Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XVI

 

 

DE 1019 A 978 Av. J.-C. - Salomon et Hiram. - L’art phénicien. - Architecture chananéenne. - Le premier temple de Jérusalem. - Le palais de Salomon. - Polythéisme du roi d’Israël. - Navigation. - Ophir. - Commerce. - Palmyre (Tadmor). - La vieillesse de Salomon. - Jéroboam révolté. - L’Égypte : XXIe dynastie. - Le pharaon Sésac, ou Sheshonk Ier. - Mort de Salomon.

 

DAVID avait réuni des matériaux de toute espèce, pierres, bois et métaux, pour la construction de la maison de Dieu, mais il manquait aux Israélites des artistes et des praticiens capables d’exécuter le vœu du roi. Les architectes, les conducteurs et les fondeurs vinrent de Tyr ; les charpentiers et les tailleurs de pierre, de Gebal (1017). Les escouades d’Israélites et de Chananéens envoyés au Liban par Salomon, pour y couper des cèdres, étaient conduites par des hommes de Phénicie. Et les ouvriers de Salomon et les ouvriers de Hiram, et les gens de Gebal, dit la Bible, équarrissaient et préparaient le bois et les pierres pour la construction du temple. Ce passage du Livre des Rois est singulier, si l’on songe à la loi de Moïse, formelle, interdisant aux Israélites de tailler les pierres, d’employer le fer pour l’autel de Jéhovah. Les Sidoniens fournis par le roi de Tyr recevaient un salaire.

Hiram envoya du fer, de l’or, du bronze et des marbres à Salomon, et il fit teindre, dans ses teintureries déjà célèbres, en pourpre, en hyacinthe et en écarlate, les étoffes précieuses que le roi d’Israël destinait à l’ornementation du monument. Les bois de Syrie, — cèdres et cyprès principalement, — étaient amenés au port de Jaffa au moyen de radeaux.

Salomon offrit au roi de Tyr, vingt villes et bourgs de la Galilée ; mais il n’est pas certain qu’à ce moment le roi d’Israël pût disposer de cette offrande. Ceux qui, parmi les Israélites, après la conquête, avaient souffert de la vie en Judée, s’étaient dirigés vers la Galilée en se détachant de plus en plus du groupe bruyant qui se nationalisait ; c’étaient les Égyptiens, mélangés aux Israélites depuis l’exode, nombreux, qui s’étaient surtout éloignés. En outre, les tribus d’Aser et de Nephthali, qui campaient au nord du territoire, en Galilée, avaient avec les Phéniciens, par la vallée de Méron, des relations plus fréquentes, plus suivies qu’avec les Israélites des autres tribus. Hiram dédaigna l’annexion de ces villes et de ces bourgs qui ne l’inquiétaient pas : Et Hiram, dit le texte biblique, sortit de Tyr pour voir les bourgs que Salomon lui avait donnés, et ils ne lui convinrent pas. Plus habile que Salomon en cette circonstance, Hiram obtint, en compensation, que le roi d’Israël s’engageât à fournir annuellement, aux Phéniciens de Tyr, une certaine quantité de blé, de vin et d’huile. Aveuglé par sa vanité, Salomon ne vit pas qu’en accédant à ce désir, il rendait le royaume d’Israël tributaire de l’empire de Phénicie.

Le vœu de David, l’édification du temple, était une mesure politique, centralisatrice. Malgré Moïse et ses successeurs, les Israélites n’acceptaient pas encore l’unique Dieu d’Abraham ; ils sacrifiaient à toutes les divinités, brûlant des parfums sur les hauteurs, s’intéressant à la marche étonnante des étoiles, veillant trop, dans le frais silence des nuits, et traînant ensuite, le jour, dans les rues, leurs corps énervés, enfiévrés, frappés de lassitude. David avait pensé qu’à ce peuple mou, au cou raide, il fallait des leçons visibles, et il avait imaginé de faire bâtir un temple unique, élevé à la gloire de l’unique dieu, comme démonstration.

Mais dans tout Israël, on n’eût pas rencontré un seul homme qui fût capable de formuler la pensée de David. Les prophètes, très beaux parleurs, ne savaient rien au delà de leur parole, sinon danser peut-être. Ni le temple de Jérusalem, ni le palais de David, ni le palais de Salomon, terminés, ne seront en conséquence des œuvres hébraïques ; et il n’y aura jamais, à proprement parler, d’architecture israélite.

Les Phéniciens, eux, avaient une architecture, d’origine chaldéenne, modifiée par la double influence des Égyptiens aux vastes et simples formules, et des Aryas de Grèce, au goût exquis, encore un peu mesquin, mais juste. Les villes phéniciennes, — Tyr surtout, très grecque en cela, — étaient petites, à rues étroites, pour que les étrangers venus de loin, a-t-on dit, pussent y faire beaucoup d’achats en peu de temps, et protégées par des murailles crénelées, flanquées de tours lourdes, massives. Les artistes phéniciens s’appliquaient à la rapidité de l’exécution, recherchant l’effet. Le bâtiment immuable de l’Égyptien ne convenait pas aux hommes de Phénicie qui, ne croyant à la durée de rien, ne considéraient leurs cités que comme des entrepôts momentanément bien situés. Obtenir vite et sans trop d’effort la jouissance des yeux, étonner autrui par un déploiement de richesse, tel était le but des Phéniciens constructeurs.

Le prêtre phénicien, s’il ne croyait pas à la durée des choses, entendait que l’on y crût autour de lui. Les pierres employées à la construction des premiers monuments religieux de la Phénicie furent donc énormes, de grand poids ; l’on éleva des murailles frustes, circulaires, formant deux enceintes accouplées, deux tentes bâties solidement sur un terrain creusé, une crypte, une grotte. Dans cette masse, des colonnes sans entablement, c’est-à-dire des supports de pierre, recevaient des draperies ; c’était comme un autel, un point central d’attention, où la divinité trônait : — ou bien Astarté, dont le symbole était à Paphos, sœur de l’Isis égyptienne, charmante, livrée à la prostitution chaldéenne en Phénicie, y devenant un cône lisse ; — ou bien Dagon, moitié poisson, moitié homme, comme l’Oannès de Chaldée. —Mais, qu’elles fussent de pierre ou de bois, ces divinités étaient couvertes de bijoux faciles à enlever, ayant une valeur, dont les prêtres trafiquaient, de temps en temps.

La statuaire de ces hommes s’éloignait peu de la monstruosité. Ne concevant pas la noblesse des choses, le sculpteur ne recherchait ni l’élégance, ni la dignité ; ses œuvres étaient de sottes figures, très mouvementées, d’une musculature puissante, trapues, étalant « un rire stupide » et définitif sur une face plate. Ces artistes étaient sans doute des Touraniens ne connaissant que la statuaire égyptienne, influencés par les Chaldéens qui réclamaient des divinités en action, agissantes, ou prêtes à agir.

Les Aryas venus en Phénicie, des îles grecques évidemment, y apportaient un art réel, l’art du ciseleur. Homère a parlé d’un vase d’argent, admirable de ciselure, et qui était l’ouvrage des Sidoniens. Les objets d’ornementation, bien compris, — bois rares, ors ouvragés, verreries, — desservaient un trafic important, étaient une industrie florissante. Hors de ces détails, l’artiste n’existe pas ; on ne le rencontre, ni en Phénicie, ni en Palestine ; ce ne sont, ici et là, qu’ébauches grossières, dépourvues de tout sentiment, de toute originalité. Pas un dessinateur qui, par un trait, ait exprimé le désir du simple, la passion du vrai, le zèle du beau. Et cependant quels hommes, en ces temps passés, eurent mieux et plus que les Phéniciens, les matières essentiellement artistiques ? Robustes, hardis, savants même, les Phéniciens instruits en Chaldée étaient surtout des charpentiers habiles à transformer les forêts en flottes, à bâtir des maisons de bois.

Le temple de Jérusalem, voulu par des Israélites et bâti par des Phéniciens, conçu en imitation des vieux temples du Nil, avec toutes les gênantes et absurdes restrictions de la loi mosaïque ne pouvait que caractériser une confusion. L’architecture chananéenne, précédente, n’avait rien qui fût capable d’atténuer la grossièreté phénicienne, la brutalité israélite. Quand Jacob et Laban imaginèrent le monument qui devait témoigner de leur alliance, une pyramide de pierres jetées sur un point exprima complètement leur idée. Lorsque les Chananéens consacraient un lieu, ils l’entouraient d’une série de hautes dalles, frustes, fichées en terre. Les murailles de Sodome et de Gomorrhe, retrouvées, sont des constructions massives, sans art aucun.

La restitution théorique du premier temple de Jérusalem est difficile. Le texte biblique égare plutôt le chercheur, parce que les prophètes du temps de la servitude à Babylone, préparant la réédification du sanctuaire, formulaient un plan nouveau en prétextant une description de l’ancien. Le problème a peu d’importance, car sauf la richesse de certains détails et la somme de travail dépensée, de l’effort accompli, rien dans les divers temples de Jérusalem, — le premier détruit en 588, le second détruit en 37, le troisième rebâti en 35, — ne mérite la longue attention de l’artiste.

Le mont Moriah, sur lequel le temple devait être bâti, fut nivelé, de fortes murailles soutenant les terres. Cette œuvre fondamentale, vraiment grande, ne se peut comparer qu’aux travaux de remblai qu’exécutaient les Égyptiens pour y asseoir leurs villes. Le temple proprement dit, orienté vers l’aube, comme en Égypte, était au milieu de deux enceintes formant deux cours, — idée toute phénicienne, — l’une réservée aux sacerdotes , l’autre, la cour extérieure, destinée au peuple et aux étrangers. Divisé en trois corps successifs, le monument était sans unité. En avant, des pylônes égyptiens se dressaient, avec une porte centrale, relativement petite, donnant accès à la cella, partie principale de l’édifice, conduisant au sécos, ou saint des saints, au sanctuaire. Le reste du bâtiment n’était en somme qu’un lieu de réunion, couvert. Le sanctuaire, bas, ne se voyait pas de l’extérieur.

A l’intérieur, trois galeries superposées, formant trois étages, donnaient accès à des chambres, à des cellules où s’entreposaient le matériel du culte, les provisions rituelles, les offrandes faites à Jéhovah, les trésors du corps sacerdotal. Il est probable qu’un certain nombre de ces chambres étaient habitées par les prêtres officiants et par les lévites, leurs serviteurs. Cette disposition particulière était entièrement empruntée aux temples égyptiens. Des escaliers tournants menaient à ces galeries. Les murs, extérieurement, se dressaient en fruit, c’est-à-dire en lignes fuyantes, s’élevant en diminution d’épaisseur. C’était une maison, et rien de plus, rectangulaire, percée de fenêtres nombreuses.

Le rite exigeant de continuelles fumigations, assainissantes, des sacrifices par le feu, les fumées de l’encens eussent incommodé les prêtres, à la longue, si des ouvertures n’avaient été pratiquées dans les murs pour renouveler l’air saturé de parfums. Ces fenêtres, larges à l’intérieur, allaient à l’extérieur en se rapetissant, comme des meurtrières, afin que le courant chassant l’air chaud en fût activé. Le sanctuaire, le lieu très saint, était plutôt sombre. Jéhovah a déclaré vouloir vivre dans l’obscurité dit la Bible.

Les ustensiles du culte et les ornements du temple accusent seuls une préoccupation artistique. A l’entrée, deux colonnes isolées, de bronze, lisses, creuses, se dressaient en imitation des obélisques flanquant les portes des temples égyptiens. Sans bases, ces colonnes portaient un chapiteau en forme de nénuphar. Des boiseries sculptées couvraient les murs, intérieurement, planches de cèdre, d’olivier et d’acacia, dorées, avec des tapis multicolores où paraissaient des kéroubins, belles étoffes, de lin tissé généralement, chargées de broderies vivement teintées. Des agrafes d’or reliaient entre eux les tapis tendus. Extérieurement, des tentures de poil de chèvre, retenues par des agrafes de bronze, tombaient le long des murs jaunes, croit-on.

Des rideaux de fin lin et des voiles brodés, supportés par des colonnettes, séparaient l’entrée du temple proprement dit, du lieu saint, ou bien divisaient le lieu saint du saint des saints où reposait l’arche d’alliance contenant les tables de la loi. Dans le temple il y avait la table des pains de proposition, en bois d’acacia, dorée, portant des vases d’or, et le chandelier d’or pur, à sept branches, d’une seule pièce, œuvre de Besabel : A sculpter des fleurs d’or et des calices en amande, tout son art s’était exercé. Soixante et dix lampes brûlaient dans le temple, la nuit, chacune ayant ses mouchettes et ses cendriers d’or pur. Sur l’autel des parfums, tout en or, les lévites entretenaient un bûcher de branches aromatiques.

L’autel des sacrifices, en bois d’acacia, revêtu d’airain, sur lequel brûlait éternellement le feu sacré, et le bassin de bronze servant aux ablutions, fait avec les miroirs des filles d’Israël, étaient à l’extérieur, dans la cour du peuple.

Les objets nécessaires au culte, d’un métal précieux, comprenaient des vases, des racloires, des bassins, des plats, des cuillers, des fourchettes, des éteignoirs, des encensoirs et des tubes de purification, en or, en argent ou en bronze. La richesse de ces ustensiles, l’accumulation des matières précieuses partout répandues, le luxe inouï des costumes sacerdotaux, devaient contraster avec la nullité artistique du monument. Aucune sculpture vivante, parce que Moïse avait interdit la représentation de l’homme en images, et nulle grandeur de lignes, parce que l’idée dominante, asiatique, avait été de construire un caravansérail pour les prêtres et les lévites, avec une chambre spéciale consacrée à Jéhovah, et non d’édifier un palais à l’Éternel. Salomon avait dit nettement, que la véritable demeure de Jéhovah était dans les cieux.

Sur les bois rares, ciselés, couraient des guirlandes de fruits et de fleurs, avec des kéroubs aux ailes éployées, éperviers égyptiens à tête humaine, mélange de l’Isis protectrice des momies de Thèbes et du férouèr de l’Iran, cet ange gardien du Zend-Avesta. Les étoffes, très riches, bleues, rouges et jaunes, étaient parsemées de travaux de tisserands, brodées à l’égyptienne. La terrasse du temple était recouverte d’une lame d’or.

Le costume des prêtres, des cohènes de la famille d’Aaron, était assyrien, fait de lin pur, rehaussé d’une riche ceinture, très longue, avec les radieuses couleurs blanc, hyacinthe, pourpre et cramoisi. Le grand-prêtre, ou cohène-hagadol, avait un costume particulier, bizarre, frangé de clochettes sonnantes ; il portait sur la poitrine un pectoral enrichi de quatre rangs superposés de pierres précieuses, et il se coiffait d’un diadème d’or.

Le palais de Salomon, ou maison pour le siège de la royauté, séparé du temple par une vallée sur laquelle le roi fit jeter un pont, a-t-on dit, ne valait pas plus que la maison de Jéhovah. Les descriptions qui en ont été recueillies rappellent le Ramesseum de Thèbes, moins l’ampleur. C’est d’abord la salle hypostyle, avec ses quarante-cinq colonnes prismatiques et quadrangulaires, en bois de cèdre, et deux salles menant au harem. L’or, l’ivoire, l’onyx et le marbre s’y combinent avec les panneaux de bois, sculptés, représentant des fruits, des fleurs, des arbres aux rameaux et aux feuilles pendantes, sur des murs diversement peints. Dans la salle où Salomon trône, sur sa chaise d’ivoire aux six gradins flanqués de lions, une ornementation assyrienne se fait remarquer ; il y a, appendus aux murs, de grands boucliers d’or. La valeur intrinsèque des matières employées constitue la richesse de ce palais, toute d’emprunt.

L’impossibilité de rien créer, avec une aptitude merveilleuse à tout exploiter, semble être la caractéristique de la race israélite. Le maître de Cicéron et de César, Apollonius Mélon d’Alabande, avait fait cette remarque déjà. Acceptât-on comme vraies toutes les magnificences du temple de Jérusalem décrites par Ézéchiel, prît-on à la lettre toute cette rhétorique descriptive, que pas une seule originalité n’en résulterait. Cette absence d’art est inquiétante, parce qu’elle explique l’histoire d’Israël. L’art, par l’effort qu’il nécessite, par l’aliment cérébral qu’il est, attire à lui, dans toute société formée, ceux qu’une vie ordinaire ne satisfait pas, les esprits anormaux, c’est-à-dire les génies, et les cerveaux malades, congestionnés ; il les captive, il les retient, il les utilise, il les use. Dans une société sans art, les névropathes s’impatientent, vont au bruit, troublent tout et précipitent les catastrophes. Sans art, Israël était donc fatalement condamné aux tapages, aux querelles, à l’esclavage, à la dispersion. Les Israélites ne devaient donner au monde qu’une littérature, la littérature des nabis, splendide, mais infructueuse, n’ayant affirmé ni une morale, ni une patrie, ni un dieu.

Salomon lui-même, qui va construire le temple du dieu d’Abraham, croit-il à l’existence de cette divinité ? Ayant ouvert son harem, successivement, à une fille du roi de Tyr, à une fille d’un prince des Khétas, à une fille d’un pharaon de la Basse-Égypte, son propre palais devient le refuge des divinités de toute sorte, phéniciennes, syriennes et égyptiennes, qu’adorent ses femmes. Salomon ne veut qu’étonner le monde par la splendeur de ses actes ; c’est pour cela qu’il entreprend de bâtir la maison de Dieu. Le roi de Tyr et le roi d’Israël sont faits pour s’entendre ; ils s’admirent mutuellement.

Grâce à son puissant allié, qui est le maître des déserts, Hiram enverra ses Phéniciens trafiquer directement avec l’Inde. Les produits indiens venaient en Phénicie déjà, mais par des intermédiaires onéreux installés sur le bord de la mer Rouge, au sud de l’Arabie, ou dans le fond du golfe Persique. Hiram a compris qu’une alliance avec les Israélites lui permettrait d’envoyer des caravanes qui, traversant la Palestine, iraient au golfe Arabique, en mer Rouge, et qu’il serait facile de créer là, aux ports d’Élath et d’Éziongaber, une flotte marchande. Cela fut fait ainsi (1017-994). Des vaisseaux semblables à ceux qui desservaient le commerce phénicien en Méditerranée, qui allaient jusqu’en Égypte, jusqu’à Tharsis, et que la Bible nomme à cause de cela vaisseaux de Tharsis, naviguèrent en mer Rouge, sur la côte orientale d’Afrique, dans l’océan Indien.

Cette navigation directe supprima les intermédiaires qui s’échelonnaient sur la côte d’Arabie, le long de la mer Rouge ; l’affaiblissement considérable de l’Égypte permit à cette exploitation de se développer. La flotte avait été construite à Élath et à Éziongaber, aux bords de la mer des Algues, avec des bois de Judée. Les dépenses de la construction furent sans doute payées par le roi d’Israël, mais à bord des nefs, parmi les équipages, il n’y eut pas d’Israélites. Déjà du temps de Thoutmès III (1703) les trafics maritimes ne s’exerçaient dans la mer Rouge qu’avec des marins de Sidon.

La première expédition des marins de Tyr et de Jérusalem, alliés, dirigée vers Ophir, revint avec un trésor d’épices, d’aromates, d’or, d’argent et d’ivoire, que les deux souverains se partagèrent équitablement. Une fois en trois ans, la flotte de Tharsis venait chargée d’or et d’argent, d’ivoire, de singes et de paons. Cette opération triennale, quelque fructueuse qu’elle fût, n’aurait pas suffi aux exigences de Salomon, aux somptuosités de sa vie royale. Le grand mouvement des caravanes par la vieille route tracée entre l’Arabie et la Phénicie se continuait, donnant à la reine du désert, à Palmyre, — Tadmor, — une extrême importance. Tadmor était la grande richesse de Jérusalem.

Avec Hiram, et comme son associé, Salomon envoyait des flottes marchandes jusqu’aux extrémités occidentales de la mer Méditerranée. Il s’était réservé le monopole des échanges entre les Israélites et les Égyptiens, et, seul, il possédait les chevaux que les Syriens achetaient en grand nombre. Ces chevaux venaient de l’Égypte, ainsi que des chars bien agencés, de jolies étoffes, légères, et des fils soyeux. Les caravanes de marchands du roi portaient aux Égyptiens, du plomb, de l’étain et du cinabre. Israël s’enrichissait outre mesure. L’argent devint à Jérusalem comme les pierres.

Le poids des choses, évalué, — sicle, schekel, — était alors le signe représentatif des échanges. Telle quantité d’or ou d’argent, en lingots, en anneaux, en orfèvreries même quelquefois, se donnait en compensation de la marchandise désirée. C’était une monnaie.

La mort d’Hiram II (994) laissa le roi d’Israël vieillissant, accablé de richesses, terminant mal sa longue vie dans son harem, pendant que son peuple, trompé par de fausses splendeurs, commençait à sentir l’instabilité de sa fortune, à prévoir une ruine imminente, douloureuse. Salomon, dit le Livre des Rois, aima beaucoup les femmes étrangères... Il avait sept cents femmes légitimes et trois cents concubines, et ces femmes détournèrent son cœur. Le harem du roi d’Israël se composait de femmes venues de tous pays, avec leurs mœurs, avec leurs dieux, et l’Astarté des Sidoniens, et le Moloch des Ammonites, et le Chamos des Moabites, et le Baal d’Assyrie, et l’Osiris d’Égypte eurent leur culte et leurs autels, dans le palais du roi d’abord, dans le temple de Jéhovah ensuite.

La religiosité maladive de l’Israélite ne pouvait pas jouir du culte que Samuel avait institué ; le Jéhovah terrible, exigeant, souvent insupportable, n’attirait pas l’Hébreu, qui se laissait plus volontiers conduire, le soir, vers « les sommets doucement éclairés par la déesse lune ». Là, rafraîchissant son corps, en même temps que ses esprits, il s’adonnait à cette foi voluptueuse que prêchaient les prêtresses d’Istar, ces courtisanes dont les autels étaient moelleux. Ce culte, au fond, était celui du roi, tout égyptien d’allure, tout asiatique de sentiment. Comme un pharaon de Thèbes ou de Memphis, Salomon honorait sa mère, qu’il plaçait à sa droite, dans son palais ; comme un Asiatique, il méprisait ses femmes, dans son harem.

La paix d’Israël n’était que superficielle. Les tributaires se rendaient assez exactement compte des troubles qui résultaient d’un enrichissement trop rapide, des paresses qui alourdissaient ce peuple vivant avec trop de facilité. L’Édomite Hadad, encouragé, sinon soutenu par les Égyptiens, prit le pays voisin de la mer Rouge, ce qui était grave, parce que la possession de ce territoire par les Israélites justifiait l’alliance des hommes de Tyr et de Jérusalem. Le Syrien Rami, de son côté, se fit roi de Damas.

Voici que le serviteur le plus aimé du vieux roi, le jeune et doux Jéroboam, dont les femmes du harem avaient le droit d’être jalouses, quittant Jérusalem, s’en fut en Éphraïm, prétendant régner sur Israël. Averti par le prophète Abdias, Salomon se dressa furieux, et il réussit, par la promptitude de sa menace, à épouvanter le rebelle qui, fuyant la mort, dut se réfugier en Égypte, chez le pharaon Sésac, ou Sheshonk.

Les tributaires s’agitaient de plus en plus ; l’Égypte devenait menaçante ; Jérusalem, complètement démoralisée, sans pudeur, étalait ses plaies. L’insolence des grands et la lâcheté des petits, la vénalité des juges, la corruption des prêtres, le scepticisme des guerriers, la perversité du peuple, avaient fait qu’en Israël, à ce moment, chacun se méfiait d’autrui. Un homme sûr, où le trouver ? Ivre, le peuple de Dieu s’abandonnait, lorsque la mort du roi (978), laissant la couronne à Roboam, réveilla la nation, toute somnolente. Et tous les peuples assemblés vinrent s’adresser à Roboam en ces termes : Ton père nous a rendu le joug dur ; mais toi, allège maintenant cette dure servitude et le joug pesant que ton père nous a imposé, et nous voulons te servir.

Salomon n’avait été qu’un despote admirablement servi par les circonstances, héritier d’une situation qu’il n’eût pas été capable de créer, et qu’il compromit. L’influence égyptienne, encore toute vibrante en Moïse, s’est dissipée ; avec Salomon, Israël est redevenu asiatique, tout à fait. Le successeur de David a gouverné la Palestine comme l’eût fait un roi d’Assyrie, avec cette seule différence, que, sans contact avec les Touraniens, Salomon fut un délicat, un bel esprit, un lettré. La légende de Salomon, partout colportée, avec son anneau magique le rendant maître des bons et des mauvais esprits, fut tissée en Perse, plus tard, selon toute évidence. On lui attribua l’ensemble des œuvres littéraires de son époque, les Proverbes, le Cantique des Cantiques, même l’Ecclésiaste. S’il ne fut pas l’auteur des Proverbes et des Sentences, — masals, — collectionnés dans la Bible hébraïque, du moins est-il probable qu’un grand nombre de ces émissions durent tomber de ses lèvres. Il se plaisait à résoudre des énigmes, ce qui était un jeu égyptien ; à parler devant des sages, ainsi que cela se fait en Arabie ; il dut apprécier par dessus tout, ces courts poèmes que les femmes de son harem improvisaient, et dont les meilleurs, recueillis avec soin, n’ayant entre eux que le lien d’une idée semblable, — l’amour, -forment le Cantique des Cantiques.

Asiatique, Salomon ruine son peuple en croyant l’enrichir ; il détruit l’œuvre de ses prédécesseurs. Le monothéisme d’Abraham, il l’ignore ; et c’est son polythéisme qui prépare la révolution des nabis, ces monothéistes impérieux. En édifiant le temple, en sanctionnant une prêtrise aristocratique, en terminant la période où chacun sacrifiait suivant sa volonté, il a suscité contre Jérusalem, devenue métropole religieuse, toutes les jalousies. Le nord et le sud de la Palestine sont divisés ; Jérusalem commence à sentir son isolement. C’est chez les Éphraïmites, c’est-à-dire chez les voisins immédiats de la tribu qui a Jérusalem en elle, que Jéroboam se rend lorsqu’il veut détrôner Salomon ; et c’est en Égypte que Jéroboam traqué se réfugie, non point pour s’y repentir de son insuccès, mais pour y préparer, avec le pharaon régnant, une expédition contre Israël.

Il fallait que la Jérusalem de Salomon fût bien affaiblie pour que l’Égyptien osât écouter Jéroboam. Pendant un siècle (1110-980) les villes du delta, Tanis, Bubaste, Sébennytès et Saïs, s’étaient disputé la prépondérance en Basse-Égypte. Thèbes, déchue, toute aux prêtres, n’était qu’une ville singulière, antique, où les voyageurs curieux affluaient, Éthiopiens et Assyriens surtout. L’influente asiatique y était à ce point dominante, que les pharaons affectaient de ne pas donner à leurs fils des noms égyptiens.

Les souverains du delta étaient en relations avec les chefs de la Syrie et de la Palestine. Salomon avait épousé la fille d’un pharaon. L’alliance des Israélites et des Égyptiens eût été durable, si le delta avait appartenu aux Égyptiens ; il n’en était pas ainsi, puisque l’armée égyptienne était toute composée de Libyens Mashouahs, blonds, Aryens presque, détestant les Asiatiques. Dompté au sud par le prêtre qui l’épouvante avec son rituel, maîtrisé au nord par le Libyen qui l’a subjugué, l’Égyptien est un esclave. A qui appartiens-tu, et d’où es-tu ? Et il répondit : je suis un Égyptien mâle, esclave d’un homme Amalécite, et mon maître m’a abandonné parce que je suis devenu malade il y a trois jours. On dira de l’Égypte, bientôt, proverbialement, qu’elle est une maison d’esclaves.

La XXIe dynastie égyptienne (1110-980) comprend Si Mentou (Smendès), Psiounka (Psousennès Ier), Neferkara, Amenemkam, Ousorkon Fr, Psinakhés et un autre Psiounka II (Psousennès II). Sésonkhis (Sheshonk Ier, le Sésac de la Bible), qui fut régent pendant la vie de Psiounka, prit le pouvoir en inaugurant la XXIIe dynastie, bubastite (980-810). La Basse-Égypte était devenue l’asile de tous les aventuriers. Les pharaons obéissaient plutôt à leurs gardes libyens qu’ils ne leur donnaient des ordres.

Sésac, — ou Sheshonk Ier, — fut un de ces pharaons obstinés dont parla Samuel, tout à son but, rêvant la prépotence. Il reçut Jéroboam devenu criminel, fuyant, parce que Jéroboam représentait les tribus israélites jalouses de la tribu de Juda, dénonçant le roi Salomon comme un incapable, un impie. Les récits fabuleux que Jéroboam faisait des richesses de Jérusalem, mettaient en éveil les convoitises libyennes, puissamment alimentées d’ailleurs par la haine de race qui séparait ces Africains aryanisés des Israélites chaldéens. C’est en promettant ces richesses à sa soldatesque exigeante, que le pharaon Sésac put, par eux, s’imposer à tous les petits princes du delta. Pharaon principal, presque suzerain, l’influence de Sésac s’étendit vers le sud, le long du Nil, un peu plus chaque jour.

La mort de Salomon étant survenue, Sésac, guidé par Jéroboam, marcha sur Jérusalem, sans hésiter.