Athènes (de 480 à 336 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XIX

 

 

DE 395 A 368 Av. J.-C. - Mort de Lysandre et de Pausanias. - Bataille de Némée et de Coronée. - Victoire de Conon. - Iphicrate : Nouvelle tactique. Les Peltastes. - Athènes relevée. - Sparte traite avec les Perses. - Mort de Thrasybule. - Paix imposée à Athènes. - La Confédération olynthienne. - Thèbes arrachée à Sparte. - La Thèbes nouvelle. - Épaminondas et Pélopidas. - Ligues athénienne et lacédémonienne. - Agésilas et Chabrias. - Cléombrote. - Athènes et Sparte contre Thèbes. - Bataille de Leuctres. - Les Arcadiens : fondation de Mégalopolis. - Sparte assiégée. - Les Thessaliens. - Jason et Alexandre de Phères. - Delphes.

 

THÈBES s’étant prononcée pour les Locriens, Sparte secourut les Phocidiens en leur envoyant Lysandre, qui donna la bataille sans attendre le roi Pausanias, fut battu et tué à Héliaste. Pausanias obtint une trêve des Thébains, fiers de leur succès. Les Spartiates condamnèrent Pausanias à l’exil ; il mourut bientôt à Tégée (395). Des Athéniens, envoyés par Thrasybule, n’étaient arrivés à Héliaste que le lendemain de la victoire.

Les Eubéens, les Acarnanes, les Locriens, les Corinthiens et les Argiens entrèrent dans l’alliance contre Sparte. Il y eut un Congrès à Corinthe. L’Athénien Timolaos voulait que l’on marchât sur Lacédémone, dont il connaissait la faiblesse, disant : Les Lacédémoniens sont comme les fleuves, peu considérables à leur source ; ils grossissent à mesure qu’ils s’en éloignent, ou, comme les essaims qu’on prend sans peine dans leur ruche, ils piquent affreusement quand on les attaque dans leur demeure.

Les Alliés et les Spartiates se rencontrèrent à Némée, pour se combattre, les premiers avec 24.000 hoplites et 1.500 chevaux, les seconds avec 13.500 guerriers. Les Alliés, mal commandés, subirent une défaite (394) ; mais les Spartiates, très éprouvés, ne songeaient pas à poursuivre les vaincus, lorsque Agésilas survint, venant du Nord, ayant passé sur les Thessaliens qui s’étaient inutilement opposés à sa marche.

Les Alliés firent face à Agésilas devant Coronée. Un choc furieux illustra les Thébains ; Agésilas, blessé, resta maître du champ de bataille, mais épuisé. Le général de Sparte venait d’apprendre que l’Athénien Conon, allié de Pharnabaze, menant la flotte royale, avait renversé les Oligarques de Rhodes, pris des vaisseaux chargés de blé que Néphéritès envoyait d’Égypte aux Spartiates et détruit la flotte lacédémonienne à Cnide.

Chassée de la mer, Sparte visa Corinthe que les Alliés défendirent avec acharnement pendant six années, cherchant à enfermer les Péloponnésiens dans le Péloponnèse. Corinthe multipliait les atrocités, ne respectant pas les temples où se réfugiaient les vaincus. Des bannis guidant les Lacédémoniens, ceux-ci prirent Léchée et coupèrent les longs-murs, ce qui leur ouvrait une des routes de l’isthme. Thèbes et Athènes proposèrent la paix. Le Peuple d’Athènes n’en accepta pas les conditions.

L’Athénien Iphicrate, excellent tacticien, inaugurait la guerre savante, seule possible avec des mercenaires qui ne se battaient que pour la solde reçue, et qu’aucune ardeur individuelle, patriotique, n’animait. Il substitua comme fond, dans la bataille, à la lourde cavalerie et aux troupes légères, les Peltastes maniant de longues lances et d’énormes épées, allégés du poids des anciens boucliers, trop pesants, et des cuirasses embarrassantes. Sa tactique consistait à ne suspendre jamais l’action des armées entraînées, en multipliant les vigies de surveillance, en se protégeant de mots d’ordre compliqués qui ne permettaient pas l’accès des espions.

Les peltastes d’Iphicrate affirmèrent leur réputation dans un premier succès contre les troupes lacédémoniennes. L’effroi qu’ils inspirèrent aussitôt leur permit d’aller impunément jusqu’au fond de l’Arcadie, grossir leur butin. Les villes s’enfermaient à leur approche. Sparte perdant son influence, Agésilas obligea les Acarnanes à rentrer dans la ligue péloponnésienne, tandis qu’Agésipolis agissait de même contre les Argiens, ravageant l’Argolide, s’appuyant d’un oracle de Delphes qui approuvait ses desseins. Les Spartiates ne pouvaient plus rester inactifs, Conon et Pharnabaze rendant successivement indépendantes toutes les îles et toutes les cités grecques d’Asie.

La flotte perso-phénicienne que commandait Conon parut dans le golfe de Messénie. Les troupes ravagèrent la riche vallée du Pamisos et prirent Cithére. Pharnabaze vint siéger au Conseil des ennemis de Sparte, apportant des subsides (393), avec lesquels Conon s’engageait à rebâtir les longs-murs d’Athènes. Conon, venu au Pirée avec 80 galères, tint sa promesse.

Athènes relevée, et s’exagérant ce retour de fortune, Sparte ayant l’effroi de son isolement, Agésilas traita avec les Perses, offrant de leur livrer tous les Grecs d’Asie. Conon, appelé à Sardes, y disparut, accusé d’avoir trahi les intérêts de la cour de Suse en se disposant à diriger ses nouvelles forces contre le Grand-Roi. Les Athéniens justifièrent cette accusation singulière, en secourant le roi de Chypre, Évagoros (390) ; en envoyant Thrasybule exiger l’alliance des princes thraces, de Byzance, de la Chalcédoine et de Lesbos ; en rétablissant les péages de l’Euxin ; en réclamant des tributs aux villes de la côte asiatique.

Thrasybule ayant été tué à Aspenda, — dans une querelle survenue entre ses guerriers et des citadins, — Iphicrate partit pour l’Hellespont (389). Les peltastes d’Iphicrate préoccupant le Grand-Roi, Suse et Sparte négociaient les bases d’une injonction à transmettre à Athènes. En effet, ouvertement soutenu par les Perses, le Spartiate Antalcidas, jetant les Éginètes au Pirée, troublant le commerce maritime, obligea vite les Athéniens à subir la paix humiliante dictée par le Perse Tiribaze : Le Grand-Roi gardait les villes d’Asie, Chypre et Clazomène, laissait leur indépendance aux autres villes grecques, grandes et petites, à l’exception de Lemnos, Imbros et Scyros, qui appartiendraient comme autrefois aux Athéniens. Sparte déshonorait l’Hellénie.

Les Thébains refusant d’accepter ce traité honteux, Agésilas les y contraignit. Argos se vit forcée de rappeler ses soldats qui protégeaient Corinthe. Les Corinthiens retombèrent sous la tyrannie des Grands ; les Démocrates furent exilés.

Or, Sparte seule n’exécuta pas le traité qu’elle avait imposé : Elle ne rendit pas la Messénie aux Messéniens ; elle ordonna aux Mantinéens d’abattre leurs murailles et, sur leur refus, envoya Agésipolis ravager le territoire, exécuter de force l’ordre intimé. Mantinée détruite, Sparte en divisa les habitants en quatre groupes séparés, donnant à chacun le rang d’État gouverné despotiquement par un Noble. Phlionte accepta la faction oligarchique que les éphores soutenaient. Sparte releva Platée, créant un nouvel élément de discorde en Hellénie.

En Chalcidique, une confédération de cités s’était formée dont Olynthe avait été reconnue comme la Ville capitale. La Ligue, très libérale, venait de se lier avec Amyntas, roi de Macédoine, et les Thraces, négociait un traité d’amitié avec Athènes et Thèbes. Deux villes jalouses du choix d’Olynthe, — Acanthe et Apollonie, — appelèrent Sparte qui envoya deux armées, l’une commandée par Eudamidas, l’autre par son frère Phébidas.

En passant prés de Thèbes, Phébidas s’entendit avec le chef de la ville, le polémarque aristocrate Léontiadès, et pendant que les Thébains célébraient joyeusement la fête de Cérès, la citadelle — la Cadmée, siège du gouvernement, — étant pleine de femmes y accomplissant les sacrifices traditionnels, à midi, la chaleur de l’été rendant les rues désertes, le général spartiate pénétra dans la ville, s’empara d’Isménias, le chef du Peuple. A cette audacieuse et inqualifiable agression, Sparte répondit, suivant son habitude, par une haute comédie d’indignation : elle rappela Phébidas, lui infligea une amende de 10.000 drachmes, mais garda la Cadmée, cette forteresse de Thèbes, et condamna à mort Isménias. Athènes reçut dans ses murs les quatre cents partisans d’Isménias fuyant la menace des Spartiates.

A Olynthe la guerre dura trois années (382-379). Les généraux spartiates Eudamidas et Téleutias, le roi Agésipolis y périrent. Les Olynthiens finirent par succomber ; ils se rendirent à l’harmoste Polybiadès. La ruine de la Confédération olynthienne, œuvre de Sparte, préparait l’empire macédonien, assurait la fin de Mellénie. Sparte s’acharnait à détruire la Grèce.

La terreur régnait à Thèbes. Léontiadès et Archias, fous furieux, emprisonnaient les citoyens, et quand les prisons étaient pleines, ordonnaient des exécutions. Ils eurent un instant la peur de leurs atrocités ; s’imaginant que les Thébains réfugiés à Athènes y ourdissaient un complot, y préparaient la vengeance de tant de victimes, ils soudoyèrent des assassins chargés d’aller frapper de mort les quatre cents Thébains réfugiés à Athènes. Le chef des exilés tombant assassiné, les bannis résolurent de marcher sur Thèbes, conduits par Pélopidas. Athènes refusa noblement à Sparte de lui livrer ces Thébains héroïques. A Thèbes, Épaminondas préparait le succès de l’expédition, en exaltant les jeunes Thébains au gymnase, les engageant à mesurer leur force en luttant contre les Spartiates partageant leurs exercices, afin de prendre l’habitude de les vaincre.

Les conjurés parvinrent à se réunir dans Thèbes, chez Charon. Archias, prévenu, se moqua de l’avertissement. A ce moment même, déguisés, cachant leurs armes sous des vêtements de femme, couronnés de feuilles couvrant leurs visages, les conjurés allèrent droit à Philippe et à Archias, incapables de se défendre, noyés dans le vin, et ils les tuèrent. Les portes des prisons furent ouvertes. Léontiadès et Hypatès moururent. Des hérauts, sonnant de la trompette, annonçaient leur délivrance aux Thébains. Les Lacédémoniens, au nombre de 1.500, se réfugièrent dans la Cadmée. Le lendemain, le Peuple réuni salua les exilés revenus en libérateurs, nomma Pélopidas, Charon et Mellon béotarques.

Des troupes accourues de Platée furent repoussées par les Thébains. Les Lacédémoniens assiégés dans la forteresse se rendirent. Thèbes effaçait la honte qu’elle avait encourue jadis en favorisant l’invasion de Xerxès. La ville, jadis toute asiatique, corrompue, s’était assainie au contact des Athéniens chassés d’Athènes par la tyrannie des Trente, des Italiotes qui y avaient apporté les doctrines de Pythagore, des disciples de Socrate qui y enseignaient. Les Tragiques n’avaient pas prévu cette conséquence des proscriptions ; ils ne pouvaient pas s’imaginer qu’un Épaminondas sortirait de la fange thébaine.

Épaminondas était l’élève du pythagoricien Lysis, de Tarente. Apte aux joies artistiques, dédaigneux de la fortune, trouvant son plaisir dans les satisfactions simples d’une vie austère, prudente, habile, — car il fut un politique excellent, — où les jouissances de l’esprit (musique et dissertation) lui suffisaient, il fit pour l’Hellénie, à Thèbes, un héros digne des grands Grecs. Épaminondas, calme et souriant, très doux, aimait à montrer son agilité et sa force au gymnase, où se pressaient — Thèbes étant devenue comme un refuge, — des citoyens accourus de toutes les villes tourmentées, et qui répandaient ensuite au loin sa réputation. Sa patience, son patriotisme, sa bravoure et la sûreté de son caractère faisaient l’admiration de tous.

Pélopidas, volontiers oublieux des jouissances intellectuelles, sobre, n’aimait que la chasse et la lutte. Son ambition, très ardente, visait la gloire de sa patrie. Rapide à comprendre, à vouloir et à agir, ses conceptions et ses actes le laissèrent cependant inférieur à Épaminondas, dont il n’avait ni l’esprit avisé, ni la patiente abnégation.

Avec ces deux hommes, après le succès retentissant de son insurrection populaire pour la liberté, Thèbes devait s’affirmer. Sparte organisait une armée que Cléombronte devait conduire contre les Thébains. L’Hellénie tout entière attendait, anxieuse. Les Athéniens, trop prudents cette fois, sacrifièrent à Sparte deux de leurs généraux accusés d’avoir soutenus les Révolutionnaires thébains, les conjurés, sans y avoir été autorisés par le Peuple. — Cette lâcheté enhardit les Spartiates ; l’un d’eux, Sphodrias, tenta de s’emparer du Pirée : sa flotte, qui devait arriver de nuit et débarquer les troupes d’occupation, fut surprise par le jour levé dans les environs d’Éleusis. Le danger disparu, les Athéniens indignés, se prononçant pour Thèbes, se fortifièrent, mirent 100 galères en chantier (378).

L’affaiblissement d’Athènes, sa chute possible, privaient les peuples helléniques des bénéfices que leur procuraient les ports athéniens jadis si fréquentés, maintenant presque déserts. Cette démonstration de la nécessité d’Athènes lui ramena des alliés ; d’autant que des pirates, sûrs de l’impunité, infestaient la mer hellénique. Byzance, Rhodes, Mytilène, presque toute l’Eubée, un très grand nombre de villes revinrent aux Athéniens, demandant à se confédérer. L’ancien vœu d’Aristide se réalisait.

Un Congrès réuni à Athènes vota les contributions et les contingents que chacun devait fournir. Dans cette Assemblée mémorable, les Athéniens proclamèrent l’indépendance des Confédérés dans le choix et l’organisation de leurs gouvernements respectifs ; et ils s’assurèrent de loyales sympathies, en n’intervenant dans les résolutions du Congrès qu’avec une seule voix, renonçant à toutes les revendications, déclarant qu’ils ne voulaient plus de domaines hors de l’Attique. Thèbes figurait dans la liste des villes confédérées. La Ligue disposait de 20.000 hoplites, 500 cavaliers et 200 navires.

Les Péloponnésiens répondirent à cette manifestation par une Ligue très libéralement conçue, où chacun pouvait croire qu’il avait conquis son indépendance. Cette Ligue comprenait, avec les Lacédémoniens, les Arcadiens, les Éléens, les Achéens, les Corinthiens, les Mégariens, les Sicyôniens, les Phliasiens, les Actéens, les Acarnaniens, les Phocidiens, les Locriens, les Olynthiens et des Thraces.

Agésilas, commandant l’armée des Péloponnésiens, pénétra en Béotie. Chabrias commandait les Confédérés réunis. L’attitude des Athéniens au premier choc intimida Agésilas, qui ne poursuivit pas la campagne. Athènes éleva une statue à Chabrias, représenté le bouclier appuyé contre le genou et la lance en arrêt, tenue des deux mains.

Un an après (377) Agésilas revint en Béotie, mieux préparé. Les Thébains, instruits et bien commandés, ne quittaient pas les hauteurs, s’habituant par des combats d’essai à regarder les Spartiates en face. Dans un de ces petits combats, Agésilas fut blessé. L’année suivante (376) Cléombronte, qui remplaçait Agésilas, moins prudent, essuya une défaite en voulant passer trop tôt le Cithéron.

Sparte doutant d’un succès possible contre les Confédérés aguerris et résolus, essaya d’une diversion, armant 80 galères qui devaient, en interceptant les arrivages de blé, affamer ses ennemis. A Naxos se rencontrèrent les deux flottes. Les Lacédémoniens perdirent 49 vaisseaux. Le vainqueur, Chabrias, ne poursuivit pas les vaincus. La victoire des Athéniens leur valut de nouveaux alliés.

Reprenant l’offensive, Athènes chargea Thimothée, qui y réussit, de ramener de force à la Confédération Corcyre, Céphallénie, les Acarnanes et le roi des Molosses, Alcetas. Une flotte lacédémonienne lancée contre Thimothée éprouva une défaite.

Thèbes voulut reprendre les villes béotiennes qui avaient appelé l’étranger : Thespies, Platée et Orchomène. Pélopidas, agissant contre Orchomène, échoua, mais en revenant à Thèbes, il battit les Spartiates massés près de Tègyre. Le bataillon sacré des Thébains — 300 hommes, — que Pélopidas avait réorganisé, qui venait de vaincre magnifiquement, devint légendaire.

Corcyre menacée appela les Athéniens. Thimothée, trop lent, indécis, faillit compromettre l’expédition ; Iphicrate et Callistrate le remplacèrent. Denys de Syracuse avait expédié 10 vaisseaux aux Lacédémoniens. Iphicrate les surprit. Les Corcyréens, sans attendre les secours, venaient de se délivrer.

Maintenant que la guerre devenait maritime, Thèbes pacifiée et organisée prenait trop d’importance ; les Athéniens négocièrent de la paix avec Sparte. Les mobiles de cette décision n’étaient pas honorables : Callistrate craignait que les généraux victorieux ne devinssent plus influents que les politiciens ; Iphicrate et Chabrias, fiers de leur science militaire, ambitieux de gloire, lassés de ces hostilités interminables sur le sol hellénique, écoutaient avec complaisance les propositions que leur faisait le roi des Perses, le Grand-Roi. Callias offrit aux Spartiates le partage de Mellénie. Le traité de paix ne fit mention de Thèbes, que pour inscrire les Thébains parmi ceux qui relèveraient d’Athènes. Épaminondas intervint pour protester, et le nom de Thèbes fut rayé du traité (371).

Le Spartiate Cléombronte se trouvait en Béotie avec 10.000 hoplites et 1.000 cavaliers, dans la plaine de Leuctres, sur un champ où se dressait le tombeau de jeunes Thébaines outragées par des Lacédémoniens et qui s’étaient tuées pour ne pas survivre à leur honte. Les Thébains opposaient à Cléombronte 6.000 hommes seulement, mais commandés par Épaminondas. Pélopidas était à la tête du Bataillon sacré, réputé invincible.

La tactique d’Épaminondas — qui avait mis toutes ses forces sûres à la gauche et disposé sa ligne obliquement pour masquer la faiblesse de sa droite, -déconcerta l’ennemi. Les Thébains se ruèrent, par leur gauche, sur les Lacédémoniens qu’ils massacrèrent. Le roi Cléombronte, frappé à mort, tomba. Sur 700 guerriers de Sparte présents au combat, 400 succombèrent.

Les éphores apprirent ce désastre au moment où les Spartiates, devant un grand concours d’étrangers, célébraient une fête. Les éphores interdirent toute tristesse, obligèrent les chœurs à rester au théâtre, les citoyens à laisser les décorations dont ils avaient orné leurs maisons, défendirent aux parents des guerriers tués de montrer leur deuil. L’Hellénie tout entière, ébranlée, vit dans la défaite de Sparte le triomphe de la Démocratie.

Athènes, jalouse, accueillit mal les hérauts qui vinrent lui annoncer la grande victoire des Thébains ; elle convoqua une Assemblée qui décida d’empêcher que Thèbes ne devint dominatrice.

Presque partout, les Démocrates procédèrent au refoulement ou à l’exécution des Aristocrates, qui se défendirent avec succès, usant de représailles terribles à Corinthe, à Sicyône, à Mégare, à Phlionte. A Argos, la lutte, épouvantable, se termina dans le sang mêlé des Aristocrates et des Démagogues. Athènes, se souvenant de ses Tragiques, expia solennellement, par des cérémonies à caractère religieux, le grand massacre des Argiens.

Conséquence imprévue de la défaite des Spartiates à Leuctres, les Arcadiens robustes et belliqueux, dont le territoire était le plus large en Péloponnèse, qui avaient été jusqu’alors complètement à la merci de Lacédémone, enflammés par l’éloquence entraînante d’un Mantinéen, Lycomède, voulurent s’organiser, avoir une métropole, un Conseil national, une armée. Épaminondas favorisa ce mouvement destiné, s’il réussissait, à priver Sparte de ses meilleurs soldats. Thèbes envoya 1.000 guerriers chargés de protéger les travailleurs arcadiens occupés à édifier leur Ville capitale, Mégalopolis, — la grande ville, — sur les bords d’un affluent de l’Alphée, prés des frontières de Messénie, sur l’une des routes donnant accès à la vallée de l’Eurotas. Un théâtre bâti manifesta la puissance de l’État nouveau, par la rapidité et l’énormité de la construction.

Il semble que les Arcadiens confièrent le gouvernement à 10.000 hoplites formant l’Assemblée, ou Grand-Conseil, se réunissant à Mégalopolis. Lycomède était le général de cette troupe gouvernante. Cependant Orchomène et Tégée résistaient aux vues omnipotentes de Mégalopolis ; Sparte, pour soutenir cette résistance, envoya Agésilas qui ravagea le territoire de Mantinée. Les Thébains accourus, Agésilas retourna défendre Sparte qu’il vit sérieusement menacée.

L’armée thébaine était considérablement grossie : Sauf ceux de l’Attique, presque tous les Hellènes de la Grèce septentrionale y figuraient, obéissant à Épaminondas. Cette armée pénétra en Laconie par quatre voies, se réunit à Sellasie, — 50.000 hommes au moins ; 70.000 dont 40.000 hoplites, d’après Plutarque, — et se dirigea vers Sparte épouvantée.

Agésilas promit la liberté aux hilotes qui s’armeraient ; 6.000 répondirent à cet appel. Corinthe, Sicyône, Pellène, Épidaure, Trézène, Hermione et Haliées envoyèrent des contingents.

Épaminondas ravageant les environs de Lacédémone, ayant passé l’Eurotas, essaya en vain d’attirer Agésilas. Une démonstration de cavaliers thessaliens ne produisit aucun effet. Dans la ville, des Spartiates, des traîtres, s’étaient emparés d’un quartier ; Agésilas parvint à les ramener, leur parlant avec douceur, et fit ensuite exécuter impitoyablement leurs chefs. Épaminondas n’osant pas entrer de force dans Sparte, assaillit inutilement Gythion. Cette résistance, et l’ignorance de l’art des sièges sans doute, l’approche de l’hiver, l’impossibilité de faire vivre une telle armée sur un territoire dévasté, obligèrent le général thébain à s’éloigner, après avoir rebâti Messène sur la pente du mont Ithome, pour tenir en respect les Lacédémoniens.

Athènes avait décidé qu’elle secourait Sparte. Épaminondas, en effet, rencontra 12.000 guerriers athéniens commandés par Iphicrate, barrant l’isthme, enfermant les Thébains dans le Péloponnèse. Épaminondas revint à Thèbes qui, pendant son absence, avait ordonné des massacres d’Aristocrates dans plusieurs villes : Orchomène rasée, les habitants mâles avaient été égorgés, les femmes et les enfants vendus (369) ; les citoyens de Thespies et de Platée, menacés d’un sort semblable, s’étaient enfuis. Épaminondas ne pouvait rien contre ce vieux ferment thébain soulevé.

Athènes et Sparte étant alliées, les Arcadiens organisés appelèrent les Thébains, les encourageant à tenter une nouvelle action. Épaminondas répondit à cet appel (369), força le passage de l’isthme, soumit à l’obéissance Sicyone et Pelléne, et battu devant Corinthe par Chabrias, se retira, venant d’apprendre que Denys de Syracuse envoyait des mercenaires gaulois. Les Arcadiens ravageaient la Laconie. L’année suivante (368), le Spartiate Archidamos, pour empêcher le renouvellement du pillage, marcha contre les Arcadiens qui, l’ayant repoussé, l’attaquèrent prés de Midée.

Des incidents graves survenus en Thessalie, où Thèbes dut intervenir, délivrèrent Sparte de ses légitimes angoisses. Les Thessaliens, organisés en nation forte par Jason, qui venait de mourir, avaient vu leurs trois grandes villes, — Larisse, Pharsale et Phères, — se disputer la suprématie. Lycophron tenait Phères ; Médios, chef des Aleuades, gouvernant Larisse, avait pris Pharsale aidé d’un corps de Béotiens et d’Argiens. En revenant d’Asie, le Spartiate Agésilas avait enlevé Pharsale à Médios, donné la ville au sage et intègre Polydamas.

La Thessalie, depuis lors, vivait dans des troubles continuels. Jason, petit-fils et successeur de Lycophron, y préparait sa domination, avec 6.000 mercenaires bien exercés, allié au roi d’Épire, Alcétas. Pour prendre Pharsale, que Sparte protégeait, Jason appela les Thébains, après avoir refusé l’aide d’Athènes. Mais Sparte ne secourut pas Polydamas, qui livra sa ville à Jason devenu chef suprême, — Lagos, — des Thessaliens. Il commandait à 28.000 hoplites, 8.000 cavaliers et d’innombrables troupes légères.

Thèbes avait appelé les Thessaliens à son secours après la bataille de Leuctres, afin d’anéantir l’armée de Cléombronte vaincue. Jason n’avait pas répondu à l’appel des Thébains. Et comme tous ceux qui, depuis Xerxès, rêvaient de l’omnipotence en Hellénie, Jason envoyait 1.000 bœufs et 10.000 têtes de bétail aux prêtres de Delphes pour obtenir leur appui, annonçant son pèlerinage personnel au temple de l’Apollon-Pythien. Jason mourut assassiné la veille de son départ. Les Delphiens, que l’arrivée de l’ambitieux Jason inquiétait, ayant supplié l’oracle de les délivrer de ce danger, l’oracle avait répondu

Le dieu saura se défendre. Apollon s’était bien défendu. Les assassins, armés par les prêtres de Delphes, reçurent des honneurs dans un grand nombre de villes. Le successeur de Jason, Polydoros, fut tué par son frère Poluphron, qui mourut assassiné à son tour par son neveu Alexandre de Phères, tyran dont les cruautés firent frémir l’Hellénie et ruinèrent les projets d’avenir de Jason. Le tyran, après avoir fait mourir le sage Polydamas, procéda par l’égorgement systématique de tous ceux qui l’offensaient ou le gênaient. Les Aleuates qui gouvernaient Larisse, après un appel infructueux au roi de Macédoine, se tournèrent vers Thèbes qui envoya Pélopidas provoquer Alexandre de Phères. Le tyran disparut avec ses gardes (368).

Pélopidas, passé en Macédoine, y obtint l’alliance du roi, ramena comme otages de jeunes Macédoniens appartenant aux plus grandes familles, parmi lesquels le frère même du souverain.

La force de Thèbes, aux yeux des étrangers surtout, n’était égalée que par l’influence de Delphes. Le satrape Ariobarzane, gouvernant l’Hellespont, et qui s’appliquait à rétablir la puissance de Sparte, proposa une grande Assemblée des États helléniques à Delphes, afin de réconcilier les Grecs. Son envoyé, Philiscos, se rendit auprès des prêtres d’Apollon, avec beaucoup d’argent.