MÉMOIRES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE LA GUERRE DE 1914-1918

DE MARS 1918 À LA FIN DE LA GUERRE.

Chapitre XIV — L’armistice.

L’Allemagne demande l’armistice, 6 octobre. – premiers pourparlers. – le haut commandement chargé d’étudier et de proposer les conditions de l’armistice, 25 octobre. – examen de ces conditions par le conseil supérieur de guerre ; adoption du texte définitif, 31 octobre-4 novembre. – arrivée des plénipotentiaires allemands, 8 novembre. – négociation de Rethondes ; signature de l’armistice, 8-11 novembre. – l’arrêt des hostilités et l’ordre du jour aux armées alliées.

 

 

Dès le début d’octobre, une fois l’armée belge sortie des marais de l’Yser et parvenue sur la terre ferme, les armées alliées étaient en état de poursuivre la série des assauts qu’elles avaient entrepris et de continuer pendant l’hiver la bataille victorieuse qu’elles menaient depuis le 18 juillet. Elles se mettaient en mesure, pour la rendre plus puissante, de l’étendre jusqu’à la Moselle et bientôt jusqu’aux Vosges.

Elles avaient évidemment à la pousser dans une direction bien déterminée, celle du gros des armées allemandes qu’elles bousculaient déjà, dont la base était dans l’Allemagne du nord et la tête à Berlin. Sur cette direction, nos coups en se répétant sans interruption ne pouvaient manquer d’ébranler, de disloquer et bientôt d’anéantir la force militaire ennemie, au total d’amener l’état allemand à traiter, en faisant un gouvernement sans armées. Sur cette direction par contre, sans parler des destructions qu’il allait opérer sur les communications nécessaires, et par lesquelles il pouvait ralentir notre marche, l’ennemi continuant la lutte pouvait opposer un sérieux obstacle, le Rhin. Là, il était en mesure d’arrêter pour longtemps notre marche, et, à l’abri du fleuve, il pouvait par suite reconstituer ses forces. En prévision de ces obstacles, la bataille alliée était montée pour atteindre et franchir au plus tôt le Rhin, en exploitant pour cela, sans temps d’arrêt, la désorganisation croissante des forces ennemies. Une fois conquise cette barrière, l’Allemagne était à la merci des alliés, dussent-ils pour cela aller jusqu’à Berlin. Telles étaient les considérations supérieures qui présidaient à la conduite des armées alliées tant que la politique n’intervenait pas pour ralentir ou modifier le cours de leurs opérations. Déjà, le 6 octobre 1918, par l’intermédiaire du gouvernement suisse et de son ministre à Berne, le gouvernement allemand adressait une note au président des États-Unis d’Amérique. Il sollicitait celui-ci de prendre en mains la cause de la paix, d’en informer tous les états belligérants et de les inviter à envoyer des plénipotentiaires pour ouvrir des négociations. Il se déclarait prêt à entamer ces négociations sur la base du programme élaboré dans le message du 8 janvier 1918 du président Wilson au congrès et dans ses déclarations ultérieures, en particulier celle du 27 septembre 1918. Enfin, laissant apparaître ses besoins pressants, il demandait la conclusion immédiate d’un armistice général sur terre, sur mer, et dans les airs. À cette note le président Wilson répondait, le 8 octobre, en mettant comme condition préalable à la conclusion d’un armistice, que les armées allemandes fussent retirées immédiatement des territoires envahis.

De mon côté, le même jour, 8 octobre, j’avais pris l’initiative d’adresser à M. Clemenceau un projet sommaire des obligations qu’il conviendrait, à mon avis, d’imposer à l’adversaire pour le cas où il serait question d’arrêter les hostilités, même momentanément. Ces obligations découlaient de trois principes essentiels : il ne peut être question pour les armées qui opèrent en France et en Belgique d’arrêter les hostilités, sans avoir :

1. libéré les pays envahis contrairement à tous les droits, Belgique, France, Alsace-Lorraine, Luxembourg, et ramené leur population. L’ennemi devra donc évacuer ces territoires dans un délai de quinze jours et rapatrier immédiatement leurs populations. Première condition de l’armistice.

2. assuré une base de départ militaire convenable  nous permettant de poursuivre la guerre jusqu’à la destruction de la force ennemie dans le cas où les négociations de paix n’aboutiraient pas. Il nous faut pour cela deux ou trois têtes de pont sur le Rhin à hauteur de Rastadt, Strasbourg, Neu Brisach, (une tête de pont : égal demi-cercle tracé sur la rive droite avec un rayon de trente kilomètres de la culée de la rive droite comme centre), dans un même délai de quinze jours. Deuxième condition de l’armistice.

3. pris en main les gages de réparations exigibles pour les dégâts commis en pays alliés, et dont la demande sera présentée lors des négociations du traité de paix. Pour cela, les pays de la rive gauche du Rhin seront évacués par les troupes ennemies dans un délai de trente jours ; ils seront occupés et administrés par les troupes alliées de concert avec les autorités locales jusqu’à la signature de la paix. troisième condition de l’armistice.

En outre, il y a lieu de poser les conditions complémentaires suivantes :

4. Tout le matériel de guerre et approvisionnements de toute nature, qui ne pourront être évacués par les troupes allemandes dans les délais fixés, devront être laissés sur place ; il sera interdit de les détruire.

5. Les unités qui n’auront pas évacué les territoires prescrits dans les délais fixés seront désarmées et faites prisonnières de guerre.

6. Le matériel de chemins de fer, voie et exploitation, sera laissé sur place, et ne devra être l’objet d’aucune destruction. Tout le matériel belge et français saisi (ou son équivalent numérique) sera immédiatement restitué.

7. Les installations militaires de toute nature à l’usage des troupes, camps, baraquements, parcs, arsenaux… seront abandonnés intacts, avec interdiction de les emporter ou de les détruire.

8. Il en sera de même des établissements industriels et ateliers de toute nature.

9. Les hostilités cesseront vingt-quatre heures après le jour où les conditions auront été approuvées par les parties contractantes.

En fait, dans la première quinzaine d’octobre, nous étions encore trop loin du Rhin septentrional pour pouvoir en viser l’occupation dans les conditions d’un armistice immédiat, mais nous pouvions nous assurer la prise de possession du Rhin méridional qui était beaucoup plus près de nos armées, et qui nous garantissait la manoeuvre de l’obstacle en cas de reprise des hostilités. C’est pour cela que, dans la note du 8 octobre, je demandais les têtes de pont de Neu-Brisach, Strasbourg et Rastadt. Elles nous réservaient la possibilité de tourner la défense que constituait le fleuve dans sa partie centrale, s’il fallait reprendre les armes après une suspension d’opérations intervenue à cette époque.

Comme on le voit, il y avait une différence considérable entre ces propositions et la seule condition d’évacuation énoncée jusqu’ici par le président des états-Unis. Il semblait bien, il est vrai, que le président Wilson, en fixant un minimum, faute duquel il ne saurait être question d’armistice, n’avait pas pour cela exclu toutes autres stipulations qui pourraient être reconnues nécessaires par les alliés, et c’est cette dernière partie de conditions que je développai devant les chefs des gouvernements de l’entente réunis à Paris, au ministère des affaires étrangères, dans l’après-midi du 9 octobre. Toutefois, et malgré l’avis de M. Clemenceau qui eût préféré ne pas intervenir de suite dans le débat engagé entre Berlin et Washington, M. Llyod George, afin d’éviter tout malentendu ultérieur, convainquit ses collègues de l’urgence d’adresser au président Wilson un message pour attirer son attention sur l’insuffisance de ses conditions, lesquelles, disait-il, n’empêcheraient pas les ennemis de tirer un avantage d’une suspension d’armes pour se trouver, à l’expiration d’un armistice non suivi de paix, dans une situation militaire meilleure qu’au moment de l’interruption des hostilités. La faculté leur serait laissée de se tirer d’une situation critique, de sauver leur matériel, de reformer leurs unités, de raccourcir leur front, de se retirer sans pertes d’hommes sur des positions nouvelles qu’ils auraient le temps de choisir et de fortifier. Et il ajoutait : les conditions d’un armistice ne peuvent être fixées qu’après consultation des experts militaires et selon la situation militaire au moment même où s’engagent les négociations… M. Lloyd George avait été bien inspiré en demandant instamment l’envoi de ce message, car les allemands, comme on devait s’y attendre, n’allaient pas manquer de saisir l’occasion inespérée qui leur était offerte de sortir honorablement de leurs embarras.

Le 12 octobre, le prince Max De Bade s’empressait de faire connaître à Washington qu’il était prêt, pour arriver à un armistice, à se conformer aux propositions d’évacuation présentées par le président. Mais celui-ci, averti entre temps par les alliés du danger auquel il risquait d’être entraîné, ramenait les pourparlers dans une voie plus ferme. Le 14 octobre, il télégraphiait au chancelier allemand : … il doit être clairement entendu que les conditions de l’armistice sont des questions qui doivent être laissées au jugement et avis des conseillers militaires du gouvernement des États-Unis et des gouvernements alliés, et que nul arrangement ne peut être accepté par le gouvernement des États-Unis, qui n’assurerait pas des sauvegardes et garanties absolument satisfaisantes du maintien de la présente supériorité des armées des États-Unis et des alliés sur le champ de bataille

Il eût été présomptueux de penser qu’un gouvernement de Berlin, quel qu’il fût, s’inclinerait de bonne grâce devant les exigences nouvelles de la maison blanche. Les conditions mises à la conclusion d’un armistice semblant tout à coup rigoureuses, il va feindre de les ignorer. On le renvoyait aux généraux alliés, il ne pouvait les récuser ; mais il allait chercher à les entraîner sur un terrain où il comptait retrouver quelque solidité. Pourquoi, prétendait-il, parler d’avantages militaires dont l’évaluation serait difficile à faire ? Ne vaudrait-il pas mieux, pour déterminer les profits et pertes de la guerre, se baser sur des chiffres aisés à établir, comme par exemple les effectifs alors en présence sur le champ de bataille ? …

Le gouvernement allemand, écrivait le chancelier, à la date du 20 octobre, en acceptant les propositions relatives à l’évacuation des territoires occupés, est parti de ce principe que les modalités de cette évacuation, ainsi que les conditions de l’armistice devaient être laissées au jugement des conseillers militaires, et que la proportion actuelle des forces sur les fronts devait servir de base aux arrangements qui les assurent et les garantissent. Le gouvernement allemand laisse au président le soin de créer les conditions nécessaires pour le règlement des détails. Il a confiance que le président des États-Unis n’admettra aucune exigence qui serait inconciliable avec l’honneur du peuple allemand et avec l’établissement d’une paix de justice… Le piège tendu par le prince de Bade ne pouvait tromper les gouvernements alliés, mais il était temps cependant que les conversations engagées depuis deux semaines entre Berlin et Washington prissent fin. Il n’en pouvait sortir que de la confusion et il était peu souhaitable, par ailleurs, que les allemands en vinssent à considérer le président Wilson comme une sorte d’arbitre entre les gouvernements de l’entente et les empires centraux. à semblable jeu, ceux-là avaient tout à perdre, rien à gagner, et il importait que la parole passât sans retard aux conseillers militaires.

Lors de la création du conseil supérieur de guerre en 1917, les chefs des gouvernements alliés avaient comme conseillers techniques leurs représentants militaires installés à Versailles. L’établissement, quatre mois après, du commandement en chef des armées alliées avait bien quelque peu diminué l’importance de ces derniers, mais ils n’en restaient pas moins théoriquement le conseil normal des gouvernements, et c’est à ce titre que, le 8 octobre, ils avaient eu à élaborer un projet d’armistice avec l’Allemagne. Cependant, s’il était naturel de la part des gouvernements alliés de prendre les avis de leurs représentants militaires, il était encore plus indiqué que le commandement des armées fût avant tout consulté. Il connaissait mieux que tout autre l’état des troupes, les efforts dont elles étaient encore capables, les conditions auxquelles elles pourraient arrêter leurs opérations, sans perdre les bénéfices de leur victoire et en s’assurant éventuellement une reprise avantageuse des hostilités. Sa responsabilité, en ce qui concernait l’armistice, était donc engagée au même titre que dans la conduite de la bataille, et c’est ce que je faisais ressortir dans une lettre du 16 octobre au président du conseil :

Par ma lettre du 8 octobre, j’ai eu l’honneur de vous faire connaître les conditions principales auxquelles, selon moi, nous pouvions entrevoir l’arrêt des hostilités à cette date.

Les première et deuxième conditions de la lettre précitée sont celles qui sont imposées par les exigences militaires. Et, dans sa réponse du 14 octobre aux propositions allemandes, le président Wilson expose qu’il y a lieu de s’en remettre aux conseillers militaires des gouvernements pour fixer les conditions de l’armistice.

Cette expression de conseillers militaires, déjà fréquemment employée au cours de conversations antérieures, est ambiguë et demande à être éclairée. En fait, les seuls conseillers militaires qualifiés pour traiter les conditions d’un armistice sont les commandants en chef. Seuls, ils sont responsables devant leurs gouvernements de la sécurité de leurs armées et des conditions dans lesquelles les hostilités seraient reprises au cas de rupture de l’armistice. Seuls, ils sont au courant de l’état des armées et de la tenue de l’ennemi en face d’eux.

En ce qui concerne le théâtre de France et de Belgique, j’estime que c’est le maréchal commandant en chef les armées alliées qui, après entente avec les commandants en chef des armées françaises, britanniques et américaines, et du chef d’état-major de l’armée belge, constitue le conseil du gouvernement.

La troisième condition vise la prise en mains des gages des réparations exigibles pour les dégâts commis en pays alliés, et dont la demande sera présentée lors des négociations du traité de paix. C’est l’occupation des pays de la rive gauche du Rhin, évacués par les troupes ennemies dans un certain délai, occupés et administrés par les troupes alliées, de concert avec les autorités locales, jusqu’à la signature de la paix. ces gages seront-ils suffisants à garantir les réparations exigées par la France et ses alliés, Belgique notamment ?

Dans le cas de l’affirmative, et quand les réparations seront satisfaites, quel sera le sort réservé à ces pays ? Notre occupation se poursuivra-t-elle ? Annexerons-nous toute une partie de ces pays, ou bien poursuivrons-nous la réalisation d’états neutres, autonomes, indépendants, formant tampon… ? L’armistice doit-il intégralement réserver le sort de ces pays à ce moment ?

Ce sont là des questions sur lesquelles il importe que le commandement militaire, qui aura à signer l’armistice et à en discuter les conditions, au moment où la demande sera présentée, soit fixé par une étude préalable avec les gouvernements. Car il est certain que l’armistice doit nous mettre en mains des gages garantissant, au cours des négociations de paix, l’obtention des conditions que nous voulons imposer à l’ennemi, et il est évident que seuls resteront acquis les avantages consacrés par l’armistice ; seuls seront définitifs, en matière de territoires, les sacrifices consentis par l’ennemi lors de sa conclusion.

Il me paraît, dans ce but, nécessaire d’être en rapports étroits et suivis avec une personnalité marquante des affaires étrangères, qui serait chargée de me tenir au courant de vos vues et de celles des gouvernements alliés sur ces conditions.

Il me serait ainsi possible de déterminer les conditions d’armistice assurant, outre les garanties militaires, les garanties diplomatiques nécessaires, d’approprier ces conditions à la situation militaire du moment, et d’être par suite toujours en état de satisfaire sans aucun retard, dans cet ordre d’idées, aux intérêts dont j’ai la responsabilité, non seulement devant le gouvernement français, mais devant les gouvernements qui m’ont confié le commandement de leurs armées.

Si vous partagez cette manière de voir, je vous demande de vouloir bien me faire connaître la personnalité des affaires étrangères avec qui j’aurai à collaborer dès maintenant.

Dans la même lettre, comme on l’a vu, j’insistais sur les territoires à conserver comme gages de réparations dues aux alliés, sur la situation à prévoir pour ces territoires, au total sur une série de questions d’ordre politique à étudier sans retard, sur lesquelles le gouvernement avait à fixer son opinion pour la faire connaître au commandant des armées chargé de la communiquer à l’ennemi. Une étude foncière et préalable des conditions politiques de l’armistice s’imposait évidemment, si l’on ne voulait être surpris par les événements, et si l’on voulait bien observer que l’armistice, comportant l’arrêt de formidables armées, allait contenir en germe les conditions principales de la paix définitive, sans qu’il pût être apporté par la suite une modification profonde à la situation que consacrerait l’arrêt des opérations. Toutefois, le président du conseil, entendant réserver la libre action du gouvernement, écartait la suggestion qu’une personnalité des affaires étrangères fût mise à ma disposition, par sa lettre du 23 octobre.

Les conditions d’armistice seraient en définitive établies par les gouvernements alliés. Dès lors, l’étude allait être naturellement menée par les plus agissants de ces gouvernements. Ceux-ci venaient justement d’être saisis officiellement de la question par le président Wilson. Mettant un terme à sa correspondance avec Berlin, il renvoyait le gouvernement allemand devant le tribunal des alliés, en laissant toutefois à ces derniers la latitude de conclure ou non un armistice, comme aussi de dicter à l’ennemi les conditions qui protégeraient entièrement les intérêts des peuples intéressés et qui assureraient aux gouvernements associés un pouvoir illimité en vue de sauvegarder et de faire exécuter les détails de la paix à laquelle le gouvernement allemand a consenti… Les gouvernements alliés n’avaient aucune raison de rejeter comme base de la paix le principe des quatorze points, quitte à en faire préciser ou modifier quelques-uns s’ils le jugeaient opportun ; ils n’avaient pas davantage de raisons de s’opposer à un arrêt des hostilités, si les conditions qu’ils étaient dans l’intention d’y mettre étaient acceptées par l’adversaire.

Ils me demandèrent donc d’établir, du point de vue militaire, un projet détaillé. M. Clemenceau, leur porte-parole, me recevait le 24 octobre à Paris ainsi que le général Pétain. Nous convenions verbalement des conditions à imposer pour garantir aux armées alliées une pleine sécurité et pour prendre en main des gages suffisants. Le blocus serait maintenu et la durée de l’armistice assez restreinte. Les progrès réalisés depuis le 8 octobre permettaient de renforcer et de préciser certains points de la note établie ce jour-là. En tout cas, en vue de prendre l’avis des commandants en chef alliés, je réunissais le lendemain après-midi, à mon quartier général de Senlis, les commandants en chef des armées américaine, britannique et française, ainsi que le chef d’état-major de la marine française, le vice-amiral de Bon, et les invitais à exposer successivement leurs conditions d’armistice.

Le maréchal Haig, parlant le premier, déclarait qu’à son avis l’ensemble de l’armée allemande n’était pas encore assez rompu pour ne pas pouvoir offrir une résistance sérieuse, qu’elle était en état de se retirer jusqu’à sa propre frontière et de la défendre contre des forces égales ou même supérieures. D’autre part, l’armée britannique accusait un déficit de 50.000 hommes d’infanterie, l’armée française était épuisée et l’armée américaine incomplètement organisée. Il estimait par suite que les conditions à imposer à l’Allemagne devaient être modérées et comporter simplement : 1. L’évacuation de la Belgique et des territoires français occupés ; 2. L’évacuation de l’Alsace-Lorraine, Metz et Strasbourg étant remis aux alliés ; 3. La restitution du matériel roulant enlevé aux Français et aux belges, le rapatriement des habitants. Sans discuter ces conditions, les raisons dont elles découlaient ne semblaient pas fondées. L’armée allemande, qui venait en quelques mois de faire d’énormes pertes de terrain, de prisonniers et de matériel, était une armée battue, qui ne pouvait pas ne pas être très démoralisée et profondément atteinte. Quant aux armées alliées, on devait reconnaître que les armées victorieuses ne sont jamais neuves. On était au soir d’une bataille victorieuse, dans laquelle le vainqueur a souvent perdu autant de monde que le vaincu, ce qui n’empêche pas celui-ci d’être entièrement désorganisé. On ne pouvait donc redouter de résistance sérieuse de la part des allemands.

Interrogé à son tour, le général Pétain déclarait qu’il fallait mettre les allemands dans l’impossibilité de reprendre la guerre, d’où : 1. Occupation par les alliés de la rive gauche du Rhin, entre la frontière hollandaise et la frontière suisse, dans un délai de quinze jours, avec têtes de pont sur la rive droite ; 2. Abandon par les allemands de 5.000 locomotives et 100.000 wagons en parfait état de roulement.

Quant au général Pershing, estimant que la situation militaire était des plus favorables aux alliés et qu’elle justifiait l’imposition à l’Allemagne de conditions sévères d’armistice, il proposait : 1. L’évacuation immédiate de tous les territoires occupés par l’ennemi ; 2. L’occupation de l’Alsace-Lorraine par les alliés ; 3. Le retrait des armées allemandes sur la rive droite du Rhin et la prise de possession par les alliés de têtes de pont sur cette rive ; 4. Le transport maritime sans restriction de l’armée américaine et de son matériel ; 5. Le rapatriement immédiat de tous les habitants des territoires occupés par les allemands ; 6. La remise de tous les sous-marins et de leurs bases aux alliés ou à une puissance neutre ; 7. La restitution de tout le matériel roulant enlevé en Belgique et en France.

C’est à l’issue de la réunion, où les commandants en chef avaient été ainsi appelés à exposer leurs vues touchant l’armistice, qu’étaient rédigées les conditions militaires à présenter d’ailleurs aux gouvernements alliés. Elles comportaient essentiellement : 1. L’évacuation immédiate des pays envahis contrairement aux droits : Belgique, France, Alsace-Lorraine, Luxembourg, et le rapatriement immédiat de leurs habitants ; 2. L’abandon par l’ennemi de 5.000 canons, 30.000 mitrailleuses et 3.000 minenwerfer ; 3. L’évacuation par l’armée allemande des pays de la rive gauche du Rhin, l’occupation par les alliés de têtes de pont de trente kilomètres de rayon, établies sur la rive droite à Mayence, Coblence, Cologne, Strasbourg, et l’aménagement sur cette même rive d’une zone neutre de quarante kilomètres de large à l’est du fleuve ; 4. L’interdiction à l’ennemi de faire aucune destruction ni dommage dans les territoires évacués ; 5. La livraison de 5.000 locomotives et 150.000 wagons en bon état de roulement ; 6. La livraison de 150 sous-marins, le repliement de la flotte de surface dans les ports de la Baltique, et l’occupation par les flottes alliées de Cuxhafen et d’Heligoland ; 7. Le maintien du blocus pendant la durée d’exécution des conditions ci-dessus.

Je les apportais moi-même à Paris, dans l’après-midi du 25 octobre, et je remettais au président de la république comme au président du conseil le texte ainsi élaboré. Dans mon entretien avec M. Poincaré, comme celui-ci faisait observer que les conditions pourraient être jugées inacceptables et refusées par les allemands, je lui répondais : alors nous continuerons la guerre, car, au point où les armées alliées sont parvenues à cette date, on ne peut arrêter leur marche victorieuse sans avoir rendu impossible toute résistance de l’Allemagne et pris en main les gages solides d’une paix acquise au prix de quels sacrifices ! Nous ne pouvions suspendre nos opérations de marche vers Berlin qu’une fois maîtres de la position du Rhin, qui en barre la route sur l’espace de Cologne à Mayence. Par contre, par une lettre du 29 octobre, je mettais M. Clemenceau en garde contre la tendance de certains alliés à témoigner de trop de rigueur pour les conditions navales de l’armistice :

J’ai eu l’honneur de vous adresser, le 26 octobre, les conditions militaires de l’armistice. il est vraisemblable que des conditions navales y seront jointes. Ces dernières ne peuvent être acceptées sans examen, car, si elles étaient trop rigoureuses, elles aboutiraient à faire continuer par les armées de terre une lutte toujours coûteuse pour des avantages d’un effet discutable.

Je vous demande donc à être entendu avant que le programme définitif des conditions de l’armistice soit arrêté.

Dans la matinée du 31 octobre, une première réunion des chefs de gouvernement alliés se tenait à Paris chez le colonel House, envoyé spécialement en France par le président Wilson. On y apprenait, dès l’ouverture de la séance, que la Turquie venait de signer l’armistice de Moudros, et que l’Autriche était mise hors de cause. Dans ces conditions, il m’était facile, invité à donner mon avis sur la situation militaire générale, de montrer combien les événements nous étaient désormais favorables. Depuis plus de trois mois, l’Allemand, battu en France et en Belgique, obligé sans cesse à se replier, avait abandonné déjà plus de 260.000 prisonniers et 4.000 canons. L’état militaire de l’Allemagne accusait une désorganisation profonde, tandis que nous nous trouvions en état de poursuivre la bataille, pendant tout l’hiver s’il le fallait, sur quatre cents kilomètres de front, comme aussi de continuer la guerre jusqu’à la destruction de l’ennemi si c’était nécessaire.

Après cet exposé, le colonel House me demanda si j’estimais préférable de continuer la guerre contre l’Allemagne ou de conclure un armistice avec elle. Et moi de lui répondre : je ne fais pas la guerre pour faire la guerre. Si j’obtiens par l’armistice les conditions que nous voulons imposer à l’Allemagne, je suis satisfait. Le but étant atteint, nul n’a le droit de faire répandre une goutte de sang de plus. Dans l’après-midi du même jour, 31 octobre, une séance plénière du conseil supérieur de guerre avait lieu à Versailles. Au début de cette séance, qui devait être consacrée à l’examen des conditions de l’armistice austro-hongrois, j’étais invité de nouveau à prendre la parole, et je renouvelais mes déclarations du matin concernant la situation militaire des alliés de plus en plus favorable.

Le 1er novembre, commençait l’examen détaillé des conditions de l’armistice à imposer à l’Allemagne. Dans la matinée, une première réunion des chefs de gouvernement alliés se tenait à Paris au ministère de la guerre. Lecture y était donnée des conditions que j’avais proposées au sujet de l’occupation de la rive gauche du Rhin. Une discussion était engagée afin de permettre au maréchal Haig de développer à nouveau son point de vue et ses déclarations du 25 octobre, qui étaient évidemment l’expression de la manière de voir de M. Lloyd George et de ses collègues. Cette thèse qui, pour suspendre les hostilités, arrêtait les armées alliées à la frontière de la Belgique, du Luxembourg et de l’Alsace-Lorraine, c’est-à-dire sur la rive gauche et à une certaine distance du Rhin, au total le nez sur l’obstacle, était militairement inacceptable. Elle laissait à l’Allemagne, à l’abri du Rhin, la possibilité de reconstituer ses armées pendant l’établissement des conditions de la paix, et la possibilité, si elle n’acceptait pas ces conditions, de reprendre la lutte dans des conditions désavantageuses pour les armées alliées. Celles-ci pouvaient perdre en grande partie le bénéfice de leurs dures victoires. à ne pas prendre le Rhin par l’armistice, les gouvernements alliés risquaient de compromettre la paix qu’ils poursuivaient. Ma thèse était admise. La lecture et l’examen du document se poursuivaient à Versailles dans l’après-midi. Il était décidé que des clauses concernant le front russe seraient ajoutées à l’armistice, et que mon état-major en préparerait la rédaction.

Le 2 novembre après-midi, nouvelle séance à Versailles, au cours de laquelle furent discutées les conditions navales de l’armistice et celles concernant le front russe. C’était l’heure où le commandement autrichien venait de recevoir du général Diaz le texte d’armistice de l’entente. Qu’allait faire le gouvernement de Vienne ? Accepterait-il ou non ? Et s’il acceptait, la dissociation de la double monarchie n’allait-elle pas le rendre incapable d’exécuter ce qu’il aurait promis ? Autant de questions qui occupaient l’esprit des dirigeants alliés et pesaient à tel point sur les discussions engagées en cet après-midi du 2 novembre, qu’on pouvait voir M. Lloyd George abandonner ses experts navals, comme aussi une partie de leurs demandes relatives à la livraison de la flotte militaire allemande.

Mais, dès que la capitulation de Vienne fut connue, il les reprenait en entier. Elles comportaient en particulier le désarmement par l’Allemagne de sa flotte de guerre, la livraison d’un grand nombre de ses bâtiments, tant sous-marins que de surface, et d’un matériel naval important, au total des conditions rigoureuses, dont l’ensemble pourrait devenir inacceptable pour l’Allemagne et interdire ainsi la signature d’une convention d’armistice, qui, par ailleurs, sur terre, nous donnerait toute satisfaction. Envisageant alors le cas où les clauses navales feraient par leur rigueur rejeter nos conditions d’armistice par l’Allemagne, où nous serions ainsi amenés à continuer sur terre une lutte coûteuse de sang, pour conquérir un matériel naval sans intérêt pour nos opérations, j’appelais l’attention des gouvernements sur la responsabilité engagée ainsi, de faire verser le sang de nos soldats sans profit marqué pour la cause alliée. Il m’était alors répondu d’insérer les clauses navales dans les conditions de l’armistice, et que, si l’ennemi les trouvait inacceptables, on verrait alors les tempéraments à y admettre. Il allait en fait tout accepter. Les propositions relatives au front russo-roumain étaient admises sans observation. à cette occasion, le ministre des affaires étrangères, M. Pichon, soulevait la question de la reconstitution de la Pologne, qui était un des buts de guerre des alliés, mais on s’accordait à penser qu’elle dépasserait le cadre de l’armistice et qu’il convenait seulement de faire rentrer l’Allemagne dans ses frontières orientales de 1914.

Enfin, le 4 novembre, après une dernière lecture, le texte définitif de l’armistice était arrêté par les chefs des gouvernements alliés et câblé aussitôt au président Wilson. Il était en outre décidé qu’assisté d’un amiral britannique, je serai chargé de communiquer ce texte aux parlementaires dûment mandatés par le gouvernement allemand, et de traiter avec eux sur ces bases. En transmettant à Washington les conditions qu’ils venaient d’arrêter, les gouvernements alliés, sur les insistances particulières de la Grande-Bretagne, avaient fait toutes réserves sur le principe de liberté des mers qui figurait au nombre des quatorze points du président Wilson, et celui-ci ne manquait pas de le signaler dans le message qu’il adressait le 5 novembre aux allemands pour les renvoyer au grand quartier général allié, preuve que les gouvernements alliés, pour peu qu’ils en aient eu l’idée, pouvaient à ce moment se libérer de toutes les formules susceptibles de les gêner dans les négociations futures. Quoi qu’il en soit, je donnais immédiatement des ordres pour la réception des parlementaires allemands qui se présenteraient inopinément devant nos premières lignes, et ayant l’intention, si j’étais au préalable avisé de leur arrivée, de les aiguiller sur l’axe Givet, La Capelle, Guise, j’envoyais une instruction particulière au général Debeney. Nous mettions en même temps les armées en garde contre les faux bruits que l’ennemi pourrait répandre touchant la conclusion anticipée d’un armistice.

Ce fut dans la nuit du 6 au 7 novembre, à minuit trente, que je recevais le premier radiotélégramme du haut commandement allemand. Il faisait connaître les noms des plénipotentiaires désignés par le gouvernement de Berlin, me demandait de fixer un lieu de réunion et ajoutait : … le gouvernement allemand se féliciterait, dans l’intérêt de l’humanité, si l’arrivée de la délégation allemande sur le front des alliés pouvait amener une suspension d’armes provisoire. Je répondais aussitôt par ces simples mots : si les plénipotentiaires allemands désirent rencontrer le maréchal Foch pour lui demander un armistice, ils se présenteront aux avant-postes français par la route Chimay-Fourmies-La Capelle-Guise. Des ordres sont donnés pour les recevoir et les conduire au lieu fixé pour la rencontre.

Dans la matinée du 7, j’étais averti que les plénipotentiaires allemands, quittant Spa à midi, arriveraient entre 16 et 17 heures aux lignes françaises. Des dispositions étaient prises, tant par le commandement français que par le commandement allemand pour que le feu fût suspendu de part et d’autre pendant le passage de la délégation ennemie. Accompagné du général Weygand, de trois officiers de mon état-major et de la délégation navale britannique présidée par l’amiral Wemyss, premier lord de l’amirauté, je quittais Senlis à 17 heures et me rendais par train spécial au lieu choisi pour la rencontre avec les plénipotentiaires allemands, un coin de la forêt de Compiègne, au nord et près de la station de Rethondes. Mon train y fut garé sur un épi d’artillerie. Quant à la délégation allemande, arrêtée sans cesse par l’embouteillage des routes en arrière du front allemand, elle ne parvenait devant les lignes françaises qu’à 21 heures, et au terme de son voyage qu’avec un retard de douze heures.

C’est seulement le 8 novembre, à 7 heures du matin, que le train qui l’amenait venait stationner à proximité du mien. Deux heures après, à 9 heures, la première réunion avait lieu dans le wagon-bureau du train français. Le rapport ci-dessous, que j’adressai à l’issue de la signature de l’armistice au président du conseil et au président de la république, relate dans tous leurs détails les faits qui se sont déroulés à Rethondes entre plénipotentiaires alliés et allemands. J’ajoute, que, dans la journée du 9, pour bien affirmer la volonté des alliés d’en finir avec la résistance allemande, j’adressais aux généraux en chef le télégramme suivant :

L’ennemi désorganisé par nos attaques répétées cède sur tout le front. Il importe d’entretenir et de précipiter nos actions. Je fais appel à l’énergie et à l’initiative des commandants en chef et de leurs armées pour rendre décisifs les résultats obtenus.

Et tous, sentant leurs drapeaux emportés dans le vent de la victoire, de me répondre : comptez sur nous, nous marcherons tant qu’il le faudra.

Rapport.

Les pourparlers devant aboutir à la conclusion de l’armistice avec l’Allemagne ont eu lieu dans la voiture bureau du train spécial du maréchal Foch. Le train du maréchal et celui qui a pris les plénipotentiaires allemands à Tergnier étaient garés sur des épis d’artillerie lourde à grande puissance à proximité de la gare de Rethondes, en forêt de l’Aigle.

8 novembre. – Le train spécial amenant les plénipotentiaires allemands arrive le 8 novembre à 7 heures sur sa voie de garage. Le maréchal fait savoir aux délégués allemands qu’il pourra les recevoir à partir de 9 heures. Ceux-ci demandent à être reçus à 9 heures. À l’heure dite, ils se rendent au train du maréchal. Le maréchal Foch, assisté de l’amiral sir Rosslyn Wemyss, du général Weygand, de l’amiral Hope, leur demande de lui faire connaître leurs pouvoirs. Ceux-ci remettent les pouvoirs au maréchal ; ils sont ainsi rédigés :

1. plein pouvoir.

Le soussigné, chancelier de l’empire allemand, Max prince de Bade, donne par les présentes plein pouvoir : au secrétaire d’état impérial, M. Mathias Erzberger (comme président). À l’envoyé extraordinaire impérial et ministre plénipotentiaire, M. Le comte Alfred Oberndorff, et au général-major prussien M. Detlef von Winterfeldt, de conduire au nom du gouvernement allemand, avec les plénipotentiaires des puissances alliées contre l’Allemagne, des négociations au sujet d’un armistice, et de conclure, sous réserve de son acceptation, un accord en conséquence.

signé : Max prince de Bade.

Berlin, le 6 novembre 1918.

2. Plein pouvoir.

Le soussigné, chancelier de l’empire allemand, Max prince de Bade, nomme par les présentes, comme autres plénipotentiaires pour les négociations d’armistice avec les puissances alliées contre l’Allemagne : le capitaine de vaisseau impérial Vanselow. Le général de l’infanterie royale Erich Von Gundell est relevé de son poste de plénipotentiaire ; son nom a, par suite, été rayé sur le pouvoir ci-annexé.

signé : Max prince de Bade.

Berlin, le 6 novembre 1918.

Le maréchal, après s’être retiré avec l’amiral Wemyss et le général Weygand, pour examiner ces pouvoirs, rentre au lieu de la conférence et demande au président de la délégation allemande de lui nommer les membres de la délégation. Ce sont les suivants : secrétaire d’état Erzberger, général-major Von Winterfeldt, ministre plénipotentiaire comte Oberndorff, capitaine de vaisseau Vanselow, capitaine d’état-major Geyer, capitaine de cavalerie Von Helldorff.

Le maréchal présente à son tour les membres de la délégation alliée : amiral Wemyss, général Weygand, amiral Hope, capitaine de vaisseau Mariott, et comme interprètes : commander Bagot, officier interprète Laperche.

On prend place à la table de la conférence. Le Maréchal Foch demande aux délégués allemands l’objet de leur visite. M. Erzberger répond que la délégation allemande est venue pour recevoir les propositions des puissances alliées pour arriver à un armistice sur terre, sur mer, dans les airs, sur tous les fronts et aux colonies. Le Maréchal Foch répond qu’il n’a aucune proposition à faire.

Le Comte Oberndorff demande comment le maréchal Foch désire qu’on s’exprime. Il ne tient pas aux termes, il peut dire que la délégation demande les conditions de l’armistice. Le Maréchal Foch répond qu’il n’a pas de conditions à faire.

M. Erzberger lit le texte de la dernière note du président Wilson, disant que le maréchal Foch est autorisé à faire connaître les conditions de l’armistice.

Le Maréchal Foch répond qu’il est autorisé à faire connaître ces conditions si les délégués allemands demandent l’armistice. Demandez-vous l’armistice ? Si vous le demandez, je puis vous faire connaître les conditions dans lesquelles il pourra être obtenu. M. Erzberger et Le Comte Oberndorff déclarent qu’ils demandent l’armistice.

Le Maréchal Foch déclare alors qu’il va être donné lecture des conditions de l’armistice. Comme le texte est un peu long, les paragraphes principaux seront seuls lus tout d’abord ; le texte sera ensuite intégralement communiqué aux délégués. Le Général Weygand donne lecture des clauses principales des conditions de l’armistice (texte arrêté à Versailles le 4 novembre).

Aussitôt après cette lecture, M. Erzberger prenait la parole pour demander que, dès à présent, les opérations militaires fussent arrêtées. Il invoquait pour cela l’état de désorganisation et d’indiscipline qui régnait dans l’armée allemande, l’esprit de révolution qui, avec la souffrance, pénétrait dans le pays. Il détaillait les difficultés qu’il avait éprouvées avec sa délégation à traverser les armées allemandes et à franchir leurs lignes, où les ordres, même pour faire cesser le feu, n’étaient plus exécutés qu’avec peine. Il voyait dans cet ensemble de circonstances l’invasion prochaine du bolchevisme en Allemagne, et quand l’Europe centrale serait envahie par ce fléau, l’Europe occidentale, disait-il, aurait la plus grande difficulté à s’en défendre. Seul l’arrêt des attaques alliées permettrait de rétablir la discipline dans les armées allemandes, et, avec l’ordre, de sauver le pays.

Je n’avais pas de peine à lui répondre : au moment où s’ouvrent les négociations relatives à la signature d’un armistice, il est impossible d’arrêter les opérations militaires tant que la délégation allemande n’a pas accepté et signé les conditions qui sont la conséquence même de ces opérations. Quant à la situation que M. Erzberger signalait dans les troupes allemandes, et quant au danger du bolchevisme en Allemagne, c’était la maladie des armées vaincues, comme aussi des nations fatiguées et épuisées par la guerre. L’Europe occidentale saurait prendre des précautions pour s’en défendre. Devant cette impossibilité de ma part d’acquiescer à la demande verbale de M. Erzberger, le général von Winterfeldt demandait la parole. Il avait une mission spéciale à remplir de la part du haut commandement et du gouvernement allemand. Il lut la déclaration suivante qu’il avait préparée :

Les conditions de l’armistice, dont nous venons de prendre connaissance, nécessitent de notre part un examen attentif. étant donné notre intention d’aboutir à un résultat, cet examen sera fait le plus rapidement possible ; il demandera tout de même un certain temps d’autant plus qu’il sera indispensable de prendre l’avis de notre gouvernement et du haut commandement militaire.

Pendant ce temps, la lutte entre nos armées va continuer et elle demandera forcément, tant parmi les combattants que parmi la population, de nombreuses victimes tombées inutilement à la dernière minute et que l’on aurait pu conserver à leurs familles.

Dans ces conditions, le gouvernement allemand et le haut commandement militaire ont l’honneur de revenir à la proposition qu’ils ont faite par leur radiotélégramme d’avant-hier, à savoir : que M. Le maréchal Foch veuille bien consentir à ce qu’il soit fixé immédiatement et pour le front entier une suspension provisoire des hostilités, qui commencerait dès aujourd’hui à partir d’une certaine heure, et dont les détails très simples pourraient être arrêtés le plus tôt possible.

Le Maréchal Foch répond : je suis général en chef des armées alliées et représentant des gouvernements alliés. Les gouvernements ont arrêté leurs conditions. Les hostilités ne peuvent cesser avant la signature de l’armistice. Aussi suis-je disposé à arriver à une conclusion et je vous aiderai dans la mesure du possible pour cela. Mais les hostilités ne peuvent cesser avant la signature de l’armistice. Une fois la séance terminée, les délégués allemands font demander au maréchal s’il est possible de prolonger de vingt-quatre heures le délai de réponse, en raison du temps nécessaire pour faire parvenir les conditions à leur gouvernement. Le maréchal leur fait connaître que, ce délai ayant été fixé par les gouvernements alliés et associés, il ne lui est pas possible de le modifier. Les délégués allemands, après s’être entretenus en particulier, demandent l’envoi par sans-fil du télégramme suivant :

Plénipotentiaires allemands pour l’armistice, au chancelier de l’empire, aux hauts commandements militaire et naval allemands :

Les plénipotentiaires ont reçu vendredi matin, au grand quartier général des alliés, les conditions de l’armistice, ainsi que la mise en demeure de les accepter ou de les refuser dans un délai de soixante-douze heures expirant lundi matin à 11 heures (heure française).

La proposition allemande tendant à la conclusion immédiate d’une suspension d’armes provisoire a été repoussée par le maréchal Foch.

Un courrier allemand, porteur du texte des conditions d’armistice, est envoyé à Spa, aucun autre mode de communication n’étant pratique.

Prière d’accuser réception et de renvoyer le plus vite possible le courrier avec vos dernières instructions.

L’envoi de nouveaux délégués n’est pas nécessaire pour le moment.

signé : Erzberger.

Ce télégramme est transmis à 11 h. 30. Ils décident également d’envoyer le capitaine Von Helldorf comme courrier, pour porter au grand quartier général allemand le texte des conditions. L’état-major du maréchal prend ses dispositions pour assurer le transport et le passage à travers les lignes de ce courrier qui part à 13 heures. Le comte Oberndorff, le général Von Winterfeldt et le capitaine de vaisseau Vanselow demandent à avoir des entretiens particuliers avec le général Weygand et l’amiral Hope, dans le but d’obtenir pour les délégués allemands certains éclaircissements. Ces entretiens ont lieu au cours de l’après-midi pour le comte Oberndorff et le général Von Winterfeldt avec le général Weygand ; pour le capitaine de vaisseau Vanselow avec l’amiral Hope. Ci-dessous le résumé de ces entretiens :

Le comte Oberndorff a demandé, tout d’abord, si les alliés ont fixé des conditions aussi dures en vue d’acculer l’Allemagne à les refuser.

Il est répondu que les alliés font connaître les conditions auxquelles ils peuvent accorder l’armistice. Il n’y a dans leurs intentions rien de caché.

Le comte Oberndorff demande ensuite si les alliés n’ont pas l’intention de faire échouer l’armistice afin d’arriver de suite à des négociations de paix. Il est répondu que le maréchal Foch n’a à traiter et ne veut traiter ici que des conditions d’armistice.

Dans la suite de l’entretien avec le comte Oberndorff, comme au cours de l’entretien ultérieur avec le général Von Winterfeldt, des questions sont posées au sujet des différentes conditions de l’armistice. Les idées ou arguments principaux, émis au cours de ces conversations par les délégués allemands, en vue d’obtenir des adoucissements à ces conditions, peuvent se résumer comme suit :

L’Allemagne veut l’armistice. Si on est ici, c’est qu’il est impossible à l’Allemagne de faire autrement. On est donc sincère.

L’armée allemande est aux prises avec des difficultés inouïes : fatigue des troupes qui combattent sans repos depuis quatre mois, relâchement de la discipline qui en résulte ; embouteillage des routes et voies ferrées qui paralyse tout mouvement. Lui imposer des mouvements rapides, c’est l’empêcher de se remettre en ordre.

L’armée allemande serait incapable, le voudrait-elle, de reprendre la lutte une fois l’armistice signé ; il n’est donc pas utile de lui imposer des clauses par trop dures.

Contre celles des clauses militaires qui concernent la livraison des armes, on ne proteste qu’au sujet de la livraison de 30.000 mitrailleuses ; il n’en restera plus assez pour tirer, si c’est nécessaire, sur le peuple allemand.

En effet, l’état intérieur est très grave en Allemagne, en révolution, infectée de bolchevisme. Il faut y maintenir l’ordre. C’est d’ailleurs l’intérêt des alliés, pour éviter la contagion bolchevique comme aussi pour assurer la solvabilité de leurs débiteurs, car on s’attend à des demandes de réparations très importantes.

Par suite, il est de l’intérêt de tous que l’armée allemande rentre en ordre en Allemagne et pour cela il faut étendre les délais accordés pour l’évacuation. Il s’agit d’accorder en plus, non pas des jours, mais des semaines.

Enfin, l’Allemagne est menacée de famine ; les clauses de l’armistice concernant le blocus et le matériel de chemin de fer sont inhumaines, parce qu’elles paralysent le ravitaillement de la population et causeront la mort de femmes et d’enfants.

En résumé, il faut conserver à l’Allemagne une armée en ordre pour lui permettre de réprimer les troubles, et il faut l’aider à éviter la famine.

Il est répondu d’une manière générale que l’état de désorganisation dans lequel se trouve l’armée allemande est le résultat de l’avance victorieuse des armées alliées depuis près de quatre mois, et que le haut commandement allié a le devoir de se garder, par les conditions de l’armistice, au minimum la possession de tous les avantages acquis. En terminant ces entretiens, le général Weygand spécifie nettement : 1. Que des entretiens particuliers, tels que ceux qui viennent d’avoir lieu, ne sont que des échanges de vues n’engageant pas les interlocuteurs et ayant simplement pour objet de donner aux délégués allemands les éclaircissements nécessaires pour leur permettre d’établir leurs demandes en connaissance de cause ; 2. Que les questions ou demandes qu’auront à faire les délégués allemands devront l’être par écrit. Il est convenu qu’il en sera ainsi et qu’une note confidentielle sera adressée au général Weygand, qui examinera les questions qu’il y aurait lieu de soumettre au maréchal Foch (ceci afin d’éviter un premier examen de ces questions en séance plénière).

9 novembre. – La délégation allemande fait émettre, le 9, à 15 h. 45, au général Weygand, le texte des observations relatives aux conditions de l’armistice avec l’Allemagne.  Le texte est apporté par le comte Oberndorff et le général Von Winterfeldt, qui reviennent sur les arguments exposés la veille, sans rien dire de nouveau qui vaille la peine d’être noté.

10 novembre. – Le texte de la réponse aux observations relatives aux conditions de l’armistice avec l’Allemagne est remis aux délégués allemands le 10 novembre à 21 h. 30. Le même jour, à 18 h. 30, le maréchal Foch fait remettre la note suivante aux plénipotentiaires allemands :

Commandement en chef des armées alliées état-major général g. Q. G. A. 10 novembre 1918.

Aux termes du texte remis au maréchal Foch, les pouvoirs de MM. les plénipotentiaires allemands sont limités, pour conclure un accord, par l’acceptation du chancelier.

Les délais accordés pour la conclusion de l’armistice expirant demain à 11 heures, on a l’honneur de demander si MM. les plénipotentiaires allemands ont reçu l’acceptation par le chancelier allemand des conditions qui ont été communiquées, et, dans le cas de la négative, s’il n’y aurait pas lieu de provoquer sans retard une réponse de sa part.

Par ordre, le général de division major général des armées alliées.

signé : Weygand.

Les délégués allemands répondent, à 21 h. 30, par la note suivante :

Les plénipotentiaires allemands ont l’honneur de répondre au haut commandement des armées alliées, comme suite à la question qui leur a été posée le 10 novembre, qu’une décision du chancelier de l’empire ne leur est pas encore parvenue.

Les plénipotentiaires ont déjà fait en sorte de provoquer la transmission la plus rapide possible des instructions.

signé : Erzberger, secrétaire d’état.

Entre temps, entre 19 heures et 20 heures, arrivaient par T.S.F. les deux messages suivants :

1. Le gouvernement allemand aux plénipotentiaires auprès du haut commandement des alliés le gouvernement allemand accepte les conditions de l’armistice qui lui ont été posées le 8 novembre. le chancelier de l’empire, 3084.

2. Le haut commandement allemand aux plénipotentiaires auprès du haut commandement des alliés :

Le gouvernement de l’empire communique au haut commandement ce qui suit pour le sous-secrétaire d’état Erzberger : votre excellence est autorisée à signer l’armistice.

Vous voudrez bien en même temps faire figurer au procès-verbal la déclaration ci-après : le gouvernement allemand s’attachera de toutes ses forces à l’exécution des conditions fixées.

Toutefois les soussignés considèrent comme de leur devoir de faire ressortir que l’exécution de certains points de ces conditions précipiteront dans la famine la population de la partie de l’empire allemand qui ne doit pas être occupée.

L’abandon dans les régions à évacuer de tous les approvisionnements qui étaient destinés à l’alimentation des troupes, ainsi que la limitation équivalant à une suppression des moyens de transport nécessaires au trafic, rendront, étant donné le maintien du blocus, impossible l’alimentation, ainsi que toute organisation de la répartition des vivres.

Les soussignés demandent en conséquence à être autorisés à négocier, pour modifier certains points, de telle manière que la nourriture puisse être assurée.

Le chancelier de l’empire.

p.s. - Le haut commandement appelle encore l’attention sur les points transmis aujourd’hui à midi au général Von Winterfeldt. Aviser par radio de la signature de l’armistice.

Vers 21 heures, commençait, en outre, à arriver un télégramme chiffré très long du maréchal Von Hindenburg. En remettant aux délégués allemands les télégrammes, le général Weygand demande à M. Erzberger s’il estime que ces télégrammes donnent un caractère d’authenticité suffisant à l’acceptation attendue du chancelier. M. Erzberger répond affirmativement en faisant remarquer que le nombre 3084 qui accompagne la signature du premier de ces télégrammes est le chiffre convenu pour marquer cette authenticité. Il est demandé alors aux délégués allemands à quelle heure ils seront en mesure de prendre part à une réunion plénière, pour arrêter et signer le texte définitif des conditions de l’armistice. Les délégués allemands demandent un certain temps pour déchiffrer le télégramme Hindenburg et pour étudier les réponses du haut commandement allié à leurs observations. Ils sont priés de faire connaître, dès que possible, l’heure à laquelle pourra avoir lieu cette réunion plénière, de façon, puisque la signature de l’armistice est décidée, à arrêter le plus tôt possible l’effusion du sang.

11 novembre. – Le 11 novembre à 2 h. 05, les délégués allemands font connaître qu’ils sont prêts à entrer en séance. La séance s’ouvre à 2 h. 15. Le maréchal Foch déclare que le texte définitif de l’armistice va être arrêté, et il prescrit au général Weygand d’en donner lecture, en substituant, pour les parties modifiées au texte remis le 8 novembre, le nouveau texte indiqué dans la réponse aux observations.

Le texte est lu, discuté et arrêté, article par article. Il porte :

Entre le maréchal Foch, commandant en chef les armées alliées, stipulant au nom des puissances alliées et associées, assisté de l’amiral Wemyss, first sea lord, d’une part :

M. Le secrétaire d’état Erzberger, président de la délégation allemande ; M. l’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire comte Von Oberndorff ; M. le général major Von Winterfeldt ; M. le capitaine de vaisseau Vanselow, munis de pouvoirs réguliers et agissant avec l’agrément du chancelier allemand, d’autre part, il a été conclu un armistice aux conditions suivantes :

A) Conditions de l’armistice conclu avec l’Allemagne.

a) sur le front d’occident.

I. Cessation des hostilités, sur terre et dans les airs, six heures après la signature de l’armistice.

II. Évacuation immédiate des pays envahis : Belgique, France, Luxembourg, ainsi que de l’Alsace-Lorraine, réglée de manière à être réalisée dans un délai de quinze jours, à dater de la signature de l’armistice. Les troupes allemandes, qui n’auront pas évacué les territoires prévus dans les délais fixés, seront faites prisonnières de guerre. L’occupation par l’ensemble des troupes des alliés et des États-Unis suivra, dans ces pays, la marche de l’évacuation. Tous les mouvements d’évacuation ou d’occupation sont réglés par la note annexe n° 1, arrêtée au moment de la signature de l’armistice.

III. Rapatriement, commençant immédiatement et devant être terminé dans un délai de quinze jours, de tous les habitants des pays énumérés ci-dessus (y compris les otages et les prévenus ou condamnés).

IV. Abandon par les armées allemandes du matériel de guerre suivant en bon état : 5.000 canons (dont 2.500 lourd et 2.500 de campagne), 25.000 mitrailleuses ; 3.000 minenwerfer ; 1.700 avions de chasse et de bombardement, en premier lieu tous les d. 7 et tous les avions de bombardement de nuit ; à livrer sur place aux troupes des alliés et des États-Unis, dans les conditions de détail fixées dans la note annexe n° 1, arrêtée au moment de la signature de l’armistice.

V. Évacuation des pays de la rive gauche du Rhin par les armées allemandes. Les pays de la rive gauche du Rhin seront administrés par les autorités locales, sous le contrôle des troupes d’occupation des alliés et des états-Unis. Les troupes des alliés et des Etats-Unis assureront l’occupation de ces pays par des garnisons tenant les principaux points de passage du Rhin (Mayence, Coblentz, Cologne) avec, en ces points, des têtes de pont de trente kilomètres de rayon, sur la rive droite, et des garnisons tenant également les points stratégiques de la région. Une zone neutre sera réservée, sur la rive droite du Rhin, entre le fleuve et une ligne tracée parallèlement aux têtes de pont et au fleuve, et à dix kilomètres de distance, depuis la frontière de Hollande jusqu’à la frontière de la Suisse. L’évacuation par l’ennemi des pays du Rhin (rive gauche et rive droite) sera réglée de façon à être réalisée dans un délai de seize nouveaux jours, soit trente et un jours après la signature de l’armistice. Tous les mouvements d’évacuation ou d’occupation sont réglés par la note annexe n° 1, arrêtée au moment de la signature de l’armistice.

VI. Dans tous les territoires évacués par l’ennemi toute évacuation des habitants sera interdite ; il ne sera apporté aucun dommage ou préjudice à la personne ou à la propriété des habitants. Personne ne sera poursuivi pour délit de participation à des mesures de guerre antérieures à la signature de l’armistice. Il ne sera fait aucune destruction d’aucune sorte. Les installations militaires de toute nature seront livrées intactes ; de même les approvisionnements militaires, vivres, munitions, équipements, qui n’auront pas été emportés dans les délais d’évacuation fixés. Les dépôts de vivres de toute nature pour la population civile, bétail, etc., devront être laissés sur place. Il ne sera pris aucune mesure générale d’ordre officiel ayant pour conséquence une dépréciation des établissements industriels ou une réduction dans leur personnel.

VII. Les voies et moyens de communication de toute nature, voies ferrées, voies navigables, routes, ponts, télégraphes, téléphones, ne devront être l’objet d’aucune détérioration. Tout le personnel civil et militaire, actuellement utilisé, y sera maintenu. Il sera livré aux puissances associées : 5.000 machines montées et 150.000 wagons en bon état de roulement et pourvus de tous rechanges et agrès nécessaires, dans les délais dont le détail est fixé à l’annexe n° 2 et dont le total ne devra pas dépasser trente et un jours. Il sera également livré 5.000 camions automobiles en bon état, dans un délai de trente-six jours. Les chemins de fer d’Alsace-Lorraine, dans un délai de trente et un jours, seront livrés, dotés de tout le personnel et matériel affectés organiquement à ce réseau. En outre, le matériel nécessaire à l’exploitation dans les pays de la rive gauche du Rhin sera laissé sur place. Tous les approvisionnements en charbon et matières d’entretien, en matériel de voies, de signalisation et d’atelier seront laissés sur place. Ces approvisionnements seront entretenus par l’Allemagne, en ce qui concerne l’exploitation des voies de communication des pays de la rive gauche du Rhin. Tous les chalands enlevés aux alliés leur seront rendus. La note annexe n° 2 règle le détail de ces mesures.

VIII. Le commandement allemand sera tenu de signaler, dans un délai de quarante-huit heures après la signature de l’armistice, toutes les mines ou dispositifs de retard agencés sur les territoires évacués par les troupes allemandes, et d’en faciliter la recherche et la destruction. Il signalera également toutes les dispositions nuisibles qui auraient pu être prises (tels qu’empoisonnement ou pollution de sources et de puits, etc.). Le tout sous peine de représailles.

IX. Le droit de réquisition sera exercé par les armées des alliés et des États-Unis dans tous les territoires occupés, sauf règlement de comptes avec qui de droit. L’entretien des troupes d’occupation des pays du Rhin (non compris l’Alsace-Lorraine) sera à la charge du gouvernement allemand.

X. Rapatriement immédiat, sans réciprocité, dans des conditions de détail à régler, de tous les prisonniers de guerre, y compris les prévenus et condamnés, des alliés et des états-Unis. Les puissances alliées et les États-Unis pourront en disposer comme bon leur semblera. Cette condition annule les conventions antérieures au sujet de l’échange des prisonniers de guerre, y compris celle de juillet 1918 en cours de ratification. Toutefois, le rapatriement des prisonniers de guerre allemands, internés en Hollande et en Suisse, continuera comme précédemment. Le rapatriement des prisonniers de guerre allemands sera réglé à la conclusion des préliminaires de paix.

XI. Les malades et les blessés inévacuables, laissés sur les territoires évacués par les armées allemandes, seront soignés par du personnel allemand, qui sera laissé sur place avec le matériel nécessaire.

B) dispositions relatives aux frontières orientales de l’Allemagne.

XII. Toutes les troupes allemandes qui se trouvent actuellement dans les territoires qui faisaient partie avant la guerre de l’Autriche-Hongrie, de la Roumanie, de la Turquie, doivent rentrer immédiatement dans les frontières de l’Allemagne telles qu’elles étaient au 1er août 1914. Toutes les troupes allemandes qui se trouvent actuellement dans les territoires qui faisaient partie avant la guerre de la Russie devront également rentrer dans les frontières de l’Allemagne définies comme ci-dessus, dès que les alliés jugeront le moment venu, compte tenu de la situation intérieure de ces territoires.

XIII. Mise en train immédiate de l’évacuation par les troupes allemandes et du rappel de tous les instructeurs, prisonniers et agents civils et militaires allemands se trouvant sur les territoires de la Russie (dans les limites du 1er août 1914).

XIV. Cessation immédiate par les troupes allemandes de toutes réquisitions, saisies ou mesures coercitives en vue de se procurer des ressources à destination de l’Allemagne, en Roumanie et en Russie (dans leurs limites du 1er août 1914).

XV. Renonciation au traité de Bucarest et de Brest-Litowsk et traités complémentaires.

XVI. Les alliés auront libre accès aux territoires évacués par les allemands, sur les frontières orientales, soit par Dantzig, soit par la Vistule, afin de pouvoir ravitailler les populations, et dans le but de maintenir l’ordre.

C) dans l’Afrique orientale.

XVII. évacuation de toutes les forces allemandes opérant dans l’Afrique orientale dans un délai réglé par les alliés.

D) clauses générales.

XVIII. Rapatriement, sans réciprocité, dans le délai maximum d’un mois, dans des conditions de détail à fixer, de tous les internés civils, y compris les otages, les prévenus ou condamnés, appartenant à des puissances alliées ou associées, autres que celles énumérées à l’article 3.

E) clauses financières.

XIX. Sous réserve de toute revendication et réclamation ultérieure de la part des alliés et des États-Unis. Réparation des dommages. Pendant la durée de l’armistice, il ne sera rien distrait par l’ennemi des valeurs publiques pouvant servir aux alliés de gages pour le recouvrement des réparations de guerre. Restitution immédiate de l’encaisse de la banque nationale de Belgique, et, en général, remise immédiate de tous documents, espèces, valeurs (mobilières ou fiduciaires avec le matériel d’émission) touchant aux intérêts publics et privés dans les pays envahis. Restitution de l’or russe ou roumain pris par les allemands ou remis à eux. Cet or sera pris en charge par les alliés jusqu’à la signature de la paix.

F) clauses navales.

XX. Cessation immédiate de toute hostilité sur mer et indication précise de l’emplacement et des mouvements des bâtiments allemands. Avis donné aux neutres de la liberté concédée à la navigation des marines de guerre et de commerce des puissances alliées et associées dans toutes eaux territoriales, sans soulever des questions de neutralité.

XXI. Restitution, sans réciprocité, de tous les prisonniers de guerre des marines de guerre et de commerce des puissances alliées et associées, au pouvoir des allemands.

XXII. Livraison aux alliés et aux États-Unis de tous les sous-marins (y compris tous les croiseurs sous-marins et tous les mouilleurs de mines) actuellement existants, avec leur armement et équipement complets, dans les ports désignés par les alliés et les états-Unis. Ceux qui ne peuvent pas prendre la mer seront désarmés de personnel et de matériel et ils devront rester sous la surveillance des alliés et des états-Unis. Les sous-marins qui sont prêts pour la mer seront préparés à quitter les ports allemands aussitôt que des ordres seront reçus par T.S.F. pour leur voyage au port désigné de la livraison, et le reste le plus tôt possible. Les conditions de cet article seront réalisées dans un délai de quatorze jours après signature de l’armistice.

XXIII. Les navires de guerre de surface allemands qui seront désignés par les alliés et les Etats-Unis seront immédiatement désarmés, puis internés dans des ports neutres, ou à leur défaut dans les ports alliés désignés par les alliés et les états-Unis. Ils y demeureront sous la surveillance des alliés et des États-Unis, des détachements de garde étant seuls laissés à bord. La désignation des alliés portera sur : 6 croiseurs de bataille, 10 cuirassés d’escadre, 8 croiseurs légers (dont 2 mouilleurs de mines), 50 destroyers des types les plus récents. Tous les autres navires de guerre de surface (y compris ceux de rivière) devront être réunis et complètement désarmés dans les bases navales allemandes désignées par les alliés et les États-Unis, et y être placés sous la surveillance des alliés et des états-Unis. L’armement militaire de tous les navires de la flotte auxiliaire sera débarqué. Tous les vaisseaux désignés pour être internés seront prêts à quitter les ports allemands sept jours après la signature de l’armistice. On donnera par T.S.F. les directions pour le voyage.

XXIV. Droit pour les alliés et les États-Unis, en dehors des eaux territoriales allemandes, de draguer tous les champs de mines et de détruire les obstructions placées par l’Allemagne, dont l’emplacement devra leur être indiqué.

XXV. Libre entrée et sortie de la Baltique pour les marines de guerre et de commerce des puissances alliées et associées, assurée par l’occupation de tous les forts, ouvrages, batteries et défense de tout ordre allemands, dans toutes les passes allant du Cattégat à la Baltique, et par le dragage et la destruction de toutes mines et obstructions dans et hors les eaux territoriales allemandes, dont les plans et emplacements exacts seront fournis par l’Allemagne, qui ne pourra soulever aucune question de neutralité.

XXVI. Maintien du blocus des puissances alliées et associées, dans les conditions actuelles, les navires de commerce allemands trouvés en mer restant sujets à capture. Les alliés et les États-Unis envisagent le ravitaillement de l’Allemagne, pendant l’armistice, dans la mesure reconnue nécessaire.

XXVII. Groupement et immobilisation dans les bases allemandes désignées par les alliés et les Etats-Unis de toutes les forces aériennes.

XXVIII. Abandon par l’Allemagne, sur place et intacts, de tout le matériel de port et de navigation fluviale, de tous les navires de commerce, remorqueurs et chalands, de tous les appareils, matériel et approvisionnements d’aéronautique maritime, toutes armes, appareils, approvisionnements de toute nature, en évacuant la côte et les ports belges.

XXXIX. Évacuation de tous les ports de la mer Noire par l’Allemagne et remise aux alliés et aux États-Unis de tous les bâtiments de guerre russes saisis par les allemands dans la mer Noire ; libération de tous les navires de commerce neutres saisis ; remise de tout le matériel de guerre ou autre, saisi dans ces ports, et abandon du matériel allemand énuméré à la clause XXVII.

XXXX. Restitution, sans réciprocité, dans des ports désignés par les alliés et les États-Unis, de tous les navires de commerce appartenant aux puissances alliées et associées, actuellement au pouvoir de l’Allemagne.

XXXI. Interdiction de toute destruction des navires ou de matériel avant évacuation, livraison ou restitution.

XXXII. Le gouvernement allemand notifiera formellement à tous les gouvernements neutres, et en particulier aux gouvernements de Norvège, de Suède, du Danemark et de la Hollande, que toutes les restrictions imposées au trafic de leurs bâtiments avec les puissances alliées et associées, soit par le gouvernement allemand lui-même, soit par des entreprises allemandes privées, soit en retour de concessions définies, comme l’exportation de matériaux de constructions navales, ou non, sont immédiatement annulées.

XXXIII. Aucun transfert de navires marchands allemands de toute espèce sous un pavillon neutre quelconque ne pourra avoir lieu après la signature de l’armistice.

G) durée de l’armistice.

XXXIV. La durée de l’armistice est fixée à trente-six jours, avec faculté de prolongation. Au cours de cette durée, l’armistice peut, si les clauses ne sont pas exécutées, être dénoncé par l’une des parties contractantes qui devra en donner le préavis quarante-huit heures à l’avance. Il est entendu que l’exécution des articles 3 et 17 ne donnera lieu à dénonciation de l’armistice pour insuffisance d’exécution dans les délais voulus, que dans le cas d’une exécution mal intentionnée. Pour assurer dans les meilleures conditions l’exécution de la présente convention, le principe d’une commission d’armistice internationale permanente est admis. Cette commission fonctionnera sous la haute autorité du commandement en chef militaire et naval des armées alliées.

Le présent armistice a été signé le 11 novembre 1918 à 5 heures (cinq heures), heure française.

signé : F. Foch. R. E. Wemyss. Erzberger, A. Oberndorff. Winterfeldt. Vanselow.

À 5 h. 05, on est d’accord sur le texte définitif. Il est décidé qu’afin d’arrêter les hostilités le plus tôt possible, la dernière page de ce texte sera dactylographiée immédiatement et que les signatures y seront apposées. À 5 heures 10, les plénipotentiaires alliés et allemands y apposent leurs signatures. L’heure conventionnelle de 5 heures est adoptée comme heure de la signature. Le haut commandement allié, en raison des événements politiques survenus en Allemagne, a demandé (fin de la réponse aux observations) à ajouter à ce texte la clause suivante :

Dans le cas où les bateaux allemands ne seraient pas livrés dans les délais indiqués, les gouvernements des alliés et des États-Unis auront le droit d’occuper Héligoland pour en assurer la livraison.

Les délégués allemands déclarent ne pouvoir accepter de signer cette clause, mais accepter d’en appuyer l’adoption éventuelle auprès du gouvernement allemand. Ces transactions font l’objet d’un accord particulier. M. Erzberger demande la parole et lit la déclaration suivante, dont il remet le texte, signé des quatre plénipotentiaires allemands, au maréchal Foch : le 11 novembre 1918.

Déclaration des plénipotentiaires allemands à l’occasion de la signature de l’armistice. Le gouvernement allemand s’efforcera naturellement de veiller de toutes ses forces à l’exécution des conditions imposées.

Les plénipotentiaires soussignés reconnaissent qu’en certains points, sur leur intervention, quelque bienveillance a été montrée. Ils peuvent par conséquent considérer que les remarques qu’ils ont faites le 9 novembre à propos des conditions de l’armistice avec l’Allemagne et que la réponse qui leur a été remise le 10 novembre font partie intégrante de l’ensemble de la convention.

Mais ils ne peuvent laisser subsister aucun doute sur ce fait que, en particulier, la brièveté des délais d’évacuation, ainsi que la livraison des moyens de transport indispensables menacent de provoquer une situation qui peut les mettre dans l’impossibilité de poursuivre l’exécution des conditions, sans qu’il y ait de la faute du gouvernement et du peuple allemands.

Les plénipotentiaires soussignés considèrent de plus comme leur devoir, en se référant à leurs déclarations orales et écrites réitérées, d’insister vivement sur ce point que l’exécution de ce traité peut précipiter le peuple allemand dans l’anarchie et la famine.

D’après les discussions qui ont amené l’armistice, nous pouvions espérer des conditions qui, tout en assurant à notre adversaire pleine et entière sécurité militaire, auraient mis fin aux souffrances des non-combattants, des femmes et des enfants.

Le peuple allemand qui, pendant cinquante mois, a tenu tête à un monde d’ennemis gardera, en dépit de toute violence, sa liberté et son unité.

Un peuple de 70 millions souffre, mais ne meurt pas.

signé : Erzberger, Oberndorff, Winterfeldt, Vanselow.

Le Maréchal Foch déclare la séance terminée, et les délégués allemands se retirent. Le télégramme suivant était immédiatement envoyé sur tout le front par radio et par message téléphoné aux commandants en chef :

1. Les hostilités seront arrêtées sur tout le front à partir du 11 novembre à 11 heures, heure française.

2. Les troupes alliées ne dépasseront pas jusqu’à nouvel ordre la ligne atteinte à cette date et à cette heure. Rendre compte exactement de cette ligne.

3. Toute communication avec l’ennemi est interdite jusqu’à la réception des instructions envoyées aux commandants d’armées.

Dans le courant de la matinée, les différents documents sont remis aux plénipotentiaires allemands. Leur train quitte le garage de Rethondes à 11 heures 30 pour Tergnier, où ils retrouveront leurs automobiles. Sur leur demande, toutes facilités ont été données au capitaine allemand Geyer pour se rendre en avion au grand quartier général allemand, porteur des textes et de la carte.

Cet officier a quitté en avion le terrain d’atterrissage de Tergnier vers 12 heures 30.

Le général de division major général des armées alliées :

signé : Weygand.

Le 11 novembre à 11 heures, le feu était arrêté sur tout le front des armées alliées. Un silence impressionnant succédait à cinquante-trois semaines de bataille. Les peuples pouvaient entrevoir le rétablissement de la paix dans le monde. Le lendemain, j’adressais un ordre du jour de félicitations aux armées alliées :

Officiers, sous-officiers, soldats des armées alliées.

Après avoir résolument arrêté l’ennemi, vous l’avez pendant des mois, avec une foi et une énergie inlassables, attaqué sans répit. Vous avez gagné la plus grande bataille de l’histoire et sauvé la cause la plus sacrée : la liberté du monde. Soyez fiers ! d’une gloire immortelle vous avez paré vos drapeaux. La postérité vous garde sa reconnaissance.

le maréchal de France, commandant en chef les armées alliées :

F. Foch.