Les Barbares (de 117 à 395 ap. J.-C.)

 

CHAPITRE XVII

 

 

Ancienne et nouvelle Germanie. - Alamans et Alamanie. - Histoire des Germains, des Goths, des Burgundes et des Francs. - Mœurs des Germains. - Aryens et Finnois, ou Scandinaves. - Funérailles et hospitalité. - Influence romaine, corruptrice. - Mœurs des Burgundes et des Francs. - Rois francs : hérédité

 

C’EST donc au cœur de l’Europe actuelle, au nord des Alpes, que se constituait l’agglomération destinée à détruire l’Empire romain. Les Alamans, groupe nouveau prépondérant, y succédaient aux Germains. Ce champ d’action, où l’avenir allait s’inaugurer, s’accordait mal avec le changement désirable ; le théâtre même où évoluait cette population surabondante et vagabonde, de laquelle dépendrait l’organisation de la prochaine Europe, incitait plutôt aux divisions. Là, trait caractéristique du mi-lieu, taillé en compartiments disparates, — inconciliables, — devaient plutôt se séparer, pour s’amoindrir en des guerres intestines, les peuplades barbares dont l’union eût fait gagner des siècles au repos idéal de l’humanité.

De vastes forêts et d’impraticables marécages au centre ; d’immenses plaines au nord ; au sud, la chaîne hercynienne, toute de basalte et de granit, qui fut la terreur des Romains, aboutissant aux hauts glaciers des Alpes, entrecroisant ses vallées profondes, où naissent le Danube et le Rhin et que domine le lac de Constance ; de ces montagnes, — où les volcans éteints ont laissé des traces nombreuses, — de rapides versants, étagés en fraîches prairies, en champs dorés de céréales, descendant vite à de plats terrains, coupés de larges cours d’eau indisciplinés, qui traversent des forêts obscures, et ensuite, coulant au nord, — tantôt se rejoignant et tantôt se divisant, — formant, laissant, puis défaisant, comme par caprices bizarres, des lacs ou des îles, étalant des tourbières et des marécages, ou des landes grises qui vont se perdre, en s’estompant, dans un ciel bas, brumeux, triste, comme éternellement soudé à la morne, jaune et paresseuse mer du Nord... Tel était le domaine de la Germanie antique.

La nouvelle Germanie, la Germanie des Alamans, l’Alamanie, s’augmentait, au sud et à l’est de la forêt hercynienne, — convoitises réalisées, ou prises de possession fortuites, — de pays nouveaux : Ici, borné au sud par les Hautes-Alpes, les Alpes rhétiques (Tyrol), que percent uniquement le col du Brenner ; à l’ouest, par la Forêt Noire, la Franconie, la Souabe, la Bavière, la Bohême ; un territoire morcelé, coupé de cercles naturels d’indépendance, que rien au monde — sauf le don volontaire, l’illogique abdication, — ne devait relier à l’histoire de la Germanie antérieure. Là, au nord de la forêt hercynienne, les fleuves menant à la mer triste : l’Elbe, l’Oder, la Vistule, aux embouchures démesurées et sans profondeur, aux deltas encombrés d’îles ; le Weser et l’Ems, ouverts, mais avec l’incertitude des sables mouvants, et la longue côte inaccessible, que des eaux limoneuses baignent mollement, qui n’offre qu’une seule baie, celle de Jahde. Au sud de la forêt et du Mein séparatifs, le Mein d’abord, puis le Danube au courant rapide (Donau) et dont les trois sources, en Forêt Noire, chantent déjà la libre grandeur.

De cette contradiction violente entre un Nord presque inhabitable, âpre et triste, peuplé d’hommes blonds, roux, féconds et voraces, et un Sud fertile, où vivaient des hommes bruns, plutôt sobres, d’une douceur sentimentale très susceptible, naîtra l’antagonisme européen, fatal aux destinées aryennes.

Les peuples de cette Europe centrale, ou, pour mieux dire, les masses d’hommes accumulées au centre de l’Europe future — Germanie, puis Alamanie, — et qui débordaient au sud, à l’est et à l’ouest, avaient déjà une histoire. En l’an 113 av. J.-C., des Barbares, — les Cimbres et les Teutons, — réclamant des terres, exterminés par Marius, laissaient en Gaule belgique un grand nombre de leurs familles. Jules César, marchant à sa conquête, se heurtait aux Suèves d’Arioviste, près du Jura, et les repoussait. Et depuis lors, pendant un demi-siècle, Rome lutta contre un flot de Barbares inconnus, toujours défaits, toujours menaçants, revenant sans cesse, et que l’on qualifia de Germains. Le désastre de Varus consacra la force germaine ; le Rhin et le Danube, fortifiés, furent la frontière de l’Empire et de la Germanie. L’angle entre le Rhin moyen et le Danube devint un camp d’observation : les Champs décumates.

L’action romaine, militaire et politique, concourut plutôt à accroître la réputation des Germains, par un désir de repos trop marqué, des négociations maladroites, de la peur visible. Le règne de Marc-Aurèle enhardissant les ennemis de l’Empire, les Germains du IIIe siècle s’étendirent vers le Danube ; ceux du IVe siècle songèrent au pillage de Rome. A ce moment, et par infiltration, les Barbares sont comme au milieu des Romains ; les connaissant, ils ne les redoutent plus ; les appréciant, ils leur proposent de les servir, comme pour les mieux prendre, les dominer.

Dans les camps retranchés, de très actifs commerces initiaient les Germains aux secrets de la formation des richesses ; admis sur les terres impériales, — tributaires, colons ou laboureurs, — les Barbares s’y installaient ; incorporés dans les légions, à de certaines conditions d’abord (fédérés), sans condition ensuite (lètes), ils apprenaient des Romains eux-mêmes l’art des combats.

S’insinuant de plus en plus au centre des forces romaines, qu’ils briseront en conséquence au premier signal de révolte, sinon au premier retour d’instinct, les Barbares exécutaient paisiblement une invasion facilitée. En Gaule — notamment à Poitiers, à Bayeux, sur le Rhin, — des Barbares Taïfales, Saxons, Francs, étaient définitivement cantonnés à titre de bénéficiaires, leurs enfants d’avance tenus au service guerrier de l’Empereur. En Dacie, en Mésie, en Pannonie, des colonies de Barbares privilégiés constituaient des districts dans l’Empire. Ces districts se multiplieront à mesure que l’armée romaine recevra davantage, dans ses rangs, des auxiliaires et des légionnaires barbares. Et ainsi, peu à peu, sûrement, presque sans interruption, les Empereurs livreront l’Empire à l’ennemi.

Les Goths ont également une histoire. Vers la fin du ne siècle, une très vive agitation se produisit en Germanie et en Scythie, parce que des Barbares «septentrionaux», innombrables, comme surgis de la mer immense, du côté de l’Ourse, sortis de la grande île qu’on nomme Scanzia, — laquelle est habitée par un grand nombre de nations diverses, quoique Ptolémée n’en nomme que sept, écrira Jornandès, — étaient arrivés, comme un essaim d’abeilles, entraînant et absorbant des Vandales, des Gépides, des Hérules, des Scires, des Vendes, des Estyens, des Alains et des Roxolans.

Le pays que ces envahisseurs avaient habité au nord de l’Europe, la Gothie, comprenait le sud de la Suède et l’est de la Norvège. Ils étaient descendus vers le sud-est, et dès la fin du IIIe siècle, ils étaient organisés à l’est et à l’ouest du Borysthène, divisant leur empire en deux royaumes : les Goths de l’Ouest et les Goths de l’Est. — Le roi des Goths de l’Est, ou Ostrogoths, Hermanaric, de la dynastie des Amales, imposant sa suzeraineté aux Goths de l’Ouest, ou Visigoths, de la famille des Baltes, fera l’unité de l’empire gothique. Ulphilas traduira la Bible pour les Goths, complétera leur alphabet, leur donnera le christianisme d’Arius, qui n’admettait pas la divinité de Jésus, et fera d’eux, en conséquence, les ennemis du catholicisme romain, autant, sinon plus, que de l’Empire.

Un groupe de Barbares en Germanie, les Burgundes, qui se signalèrent par des mœurs souvent identiques à celles des Visigoths, emmenant par exemple avec eux, lorsqu’ils guerroyaient, leurs femmes et leurs enfants, — dont Pline et Ptolémée en effet placent les colonies en Norvège, alors qu’ils occupaient le pays entre la Vistule et l’Oder, — avaient été combattus par Probus sur le Rhin, s’étaient établis à côté des Alamans leurs adversaires, et, chassés par ces derniers, se répandirent sur le Haut-Mein, jusqu’au Kocher, affluent du Neckar. Ces Burgundes, ou Goths de l’Ouest, demeurèrent fidèles aux Romains contre les Alamans.

En dehors des Alamans encore, au IIIe siècle, les peuples qui habitaient la rive droite du Rhin, du Mein à la mer, — Chamaves, Attuariens, Cattes, Bructères, Tenctères et Sicambres, — confédérés, qualifiés d’indépendants, de libres, ou Francs, passèrent sur la rive gauche du Rhin, s’étendirent jusqu’au Hainaut, le pays des Nerviens, tandis qu’une tribu détachée (vers 290) pénétrait dans l’île des Bataves, entre le Wahal et le Lech, aux embouchures du fleuve. Les Francs de la rive gauche du Rhin seront dits Ripuaires ; ceux de la Sala, ou Yssel, Saliens.

Constance Chlore, traitant avec les Francs, leur abandonna le pays entre le Rhin et la Meuse. Constantin et ses fils les traqueront avec cruauté, et ils en feront ainsi les collaborateurs sinon les alliés des Alamans, lorsque se produira le grand mouvement de peuples qui, de Strasbourg à la mer, menaçant la Gaule, obligera julien à intervenir. L’esprit de liberté qui caractérisait les Francs — et que des philosophes taxèrent d’orgueil effréné du moi, — et leur goût sédentaire, agricole, dénonçaient la race celtique.

Germains, ou Alamans, Burgundes, Francs, Goths, telles étaient les dénominations — bien historiques cette fois — des peuples qui se partageaient l’Europe centrale. Les contemporains tâchaient de connaître les mœurs et les usages de ces peuples, pour les vaincre d’abord et les utiliser ensuite. Les fables colportées, les préjugés invétérés, l’incertitude des origines réelles et les grands mélanges consommés, ne permettaient pas d’exactes appréciations ; mais les faits recueillis, plutôt que constatés, donnaient des synthèses approximatives suffisamment vraies. Le type Germain — car la masse alamanne offrait trop de disparates pour être définie, et on persistait à se servir de l’ancienne désignation, Tacite trop questionné, — le type Germain se fit de traits empruntés à la fois aux Francs, aux Goths et aux Celtes, subjugués mais existant encore en Alamanie.

Le Germain, ou Alaman, était vu robuste, de peau blanche, rose, la tête couverte d’une abondante chevelure blonde, rousse, les yeux vifs quoique bleutés, vaniteux, orgueilleux même en ses prétentions, généreux, ivrogne et irascible. On remarquait les grands élans de ses bravoures, de ses bravades, et l’extrême faiblesse de ses prompts découragements. Pâtre plutôt que cultivateur, il se nourrissait principalement de la chair de ses troupeaux, nombreux ; monogame, sa famille, resserrée dans une maison bâtie, était une ébauche de société. Par le sol, inaliénable, ces Germains, si jaloux de leur liberté individuelle, vivaient pourtant en communauté, le bétail conduit aux pacages appartenant à tous ; les émigrations causées par la famine, lorsque les fourrages manquaient pour les troupeaux. L’unité sociale, c’était le village, la Commune aryenne, flagrante ; plusieurs villages, unis, faisaient un canton ; l’ensemble des cantons, le peuple (volk). Au moment d’un danger, le choix du chef fondait une monarchie temporaire, fidèlement soutenue, obéie.

Ces hommes libres admettaient parmi eux une caste sacrée, une aristocratie, une noblesse conférée en admiration de la force physique, de la hardiesse, de l’adresse à la lutte ou à la boxe, du succès. La tendance persistante des Germains vers une organisation communale, et le groupement par tribus, y paraissent la seule unité qu’acceptassent ces hommes passionnés d’indépendance locale. Les jalousies, les querelles, les luttes intestines, continuelles, où se provoquaient les tribus, trompaient les ennemis des Germains sur la solidité de leur confédération guerrière. De même que, en leurs villages, la dissémination voulue des maisons — chacune entourée d’un espace nu, — et la simplicité de leurs constructions, sans ciment ni tuile, — quelquefois seulement, rarement, l’enduit du mur colorié, rendu brillant comme un stuc, — faisaient penser que ces Barbares ne s’aggloméreraient jamais en de grandes villes, ne se bâtiraient pas de Capitale, ne pourraient se constituer en nation définitivement homogène.

Leur gouvernement, précaire, dépendait d’une assemblée (mall) totale, réunie en un lieu sacré, ombragé de saules et de noisetiers, cerclé de vingt-quatre lourdes pierres blanches, dont l’entrée était toujours du côté du soleil levant. Là, tous venus avec leurs boucliers, pour les entrechoquer en signe d’assentiment, hurlant leurs désapprobations en un tumulte effroyable, ils décidaient de toutes choses, exerçaient la justice. Puis, à ce tableau de mœurs celtiques, purement aryennes, à des esquisses précieuses d’une religion védique résumée en la poésie de la nature personnifiée, sans prêtres, sans sacerdoce, avec des prophétesses, ou vellédas, écoutées, on accolait une mythologie scandinave, des divinités gigantesques, agissantes : Wodan, le dieu du ciel ; Zio — l’épée, — le dieu de la guerre ; Douar — le marteau, — le dieu de la foudre ; Ertha, la terre ; Freya, la fécondité et l’amour... Olympe grossier, sanguinaire, sensuel.

Le costume de ces Germains, minutieusement décrit, étoffes serrées au corps, contrastait, au dire des écrivains, avec l’ampleur de celui des Sarmates ou des Parthes ; ou bien se couvraient-ils de peaux de bêtes, apportées de l’Océan extérieur et de mers inconnues. Les femmes germaines se distinguaient peu des hommes quant aux vêtements, mais — d’après Tacite — laissaient nus leurs bras et leurs épaules, quelquefois leur sein même, parures étroites ou impudiques, absolument anaryennes, au moins en ceci.

L’armée, encadrée comme la famille, se formait de tribus réunies pour le combat, composées de tous ceux à qui l’assemblée avait décerné la framée ou le bouclier. Le dévouement des leudes — les fidèles — au chef frappa les Romains, parce que l’engagement était libre, sans obligation disciplinaire, et absolu ? Le généralissime germain pouvait n’être pas le roi. Rome s’émerveillait des armées germaines qu’aucune solde ne rémunérait, alors que les légions de l’Empire, en campagne, ne guerroyaient qu’après avoir calculé le bénéfice de leur action, et s’embarrassaient, en marche, d’un trésor en pièces de bronze. Dites, écrit Tertullien, que les hommes de guerre sont avides, mais ajoutez que cela n’est pas étonnant, parce qu’ils ne se croient jamais assez payés de leurs dangers et de leur sang.

Joueurs passionnés — jusqu’à mettre leur liberté personnelle en enjeu, — turbulents et réfléchis, selon Josèphe, rusés, menteurs et féroces, disputeurs et processifs, d’après Velleius Paterculus, divers traits, contradictoires d’ailleurs, mais remarqués trop simplement pour qu’il soit permis de les négliger, laissent voir, dans la confusion du dessin, la persistance de mœurs celtiques, aryennes. Pas un temple ; des bois sacrés et des autels toujours dressés dans le voisinage des sources ; pas de prêtres, pas de dogmes, pas de sacrificateurs, pas de victimes humaines ; le chef de famille officiant, comme au temps des Védas dans le pays des Sept Rivières ; des chevaux blancs, qu’aucun travail humain n’a touchés, sacrifiés à la mémoire des morts, pratiques essentiellement védiques, toutes.

Mais l’esprit scandinave l’emportait déjà sur l’esprit védique ; les funérailles anaryennes se substituaient à l’ensevelissement. Les Germains de Tacite incinèrent leurs morts, les nobles et les riches au moins, aristocratie dominante ; le peuple, fidèle à l’usage celtique des inhumations. En Gaule, la destruction du corps humain par le feu demeura ignominieuse, réservée aux criminels, aux esclaves... Cependant, en Germanie, la tombe ne fut toujours qu’un tertre. Ils méprisent, dit Tacite, l’honneur pénible et coûteux des mausolées, comme lourds aux mortels.

Cette diversité des funérailles, ou, si l’on veut, cette manifestation de deux sentiments contraires devant la mort, se retrouve dans l’un des actes principaux de la vie celtique, l’exercice de l’hospitalité : Aucun peuple n’est plus prodigue pour ses convives et pour ses hôtes ; mais l’hospitalité aryenne, naturelle, décente, devient un abus, un excès, où s’étale le vice finnois, scandinave, de l’ivrognerie, cause des querelles retentissantes, meurtrières : Il n’y a pas de honte chez ces Germains à boire tout le jour et toute la nuit. Les repas, les festins où ils se rendent armés, sont des séances de délibérations ; on y traite des alliances, des réconciliations, de l’élection des chefs, de la guerre et de la paix ; les discussions s’y terminent souvent par des tueries. Toutefois, en ces longues goinfreries ; l’épopée récitée — le chant pour célébrer Ambigatus — est celtique ; l’hymne de guerre s’intitule d’un mot celte : le bardit.

Celtique surtout est le sentiment qui émeut et exalte les guerriers, l’intervention des femmes et des enfants dans la bataille, témoins les plus sacrés de la bravoure : C’est de là qu’ils attendent les plus grandes louanges ; ils montrent leurs blessures à leurs mères et à leurs femmes, et celles-ci ne craignent pas de compter les plaies... Et elles portent aux combattants des vivres et des exhortations. Une ambition de gloire les anime, et non plus seulement l’espoir d’un butin ; les valeureux recherchent un droit de noblesse ; l’émulation les entraîne, la fidélité les soutient : Les chefs combattent pour la victoire ; les compagnons, pour les chefs. L’idée de l’honneur, idée aryenne par excellence, est dominante : Chez les Germains, affirme Tacite, on se déshonore pour toute la vie si l’on revient vivant d’un combat où le chef est mort.

Mais ces belles aspirations s’effaçaient à mesure que l’impression celtique s’atténuait, que des hordes nouvelles, de toutes races, débordaient sur la Germanie, augmentaient le nombre de ses guerriers, participaient à ses aventures. L’esprit aryen d’abnégation se dissolvait au contact de l’influence finnoise, scandinave, à l’exemple de la civilisation romaine corruptrice. Les chefs glorieux, qui ne recevaient jadis, des familles, que du bétail et du blé selon leurs besoins, commençaient à accepter, à désirer les présents de nations voisines, chevaux de choix, belles armures, riches caparaçons, colliers d’or ; ils discutaient, pour en exagérer le prix, la valeur de leurs condescendances envers les empereurs pacifiques : Déjà, écrit Tacite, nous leur avons appris à recevoir de l’argent.

A l’ouest de la Germanie, maintenant couverte d’Alamans, les Burgundes, peu connus, voyaient leur réputation se modifier suivant les services qu’on s’imaginait en pouvoir attendre, ou la haine que des écrivains patriotes — tels que Jornandès et Ammien Marcellin, Goths, — leur vouaient, sorte de frères ennemis. Conduits simultanément par un roi et par un grand-prêtre, redoutables en leurs œuvres guerrières, très grands, oignant leurs longs cheveux d’un beurre rance et croquant de l’ail constamment, la bonté des Burgundes devint finalement proverbiale. Orose dira le calme et la douceur avec lesquels ils traiteront les Gaulois maîtrisés, les regardant comme des frères en Christ. Car les Burgundes, après les Goths, adopteront très vite le christianisme d’Arius. Chez ce peuple, le père partageait de son vivant à ses fils, par portions égales, la moitié de la fortune qu’il avait amassée. Ces traits généraux suffisaient pour qu’on ne pût les confondre avec les Alamans.

Les Francs bénéficiaient aussi d’une réputation exceptionnelle. On disait d’eux — après les avoir vus combattre, — qu’ils se faisaient une gloire de mourir en riant et qu’ils considéraient le jugement qu’on porte sur les morts comme la seule chose qui fût immortelle. Franc signifiait hardi, courageux, indépendant. Jornandès n’admet pas que l’on classe ces Barbares parmi les Suèves orgueilleux ; or, pour Jornandès, les Suèves c’est les Alamans.

Chez ces Francs, la communauté de famille faisait la communauté de village, chaque centenie ayant son chef, tenant des assemblées régulières. Des hommes libres y rendaient la justice. La vindicte publique s’y exerçait individuellement, chaque famille disposant du coupable convaincu d’avoir causé un tort, soit qu’on appliquât au condamné la peine du talion, soit qu’on lui permît de racheter sa faute ou son crime. Des épreuves par le feu et par l’eau compliquaient cette coutume, et le duel judiciaire — le jugement de Dieu — y était l’appel suprême des innocents. Les rois francs se succédaient par hérédité. Les rois des Francs Saliens virent consacrer ce droit par les maîtres de Rome, qui, dans les négociations, s’adressèrent directement à eux.