Le Christianisme (de 67 av. J.-C. à 117 ap. J.-C.)

 

CHAPITRE IV

 

 

Gouvernement. - L’Italie et les Provinces. - La politique romaine. - Finances. - Agriculture. - Distribution de la richesse. - Banquiers. - Riches et pauvres. - Dépopulation. - Aristocratie, bourgeoisie, plèbe. - Forum et Sénat. - Justice. - Insécurité. - Le Droit. - Orateurs. - Éloquence. - Rome, Jérusalem et Alexandrie. - Monothéisme et monarchie.

 

POUR abuser du Pouvoir, les ambitieux favorisaient le dérèglement des mœurs. La politique égoïste des Grands s’accommodait particulièrement de la corruption de la jeunesse, tandis que les dominateurs du peuple travaillaient sans relâche à l’avilissement des Petits.

Pendant que Rome, dans l’illusion d’un enrichissement perpétuel, dilapidait ses trésors factices, l’Italie, lentement, se dépeuplait, s’appauvrissait, se divisait. Les Toscans-Étrusques méprisaient les Romains, qu’ils considéraient comme des élèves abominablement ingrats ; les Romains haïssaient les Toscans ; les Napolitains-Hellènes détestaient Rome, en même temps qu’ils rappelaient les Toscans à la modestie en leur disant que la civilisation des Étrusques était toute grecque.

Hors de l’Italie, les provinces n’étaient, et on l’avouait avec cynisme, que des champs d’exploitation qu’on ravageait ouvertement. Voyageant comme des satrapes, les gouverneurs arrivaient dans leurs États sur une litière à huit porteurs, appuyés de coussins en dentelles de Malte, couverts de roses effeuillées, couronnés de fleurs à la tête et au cou, puis, installés, véritables Orientaux, organisaient puissamment leur despotisme. Les injures, les rapts, les vols, les concussions et les assassinats étaient les moyens ordinaires du gouvernement des provinces. L’inégalité la plus monstrueuse y présidait à la taxation et à la perception des impôts ; une persécution individuelle, odieuse, y répondait de la soumission de tous ; car on ne pouvait en appeler qu’à Rome des exactions des gouverneurs, et le voyage, pour les plaignants, était presque impossible. Il fallait que les provinces conquises payassent le luxe de Rome, tout entier, quelque absurde qu’il fût. En Sicile, plus de la moitié des propriétaires du sol cessèrent d’ensemencer leurs biens, les prétentions du gouverneur ayant dépassé la possibilité de la production terrienne.

La situation des États clients était pire, les monarques conservés y prélevant à leur tour, après Rome, la part du maître. C’était partout une sorte d’épuisement organisé, un assèchement méthodique de toutes les sources. L’enrichissement était devenu l’unique but des Romains. On pillait les provinces suivant le système des affaires, c’est-à-dire sans rien laisser pour le lendemain. A Rome, la suppression de toute pudeur morale, la disparition de la honte, ce frein essentiellement aryen, explique tout. La honte se supporte plus facilement que le mal, dit tout naturellement, comme une vérité simple, le Ballion de Plaute.

Malhonnête, conduite au jour le jour à coups d’intrigues et de force, la Politique était une lutte tantôt sourde et lâche, tantôt bruyante et audacieuse, de traîtres et de bandits se disputant et s’arrachant des dépouilles. Aucun patriotisme. On conçoit ce que devaient être les Finances de la République sous un tel régime. L’absence de crédit — cette redoutable tentation, dont les complaisances fatales ne furent peut-être même pas soupçonnées à Rome, — limita, relativement, les effets de l’imprévoyance. Ébloui par le butin d’argent que lui valait la conquête de la Macédoine, le Sénat, croyant qu’il en serait ainsi toujours, décréta que les citoyens ne paieraient plus d’impôts. Pour combattre l’envahissante vénalité des fonctionnaires, et — singulier moyen, — pour exonérer l’État de la responsabilité morale de ce mal chronique, on mit les charges à l’encan. Le dérèglement des dépenses et le désordre administratif menaient sûrement aux catastrophes.

Nul ne s’imaginait que la pratique, consacrée, des distributions de blé au peuple, — cette récompense de la fainéantise, dit Salluste, — constituait une injustice insultante envers les vétérans qui se mouraient de misère en Italie, créait un danger pour la République, en entretenant dans Rome l’armée de la révolution, en ruinant le Trésor public. C’était, au fond, l’idée aryenne de charité communale, — qu’Athènes appliqua la première, — par laquelle l’État devait se charger d’assurer la vie aux citoyens nécessiteux ; mais appliquée à la romaine, l’idée grecque se traduisit en dilapidation, en paiement de services à rendre, en prérogative gouvernementale, ce qui en fit un moyen de menace et de corruption. La dépense de la distribution des grains à Rome atteindra au cinquième des revenus totaux de l’État.

Livrée aux esclaves et aux affranchis, arrachée à ses travailleurs véritables, la terre italique refusait ses dons à ceux qui la servaient mal, qui la torturaient. La rouille ennemie ternissait l’éclat des charrues, le sol abandonné se desséchait, restitué à la poudreuse Cérès, ou se laissait envahir par les marécages. Toute l’agriculture se résuma bientôt, forcément, à l’élève du bétail. Le dédain contagieux du travail des champs, la misère furieuse des campagnards, le développement des marais, l’air irrespirable des environs de Rome, firent affluer dans la Cité une populace affamée, exigeante, ingouvernable.

Chaque Maison, dans l’aristocratie, ayant son personnel d’esclaves attitré à des métiers divers, ces manufactures domestiques empêchèrent toute formation d’industries. Les seuls ouvriers, dans le sens moderne du mot, étaient les assassins ; la seule industrie indépendante, le meurtre professionnel pratiqué. Il semblait que les troupeaux de bœufs, se multipliant, pourvoiraient toujours à l’alimentation des Romains, et que c’était une agriculture normale ; que l’immigration, continuellement croissante, des paysans et des étrangers dans Rome témoignait de la prospérité de la Cité. On use des bœufs, on consume des hommes, dit Lucrèce, et à peine suffisent-ils à la terre paresseuse : Tous les fruits dépérissent ! Et Rome souffrira davantage de l’enrichissement de sa noblesse que de l’appauvrissement de ses citoyens.

Il n’y avait plus aucune relation juste entre l’évaluation des choses. Des futilités atteignaient des prix exorbitants ; des villas bâties comme lieux de repos devenaient aussi grandes que des villes. La disproportion des valeurs provenait de l’accumulation désastreuse des capitaux inutilisés. Parce que le taux d’intérêt de l’argent descendit à six pour cent, on crut que l’on pouvait puiser à pleines mains dans les épargnes, dépenser sans mesure, spéculer. Une déplorable répartition des richesses ruinait la masse, pendant qu’elle autorisait l’essai exceptionnel de réalisations fabuleuses, insensées.

Réduit à la mendicité, dans Rome, le peuple se vendait aux comices, au Forum ; les soldats, comme leurs chefs, ne songeaient plus qu’à trafiquer de leur sang, de leur vie. Le chef ne doit pas seulement ordonner la victoire, il est tenu d’assurer l’avenir matériel de ses compagnons d’armes ; maintenant le légionnaire réfléchit, calcule, compare, veut son métier lucratif. Après la prise de Tigranocerte, Lucullus donne 800 drachmes à chacun de ses soldats, qui refusent de continuer la guerre, ne voulant pas risquer la perte du bénéfice réalisé. Mais les fortunes « scandaleuses », flagrantes, ne devaient pas résister longtemps, car les prodigues étaient guettés par les Banquiers calmes et froids qui livraient ou retenaient l’argent, préparant ainsi tranquillement la ruine romaine, totale. Par ostentation chez les Grands, par nécessité chez les Politiques, les dettes s’accumulaient, formidables.

Ceux qui ne participaient pas aux distributions de butins, aux bénéfices des conquêtes, qui gagnaient ou hasardaient encore leur pécule dans les trafics, les industries ou les affermages de biens ruraux, subissaient, grâce à la dépréciation de l’argent qui ruisselait à Rome, les exigences d’une vénalité que l’effronterie des concussionnaires régularisait ; tandis que les prêts à usure achevaient la misère des derniers marchands, industriels ou agriculteurs, et surtout celle des jeunes patriciens : J’avoue qu’il a affranchi une courtisane, qu’il a emprunté de l’argent à usure et qu’il l’a mangé ; j’en conviens ; mais qu’a-t-il fait que ne fassent les fils de bonne maison ?

La richesse et la pauvreté exerçaient donc au même degré leurs ravages. Ceux que les bénéfices de la guerre enrichissaient, dépensaient leurs biens sans compter, déséquilibraient les relations économiques ; ceux que la misère tenaillait, s’abandonnaient, pour vivre, à toutes les ignominies. « Un revenu sans proportion avec nos besoins, dit Horace, c’est une chaussure trop grande ou trop petite ; elle nous fait choir ou nous blesse. » La chute de Rome est ainsi bien simplement expliquée, en quelques mots. Comme jamais peuple n’abusa plus que les Romains de ses esclaves et de ses captifs, on conçoit la rapidité avec laquelle Rome enrichie s’éloigna du fait républicain. D’un côté les riches, avec le mépris profond et raisonné du pauvre ; de l’autre, les pauvres, avec l’envie perpétuelle et passionnée des biens du riche.

Dans cette confusion, l’aristocratie intimidait encore le peuple, et par son passé, et par ses allures. Très lâches, les nobles n’osaient pas trop montrer leur pouvoir, tout en l’exerçant, et c’est par des intrigues, des cabales, des infamies, des crimes, qu’ils reculaient l’inévitable révolte des plébéiens. Dans cette politique, les femmes, maintenant émancipées, jouaient un rôle parfois prépondérant ; elles intervenaient, — la ténacité romaine centuplée par leur charme ou par leur argent, — et devenaient les âmes ardentes des coteries : On subit des consuls désignés dans les alcôves. Quelques patriciens seulement gouvernaient ; les autres, soumis ou achetés, obéissaient à l’oligarchie maîtresse de Rome. Au Sénat, les sénateurs demeuraient muets, semblables à des statues.

La bourgeoisie n’existait plus ; il n’y avait pour ainsi dire pas de classe intermédiaire entre le misérable et l’enrichi. La perte de l’agriculture, l’accaparement des petites propriétés rurales, la continuité des guerres décimant les citoyens enrôlés, la multiplication des esclaves ouvriers et industriels, avaient détruit peu à peu, par la mort violente ou l’impossibilité de vivre, le vrai fond romain. La nécessité de la richesse dans le gouvernement, unique supériorité visible, fit que le Sénat ne s’ouvrit plus qu’aux riches. On en expulsa les derniers pauvres, ceux qui, en s’obstinant à y demeurer, ajoutaient l’impudence à la pauvreté ; et ce fut la sentine dont parle Varron, qu’il oppose d’ailleurs au Forum où grouille une plèbe immonde, une porcherie. Là, en effet, menaçant et affamé, ayant pour le mal relevé par l’audace et l’originalité l’encourageante curiosité des intelligences oisives et dépravées, le peuple appelle, choisit et acclame ses maîtres d’un quart d’heure, n’ayant obtenu cette maîtrise qu’au prix des plus honteuses humiliations.

Les misérables parleurs, dont la faconde payée recrutait des suffrages aux ambitieux, exerçaient leur métier autour du Forum, dans les cabarets, en de mauvais lieux, et venaient ensuite, multipliés, montrer les résultats de leurs basses œuvres : Tu as ta campagne à Tibur et ta basse-cour sur le mont Palatin, dit Glaucus à Metellus. Tout se vendait, les grades et les votes, les serments, et les parjures, l’amitié et l’amour, la liberté et la patrie, la justice surtout. Les tribunaux étaient assujettis à la peur ; on n’osa bientôt plus condamner les pauvres, quand la populace parut surveiller les magistrats. Ceux-ci, pris entre leur lâcheté et leur corruption, allaient de la complaisance la plus molle à la sévérité la plus rude, compensant leurs faiblesses scandaleuses par d’abominables arrêts. Pour les ennemis de l’État, la torture était le moyen ordinaire d’instruction : C’est l’excès de la douleur, dit Cicéron, qui contraint les hommes à dire ce qu’ils savent.

On trafiquait des jugements criminels et civils comme des missions diplomatiques, des batailles et des conquêtes. On vit, en Syrie, le général Gabinius se donner en location, lui et son armée, à Ptolémée Aulète, le rétablir sur son trône en exécution du marché traité, lui vendre ensuite la moitié des troupes romaines. On entendit, à Rome même, des consuls appuyer un jugement rendu en affirmant l’existence de lois qui n’avaient jamais été promulguées, et des augures, payés pour cela, rendre compte de séances qui n’avaient pas eu lieu. Gabinius fut accusé, il est vrai, d’avoir trafiqué des armes romaines, et il s’entendit condamner malgré la plaidoirie de Cicéron ; mais il demeura notoire que Gabinius ne perdit son procès que parce qu’il avait lésiné avec ses juges.

La peur, qui amenait parfois les juges à favoriser les pauvres aux dépens des riches, à frapper ces derniers de sentences partiales et rigoureuses, obligeait les riches à se préoccuper sans cesse des tribunaux, à négocier avec eux, au préalable, le prix de leur acquittement. Une industrie s’était formée, qui consistait à calomnier les riches et les Grands, à ameuter le peuple contre les fortunes acquises ou les ambitions satisfaites, à faire payer aux heureux la paisible jouissance de leurs succès ; l’infâme métier de calomniateur devint lucratif. L’incertitude et la rigueur des sentences, la vénalité et la cruauté des juges, la méchanceté du peuple et le talent des accusateurs, justifiaient toutes les craintes. On qualifiait tel tribunal de salle à manger. — N’a de risque à courir, dit un personnage de comédie, que celui dont on peut tirer pied ou aile.

De l’insupportable insécurité résulta le besoin d’un droit écrit, où l’on pût au moins prévoir, pour les éviter, les dangers possibles. En attendant, nulle loi n’était respectée, ni en haut, ni en bas ; tout dépendait de la disposition des juges et de la réputation ou du talent du plaideur, de l’avocat. Des crimes imaginés par un accusateur habile, ou influent, valaient d’atroces condamnations, imméritées. Il n’est rien, écrit fièrement Cicéron, de si incroyable que la parole ne sache rendre probable ; rien de si affreux et si inculte que l’éloquence ne fasse briller. De même qu’un droit écrit allait résulter de cette terreur judiciaire, ainsi l’idée de récusation, que les Grecs avaient ignorée, vint à l’esprit des Romains, forcément.

La justice étant un piège public, les tribunaux devenant un champ de bataille, les orateurs judiciaires se formèrent en armée, d’attaque et de défense, organisée. Les avocats célèbres, très recherchés, acceptaient de plaider plusieurs causes ; des accusés se faisaient défendre par plusieurs avocats, afin d’étaler devant les juges plusieurs influences. A côté des avocats, il y eut les laudatores, qui prononçaient le panégyrique de leurs clients, et pour intimider le tribunal, des amis signifiaient aux juges, par leur seule présence auprès de leur client, les conséquences probables des condamnations, en inimitiés redoutables. Toute notion du juste était perdue ; le juge ne faisait plus de différence entre la preuve et l’opinion ; les avocats, bavards et ingénieux, portaient les derniers coups à la justice.

Trop occupés, les orateurs judiciaires négligeaient la loi, ne recherchaient que les meilleurs effets oratoires. La brièveté des Douze Tables, la diversité des lois nouvelles, l’obscurité et la contradiction des formules de la procédure romaine, provoquèrent le groupement d’une catégorie d’hommes que l’on consultait, qui expliquaient les textes, qui donnaient leur avis ; les réponses de ces jurisconsultes, collectionnées, préparèrent le Droit romain. Les orateurs se servaient de ces documents, recueillis, en les adaptant aux circonstances, les dénaturant aux oreilles des juges, quand ils ne les avaient pas commandés, ou dictés, pour les besoins de leur cause. C’était une dégradation nouvelle de la justice, un nouveau moyen d’intrigues et de corruptions.

L’importance des orateurs judiciaires devait nécessairement les arracher aux tribunaux, les diriger vers les mandats publics, exciter leurs ambitions. La politique dominant tout, le Barreau romain subit son attrait ; les plaidoiries et les sentences devinrent des incidents de la vie publique. Les questions de partis se débattirent jusque dans les procès civils. Il parut bientôt ridicule de s’adresser aux tribunaux pour le simple redressement d’un tort ; les avocats, à propos de tout, presque, tranchaient une question d’État, se posaient en politiciens, briguaient les suffrages du peuple. Les décisions des tribunaux étaient en effet conformes, toujours, maintenant, aux aspirations du parti au pouvoir ; les contradictions judiciaires n’étonnaient plus.

L’éloquence était l’art par excellence ; de l’orateur tout dépendait. Démosthène était un exemple, un modèle, une justification. Plus tard, trop tard, Cicéron lui-même reconnaîtra qu’instruire dans l’art de la parole des hommes dépourvus de vertus, ce n’est pas former des orateurs, c’est armer des furieux. Les furieux réunissant le talent d’agir et le talent de parler ne manquèrent pas aux Romains. Les Siciliens disputeurs et subtils se laissèrent distancer par les énergumènes et les démagogues. La profonde ignorance des Romains les livrait au Minotaure éloquent. Grâce aux affranchis, uniques éducateurs, — parmi lesquels beaucoup de Grecs de Corinthe et d’Asiatiques de Phénicie, — toute la jeunesse romaine fut livrée aux bavards.

Rome subissait donc le sort d’Athènes ; des hommes de race étrangère l’encombraient. Pleine de Phéniciens, de Juifs, venus comme trafiquants et, sans concurrence, restés dans la Cité, y pullulant, Rome sera comme une Jérusalem nouvelle. Le Talmud affirmera que la cité de Romulus fut fondée sur un banc de sable résultant d’une tige plantée aux bords du Tibre par l’archange Michel au temps de Salomon, et que les deux premiers faubourgs de la Cité furent bâtis au moment même où Jéroboam érigeait les deux veaux d’or. Ce parallélisme est au moins instructif. Dans la plèbe, à Rome, les Grecs et les Juifs l’emportaient, en nombre, — ardents et braillards, — sur ceux qui disposaient du droit de vote. Les ports d’Ostie, de Puteoli et de Brundisium déversaient chaque jour, pour ainsi dire, comme un flot d’invasion renouvelé : Syriens, Phrygiens, Hellènes, Maures, Libyens, Gètes, Ibères, Celtes et Germains. Les Hellènes et les Juifs dominaient, certainement. L’ambubaia syrienne — la joueuse de flûte, — menait à sa suite, plus spécialement, les Asiates et les Égyptiens.

Par les déprédations de ses gouverneurs, par l’arrogance de ses mandataires de tout rang, Rome se faisait haïr autant que redouter au dehors ; dans la Cité, et aux environs de la Cité, et en Italie, le spectacle habituel, devenu normal, de la vénalité des juges, de la lâcheté des princes et de l’ingratitude de la populace, éloignait jusqu’aux alliés les plus condescendants. Rome avait la prétention d’exploiter l’univers ; dans la Cité, les Romains s’exploitaient eux-mêmes. Depuis Sylla, Rome est aux enchères, sinon au plus hardi preneur ; la République, en fait, n’existe plus. La liberté a disparu, dit Cicéron, la foi a disparu, l’amitié a disparu, la République a disparu.