouvantèrent. Les financiers, les capitalistes et les marchands, effrayés, se confièrent à Cicéron, lui donnant une garde. Le Sénat eut alors le courage de condamner Catilina et Manlius, comme traîtres à la patrie.

Cicéron, ce brillant disciple des Grecs, pour qui Démosthène était le modèle parfait, se trouvait donc à la tête des politiciens d’affaires, se croyant apte au gouvernement des hommes, pensant qu’il suffisait de savoir leur parler pour les diriger. Il dénonce, poursuit, traque les complices de Catilina, n’ayant pas remarqué l’astucieuse habileté avec laquelle César avait demandé contre le révolté la détention perpétuelle dans un municipe, n’ayant entendu que Caton vociférant un cri de mort. Et le voici, entraîné, étourdi, esclave de sa propre parole, plus que victorieux, tenu de surveiller lui-même le massacre des condamnés, de diriger les bourreaux, d’assister à l’égorgement des victimes, de se compromettre. Le peuple, en effet, terrorisé par Cicéron, cessa d’appuyer Catilina.

Expulsé, abandonné du peuple, rejeté dans la foule inconsistante des mécontents et des misérables, Catilina ne pouvait plus réussir. Acculé en Étrurie, seul point où la résistance était encore sérieuse, le scélérat fut frappé à Pistoia, malgré l’héroïsme de ses derniers complices et les miracles de sa bravoure personnelle. Cicéron, seul, et par ses discours, avait vaincu le révolutionnaire ; les armes avaient cédé à la toge. Mais Catilina mort, son vainqueur devenait inquiétant ; car s’il rêvait, lui, d’être un Démosthène, d’autres songeaient à la succession de Cyrus, à l’héritage d’Alexandre, et cet orateur puissant les gênait. Accusé, obligé de se défendre, Cicéron jura qu’il avait sauvé la République, et il reçut de ses juges le titre de Père de la patrie. L’art oratoire triomphait pour la seconde fois ; de nouveau la parole l’emportait sur le glaive. L’opinion publique — le bruit public, — était décidément la force véritable ; Cicéron disposait de cette force. Il rappellera plus tard, non sans une vaniteuse complaisance, que sa seule éloquence avait eu raison de Catilina, et que son arme avait été le pathétique, voulant montrer par cet exemple qu’un beau plaidoyer valait deux Triomphes.

Pompée, qui se considérait presque comme un monarque, — tant étaient considérables les services qu’il avait rendus et solide son apparente popularité, — et Crassus, jaloux simplement, ou poussé par César, tourmentaient le triomphateur, le poursuivaient, le harcelaient. Cicéron tâcha de les apaiser : il accabla Pompée de compliments lourds, flatta la vanité sotte du conquérant heureux et s’assura ou crut s’assurer la faveur de Caton. Puis, s’armant de cette éloquence qui, dit-il, agit puissamment sur les ignorants, sur la multitude et sur les barbares eux-mêmes, il osa tout à coup provoquer ses adversaires, se plaçant en face d’eux.

L’effroi rétrospectif des violences récemment évitées, des dangers courus, et qui pouvaient renaître, le murmure des luttes sourdes d’influence qui préparaient évidemment d’atroces représailles, firent désirer une sorte de paix, de conciliation. On imagina de créer un parti nouveau, le Parti des honnêtes gens, à la tête duquel on placerait Caton, l’incorruptible ; comme s’il y avait eu assez d’honnêtes gens à Rome, alors, pour former un pareil parti ! Le premier effet de cet essai fut le sacrifice de Crassus — du richissime Crassus, — à César, très habilement calme, lui, tranquille, et d’apparence détaché de toute ambition. Les derniers politiciens encore capables de penser sainement, pris d’un dégoût profond, pressentant des troubles horribles, et l’impossibilité de les éviter, se retiraient, s’éloignaient de Rome, un à un, tous.

Caton, censeur vigilant, réformateur maniaque, brouillon, assourdissant, d’une inintelligence rare pour les choses de l’État, jouissant d’une réputation d’intégrité que nul n’aurait osé combattre, mais que personne n’aurait pu justifier, était comme l’image, comme le symbole du gouvernement nouveau que les Romains rêvaient, vaguement. Jamais illusion plus décevante ne fut tissée avec plus de soin. Certes Caton, spectacle vivant et bizarre, se distinguait des autres par son langage et par son costume ; fatigant et excentrique, il était dans Rome comme une distraction ambulante favorable aux vues des Grands : son avènement apaisait les esprits, leur imposait le silence d’attente d’une curiosité provoquée, à la veille d’être satisfaite. En réalité, le Caton expulseur de Metellus, adversaire de César, accusateur de Clodius, implacable ennemi de Pompée, ne devait être qu’une ombre passante, ridicule, donnée au peuple en sorte de comédie.

Les trois hommes vraiment en scène c’étaient Pompée, Crassus et César : Pompée, à qui la fortune ne refusait rien, dont la chance extraordinaire exaspérait, qui cueillait les fruits lui tombant dans la main ; — Crassus, spéculateur heureux, créancier d’un très grand nombre de Romains, qu’il tenait ainsi ; — J. César, le charmeur émérite, jouissant déjà d’un immense crédit. Ce débauché à la ceinture lâche, à la fois dissipateur et mesuré, intrépide et doux, élégant et rude, avait séduit Pompée, — qu’il détacha de la Noblesse, lui qui n’était revenu que pour mettre fin à la République, — avait fait de Crassus le complice fier et complaisant de ses générosités calculées. Ce Triumvirat répondait à l’idéal des Romains qui, dans le trouble inexprimable où ils étaient, rêvaient de la beauté et de la grandeur d’un Alexandre, des richesses d’un Philippe, de la tyrannie d’un Agathocle. César, Pompée et Crassus, chacun pour sa part, représentaient assez, ensemble, cette force imaginée, triple et une.

Édile curule (65), César avait étonné, avait ébloui les Romains par la magnificence de ses prodigalités. Aux fêtes données en mémoire de son père, 320 couples de gladiateurs avaient paru, revêtus d’armures dorées ; les cages des bêtes offertes au peuple en spectacle, d’argent massif. Gendre de Cinna et neveu de Marius, pontife, se réclamant de Vénus et d’Anchise, ses ancêtres, le charme personnel de César s’auréolait d’une origine céleste. Le peuple forgeait lui-même, au jour le jour, avec joie, avec zèle, avec passion, la légende si nécessaire à l’ambitieux. Ayant réconcilié, dans son intérêt propre, Pompée et Crassus (60), et formé cette association dont il comptait s’approprier les bénéfices, César revêtit la robe blanche des candidats, brigua et obtint le titre de consul. Cependant, en lui imposant son ennemi Bibulus comme collègue, ses adversaires osèrent l’avertir. Comme réponse à cet avertissement, et sous le prétexte de relever l’agriculture, de repeupler l’Italie, César proposa de distribuer aux pauvres les terres du Domaine public. Si l’on manque de terres, on s’en achètera ! Caton, alors, se dresse et fulmine. César fait emprisonner Caton (59). Ce jour-là, Pompée, stupide, frappé d’admiration, mit son épée au service de César. Caton, subjugué, prit part au serment que César fit plébisciter.

L’année du consulat de César étant terminée, le peuple lui donna pour cinq ans, au mépris d’un solennel sénatus-consulte, la Gaule Cisalpine, l’Illyrie et trois légions (59). Caton rugit. Mais le Sénat, intimidé, augmenta d’une quatrième légion les forces livrées à César, ajouta à la Gaule Cisalpine la Gaule Transalpine, la Gaule des Gaulois, riche, disait-on, du pillage du monde. Toute la jeunesse romaine, ébahie, était tournée vers César, ce soleil levant. Avant de quitter Rome, César s’assura que Clodius tiendrait en échec Pompée et le Sénat : Pompée, dont la sottise était toujours inquiétante ; le Sénat, capable de toutes les surprises. Surchargé de dettes, voulant surtout secouer la protection de Crassus, s’approprier dans ce but un trésor qui lui permit à la fois de s’acquitter et d’acheter Rome, en corrompant tous ceux qui y exerçaient une influence, César désirait la Gaule, si riche ! et qu’il savait facile à prendre.

Jadis très nombreux, les Gaulois, querelleurs, s’étaient combattus, s’étaient affaiblis considérablement. Il restait en Gaule environ cinq à six millions d’hommes à peine, mal équipés, guerriers chargés de boucliers lourds, ne leur laissant l’usage que d’un bras, mal instruits de l’emploi de leurs propres armes, téméraires, mais luttant à poitrine découverte... Les légionnaires auront vite raison de ces audacieux. Habiles cependant en l’art des sièges, follement courageux, d’une incomparable agilité, les Gaulois auront pour eux leur valeur personnelle, sur un sol admirablement disposé pour la défensive ; ils auront contre eux la lenteur de leurs déplacements, l’incertitude de leurs marches, l’imperfection de leur organisation guerrière, la défectuosité de leurs armes, disparates, et surtout les impedimenta de leurs attroupements, ces longs convois, ces chariots innombrables, ces femmes à la suite, ces dispersions d’approvisionnements, cette absence, en un mot, de science militaire qui les caractérise.

La Gaule (Gallia) doit se diviser en Aquitaine, au sud-ouest ; en Celtique, — Celtes ou Gaëls, — au centre, de la Garonne à la Seine et à la Marne ; en Belgique, — Belges ou Kymris, — au nord, de la Marne au Rhin. La Narbonnaise, ou Gaule Romaine, au sud-est, à part. Divisions suffisamment historiques, acceptables par conséquent. Au centre, les Celtes étaient comme pris entre les Aquitains et les Kymris ; ceux-ci, pressés par les Germains, et leur cédant la terre, cherchant à diriger vers l’Est leurs tribus trop nombreuses. Arioviste, le roi des Suèves, menant sa horde, — 120.000 hommes ? — venait de passer le Rhin, que Rome entendait constituer en frontière des Gaules. Le Sénat romain, accepté, était le maître reconnu de Genève à Toulouse, Narbonne et Aix surveillant la Gaule chevelue. — L’expédition projetée de César était donc nécessaire : Rome devait dégager les Gaulois de la pression des Germains.

Trois Nobles, à ce moment, complotaient la destruction des Communes démocratiques chez les Helvètes, les Séquanes et les Éduens. Aux rivalités de Communes s’ajoutaient des rivalités de Peuples ; de continuelles petites guerres décimaient les Gaulois. Les Éduens, menacés un instant, ayant appelé Rome à leur aide, les Arvernes et les Séquanes s’étaient aussitôt tournés vers Arioviste, accouru à leur secours avec ses Suèves. Les Éduens avaient été battus, mais Arioviste, victorieux, était resté en Gaule avec son armée, grossie huit fois d’émigrants réclamant des terres. Les Éduens et les Séquanes s’étant révoltés et ayant été de nouveau battus, Arioviste augmenta ses prétentions. Les Éduens, devenus frères et alliés de Rome, supplièrent le Sénat romain de les délivrer de cette bande d’aventuriers, de ce mélange d’envahisseurs, de ces Allmen — Alemani — presque nus, affamés, dévorant la Gaule envahie.

Les Helvètes ayant fui devant l’invasion, César arrive à Genève, poursuit les fuyards, les rejoint aux bords de la Saône et les écrase, assouvissant une vengeance de famille, écrira-t-il. Ce premier succès, retentissant, n’arrêta pas Arioviste, menant avec insolence ses bandes de cavaliers sans selle. César oblige Arioviste à repasser le Rhin (58).

Devant une levée formidable de Belges — 290.000 hommes ? — César forme deux nouvelles légions et disperse les barbares sur les bords de l’Aisne, en une seule charge de cavalerie. Ce massacre sans péril confirma César dans cette opinion juste qu’il avait eue de la facilité de ses victoires en Gaule. Seuls les Nerviens résistaient derrière la Sambre. Une légion romaine faillit périr dans l’engagement. La victoire resta aux Romains (57). Les Atuatiques, peu dangereux, ne se rendant pas, César les prend et en fait vendre 53.000. Crassus, pendant ce temps, manœuvrait entre la Seine et la Loire, sans rencontrer de résistance. La Gaule semblait déjà domptée ; la route paraissait ouverte, libre, entre la Celtique conquise et l’Italie.

César, parti, tranquille, insoucieux, était chez les Illyriens, lorsque la nouvelle lui parvint d’un soulèvement en Armorique. Il accourt aussitôt, attaque les Vénètes de Vannes, en un combat naval, sur la mer vaste et orageuse, et détruit la flotte des Armoricains. L’emploi de faux par les guerriers de Rome avait terrifié les marins gaulois. Sabinus au nord, Crassus au midi, soumettaient la Belgique et l’Aquitaine. Les Moriens et les Ambiens n’attendirent pas César pour disparaître. De la mer du Nord jusques aux Pyrénées, la Gaule était pacifiée.

En Germanie, les Suèves ayant refoulé les Usipiens et les Tenctères, ceux-ci franchirent le Rhin. César, malgré les neiges qui obstruaient le passage des Alpes, surprit les Germains envahisseurs, les accula entre la Meuse et le Rhin et les extermina. Dans ses Commentaires, le vainqueur évalue à 450.000 hommes les vaincus ? Mais l’incident avait montré que Rome ne pourrait tenir et exploiter la Gaule qu’en la garantissant des Germains et des peuples de la Grande-Bretagne. César passe donc le Rhin. Sa seule présence effraye les tribus voisines du fleuve. Cette démonstration lui paraissant suffisante, — le Rhin, ce fleuve des Gaules, suivant l’expression de Catulle, étant considéré d’ailleurs comme la limite des conquêtes romaines, — César put aller frapper les Bretons dans leur île.

Il est remarquable qu’après avoir, par sa seule présence, fait reculer les Germains, César s’appliqua désormais plutôt à les satisfaire qu’à les combattre. Il fit rebâtir par les Helvètes les villages détruits, et sa politique fut telle, en effet, que les Germains, dès lors, ne lui refusèrent plus leur concours. A Rome, la légende grossissait les monstres de Germanie ; on ne voyait que leur taille gigantesque, leurs cavaliers chevauchant sans selle des bêtes énormes, rapides, emportant, suspendus à la crinière, des fantassins cruels...

Laissant les Germains rejetés au delà du Rhin, César, pour s’assurer de la Grande-Bretagne, entreprit une guerre maritime, — guerre, dit-il, où un seul instant peut aussitôt changer l’état des choses. — Le débarquement des légionnaires fut périlleux. Les vents et la marée se prononcèrent pour les Bretons. Une tempête détruisit l’escadre armée en Espagne et qui portait la cavalerie romaine. Assaillis dans leur camp par les Bretons, et non sans rudesse, les Romains virent leur témérité ; mais là, comme en Germanie, le prestige des légions romaines s’accrut pour ainsi dire du spectacle de leur résistance ; les insulaires, quoique victorieux presque, demeurèrent un instant découragés. César profita de cette émotion pour traiter. Ayant obtenu des otages en consécration de la paix, il se retira.

César ne s’y trompait pas : son départ était une retraite ; Rome le comprit ainsi. Une seconde expédition, mieux préparée, s’imposait. Elle débuta par une franche victoire. Une effroyable tempête ayant encore détruit la flotte romaine, César se hâte, force le passage de la Tamise, malgré Cassivellaum, exige de nouveau des otages, fixe le tribut annuel, — ce qui était pour les Romains le témoignage irrécusable du succès, — et revient au continent (54). Cette expédition, aussi mal conçue que mal dirigée, ne réussit que par miracle ; l’aveu de son imprudence échappera d’ailleurs à César. De ces actes vraiment extraordinaires, et par la rapidité de leur exécution et par le mystérieux de leurs résultats, il restait cette impression grandiose qu’en cinq campagnes — car César excellait à mettre en relief ce qu’il voulait que l’on crût, — les aigles de Rome s’étaient montrées partout victorieuses, définitivement. Il se gardait de dire qu’en Germanie il avait évité le contact avec les hordes des Allmen ; qu’en Grande-Bretagne, il s’était hâté de traiter ; qu’en Gaule, aucune résistance sérieuse ne lui avait été opposée.

César tint les États de la Gaule à Samarobriva, chez les Ambiens. Il lui parut qu’une paix profonde régnait, et il dispersa ses huit légions, préférant une surveillance généralisée à l’occupation de points stratégiques. L’Éburon Ambiorix et le Trévire Indutiomar purent préparer un soulèvement, nouer des relations avec les Germains dans ce but, sans que César en eût le moindre soupçon. Une imprudence des Carnutes, impatients d’agir, réveilla le triomphateur endormi. Ambiorix, tout à coup, massacre une légion romaine et menace le camp de Q. Cicéron, pendant qu’Indutiomar, tout le peuple avec lui, marche à Labienus. La Gaule est en armes ; seuls, les Éduens et les Rèmes restent à l’écart. César, brusquement instruit par un esclave, se précipite, dégage Q. Cicéron avec 7.000 guerriers seulement, et cette victoire rapide arrête la révolte, net. La mort d’Indutiomar pendant l’action impressionna considérablement les Gaulois.

Pour connaître ses ennemis, César convoque les États. Les Sénons, les Carnutes et les Trévires refusent de venir. Leurs terres, aussitôt envahies, sont systématiquement dévastées, à titre d’exemple. Les Éburons, — que César détestait, nation criminelle, dit-il, race de brigands, — cernés avec Ambiorix, pris, sont cruellement exterminés. Et, comme Ambiorix, échappant à César, était allé mourir ignoré, mais libre, écrira Napoléon, la fureur de César s’exerça sur les vaincus. D’abominables exécutions, inutiles, épouvantèrent les Gaulois, qui en conçurent contre le bourreau une inextinguible haine. César parti, un nouveau soulèvement fut décidé. Cette fois, sur les drapeaux, sur les enseignes réunies, tous les députés jurèrent d’ex-pulser les Romains.

L’insurrection débuta chez les Carnutes par l’égorgement de tous les Romains de Genabum (Orléans). La nouvelle fut criée dans toute la Gaule, et toute la Gaule, armée, se dressa. A Gergovie, un jeune Arverne, un vercingétorix (chef) du peuple, provoqua la tenue immédiate d’un Conseil des villes confédérées. De la Garonne à la Seine on répondit à l’appel. Le plan du vercingétorix arverne fut adopté. Le chef suprême envoya son lieutenant Luctère au Sud, avec l’ordre d’envahir la Province, pendant qu’il marcherait au Nord, lui, contre les légions. Un arrêt de Vercingétorix chez les Bituriges, pour les entraîner, permit à César d’arriver à temps, de disperser les premiers ennemis rencontrés, de franchir les Cévennes couvertes de neige, de ravager le territoire des Arvernes, de repasser les montagnes et d’apparaître tout à coup au mi-lieu des légions.

Ce miracle donnant à César un grand prestige, il attaque aussitôt et prend Genabum, au milieu de la nuit, marquant son succès par un horrible carnage. Tous, à Genabum, ayant été ou tués ou vendus sur le pont, César passe la Loire et enlève Noviodunum (Nouan) aux Bituriges. Vercingétorix accouru, trop tard, ne put qu’assister aux atrocités romaines. Mais résolu, le héros des Gaules, renonçant à abattre César invincible, songe à affamer les Romains. Prêts à tout, plutôt qu’à l’esclavage, les Gaulois feront le vide devant les légions. A la monstrueuse activité, à l’horrible diligence de César, Vercingétorix opposera le sacrifice calme de la victime. Les Bituriges brûlèrent vingt de leurs villes ; d’autres peuples les imitèrent : La Gaule est en feu ! écrit César. L’incendie n’ayant pas encore atteint la capitale, Avaricum (Bourges), César s’y précipite. Le siège dura vingt-cinq jours. Tombée, Avaricum perdit tous ses défenseurs ; sur 40.000, 800 à peine échappèrent aux armes vengeresses des légions.

Au printemps (51), César dirigea Labienus contre les Sénons et les Parises, se chargeant des Arvernes. Vercingétorix repousse, ou du moins rend infructueuse l’action violente de César, qui rejoint alors Labienus. Cette fuite exalte les Éduens, qui massacrent sans pitié non seulement les recrues romaines, mais les marchands italiotes, émigrants. C’est une guerre nationale. César est inquiet. Une seule défaite serait maintenant pour lui, à Rome, une sentence de proscription. Follement, il s’enfonce au Nord, cent mille Gaulois laissés entre lui et la Province du sud.

Au Nord commande Camulogène, chef de la ligue, ayant son quartier général à Lutèce, la capitale des Parisis, — Lutèce l’audacieuse, toujours prête aux entreprises. — Labienus attaque Lutèce en vain ; il ne peut franchir les marais de la Bièvre et rétrograde jusqu’à Melodunum (Melun) pour préparer une nouvelle attaque par le Nord. Camulogène se retire sur la rive gauche de la Seine ; Labienus l’affronte, le bat, rallie César chez les Sénons. L’heure approche où les destinées du conquérant doivent s’accomplir. Toute son ambition est en jeu.

Une assemblée générale des Gaulois, à laquelle tous se rendirent, sauf les Longons, les Rèmes et les Trévires, confirma les pouvoirs de Vercingétorix. César s’était adressé aux Germains pour avoir d’eux une cavalerie. La rencontre eut lieu non loin de la Saône. Comme toujours, l’impétuosité des Gaulois, leur courage fou allaient les perdre. S’usant en bravoures inutiles, riant au danger, combattant à pied entre les chevaux, infatigables, acharnés, ayant juré sur les étendards, tous, de ne plus revoir leurs femmes ni leurs enfants s’ils ne traversaient au moins deux fois les lignes ennemies, ils exécutaient leur serment avec des cris de joie. César pouvait douter de la victoire ; son épée était aux mains des Gaulois. Mais l’héroïsme dépensé excédait les possibilités humaines ; les légionnaires avaient suffisamment résisté, confiants en eux-mêmes. Les Gaulois à bout de forces, dispersés, se retirèrent vers Alésia. Les Romains les poursuivirent jusque sous les murs de la ville.

Alésia, fondée par Hercule sur le plateau d’une colline escarpée, était réputée imprenable. Le camp gaulois, assis sur les coteaux, renfermait 80.000 fantassins et 10.000 cavaliers. César, froidement, calculait les chances d’une victoire absolument indispensable. Il constatait une fois de plus la différence de valeur militaire qui distançait les Gaulois de ses légions ; mais il avait aussi vu avec quel mépris de la vie, avec quelle impassibilité devant la mort les Gaulois défendaient leur liberté. Il résolut donc d’assiéger à la fois Alésia et le camp, et d’épouvanter les assiégés — ainsi que cela lui avait si bien réussi à Noviodunum, — par le spectacle de préparatifs formidables.

En cinq semaines, l’armée romaine — César constamment au milieu des travailleurs, revêtu de son costume de bataille, — entoura les ennemis de travaux d’attaque et de défense prodigieux : 60.000 hommes creusèrent ou construisirent trois fossés, une terrasse crénelée, palissadée de troncs d’arbre fourchus, flanquée de tours, cinq rangées de chevaux de frise, huit lignes de pieux, de pointes cachées par des branchages, de chausse-trapes armées d’aiguillons acérés. Vercingétorix, impressionné, comme César l’avait prévu, avait renvoyé sa cavalerie, comptant sur les 60.000 frères qui devaient le délivrer, l’arracher à l’inexpugnable rempart des légions.

Plusieurs fois Vercingétorix conduisit des assauts furieux contre les fortifications des assiégeants. Mais lorsque César jugea que ses ennemis, non secourus, subissaient cette crise d’abattement passager qui caractérisait les armées gauloises après chaque effort vaillant, il décida l’attaque et il la réussit. Cette victoire fut décisive. On distribua les prisonniers gaulois aux soldats. Pour apaiser son vainqueur, assouvir sa vengeance, épargner aux siens des atrocités, Vercingétorix se rendit auprès de César. Les licteurs l’emmenèrent. César, odieux, fit attendre longtemps au glorieux vaincu une mort qui lui était pourtant bien due.

Maître des Gaules, enorgueilli d’un succès problématique, César annonça lui-même son triomphe aux Romains, qui ordonnèrent vingt jours de prières publiques. Il n’osait cependant quitter le territoire conquis. A l’imitation d’Alexandre, que tout le monde craignait, mais que tout le monde chérissait, César voulait maintenant terroriser ses derniers adversaires et ramener à lui ceux qui préféreraient la paix romaine, fructueuse, à la guerre gauloise, perpétuelle.

Il poursuit et écrase les Bituriges, ravageant et incendiant leur territoire, il massacre les Bellovaques, épouvante les Belges, rejette encore Ambiorix au delà du Rhin, réclame des otages aux Armoricains, sème l’effroi entre la Loire et la Garonne, affame les Cadurques retranchés à Uxellodunum, fait fouetter de verges jusqu’à la mort le brave Gutruat pris, et lorsque les Cadurques se soumettent, il leur fait trancher les mains, afin que, leur ayant accordé la vie, ils demeurent comme les témoignages vivants du châtiment réservé aux ennemis de Rome.

César laissait une Gaule dévastée et rançonnée (50). Il écrira que pour faire oublier leur défaite aux Gaulois, il ne voulut les frapper d’aucun impôt onéreux, d’aucune vexation, mais seulement d’un tribut de 40 millions de sesterces, laissant aux villes leur gouvernement, faisant ainsi de la Gaule une cliente de Rome ; il ne dit pas les trésors publics et privés dont il s’était personnellement emparé pour acheter les Romains, pour payer Rome, sa convoitise.