Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XX

 

 

DE 810 A 681 Av. J.-C. - Les Samaritains. - Ézéchias. - Soulèvement de la Palestine. - L’Égypte : XXIIIe, XXIVe et XXVe dynasties.- Bocchoris et Schabak (Sabâcon).- Campagnes de Sennachérib. - Siège de Jérusalem. - Isaïe et Michée. - Ninive. - Palais de Kouyoundjik. - L’art Arménien. - Souzoub à Babylone. - Fondation de Tarse. - Assourahaddon, roi d’Assyrie.

 

SAMARIE ayant succombé, les rois d’Assyrie transportèrent les vaincus en Mésopotamie, et ils les remplacèrent par des Babyloniens. Ces Babyloniens importés de force en Palestine ne se mélangèrent pas aux Israélites qui y étaient demeurés, et on les nomma Samaritains. Les Hébreux étaient maintenant en minorité à Samarie.

En Judée, Ézéchias venait de succéder à son père Achaz (727). Le prophète Isaïe avait annoncé ce roi comme un sauveur. Animé d’un grand zèle pour Jéhovah, Ézéchias rouvrit le temple de Jérusalem, renversa les idoles phéniciennes, supprima les autels conservés sur les hauts lieux, et brisa le serpent d’airain que Moïse avait fait, — car, dit le texte, jusqu’à cette époque les Israélites lui brûlaient de l’encens. — Un repas public, commémoratif de la sortie d’Égypte, réunit tous les Hébreux. Les Israélites de Samarie furent conviés à cette pâque solennelle ; mais ils ne saisirent pas la grandeur de l’idée, et ils se moquèrent des envoyés d’Ézéchias.

L’occupation de Samarie par les Babyloniens donnait la prépondérance à Jérusalem, la cité sainte, restée libre. Ézéchias y réorganisa le corps sacerdotal, complétant ses réformes en désignant un grand-prêtre, Azarias. Il y eut alors un royaume de Juda, avec sa capitale, bien défendue. L’Assyrien Sargon, qui venait de frapper Samarie, de battre les troupes du pharaon Schabak, soumit les Philistins au sud, et voulut ensuite aller guerroyer au nord, en Phénicie. Tyr résista.

La belle résistance de Tyr fit qu’à Jérusalem un parti se forma, composé de personnages importants, de prêtres et de prophètes, pour le refoulement des Assyriens. Ces patriotes croyaient au succès, pourvu que l’armée d’Israël eût à son service les chevaux et les chariots de l’Égyptien. Le prophète Isaïe s’était prononcé contre cette alliance, qui venait précisément de perdre Samarie. L’éloquence du nabi, clairvoyant en cette circonstance, faisait hésiter Jérusalem, lorsque la mort de Sargon (704) et la révolte des Babyloniens vinrent hâter la décision du parti de la guerre.

La Palestine entière se souleva contre l’Assyrien. Tous les petits princes de la Phénicie et de la Philistie, les rois d’Ammon, de Moab et d’Édom, et le pharaon Schabatok, — le Séthos d’Hérodote, qui venait de succéder à Schabak, — se coalisèrent. Pour la première fois, peut-être, des peuples se groupaient entre la Méditerranée et le golfe Persique, distincts, avec un certain sentiment de nationalité. Le langage imagé des littérateurs hébraïques témoigne de cette innovation. L’Assyrien, lourd, brutal, féroce, se distingue bien du Chaldéen rusé, rapide, cruel, et de l’Égyptien docile, tenace, nombreux, et du Juif remuant, bourdonnant, insupportable. Le frelon d’Assyrie, le moustique d’Égypte et la « mouche » de Judée, symbolisent avec exactitude les caractères divers des groupements. Le roi de Juda, Ézéchias, ouvrit les hostilités en reprenant Migron que les Assyriens de Sargon avait enlevée aux Benjaminites.

L’alliance égyptienne apparaissait aux yeux des Israélites de Judée, illusionnés, comme une grande force. Ils ignoraient les divisions qui tuaient l’Égypte, et ils prenaient sans doute pour un pharaon tout-puissant, le prince’ éthiopien qui ne régnait que sur une partie du Nil méridional. Isaïe voyait nettement la réalité des choses lorsqu’il s’écriait : Je livrerai l’Égypte au maître violent qui l’opprimera. Le successeur de Sargon, l’héroïque Sennachérib (Sinnakhérib) viendra, trois années seulement après la grande manifestation du roi des Juifs, battre le roi de Tyr, épouvanter les rois d’Ammon, d’Édom et de Moab, qui se soumettront sans avoir combattu, écraser les Philistins, disperser les troupes égyptiennes, reprendre Migron, envahir le royaume de Juda dont les habitants seront transportés, en masse, et humilier Ézéchias réduit au rôle de vassal tributaire.

L’Égypte était en pleine dislocation. La XXIIIe dynastie, tanite (810-721), n’avait guère que le delta, où dix princes gouvernaient chacun son district, avec indépendance. Ces princes étaient pour la plupart des Libyens Mashouashs, chefs de troupe, officiers s’étant adjugé le territoire confié à leur garde par le pharaon nominal. Memphis s’était perdue dans les discordes, comme Thèbes avait disparu sous le gouvernement des prêtres ; les pharaons éthiopiens, seuls, remontant le Nil, venus jusqu’à Minieh, au nord, continuaient la vieille Égypte. Ces princes de Kousch, ces Noirs de race perverse, ces Éthiopiens détestés d’Ammon, conservaient l’Égypte traditionnelle, dont ils adoptèrent les divinités, l’écriture et la langue. L’histoire de la véritable Égypte, à ce moment, est écrite sur une stèle de Gebel-Barkal, monument kouschite, éthiopien.

Tanis, la ville du delta, qui était la capitale de la XXIIIe dynastie, est supplantée par Saïs, sa voisine, où le pharaon Bocchoris (Bokenranw) inaugure une nouvelle dynastie, la XXIVe. Cette dynastie n’eut qu’un roi, qui régna pendant six années (721-715). La tradition garda longtemps, en Égypte, le souvenir de la haute intelligence et de la face abjecte de Bocchoris. Le roi d’Éthiopie Schabak, maître du Nil jusqu’au delta, s’étant emparé de Bocchoris, le fit brûler vivant.

La mort de Bocchoris valut à Schabak, — Sabacon, — la domination du Nil jusqu’à la mer, et il inaugura la XXVe dynastie égyptienne (715). Le nouveau pharaon entreprit aussitôt de refaire la vieille Égypte, réparant les canaux, ordonnant la construction de monuments conformes aux types traditionnels. Schabak abolit la peine de mort. Suivant l’usage, ensuite, il s’appropria les fastes de ses prédécesseurs, faisant substituer son cartouche, par exemple, au cartouche de Ramsès-Sésostris, sur les murs de Louxor.

Un autre pharaon éthiopien, Schabatok, ou Sévéchos, succéda à Schabak ; puis vint Tahraka (Tarkos), pharaon guerrier dont les scribes exagérèrent jusqu’à outrance les hauts faits. Tahraka se défendra vaillamment contre les rois d’Assyrie voulant l’Égypte, — Sennachérib, Assarahaddon et Assourbanipal ; — il saura susciter, sur toute là longueur du Nil, un large sentiment de solidarité nationale, et il refera pour un moment la grande Égypte des temps glorieux ; il ne parviendra cependant pas à chasser des bords du Nil les Asiatiques corrompus, et Thèbes, vouée à toutes les superstitions, demeurera la proie de ces Asiatiques. La XXVe dynastie, éthiopienne, finissant avec Tahraka, avait duré cinquante années (715-665). C’est sur cette Égypte considérablement affaiblie que le roi de Juda veut s’appuyer.

En Assyrie, le successeur de Sargon, le roi Sennachérib, grand batailleur, inaugurait son règne (704) par une première campagne en Babylonie. Des prismes d’argile, innombrables, placés dans les fondations des palais qu’il fit construire, disent les fastes militaires de ce roi belliqueux. Une inscription énumère ses campagnes glorieuses, de l’an 704 à l’an 684 : J’ai réduit sous ma puissance tous ceux qui portaient haut la tête, dit-il. Le roi de Chaldée, Mérodach-Baladan II, soutenu par les troupes du roi d’Élam, ayant été battu, Sennachérib intrôna à Babylone un prince vassal, ninivite, Bélibus. Les prisonniers, parmi lesquels se trouvaient la femme de Mérodach-Baladan II, et les nobles, les grands de Chaldée, furent vendus comme des esclaves.

La deuxième campagne de Sennachérib (700) éprouva l’Arménie, la Médie et l’Albanie, mit la crainte chez les Parthes, ainsi qu’en Commagène, rendit tributaires les Arabes du Hedjaz et du Nedjed, en Arabie.

La troisième campagne de Sennachérib devait lui donner tout le territoire compris entre l’Euphrate et la Méditerranée. Le roi des Sidoniens, Élouli, régnant à Tyr, épouvanté, s’enfuit vers les îles qui sont au milieu de la mer. La Phénicie se soumit donc au roi terrifiant, qui s’empara des grandes villes, des citadelles, des temples, des places de pèlerinage et de dévotion. Sidka, d’Ascalon, qui avait osé résister, fut pris et transporté en Assyrie.

Les Judéens, comptant sur les troupes éthiopiennes venues de Méroé, battus à Eltheca, virent châtier les gens de Migron, abominablement : Je mis en croix leurs cadavres... Je vendis les hommes de la ville. La défaite de la cavalerie égyptienne stupéfia les Juifs. Malheur, avait dit Isaïe, cependant, malheur à ceux qui vont demander des secours en Égypte, qui cherchent un appui dans ses chevaux, qui mettent leur confiance dans les chars nombreux, et dans la grande masse des cavaliers... L’aide de l’Égypte sera vanité et néant. L’Égypte perd la tête... Et prédisant le sort de l’Égyptien, faisant parler Jéhovah, le prophète avait ajouté : De même que mon serviteur Isaïe marche nu et déchaussé, en guise de signe, de présage,... de même le roi d’Assyrie emmènera les Égyptiens prisonniers, les Éthiopiens captifs, jeunes et vieux, nus et déchaussés, les fesses découvertes, pour la honte de l’Égypte. Malgré cet avertissement, Ézéchias ne se soumit pas ; il se retrancha dans Jérusalem, prêt à la résistance.

Sennachérib, maître de tout le royaume de Juda, sauf Jérusalem, procéda au partage d’un territoire qu’il considérait comme sien, et qu’il distribua entre Mitenti roi d’Azoth, Padi roi de Migron et Ismabaal roi de Gaza. Une inscription dit le résultat de la bataille, la situation déplorable d’Ézéchias enfermé dans Jérusalem, la ville de sa puissance, comme un oiseau dans sa cage.

Cerné, Ézéchias eut peur, bien qu’ayant obstrué les sources voisines de Jérusalem, réparé les brèches des murailles, fortifié Millo, élevé des tours. Il envoya des messages à Sennachérib, qui assiégeait Lachis, lui faisant offrir un tribut. L’Assyrien accepta la rançon d’Ézéchias prisonnier dans sa capitale, et le roi de Juda, ayant épuisé le trésor du temple pour payer la paix obtenue, fit ajouter aux offrandes destinées au suzerain, des filles et des eunuques, avec des chanteurs et des chanteuses. Sennachérib reçut ces présents magnifiques, et il vint ensuite assiéger Jérusalem, comme s’il n’avait rien reçu.

Les audaces et les épouvantements d’Ézéchias s’expliquent par l’influence d’Isaïe. Or, avait dit le prophète au roi, vois-tu, tu as compté sur l’appui de l’Égypte, de ce roseau cassé qui perce et blesse la main de celui qui s’y appuie ; mais il avait ajouté : Le pays de Juda sera la terreur de l’Égypte, partout où il sera nommé, on tremblera. Décontenancé, Ézéchias se livrait au prophète, comme le peuple d’ailleurs, ahuri, affolé, écoutant le nabi qui l’invectivait, s’abîmant dans l’impuissance, acceptant sa condamnation.

Quoi faire ? Les prêches d’Isaïe démontraient une Jérusalem perdue, maudite : Le chef de mon peuple est un enfant, et des femmes le gouvernent. Les filles de Sion sont orgueilleuses ; elles marchent la tête haute, promenant leurs regards, allant à petits pas, faisant cliqueter les anneaux de leurs pieds... Le Seigneur rendra chauves les têtes de ces filles de Sion et il découvrira leur nudité... Et au lieu de parfums il y aura des puanteurs.

Isaïe critique tout sans mesure ; il s’élève contre le luxe des femmes et contre l’agriculteur agrandissant son domaine, ajoutant un champ à un champ ; — il jette des mots violents aux ivrognes qui s’attardent le soir, aux prêtres et aux prophètes qui sont troublés par la boisson, aux jeunes hommes qui aiment la lyre et la harpe, la flûte et le tambourin, aux juges prévaricateurs qui acquittent le coupable pour un cadeau, qui privent le juste de son droit, aux devins, aux magiciens qui marmottent et qui chuchotent, aux prophétesses qui trompent Juda...

Certes les violences d’Isaïe, Jérusalem les méritait ; mais le prophète ne voyait pas qu’en fustigeant la grande coupable devant l’ennemi, il l’humiliait au delà de toute justice, il la livrait à l’avance, épeurée, tremblante, incapable de se défendre, aux Assyriens. Israël est perdu, quoi qu’il fasse : Et je dis, jusques à quand, Seigneur ? Et il dit : jusqu’à ce que les villes soient ruinées et dépeuplées, les maisons sans habitants ; jusqu’à ce que le pays soit dévasté et désert, et que l’Éternel en ait éloigné les hommes, et que la désolation soit grande sur cette terre. Et s’il y reste un dixième des hommes qui y sont, ils seront anéantis à leur tour. Toute la génération vivante est sacrifiée ; le trône d’Israël sera coupé à ras du sol, comme le térébinthe et le chêne, et ce n’est que du tronc laissé en terre qu’il surgira une race sainte.

Ce n’est certainement pas un Hébreu ce nabi, ce réformateur annonçant une gloire dont le peuple qu’il prêche ne jouira pas, promettant un bonheur réservé à des générations futures. Il prédit à Juda un ouragan, dans une nuit d’angoisses dont il ne verra pas l’aurore, et il croit que Juda va se corriger, expier ses fautes, réagir contre sa propre corruption ? Isaïe se trompe, Isaïe ne connaît pas les juifs ; l’annonce d’un Sauveur, d’un Messie, est une manœuvre sans portée, inutile, dès qu’il a prononcé la condamnation des hommes auxquels s’adresse cette espérance, cette formule d’avenir.

C’est par jalousie d’ailleurs, et comme un châtiment, que l’Éternel annonce le Messie : Israël a menti à ses destinées, il s’est perdu, il succombera ; mais il y aura un autre Israël, un autre royaume, resplendissant, et le roi de ce royaume naîtra bientôt ; il est né : — Car un fils nous est donné ; l’empire repose sur son épaule ; on le nommera Conseiller-prodige, Héros-dieu, Père à jamais, Prince de la paix, pour agrandir l’empire et donner une prospérité sans fin au trône de David et à son royaume, pour l’établir et l’affermir, par le droit et la justice, dès maintenant et à toujours. Voilà ce que fera la jalousie de Jéhovah-Çebaôt ! De la génération actuelle, de ceux qui voudraient s’armer pour se défendre courageusement, Jéhovah se moque : Le Seigneur ne s’intéresse pas à ses jeunes guerriers ; il n’aura pas de pitié pour leurs veuves et leurs orphelins ; car ils sont tous des scélérats et des méchants, et chaque bouche profère l’impiété.

Israël est fini. Manassé se dresse contre Éphraïm, Éphraïm contre Manassé, et tous les deux ensemble contre Juda. Il n’y aura plus de peuple ; il n’y a plus roi. Pourquoi résisterait-on à l’Assyrien envahisseur, lorsque le Messie annoncé, le Sauveur d’Israël, le vrai roi, l’oint du Seigneur, ne doit venir que pour imposer la paix : Tressaille de joie, fille de Sion ! Pousse des cris, fille de Jérusalem ! Vois ! ton roi vient... humble et monté sur un âne... L’arc guerrier disparaîtra. Il commandera la paix aux nations ; son empire s’étendra d’une mer à l’autre, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre.

Isaïe n’est qu’un rhéteur, un tribun fougueux, véhément, surexcité, s’enivrant de sa propre parole, incapable de prévoir les conséquences de sa prédication, jetant l’épouvante dans les cœurs alors qu’il faudrait relever les courages, accablant de sa colère un peuple que les Assyriens menacent et dont il prophétise la défaite, annonçant un sauveur qui viendra, plus tard, faire resplendir une autre Jérusalem. Son style, comme son éloquence, est un cri perpétuel : Écoutez, cieux ! Terre, prête l’oreille ! car c’est l’Éternel qui parle ! Et aux juifs qui écoutent : Vos mains sont souillées de sang ! Lavez-vous ! purifiez-vous !

Patriote inconscient, l’idée de l’indépendance nationale entraîne parfois Isaïe ; et en cela, beaucoup plus Aryen qu’Asiatique l’amour du sol natal parvient quelquefois à adoucir sa sainte colère. Mais, par une fatalité déplorable, ses conseils et ses objurgations vont à l’encontre de son vœu, toujours, comme sa parole s’embarrasse de phrases lourdes, d’images grossières, indécentes, de jeux de mots : La Jérusalem qu’il rêve, toute phénicienne, serait une cité bruyante et joyeuse, la Jérusalem de Salomon étant condamnée par un Jéhovah ouragan ; — les Judéens ayant du foin dans le ventre ne peuvent qu’enfanter de la paille ; — la cité de David est devenue une courtisane, livrée aux œuvres des magiciens, toute pleine des choses de l’Orient ; elle chancelle, et Juda tombe. — Car voyez, le Seigneur va retirer de Jérusalem et de Juda tout soutien et tout support, le héros et l’homme de guerre, le juge et le prophète, le devin et le sage, le conseiller et l’artiste, et l’habile magicien.

Les Assyriens, massés devant Jérusalem, se rient des Judéens qui s’apprêtent à défendre la ville. Le général, le tartan de l’armée assiégeante, le grand échanson et le grand eunuque de Sennachérib, s’approchent des murs, disant au roi, en langue judaïque, par moquerie : Va donc te mesurer avec mon maître, le roi d’Assyrie ! Je veux te donner deux mille chevaux, si tu peux trouver des cavaliers pour les monter. Le roi Ézéchias, inquiet, allait au temple, tournait son visage contre le mur, parlait à Jéhovah en se lamentant ; Isaïe, toujours inconséquent, ayant prédit la ruine de la ville sainte, lançait de sottes bravades à l’Assyrien : Je mettrai mon anneau dans ton nez et mon frein dans ta bouche, et je te ramènerai par le chemin que tu as suivi pour venir.

Le pharaon Schabatok, régnant en Égypte, s’était associé son fils Tahraka qui vint au secours des Judéens. Ézéchias s’allia au Chaldéen Mérodach-Baladan, ce héros de la résistance nationale en Basse-Chaldée, toujours vaincu, toujours redoutable, tenant Babylone alors, et qui ne devait abandonner son rôle que dans la mort. Mais ces alliances ne valurent au roi de Judée aucun secours effectif. Le blocus de Jérusalem était complet, la défaite apparaissait imminente, lorsque la peste, une peste terrible, vint ravager les troupes assyriennes campées devant Jérusalem et devant Libna (Péluse), où Sennachérib guerroyait en personne. Les assiégeants, décimés, durent partir. Isaïe attribua cette victoire à l’ange exterminateur de Jéhovah, pendant que les Égyptiens y voyaient l’intervention de leurs divinités bienfaisantes.

Ézéchias reprit son territoire, d’ailleurs dévasté ; beaucoup de villes israélites, se dégageant de Samarie, se donnèrent au roi de Juda. Des ambassadeurs, notamment des envoyés de Mérodach-Baladan, le roi de Babylone révolté contre Ninive, vinrent complimenter les juifs. Voici qu’Ézéchias, cédant à sa vanité, se complut à étaler ses richesses devant les ambassadeurs, montrant tous ses meubles, l’argent, l’or, les parfums, l’huile précieuse, et tout son arsenal, et tout ce qui se trouvait dans ses magasins. Chacun, avec un regard de convoitise, proposait une alliance au roi de Juda ; Isaïe, sagement, conseillait au roi de refuser.

Ézéchias voulait la paix de Juda, complète, semblable à la paix de Phénicie, toute fructueuse, trafiquante. Il fit relever les fortifications de Jérusalem, approvisionner les magasins et les arsenaux, réunir un trésor important, exécuter des travaux utiles. La vérité de l’histoire d’Ézéchias, et tous ses exploits, comment il fit construire le réservoir et l’aqueduc, et amener l’eau dans la ville, cela est écrit en détail dans le Livre des chroniques des rois de Juda. Or Isaïe se prononça contre les œuvres d’Ézéchias. On dirait vraiment qu’Isaïe craignait de mourir sans avoir vu se réaliser sa prédiction, sans avoir constaté, pour sa gloire personnelle, la ruine de Jérusalem, qu’il avait prophétisée, la dévastation de Juda.

La littérature hébraïque sous Ézéchias prit un grand essor. Il y eut une compagnie d’hommes lettrés qui se donna la charge de réunir tous les monuments littéraires de la nation ; et, en outre des groupes spéciaux se formèrent, laborieux, des espèces de confréries de prophètes, de voyants, de prédicateurs, des ordres en un mot, autoritairement dirigés par des supérieurs qu’une onction sacrait, et qui vivaient d’aumônes, comme les derviches. Un grand besoin de parler et d’écrire animait tout ce monde ; Ézéchias lui-même, le roi, fier de son goût, composait des cantiques.

Dans ce mouvement intellectuel, chacun, malheureusement, se livrait à sa propre fantaisie, avait sa théorie particulière ; si bien, que la masse des conseillers ne produisait que de la confusion dans l’esprit des Judéens. Un seul fait dominait, plutôt nuisible, — car il donnait aux juifs une confiance trompeuse, ou il les jetait dans un fatalisme désespérant, — c’était la toute-puissance de Jéhovah, auteur de tout. Dans le Livre des Rois, l’Assyrien parle ainsi : C’est Jéhovah qui m’a dit : Envahis ce pays et dévaste-le.

Isaïe Ier, tour à tour violent et faible, autoritaire et condescendant, héroïque et désespéré, Aryen tombé dans le tourbillon asiatique, n’a fait que compromettre l’œuvre dont il savait le but sans en comprendre les nécessités. Michée, son émule, son contemporain, voit l’avenir brillant, lui, et il se complaît à le décrire. Il adopte l’idée du rejeton de la race de David qui viendra relever Israël, mais ce relèvement lui paraît proche, et il y croit, et il y fait croire, ce qui est l’essentiel. Mauvais écrivain, sa parole est cependant excellente, parce qu’elle est humaine, simple, naturelle, accessible à tous. Il dialogue, donnant ainsi beaucoup de vie à sa pensée, bien que des allusions jettent çà et là des obscurités dans sa prose. Les sentiments dont Michée est animé, si purs, donnent à son style plutôt froid un tour sympathique. Il emprunte à Isaïe des effets oratoires : Écoutez, peuples, vous tous ! Prête l’oreille, ô terre !

Le Jéhovah de Michée est un être qui vient en personne, parfois, visiter son peuple. Les images du prophète, toujours réelles, vraies, frappent l’auditeur, lui plaisent. L’optimisme de Michée agaçait les autres nabis vêtus de poils, qui étalaient, avec des airs mystérieux, un pessimisme épouvantable. Michée, bravement, dénonce ces exploiteurs, ces faux prophètes égarant le peuple, annonçant la paix quand leurs dents ont de quoi broyer, déclarant la guerre à qui ne remplit pas leur bouche. La corruption de Jérusalem, il la qualifie : Ils bâtissent Sion avec du sang ; Jérusalem, avec le crime ! Ses chefs vendent la justice pour des présents, ses prêtres enseignent pour un salaire, ses prophètes prédisent pour de l’argent, et c’est sur l’Éternel qu’ils s’appuient. Il sait que le vol et le mensonge gouvernent ; il prévoit l’effondrement de cette société, le triomphe de l’Assyrien, la transportation du peuple ; mais il ne se désespère pas : — L’Éternel te rachètera de la main de tes ennemis, — et il annonce une Jérusalem nouvelle, un empire d’Israël resplendissant : Le jour où tes murs seront rebâtis, ce jour-là ta frontière sera reculée ; ce jour-là on viendra vers toi, depuis l’Assyrie jusqu’à l’Égypte, et depuis l’Égypte jusqu’à l’Euphrate, d’une mer à l’autre, des montagnes aux montagnes. Ce n’était qu’une illusion, mais combien cette illusion était préférable à l’énervante désespérance d’Isaïe.

Malgré la retraite de Sennachérib, Jérusalem devait tomber. Le roi d’Assyrie ayant chassé Mérodach-Baladan de Babylone, le poursuivit jusques aux marais de la Basse-Chaldée, et en Élymaïs, où il mourut. Le trône de Babel fut donné par le roi d’Assyrie à son fils aîné, rejeton de sa bénédiction, Assournadin.

Les victoires de Sennachérib s’affirmèrent, suivant l’usage, par d’épouvantables cruautés. Je les ai vaincus, dit le chant de triomphe du monarque, et les harnais, les armes, les trophées de ma victoire nageaient dans le sang des ennemis comme dans une rivière. J’ai élevé, comme un trophée, des monceaux de cadavres, dont j’ai coupé les extrémités, et j’ai mutilé ceux qui sont tombés vivants en mon pouvoir.

Vainqueur des Chaldéens révoltés, et des Élamites qui les avaient soutenus, Sennachérib s’en tut guerroyer en Susiane, puis en Médie, prenant un grand nombre de villes perchées comme des nids d’oiseaux. La terreur le précédait : J’enlevai les hommes, les bêtes de somme, les bœufs, les moutons ; je détruisis les villes, je les démolis, je les brûlai. Il traversa l’Arménie et le Caucase, ainsi qu’un vent formidable, faisant partout des transportations, mélangeant, brassant les hommes, les peuples, les races.

Las de vaincre, inaugurant une ère de paix, Sennachérib releva Ninive. Sa maison royale y était vaste et magnifique, bâtie dans l’angle nord-ouest de l’ancienne cité, à Kouyoundjik, sur un remblai avant dix mètres de hauteur. Elle comprenait, avec plusieurs cours successives, soixante salles très longues, aux plafonds bleus, aux bas-reliefs coloriés. Les dix taureaux énormes, ailés, à figure humaine, aux yeux peints, d’une effrayante fixité, qui ornaient la façade orientale, étaient séparés, vers le centre, par quatre statues colossales.

L’architecture assyrienne, carrée, massive, était donc persistante ; la sculpture demeurait grossière, brutale. En remontant l’Euphrate, la pensée égyptienne, influencée par le Touran, s’alourdissait. L’Arménie, qui naît à la civilisation en ce moment même (700-650), sous le règne d’Argistis, et qui emprunte sa sculpture à l’Assyrie, se rapproche plutôt de l’Égypte, en s’inspirant mieux de la nature, en améliorant les types, en incrustant d’ivoire et d’or les matières frustes qui deviennent l’immobile représentation d’une idée.

L’œuvre monumentale de Sennachérib, bien assyrienne, faite de boue, ne subsistera pas. Ce palais, dit une inscription, vieillira et tombera... mais celui qui altérerait mon écriture et mon nom, qu’Assur, le grand dieu, le père des dieux, le traite en rebelle ; qu’il lui enlève son sceptre et son trône, qu’il brise son glaive. Sennachérib ne se préoccupe que de son nom. Ce n’est pas le temps qui ruinera son œuvre ; c’est la guerre déchaînée par les rois de Ninive qui se retournera contre eux, et qui viendra battre, jusqu’à la destruction, et la ville et le palais.

Le fils de Sennachérib, Assournadin, intrôné de force à Babylone par son père, vient de mourir ; Irigibel qui lui succède meurt à son tour, après un an de règne ; la couronne de Babel échoit à Mésisimordach, qui était Babylonien. Alors tout le sud de la Basse-Chaldée, le pays de Kar-Dounyas, la Characène classique, sur la mer, se soulève, faisant de Bet-Yakin sa ville capitale (688). Sennachérib accourt, bat les révoltés qui se réfugient en Susiane, oit le roi Chodornakhounta les reçoit, ce qui donne au roi d’Assyrie le prétexte de ravager le pays des Susiens.

Voici que Babylone se soulève à son tour, en proclamant roi Souzoub. Sennachérib abandonne la Susiane pour venir frapper les Babyloniens alliés au roi des Élamites. Il s’empare du héros de l’indépendance, de Souzoub, et retourne ravager la Susiane, furieux : Je fis monter dans les cieux la fumée de leurs incendies, comme celle d’un seul sacrifice. Sennachérib eût voulu prendre et torturer Chodornakhounta, mais les devins se prononcèrent contre ce désir. Chodornakhounta mourut trois mois après sa défaite, à Madaktou, laissant le pouvoir à son fils Oumman-Minan.

Souzoub, délivré, revient à Babylone, et les Babyloniens lui confient de nouveau la royauté de Soumir et d’Accad. Alliés au patriote audacieux, les Susiens envahissent la Chaldée, comme une nuée de sauterelles.

Sennachérib les ayant surpris par trahison, en fit un carnage horrible : Je mutilai ceux que je pris vivants, comme des brins de paille (685). Il revint à Ninive pour y dédier solennellement son palais (684), puis il marcha sur Babylone, qu’il prit et incendia, malgré son caractère sacré, en emportant les statues des dieux et le sceau royal. Il n’osa cependant pas enlever aux Babyloniens le privilège de la royauté, et il intronisa, sur les ruines de la cité, son fils Assourahaddon (682).

A ce moment, un corps d’Assyriens battait un corps de Grecs en Cilicie et fondait Tarse.

Deux des fils de Sennachérib, — Adarmalik et Assoursarossor, — assassinèrent le roi, leur père, ce fléau, dans le temple du dieu Misroch. Le quatrième fils de la victime, Assourahaddon, qui régnait à Babylone, accourut à Ninive. Les assassins s’enfuirent en Arménie, et le prince guerrier, le vengeur de Sennachérib, Assourahaddon (681), fut roi d’Assyrie.