Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE X

 

 

DE 2500 A 1300 Av. J.-C. - Exode de Chaldéens en Mésopotamie. - Exode d’Abraham en Syrie, en Chanaan, en Égypte. - La vocation d’Abraham. - Élohim et Jéhovah. - La race hébraïque. - Abraham vainqueur de Chodorlahomor. - Isaac et Ismaël. - Jacob et Esaü. - Les Ismaélites. - Jacob chez Laban. - Rachel et Lia. - Massacre des Sichémites. - Les douze fils de Jacob. - Joseph. - Les Hébreux en Gessen.

 

Arcs la nomenclature ethnographique de la Genèse, les Madaï, ou Mèdes, sont exactement classés parmi les peuples de race japhétique, blanche ; or vers l’an 2500 avant notre ère, des hommes blancs, venus de l’est, s’emparent du Bas-Euphrate, refoulant à l’ouest et au nord la vieille civilisation chaldéenne terminée. C’est à ce moment, ou peu après (2500 ou 2000), que le patriarche Abraham abandonnant Our, la ville capitale de l’antique Chaldée, émigre en Syrie, en Chanaan.

Les causes du départ d’Abraham sont diversement exposées. L’auteur de la Bible hébraïque dit qu’Abraham obéit à Dieu lui ordonnant de quitter le pays ; les traditions arabes parlent d’Ab’ram fuyant la colère de son père adonné au culte des fausses divinités. D’après Josèphe, les Chaldéens auraient expulsé le patriarche parce qu’ils étaient irrités de son mépris pour les idoles. Vivant à Our, et témoin de l’invasion aryenne, Abraham dut concevoir l’idée d’une réformation religieuse pareille à celle que Zoroastre avait accomplie en Bactriane, que les Élamites-Aryens venaient d’apporter aux frontières mêmes de la Chaldée. Fils de ce Tharé qui mena le premier exode des Chaldéens vers le nord de l’Assyrie, Abraham est dit de la race de Sem par l’ethnographe biblique. C’est juste, car le patriarche chassé de Our, molesté, courant aux aventures, n’ayant trouvé de repos qu’en Chanaan, ne voulut encore qu’une Chaldéenne pour femme de son fils.

Le point de départ est net : Et Abraham et Nacor (fils de Tharé) prirent des femmes. Le nom de la femme d’Abraham était Sarah. Et Tharé prit son fils Abraham, et son petit-fils Loth fils de Haran, et sa bru Sarah, la femme de son fils Abraham, et ils quittèrent ensemble Our des Chaldéens pour aller au pays de Chanaan. Les émigrants remontèrent au nord, entre l’Euphrate et le Tigre, et quelques-uns d’entre eux s’installèrent en Mésopotamie pour y demeurer. C’est ce qui a fait placer Our, un instant, près des sources du Tigre, et donner aux Hébreux, pour pays d’origine, le nord de la Mésopotamie. L’auteur du Deutéronome lui-même, tombant dans cette confusion, dit d’Abraham : Notre père était un Araméen nomade. Nomade, Abraham le fut incontestablement, après son départ de Our surtout, avec sa famille, suivi d’un très grand nombre de Chaldéens.

La première émigration vers le nord, vers la Haute-Mésopotamie, fut la principale, et c’est en Mésopotamie plutôt qu’en Our que les Israélites placèrent leurs ancêtres. Isaac mourant recommande à son fils Jacob d’aller prendre une femme de sa race dans la plaine de Mésopotamie. — Et Jacob, dit l’auteur de la Genèse, se mit en marche et alla au pays des Orientaux.

Le groupe spécial dirigé par Abraham, qui s’était séparé de l’ensemble des émigrants chaldéens installés en Mésopotamie, fut désigné en Chanaan par cette appellation caractéristique : ceux d’au delà du fleuve, Ibris, Ibérim, Hébreux.

Abraham se dessine fortement, dès le début, comme un type original. Séparé de son groupe ethnique, il traversera la Mésopotamie déjà très peuplée, puis la Syrie toute vivante, et enfin l’Égypte organisée, sans jamais rien perdre de son caractère d’Ibris inconsistant, pâtre nomade, rêveur. Évidemment une ardente idée est au cerveau de ce grand Hébreu, sa vocation l’exalte ; distrait, tout ce qui n’aboutit pas à la réalisation de cette idée lui est indifférent, tout, jusqu’à sa femme Sarah, très belle, qu’il livre au pharaon d’Égypte pourvu que sa vie matérielle en soit assurée et que la paix demeure en ses esprits.

C’est avec raison que le judaïsme a fait d’Abraham son premier patriarche, la pierre angulaire de son temple vaste, idéal. Abraham, dit Jéhovah, moi je suis ton bouclier. Le dieu d’Israël peut défendre son auteur. C’est l’idée monothéiste, c’est la formule d’une religion épurante que ce Chaldéen fuyant Our apporte à l’Occident, car c’est de l’Ormuzd de Zoroastre qu’il a communié, c’est le Zend-Avesta qu’il a entendu. Mais Abraham est Chaldéen, il n’a rien en lui de l’Arya, et la grandeur de sa conception première, comme la simplicité des dogmes qu’il a entrevus, il les exposera en mauvais langage, il les formulera sans énergie, sans précision. Ses successeurs immédiats, — Jacob, Joseph, Moïse, — et ses descendants, — les juges, les rois, les prophètes, les rabbins, — feront de sa divinité iranienne un despote asiatique, très violent, et de ses leçons de morale un code ombrageux, surchargé de légendes. En très peu de temps, comme de force, les Hébreux d’Abraham exaltant Élohim devinrent les serviteurs armés du Jéhovah d’Israël, cet Indra d’Asie. Et ce furent des Israélites.

La race à laquelle appartenait Abraham était bien placée en Basse-Chaldée, entre les Touraniens du nord, les Aryas de l’est et les Arabes du sud. C’étaient les Asiatiques par excellence, faits aux rudes climats, aux lieux malsains, et tellement saturés de maladies, qu’une sorte d’immunité réelle en résulta pour leur chair. La lèpre semble être en eux comme un dérivatif perpétuel, un vaccin persistant, général, qui les tourmente, mais qui les protège, et avec lequel ils s’habituent à vivre. Cette surexcitation extérieure, superficielle, dégage bien le cerveau de l’Hébreu, qui conçoit rapidement les choses, en calcule avec soin les effets, et qui mûrirait bien sa pensée si sa passion n’était redoutable, parce qu’elle se manifeste par une chair chaude, impatiente, irritée.

Générateur parfait niais instrument déplorable, l’Hébreu sait mal la mesure des choses ; ses manifestations dépassent, jusqu’à l’outrage souvent, la limite vraiment humaine des sensations. Maître, son commandement est une cruauté ; roi, son gouvernement est un despotisme ; prêtre, son autorité est une tyrannie ; prophète, son prêche est une vocifération ; guerrier, sa bravoure est un acte horrible ; philosophe, sa quiétude est une lâcheté ; commerçant, son négoce est une duperie. Sa famille n’est qu’une association ; ses amours ne sont que des jouissances.

Cet Asiatique complet, il existe encore dans le Bas-Euphrate, au Schat-et-Arab, tout le long de la côte Persique méridionale. On le retrouve en nombre dans l’Afghanistan, jusque dans l’Inde, à Cochin surtout, où il se groupe. L’antique Assyrie en était toute pleine, puisque les prêtres chaldéens c’était eux. Aram en fut empestée ; la Médie, troublée ; l’Égypte, corrompue ; et ils vinrent en Palestine, améliorés, essayer d’une organisation nationale qui n’aboutit qu’à un échec, malgré l’excellente influence exercée, — croisements positifs, — par les Égyptiens en Égypte, par les Arabes en Sinaï, par les Aryas, — Mèdes et Perses, — à Babylone.

Répandus en Europe après leur défaite, traqués, honnis, détestés, les Israélites s’isolèrent nécessairement, par groupes, et perdirent ainsi, peu à peu, le bénéfice des croisements jadis commencés. Ils conservèrent les immunités de leur chair, résistant aux épidémies de toute espèce, aux misères de toutes sortes, extraordinairement vivaces partout, mourant moins que les Aryas d’Europe, se multipliant sans cesse, dans tous les pays, sous tous les climats, incités à l’œuvre génératrice, excellente, et par les prescriptions générales de leur code, et par les exigences morbides de leur chair constamment en feu, mouvementée.

Livrés à eux-mêmes, séparés du monde aryen dans l’Europe même, par d’injustes accusations d’abord et de sottes préventions ensuite, les Israélites s’éloignèrent de plus en plus des groupes ethniques auxquels ils s’étaient unis, — Africains d’Égypte à Gessen, Indo-Européens de Médie à Babylone, — et ils se distinguèrent bientôt, par le type et par les mœurs, des Européens auxquels ils devaient forcément se mêler. Or parmi les Israélites venus chez les Aryens, en Europe, deux types principaux se sont perpétués, qu’il importe d’aller surprendre à leurs souches et de suivre à travers les siècles, jusqu’à nous.

Les Chananéens ayant d’abord tourmenté Abraham, le patriarche s’était dirigé vers l’Égypte où de nombreux Asiatiques vivaient, chanteurs, danseurs et devins. Les femmes d’Asie avaient déjà séduit les Égyptiens ; c’est au prix de leurs sœurs et de leurs filles que les immigrants venus d’Asie avaient coutume de payer l’hospitalité des gens du Nil. Abraham fit comme avaient fait ses prédécesseurs, et la beauté de Sarah permit au patriarche, devenu très riche en troupeaux, en argent et en or, de retourner en Chanaan, à Mambri, près d’Hébron. Il acheta des esclaves et s’en fut prêcher sa réforme aux Philistins d’Abimélek, plantant un tamaris sacré, invoquant le nom de Jéhovah, le dieu éternel. On le voit ensuite au milieu des Khétas, des Syriens, se qualifiant d’étranger, demandant un terrain pour y creuser le tombeau de Sarah, le payant au poids de quatre cents sicles d’argent. Le rédacteur du Pentateuque, avec une habileté tout orientale, constate que ce paiement constitua un droit de propriété à la descendance d’Abraham dans le pays des Khétas.

Abraham avait connu, éprouvé les diverses races occupant ce qui représentait le monde à ses yeux, et il avait jugé que la terre de Chanaan, la Syrie occidentale ; serait le lieu le plus propice au succès de ses vues. La race de Koush, éthiopienne, qui occupait le Nil supérieur (les Chamites), Abraham l’abominait ; les Asiatiques de l’Orient (Sémites araméens et assyriens), le patriarche les détestait ; les Touraniens (Magog, Scythes), qui étaient à la lisière septentrionale du monde, le réformateur les redoutait ; les Chananéens seuls, encore nomades, errants, menant leurs troupeaux de pâturages en pâturages, lui paraissaient susceptibles d’être utilement prêchés.

Enrichi, Abraham intervient dans une querelle ; il défie Chodorlahomor roi des Élamites qui s’est emparé du neveu de Loth ; il délivre le prisonnier et revient aux Chananéens, vainqueur, avec un butin considérable. Cette bataille pourrait n’être qu’une légende, mais elle témoigne de la réputation d’Abraham en Syrie, personnage politique, premier guerrier d’Israël.

Abraham n’eut qu’un fils légitime, Isaac ; d’autres enfants lui furent donnés par des servantes, ou des esclaves, parmi lesquels Ismaël, fils de l’Égyptienne Agar. Isaac, le rieur, et Ismaël, le taciturne, représentent bien les deux races différentes qui sont en Syrie et en Arabie ; le Syrien plutôt gai, frivole, bavard ; l’Arabe digne, grave, silencieux.

Jacob est le type par excellence de l’Oriental syrien, de l’Asiatique affiné, plein de savoir-faire, maître en l’art des ruses, sans scrupule, tout à la politique du succès : il vole effrontément le droit d’aînesse d’Ésaü, son frère, par des subterfuges, et il s’approprie les troupeaux de Laban, son beau-père, par les miracles d’une trop ingénieuse habileté. Le rédacteur de la Bible se complaît à décrire ce génie spécial de Jacob. Dépossédé, réduit au rôle déplorable de cadet, Ésaü tout couvert de poils se dirigea vers les terres vastes pour y vivre en nomade, chassant. Jacob demeura sédentaire, véritable fondateur du groupe israélite en Chanaan. Isaac mort, nul ne dispute à Jacob le droit d’héritage qu’il a usurpé. Ésaü va en Édom, proche de l’Arabie Pétrée, du côté où vivait déjà Ismaël.

Les gens d’Ismaël, — les Ismaélites — s’étaient fait là une existence appropriée à leur situation. Exactement placés entre la Basse-Chaldée et l’Égypte, ils étaient devenus des intermédiaires entre les Assyriens et les Égyptiens dont ils servaient le trafic, ayant le monopole des transports. — Ils virent, dit la Genèse, une caravane d’Ismaélites venant de Galaad, dont les chameaux portaient de la gomme, du baume et de la résine, qu’ils allaient faire passer en Égypte. — C’est le moment précis où l’historien biblique, oubliant les origines d’Israël, essaye de donner aux Hébreux qui ont enrichi la terre promise, une sorte de droit national. Par Isaac né en Chanaan, ayant épousé une Syrienne fille des Khétas, les Israélites ont cessé d’être des Chaldéens, se sont séparés de l’Assyrie. Ton père, dit Ezéchiel au peuple d’Israël, ton père est du pays de Chanaan et ta mère est des Khétas. Et lorsque Jacob va vers l’Orient pour y trouver une femme, c’est vers Laban, — Laban l’Araméen, — qu’il se dirige. La scission est définitive. Les Assyriens, aussi bien ceux de la Chaldée que ceux de la Mésopotamie, comme les Arabes d’Ismaël et les Édomites d’Ésaü, sont maintenant des étrangers. Chanaan est la terre d’Israël.

La lutte entre Laban l’Araméen et l’Hébreu Jacob est curieuse, le second étant amoureux de Rachel fille de Laban, le premier exploitant l’amour de Jacob. C’est Jacob qui exploitera Laban. Les deux politiciens sont bien de la même race. Jacob aime Rachel et c’est Lia aux yeux ternes que Laban donne à Jacob, pour faire payer Rachel plus chèrement, ensuite.

Jacob part enfin avec les deux filles de Laban. Plus audacieuse que sa sœur Lia, Rachel, volant son père, emporte jusqu’aux dieux pénates du vieillard. Et la Bible dit de Jacob : Cet homme eut du bétail nombreux, des chameaux, des servantes et des esclaves.

Mais Jacob voulant une ville centrale dans laquelle les Hébreux s’organiseraient, choisit Sichem, la Naplouse actuelle, bien découverte, aux jardins ombreux, aux grands horizons. Jacob arrive donc à Sichem avec ses onze fils et sa fille Dinah. Le prince de Sichem ayant vu Dinah, qui était belle, et l’ayant désirée, la prit. Abraham s’était ainsi servi de la beauté de sa femme Sarah pour obtenir les faveurs du pharaon ; Isaac avait agi de même chez les Philistins avec Rébecca. Jacob, plus ambitieux, donnant au grand œuvre d’Abraham la consécration politique nécessaire, traite avec le prince de Sichem d’une alliance qui doit faire un peuple unique des Sichémites et des Hébreux. Cette alliance, un acte pénible mais solennel la consacrera ; les Sichémites se feront circoncire. Le prince, tout â son amour, obtient cela de son peuple, et lorsque, ayant subi l’opération douloureuse, les Sichémites, en proie à la fièvre, plus qu’affaiblis, comme émasculés, se traînent hors de leurs demeures, confiants, les fils de Jacob subitement armés, se jettent sur eux et les massacrent. Sichem ainsi prise fut pillée ; Dinah abandonna le prince ; les Israélites eurent une ville, et avec la ville ils possédèrent le territoire environnant. L’historien biblique ne dissimule rien de cette intrigue épouvantable, mais il la justifie comme la vengeance du viol de Dinah, excuse insuffisante, car la virginité des filles d’Israël n’a pas alors, et n’aura pas ensuite, pendant longtemps au moins, autant d’importance.

Il ne conviendrait pas, certes, de prendre à la lettre tous les récits de la fondation d’Israël, depuis l’exode d’Abraham jusqu’à l’acte monstrueux de Jacob ; mais il est impossible de n’en pas souligner l’esprit. Le massacre des Sichémites domine l’histoire d’Israël ; il justifiera plus tard de semblables abominations ; il constitue une sorte de droit politique ; il est un système, un exemple, une instruction. Jacob agit en dominateur imbu de la volonté divine ; après lui, tout ce qui n’appartiendra pas à Israël ne méritera pas de pitié.

Les fils de Jacob maîtres de Sichem se nomment Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issachar, Zabulon qu’il avait eus de Lia, avec Dinah, sa fille unique, Dan, Nephthali, Gad et Assur qu’il avait eus de deux servantes, Joseph et Benjamin, fils de Rachel.

La destinée de Joseph, en Égypte, entraîne la destinée des fils de Jacob. D’abord simple scribe de l’Égyptien Putiphar à Tanis, ensuite scribe du pharaon, prenant le nom de Zaphnath-Panéah, le fils de Jacob épouse la fille d’un prêtre de On et ne tarde pas à prendre en mains, sous l’autorité du monarque, le gouvernement des Égyptiens. Sa politique fut extraordinaire. L’Égypte subissant une épouvantable famine, Joseph accapare tous les grains, ne les restituant ensuite aux affamés qu’en obtenant de chacun d’eux l’abandon de sa propriété personnelle. L’Égypte tout entière devint ainsi comme le domaine du souverain. Ceux qui ne possédaient rien, durent s’engager au paiement de lourds impôts dans l’avenir. Les terres sacerdotales seules demeurèrent hors du domaine pharaonique ; les prêtres seuls ne furent assujettis à aucune redevance. Ces prêtres étaient des Asiatiques, des compatriotes de Joseph, qu’il favorisait.

Glorieux et infatué, l’Hébreu Joseph, ce rêveur, disposait de l’Égypte. Son droit, la parole de l’Éternel le légitima, dit la Bible. Et se souvenant alors, bien qu’un peu tard, de son père Jacob et de ses frères qui souffraient de la misère générale en Chanaan, il les appela et leur assigna la terre de Gessen, vallée très fertile du delta, comme lieu de séjour et d’exploitation. Le ministre du pharaon se conduisait en Égyptien véritable ; en introduisant les Hébreux dans le delta, il voulait de bonne foi en faire des Égyptiens. Il se trompait ; la ténacité du caractère hébraïque devait empêcher l’absorption.

Installés dans la terre de Gessen, les Israélites s’y multiplièrent, assez mêlés aux Égyptiens pour qu’à première vue un étranger pût les confondre, leur esprit seul demeurant réfractaire aux mœurs, aux coutumes des bords du Nil. Leurs impatiences toutes remuantes contrastaient avec la lente quiétude des Égyptiens ; ils se querellaient, s’organisaient mal, dédaignant les soins corporels, se laissant envahir par la lèpre, devenant des objets de dégoût. Le pharaon s’inquiétait parfois de leurs œuvres. La Bible raconte, sans que rien soit venu jusqu’ici justifier cette accusation, que le maître de l’Égypte ordonna le massacre des enfants mâles d’Israël devenus trop nombreux. Cette sentence est invraisemblable, car on voit les pharaons veiller constamment sur les Hébreux qui sont de précieux travailleurs, corvéables, très dociles.

Ce qui n’est pas douteux, c’est le développement rapide, incroyable, du peuple d’Israël en Gessen. La multiplication des familles fut et demeura toujours l’étonnante faculté du groupe hébraïque. Quel héritage de Jéhovah que les enfants ! quel salaire que le fruit du ventre ! dit un psaume. Ce don de procréation incessante, les Israélites en jouiront partout, sous tous les climats, dans toutes les circonstances, groupés ou disséminés, supportés ou poursuivis, riches ou misérables ; en tous temps comme en tous lieux, les familles israélites prospéreront. Aucun autre groupe humain, au monde, ne saurait disputer aux Israélites cette indiscutable supériorité.

Les Égyptiens qui avaient été jadis envahis par les Asiatiques Hyksos, qui détestaient les nomades, ces pâtres de brebis, accueillirent cependant bien les Israélites. De continuels croisements, même par mariages réguliers, mélangèrent les deux sangs. Les femmes israélites, vigoureuses, plaisaient aux Égyptiens, et les Israélites, — comme Ismaël et Joseph, — aimaient les égyptiennes, moins exigeantes, très saines.

L’organisation sociale des Israélites de Gessen n’avait rien qui pût ombrager les pharaons. Les familles y demeuraient très distinctes, la réunion libre de quelques familles y formant des clans, des tribus, plutôt dirigées que commandées par un chef, un zaken, ou scheikh. Ces tribus étaient des maisons de pères. Aucune cohésion d’instinct, aucune tendance vers la constitution d’une nationalité, d’un groupe fort n’était menaçante ; au contraire, des querelles continuelles divisaient les tribus. Ne vous brouillez pas en route dit Joseph, dans ses adieux bienveillants à ses frères retournant vers Jacob.

Les pharaons redoutaient si peu les Hébreux, — les Obérions, — qu’ils les gouvernaient au moyen de scribes de race hébraïque, et qu’ils abusèrent de leur facile autorité. Ramsès II avait exigé des hommes de Gessen de grands labeurs, pénibles, humiliants ; le pharaon Méneplitah Ier, vainqueur des Libyens, voulant fortifier la Basse-Égypte, avait ordonné la construction de murs de clôture, de forteresses, de tours de vigie et de camps retranchés, que les Hébreux durent exécuter péniblement. C’est lorsque, redoutant de nouvelles exigences, ils se souvinrent de Ramsès II, que les Hébreux s’agitèrent, inquiets. Cette agitation prit de l’importance, parce que les Israélites rongés de maladies commençaient à dégoûter les Égyptiens, qui les maltraitaient en les insultant. Ils se mutinèrent. Le pharaon qui tenait à conserver au delta ces lépreux innombrables, cette légion de travailleurs, les eût facilement ramenés à l’obéissance, si l’un d’eux, — Moïse, — n’avait été là avec l’ambition de continuer l’œuvre d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.