Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXII

 

 

DE 647 A 605 Av. J.-C. - Assourédilili III roi d’Assyrie. - Le royaume des Mèdes. - Le magisme. - Déjocès. - Phraorte. - Les Perses. - Achceménès. - Cyaxare et Nabopolassar. - Parthes et Scythes. - Destruction de Ninive. - Alyatte et Cyaxare. - Agitations en Israël. - Mort de Josias. - Jérusalem vassale de Néchao. - Éliakim (Joïakim). - Néchao battu par Nabuchodonosor. - Le prophète Habacuc.- Jérémie appelle les Chaldéens.

 

LE successeur d’Assourbanipal, Assourédilili III, le Chiniladan des Grecs, est pour la première fois peut-être le véritable roi d’un royaume d’Assyrie (647-635), compact, bien déterminé. C’est qu’à l’orient de la Mésopotamie, des hommes venaient de se grouper fortement, soumis à un roi, et que l’exemple de cette organisation nationale, et la crainte justifiée que ce royaume nouveau inspirait aux Assyriens, leur démontraient la nécessité d’une union au moins défensive.

A l’espèce de confédération mal soudée, semi-iranienne, semi-touranienne, d’abord formée, indécise, à l’est de l’Assyrie, en Médie, et qui par ses hésitations, par ses incertitudes, avait laissé, notamment sous Sargon, toutes les prétentions assyriennes se manifester, venait de succéder un royaume. Phraorte, roi en Médie, allait expulser les Assyriens, dominer la Perside, conquérir l’Iran jusqu’à l’Hindou-Kousch, et, reprenant ]’œuvre d’Arbace, détruire Ninive.

Le royaume de Médie, fait, n’est stimulé ni par une convoitise, ni par une jalousie, mais par un principe, par une idée. Il continue le grand œuvre de Zoroastre ; il est la tradition vivante du royaume iranien de la Bactriane, l’inévitable suite de la longue migration aryenne venue de Pamire, ayant en soi tout l’avenir.

Les Iraniens de la Bactriane, organisés et moralisés par Zoroastre, entraînés vers l’ouest du monde, avaient contourné le désert de Khaver, au nord et au sud, — au sud surtout, — pour se rejoindre finalement sur le territoire que bornent au nord le mont El-Bourz, à l’ouest et au sud les monts Zagros se prolongeant jusqu’en Perside, à l’est le désert même de Khaver. Ce pays-milieu, c’était la Médie.

Lorsque les Iraniens arrivèrent en Médie, ils y trouvèrent des Touraniens presque sédentaires. Pendant un siècle environ (1000-900), Iraniens et Touraniens vécurent en bonne fraternité dans ce milieu ; les premiers, grâce à leur merveilleux esprit de tolérance, à la pureté de leurs intentions, à la grandeur de leur caractère ; les seconds, sans doute, simplement séduits par la supériorité morale des nouveaux venus. Le Touranien, déjà en Médie, s’y trouvait suffisamment installé ; renonçant à la vie nomade, il avait le sentiment des concessions qu’exige l’existence commune, il condescendait à se civiliser. Les Aryas arrivés de la Bactriane et les Touryas descendus du Touran, qui allaient ainsi se mélanger, se confondre en Médie, eussent très certainement donné au monde une race excellente, si l’influence asiatique n’était venue, là comme en Égypte, comme en Syrie, comme en Palestine, comme en Phénicie, jeter un ferment de corruption dans des esprits ouverts au bien, prêts à le recevoir, disposés à le faire fructifier.

Il vint de Chaldée en Médie, presque aussitôt après l’émigration des Aryas-Iraniens, des devins, des prêtres, des mages, qui apportèrent au groupe nouveau un dieu très habilement imaginé, conciliant la divinité des Iraniens, — l’Ormuzd souverainement bon, — et la divinité des Touraniens, — l’Ahriman détestable, le dieu du mal. Le dualisme zoroastrien favorisait cette combinaison. Le législateur de l’Iran, Zoroastre, avait dû faire une part à l’influence touranienne, dans l’intérêt de son œuvre principale, accorder à Ahriman une place à la gauche d’Ormuzd. Les Touraniens étant les plus nombreux, dans cette Médie nouvelle, Ahriman l’emporta d’abord sur Ormuzd. Les Iraniens, paisibles, s’en remettaient à leur divinité ; les Touraniens, redoutant le dieu du mal, s’appliquaient constamment à le fléchir, manifestaient partout leur adoration intéressée.

La tendance tatare, ou finnoise, de l’adoration du mal, et la foi au bien qui caractérisait au contraire l’esprit arya, entraînaient la religiosité médique en formation vers un dualisme accentué, mais purement intellectuel, chacun gardant sa pensée. Voici que les prêtres de Chaldée, les mages, venus pour exploiter le peuple nouveau, apportèrent la conception asiatique des divinités réelles, vivantes, palpables, représentées, exigeant un culte, et ils entreprirent d’allier le dualisme mazdéen au polythéisme chaldéo-assyrien. Bientôt apparurent, en effet, dans les croyances de la Médie, et l’adoration des astres, — des sept corps sidéraux, — et l’exaltation de la déesse-nature, — Mylitta, — l’Astarté des Phéniciens. C’est le magisme.

Dans ce commencement de corruption, un bon nombre d’Aryas, pleins de l’idée zoroastrienne, passionnés de morale, demeurèrent purs. Parmi eux, Arbace, chef de contingent dans l’armée assyrienne, ayant la prescience de l’avenir, annonçant le royaume mède, assiégea Assourlikhous dans Ninive, prit et détruisit la ville, et revint en Médie, satisfait, laissant l’Assyrie à Phul, le Babylonien. Arbace mourut (764) après avoir gouverné, c’est-à-dire créé la Médie. Cependant Arbace n’avait été qu’un chef menant des troupes à la bataille, protégeant les communes qui, suivant l’idée aryenne, indépendantes, formaient un ensemble de petites républiques, libres, en Médie.

D’Arbace à Déjocès et à Phraorte (764-657), la Médie se fait. La liste des successeurs d’Arbace a toute l’indécision des choses hésitantes ; elle est impressionnée de trois esprits différents : l’esprit touranien, qui est désordonné ; l’esprit aryen, tout communal ; l’esprit asiatique, essentiellement centralisateur. L’histoire cite, après Arbace, Mandaucès, Sosarmès, Astycas, Arbianès, Artée, Artynès, Astibaras et Aspadas. Ce furent vraisemblablement des chefs locaux qu’un incident quelconque mit en lumière, et non des rois.

On voit suffisamment après Arbace, en Médie, la continuation d’une vie républicaine, un ensemble de petites communes, confédérées suivant le goût aryen, mais avec des essais contraires, des tentatives anarchiques ou impériales, touraniennes ou asiatiques. Il y eut en Médie, pendant cette période, tantôt un chef unique, reconnu, tantôt une quantité de rois, et même des assemblées populaires, toutes-puissantes, nommant des dictateurs. Aspabara, choisi pour combattre Sargon (720), fut un de ces dictateurs. La royauté devait s’imposer aux Mèdes dont le pays était ouvert aux invasions, de même que la confédération iranienne devait plaire aux Perses montagnards, bien abrités.

Les premiers Mèdes eurent le tort d’aller battre les Assyriens dans la vallée du Tigre, de détruire Ninive, car ils se déclarèrent ainsi, et définitivement, pour les Babyloniens, pour les Chaldéens, contre les Ninivites. Or les Ninivites de cette époque étaient, en majorité, des Touraniens semblables à ceux qui avaient accueilli les Iraniens en Médie. L’alliance des Mèdes et des Ninivites eût été naturelle ; le premier choc fit du Tigre, de l’Assyrie du nord, un obstacle placé sur la route de l’Europe vers laquelle les Aryas se dirigeaient, d’instinct.

C’est les prêtres de Chaldée, les mages, usant de leur influence néfaste, qui avaient fait incendier Ninive par les Mèdes, au profit des Chaldéens de Babylone, redoutables exploiteurs des Aryas. Et c’est parce que la Médie était aux mains des mages chaldéens, que Salmanassar VI et Sargon s’armèrent contre les Mèdes, ravagèrent leur pays. J’occupai trente-quatre bourgs de Médie, et je les annexai à l’Assyrie, et j’établis sur eux des tributs consistant en chevaux... dit une inscription du palais de Khorsabad.

L’union des Touraniens et des Iraniens de Médie, sous l’autorité de Déjocès, — le Dayaouk-Kou des cunéiformes, — témoigne de l’influence asiatique importée par les mages chaldéens. Déjocès fut un maître, un roi, un souverain asiatique, se faisant aussitôt construire un palais à Ecbatane (Hangmatâne), la ville entourée de sept murailles, dont chacune se distinguait par la couleur différente de ses créneaux. L’ornementation et le nombre des murailles sont des faits purement chaldéens. Ayant affirmé la nation médique et la souveraineté de son chef, Déjocès mourut (657), Assourbanipal régnant à Ninive.

Phraorte (Fravartis), qui succéda à son père Déjocès, fut un conquérant. L’histoire des sept premières années de son règne est obscure. Peut-être expulsa-t-il les Assyriens qui, depuis Sargon, tenaient une partie du nord de la Médie. Il apparaît bientôt (650) comme roi des Mèdes, incontesté, en conflit avec les Perses.

Les Aryas de la Perside, que les Touraniens et les Asiatiques ignoraient presque, et qui vivaient dans leurs montagnes, purement, étaient devenus de fidèles mazdéens, imbus de la législation zoroastrienne du Zend-Avesta. Ils ne devaient pas aimer ces Iraniens qui étaient allés se mélanger aux Touraniens de la Médie, se soumettant au compromis religieux des mages de Chaldée. Isolés dans leur territoire, spécialement organisés, les Perses avaient eu cinq chefs déjà, lorsque Achœménès (Hakhâmanis) se manifesta chez eux comme un souverain, comme un roi.

La Perside, depuis Arbace au moins, n’avait été qu’une sorte de dépendance de la Médie. Les satrapes Sithrapherne et Hypherne, battus et pris par Assourahaddon, étaient des gouverneurs de cette Perside subordonnée. Achœménès, — l’amical, — ayant affirmé le royaume des Perses, le roi des Mèdes, Phraorte, vint le combattre, le vaincre, et la Perside se trouva ramenée au rang d’une principauté vassale du royaume de Médie (650).

Roi de Médie et suzerain de la Perside, Phraorte étendit sa souveraineté sur l’Iran, sur la Perse, la Bactriane, l’Hyrcanie, la Margiane et la Sogdiane. Les Arméniens, qui venaient de se délivrer des Assyriens, reconnurent la supériorité de Phraorte. L’armée des Mèdes, il est vrai, avec ses masses touraniennes commandées par des Iraniens, était devenue redoutable. Subissant la même influence qu’Arbace, déplorable, Phraorte marcha contre Ninive que Sennachérib avait relevée, où régnait Assourédilili III. La rencontre eut lieu au débouché des montagnes qui séparaient l’Assyrie de l’Iran médique. Les Assyriens repoussèrent les Mèdes, et Phraorte périt (635), avec l’élite de son armée.

Le vainqueur des Mèdes ne sut pas, ou ne put pas profiter de sa victoire. En pleine décadence morale, l’Assyrie était devenue comme incapable d’une action soutenue. Assourédilili prépara lui-même sa ruine en choisissant, pour gouverner Babylone, Nabopolassar, un Chaldéen patriote, très influent (626). En Médie, le successeur de Phraorte, Cyaxare, réorganisa vite sa «troupe», la divisant en phalanges régulières, en corps distincts, armés différemment, bien instruits, disciplinés. Nabopolassar, qui voulait s’affranchir de la suzeraineté ninivite, envoya des messagers à Cyaxare, conclut une étroite alliance avec le roi des Mèdes, dont il demanda la fille Amytis comme femme pour son fils Nabuchodonosor, en gage d’amitié. La mort d’Assourédilili III, attendue, étant annoncée, Nabopolassar se révolta, se déclarant seul roi à Babylone, et Cyaxare marcha contre Ninive (625).

Nabopolassar s’était chargé de fonder à Babylone une puissance chaldéo-babylonienne, laissant à Cyaxare le soin de tenir en échec, de mettre en impuissance l’Assyrie. Mais Cyaxare n’était pas libre de ses mouvements. Il avait dû, à la mort de Phraorte, batailler au nord de la Médie, dans la Parthyène, contre des Touraniens, — les Parthes, — qui menaçaient et tourmentaient les Mèdes. Ces hordes nomades restées au nord de l’Iran, malheureuses, détestaient les Iraniens autant qu’à l’époque de Zoroastre, et leur haine s’appesantissait à ce moment sur le groupe tourano-aryen tenant la Médie, organisé.

Ce ne furent cependant pas seulement ces Parthes qui vinrent se placer entre Cyaxare et Ninive, mais des hordes voisines, vaguement définies, — les Scythes, — et parmi lesquelles les hordes de la Parthyène, les Parthes, se trouvaient probablement. L’ensemble de ces Nomades soulevés, massés, comme poussés par une irrésistible force, descendait vers Cyaxare. Le roi des Mèdes, ayant battu les Assyriens, assiégeait donc Ninive, tandis que Nabopolassar accourait de Babylone afin que la victoire ne laissât rien de douteux, lorsque les Scythes, qui venaient d’écraser les Cimmériens et poursuivaient les fuyards dans le Caucase, menés par leur chef Madyas, se ruèrent comme un torrent dévastateur sur l’armée des Mèdes, surprise. Vaincu en une journée, Cyaxare dut s’humilier devant les Scythes, qui s’installèrent en Médie et ravagèrent ensuite l’Assyrie, l’Osrhoëne, la Syrie, la Philistie, épargnant la Palestine, ne s’arrêtant que devant la frontière d’Égypte, le pharaon Psamétik Ier leur ayant payé la paix qu’il désirait.

La domination des Scythes, qui dura dix-huit années (625-607), parut très dure, parce que les taxes imposées aux vaincus dépassaient souvent toutes les possibilités. Il ne semble pas qu’en dehors de ces exigences leur joug fût bien lourd, car leur tolérance permit aux peuples frappés de préparer librement l’expulsion de leurs dominateurs. Ces Barbares eurent la crainte de la Palestine montueuse, et ils l’épargnèrent ; le territoire d’Israël était en effet presque impraticable à la cavalerie.

Les Mèdes se délivrèrent des Scythes par une trahison ; les chefs, invités avec leur maître Madyas aux fêtes d’un repas public, furent égorgés. La tradition veut qu’une partie des envahisseurs se soient alors réfugiés dans le Caucase, tandis qu’un grand nombre restèrent en Médie, comme esclaves dit un texte, cantonnés dans un district spécial ajoute un autre récit. Il est certain que la Médie finit par se ressaisir tout entière (607), au moment où le roi Saruc (Assaracus) gouvernait à Ninive un peuple décidément fini.

Délivré des Scythes, Cyaxare reprit la politique persistante des Mèdes, poursuivit la destruction de la puissance assyrienne au nord. Il s’allia de nouveau avec le Babylonien Nabopolassar et prit enfin Ninive, après un siège long et meurtrier (606). Cyaxare, en rage, ne laissa de la grande et belle ville d’Assur, pas une seule brique sur champ. Assur, dit Ézéchiel, s’élevait comme un cyprès du Liban... Mais parce qu’il s’était élevé avec orgueil, des étrangers sont venus qui l’ont coupé sur la montagne. — Ô roi d’Assur, dit Nahum, tous ceux qui ont appris ce qui t’est arrivé ont applaudi à tes maux. Le roi de Ninive s’était donné la mort.

Avec Ninive, l’empire d’Assyrie venait de disparaître, terminé. Babylone, au sud, ne pouvait être que la capitale d’un royaume restreint, comprenant la Babylonie et la Chaldée. Cette Assyrie méridionale, en proie aux ambitions des prêtres et des souverains, complètement asiatique, devait s’effondrer.

Les Mèdes tenaient le nord de l’Assyrie, avec l’emplacement de Ninive, entre les deux fleuves. Leur succès inquiétait les peuples de l’Asie-Mineure, dont les groupements divers, tout à fait formés, commençaient à se disputer la prépondérance. Le roi lydien de la dynastie des Mermnades, Alyatte, maître de la Lydie, de la Phrygie et de la Cappadoce, provoqua le roi des Mèdes, après s’être assuré le concours des Scythes demeurés en Médie et dont un bon nombre, attroupés, servaient d’auxiliaires à Cyaxare. Alyatte et Cyaxare bataillèrent pendant cinq années, croit-on, avec des chances diverses, jusqu’à la conclusion d’une paix négociée et obtenue par le « roi de Babylone », qui était suzerain de la Cilicie, et par conséquent en situation de se prononcer pour l’un des combattants. En signe d’alliance, Alyatte donna sa fille à Astyage, fils de Cyaxare. Le fleuve Halys, qui coupe la péninsule asiatique du nord au sud, fut la limite convenue des deux empires. La Cappadoce se trouvait ainsi partagée. Cyaxare mourut deux ans après cette alliance (595).

Pendant que les Mèdes grandissaient et que Babylone héritait de Ninive, les Israélites s’épuisaient dans leurs habituelles dissensions. Neutres dans cette formidable lutte des Aryas représentés par les Mèdes, des Asiatiques représentés par les Assyriens, des Africains représentés par les pharaons de l’Égypte, les Hébreux, que les Scythes épargnaient, eussent pu se constituer solidement. Mais il s’était formé en Israël un parti militaire, qui voulait guerroyer. Cédant à ce parti, Josias prétendit arrêter les troupes du pharaon Néchao, — Néko, — le successeur de Psamétik Ier, qui marchaient vers l’Assyrie pour profiter (610), comme le fit Cyaxare d’ailleurs, du grand affaiblissement de Ninive.

L’armée du roi de Juda rencontra l’armée égyptienne à Mageddo. Le pharaon déclara qu’il ne voulait que s’emparer de l’Assyrie, qu’il ne traverserait même pas la Palestine. Josias, ne voyant sans doute, dans cette loyale déclaration, que l’aveu d’une crainte, intercepta la voie du pharaon, qui fut obligé de combattre les Israélites, et de les vaincre. Josias mourut : Et les archers tirèrent sur le roi Josias, et le roi dit à ses gens : Emmenez-moi, car je suis blessé... Et ses gens l’emmenèrent mort. Le cadavre du roi fut ramené à Jérusalem. Et Jérémie composa une complainte sur Josias, et tous les chanteurs et les chanteuses la répétèrent... et on en fit usage en Israël. Les Israélites de Jérusalem ne voulurent pas reconnaître le successeur de Josias, son fils aîné ; le commun du peuple prit Joachaz, lui donna l’onction, et le proclama roi à la place de son père.

Le pharaon Néchao, qui avait continué sa marche vers l’Assyrie, qui avait soumis Kadesh sur l’Oronte et menacé Karkémish sur l’Euphrate, renonçant tout à coup à son projet, établit sa domination en Syrie, s’arrêta à Ribbath, et envoya prendre Jérusalem. Le roi Joachaz, prisonnier du pharaon, fut transporté en Égypte où il mourut, ayant régné pendant trois mois.

Néchao donna comme roi aux Judéens le fils aîné de Josias, Éliakim, que le peuple avait écarté malgré le droit ; mais il imposa au monarque, par une singularité bien égyptienne, un changement de nom. Éliakim dut se nommer Joïakim. Le suzerain frappa son vassal d’un tribut annuel de cent talents d’argent et un talent d’or. Le gouvernement de Joïakim justifia la répugnance des Judéens. Ce fut un despote, relevant les idoles abattues, organisant des corvées pour l’exécution de travaux publics, appliquant avec une cruauté froide les dures lois qu’il édictait. Le sang innocent coulait à flots à Jérusalem. Les serviteurs du temple, — les lévites, — jouissaient de la faveur du roi, instruisaient le peuple, détestant les nabis et les dénonçant à la rigueur du souverain. Le prophète Urie fut décrété de mort. Jérémie s’était assuré la bienveillance du monarque en prêchant partout contre les faux prophètes et les prêtres indignes.

Un roi détesté, méchant, cruel, imposé au peuple par un souverain étranger ; des prêtres supplantés par leurs serviteurs, les lévites ; des prophètes divisés, s’invectivant ; telle était la Jérusalem sainte. Néchao, tranquillisé, reprit donc son vaste projet, finit le siège devant Karkémish, cette citadelle avancée de l’Assyrie. Il pensait que personne ne viendrait le combattre, puisque le roi des Mèdes, Cyaxare, et le maître de Babylone, Nabopolassar, alliés, s’occupaient à prendre Ninive pour la détruire. Mais Nabopolassar avait un fils, Nabuchodonosor (Naboukoudourriosour, Neboukadreççar), qui se chargea de repousser le pharaon Néchao.

La rencontre de l’armée égyptienne et de l’armée babylonienne eut lieu devant Karkémish même. Néchao, vaincu, dut abandonner toutes ses conquêtes en Asie. Jérémie se moque alors des Égyptiens : Préparez la rondache et le bouclier ! Marchez au combat ! Attelez les chevaux ! Montez, cavaliers ! Prenez vos rangs ! Mettez les casques ! Polissez les lances ! Endossez les cuirasses !... Mais quoi ! Que vois-je ? Les voilà culbutés, reculant d’épouvante ! Leurs guerriers sont écrasés ; ils courent, ils fuient sans tourner la tête !... Terreur partout !

Le prophète Habacuc, voyant mieux l’avenir, ne s’attardant pas, comme Jérémie, à ciseler une œuvre littéraire, annonce l’avènement de la puissance chaldéenne, le danger des Babyloniens, autrement redoutables que les Égyptiens du delta et les Assyriens de Ninive. Habacuc, dont le sens dramatique est très développé, obscur souvent en ses prémisses, illogique en ses déductions, mais concluant presque toujours avec une netteté tranchante, — se contentant, comme art, de la symétrie de ses strophes, — excelle à remuer ses auditeurs par le spectacle des rapines, des meurtres, des épouvantements qui sont la conséquence d’une défaite. Il désigne les ennemis avec arrogance, et met à nu toutes les turpitudes de leur idolâtrie. Cette violence stimulerait les cœurs, donnerait à ce pauvre peuple amoindri quelques heures de réaction noble peut-être, si l’orateur, après avoir crié sa pensée, ne tombait comme épuisé, devant tous, laissant voir au fond de lui la plus profonde et la plus fatale des désespérances. Jérémie pleure, impuissant ; Habacuc sanglote, démoralisé.

Les Chaldéens qui avaient battu Néchao, le poursuivent jusqu’aux frontières de l’Égypte, se substituant à la domination égyptienne sur toute l’étendue de la Syrie, sauf Juda qu’ils semblent ignorer. Jérémie, que la peur des Chaldéens tourmente enfin, ordonne un jeûne public, rédige avec soin des prophéties qu’il fait lire par Baruch, et se présente comme l’ouvrier de Jéhovah pour la destruction et le rétablissement. C’est de ses propres mains, de ses propres lèvres pour dire mieux, qu’il exécute la première partie de sa prédiction : Jérusalem est condamnée. Parcourez les rues, regardez donc et voyez, cherchez dans les places publiques ! Si vous trouvez un homme, s’il y en a un seul qui fasse le bien et cherche la droiture, je ferai grâce ! Cet homme ne se rencontrera pas, et l’Éternel, avec justice, frappera la Jérusalem maudite.

Jérémie continue l’œuvre désolante et irréfléchie d’Isaïe Ier ; ses lamentations tombent sur les bras d’Israël comme des coups de massue, à rompre les os. Pas une lueur d’espoir, pas une blancheur d’aube dans cette longue nuit. Le roi, furieux, seul, fait une clarté dans cette ombre épaisse en livrant au feu, publiquement, les livres des prophètes. Il ordonne d’arrêter, d’emprisonner Baruch et Jérémie. Le Deutéronome édictait la peine de mort contre les songeurs, contre les faux prophètes, faisant, avait dit Michée, de leur prétendu savoir un métier lucratif, ayant un intérêt à dire ce que les gens aimaient à entendre.

Emprisonné, Jérémie ne se tait pas ; il continue à dénoncer la tyrannie de Joïakim, la corruption de Jérusalem, pleine d’étalons bien repus et vagabonds hennissant chacun après la femme de l’autre, la dépravation des courtisans, la lâcheté des prêtres subjugués par de faux nabis, l’infidélité et l’ingratitude du peuple : Les prophètes prêchent des mensonges, les prêtres gouvernent d’après leurs avis. — Malheur à moi, s’écrie Jérémie, malheur à moi, ô ma mère, de ce que tu m’as donné le jour, à moi, homme en querelle et en dispute avec tout le monde !... Tous me maudissent !

La malédiction populaire qui le poursuit, Jérémie la renvoie au peuple, violemment : Je suis plein de la colère de l’Éternel, je suis las de la contenir... La belle, la voluptueuse Sion, je la ferai périr. Et Jérémie ne mentait pas : c’est à sa voix, c’est à son appel haineux que le Chaldéen répondra, en venant à Jérusalem ; et c’est sous les coups répétés de cette parole prophétique qu’Israël tombera, découragé, impuissant, anéanti.

Nabuchodonosor est à l’horizon déjà, menaçant. Et Jérémie dicte à nouveau ses œuvres littéraires que le roi Joïakim a fait détruire par le feu. Baruch en fit prudemment plusieurs copies.