Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

L’Asiatique. - L’Euphrate et le Tigre. - Le Schat-et-Arab. - La Mésopotamie et ses quatre zones. - La Babylonie. - La Chaldée. - La mer Persique. - L’Assyrie, œuvre des eaux, ouverte à tous. - Climats. - Flore. - Le palmier. - Confusion ethnographique. - Faune. - Les sauterelles et le ramarmar. - L’empire Assyrien.

 

TOUR à tour ignoble et séduisant, rebelle et docile, d’une souplesse effroyable, d’une immoralité constante, tout à sa jouissance personnelle, l’Asiatique apparaît dans l’histoire aussitôt que des groupes humains s’offrent au monde comme prêts à être exploités. Lorsque les Aryas du pays des sept rivières eurent ensemencé le Pendjab indien, les Dasyous pillards s’abattirent sur les récoltes, puis ce furent les brahmanes qui vinrent corrompre l’Inde védique pour la dominer. Lorsque Zoroastre eut constitué la nation iranienne, les mages s’attaquèrent à l’œuvre du législateur et la compromirent. Lorsque enfin, sottement, l’Égypte étala ses merveilles, l’Asiatique accourut pour s’emparer de l’Égyptien.

L’Arya de l’Indoustan et l’Iranien de la Bactriane conservèrent en eux, malgré tout, les qualités primordiales de leur race, pendant que l’Égyptien envahi absorbait, lui, son envahisseur ; si bien, qu’après des siècles et des siècles de soumissions profondes ou de conflagrations désespérées, l’Aryen de l’Inde, l’Aryen de la Perse et l’Égyptien du Nil ont conservé leur individualité propre, et que l’Europe a pu retrouver, reprendre son bien, c’est-à-dire sa civilisation, sa morale, sa raison et sa foi demeurées suffisamment intactes, en Orient même, sous les pourritures asiatiques partout répandues.

L’Inde védique avait été trompée par les brahmanes, l’Iran de Zoroastre avait été troublé par les mages, l’Égypte avait été corrompue par les scribes ; mais les Aryens de l’occident du monde — les Européens — plus clairvoyants, devaient, éprouvant une grande répugnance, résister aux tentateurs asiatiques, les maudire, les combattre, et ce fut, après un long cri de guerre, décisif, une bataille qui n’est pas encore terminée.

C’est en Égypte, sur les bords du Nil, que les Asiatiques ignobles furent le plus durement qualifiés. Mais la ténacité de l’homme d’Asie eut souvent raison, là même, du mépris dont l’homme d’Afrique l’accablait, et la lutte, tantôt bruyante, tantôt sourde, ne cessa plus.

Insinuant, insaisissable, partout et nulle part, apte aux rôles les plus opposés, sans cohésion, par conséquent invincible en tant que groupe, et cependant uni par le lien puissant d’une solidarité instinctive, l’Asiatique est un peuple évidemment, mais un peuple qui n’a pas encore su formuler un mode de vie commune, concevoir l’idée d’une Patrie.

C’est en Assyrie que pour la première fois un groupement non Aryen, asiatique, se manifeste avec son territoire, son gouvernement, sa civilisation, sorte d’Égypte orientale, admirablement placée, au centre même du vieux monde, entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

Il importe de dire exactement ce que les Asiatiques firent de cette grande force qu’ils eurent en Assyrie, aux bords du Tigre et de l’Euphrate, sur un territoire véritablement favorisé.

 

Pour Isaïe, le Nil d’Égypte comparé à l’Euphrate n’était qu’un ruisseau. L’ardente imagination du prophète annonçait que les grandes et fortes eaux de ce fleuve, jetées hors de leur lit, se déversant sur Juda, couvriraient un jour Jérusalem.

L’Euphrate est un Nil sournois ; ses eaux chargées d’un limon gras dévastent beaucoup plus qu’elles ne fertilisent. Formé d’une source banale en Arménie, prés d’Erzeroum, le fleuve qui n’est encore que le Kara-sou, — Eau noire, — va vers l’ouest sous les pentes de l’Anti-Taurus, tourne au sud, reçoit un autre ruisseau, le Mourad-sou, et reprend sa marche vers l’ouest ; mais près d’Alep, se heurtant aux montagnes syriennes, incapable de se faire une trouée dans le désert, au sud, il revient à l’est par un grand coude, et court au golfe Persique directement.

Ayant presque la même origine que l’Euphrate, au versant méridional de l’Arménie, au nord de Diarbékir, de Tigre descend droit au sud, sans hésitation, jusqu’à Gourna, où ses eaux bourbeuses et bruyantes, réunies aux eaux de l’Euphrate, devenues limpides, apaisées, forment, le Schat-et-Arab, branche principale du réseau changeant qui est le delta assyrien.

Avec ses méandres nombreux, son cours rapide, ses eaux brutales, le Tigre est une ligne de séparation nette, entre la Perse et la Syrie, une route tracée directe, mais difficile, vers les montagnes du Kurdistan et de l’Arménie. Ses rives, compactes, argileuses, s’offrent mal aux agriculteurs. L’Euphrate au contraire, très navigable depuis ses embouchures jusqu’à Bélis, à cent kilomètres à peine de la mer verte, de la Méditerranée, est une belle voie d’accès vers la Syrie, vers l’Occident, et si bien ouverte, que les Perses, lorsqu’ils seront les maîtres de Babylone, donneront au fleuve des cataractes artificielles, afin qu’il ait au moins un obstacle à opposer aux invasions trop favorisées.

Lorsque le soleil mord la neige du Kurdistan et de l’Arménie, les crues du Tigre et de l’Euphrate se manifestent. Le premier ne recevant les eaux que d’un seul versant, mais incapable de les contenir toutes, de les écouler promptement, devient torrentueux, irrésolu, modifiant son cours au moindre embarras qu’il rencontre, laissant de longues traînées de gravier, mouvantes, au fond de son lit, rompant ses rives et formant çà et là de vastes marécages que peuplent les canards innombrables, les pélicans et les hérons. Tantôt large, tantôt étroit, le Tigre déconcerte.

Le Schat-et-Arab, par où vont au golfe Persique le Tigre et l’Euphrate confondus, non sans laisser de toutes parts comme des ruisseaux promenant leur fantaisie dans les boues étalées, devient majestueux à Bassorah. Les eaux, alourdies, s’étendent bien ; c’est déjà comme une mer, avec ses îles vastes et ses longues plages.

La terre d’entre les deux fleuves, murée au nord par les montagnes du Kurdistan, c’est la Mésopotamie des Grecs, la Naharaïn antique, le pays de Sennaar de la Bible hébraïque, immense oasis, bien défendue, coupant la vaste solitude qui commence au désert de Syrie et s’étend, sauf quelques points exceptionnels, jusqu’aux bords de la mer jaune.

Cette oasis a une grande importance géographique, parce que les deux déserts qu’elle sépare sont différents. Le désert de l’ouest est une plaine basse, tandis que les solitudes de l’est sont une succession de plateaux. Il est remarquable également que la Mésopotamie, descendue de nord à sud, se modifie graduellement, et qu’au sud de la Mésopotamie, dans la Babylonie, en Chaldée, c’est encore comme un autre monde. La Mésopotamie, de formation secondaire, fertile, exige le travail de l’homme, et de plus en plus à mesure que l’on remonte vers le nord. La Babylonie et la Chaldée, de formation relativement récente, toutes faites de boues apportées, sont une continuelle prairie, tant que l’eau des fleuves y est déversée.

La Mésopotamie proprement dite n’a pas moins de quatre zones distinctes. Là où naissent l’Euphrate et le Tigre, au nord, sur les hauteurs, la terre est tourmentée, toute trouée de sources vives, avec des hivers très durs sur les sommets et des étés trop chauds dans les plaines que rien n’abrite. Sur les coteaux que ne couvrent pas des forêts de chênes, de pins, de sapins, d’érables, de frênes, de châtaigniers et de térébinthes, croissent, donnant des fruits savoureux, la vigne et le mûrier, tandis que dans les vallées, de magnifiques troupeaux de chèvres et de moutons vivent de pâturages excellents, très verts.

La deuxième zone, en Mésopotamie proprement dite, toute plate, sauf quelques inégalités à Orfa et Ras-el-Aïn, brûlée de feux souterrains, n’est en réalité qu’une croûte formée des limons du Tigre et de l’Euphrate. Avec un hiver relativement doux, mais un été rigoureux et très long, de grandes pluies automnales et printanières, cette Mésopotamie étonne par la vigueur de sa végétation ; les orges et les froments, lorsque les pluies sont bien venues, y donnent jusqu’à quarante fois la semence jetée. De beaux pâturages, couverts de troupeaux, sont interrompus par des forêts d’arbres fruitiers : pêchers, abricotiers, amandiers, figuiers, cerisiers, poiriers, grenadiers, orangers, oliviers et mûriers. La vigne y court sur le sol, les fleurs y abondent, toutes bruyantes d’abeilles. Sous le limon, là où les eaux des fleuves ne pénètrent pas, la terre est grise, lépreuse, imprégnée de sel marin.

La troisième zone, qui commence au 35ème degré, n’a que des hivers sans gelées, des printemps sans pluies et des étés péniblement lourds. Des arbres à la verdure persistante, — les kalis, les salsolas et les pallasias, — donnent leur ombre ; l’air est saturé de l’âcre parfum des absinthes. Quelques rares palmiers, mal à l’aise, annoncent la zone méridionale, qui commence à Bagdad. Le sol, là, tout d’alluvion, œuvre exclusive des deux fleuves, y est nécessairement d’une merveilleuse fertilité. C’est une Égypte, avec un vent du nord très frais en hiver et des chaleurs en été que nulle brise ne vient atténuer, atroces parfois.

Les inondations du Tigre et de l’Euphrate suppléent aux pluies qui font presque défaut à la Basse-Mésopotamie ; mais ces inondations, essentiellement irrégulières, sont un fléau redoutable, pourtant nécessaire, et désiré. Les vents du sud, desséchants, et les sauterelles abominables sont des menaces constamment pesantes sur l’esprit angoissé de l’Assyrien.

Au confluent des deux grands fleuves, qui termine la Mésopotamie, commence le delta boueux traversé par le Schat-et-Arab. C’est la Chaldée proprement dite, s’étendant à l’est et à l’ouest, sans autres limites que celles dont résulte l’histoire agissante des Chaldéens, Our ayant été leur ville principale.

Rien au monde de plus attristant que la mer Persique jusqu’au détroit d’Ormuz, avec ses rives plates et brûlées, ou ses hautes falaises sombres, striées, et ses pics invraisemblables, tout blancs, couverts de sel ; et rien au monde de plus délicieux que l’atterrissement en Chaldée. Les rives du Schat-et-Arab, jusqu’à Bagdad, à quarante milles de son embouchure, sont comme un décor de paradis. Les palmiers, massés, très élégants, aux feuilles larges et touffues, découpent sur le ciel d’un bleu profond, très pur, la ligne ondulée d’une forêt vaste ; ou bien, des mûriers d’un beau vert et des hennés très vigoureux donnent l’impression d’une fraîcheur douce, continuée. Des canaux habilement ménagés coupent cette végétation extraordinaire, pour aller porter l’eau des fleuves aux plantations lointaines ; et ce sont des trouées miroitantes, où dorment, dans l’eau, paisibles, lourdement, les buffles noirs. Lorsque les dernières lueurs du jour empourprent l’horizon, la terre de Chaldée devient une féerie ; un éblouissement embrase tout, un déplacement d’air, rapide, met un frémissement dans les arbres, et c’est une délicieuse impression. Mais le soleil disparaît tout d’un coup, le ciel s’efface dans une tonalité grise, plombée, et du sol, aussitôt, s’élèvent des brouillards puants, pleins de fièvres. La terre boueuse de la Basse-Assyrie, très perfide, rejette hors d’elle ses malsaines humidités.

Ainsi, de l’extrême nord à l’extrême sud, de la haute et froide Arménie à la Chaldée basse et marécageuse, la terre assyrienne — Mésopotamie, Babylonie, Chaldée, — se développe sans unité. C’est véritablement une Égypte asiatique, une œuvre des eaux, mais avec cette différence capitale, que la vallée du Nil, fermée, demeura longtemps hors des convoitises, tandis que la Mésopotamie, visible de toutes parts, dominée au nord par des montagnes qui seront pour les envahisseurs d’excellents points d’observation et d’attente, est ouverte au sud dans une mer qui n’est qu’un golfe, limitée à l’est et à l’ouest par deux fleuves qui deviendront des voies d’accès menant au centre même du pays.

La diversité des climats est conforme, en Assyrie, à la diversité des lieux. La douceur des hivers de Babylone était renommée au temps des grands rois perses, mais l’été s’y montrait rigoureux, pénible ; la fraîcheur des nuits y était excessive comparée à l’accablante chaleur du jour. En Mésopotamie, j’ai vécu consumé le jour par la chaleur, la nuit par le froid, a dit Jacob. Au nord, des ouragans de neige ; au sud, des chaleurs épouvantables ; au centre, dans la zone intermédiaire, des orages sans eau, des déchirements électriques auxquels rien ne saurait résister. Des pluies très inégales corrigent peu les sévérités de ce dur climat.

Utilisant avec une grande ténacité les fléaux même dont l’Assyrie est la continuelle proie, les Assyriens savaient, par la retenue des terres, par l’aménagement des canaux, par la disposition savante des cultures, exploiter largement la croûte limoneuse qui constituait leur pays. La fertilité de Séleucie, sur le Tigre, en face de Babylone, était proverbiale au temps de Pline. Les forêts de dattiers et les pâturages sont encore la richesse de la Chaldée. Les blés de Babylone, donnant trois cents grains pour un, et la vigueur de la poussée des orges assyriennes sont cités par Hérodote. Xénophon vante le vin fait en Assyrie avec les dattes et le sorgho très abondants. Strabon s’émerveille des forêts de palmiers ombrageant la Babylonie.

L’Assyrie demeura longtemps très boisée. La flotte d’Alexandre fut construite en Babylonie avec les seuls cyprès des bois sacrés et des parcs ? Ammien Marcellin cite les forêts naturelles d’Assyrie. Le palmier est l’arbre assyrien par excellence ; sa sève, son fruit, ses feuilles, ses fibres, jusqu’à la bourre protectrice dont s’enveloppent ses rameaux naissants, jusqu’aux dattes tombées et dont le soleil a calciné la chair, tout s’utilise. Le fruit, tassé ou mis en fermentation, donne un pain lourd, très nourrissant, et des boissons diverses, vin, vinaigre, miel ou sirop. Les fibres servent à la confection de nattes, de meubles spéciaux, de paniers, et les noyaux, approvisionnés, sont la houille des forgerons. Le dattier, caractéristique de la zone assyrienne, cesse de vivre bien au nord d’Anah ; il ne donne plus de fruits à Kabour ; là croissent et fructifient les orangers, la vigne, les poiriers et les pommiers. C’est l’Europe avec ses plantes légumineuses si variées, c’est la Perse avec ses pastèques et ses melons. Les fleurs y sont innombrables et magnifiques. Les printemps de la Haute-Mésopotamie donnent des champs d’asphodèles et d’amaryllidées ; des orchidées y croissent partout, des plantes aromatiques y tapissent les versants, et le platane oriental, gigantesque, s’y développe avec ampleur, faisant de larges ombres sur un sol merveilleusement diapré.

La vieille Chaldée avait le cèdre, l’arbre protecteur repoussant les mauvais esprits ; Babylone aimait l’arbre mystique de Perse, qui a la forme d’une flamme, le cyprès aimé des rois ; la Mésopotamie s’enorgueillissait de ses grenades ; l’Assyrie tout entière vantait les céréales nourries de son sol gluant. Or, dit Ézéchiel, prends du froment et de l’orge, et des fèves et des lentilles, et du millet, et de l’épeautre, et mets-les ensemble dans un vase, et fais-en ton pain. C’est bien là ce que devait être le pain de l’Assyrien, un mélange de toutes choses aptes à donner de la farine, comme le climat de l’Assyrie est un mélange de tous les climats, sa flore un amalgame de toutes les flores, sa race une confusion de toutes les races.

Le mélange de la vie animale et de la vie végétale s’est fait naturellement en Assyrie, et il s’y entretient, par les vents qui viennent tantôt d’un sens, tantôt de l’autre. La confusion ethnographique s’y est consommée par le passage des guerriers allant de l’Asie à l’Europe et de l’Europe à l’Asie, et par les trafics que favorisent si bien le Tigre, l’Euphrate et le golfe Persique menant au Caucase, au Liban, à l’Iran, à l’Arabie, aux Indes.

Là se rencontrent, étonnés de se voir sans doute, les autruches et les onagres, les tigres, les chacals et les loups, les sangliers et les antilopes, la chèvre syrienne aux longues oreilles, la chèvre taurique aux poils frisés et soyeux, la chèvre kurde aux cornes infléchies ; la brebis commune, la brebis arabe, la brebis tatare à la queue trop lourde ; les échassiers et les palmipèdes venant de l’Indus et du Nil, depuis la cigogne familière jusqu’à l’ibis sacré, mystérieux ; la mangouste frileuse, le lézard énorme se creusant des terriers, les sansonnets et les hirondelles, l’oie rouge de Nubie, les outardes ; l’épervier et l’aigle, poursuivant dans les airs les oies stupides, aux régiments triangulaires.

Les grenouilles sont bien chez elles en Chaldée, c’est leur pays ; les chauves-souris et les rats se sont emparés de la Basse-Mésopotamie ; les oiseaux s’aventurent peu dans le sud et vivent au nord, comme ils vivraient en Europe, le francolin, la perdrix des steppes et la perdrix des neiges, suivant la hauteur.

Le lion de Mésopotamie est touranien, petit, peureux, plus cruel que vorace, fuyant devant l’homme. Mais, à son tour, l’homme a fui, et l’Assyrie, même abandonnée des singes, a eu le sort fatal qu’Isaïe avait annoncé : Alors Babel, l’ornement des royaumes, l’orgueilleuse parure des Chaldéens, sera pareille à Sodome et à Gomorrhe. Jamais personne n’y demeurera plus. Elle restera inhabitée d’âge en âge. L’Arabe n’y dressera point sa tente, et les pâtres n’y feront point leur halte. Ce sont les animaux de la steppe qui s’y établiront. Ses maisons se rempliront de fouines, les autruches s’y logeront et les démons velus y feront leurs danses. Les démons velus, les singes, ont eux-mêmes déserté ce désert.

Cette désolation perpétuée est surtout l’œuvre des sauterelles dévorantes. Le criquet dévastateur, d’un vol lent, uniforme, venant par millions pressés, comme un épais nuage jaune, s’abat sur les terres verdies et s’en empare : Mais voici l’ennemi de la horde ailée, le ramarmar, le merle rose, qui a passé tout son hiver en Indoustan, en Afrique, en Arabie, et qui accourt à la suite des sauterelles, comme affamé, d’une activité prodigieuse, frappant du bec, de ci, de là ; toujours, continuellement, aimant lé carnage, jonchant le sol des victimes qu’il fait, sans se lasser, sans s’arrêter, impitoyable.

E est superbe le ramarmar, avec ses plumes noires aux reflets d’un vert pourpré, sa poitrine rose, son bec et ses pieds d’un jaune d’or. Ce sont comme autant de princes richement vêtus, se plaisant à détruire la horde qu’ils ont rançonnée. Au centre du désert, l’Assyrie est décidément trop visible, l’oasis est trop ouverte aux convoitises : qui la prend, sera pris.

Or c’est l’histoire même de l’Assyrie, que ce drame annuel, que cette venue régulière de hordes dévastatrices, innombrables, ruinant le pays, et frappées à leur tour par une phalange de bandits luxueux, grands exploiteurs des multitudes.

Forcé de lutter contre les fleuves qui sont l’unique cause de la fertilité de son territoire, toujours menacé d’inondation, se sentant instable sur ce sol d’apport, l’Assyrien est incapable de défendre longtemps le pays qu’il occupe. Envahisseur redoutant l’invasion des autres, il doute de son succès. Sa force pourra lui donner la domination, et il exploitera son domaine ; ses princes, victorieux, concevront et feront un empire d’Assyrie, mais jamais un royaume, et le pouvoir suprême, tantôt à Babylone, tantôt à Ninive, passant du nord au sud et du sud au nord, n’obtiendra jamais sa capitale définitive. Là, ni les hommes, ni les bêtes, ne se croiront jamais en sécurité.

L’Empire Assyrien englobera la Chaldée, la Babylonie et la Mésopotamie ; il s’étendra au delà de l’Euphrate, chez les Arabes et chez les Syriens ; il croira tenir la Palestine, la Phénicie, l’Égypte et la Libye ; en réalité, il ne fera qu’élargir, sans y rien fonder, le champ de bataille où l’Europe et l’Asie, se rencontrant, se disputeront l’avenir.