Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XV

 

 

DE 1051 A 1019 Av. J.-C. - Vieillesse, abdication et mort de David. - La société hébraïque. - Monothéisme. - Les prophètes Gad et Nathan. - Salomon, roi. - L’empire d’Israël. - La cour. - L’armée. - Alliance avec les Phéniciens et les Égyptiens. - Juda et Israël. - Les revenus de Jérusalem. - La reine de Saba. - La nouvelle Tyr. - Hiram et Salomon.

 

LES rois de Tyr s’exagéraient la force d’Israël. David avait été vraiment victorieux par ses armes, mais il n’eût pas été capable d’utiliser ses succès. La démoralisation rongeait le peuple de Dieu. Dans sa propre famille, David avait de redoutables ennemis, envieux, atroces. Son fils Amman mourut assassiné sous les yeux du roi après avoir violé sa sœur Thamar, et le frère d’Amman, Absalon aux beaux cheveux, ayant soulevé dix tribus, chassa le roi, son père, que la populace ameutée insulta : Va-t’en, va-t’en, meurtrier, scélérat ! Jéhovah fait retomber sur toi tout le sang de la famille de Saül à la place duquel tu t’es fait roi, et il remet la royauté â ton fils Absalon. Jalouses de la tribu de Juda, les autres tribus se vengeaient sur le roi David, par l’ordre de l’Éternel dit la Bible.

Cependant le roi d’Israël revint â Jérusalem, mais pour y vivre une vieillesse déplorable. Et quand le roi David fut vieux et avancé en âge, on le couvrait de vêtements, mais il ne pouvait se réchauffer. Et ses serviteurs lui dirent : Qu’on cherche pour mon seigneur le roi une jeune fille vierge, afin qu’elle serve le roi et le soigne et qu’elle couche entre ses bras, pour que mon seigneur le roi se réchauffe. Méprisé, David vit son héritage ouvert avant sa mort ; il entendit les prétendants se disputer sa couronne ; il surprit les femmes de son harem mêlées aux intrigues tramées contre sa royauté. Il abdiqua, comme le faisaient les pharaons d’Égypte, en désignant son successeur (1019), disant : que le prêtre Çadoq et le prophète Nathan oignent mon successeur comme roi d’Israël, et vous sonnerez de la trompette, et vous crierez : Vive le roi Salomon ! C’est lui que j’ordonne pour être prince sur Israël et sur Juda. Or, dans cette solennité, la déclaration du monarque n’était que la formule de sa vengeance ; les dernières paroles du roi contiennent le germe du schisme qui va diviser le peuple de Dieu : Juda est nettement séparé d’Israël. Et l’intervention de Çadoq et de Nathan, ordonnée, met aux prises, met en rivalités les trois antagonistes : le roi, le prêtre et le prophète.

Les derniers jours de David sont pleins de ce méchant esprit. Son testament est abominable. Il dicte à son successeur, à Salomon même, la condamnation de Joab qui avait été l’exécuteur de ses crimes : — Tu ne laisseras pas descendre ses cheveux blancs en paix dans le séôl ; — et il prépare, et il assure la mort de Simeï, parce que Simeï l’a insulté, disant : — Tu as près de toi Simeï... celui-là même qui proféra contre moi une malédiction insolente le jour où je marchais sur Mahnaïm. Quand il descendit à ma rencontre vers le Jourdain, je lui jurai par Jéhovah : je ne te ferai point mourir par l’épée ! Or, tu ne le laisseras point impuni, car tu es un homme habile, et tu sauras bien comment tu auras à le traiter pour faire descendre dans le séôl ses cheveux blancs teints de sang. Cruellement vindicatif, haineux, parjure, David mourut, s’endormit avec ses pères.

La prépotence d’Israël s’était étendue de l’Euphrate à la Méditerranée ; il y avait eu une monarchie israélite, avec sa capitale consacrée et son gouvernement. La citadelle de Jébus, l’acropole de Sion, devint la cité de David, glorieuse. Au recensement fait pour la réglementation des impôts et des corvées, on avait compté un million d’hommes adultes en Israël et quatre cent soixante et dix mille en Juda, ce qui donnait une population totale d’au moins cinq millions de personnes.

Le gouvernement s’exerçait par la volonté du roi, plutôt grand juge que monarque, car chaque tribu, — et dans chaque tribu, chaque bourg, — avait son trésorier. A la cour de David, imitée des cours égyptiennes en cela, vivaient des ministres, des conseillers, des prêtres, des scribes, un chef général de l’armée et un préposé aux corvées.

L’armée comptait vingt-quatre mille soldats, Asiatiques. Une garde d’élite, spéciale, veillant à la sécurité du roi, était formée d’archers de Crète, de Philistins par conséquent, et de Cariens, hommes de bronze au casque chargé d’aigrettes. Les chefs de l’armée de guerre la commandaient à tour de rôle ; les troupes vivaient du territoire traversé, national, ami ou hostile. Les stratèges ne manquaient pas de méthode ; la tactique divisait les forces en corps de troupes ; le heurt s’exécutait ligne contre ligne, avec des réserves bien disposées.

La société hébraïque ne pouvait plus bénéficier de la gloire du roi David. S’étant dispensés de tout labeur, les Israélites, amollis, s’affaiblissaient chaque jour davantage ; et il ne faudra considérer que comme des accès de nervosisme, comme un résultat même de l’affaiblissement social, les ressauts qui, de temps en temps, donneront l’illusion d’une énergie. Ce sont des esclaves, — des Éthiopiens ordinairement, — qui travaillent pour les Israélites, en Israël. Les pâtres de brebis, ces vieux Hébreux qui auraient pu conserver à la nation son ancien caractère, farouches, devenaient agriculteurs, se mêlaient aux Chananéens, finissaient par descendre en Phénicie. Les Israélites avaient d’ailleurs le sentiment de leur faiblesse, et ils s’imaginaient que par la multiplication des enfants ils rendraient au peuple sa force perdue. La stérilité de la femme devenait un malheur, une honte, un châtiment ; rien ne fut épargné de ce qui pouvait accroître, en nombre, le peuple de Dieu. Le mélange des Israélites et des Chananéens, par l’amour, se fit largement ; la polygamie en résulta.

La politique de David, trop centralisatrice, valut à Jérusalem une importance onéreuse. Le produit des razzias ne suffisant plus, il fallut établir des impôts, avoir une troupe de mercenaires pour obliger au paiement des dîmes, à l’exécution des corvées. La présence de l’arche à Jérusalem consacrait une centralisation religieuse. Le roi déposa le signe d’alliance dans le tabernacle, transporté sur la hauteur qui fut l’acropole de Sion. C’est alors que David eut l’idée d’édifier un temple monumental, bien plus pour égaler les splendeurs des pharaons, que pour donner à l’Éternel une maison digne du dieu. Tout Israël, — avec les prophètes, — s’éleva contre la réalisation de cette idée. La fixité de la maison divine répugnait à l’Hébreu encore nomade, et les onze tribus d’Israël ne pouvaient pas voir d’un œil favorable la construction d’un temple sanctifiant le territoire de la douzième tribu, la tribu de Juda.

Les revenus de la royauté étaient, pour le roi, comme des revenus personnels. Le produit des razzias et des pillages étant incertain, la rentrée régulière des impôts étant douteuse, David s’appropria de grands domaines, se mit surtout à exploiter des troupeaux qu’il envoyait au désert, aux plaines de Saron, grasses, sur les coteaux du mont Carmel, verts et parfumés. Dans ses maisons, il entassait des métaux. Le trésor qu’il laissa valait beaucoup.

L’installation de l’arche à Jérusalem, sa transportation sur la hauteur, solennelle, inaugura le vrai culte hébraïque, tout à fait imité des cultes égyptiens. La procession qui se déroula sur les flancs de l’abrupt rocher fut semblable aux théories qui se développent, magnifiquement sculptées, sur les longs murs des temples d’Abydos et de Thèbes. David, précédant l’arche, presque nu, enthousiaste, affolé, se mit à danser devant les porteurs, comme le font encore devant leurs fétiches les Nègres de l’Afrique intérieure, et devant leur Christ crucifié les prêtres catholiques d’Abyssinie. David scandalisa les femmes qui regardaient passer la procession.

L’édification projetée du temple, le simulacre de son inauguration surtout, affirmaient le monothéisme d’Abraham, consacraient Jéhovah comme unique dieu, contrairement aux idées polythéistes enracinées dans l’esprit d’Israël. Le sanctuaire inauguré exigeait un service, des cérémonies, un rite. David qui voulait un culte national, exclusif, s’institua comme premier sacrificateur, officia personnellement, et il détruisit ainsi l’autorité religieuse que chaque père de famille avait jusqu’alors conservée dans sa maison, sous sa tente, maître du choix de sa divinité.

Le culte institué fut charmant, plein de séduction : — On voit ta procession, ô Dieu ! la procession de mon roi et dieu vers le sanctuaire. Les chantres en tête, en arrière les musiciens, au milieu, des jeunes filles battant le tambourin. Bénissez Dieu en chœur. — Et David et tout Israël dansaient devant l’Éternel, avec toutes sortes de branchages, et avec des harpes, des luths, des tambourins, des cistres et des cymbales. Héman était le chef de la musique sacrée, le conseiller du roi dans les affaires de Dieu, pour sonner de la trompette. Deux cent quatre-vingt-huit Israélites, musiciens, formaient le chœur chantant les cantiques dans la maison de l’Éternel, sous la direction du roi.

Le prophète Nathan protestait tout haut contre l’édification du temple. — Jéhovah ne veut pas de maison, mais seulement une tente. — Fidèle aux leçons de Samuel, l’énergique nabi n’admettait pas davantage que le roi d’Israël fût plus qu’un guerrier aux ordres de Jéhovah.

David, donc, affirma le dieu d’Israël, despote, violent, batailleur, — l’Iaheweh-Cebaôt, — et fit un pacte avec lui : Il n’y aura plus désormais d’autre dieu que Jéhovah, mais le roi d’Israël, uniquement, représentera Jéhovah sur la terre. C’est alors sans doute que David promit à l’Éternel de lui bâtir un temple, comme il avait ordonné de bâtir sa propre maison, son palais. Et Hiram, le roi de Tyr, envoya à David une députation, et du bois de cèdre, et des charpentiers, et des maçons, qui bâtirent une maison à David.

Michol, la fille de Saül, la première femme de David, étant demeurée stérile, le roi ouvrit son harem à des concubines et à des esclaves. Cette faiblesse, avec tous les abus qu’elle laisse supposer, livrait le roi aux hommes qui pouvaient agir sur ses craintes superstitieuses, aux prophètes Gad et Nathan, ses conseillers. Le nabi Nathan avait une influence considérable sur le monarque, parce qu’il connaissait le meurtre d’Uri lâchement assassiné pendant le siège de Rabbath-Ammon, David ayant désiré la femme de cet officier, qui était belle, — Bethsabée, — qu’il épousa après le temps du deuil, et dont il eut un fils.

Les mœurs de David furent celles d’un pirate heureux plutôt que d’un aventurier, car il y eut beaucoup de bravoure et quelque grandeur dans son étonnante vie. Berger farouche, fanatique, rusé, charmant, Samuel l’avait bien choisi ; assez audacieux pour porter au loin et bien défendre la bannière de Jéhovah, et trop superstitieux pour se délivrer jamais de l’influence des prophètes. Poète et musicien, la mémoire pleine des anthologies hébraïques, d’un grand goût littéraire, très séduisant en conséquence, mais profondément calculateur, froid, ingrat, cruel, rancunier, hypocrite au besoin, comédien excellent, héros parfait sur toutes les scènes, David répondait admirablement à ce que Samuel avait attendu de lui.

Un de ses fils étant en agonie, David s’humilia devant le prophète Nathan, il jeûna, il passa la nuit couché par terre afin de fléchir la colère de Jéhovah ; l’enfant mourut, et aussitôt le roi de retourner à sa fête perpétuelle, disant : Tant que l’enfant vivait, je jeûnais, et je pleurais, car je disais : qui sait ? Jéhovah peut avoir pitié de moi et l’enfant vivra ! Maintenant qu’il est mort, pourquoi jeûnerais-je ?Et David consola sa femme Bethsabée... et elle enfanta un fils qui devint Salomon. — Il s’unit aux Philistins pour vaincre et détrôner Saül ; Saül vaincu s’étant suicidé, David écrit un poème exaltant sa victime, le roi Saül. — Il désire Bethsabée, qui est mariée à un officier dont le dévouement le sert ; il fait assassiner le mari, il enlève la femme, et il déplore ensuite son crime, magnifiquement...

Ayant le don du beau langage, incapable de création, maître de terres infructueuses, organisateur d’un culte théâtral, tout extérieur, despote accusant sa faiblesse par sa cruauté, et méprisant l’humanité qu’il ensorcelle avec les pompes de sa cour et les harmonies de ses compositions, tel fut David. Par son caractère et par ses œuvres, il caractérise l’Hébreu au cou raide, ingouvernable et vaniteux, que Moïse invectivait et que les grands nabis détesteront, tout aux jouissances vagues, comme aux arts douteux, préoccupé de soi, poursuivant avec une violence irréfléchie, avec des contradictions inqualifiables, d’immédiates et rapides satisfactions.

Adonias, le fils du roi, ayant appris que son père avait désigné Salomon comme son successeur, voulut disputer l’héritage à son frère. David fit sacrer précipitamment Salomon, venu sur la mule royale, oint avec l’huile conservée dans la corne, et les Israélites acclamèrent le roi. Adonias assaillit Salomon dès son avènement ; mais Salomon fit mettre à mort le compétiteur, ainsi que Joab son complice, bien que ces condamnés se fussent réfugiés près de l’autel. Et l’on sonna de la trompette, et tout le peuple cria : Vive le roi Salomon ! Et on jouait de la flûte, et on était dans une grande joie, et la terre retentissait de leurs cris. Le grand-prêtre Abiathan, qui avait sans doute favorisé les vues d’Adonias, fut déposé.

Salomon, roi, battit les dernières tribus chananéennes encore remuantes ; il arrêta, au moment même où elles allaient se produire, et par une simple menace, les velléités d’indépendance de l’Iduméen Hadad et du roi de Damas, Rasin (Rézon) ; puis il inaugura son règne par une grande fête, en sacrifiant mille victimes à l’Éternel, chez les Benjaminites, à Gabaon. L’empire s’étendit au loin, pacifique, glorieux : Juda et Israël étaient nombreux comme le sable sur les bords de la mer. On mangeait, on buvait, on se réjouissait. Et Salomon régnait sur tous les royaumes, de l’Euphrate au pays des Philistins, et jusqu’à la frontière de l’Égypte.

Le gouvernement de Salomon continua le gouvernement de David, un peu plus égyptien qu’asiatique cependant. Sa cour se formait des mêmes hiérarchies admises par les souverains de Thèbes ; mêmes fonctions, mêmes titres, même cérémonial. La corvée égyptienne, l’appel arbitraire des hommes groupés pour exécuter un travail, Salomon l’appliqua outre mesure ; c’est par milliers, et continuellement, que les serfs travaillaient pour le roi d’Israël. On vit des corvées mensuelles de dix mille hommes expédiées au Liban pour y couper des bois. Le roi employait de préférence à ces travaux, comme les pharaons en Égypte, de force, les prisonniers et les étrangers, réservant aux Israélites de plus nobles obligations : Ceux-ci furent ses gens de guerre, et ses officiers, et ses capitaines, et ses satellites, et ses traîtres aux équipages, et ses cavaliers. Cinq cent cinquante chefs menaient les corvées, constamment en œuvre, car c’est par elles que Salomon construisit et sa maison, et la maison de l’Éternel, et la muraille de Jérusalem tout à l’entour.

Il y avait à la cour des quantités de scribes, de secrétaires d’État, un chef de l’armée, un chef des conseillers, un chef des chambellans, un ami du roi, un intendant de la maison royale, un administrateur des revenus et douze officiers spécialement chargés de l’approvisionnement des victuailles. L’énumération de ce que consommait la maison du roi est interminable.

Le premier soin de Salomon avait été de constituer une armée forte, — soixante mille hommes, — et d’entourer de murailles Jérusalem, Héser, Mageddo, Baalath et Gaza. Contre les Assyriens, le roi bâtit Palmyre (Tadmor), au nord-ouest du désert de Syrie, poste avancé, fortifié, qui devint une station trafiquante, admirablement placée, sur la route des caravanes servant le grand commerce qui s’effectuait entre le golfe Persique et la Phénicie.

Se sentant le maître de son royaume, le roi voulait régner pacifiquement. Sa politique fut d’une réelle habileté ; des alliances précieuses lui permirent d’être, comme il le désirait, plus somptueux qu’un roi d’Assyrie, plus bâtisseur qu’un pharaon. Il s’allia avec Tyr l’industrieuse, pour en recevoir les artistes et les matériaux nécessaires à la splendeur de Jérusalem, et il entretint des relations avec le pharaon de la Basse-Égypte, parce que les troupes égyptiennes savaient l’art de prendre les villes fermées. La ville chananéenne de Guéser, qui résistait, devenue insupportable, fut assiégée et prise par les troupes d’Égypte, puis donnée à Salomon par le vainqueur, comme dot, le pharaon Psousennès ayant conduit sa fille au harem du roi d’Israël.

Cette alliance des Égyptiens de Psousennès, des Phéniciens de Hiram et des Israélites de Salomon, fut surtout profitable au successeur de David, très intelligent, très habile, très sage, et qui sut admirablement exploiter sa situation centrale, bien protégée. Jusques au fond de l’Arabie, la réputation de Salomon fut retentissante ; la reine des Arabes de Saba vint en personne, plus que curieuse, rendre hommage au souverain des Hébreux, très puissant et très beau.

La grande faute de David, c’est-à-dire la prépondérance accordée à la tribu de Juda sur les autres tribus, par la constitution de Jérusalem comme ville capitale, politique et religieuse, ne donnait pas encore ses fruits amers, mais elle ne pouvait déjà plus être rachetée. Il y avait séparation admise, consommée, définitive, entre Juda et Israël. Livrés à toutes les jouissances de leur triomphe, les Israélites ne prévoyaient plus rien : Chacun, de Dan à Beerséba, — de l’extrême nord à l’extrême sud, — vivait à l’ombre de sa vigne et de son figuier, durant les jours de Salomon.

L’enrichissement d’Israël était logique, car Israël servant d’intermédiaire aux trafiquants des deux mondes, — l’Occident et l’Orient, l’Europe et l’Asie, — protégeait ce trafic, et recevait, sans aucune chance de perte, sous la forme de taxes légitimes de transit, une large part des bénéfices universels. Cet enrichissement était déplorable, car la terre hébraïque n’en devenait pas plus fructueuse, et le moindre arrêt de mouvement devait précipiter dans la ruine tout Israël, qui n’avait ni le goût, ni la science du travail.

Le trésor de Jérusalem s’alimentait du produit des impôts, qui étaient excessifs relativement à l’étendue de la terre occupée par les Israélites, des taxes payées par les marchands sédentaires, des prélèvements auxquels les caravanes traversant le territoire étaient assujetties, des tributs servis par les rois vassaux et les gouverneurs, des présents qui affluaient de toutes parts. Le roi Salomon devint plus grand que tous les rois de la terre, en richesse et en sagesse... Et chacun lui apportait son présent, des vases d’argent et d’or, des manteaux, des armes et des aromates, des chevaux et des mulets, année par année. La reine de Saba vint au roi pour l’éprouver par des énigmes, avec une très grande suite, des chameaux portant des aromates, et beaucoup d’or, et des pierres précieuses.

Une heure de guerre en Phénicie, c’est-à-dire une suspension des œuvres commerciales, et la Jérusalem de Salomon s’effondrait. Mais les rois de Tyr n’ayant pas d’armée, ne vivant que du trafic que les Israélites protégeaient, et qu’ils pouvaient sinon détruire, au moins entraver, les rois de Tyr demeuraient subordonnés aux rois d’Israël. Hiram II, qui avait succédé à Abibaal, (1028), venait de châtier les colons de Citium (Chypre) révoltés contre la métropole phénicienne. Cet acte de force valant au souverain un réel prestige, il désira voir, comme son allié Salomon, sa ville embellie et bien défendue. Il fit reconstruire les temples de Melkarth et de la déesse Astoreth, et il réunit ensuite, par un beau travail de remblai, l’îlot sacré de Melkarth à l’îlot sur lequel était bâtie la cité maritime. Ce terre-plein reliant les deux îles ayant été largement exécuté, une ville nouvelle s’y forma que les Grecs ont nommée Eurychoron, la Tyr insulaire.

Des digues protectrices, des quais solides, la création d’un port nouveau au sud de l’île agrandie, et la construction d’un « palais pour le roi », firent de la Tyr d’Hiram II, toute créée, — insulaire, — la rivale triomphante de la vieille Tyr — Pahtyrum, — presque abandonnée sur le rivage. Et Hiram, dit le rédacteur du Livre des Rois, envoya ses officiers à Salomon dés qu’il eut appris qu’on l’avait oint roi à la place de son père ; car Hiram avait toujours aimé David.