Les Barbares (de 117 à 395 ap. J.-C.)

 

CHAPITRE XVIII

 

 

DE 321 à 353. - Constantin maître de l’Empire. - Hormisdas chrétien. - L’Église et l’Empire. - Concile et Symbole de Nicée : Credo. - Byzance. - Inauguration de Constantinople. - La politique impériale et l’Église. - Mort de Constantin, baptisé. - École d’Athènes. - Athanase et Arius. - Christianisme égyptien. - Appel au bras séculier et excommunication. - L’héritage de Constantin : Constantin II, Constant, Dalmace et Annibalien. - Guerre aux Perses. - Magnence, Népotianus et Vétranion, usurpateurs. - Constance empereur unique

 

CONSTANTIN étant le maître de l’Empire, le frère aîné de Sapor II, — Hormisdas, — fugitif, se rendit à la cour de l’empereur et se fit baptiser, pendant que le Roi des rois continuait à persécuter les Chrétiens perses. Constantin voyait se réaliser la prédiction de sa mère ; car il était à la fois le successeur des Césars et le chef de la religion nouvelle. Sa mère, en lui montrant la Macédoine, la Thrace, l’Asie Mineure et la Syrie peuplées de Chrétiens, lui avait pour ainsi dire marqué l’Empire que sa conversion lui assurerait. Il travaillait maintenant à subordonner l’Église à sa volonté, et son ambition dépassait très largement le rêve maternel. Cependant, l’idée première d’un Empire d’Orient principal ne cessait de le hanter ; Nicée devait être le centre de cet Empire. C’est à Nicée que Constantin voulut, en même temps, prouver la puissance chrétienne et établir la suprématie protectrice de l’Empereur.

Constantin convoqua donc à Nicée de Bithynie un concile œcuménique pour juger Arius, ce prêtre d’Alexandrie qui niait la divinité de Jésus-Christ, soutenant que la substance du Verbe n’était pas identique à celle de Dieu, mais analogue, et qui s’attaquait au mystère de la Trinité. Le même concile réglerait la question de la détermination de la pâque.

Des évêques, des prêtres et des diacres, au nombre de trois cent dix-huit, répondirent à la convocation de Constantin. Présidé par l’évêque de Cordoue, au nom du pape Silvestre, le concile de Nicée (325) prononça la condamnation d’Arius, rédigea un credo — ou Symbole de la foi — qui affirmait l’unité du Dieu tout-puissant, créateur de toutes choses, Jésus-Christ fils unique de Dieu, engendré du Père et consubstantiel au Père, incarné, fait homme, mort et ressuscité... Et quant à ceux qui disent : Il y a eu un temps où Jésus-Christ n’était pas, ou qui prétendent que le fils de Dieu est d’une autre substance, la Sainte Église catholique leur crie : Anathème !

L’Évangile de Jean avait servi de base à la discussion ; on y trouva la formule de la consubstantialité du Père et du Fils, du Dieu-homme. C’était non seulement condamner Arius, mais aussi consacrer la rupture définitive avec les sectes bouddhiques, déjà éloignées du Christianisme par la promesse d’un retour glorieux du même Christ, idée contraire aux incarnations futures et successives des Sauveurs.

Le concile avait fixé le jour de Pâque au dimanche qui suivait la pleine lune la plus rapprochée de l’équinoxe du printemps, et il avait arrêté le texte de 20 canons, ou règles, de discipline ecclésiastique, véritable constitution du clergé. Le calendrier d’après lequel on avait fixé la date de la fête pascale — d’où devait se déterminer la célébration de toutes les fêtes mobiles, — étant fautif, et les canons promulgués, discutables, ayant trop réglementé, trop légalisé, les actes du concile préparèrent des divergences, des discussions, des révoltes, des schismes. L’empereur Constantin crut affirmer son omnipotence en sanctionnant avec solennité le Symbole de Nicée, en menaçant d’exil les évêques qui refuseraient de l’accepter textuellement.

L’évêque de Rome déjoua, au concile, les intentions politiques de l’empereur, en y obtenant pour lui-même — ce que l’empereur n’avait pas prévu, — une suprématie qui l’arrachait à la subordination impériale : En décrétant, en effet, que tous les livres ariens seraient brûlés, et en frappant d’un impôt de capitation décuple les partisans du sectaire Arius, Constantin, qui croyait montrer combien les destinées du Christianisme orthodoxe dépendaient de lui, apparut, au contraire, comme l’exécuteur des volontés de Dieu exprimées par les évêques réunis. D’un autre côté, et pour ainsi dire dans un même ordre d’idées fausses, l’empereur consommait une autre erreur politique, en abandonnant Rome pour résider à Byzance, parce que les populations du Bosphore devaient être fidèles à l’Empire, pensait-il : la menacé des Barbares troublant les trafics, assurant le concours des Byzantins.

Byzance, admirablement située, au double point de vue stratégique et commercial, était, comme jadis Alexandrie d’Égypte, le nœud de jonction de l’Europe et de l’Asie, et l’Empereur ne se trompait pas quant au choix d’une capitale défensive, car dix siècles de résistances lui donnèrent raison ; mais il ne vit pas qu’avec Rome il livrait l’Europe aux Barbares, aux Barbares chrétiens, et qu’il reléguait l’Empire en Asie.

Inaugurée en 326, la Nouvelle Rome fut consacrée en 330 comme capitale de l’Empire. Constantin y installa aussitôt un sénat, des tribus, des curies, y édifia un capitole — paradoxal, puisque sans divinités, — y fit construire en hâte, magnifiquement, un palais, des thermes, des portiques, dresser un miliaire d’or, bâtir onze églises, magnifiquement.

La copié de Rome eut les sept collines, la ville sectionnée en quatorze régions ; des importations de céréales, de marbres sculptés et de statues y furent le premier trafic. Rome envoya à Byzance l’unique produit de son industrie : une noblesse débauchée, des courtisans corrupteurs, tout un monde bariolé d’histrions, de cochers et de courtisanes. Une prodigalité de distributions gratuites montra bien que Constantinople prenait la suite de Rome, entière.

Continuant Dioclétien — qui avait imité les despotes asiatiques, — Constantin divisa l’Empire en 4 préfectures ; les préfectures, en 14 diocèses renfermant 119 provinces. La préfecture d’Orient comptait 6 diocèses : Orient, Égypte, Asie, Vicariat, Pont, Thrace, — 49 provinces ; la préfecture d’Illyrie, 2 diocèses : Macédoine, Dacie, — 11 provinces ; la préfecture d’Italie, 3 diocèses : Italie, Illyrie, Afrique, — 30 provinces ; la préfecture des Gaules, 3 diocèses : Espagne, Gaule, Bretagne, — 29 provinces. Des préfets du prétoire, investis de tous les pouvoirs civils, délégués, administraient les préfectures ; les vicaires, subordonnés aux préfets, administraient les diocèses ; les provinces étaient surveillées par des proconsuls, des consulaires, des correcteurs et des présidents, obéissant aux vicaires. Un généralissime commandait seul l’armée impériale, cavalerie et infanterie — séparées par une précaution soupçonneuse de l’empereur, — et dont les chefs n’exerçaient leur autorité que par l’intermédiaire de comtes et de ducs subordonnés.

Le démembrement de l’Empire et l’affaiblissement de l’armée résultèrent de cette organisation. Ici encore, la politique décevante de Constantin, médiocre, disloquait en croyant répartir. L’armée active, presque entièrement composée de Barbares, conservant leurs enseignes, ayant des stratèges de leur nationalité, — Constantin se méfiant des légions romaines, diminuées, réduites à 1.500 hommes, internées dans les villes, — gardait l’Empire aux frontières ; et le pouvoir civil l’emportait sur le pouvoir militaire systématiquement diminué. Les chefs de soldats n’avaient que le dernier rang dans la noblesse créée par l’empereur. Le légionnaire, mal recruté, était aussitôt marqué au bras d’un stigmate indélébile, humiliant comme l’esclave ayant subi une condamnation, voleur ou fugitif.

La cour, tout asiatique, encombrée d’officiers, — la personne sacrée du prince conseillée par sept ministres, deux consuls annuels rappelant encore la tradition romaine, le patriciat strictement viager, — n’était occupée que de préséances, les usurpations de titres poursuivies comme de graves délits. L’anoblissement, individuel, dépendait de la volonté du monarque. La divine hiérarchie, vaniteuse et bruyante, n’apportait donc aucune force au gouvernement despotique de l’empereur. Mais les dépenses de cette cour, luxueuse et sotte, épuisant le trésor, les impôts nécessaires toujours augmentés, et toujours insuffisants, ruinaient les provinces. Les relations entre les contribuables et le fisc constituaient un état de guerre, la ruse déjouant la violence. Les frais de perception atteignirent au quart de la recette. Les propriétaires, traqués, ne songeant qu’à s’enfuir, les colons barbares attachés à l’exploitation de la terre leur succédaient, de fait.

Pour obvier à ce dépeuplement, au départ des curiales et des décurions, tous ceux qui possédaient au moins 25 jugera de terre furent déclarés associés dans une corporation héréditaire, liés à leur propriété solidairement. Cette réglementation assurait mathématiquement la ruine finale de l’Empire ; elle faisait ressortir la supériorité du principe égalitaire, d’équitable gouvernement prêché par l’Église. L’œuvre de Constantin, dès lors, Était providentielle, car elle hâtait le triomphe du Christianisme : Dieu, écrira saint Augustin, lui a accordé de fonder Constantinople, compagne de l’Empire, fille de Rome, où les démons n’ont ni temple, ni idole. Constantinople, en sus, n’aura bientôt ni sujets, ni soldats. Constantin dut traiter avec les Barbares goths pour obtenir d’eux une armée de 40.000 hommes ; ce sont ces fédérés que l’on retrouvera au service de l’Empire, en même nombre et sous le même nom, au temps de Jornandès.

Les privilèges octroyés au clergé catholique — libre d’impôts, ainsi que les professeurs et les médecins, — et les donations continuelles de Constantin à l’Église, accrurent la misère générale, pendant que les colons, attachés à la glèbe, exemptés du service militaire, devenaient indifférents aux destinées de l’Empire. Constantin copiait Mithridate, qui avait façonné la royauté du Bosphore sur le modèle de la royauté perse ; l’évêque de Rome, dans la cité vide, dépouillée au profit de la Rome nouvelle, était, aux yeux du monde, le véritable successeur des Césars.

Constantin ne tarda pas à voir sa méprise, à soupçonner l’évêque de Rome, à s’irriter de l’influence du pape, à prendre ombrage du pouvoir, étendu, incontesté, qu’exerçait l’Église. Il rappela Arius, qu’il avait exilé après le concile de Nicée, et il le protégea contre les accusations de l’évêque orthodoxe d’Alexandrie, Athanase. Il se repentait sans doute d’avoir enrichi l’Église du Christ. Il défendit (326) d’élire prêtre un curiale, parce qu’il faut, dit-il, que les riches portent les charges du siècle et que les pauvres soient nourris des biens de l’Église ; singulier avertissement au peuple, insolente leçon aux évêques.

Le siège de l’Église d’Antioche, rendu aux disciples d’Arius, sera occupé par des évêques ariens pendant trente années (de 331 à 361). Ouvertement, l’empereur chrétien se faisait instruire des doctrines manichéennes et autres, par Musonien. L’Église s’apercevait mainte nant des dangers d’une tutelle politique fatalement précaire, capricieuse, exigeante ; mais les Chrétiens partageaient cette superstition, que la fin du monde, avec les calamités qui devaient en être les avant-coureurs, ne serait retardée que par le cours de l’Empire, et nul n’aurait osé toucher de sa main, pour le renverser, à l’édifice vacillant. C’est là d’ailleurs la raison que donna Tertullien des prières que les Chrétiens adressaient à Dieu pour l’Empereur.

Les tragédies sanglantes du palais impérial prenaient, dans l’histoire, l’importance de l’établissement du Christianisme et de la réorganisation administrative de l’Empire. L’empereur avait fait mettre à mort son fils Crispus, l’impératrice Fausta et le jeune Licinius ; l’accusation de ces meurtres poursuivait déjà son nom, lui vivant, avec l’âpreté d’une vengeance posthume ; il voulut en être absous, afin que rien ne restât de ce qui pouvait ternir sa Moire. Son traité avec Sapor II pour l’adoucissement du sort des Chrétiens en Perse, ses deux expéditions heureuses contre les Goths et les Sarmates (332), la journée mémorable où il avait amené le Roi des rois à lui demander la paix, après avoir impérieusement réclamé les provinces transtigritanes, tout cela risquait de s’effacer au souvenir de ses crimes. Il mourut donc baptisé et absous par Eusèbe, près de Nicomédie (337), après avoir rappelé d’exil l’évêque Athanase, à titre de démonstration. L’hérésiarque Arius était mort depuis quelques mois (336).

Constantin laissait la réputation d’un monarque admirablement aidé par les circonstances et dont la duplicité politique dénatura les intentions. Il ne bénéficia d’aucun de ses succès, parce qu’il entendit les exploiter trop, en prévit mal les conséquences. Fondateur d’un Christianisme glorieux, il ne donna cependant à l’histoire que la figure étrange d’une sorte de Chrétien malgré lui, comblant l’Église outre mesure de privilèges et de richesses, sans que l’Église en pût concevoir, véritablement, une étroite obligation de reconnaissance. S’il demanda et reçut le baptême — constatation inouïe de la puissance du clergé catholique ! — c’est qu’il voulut seulement obtenir l’absolution de ses péchés, racheter ses crimes, avant de comparaître devant Dieu, et on ne lui sut aucun gré de ce témoignage de foi. Il avait enfin restauré l’Empire, et l’on attribua précisément à cette réorganisation même le terme fatal du gouvernement impérial. Constantin fut un prince audacieux et favorisé, d’intelligence courte.

Il soutint l’hérésie d’Arius, un instant, pour susciter des obstacles au Catholicisme envahissant, dont l’ascension trop rapide l’offusquait, et dans cette lutte le Christianisme puisa des forces nouvelles, affina son esprit de controverse au contact des hellénistes intervenus. Les conciles de Césarée et de Jérusalem, sanctionnant les formules d’Arius pour complaire à l’empereur, n’avaient formulé qu’une profession de foi équivoque ; le concile de Nicée, courageux, catégorique, y gagna par comparaison un éclat singulier. Certes, l’Église, et longtemps, souffrit du trouble apporté par l’arianisme, — car ce fut le christianisme des Barbares, — du moins cette hérésie servit de thème sérieux aux disputes jusqu’alors oiseuses, obligeant les Pères à résoudre gravement les questions posées. Pour en arriver à faire qualifier l’arianisme de superstition de vieille femme, suivant l’ironique définition d’Ammien Marcellin, il fallut que l’Église triomphante rentrât dans l’arène, y combattît autrement que par l’héroïque et silencieuse abnégation des martyrs. C’est donc encore Constantin que l’on surprend ici en pleine maladresse active.

Un autre service, inappréciable, que rendit Constantin au Christianisme maître de Rome, ce fut de le débarrasser, en les attirant à Constantinople, — troisième métropole de la littérature grecque, — des hellénistes alexandrins, tout prêts à faire mépriser l’art d’écrire, par la vulgarité de leur caractère et la mièvrerie de leur littérature. Cet esprit si propre aux notions les plus élevées et les plus abstraites, dira de Julien, avec une importance documentaire, le naïf et sincère Ammien, savait cependant descendre aux spéculations d’un ordre secondaire : il aimait la poésie et la littérature ! Telle est bien l’impression qu’éprouvaient les fréquentants de l’antique colonie athénienne, Byzance.

C’est d’Athènes — dont l’antique réputation subsistait, et qui faisait école, — c’est de l’Achaïe, de la Grèce et de la Laconie, pour employer les termes de la division hellénique nouvelle, que l’on recevait toutes les sciences. — En Achaïe, dit un contemporain, venu d’Égypte en Hellénie pour y trafiquer, en Achaïe on est savant, mais le pays est dépourvu de toute autre qualité ; Corinthe a un fort commerce et un beau monument, l’Amphithéâtre ; Athènes a son passé et un édifice remarquable, l’Acropole.

L’école d’Athènes, d’enseignement oral, combattait pour le polythéisme, mais avec une large liberté d’esprit, un scepticisme maître de soi, une tolérance sans limites. On y professait qu’en matière de religion la variété nourrissait et développait la piété, tandis que l’exclusivisme stérilisait la pensée. L’accord de toutes les opinions, dit Thémistius, ce rêve des hommes ignorants, ne peut que déplaire à Dieu. Et se réclamant des droits de la Raison, le dernier des Grecs affirmait que Dieu ne demandait pas à tous le même culte, voulait que chacun le méritât par sa propre intelligence et non par l’intelligence d’un autre. Byzance, en communion de philosophie avec Athènes, goûtait cet éclectisme, se l’appropriait volontiers.

La lutte d’Athanase, l’évêque orthodoxe d’Alexandrie, contre Arius, avait rendu à l’Égypte un peu de son ancienne renommée. Très persécuté, plusieurs fois arraché de son siège, chassé, puis rappelé, Athanase semblait résumer en soi toutes les décisions vivantes du concile de Nicée. Cependant, le christianisme égyptien n’eût guère été capable de l’emporter sur le christianisme hellénique d’Arius : le Christ n’y avait pas supplanté Sérapis, les prêtres s’y distinguaient peu des hiérophantes ; Juifs, Samaritains et Chrétiens s’y confondaient. Négligée par les Apôtres — qui ne la nomment pas dans leurs Actes, saint Paul en ses Épîtres paraissant l’ignorer, — l’Égypte avait eu son christianisme spécial, formulé par Philon, et ses Chrétiens accomplis — avant Jésus — en ses thérapeutes. La grande préoccupation de la deuxième vie, caractéristique, ramenait toujours aux antiques croyances, et c’est vers Anubis, le protecteur des momies, qu’on se tournait. La très belle vaillance d’Athanase, donc, servit peu, à Alexandrie au moins, les propagateurs de la religion nouvelle. L’Égypte demeurait, quand même, ce monde à part, mystérieux, incompris, qu’elle avait toujours été.

Les apologistes restaient comme des avocats ayant gagné leur procès, mais au prix de concessions peut-être regrettables. On blâmait presque Tertullien d’avoir fait de Néron et de Domitien les seuls véritables persécuteurs du Christianisme. Méliton, l’évêque de Sardes, écouté de Marc-Aurèle, et qui avait adopté le même mode de plaidoirie, encourait le même reproche. Lactance, précepteur du fils de Constantin, Crispus, — que saint Jérôme qualifiera de Cicéron chrétien, — païen converti, était-il d’une orthodoxie acceptable ? L’Église, maintenant, par intérêt, répugnait à admettre qu’il y eût eu de bons Empereurs, car elle visait à l’accaparement de la succession impériale ; c’était le système tout entier qu’il fallait condamner. L’appel au bras séculier, si dangereux, persistera néanmoins ; et les conciles s’armeront de l’excommunication, menace terrible.

Le concile d’Antioche (341) déclare que si les clercs schismatiques continuent de troubler l’Église, ils seront réprimés par la puissance extérieure comme séditieux. Au concile de Rome (342), le pape Jules tance vigoureusement, non sans éloquence, les évêques orientaux convoqués et qui ne sont pas venus. Au concile de Sardique, en Dardanie, huit évêques ariens sont accusés, déposés et excommuniés ; et la minorité, réunie à Philippopolis, excommunie à son tour l’évêque Athanase et le pape Jules. Une furieuse rivalité anime les Églises d’Orient et d’Occident. Le siège épiscopal de Constantinople sera l’enjeu de la lutte.

La mort de Constantin (337) dévoila son imprévoyance, la vanité de sa politique. Par son testament, il refaisait la tétrarchie de Dioclétien, léguant l’Asie à son fils Constantin, la préfecture d’Italie à son fils Constant, la Thrace, la Macédoine et l’Achaïe à son neveu Dalmace, le Pont, la Cappadoce et la Petite Arménie à son neveu et gendre Annibalien, avec le titre de roi. Aussitôt, les soldats revinrent aux traditions prétoriennes, en massacrant les deux frères de Constantin et sept de ses neveux, parmi lesquels Dalmace et Annibalien, — Gallus et julien, les plus jeunes fils de Julius Constantius, seuls épargnés. Les trois fils de l’empereur furent proclamés augustes : Constance reçut l’Orient, Constant la préfecture d’Italie, Constantin II les Gaules. Avec Annibalien disparut le petit royaume du Bosphore, absorbé par Constantinople.

A peine mis en possession de sa part d’héritage, — les Gaules, — Constantin II provoqua son frère Constant, afin de lui prendre l’Italie. Dans la bataille près d’Aquilée (340), Constantin périt. Victorieux, Constant partit pour la Gaule, que les Francs pressaient au nord-est. Deux années d’une campagne mal conduite, que les Gaulois secondèrent peu sans doute (340-342), se terminèrent par l’installation des Barbares en Gaule Belgique, dans le pays des Bataves et au nord de la Gaule proprement dite. En Orient, Constance guerroyait contre Sapor, qui avait reconquis l’Arménie. Il l’emporta d’abord près de Singare, en Mésopotamie (348), mais faillit se perdre en poursuivant les vaincus... Un mouvement soudain de Massagètes l’obligea, fort heureusement pour lui, de laisser les Perses. Constance apprit, en outre, que deux usurpateurs audacieux venaient de surgir en Occident.

Constant, en Gaule — qu’il abandonnait aux Barbares, semblait-il, — vivant une vie de satrape, indifférent à tout ce qui n’était pas son plaisir, crapuleusement débauché, avait été trahi par ses gardes et déposé ; Magnence, un soldat, Franc d’origine, proclamé à Autun (350). Le nouvel empereur en Gaule, populaire, appuyé de nombreux partisans, confia le gouvernement à son frère Décentius, et courut disputer l’Italie à un autre usurpateur maître de Rome, Népotianus, neveu de Constantin. Un lieutenant de Magnence, Marcellinus, comte des largesses, renversa Népotianus. Les partisans du vaincu expièrent cruellement leur défection ; Marcellinus oubliait qu’il n’était lui-même qu’un traître passé de Constant à Magnence. Constant, réfugié en Espagne, traqué, fut assassiné à Héléna, au pied des Pyrénées (350).

En Illyrie, les légions proclamèrent malgré lui leur vieux général Vétranion, qui ne savait pas lire. Constance (décembre 350) feignit de négocier avec l’empereur en Illyrie, pendant qu’il lui débauchait ses meilleurs soldats, en les achetant. Vétranion renonça bientôt à la pourpre, licencia sa cour, et disparut, sans avoir même essayé de protester. Après ce succès, qui lui valut une armée, un certain prestige d’habileté, Constance dut s’occuper de Magnence, qui convoitait tout l’Empire, et des Perses de Sapor II. Il confia la campagne contre le Roi des rois à son cousin Gallus, fait césar, et marcha contre Magnence, qu’il rencontra en Pannonie, à Mursa.

Une longue et désastreuse bataille (351) — où périrent 50.000 soldats, — laissa la victoire à Constance. Magnence, vaincu, traversa précipitamment l’Italie, infligea un échec à une armée impériale lui barrant la route près de Pavie, et revint en Gaule, où l’attendait un accueil significatif, désespérant. Magnence se donna la mort. Son frère Décentius l’imita (353). Constance disposait de tout l’héritage de Constantin le Grand ; l’Empire, de nouveau, avait un seul maître.