Athènes (de 480 à 336 av. J.-C.)

 

CHAPITRE II

 

 

DE 480 A 479 Av. J.-C. - Aristide, général en chef. - Athènes refaite, suspectée. - Les Phéniciens. - Thèbes et Argos. - Aryens d’Athènes. - L’œuvre des Doriens. - Les Hellènes. - Les Perses en Attique. - Bataille de Platée. - Mort de Mardonius. - Les fêtes de la Liberté. - Bataille de Mycale. - Europe, Asie et Afrique. - Peuples et rois.

 

AUSSITÔT que l’Attique fut délivrée des hordes de Xerxès, les Athéniens revinrent à leur Ville. Il ne restait, çà et là, que les quelques maisons où les principaux chefs des Perses s’étaient abrités.

Tous les fugitifs revenus s’employèrent à la réédification du mur d’enceinte, presque détruit ; les restes des monuments incendiés, les débris des statues rompues, tout fut utilisé. Et pendant que le spectacle de ces ruines et le trouble fiévreux d’un labeur actif éloignaient des esprits, momentanément, le souvenir de la glorieuse victoire remportée à Salamine, des émissaires de Delphes achevaient de saper l’influence de Thémistocle. Au printemps, les Athéniens nommèrent Aristide général en chef, avec des pouvoirs extraordinaires.

Les autres Hellènes, à qui le triomphe des Athéniens déplaisait, vantaient la sagesse des vainqueurs et leur habileté, laissant en discussion leur force ; si bien que les sauveurs de l’Hellénie, ceux qui venaient de vaincre pour la Nation, voyaient l’isolement se faire autour d’eux ; et ils s’étaient associés en quelque sorte à cette ingratitude, par la façon dont ils avaient traité Thémistocle. Victorieuse, Athènes était devenue suspecte ; on redoutait son empire ; on regrettait qu’elle eût combattu pour la liberté des Grecs ; on demandait si la maîtrise de Xerxès ne serait pas préférable à la domination de la Cité de Cécrops ?

L’œuvre principale de Thémistocle, la marine athénienne faite, consacrée par la victoire, inquiétait les Péloponnésiens.

Les Athéniens, pourtant, étaient incapables d’imposer leur domination à l’Hellénie. Mal placée, presque à l’extrémité de l’Attique stérile, Athènes grandie ne devait pas suffire à sa propre existence. Ouverte aux émigrants de toutes parts, et facilement abordable au nord, par l’invasion, Athènes était à la fois trop continentale et trop maritime. Si nous étions insulaires, écrira Thucydide, quelle puissance serait plus inexpugnable !

Le mélange des peuples qui s’était déjà fait sous la protection de Pallas, livrait l’avenir de la Cité à toutes les conséquences d’un insaisissable cosmopolitisme. De la race fameuse des Pélasges, primitive, que restait-il ? Ces anciens hommes étaient allés, les uns en Troade, par la Thrace, les autres, par la mer, dans les îles ou en Italie. Athènes qui avait reçu la civilisation d’Égypte, qui s’honorait d’être la Terre de Cécrops, envahie par les Phéniciens devenait une Babylone, un point de halte, un carrefour où les navigateurs et les marchands de toutes races se rencontraient.

Les Phéniciens, ces coucous circoncis d’Aristophane, séduisants et actifs, avaient apporté aux Aryens, avec la pratique des échanges et le principe du travail rémunérateur, le calcul, cette « science de l’ordre ». Les rudes Achéens de l’Hellade adoptèrent les industries, les divinités et les mœurs des Phéniciens de Tyr et de Sidon. Le Reshef-Mikal des Chypriotes devint l’Apollon-Amyklos des Grecs. Les héros, les mythes, les dieux et les cultes de la Phénicie asiatique vinrent à l’Hellénie avec l’écriture, les mesures, les poids et les outils.

Thèbes, toute phénicienne, accentuait son asiatisme ; le tyran Penthée y avait aboli le culte de Bacchus ; aussi la nouvelle race de l’antique Kadmos s’était-elle donnée à Xerxès. Quand le barbare apportait à tous la servitude, dit Thucydide, les Thébains étaient avec lui.

Argos, plus égyptienne qu’Athènes, nous dit par sa légende d’Io, la vache à l’irréprochable postérité, comment l’Éthiopien funeste, farouche, insatiable au combat, vint troubler l’œuvre excellente de Jupiter.

Ayant appris l’existence de la Grèce aux Scandinaves, chez lesquels ils allaient chercher l’ambre d’or, et responsables ainsi des envahissements venus du Septentrion, les Phéniciens, en attendant, semaient en Hellénie, partout, leurs germes destructeurs. Ils parcouraient les territoires, gâtaient les mœurs, troublaient les langages ; passaient après avoir répandu leurs pourritures, ou bien restaient, s’insinuant. Depuis les Thessaliens, jadis si fiers de leur indépendance, si attachés à leur parole, et dont les chefs, Aristocrates venus d’Asie, avaient aidé aux abominations de Xerxès, jusqu’aux Ioniens de Carie qui avaient adopté la langue barbare, l’impression phénicienne était générale. Les métis de Chananéens bruns et d’Aryens très blancs de Libye, que l’on désignait sous le nom de Bastuli dans les villes phéniciennes, étaient nombreux à Athènes déjà.

Cependant les Phéniciens, — durs et serviles, tristes et cruels, corrompus et sanguinaires, égoïstes et cupides, inexorables et sans foi, — s’amélioraient au contact des Grecs maîtres de l’Attique en somme. Les Aryens d’Athènes prirent aux Phéniciens leur art de la duplicité, leur goût des plaisirs excessifs, des abus de toutes sortes, et leur soif du gain, inextinguible, comme ils apprirent des Scandinaves et des Finnois à s’enivrer de viandes et de vins, à s’emparer avec violence ou par la ruse du bien d’autrui ; ils conservèrent, en l’imposant parfois à leurs corrupteurs, un dégoût profondément enraciné pour la domination étrangère, un amour ardent et une profonde tendresse pour la liberté.

Les vices de l’Asie, importés et répandus en Hellénie, affaiblissant les caractères, énervant les hommes, préparaient leur sujétion aux maîtres, aux séducteurs qui sauraient les conduire et les exploiter. Les Doriens énergiques, absolus, soumettant ou refoulant ceux qui leur résistaient, avaient aidé à la dissémination des races diverses en Hellénie. Ils apportaient le dogme de l’État omnipotent. Mais, de même que les Grecs corrompus par les Asiatiques avaient conservé la passion de la Liberté, ainsi, malgré les Doriens, les Hellènes n’acceptèrent pas l’idée d’une constitution universelle, nationale. Les Tribus (phylé) demeurèrent distinctes ; les Villes ne se confondirent point dans le district ; la Terre thébaine se distingua toujours de la Terre d’Athénée ; chaque Cité conserva ses frontières.

Les Pélasges et les Lélèges, asservis, gardaient au fond d’eux-mêmes, indestructible, — on le vit bien plus tard, — le sentiment de leur droit humain ; mais les Doriens réussirent à leur imposer le silence, et l’esprit grec, au moins dans ses manifestations, disparut. Par les Asiatiques, la Hellas avait cessé de connaître la bonne foi ; par les Septentrionaux, les Hellènes ne crurent plus qu’à la force. Bientôt le laboureur aryen, si paisible, se mit à moissonner et à vendanger avec sa lance ! C’est ce qui fit ce mouvement général vers Xerxès victorieux, les uns ne comprenant que le droit de la guerre, les autres ne voyant la paix que dans l’entière soumission au vainqueur. Thémistocle avait admirablement compris cette faiblesse, lorsqu’il imposa la victoire aux Athéniens en les enfermant dans la baie de Salamis.

En réalité l’Hellénie devenait dorienne : Nous sommes esclaves sur la terre dorique, chante un chœur d’Euripide ; et le Tragique fait dire à son Hercule ces paroles vraies : Quand les assises d’une race ne sont pas solidement jetées, il est nécessaire que les enfants soient malheureux. La démoralisation asiatique de l’Hellénie avait fait de tels progrès, que l’on y magnifiait la journée de Salamine alors que la moitié de la patrie était encore aux mains de l’envahisseur.

Au moment où Xerxès commençait sa retraite, Sparte avait essayé de réclamer avec ostentation, au Grand-Roi, une réparation pour le meurtre de Léonidas aux Thermopyles. Le héraut envoyé n’ayant rapporté qu’un témoignage nouveau de l’insolence de Xerxès, Sparte n’insista pas.

Mardonius, campé en Thessalie, voyant l’état de suspicion où les Hellènes tenaient les Athéniens, offrit à ces derniers une alliance. Sparte, inquiète, envoya des députés aux Athéniens ; ceux-ci, toujours excessifs, non seulement repoussèrent les offres de Mardonius, mais théâtralement firent prononcer des imprécations contre ceux qui avaient osé leur proposer une telle honte. Dans Athènes, parmi les Grands, quelques-uns auraient accepté l’examen des conditions de Mardonius. L’acte patriotique des Athéniens les découvrant, ils demandèrent à l’armée du Péloponnèse de se tenir prête à les secourir si les Mèdes revenaient ; mais les Péloponnésiens, satisfaits d’avoir écarté d’eux le fléau médique, se hâtèrent d’achever la muraille qui fermait Corinthe et ne répondirent pas aux Athéniens. Mardonius traversa la Béotie et parut devant Athènes.

Trahis par Sparte, réfugiés de nouveau à Salamine, prêts à mourir, les Athéniens entendirent Mardonius leur offrir la paix. Un sénateur qui avait proposé d’en délibérer fut lapidé par le Peuple ; les Athéniens mirent en lambeaux sa femme et ses fils. Sparte accusée d’infamie, célébrant une fête, ne s’émut pas. Cependant un Tégéate fit observer aux éphores que si les Athéniens traitaient avec Mardonius, la conquête du Péloponnèse serait sans doute le prix de l’alliance ; alors, la nuit même, cinq cents hoplites et trois mille cinq cents hilotes marchèrent contre Mardonius.

Prévenu par les Argiens, Mardonius se retira vers le Nord, après avoir saccagé l’Attique. Il s’établit sur la rive gauche de l’Asope, en Béotie, où sa cavalerie puissante pouvait manœuvrer. L’armée des Lacédémoniens, que conduisait Pausanias, accrue en route d’un Grand nombre de Grecs, vint jusqu’à Éleusis où se trouvaient les Athéniens débarqués. L’armée hellénique, formée, se mit en marche. Le camp des Hellènes, — cent mille hommes, contre trois cent mille Asiatiques et cinquante mille Grecs demeurés fidèles aux Perses, — fut établi sur les collines d’Érythrée ; voyant l’ennemi. L’Asope coulait entre les deux armées.

Les Grecs dominaient les Perses. Après quelques journées d’actions timides de part et d’autre, Mardonius lança toute sa cavalerie, commandée par Masistios, sur les Mégariens. Fiers de ce choix, les guerriers de Mégare supportèrent bravement le choc ; et sachant qu’ils ne résisteraient pas à une nouvelle attaque, ils appelèrent Pausanias à leur secours. Les Hellènes hésitaient à affronter les cavaliers Mèdes. Olympiodore, d’Athènes, couvrant la retraite des Mégariens, s’élança avec trois cents héros, et Masistios fut tué, ce qui troubla les Perses. Le cadavre de Masistios montré et l’héroïsme des Mégariens surexcitaient les guerriers hellènes.

Le camp des Grecs manquant d’eau, Pausanias prit position avec ses Lacédémoniens dans la plaine de Platée, à l’ouest d’Érythrée, près de la fontaine de Gargaphie. Les canaux et les rivières allant à l’Asope, qui coupaient la plaine, étaient des obstacles protégeant le camp des Grecs. Mardonius avait échelonné ses troupes le long de l’Asope ; il attendait une démonstration. Après dix jours, le lieutenant de Xerxès voyant que les Grecs recevaient de continuels renforts, se décida pour l’offensive. Les Grecs en furent avertis.

La position respective des deux années, le jour de la bataille, après des feintes diverses, faisait que le corps des Perses se trouvait en face du corps des Spartiates, les Athéniens massés devant les Grecs qui combattaient pour Xerxès. Mardonius lança ses cavaliers sur la fontaine de Gargaphie qui fut détruite. Pausanias se rapprocha de Platée. Les Lacédémoniens, lourds, se prêtant mal aux manœuvres habiles, s’attardèrent ; Mardonius, au point du jour, les voyant exécuter un mouvement de recul, s’élança, joyeux, franchit l’Asope et fondit sur les Lacédémoniens qui défilaient au pied de la montagne. Les Athéniens accourus se heurtèrent aux mercenaires grecs.

Les Lacédémoniens et les Tégéates surpris, n’espérant aucun secours, se mirent en défensive, sacrifiant aux dieux pour prendre les auspices du combat. Les Asiatiques, massés derrière une palissade de boucliers, accablaient de traits les Spartiates, que les présages divins n’encourageaient pas. Pausanias effrayé invoquait Junon ; les Tégéates, secouant la torpeur des Lacédémoniens, marchèrent à l’ennemi furieusement. Alors les prêtres de Sparte surent trouver des présages heureux, et la phalange lacédémonienne se précipita à la suite des guerriers de Tégée. Le rempart de boucliers renversé, Hellènes et Barbares se confondirent dans la mêlée ; ce fut un corps à corps général, un carnage, une destruction d’hommes. Les Asiatiques mal armés, plus mal équipés encore, la plupart presque nus, se battaient en désordre, épouvantablement, avec un profond mépris de la mort, une grande audace : Ils prenaient à la main les piques des Grecs tendues en arrêt, et malgré les « solides armures » des Spartiates, ils les égorgeaient un à un, tous.

Autour de Mardonius monté sur un cheval blanc, mille Perses paraissaient invincibles. Frappé, Mardonius tomba ; les mille cessèrent de lutter. Les Asiatiques s’enfuirent vers leur camp ; les Spartiates, victorieux, lancés, les poursuivirent, mais jusqu’à l’enceinte seulement : leur intelligence servant mal leur bravoure, ils ne surent même pas achever l’ennemi battu, soudainement retranché.

Les Athéniens, qui venaient de vaincre les Grecs auxiliaires de Mardonius, renversèrent le mur. Les Asiatiques furent massacrés. Après la journée de Platée, il ne restait au Grand-Roi que trois mille guerriers épargnés et quarante mille hommes qu’Artabaze avait en réserve. Il était admis désormais que les Asiatiques, nus par misère, ou bien embarrassés dans l’ampleur de leurs étoffes et coiffés de turbans, ne pouvaient résister ni aux phalanges lacédémoniennes, inintelligentes mais disciplinées, ni à l’ardeur très habile des Athéniens.

La rage cruelle des vainqueurs, la soif de sang qui les anima et les querelles violentes qui suivirent la victoire, font de la journée de Platée la véritable première bataille hellénique. Les Athéniens, les Tégéates, les Mégariens et les Lacédémoniens avaient seuls combattu. C’était ces Grecs nouveaux dont la coutume sera de batailler les uns contre les autres, sans délibération préalable, imprudemment, hors de propos. Le Prix de la Valeur fut tellement disputé, le lendemain du combat, que l’on couronna les Platéens pour en finir. Les Athéniens étaient venus donner le dernier coup aux Asiatiques, mais la victoire appartenait à Lacédémone : Des flots de sang s’épaissirent sous la lance dorique dans les champs de Platée, dit Eschyle.

Les combats acharnés, les luttes sanguinaires, la guerre permanente, la force constituant le droit, l’ivresse du sang et le plaisir du vol, — pirates ou guerriers, — justifiés par le risque de la vie, et non sans gloire, telles furent les conséquences du triomphe des Doriens. Les pirates de Mellénie, troublant la sécurité des mers, devinrent très nombreux après Platée.

Pendant que les Hellènes détruisaient l’armée de Mardonius (479) à Platée, la flotte athénienne, l’armée de mer, commandée par Léotychidas, chassait la flotte Perse vers Mycale. Les marins du Grand-Roi, abandonnant leurs vaisseaux, débarquèrent.

Profitant de la victoire, Aristide, par décret, institua la Ligue hellénique contre la Perse. Chaque année les Alliés devaient envoyer des députés célébrer des sacrifices institués à la mémoire de ceux qui avaient succombé ; de cinq années en cinq années, des Jeux devaient perpétuer l’alliance. Le décret disait : On donnera des jeux à Platée, qu’on appellera les Fêtes de la Liberté, et les Platéens, chargés de faire des sacrifices et des vœux pour le salut de la Grèce, seront regardés comme une nation inviolable et sacrée. Pendant que les Athéniens en joie ne songeaient qu’à la délivrance, Pausanias, moins sentimental, recevait le dixième du butin ; un autre dixième avait été remis aux dieux ; le reste, partagé. Les chefs thébains qui avaient combattu pour les Perses furent mis à mort par Pausanias.

Les marins asiatiques descendus à Mycale, menacés par la flotte athénienne, appelèrent Xerxès ; mais Xerxès, affolé, ne voyant plus que des traîtres, fit désarmer les Samiens, éloigna les Milésiens et compromit ainsi davantage sa situation. La nouvelle de la défaite de Mardonius à Platée arriva au moment même où les Grecs attaquaient le camp des Perses. La dernière armée de Xerxès fut anéantie par les Athéniens que commandait Xanthippe. Un corps de Spartiates, dans la flotte athénienne, s’étant égaré ne prit aucune part à l’action.

A cette bataille de Mycale, pleinement glorieuse, les Athéniens avaient choisi pour mot d’ordre le nom d’Hébé, la servante céleste que Héro avait conçue en respirant une rose. Ce fut comme la victoire de la jeunesse. La jeune Europe frappait l’Asie, l’Asia toute florissante en hommes la veille encore, où d’immenses richesses affluaient, maintenant vaincue, battue, finie, qualifiée de misérable, vieillie, agonisante ! La mer Égée devenait hellénique ; l’Europe reprenait son bien, c’est-à-dire l’Ionie, l’Asie-Mineure, tandis que par la victoire de Gélon sur les Carthaginois, elle revendiquait le Nord de l’Afrique où les Lydiens-Aryas avaient vécu, ayant déjà le delta du Nil. La Neith de Saïs n’était que l’Athénée des Hellènes.

Le dilemme historique, et social, s’était posé dès Cyrus : Il faut, suivant la nette expression d’Hérodote, que tout ce grand royaume soit soumis aux Grecs, ou la Grèce aux Perses ; entre notre inimitié et la leur, il n’y a plus d’espace qui suspende nos coups. — Les guerres médiques terminées par la défaite de Xerxès, incontestable, avaient ruiné l’Asie, mais la laissaient indépendante. La promesse de Junon à Pâris, — qu’il régnerait sur l’Asia et l’Europe, — ne se réalisait pas. De grands espaces européens restaient aux mains des Asiatiques. Les réelles divisions ethnographiques se manifestaient comme des principes, mais avec un grand vague d’application. Les Asiatiques, c’étaient les nomades ; les Européens, les cultivateurs.

Hérodote démarqua bien les divisions : J’admire, dit-il, ceux qui ont divisé et partagé la terre entre la Libye (l’Afrique), l’Asie et l’Europe, car entre elles la différence n’est pas médiocre. Les limites de ces divisions demeuraient incertaines. En ne poursuivant pas leur succès au delà de Mycale, les Grecs firent que Thucydide limita l’Europe orientale à la mer Égée. Eschyle cependant était allé jusqu’à la rive orientale de l’Halys. Alexandre verra l’Europe vraie s’étendant, à l’ouest, des ténèbres qui règnent au delà de Gadès, suivant l’expression de Pindare, — le côté de la nuit d’Homère, — jusqu’à l’Indus à l’est, jusqu’au Gange.

L’Asie abattue, tombée lourdement sur le genou, avait entraîné dans sa chute, avec l’absolutisme oriental, la royauté monarchique. Les peuples étaient délivrés. Mardonius lui-même, — grande merveille ! écrira Hérodote, -avait institué des Démocraties. — Gardez-vous, dit l’ombre de Darius aux vieillards, dans la tragédie eschylienne des Perses, — Gardez-vous d’attaquer jamais le pays des Grecs, votre armée fût-elle plus nombreuse que celle de Xerxès, car la terre elle-même combat pour eux... La langue des hommes ne sera plus enchaînée, le peuple affranchi exhalera librement sa pensée, car le joug de la force est brisé.