Athènes (de 480 à 336 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXIV

 

 

DE 356 A 343 Av. J.-C. - Philippe de Macédoine en Thessalie et en Phocide. - Philomélos prend Delphes ; sa mort. - L’Apollon-Delphien vengé par Philippe. - Paix entre Thèbes et Sparte. - Philippe en Thrace. - Première philippique de Démosthène. - Philippe à Pella. - Les olynthiennes. - Les Athéniens. - Philippe siège au conseil des Amphictyons. - Suppression de la Phocide. - Athènes isolée et Sparte humiliée. - Deuxième philippique. - La Thessalie macédonienne. - Philippe et Athènes. - Les véritables frontières helléniques.

 

PHILIPPE, devenu Grec par sa jeunesse passée à Thèbes, ses relations avec Platon et le souvenir vivant, admiratif, qu’il avait conservé d’Épaminondas, considérait Pella, sa ville capitale en Macédoine, comme la rivale d’Athènes, de Sparte, de Thèbes ou de Corinthe. Il semblait qu’il voulût, en l’agrandissant au nord, constituer le grand empire hellénique. Les événements qui se succédèrent mirent en échec sa prudente habileté, compromirent ses vues. La guerre éclatée entre les Thessaliens et les Phocidiens l’attira trop tôt en Thessalie, avec des allures de conquérant, tandis que l’éloquence infatigable de Démosthène le faisait, pour ainsi dire de force, l’ennemi des Athéniens.

Alexandre de Phères, roi en Thessalie, venait d’être assassiné (359) par ses beaux-frères Tisiphonos, Pytholaos et Lycophron. Les Aleuades, pour renverser les usurpateurs, avaient appelé Philippe, qui accourut et délivra les Thessaliens. Après avoir battu 7.000 Phocidiens, Philippe humilia les guerriers d’Athènes venus pour prendre Pagases, le port de Phères, et que Philippe devança. Cet acte flagrant d’hostilité (353) permit de dénoncer aux Hellènes un roi de Macédoine ambitieux, entré en Grèce.

Philippe en effet, se heurtant à l’hostilité des Grecs, dut songer à justifier sa présence en Hellénie, sa victoire sur les Phocidiens. Or les Phocidiens, condamnés jadis par le tribunal hellénique, — les Amphictyons, — à payer une amende aux prêtres d’Apollon, ne s’étaient pas encore acquittés, malgré la sanction inscrite dans la sentence. Le tribunal avait dit que si les Phocidiens ne payaient pas l’amende, leur territoire serait consacré à la divinité, après avoir été frappé d’anathème. Philippe prétendit qu’il venait imposer aux Phocidiens le paiement de leur dette. Il se faisait ainsi le défenseur du Conseil des Amphictyons, c’est-à-dire de la plus haute représentation de l’Hellénie.

Les prêtres de Delphes, en acceptant cette force, donnaient à Philippe la consécration hellénique, et se sentant soutenus, ils menacèrent de dévastation les Phocidiens. Ceux-ci, harangués par Philomélos, loin de se soumettre, réclamèrent au contraire hautement leur droit sur les Delphiens. Philomélos, venu à Sparte, y obtint du roi Archidamos un secours en argent, recruta des mercenaires et prit Delphes. Les Locriens accoururent ; Philomélos les battit, fortifia le temple d’Apollon et porta à 5.000 le nombre de ses guerriers (350). Presque toutes les villes de l’Hellénie se liguèrent contre les Sacrilèges. Athènes, Sparte et quelques villes du Péloponnèse seulement restèrent neutres.

Philomélos s’empara du trésor sacré, et payant très cher ses mercenaires, porta ses troupes à 10.000 hommes, dix mille impies. Vainqueur des Locriens, puis des Thessaliens, Philomélos succomba devant les Béotiens, — 12.000 guerriers, — en se précipitant, vaincu, du haut d’un rocher. Son frère Onomarchos, prenant le commandement des troupes ralliées, emportant le trésor qui lui servit à acheter des défections, mit à sac la Locride, prit Orchomène et menaça Chéronée. Des troupes béotiennes l’obligeant à lever le siège, il retourna au Nord, à l’appel de Lycophron que Philippe provoquait en Thessalie (352).

Deux fois, Onomarchos battit les troupes de Philippe, qu’il rejeta en Macédoine, et il revint ensuite en Béotie, prendre Coronée.

Victorieux, Philippe pouvait considérer l’hostilité des Grecs comme une erreur passagère et conserver à ses actions belliqueuses le caractère d’une lutte intestine, guerroyant en Hellénie comme y avaient successivement guerroyé toutes les villes s’y disputant la prépondérance ; vaincu, le roi de Macédoine devenait un ennemi définitif, redoutable. Philippe, en effet, revint en Thessalie avec 30.000 hommes et 3.000 chevaux. Onomarchos, accouru, fut écrasé. Les Macédoniens, armés pour la vengeance et le triomphe d’Apollon, avaient combattu couronnés de lauriers ; et lorsqu’ils eurent la victoire, ils précipitèrent à la mer, comme sacrilèges, les Phocidiens prisonniers. Le cadavre d’Onomarchos subit l’humiliation du crucifiement.

Vengeur de la religion hellénique outragée, maître de la Thessalie, Philippe y rétablit le gouvernement républicain, ne réclamant que les chantiers et les arsenaux où se trouvait la flotte préparée par Alexandre de Phères, à Pagases.

Philippe exposa que pour régler les affaires de la Grèce et de la religion, il devait se rendre en Phocide. C’est qu’il voulait franchir les Thermopyles, accentuer sa pénétration en Hellénie. En marche, il s’arrêta devant les Athéniens qui, fortement retranchés, occupaient le passage. Philippe recula. Les adversaires du roi de Macédoine exploitèrent sa tentative et sa retraite ; les Athéniens célébrèrent la journée comme une victoire (352).

Le frère d’Onomarchos, Phayllos, n’ayant pas épuisé le trésor de Delphes, tenait la campagne, soutenu par Athènes, Sparte et le Thessalien expulsé Lycophron. Phayllos, tantôt battu, tantôt victorieux, prenant des villes (352-351), mourut dans son camp. Phalécos, enfant, fils d’Onomarchos, succéda à Phayllos, conduit par Mnaséas, qui mourut vite. Phocidiens et Thébains étaient las de combattre ainsi, avec des alternatives de revers et de succès, sans solutions, les forces s’équilibrant, le désir de nuire dominant l’idée de conquête. Thèbes, pour en finir, manquant d’argent, s’adressa au roi des Perses.

Cette preuve de la détresse des Thébains fit juger aux Spartiates que le moment était venu pour eux de reprendre leur influence. Ils attaquèrent Mégalopolis, secourue aussitôt par Argos, Messène, Sicyône et Thèbes qui envoya 4.500 hoplites et 500 cavaliers. Les Phocidiens donnèrent 3.000 hommes à Sparte. Les deux armées se reconnurent invincibles après deux ans de guerre, et la paix s’imposa (351).

Philippe, paraissant renoncer à l’Hellénie, se tournant contre la Thrace, s’avançait vers la Chersonèse. Démosthène, qui guettait le roi de Macédoine, avertit les Athéniens. Il lui était facile de démontrer qu’en s’emparant de la Chersonèse, Philippe dépouillerait Athènes ; qu’en se dirigeant vers Byzance, le roi de Macédoine avait l’intention de fermer l’Euxin, cette grande voie libre des approvisionnements. Démosthène prononça sa première philippique : Quand donc, ô Athéniens, quand ferez-vous votre devoir ? Qu’attendez-vous ?... Le moment du déshonneur approche ! Voulez-vous, dites-moi, aller toujours çà et là sur la place publique, vous demandant les uns aux autres : Que dit-on de nouveau ? Eh ! qu’y aurait-il de plus nouveau qu’un Macédonien vainqueur d’Athènes et dominateur de la Grèce ?... Philippe a grandi moins par ses propres forces que grâce à votre inertie !

Démosthène trompait les Athéniens, car Philippe était grand par ses propres forces, surtout par l’admirable organisation qu’il avait su vouloir et réaliser. Mais comment critiquer Démosthène réclamant la formation d’une armée et d’une flotte vraiment nationales, par l’expulsion des mercenaires, lorsqu’un Isocrate prêchait les douceurs d’une paix honteuse, lorsqu’un Eubule obtenait du Peuple la peine de mort contre celui qui proposerait de toucher, même pour la défense de la patrie, au trésor accumulé destiné aux fêtes publiques, — le théoricon, — où tout s’engouffrait.

Savez-vous pourquoi, disait Démosthène, les Panathénées, les Dionysiaques, qui volis coûtent plus cher qu’une expédition navale, sont toujours solennisés au temps prescrit, tandis que vos flottes arrivent après coup à Méthone, à Pagases, à Potidée ? C’est que pour ces fêtes tout est réglé par la loi, que chacun connaît longtemps à l’avance le chorège, le gymnasiarque de sa tribu, ce qu’il doit faire, quand, par quelles mains et quelle somme il recevra ; là rien n’est imprévu, indécis, négligé ; mais pour la guerre et les armements, nul ordre, nulle règle. A la première alerte, nous nommons les triérarques, nous rêvons aux ressources pécuniaires, nous décrétons l’embarquement du métèque, puis de l’affranchi, puis du citoyen. Le temps se passe pendant tous ces décrets, et les places que nous voulons défendre sont perdues, que nous n’avons pas encore une seule voile dehors...

Mais Démosthène parlait sans conclure. Son éloquence enflammait les courages ; sa science, en défaut, ne lui suggérait aucun plan : Philippe ne s’arrêtera pas, c’est évident, s’écriait-il, si on ne lui barre le chemin ! Où aborder ? dira-t-on. Attaquons seulement, ô Athéniens ! La guerre découvrira l’ulcère gangrené de l’ennemi. Platon entendait que le gouvernement fut confié aux philosophes ; Démosthène livrait la patrie aux orateurs.

Philippe ayant attaqué une garnison athénienne entre Périnthe et Byzance, les Athéniens votèrent un grand armement. Le roi de Macédoine s’arrêta, inactif, deux années (352-351). Démosthène — tactique oratoire contraire à son but véritable, — s’appliquait à déconsidérer, à diminuer Philippe, le montrant à sa cour, souverain fainéant, adonné aux plaisirs, à la débauche ; tandis que Philippe, faisant construire des monuments, attirant les artistes grecs, étalant ses richesses, s’hellénisant de plus en plus, montrant son intention de faire de Pella une capitale digne de l’Hellénie, ne négligeait rien de ce qui pouvait augmenter son armée, accroître sa force.

Il avait écrit à Aristote, au moment de la naissance d’Alexandre : Apprends qu’il vient de me naître un fils ; je rends moins grâces aux dieux de la naissance de cet enfant que de ce qu’il est venu au monde de ton vivant. J’espère qu’élevé et instruit par toi, il sera digne de moi et de mon empire. Cet hommage rendu à l’esprit hellénique passa inaperçu ; on affectait d’ignorer le génie du roi de Macédoine, pour se moquer des magnificences de sa cour. Ce mépris poussait davantage Philippe dans la voie des hostilités contre l’Hellénie, en affaiblissant les Hellènes appelés à le combattre.

Olynthe, restée indépendante en Chalcidique, était un point stratégique occupé et gênant. Des princes macédoniens y ayant trouvé un asile, Philippe, après deux ans de repos, résolut de s’en emparer (349). Démosthène avait maintenant une action à conseiller. Il prononça les olynthiennes, où l’astuce et la fourberie du roi de Macédoine sont dénoncées en termes véhéments : Amorcer les peuples assez insensés pour se laisser séduire à ses avances et les faire tomber dans les filets qu’il a tendus, voilà le secret de sa grandeur. Athènes, d’abord hésitante, décidément rebelle aux réformes intérieures, envoya Charès contre Philippe, avec 30 vaisseaux et 2.000 mercenaires, puis Charidèmos, avec 4.000 mercenaires et enfin 2.300 Athéniens.

Olynthe redoutait l’intervention des généraux athéniens. Philippe en profita pour obtenir, par trahison, la reddition de la ville, qu’il livra au pillage. il célébra a Dion, par des fêtes magnifiques, — semblables à celles d’Olympie, — son entrée à Olynthe, dont les habitants furent vendus et les richesses distribuées. Le roi de Macédoine donnait ainsi raison à Démosthène ; il agissait en ennemi barbare, implacable. Cependant, les fêtes de Dion, splendides, où de nombreux étrangers jouissant des libéralités du roi subirent son charme personnel, firent qu’en Hellénie, à Athènes, le parti favorable aux vues dominatrices du vainqueur s’accrut. Philippe eût été un si grand monarque !

Eubule et Eschine eux-mêmes, ces adversaires de Démosthène, reconnaissaient la nécessité d’un Congrès où tous les peuples helléniques aviseraient en commun aux moyens de vaincre les Macédoniens, ces nouveaux Barbares. Quelques ambassadeurs étaient en route, lorsque la nouvelle arriva que Philippe désirait traiter. Athènes lui dépêcha dix députés, parmi lesquels Démosthène et Eschine.

Eschine était l’orateur antagoniste de Démosthène, son rival personnel. En pleine décadence morale et intellectuelle, — sans idées et sans énergie ; les derniers Riches étalant leurs richesses, s’enorgueillissant de leurs palais, de leurs meubles de prix ; les Pauvres, misérables et haineux ; le Peuple, uniquement préoccupé des jouissances gratuites que procuraient les fêtes, jaloux de son pouvoir, légiférant à tort et à travers, en proie aux scribes (la plupart Phéniciens) qui exploitaient la paresse universelle pour gouverner au moyen des écrits ; les dénonciations, les accusations, les poursuites ne laissant plus aucun repos aux citoyens ; les procès se succédant, comme des jeux ou des spectacles sans cesse renouvelés, où les avocats et les juges vendaient leur talent et leurs sentences ; des généraux suspects, braves et dissolus comme Charès, véritables bandits comme Charidème ; et les Orateurs, seuls influents, aux prises les uns contre les autres, — les Athéniens ne voyaient plus au monde que la formidable lutte oratoire publiquement engagée entre Démosthène et Eschine.

Dans ce renoncement, dans cet abaissement, Athènes eut le chef d’État qu’elle méritait, Eubule, uniquement soucieux de conserver aux Pauvres les jouissances matérielles qui leur suffisaient, laissant se multiplier les dénonciations, la guerre de citoyen contre citoyen, si amusante pour le spectateur, administrant assez bien d’ailleurs les finances de la République, et, tranquille, gouvernant les Athéniens satisfaits.

L’histoire d’Athènes se perdait dans l’enchevêtrement des polémiques personnelles où s’embarrassaient les orateurs. Eschine raconta que devant Philippe, l’éloquent Démosthène, interloqué, n’avait su que bégayer quelques mots.

Philippe avait promis d’envoyer des ambassadeurs à Athènes ; ils y vinrent, en, effet, recevoir les engagements de la République, mais sans engager leur roi qui, pendant ce temps, détrônant Kersoblepte, prenait des villes en Chersonèse. De nouveaux députés athéniens partirent pour Pella, à la demande de Démosthène, avec la mission de recevoir les serments du roi. Philippe, poursuivant son expédition en Thrace, fit attendre les ambassadeurs. Revenu, le roi de Macédoine descendit en Thessalie, à Phères, suivi des envoyés d’Athènes, puis imagina un prétexte, — son refus de comprendre les Phocidiens dans la paix négociée, — pour n’accepter aucun engagement. Il occupa le passage des Thermopyles. Démosthène accusera Eschine et ses compagnons d’ambassade de s’être laissé corrompre par l’or macédonien, et Eschine se défendra mal.

En franchissant les Thermopyles, en continuant la guerre déclarée aux Phocidiens, Philippe pouvait dire que Thèbes l’avait appelé, qu’il se conduisait en chef hellénique fidèle, puisqu’il poursuivait, puisqu’il achevait la vengeance de l’Apollon-Delphien outragé. Phalécos s’étant retiré en Péloponnèse avec ses 8.000 soldats, le roi de Macédoine s’affirma Grec en convoquant le Conseil des Amphictyons.

Le Conseil raya la Phocide du nombre des États helléniques. On solennisa la condamnation, en rasant vingt-deux villes dont les habitants furent dispersés, en brisant sur la pierre et en jetant au feu les débris des armes arrachées aux vaincus. Il fut interdit aux Phocidiens de former des bourgs de plus de cinquante maisons, d’avoir des chevaux, et pour réparer les pertes faites par le Temple de Delphes, — évaluées à 10.000 talents, — on leur imposa un tribut annuel de 60 talents, ruinant ainsi à l’avance toute possibilité de relèvement.

A titre de récompense, les Amphictyons donnèrent à Philippe, — avec les Béotiens et les Thessaliens, — le droit de présider les Jeux pythiques. Les deux voix dont les Phocidiens disposaient au Conseil passèrent au roi de Macédoine, défenseur des dieux, protégé des prêtres, suzerain de l’Hellénie. Athènes, se préparant à la guerre, fortifia la Pirée, consolida ses défenses extérieures, ordonna aux campagnards de remiser leurs biens meubles dans des bourgs fermés. Contrairement aux craintes générales, Philippe retourna en Macédoine ; mais lorsque le jour de l’Assemblée pythique arriva, il obligea les Athéniens à lui reconnaître son titre d’amphictyon (346). Alors Démosthène conseilla la paix.

La politique de Philippe tendit désormais à isoler Athènes en Hellénie, en même temps qu’il bravait Sparte pour rendre évidente l’impuissante jactance des Lacédémoniens. Il déclara insolemment qu’il étendait sa protection sur Messène. Corinthe, inquiète, donnait quelques signes d’agitation. Démosthène s’en fut en Péloponnèse, pour se rendre compte de l’état réel des esprits, des intentions et des possibilités de résistance. Ce voyage avait pour but de semer partout des méfiances, de préparer des adversaires aux Macédoniens ; mais la crainte de Philippe, que l’orateur répandait, fut un obstacle à l’union des Hellènes : beaucoup, trop prêchés, n’osaient plusse prononcer contre les Macédoniens si redoutables.

Philippe envoya des ambassadeurs à Athènes, pour protester contre les intentions que Démosthène lui prêtait. C’est à cette occasion que l’orateur donna sa deuxième philippique (344). Il conseillait la guerre de nouveau et dénonçait, en les énumérant, les fourberies et les mensonges du roi de Macédoine. Philippe, outragé, dissimulant sa colère, s’en alla guerroyer contre les Illyriens, prit quelques villes, s’occupant ensuite à réorganiser la Thessalie.

Pour la seconde fois, le vainqueur qu’on désignait comme un fléau se précipitant, laissait en l’air les paroles des orateurs, et par son inaction faisait que le Peuple se demandait si les orateurs disaient vrai.

La Thessalie organisée (344-343) étant une province macédonienne, divisée en quatre districts que gouvernaient des lieutenants fidèles, appuyés de garnisons sûres, Philippe voulut s’assurer de l’isthme de Corinthe, comme il avait pris les Thermopyles ; les Athéniens le devancèrent à Mégare où, sous le prétexte d’une conspiration, il venait comme protecteur. L’Athénien Phocion, entré dans la ville, la fortifia (343). Son projet contre Corinthe ayant échoué, Philippe se tourna contre l’Épire, prit trois villes, menaça Ambracie, voulant l’Acarnanie afin de pénétrer en Péloponnèse par une voie où il ne rencontrerait pas les guerriers d’Athènes. Les Athéniens, prévenus, envoyèrent des troupes à Ambracie. Démosthène vint haranguer les Acarnanes et les Achéens. Philippe, bravé, apprenant que les Athéniens venaient de faire une démonstration contre Magnésie, en Thessalie même, abandonna l’Épire.

Philippe et les Athéniens, en hostilités déclarées, n’osaient pas encore livrer la bataille suprême. Le Macédonien, rêvant plus que jamais la domination de l’Hellénie, s’avançait prudemment, peu à peu, tâtait, reculait, revenait, cédait encore, incapable de renoncer à son but, mais évitant de se mesurer avec les Athéniens, craignant presque de les vaincre, sachant que cette humiliation serait irrémédiable.

Démosthène abusait, pourrait-on dire, de cette situation ; ses éloquentes bravades tenaient en haleine les Athéniens, et les Athéniens armés intimidaient Philippe ; non pas que le Macédonien doutât de sa force, mais il espérait toujours être accepté comme chef des Hellènes et constituer l’Empire Grec, non pas accru de la Macédoine, de l’Épire et de la Thrace, mais rendu à ses véritables frontières : la mer Ionienne à l’ouest, le Danube au nord, la mer Noire à l’est, la mer Hellénique ou Méditerranée au sud. Et Philippe voyait juste, car les Peuples qu’il apportait, Scythes et Thraces au moins, — les Thraces d’Euripide, amis des chevaux, les Thrakiens d’Homère, aux cheveux ras et aux longues lances, qui parlaient encore la langue de Troie, et les Scythes d’Hérodote, buveurs de lait, — étaient beaucoup plus Aryens, beaucoup plus Européens que les Hellènes d’alors, assurément.