Athènes (de 480 à 336 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XVII

 

 

DE 427 A 407 Av. J.-C. - L’expédition de Sicile. - Mutilation des Hermès. - Terreur à Athènes. - Trahison d’Alcibiade. - Mort de Lomachos. - Gylippos à Syracuse. - Démosthène et Eurymédon adjoints à Nicias. - Retraite désastreuse des Athéniens. - Mort de Nicias et de Démosthène. - Sparte contre Athènes. - Nouvelle constitution d’Athènes. - Oligarchie. - Alcibiade à Samos.- La Démocratie rétablie. - Victoire de Sestos et de Cyzique. - Alcibiade généralissime.

 

ALCIBIADE n’attendait qu’un prétexte pour ordonner l’expédition de Sicite. Voici (415) qu’Égeste et Sélinonte, en querelle, prirent les armes ; que Sélinonte fut secourue par Syracuse et que des envoyés d’Égeste réclamèrent l’appui d’Athènes. Les Athéniens eurent un instant d’hésitation lorsque Alcibiade demanda le vote de l’entreprise. Le Peuple voulut, avant de se prononcer, que l’on s’enquit des ressources de guerre dont disposaient les Égestains. Nicias, opposé à l’expédition, affirmait que les Égestains n’avaient rien. Tous les orateurs suscités par Alcibiade, s’efforcèrent de combattre Nicias. Il fut décrété que des ambassadeurs partiraient pour Égeste, avec la mission de se renseigner ; niais, déjà trompés, les Athéniens croyaient à l’existence de trésors accumulés dans les temples d’Égeste.

Les Égestains surent montrer aux ambassadeurs des trésors qui n’existaient pas et les Athéniens ne s’occupèrent plus que de l’expédition. On ne parlait que de la Sicile, de ses richesses, de sa fécondité ; de l’île fameuse donnée à la fille de Cérès et dont les moissons dépassaient l’œuvre des terres les plus fertiles avait dit Pindare ; de l’île célébrée dans l’Odyssée d’Homère, où paissaient les bœufs et les gras troupeaux de Hélios... des bœufs irréprochables, aux larges fronts. L’île prise servirait de place d’armes, pour aller soumettre Carthage et dominer jusqu’aux colonnes d’Hercule. L’enthousiasme des Athéniens réduisait au silence ceux qui osaient douter du succès.

Seul Nicias, encore après qu’on l’eut chargé, comme général, de concourir avec Alcibiade et Lamachos à l’expédition, continuait sa critique violente. Il faisait remarquer qu’on abandonnait la Chalcidique en pleine révolte ; que les «vivres » indispensables, en froment et orge, allaient vider les magasins d’Athènes déjà bien appauvris ; il alla jusqu’à accuser Alcibiade de sacrifier la Ville à son ambition ; se mit à énumérer, pour effrayer le Peuple, la quantité énorme de galères, d’hoplites, de vaisseaux et d’approvisionnements nécessaires. Un démagogue répliqua, en faisant voter des pleins pouvoirs aux généraux. Ivre de sa force et de sa fortune, le Peuple ne voyait ni la défection d’Amphipolis, ni l’insurrection de la Chalcidique, ni l’hostile agitation de la Macédoine : il voulait la Sicile.

En Sicile, on ne croyait pas au départ des Athéniens, tant l’expédition était aventureuse. A Athènes, les devins intervenaient, les uns favorables, — ceux de Dodone par exemple, — les autres, — ceux de Délos surtout, — contraires à l’armement. Alcibiade frappa les esprits superstitieux, troublés, en s’appuyant d’un oracle de Jupiter-Ammon, tout à fait favorable.

Un grand désordre intellectuel régnait à Athènes. L’astronome Méton disait que son augure ne présageait rien de bon ; Socrate, que son démon familier lui avait annoncé une désastreuse issue. Les passions étaient excitées au plus haut degré, pour ou contre Alcibiade. La flotte venait de partir, lorsqu’on apprit avec terreur que les Hermès, ou bustes de Mercure dressés dans la ville, avaient été mutilés. L’Assemblée et le Conseil des Cinq-Cents se réunirent pour ordonner la recherche des sacrilèges, promettre des récompenses aux dénonciateurs. On accusa Alcibiade, en rappelant que dans un festin il avait parodié les mystères d’Éleusis. Alcibiade réclama des juges. Ses adversaires, sachant son influence personnelle, firent constater que les Argiens et les Mantinéens ne participaient à l’expédition qu’à cause d’Alcibiade et que ce dernier devait partir. Alcibiade dut s’embarquer, laissant ses juges à ses ennemis.

Sa flotte comprenait 134 trirèmes de combat, montées par 5.100 hoplites, 480 archers de Crète, 700 frondeurs rhodiens et 120 Mégariens armés à la légère. Le départ des guerriers avait été magnifique, solennel, théâtral ; — la beauté des armes et des vêtements y était l’objet d’une ardente rivalité, écrit Thucydide ; — les bâtiments, ornés, décorés de sculptures, étaient dignes de ces combattants luxueux. Après le grand silence que les trompettes avaient ordonné pour les invocations accoutumées, les cratères furent remplis et les libations, bruyantes, faites dans des coupes d’or et d’argent : l’armée tout entière entonna le pœan.

La flotte disparût, cinglant vers Égine. Les généraux n’avaient aucune instruction. Le long des côtes, les Athéniens ne virent que des cités fermant leurs portes, leur refusant tout secours. Chacun tenait à affirmer sa neutralité ; même Rhegium, l’alliée d’Athènes. On avait pourtant compté sur l’aide des villes ioniennes. Les généraux étaient en désaccord : Lamachos voulait aller directement à Syracuse et livrer la bataille ; Alcibiade proposait, avant tout combat, de détacher des Syracusains le plus de villes possibles, surtout les Sicules, de marcher ensuite sur Syracuse et Sélinonte ; Nicias demandait que l’on obligeât les Égestains à montrer leurs ressources, et s’ils manquaient à leurs promesses, de faire quelque manifestation contre Sélinonte, de retourner à Athènes, après avoir fait naviguer dans les eaux de la Sicile, le long des côtes, la magnifique, l’imposante flotte des Athéniens. Le plan d’Alcibiade fut adopté.

Messine se déclara hostile aux Athéniens. Naxos ouvrit ses portes. Catane admit Alcibiade seul dans ses murs, pour négocier. Pendant qu’Alcibiade parlait au Peuple, des guerriers pénétrèrent dans la ville, qui se soumit : Le port devint le point de station de la flotte.

Athènes, aussitôt la flotte partie, eut une grande peur. L’affaire des Hermès mutilés, les méchants oracles, l’isolement et l’omnipotence du Peuple devenu soupçonneux, terrorisaient les esprits. Cette impression se répandait ; Argos en fut atteinte. Un corps de Béotiens et de Spartiates marchait vers les frontières de l’Attique. On ne voyait plus que des traîtres. A Argos, le Peuple massacra les partisans de l’oligarchie, les soupçonnant de vouloir livrer la ville ; à Athènes, on exécutait des sacrilèges, on proscrivait des suspects, chaque jour. Il fut décidé qu’on rappellerait Alcibiade, accusé d’avoir violé les mystères d’Éleusis. La galère salaminienne, envoyée, parut à Catane au moment où l’armée venait de tenter inutilement une action contre Camarine.

Alcibiade s’enfuit à Thurium et de là en Péloponnèse, à Argos, sachant qu’une sentence de mort l’attendait à Athènes. Avant de quitter la Sicile, il fit connaître aux Syracusains ses négociations avec les Grecs de Messine, qui devaient lui livrer la ville. Apprenant la fuite d’Alcibiade, les juges athéniens prononcèrent sa condamnation à mort et confisquèrent ses biens ; les prêtres, — sauf l’hiérophante Théano, — prononcèrent en grande pompe les antiques malédictions, en secouant leurs robes de pourpre.

Le départ d’Alcibiade découragea l’armée. Nicias, croisant devant les côtes, gagnait du temps. Les Syracusains s’organisaient pour la défense. Le plan de Lamachos, si on l’eût adopté, aurait peut-être réussi, les Syracusains, malgré les avis d’Hermocrate, n’ayant jamais cru à l’expédition. Lorsque Nicias, instruit, reprit le plan de Lamachos, Syracuse était prête pour la résistance, son armée, cependant, formée de mercenaires, d’hommes levés en masse, ses généraux connus pour ignorer toute science militaire.

Stratège hésitant et conseiller indécis, Nicias était superbe dans l’action. Ayant attiré les Syracusains hors de leurs murs par une feinte, il attaqua la ville dégarnie, après avoir établi son camp entre un marécage formé par les eaux de l’Anapos et la colline Olympéion, ainsi protégé contre la cavalerie syracusaine. Les hoplites frappèrent les premiers. Nicias gagna la bataille. Mais l’hiver étant venu, Nicias ayant montré la force des Athéniens se retira à Naxos. Comme conséquence de cette première victoire, les Sicules se prononcèrent contre Syracuse, et Nicias put négocier dignement l’alliance de Carthage et de l’Étrurie, ennemies des Siciliens.

Athènes, pourtant instruite de ce premier succès et des difficultés de l’avenir, toute à ses terreurs et à ses intrigues, n’envoya rien à Nicias. Il est vrai que, redoutant d’être enrôlés, plus de vingt mille esclaves, — les artisans surtout, — avaient quitté la ville. Syracuse menacée, envoya des députés à Corinthe et à Sparte. Alcibiade se fit le guide et le conseiller de ces ambassadeurs : Il proposait aux Spartiates d’expédier une armée à Syracuse et d’agir contre l’Attique, afin qu’Athènes eut deux guerres à soutenir. Sparte désigna Gylippos qui devait, avec des vaisseaux de Corinthe, aller au secours de Syracuse ; il ne partit qu’après le retour de l’été, ce qui permit à Nicias d’agir.

Pendant l’hiver, les Syracusains avaient construit une muraille qui défendait l’approche de l’Achradine et d’Ortygie. Ils allaient occuper l’Épipole, lorsque les Athéniens, les prévenant, s’y installèrent. Achradine, c’était la nouvelle Syracuse, bâtie sur la terre ferme ; Ortygie, l’ancienne cité dans l’île.

L’Achradine était à la base d’un triangle dont la pointe, l’Épipole, dominait les deux villes, avec son fort Eurièle. Nicias, maître de ce sommet, se retrancha dans une vaste enceinte, — Syké, — fit construire deux murs de circonvallation enveloppant la ville. Les Syracusains voulurent ainsi bâtir un mur transversal pour couper les travaux des Athéniens ; les Athéniens ne permirent pas l’exécution de cette menace. Lamachos fut tué dans un des combats livrés pour empêcher la construction du mur syracusain.

Nicias victorieux, demeuré seul, reçut des secours encourageants, spontanés, d’Italie, — les Étrusques lui envoyèrent trois vaisseaux, — et de Sicile même. Les Syracusains se considéraient comme vaincus, lorsqu’une galère de Corinthe, échappée à la surveillance des Athéniens, vint annoncer l’arrivée d’une flotte formée à Leucade et la présence de Gylippos en Sicile.

Débarqué à Himère, Gylippos, secouru par Sélinonte, Géla et quelques Sicules, réunit 30.000 hommes. Nicias ne poursuivait qu’avec regret l’entreprise ; mais l’épuisement des finances syracusaines et la formation d’un parti, dans la ville assiégée, qui acceptait la domination d’Athènes, le faisaient hésiter. Gylippos annonçait que les Athéniens ne voulaient la Sicile que pour la piller, l’épuiser et prendre ensuite l’Hellénie tout entière. Cette dénonciation amenait des recrues au Spartiate.

Nicias, dédaignant Gylippos, ou mal renseigné, le laissa venir à Syracuse. Maître de la ville, Gylippos fit faire d’insolentes propositions de retraite à Nicias. Les Athéniens, — Nicias n’ayant rien répondu, — plaisantèrent les envoyés de Gylippos qui, profitant de l’effet produit par son arrivée, surprit le fort Labdalon, dont il fit égorger le défenseur, et bâtit un troisième mur coupant la ligne des Athéniens, atteignant aux hauteurs de l’Épipole, clef de la position. Nicias inquiet, et le montrant, fortifia le promontoire Plemmyrion, à l’entrée du grand port, se précautionnant ainsi aux yeux de tous pour la retraite. Gylippos assiégea Nicias, qui écrivit aux Athéniens toute la vérité, réclama des secours ou un successeur. Athènes vota un nouvel armement, adjoignit à Nicias, comme généraux, Démosthène et Eurymédon. On vit, dans les troupes nouvelles formées, 1.300 peltastes thraces armés de coutelas. Sparte, de son côté, décidait qu’au printemps (413), elle enverrait une armée à Syracuse et qu’elle occuperait Décélie, en Attique, suivant les conseils d’Alcibiade.

Gylippos poursuivant ses succès, ayant ramené à l’alliante des Syracusains victorieux toutes les villes jusqu’alors hésitantes, à l’exception d’Agrigente, voulut attaquer rapidement les Athéniens et par terre et par mer. Il s’empara des forts de Plemmyrion, privant ainsi les Athéniens, — surpris pendant qu’ils regardaient le combat naval, — de leurs provisions, de leurs bagages, de leurs trésors, de la protection de leur retraite possible, de tout secours à arriver par mer.

Démosthène parût avec 73 vaisseaux, 5.000 fantassins, — dont 3.000 archers, frondeurs et gens de trait, — alors que la flotte de Nicias venait de subir deux défaites. L’armée de secours était superbe : l’éclat des armes, les couleurs brillantes des enseignes, le grand nombre des officiers et le son bruyant des trompettes, tout offrait aux ennemis le spectacle le plus pompeux et le plus effrayant. Démosthène ordonna d’attaquer la muraille des Syracusains, résolument, pour entrer ensuite à Syracuse. Nicias, épouvanté, se blottit dans les retranchements.

L’attaque de l’Épipole, soudaine, imprévue, au milieu de la nuit, par Démosthène et Eurymédon, mit en désordre les Syracusains ; mais enivrés de leur victoire, les Athéniens pourchassèrent les vaincus, se débandèrent, tandis que leurs ennemis se reformaient. Dispersés, s’appelant, les Athéniens se combattant eux-mêmes, se ruaient sur leurs propres Alliés, — les Argiens, les Corcyréens et toutes les troupes doriennes chantant le pœan, — que les Athéniens prenaient pour des Syracusains ; et ne connaissant pas le terrain, descendaient dans la plaine où la cavalerie syracusaine allait les envelopper et les prendre sûrement. Au jour, défaits pour avoir abusé de leur victoire décisive, les Athéniens avaient perdu 2.000 combattants.

Les désertions accentuèrent la défaite ; les valets et les mercenaires esclaves, achetés pour remplacer les matelots, fuyaient. Démosthène proposa de quitter la Sicile. Nicias refusa, disant que les Syracusains ayant épuisé leur trésor, leurs alliés allaient maintenant les abandonner.

Eurymédon partagea l’avis de Nicias, qu’il supposait bien renseigné. Les Syracusains, en effet, n’avaient plus rien. Gylippos, parti de nouveau, revint avec des troupes nouvelles, pour barrer l’issue du port, interdire toute retraite aux Athéniens.

Gylippos prit 18 vaisseaux aux Athéniens, ferma le port, dont la sortie fut encombrée. Bloqués avec leurs 110 vaisseaux, les Athéniens attaquèrent avec rage la flotte ennemie. Les navires se heurtaient dans un désordre désespérant, s’entrechoquaient, se brisaient, sans tactique, follement. L’avantage resta aux Syracusains. L’armée de terre accourut au secours des équipages jetés à la côte. Les barques légères des Syracusains, — qui voltigeaient autour des navires, se glissaient sous la ligne des rames, rasaient les flancs du bâtiment, accablaient de traits les équipages, -protégées, garnies de peaux pour résister au jet des crampons, avaient triomphé. Affolés, ne songeant qu’à sauver leur vie, les Athéniens fuyant ne réclamèrent pas leurs morts. Des guerriers, soupçonnant leurs généraux de trahison, les accusaient d’avoir vendu leur départ.

Démosthène, très courageux, proposa de tenter un nouveau combat, de forcer le passage, montrant 60 vaisseaux intacts, et la flotte ennemie, — 50 navires seulement, — abîmée. Nicias partagea cet avis. Les équipages refusèrent de combattre. La retraite s’imposait

une retraite de 40.000 hommes, épuisés, dépourvus de vivres, une armée battue, encombrée de blessés, de malades qui s’attachaient aux vêtements des guerriers, les suppliant de ne pas les abandonner.

L’armée athénienne vaincue, en retraite, formait deux divisions conduites par Nicias et Démosthène. Les Syracusains harcelaient les fuyards. Démosthène à l’arrière-garde, enveloppé, pris à Polyzélion, dut se rendre, ne réclamant que la vie sauve pour ses soldats. Nicias apprenant ce désastre, offrit à Gylippos qu’on le laissât sortir de la Sicile, s’engageant à faire rembourser les frais de la guerre par Athènes. Gylippos, devenu méprisant, répondit en accentuant la poursuite.

L’armée athénienne était aux bords du fleuve Asinaros, qu’il fallait passer. Succombant à la fièvre, mourant de soif, les guerriers se précipitèrent dans les eaux du fleuve, s’y noyant en masse, tandis que les Syracusains, des hauteurs, les accablaient de traits mortels. Nicias se rendit à Gylippos (21 septembre 413) pour arrêter l’abominable et lâche massacre.

Syracuse couronna sa victoire par un décret honteux, que proposa l’orateur Euryclès : Le jour où Nicias a été fait prisonnier sera consacré à jamais par des sacrifices et par la suspension de tout travail public. Cette fête sera appelée Asinaria, du nom du fleuve que les Syracusains ont illustré par leur victoire. Les valets des Athéniens et tous leurs alliés seront vendus à l’encan ; les Athéniens de condition libre et les Siciliens qui ont embrassé leur parti seront relégués dans les carrières, excepté les généraux que l’on fera mourir. Deux hommes seuls s’opposèrent à l’exécution de ce décret, Hermocrate et Gylippos, ce dernier réclamant les deux généraux pour les emmener à Sparte.

Les Syracusains, délivrés de leurs ennemis, accablèrent d’injures Gylippos, dont la maîtrise avait été violente, lui reprochèrent ses concussions. Nicias et Démosthène furent mis à mort, comme l’avait dit le décret. Les prisonniers, jetés dans des carrières profondes, ouvertes, ne recevant chacun qu’une demi ration d’esclave, — deux cotyles d’orge et une cotyle d’eau par homme et par jour, — succombaient au contact des morts qu’on laissait pourrir au fond des fosses. Après soixante et dix jours de ce supplice, les Syracusains vendirent ceux qui avaient résisté.

Gylippos revenu à Sparte, convaincu de plusieurs actions honteuses, fut chassé de Lacédémone. Hermocrate, accusé de trahison par les Syracusains, fut banni. Trois ans après, ayant tenté de rentrer de force dans sa patrie, Hermocrate reçut la mort sur la place publique de Syracuse.

En Hellénie, pendant que l’expédition de Sicile aboutissait aux plus épouvantables catastrophes, les Spartiates prenaient et fortifiaient Décélie, dont ils ravageaient le territoire. Les Athéniens menacés de si près, sans ressources, forcés d’augmenter le tribut des Alliés, ne désespérant pas, gardaient la Cité, de jour et de nuit, prêts à repousser l’attaque imminente du roi Agis. Leur opiniâtreté, dit Thucydide, était montée à un point tel, que, qui l’eût prédite avant l’événement n’aurait rencontré qu’incrédulité. Le désastre de Sicile avait ramené le Peuple à l’ordre et à la sagesse ? Athènes s’approvisionnait de bois, mettait des navires en chantier, fortifiait le cap Sunion, diminuait le nombre de ses gouvernants pour donner plus d’unité et plus de suite à l’action gouvernementale.

L’Eubée se tournait vers Sparte ; Lesbos, Chios et Érythrée imitaient l’Eubée ; au nom du Grand-Roi, Tissapherne et Pharnabaze promettaient de l’argent et une flotte. Tout et tous conspirant contre Athènes, Athènes, prodige de puissance et d’audace, ne manifestait pas trop d’émotion.

Darius II, — le Grand-Roi des Perses, — s’agitait. Tissapherne et Pharnabaze, en s’offrant à Sparte (413) semblaient vouloir secouer le joug de leur maître, souverain déconsidéré, jouer, disait-on, d’une femme et de trois eunuques. Sparte n’attendit pas l’exécution des promesses reçues ; sur les 100 galères annoncées, 21 seulement, ancrées dans le golfe de Saronique, reçurent l’ordre d’aller vers Chios. Une escadre rencontrée battit la flotte péloponnésienne. Alcibiade se rendit aussitôt à Chios et parvint à tourner l’île contre Athènes. Les richesses de Chios étaient alors très réputées.

La défection de Chios entraîna celles d’Érythrée, de Clazomène, de Téos, de Lébédos, d’Érée et de Milet ; mais, comme dans les défections d’Acanthe, de Toroné, de Mendé, d’Amphipolis, le vrai Peuple, subjugué par les Grands, demeurait presque partout fidèle aux Athéniens. Sparte, maladroite, traitant avec Tissapherne, lui livra tous les Grecs d’Asie et des îles. Athènes envoya 104 galères à Samos, point stratégique excellent, les Samiens venant d’expulser les Nobles. La flotte athénienne défendit Samos, reprit Lesbos et Clazomène, battit les Péloponnésiens (412) près de Milet. Cnide et Rhodes se déclarèrent pour Sparte. De Sélinonte, Syracuse et Thurium vinrent des vaisseaux renforcer les Lacédémoniens. Tissapherne annonçait l’arrivée prochaine de nombreux navires phéniciens.

Alcibiade alors, rompant avec Lacédémone, passe aux Perses, après avoir outragé et menacé de mort le roi Agis. Il séduisit Tissapherne, qu’il comptait trahir pour racheter la faveur des Athéniens. Il obtint de Tissaplierne qu’aucun secours ne serait envoyé aux Spartiates, lui représentant que l’intérêt du Grand-Roi était que les Grecs se détruisissent les uns les autres. Alcibiade se prévalut auprès des Samiens du service qu’il venait de rendre à leur cause, et les officiers Athéniens de Samos apprécièrent cette politique. Les Aristocrates d’Athènes, les Nobles, organisés partout en sociétés secrètes (Hétéries), espérant reprendre la majorité au Pnyx, Alcibiade devint leur protégé, à l’exception de Phrynichos toutefois, qui repoussait le traître.

Des députés partis de Samos, conduits par Pisander, se rendirent à Athènes pour y préparer le retour d’Alcibiade. Phrynichos en conclut que les Aristocrates ne valaient pas mieux que les Démocrates. Les Athéniens reçurent mal les ambassadeurs, accueillirent leur proposition par des cris, et lorsque Pisander eut exposé les projets du gouvernement oligarchique prêt à se saisir du pouvoir, la Démocratie athénienne s’indigna.

Les Aristocrates décidèrent qu’ils s’empareraient du gouvernement d’Athènes par la violence. Antiphon multiplia les sociétés secrètes et ourdit le complot. L’orateur préféré du peuple, Androclès, mourut assassiné, avec quelques autres discoureurs populaires. Le Conseil des Cinq-Cents et l’Assemblée, terrifiés, ne recherchèrent pas les coupables ; les tribuns invoquaient l’amitié des Nobles pour éviter le couteau ; on s’exagérait l’importance et l’organisation des conjurés. Les suspicions démoralisaient les honnêtes gens. Pisander se montrait publiquement avec ses 300 hoplites engagés pour défendre et servir les factieux. On racontait que si les Oligarques ne l’emportaient pas, ils appelleraient les lieutenants du Grand-Roi et leur livreraient la ville.

Pisander, sûr du succès, demanda et obtint que dix citoyens, réunis hors de la Cité, réviseraient les lois. Un Conseil de quatre cents membres remplaça les Cinq-Cents ; cinq mille Citoyens, choisis d’après leur fortune et leur condition, constituèrent la nouvelle Assemblée du Peuple, ne devant délibérer que sur une convocation du Conseil. La suppression de toute indemnité, sauf pour le service militaire, éloignait les Pauvres des fonctions publiques. L’installation du nouveau pouvoir ne fut risquée par les Aristocrates, triomphant, qu’avec un grand déploiement de forces. Il n’y eut aucune opposition.

Soutenus par une milice de 120 jeunes gens bien armés, voyant la faiblesse du Peuple, les Nobles passèrent aussitôt à la Tyrannie. Il y eut des exécutions et des emprisonnements ; beaucoup furent bannis. Alcibiade était oublié. Les maîtres d’Athènes firent connaître à Sparte qu’ils sympathisaient avec l’autorité de Sparte. Cette déclaration, connue, insurgea les derniers patriotes ; l’armée qui était à Samos, toute démocratique, bondit sous l’outrage. Le roi de Sparte, Agis, marcha sur Athènes pour s’en emparer. Il fut battu.

A Samos, les Nobles, procédant exactement comme à Athènes, avaient fait assassiner Hyperbolos. Les marins s’étant prononcés pour le Peuple, les Aristocrates échouèrent. Deux chefs de l’armée, Thrasybule et Thrasylle, firent jurer à leurs soldats qu’ils combattraient pour le maintien du gouvernement démocratique. Les Samiens se prononcèrent et Argos s’offrit.

Alcibiade, à qui les Nobles revinrent, ne put pas fournir le secours du Grand-Roi qu’il avait promis ; il obtint que l’armée de Samos l’entendrait. Il se vanta d’avoir trahi les Aristocrates, promit à nouveau le secours de Darius II, l’aide de la flotte phénicienne, et l’armée l’accepta comme général. Auprès de Tissapherne, qu’il détacha de Sparte, il conseilla aux Samiens et aux troupes de ne pas agir trop vite.

A Athènes, toujours menacée par les Péloponnésiens, Théramène et Aristarque déclamaient contre le gouvernement oligarchique. Le Peuple cherchait un chef, un maître. La forteresse élevée par les Nobles au Pirée venait d’être détruite par ceux qui l’avaient édifiée, lorsque 40 vaisseaux lacédémoniens parurent devant le port, amenant les troupes appelées par les Aristocrates pour s’y installer. Les Athéniens obligèrent la flotte à se retirer ; elle s’en fut prendre Érétrie et soulever l’Eubée.

La révolte de l’Eubée atterra les Athéniens, privés de vivres. Les Syracusains poussaient les Lacédémoniens à s’emparer du Pirée : ils ne l’osèrent pas. Alcibiade, affirmant toujours qu’il disposait des forces du Grand-Roi, attendait son rappel.

Les Athéniens déposèrent le Conseil des Quatre-Cents et confièrent à l’Assemblée des Cinq-Mille le gouvernement de la Cité, tout hoplite faisant partie de droit de ce Corps gouvernemental. Le plus grand nombre des quatre cents Aristocrates dépossédés s’en furent à Décélie, que tenaient les Lacédémoniens. L’un d’eux, Aristarque, livra à l’ennemi une forteresse de l’Attique, œnée. Antiphon obtint du Peuple un jugement public. Phrynicos fut assassiné.

Au dehors la guerre continuait : Abydos, Lampsaque et Byzance passaient à l’ennemi. Le Spartiate Mindaros, appelé par Pharnabaze, se dirigea vers l’Hellespont avec 73 trirèmes. La flotte athénienne, composée de 55 galères, infligea une défaite éclatante à Mindaros, près de Sestos. C’était la première belle victoire depuis les événements de Sicile.

Près d’Abydos, un nouveau combat décisif fut livré qui dura toute la journée. Vers le soir les Athéniens faiblissaient, lorsqu’un secours inattendu de 20 galères leur donna la victoire. C’était Alcibiade (410). Les victorieux, poursuivant leur succès, menés par Alcibiade, s’emparèrent de toute la flotte péloponnésienne ; les troupes battues, débarquées, furent anéanties dans un combat de terre livré près de Cyzique, malgré l’intervention de Pharnabaze. Mindaros trouva la mort dans cette bataille. Hermocrate, qui lui succéda dans le commandement, écrivit aux éphores de Sparte : Tout est perdu ! Athènes refusa les propositions de paix que Sparte s’empressa de lui faire. Alcibiade agit comme s’il était le maître des Athéniens : Périnthe et Sélembrie accueillirent le vainqueur ; il fortifia Chrysopolis, en face de Byzance, y installant 30 galères, avec ordre de percevoir un péage, — le dixième du chargement, — sur tout navire sortant du Pont-Euxin. Sparte reprit Pylos (409). Nysée vit revenir les Mégariens. L’Athénien Thrasylle échoua devant Éphèse. Athènes voyait la fortune s’éloigner d’elle de nouveau, lorsqu’elle apprit qu’Alcibiade venait de prendre Byzance (408) et que la Chalcédoine se soumettait, malgré l’appui de Pharnabaze.

La flotte athénienne, se divisant, quitta l’Hellespont. Thrasybule, naviguant le long des côtes de la Thrace, imposa l’obéissance aux villes séparées. Alcibiade rançonna la Carie et vint à Samos. Les deux escadres devaient se retrouver à Athènes, qui n’attendit pas l’arrivée de son héros pour le proclamer général. Alcibiade, répondant à l’appel des Athéniens, revint avec ses vaisseaux chargés de boucliers et de dépouilles. Les Athéniens acclamèrent Alcibiade comme un triomphateur : — Les vieillards le montraient aux jeunes gens. — Il s’empara de la tribune (407), et sans récriminer, se plaignit de son mauvais destin, du démon jaloux de sa gloire, qui l’avait poursuivi. On lui décerna des couronnes d’or ; on lui rendit ses biens ; on ordonna aux hérauts de rétracter les malédictions qui avaient été jadis prononcées contre lui ; on le nomma généralissime sur terre et sur mer.