DE AUSSITÔT que l’Attique fut délivrée des hordes de Xerxès, les Athéniens revinrent à leur Ville. Il ne restait, çà et là, que les quelques maisons où les principaux chefs des Perses s’étaient abrités. Tous les fugitifs revenus s’employèrent à la réédification du mur d’enceinte, presque détruit ; les restes des monuments incendiés, les débris des statues rompues, tout fut utilisé. Et pendant que le spectacle de ces ruines et le trouble fiévreux d’un labeur actif éloignaient des esprits, momentanément, le souvenir de la glorieuse victoire remportée à Salamine, des émissaires de Delphes achevaient de saper l’influence de Thémistocle. Au printemps, les Athéniens nommèrent Aristide général en chef, avec des pouvoirs extraordinaires. Les autres Hellènes, à qui le triomphe des Athéniens
déplaisait, vantaient la sagesse des vainqueurs
et leur habileté, laissant en
discussion leur force ; si bien que les sauveurs de l’Hellénie, ceux qui
venaient de vaincre pour L’œuvre principale de Thémistocle, la marine athénienne faite, consacrée par la victoire, inquiétait les Péloponnésiens. Les Athéniens, pourtant, étaient incapables d’imposer leur domination à l’Hellénie. Mal placée, presque à l’extrémité de l’Attique stérile, Athènes grandie ne devait pas suffire à sa propre existence. Ouverte aux émigrants de toutes parts, et facilement abordable au nord, par l’invasion, Athènes était à la fois trop continentale et trop maritime. Si nous étions insulaires, écrira Thucydide, quelle puissance serait plus inexpugnable ! Le mélange des peuples qui s’était déjà fait sous la
protection de Pallas, livrait l’avenir de Les Phéniciens, ces coucous
circoncis d’Aristophane, séduisants et actifs, avaient apporté aux
Aryens, avec la pratique des échanges et le principe du travail rémunérateur,
le calcul, cette « science de l’ordre ». Les rudes Achéens de l’Hellade
adoptèrent les industries, les divinités et les mœurs des Phéniciens de Tyr
et de Sidon. Le Reshef-Mikal des Chypriotes devint l’Apollon-Amyklos des
Grecs. Les héros, les mythes, les dieux et les cultes de Thèbes, toute phénicienne, accentuait son asiatisme ; le tyran Penthée y avait aboli le culte de Bacchus ; aussi la nouvelle race de l’antique Kadmos s’était-elle donnée à Xerxès. Quand le barbare apportait à tous la servitude, dit Thucydide, les Thébains étaient avec lui. Argos, plus égyptienne qu’Athènes, nous dit par sa légende d’Io, la vache à l’irréprochable postérité, comment l’Éthiopien funeste, farouche, insatiable au combat, vint troubler l’œuvre excellente de Jupiter. Ayant appris l’existence de Cependant les Phéniciens, — durs et serviles, tristes et cruels, corrompus et sanguinaires, égoïstes et cupides, inexorables et sans foi, — s’amélioraient au contact des Grecs maîtres de l’Attique en somme. Les Aryens d’Athènes prirent aux Phéniciens leur art de la duplicité, leur goût des plaisirs excessifs, des abus de toutes sortes, et leur soif du gain, inextinguible, comme ils apprirent des Scandinaves et des Finnois à s’enivrer de viandes et de vins, à s’emparer avec violence ou par la ruse du bien d’autrui ; ils conservèrent, en l’imposant parfois à leurs corrupteurs, un dégoût profondément enraciné pour la domination étrangère, un amour ardent et une profonde tendresse pour la liberté. Les vices de l’Asie, importés et répandus en Hellénie,
affaiblissant les caractères, énervant les hommes, préparaient leur sujétion
aux maîtres, aux séducteurs qui sauraient les conduire et les exploiter. Les
Doriens énergiques, absolus, soumettant ou refoulant ceux qui leur
résistaient, avaient aidé à la dissémination des races diverses en Hellénie.
Ils apportaient le dogme de l’État omnipotent. Mais, de même que les Grecs
corrompus par les Asiatiques avaient conservé la passion de Les Pélasges et les Lélèges, asservis, gardaient au fond
d’eux-mêmes, indestructible, — on le vit bien plus tard, — le sentiment de
leur droit humain ; mais les Doriens réussirent à leur imposer le silence, et
l’esprit grec, au moins dans ses manifestations, disparut. Par les
Asiatiques, En réalité l’Hellénie devenait dorienne : Nous sommes esclaves sur la terre dorique, chante un chœur d’Euripide ; et le Tragique fait dire à son Hercule ces paroles vraies : Quand les assises d’une race ne sont pas solidement jetées, il est nécessaire que les enfants soient malheureux. La démoralisation asiatique de l’Hellénie avait fait de tels progrès, que l’on y magnifiait la journée de Salamine alors que la moitié de la patrie était encore aux mains de l’envahisseur. Au moment où Xerxès commençait sa retraite, Sparte avait essayé de réclamer avec ostentation, au Grand-Roi, une réparation pour le meurtre de Léonidas aux Thermopyles. Le héraut envoyé n’ayant rapporté qu’un témoignage nouveau de l’insolence de Xerxès, Sparte n’insista pas. Mardonius, campé en Thessalie, voyant l’état de suspicion
où les Hellènes tenaient les Athéniens, offrit à ces derniers une alliance.
Sparte, inquiète, envoya des députés aux Athéniens ; ceux-ci, toujours
excessifs, non seulement repoussèrent les offres de Mardonius, mais
théâtralement firent prononcer des imprécations contre ceux qui avaient osé
leur proposer une telle honte. Dans Athènes, parmi les Grands, quelques-uns auraient accepté l’examen
des conditions de Mardonius. L’acte patriotique des Athéniens les découvrant,
ils demandèrent à l’armée du Péloponnèse de se tenir prête à les secourir si
les Mèdes revenaient ; mais les Péloponnésiens, satisfaits d’avoir écarté
d’eux le fléau médique, se hâtèrent
d’achever la muraille qui fermait Corinthe et ne répondirent pas aux
Athéniens. Mardonius traversa Trahis par Sparte, réfugiés de nouveau à Salamine, prêts à mourir, les Athéniens entendirent Mardonius leur offrir la paix. Un sénateur qui avait proposé d’en délibérer fut lapidé par le Peuple ; les Athéniens mirent en lambeaux sa femme et ses fils. Sparte accusée d’infamie, célébrant une fête, ne s’émut pas. Cependant un Tégéate fit observer aux éphores que si les Athéniens traitaient avec Mardonius, la conquête du Péloponnèse serait sans doute le prix de l’alliance ; alors, la nuit même, cinq cents hoplites et trois mille cinq cents hilotes marchèrent contre Mardonius. Prévenu par les Argiens, Mardonius se retira vers le Nord, après avoir saccagé l’Attique. Il s’établit sur la rive gauche de l’Asope, en Béotie, où sa cavalerie puissante pouvait manœuvrer. L’armée des Lacédémoniens, que conduisait Pausanias, accrue en route d’un Grand nombre de Grecs, vint jusqu’à Éleusis où se trouvaient les Athéniens débarqués. L’armée hellénique, formée, se mit en marche. Le camp des Hellènes, — cent mille hommes, contre trois cent mille Asiatiques et cinquante mille Grecs demeurés fidèles aux Perses, — fut établi sur les collines d’Érythrée ; voyant l’ennemi. L’Asope coulait entre les deux armées. Les Grecs dominaient les Perses. Après quelques journées d’actions timides de part et d’autre, Mardonius lança toute sa cavalerie, commandée par Masistios, sur les Mégariens. Fiers de ce choix, les guerriers de Mégare supportèrent bravement le choc ; et sachant qu’ils ne résisteraient pas à une nouvelle attaque, ils appelèrent Pausanias à leur secours. Les Hellènes hésitaient à affronter les cavaliers Mèdes. Olympiodore, d’Athènes, couvrant la retraite des Mégariens, s’élança avec trois cents héros, et Masistios fut tué, ce qui troubla les Perses. Le cadavre de Masistios montré et l’héroïsme des Mégariens surexcitaient les guerriers hellènes. Le camp des Grecs manquant d’eau, Pausanias prit position avec ses Lacédémoniens dans la plaine de Platée, à l’ouest d’Érythrée, près de la fontaine de Gargaphie. Les canaux et les rivières allant à l’Asope, qui coupaient la plaine, étaient des obstacles protégeant le camp des Grecs. Mardonius avait échelonné ses troupes le long de l’Asope ; il attendait une démonstration. Après dix jours, le lieutenant de Xerxès voyant que les Grecs recevaient de continuels renforts, se décida pour l’offensive. Les Grecs en furent avertis. La position respective des deux années, le jour de la bataille, après des feintes diverses, faisait que le corps des Perses se trouvait en face du corps des Spartiates, les Athéniens massés devant les Grecs qui combattaient pour Xerxès. Mardonius lança ses cavaliers sur la fontaine de Gargaphie qui fut détruite. Pausanias se rapprocha de Platée. Les Lacédémoniens, lourds, se prêtant mal aux manœuvres habiles, s’attardèrent ; Mardonius, au point du jour, les voyant exécuter un mouvement de recul, s’élança, joyeux, franchit l’Asope et fondit sur les Lacédémoniens qui défilaient au pied de la montagne. Les Athéniens accourus se heurtèrent aux mercenaires grecs. Les Lacédémoniens et les Tégéates surpris, n’espérant aucun secours, se mirent en défensive, sacrifiant aux dieux pour prendre les auspices du combat. Les Asiatiques, massés derrière une palissade de boucliers, accablaient de traits les Spartiates, que les présages divins n’encourageaient pas. Pausanias effrayé invoquait Junon ; les Tégéates, secouant la torpeur des Lacédémoniens, marchèrent à l’ennemi furieusement. Alors les prêtres de Sparte surent trouver des présages heureux, et la phalange lacédémonienne se précipita à la suite des guerriers de Tégée. Le rempart de boucliers renversé, Hellènes et Barbares se confondirent dans la mêlée ; ce fut un corps à corps général, un carnage, une destruction d’hommes. Les Asiatiques mal armés, plus mal équipés encore, la plupart presque nus, se battaient en désordre, épouvantablement, avec un profond mépris de la mort, une grande audace : Ils prenaient à la main les piques des Grecs tendues en arrêt, et malgré les « solides armures » des Spartiates, ils les égorgeaient un à un, tous. Autour de Mardonius monté sur un cheval blanc, mille Perses paraissaient invincibles. Frappé, Mardonius tomba ; les mille cessèrent de lutter. Les Asiatiques s’enfuirent vers leur camp ; les Spartiates, victorieux, lancés, les poursuivirent, mais jusqu’à l’enceinte seulement : leur intelligence servant mal leur bravoure, ils ne surent même pas achever l’ennemi battu, soudainement retranché. Les Athéniens, qui venaient de vaincre les Grecs auxiliaires de Mardonius, renversèrent le mur. Les Asiatiques furent massacrés. Après la journée de Platée, il ne restait au Grand-Roi que trois mille guerriers épargnés et quarante mille hommes qu’Artabaze avait en réserve. Il était admis désormais que les Asiatiques, nus par misère, ou bien embarrassés dans l’ampleur de leurs étoffes et coiffés de turbans, ne pouvaient résister ni aux phalanges lacédémoniennes, inintelligentes mais disciplinées, ni à l’ardeur très habile des Athéniens. La rage cruelle des vainqueurs, la soif de sang qui les anima et les querelles
violentes qui suivirent la victoire, font de la journée de Platée la
véritable première bataille hellénique. Les Athéniens, les Tégéates, les
Mégariens et les Lacédémoniens avaient seuls combattu. C’était ces Grecs nouveaux dont la coutume sera de batailler les uns contre les autres, sans délibération
préalable, imprudemment, hors de propos. Le Prix de Les combats acharnés, les luttes sanguinaires, la guerre permanente, la force constituant le droit, l’ivresse du sang et le plaisir du vol, — pirates ou guerriers, — justifiés par le risque de la vie, et non sans gloire, telles furent les conséquences du triomphe des Doriens. Les pirates de Mellénie, troublant la sécurité des mers, devinrent très nombreux après Platée. Pendant que les Hellènes détruisaient l’armée de Mardonius (479) à Platée, la flotte athénienne, l’armée de mer, commandée par Léotychidas, chassait la flotte Perse vers Mycale. Les marins du Grand-Roi, abandonnant leurs vaisseaux, débarquèrent. Profitant de la victoire, Aristide, par décret, institua Les marins asiatiques descendus à Mycale, menacés par la flotte athénienne, appelèrent Xerxès ; mais Xerxès, affolé, ne voyant plus que des traîtres, fit désarmer les Samiens, éloigna les Milésiens et compromit ainsi davantage sa situation. La nouvelle de la défaite de Mardonius à Platée arriva au moment même où les Grecs attaquaient le camp des Perses. La dernière armée de Xerxès fut anéantie par les Athéniens que commandait Xanthippe. Un corps de Spartiates, dans la flotte athénienne, s’étant égaré ne prit aucune part à l’action. A cette bataille de Mycale, pleinement glorieuse, les
Athéniens avaient choisi pour mot d’ordre le nom d’Hébé, la servante céleste que Héro avait conçue en respirant une
rose. Ce fut comme la victoire de la jeunesse. La jeune Europe
frappait l’Asie, l’Asia toute florissante en
hommes la veille encore, où d’immenses
richesses affluaient, maintenant vaincue, battue, finie, qualifiée
de misérable, vieillie, agonisante !
La mer Égée devenait hellénique ; l’Europe reprenait son bien, c’est-à-dire
l’Ionie, l’Asie-Mineure, tandis que par la victoire de Gélon sur les
Carthaginois, elle revendiquait le Nord de l’Afrique où les Lydiens-Aryas
avaient vécu, ayant déjà le delta du Nil. Le dilemme historique, et social, s’était posé dès Cyrus :
Il faut, suivant la nette expression
d’Hérodote, que tout ce grand royaume soit soumis
aux Grecs, ou Hérodote démarqua bien les divisions : J’admire, dit-il, ceux
qui ont divisé et partagé la terre entre L’Asie abattue, tombée lourdement sur le genou, avait entraîné dans sa chute, avec l’absolutisme oriental, la royauté monarchique. Les peuples étaient délivrés. Mardonius lui-même, — grande merveille ! écrira Hérodote, -avait institué des Démocraties. — Gardez-vous, dit l’ombre de Darius aux vieillards, dans la tragédie eschylienne des Perses, — Gardez-vous d’attaquer jamais le pays des Grecs, votre armée fût-elle plus nombreuse que celle de Xerxès, car la terre elle-même combat pour eux... La langue des hommes ne sera plus enchaînée, le peuple affranchi exhalera librement sa pensée, car le joug de la force est brisé. |