Pendant que l’armée américaine préparait et livrait en Woëvre une action d’une utilité incontestable pour le développement futur des opérations, l’avance des armées franco-britanniques se poursuivait entre l’Aisne et la Scarpe. Ébranlé par l’enfoncement de la ligne Drocourt-Quéant, chassé de la vallée de la Somme par la perte de Péronne, talonné sur les plateaux au nord de Soissons, l’ennemi, nous l’avons vu, avait été contraint de se replier vers la position Hindenburg. Cette retraite, commencée le 2 septembre, se prolongeait jusqu’au 9 et amenait les alliés sur la ligne générale Arleux-Marquion-Vermand-Tergnier-Vailly. Sur ce vaste front ils avaient avancé de vingt à cinquante kilomètres en un mois. Ils avaient maintenant à aborder le redoutable système défensif que l’adversaire avait érigé, au cours de l’hiver de 1916-1917, sur le front Cambrai-Saint-Quentin-La Fère-Saint-Gobain. Ce système était lui-même prolongé au nord et au sud par les positions sans cesse renforcées devant lesquelles nous avions été arrêtés à la fin de 1914. Pour chasser l’ennemi de cet ensemble fortifié, pour briser cet obstacle, il était nécessaire de l’attaquer en poursuivant et soutenant les attaques de nos armées déjà victorieuses. Mais le procédé pouvait ne pas être suffisant, car, si nous nous bornions à cet effort, nous risquions de rencontrer toutes les réserves de l’ennemi accumulées sur les directions d’attaques de ces armées, et capables avec l’aide de la fortification de briser leurs efforts. Il nous fallait donc au plus tôt (toujours pour exploiter la désorganisation ennemie) lancer de nouveaux coups sur de nouvelles directions, joindre aux attaques déjà en cours, et qui restaient à maintenir, de nouvelles attaques capables d’absorber une partie de l’activité ennemie, et, par leurs directions convergentes, de faire concorder leurs effets avec ceux des entreprises déjà réussies par nos armées victorieuses. Il nous fallait, au total, étendre le front de notre offensive, maintenue toutefois dans la même orientation générale. Cela allait être la tâche de l’armée américaine à droite, de l’armée belge à gauche. Aussi après avoir réglé, comme on l’a vu, le 2 septembre le développement de l’opération à objectif limité de Saint-Mihiel, nous envoyions, dès le 3 septembre, aux commandants en chef britannique, français et américain, une directive qui lançait la masse de leurs armées vers la ligne Cambrai, Saint-Quentin, Mézières, où elle atteignait la principale ligne de rocade allemande et qui comportait l’entrée en scène d’une nouvelle et forte attaque américaine à l’ouest de la Meuse : Actuellement, l’offensive alliée se développe avec succès de la Scarpe à l’Aisne, forçant l’ennemi à reculer sur tout ce front. Pour développer et accroître cette offensive, toutes les forces alliées s’engagent dans la bataille, suivant des directions convergentes et par les parties favorables du front. dans ce but, tandis que : 1. Les armées britanniques, appuyées par la gauche des armées françaises, continuent d’attaquer en direction générale de Cambrai-Saint-Quentin, 2. Le centre des armées françaises continue ses actions pour rejeter l’ennemi au delà de l’Aisne et de l’Ailette, 3. L’armée américaine exécutera les opérations suivantes : a) l’offensive prévue en Woëvre, réduite à l’obtention de la ligne Vigneulles, Thiaucourt, Régnéville, suffisante pour assurer les résultats visés : dégagement de la voie ferrée Paris-Avricourt et base de départ satisfaisante pour des opérations ultérieures. Cette attaque est à déclencher le plus tôt possible afin de ne laisser aucun répit à l’ennemi, au plus tard le 10 septembre. b) un offensive en direction générale de Mézières, aussi forte et violente que possible, couverte à l’est par la Meuse et appuyée à gauche par une attaque de la 4e armée française. Cette dernière offensive est à monter avec la plus grande rapidité, pour être déclenchée au plus tard du 20 au 25 septembre. Elle visera tout d’abord, par des actions menées de part et d’autre de l’Argonne, à rejeter l’ennemi sur la ligne Stenay, Le Chesne, Attigny, puis à gagner la région de Mézières, tout en manoeuvrant par l’est pour vaincre la résistance de l’Aisne. Ses étapes successives sont marquées par les lignes : Dun, Grandpré, Challerange, Somme-Py. Stenay, Le Chesne, Attigny. Mais, tout en traçant ces grandes lignes, je n’en sollicitais pas moins une action vigoureuse et directe des armées britanniques contre la ligne Hindenburg. C’est ainsi que j’écrivais le 8 septembre à sir Douglas d’entreprendre dès maintenant la préparation de l’offensive visant à s’emparer de cette ligne et à pousser au delà vers des objectifs indiqués (Valenciennes, Solesmes, Le Cateau, Wassigny). Il y a intérêt, pour y trouver l’ennemi le moins organisé possible, à déclencher cette offensive sans retard. Et en vue d’agrandir jusqu’aux limites possibles le champ des opérations, le lendemain 9 septembre j’étais rendu à la Panne, résidence de s. M. Le roi des belges. Nous constations avec le souverain que l’ébranlement et l’usure de l’ennemi, comme aussi la concentration de ses forces en France créaient une situation exceptionnellement favorable pour le battre en Belgique et reconquérir la province au nord de la Lys. Nous examinions qu’elles pourraient être les grandes lignes de l’action à entreprendre dans ce but par l’armée belge avec le concours des armées britanniques et françaises. Le roi Albert étant pleinement entré dans ces vues et ayant donné son adhésion de principe à l’exécution entrevue, je me rendais à Cassel. Là, dans une conférence avec le maréchal Haig, le général Plumer et le lieutenant général Gillain, j’exposais, en entrant dans plus de détails, le projet ci-dessus, et nous arrêtions le plan des opérations qui devait y répondre. Il s’agissait en somme de se ménager tout d’abord une base de départ par l’enlèvement de la ligne : crête de Clercken, forêt d’Houthulst, crête de Passchendaële, hauteurs de Gheluvelt, Zandworde, canal de Comines, pour de là marcher résolument en direction de Bruges d’une part, de manière à libérer la côte belge, et en direction de Thielt et Gand d’autre part. La première opération exigerait neuf divisions belges et deux divisions britanniques. à la deuxième prendraient part l’ensemble de l’armée belge, la 2e armée britannique, trois divisions d’infanterie et trois divisions de cavalerie françaises. À l’issue de la réunion, je remettais aux intéressés une note écrite fixant les dispositions arrêtées. Le général Pétain était, bien entendu, tenu au courant de ces projets, comme aussi de mon intention de faire, le cas échéant, appel au général Degoutte pour leur mise à exécution. Le roi des belges étant venu à Bombon dans la matinée du 11 septembre, je le priais de prendre, avec le commandement de l’armée belge, celui des forces françaises et britanniques réunies pour ces opérations. Il acquiesçait à cette demande et sollicitait lui-même qu’un ordre de service lui fût rédigé dans ce but. Sa majesté ayant demandé en outre qu’un général français fût mis à sa disposition, le général Degoutte était définitivement désigné, et il prenait immédiatement ses fonctions de chef d’état-major de l’armée alliée des Flandres aux ordres de s. M. Le roi Albert. Notification de ces décisions était faite au lieutenant général Gillain, au maréchal Haig et au général Pétain. En même temps je demandais de veiller à ce que le secret le plus absolu fût observé par tous. Le maréchal Haig était bien entré dans mes vues, car, à ma lettre du 8 septembre, il répondait le 14 que son intention était de déclencher à brève échéance une attaque en règle entre Vermand et Gouzeaucourt, de manière à s’emparer des défenses ennemies à l’ouest du canal de Saint-Quentin et de l’Escaut, et à amener ainsi la 4e armée britannique à portée d’assaut de la position Hindenburg. Pour seconder cette action, je prescrivais au général Debeney d’appuyer avec sa gauche la droite de la 4e armée britannique, ce qui, au demeurant, devait constituer sa mission essentielle et permanente : dans la période à venir, la gauche de la 1ere armée française doit constamment appuyer la droite de la 4e armée britannique et lui rester étroitement liée… C’est ainsi que, le 18 septembre, la 4e armée britannique, soutenue par la gauche de la 1ere armée française et la droite de la 3e armée britannique, attaquait avec succès entre Holnon, Fresnoy-Le-Petit, Hargicourt, Lempire, Gouzeaucourt. Tous ses objectifs étaient atteints. Plus de 10.000 prisonniers et 150 canons restaient entre ses mains, et par-dessus tout le résultat cherché était obtenu. Elle se trouvait maintenant à distance d’attaque de la position Hindenburg, résultat d’autant plus important que l’intention du maréchal Haig était précisément de porter son effort principal contre cette position dans l’intervalle compris entre Saint-Quentin et Cambrai. On se préparait immédiatement à cet effort. Le 22 septembre, sir Douglas donnait ses ordres pour l’attaque générale de la position à ses 1ere, 3e et 4e armées, et s’il taisait encore à ses subordonnés la date du commencement de l’action, il la fixait dans son esprit aux environs du 25. De son côté, le général Pétain était mis au courant des intentions du haut commandement britannique, et invité à renforcer sans aucun retard la 1ere armée française en artillerie notamment. Il lui était prescrit, dans ce but, de prélever largement les moyens nécessaires sur le centre du groupe d’armées de réserve où aucune action d’importance n’était à envisager pour le moment. Il était facile au général Pétain de déférer à cette demande, car le front du groupe d’armées de réserve, en raison des avances opérées depuis deux mois, s’était raccourci considérablement, à telle enseigne que, dans la première quinzaine de septembre, deux de ses armées, les 6e et 3e, avaient pu être mises en réserve. Pendant que s’opérait la concentration des forces alliées destinées à faire brèche dans la forteresse allemande, et pour les dissimuler autant que possible en détournant l’attention ennemie de l’orage qui se préparait à notre gauche, j’effectuais, du 19 au 22 septembre, une tournée d’inspection sur le front de Lorraine et des Vosges. Je passais successivement à Chaumont, à Saint-Mihiel, à Nancy, à Lure, à Massevaux et à Belfort, reconnaissant les positions avancées et prescrivant d’établir aussitôt des projets d’attaques importantes dans ces régions, ainsi que l’exécution des mouvements préparatoires à ces attaques. Puis, revenu à mon quartier général de Bombon, et après une entente avec les commandants en chef, j’arrêtais définitivement les conditions de temps dans lesquelles allait se produire l’offensive générale de la Meuse à la mer du Nord : le 26 septembre, attaque franco-américaine entre Suippe et Meuse. le 27, attaque des 1ere et 3e armées britanniques, en direction générale de Cambrai. le 28, attaque du groupe d’armées des Flandres, entre la mer et la Lys, sous le commandement du roi des belges. le 29, attaque de la 4e armée britannique, appuyée par la 1ere armée française, en direction de Busigny. Offensive franco-américaine entre Suippe et Meuse (26 septembre – Octobre 1918). Le plan de cette offensive comportait : 1. Une opération b, menée entre Meuse et Argonne, par la 1ere armée américaine, en direction générale de Buzancy-Stonne ; 2. Une opération c, menée entre Aisne et Suippe, par la 4e armée française, suivant l’axe général de la route Châlons-Mézières. Un détachement mixte franco-américain opérerait sur la rive droite de l’Aisne, assurant la liaison entre les deux opérations. D’autre part, le général Pétain avait décidé de prolonger vers l’ouest le front d’attaque du groupe d’armées du centre par une opération d, à exécuter par la 5e armée, pour faire tomber la position des forts de Reims et des monts de Champagne, en combinaison avec l’exploitation latérale des premiers succès de la 4e armée. Les opérations b et c étant fixées au 26 septembre, l’opération « d » devait être tenue prête pour le 28, midi. Enfin, pour mettre à profit le succès éventuel de cette dernière et déloger l’ennemi du Chemin-Des-Dames, où il pourrait être amené à se rétablir, la 10e armée avait reçu l’ordre de préparer une action de son aile droite en direction de Chavignon et de la Malmaison. La manoeuvre franco-américaine était ainsi montée de manière à pouvoir être, au gré des événements, étendue de la Meuse jusqu’à l’Ailette. Ces ordres parfaitement établis me donnaient satisfaction, sauf en ce qui concernait la limitation imposée à l’avance de chaque armée dans le but de mieux assurer la liaison entre les deux armées, mais aussi au risque d’empêcher à priori une exploitation favorable qui pouvait se présenter et de briser un élan qu’il fallait à tout prix et par-dessus tout maintenir intact. De là ma note du 25 septembre : La nature et l’importance de l’opération entreprise le 26 exige que l’on profite sans aucun retard de tous les avantages acquis ; que la rupture de la ligne de résistance soit exploitée sans désemparer aussi profondément que possible, pour cela que tout temps d’arrêt soit évité. En particulier, la marche de l’armée américaine entre la Meuse et la 4e armée française, comme aussi les effectifs de cette armée lui évitent tout risque ; il faut donc que, sans indication nouvelle, sur l’initiative de son chef, elle pousse sa marche en avant aussi loin que possible. L’armée américaine doit donc se préoccuper avant tout de pousser aussi loin et aussi vite que possible ses avantages en direction de Buzancy. La 4e armée française, par une avance exécutée vers l’Aisne de Rethel, dans les mêmes conditions de rapidité, de décision, d’initiative, couvrira l’armée américaine. Elle doit, en tout cas, rechercher à poursuivre la liaison avec elle, mais à aucun prix elle ne doit ralentir le mouvement de cette armée qui reste décisif. Par suite, il ne saurait être question de fixer pour ces deux armées des fronts à ne pas dépasser, sans nouvel ordre, une telle indication restrictive étant de nature à les empêcher d’exploiter à fond les circonstances favorables et à briser l’élan qui doit être maintenu avant tout. Dans les circonstances actuelles, il s’agit de développer avant tout la puissance de choc des armées alliées. Le maréchal commandant en chef les armées alliées compte sur l’esprit de décision et d’initiative de chacune de ces armées. Le général commandant en chef les armées du nord et du nord-est voudra bien y faire le plus large appel. Cette note était suivie d’une seconde, datée du 27, sur les principes qui devaient inspirer les décisions du commandement à chaque échelon dans les circonstances présentes : Au point où en sont arrivées nos affaires, la surprise et les attaques étendues que nous lançons sur l’ennemi le mettent dans l’obligation de parer au plus pressé pour soutenir ses troupes d’occupation et lui interdisent soit d’amener ensemble des troupes en bonne forme, capables de mener une action ordonnée, soit de réunir des forces d’artillerie et d’infanterie sur une position de défense d’une certaine étendue organisée à l’avance, l’empêchant au total de monter une bataille, même défensive, importante. Par suite, si nous ne donnons pas à l’ennemi le temps de se reprendre, nous ne rencontrerons partout que la désorganisation, un mélange d’unités, ou, tout au moins, de l’improvisation dans l’emploi des moyens. De nombreuses mitrailleuses peuvent sans doute jalonner ou couvrir la retraite de l’ennemi. Elles ne suffisent pas à monter un système solide, et la manoeuvre des petites unités en particulier permet en tout cas d’y répondre. Dans ces conditions, l’attaque doit chercher sans désemparer à produire des effets de rupture, en organisant pour cela des groupes d’attaque (infanterie, artillerie), destinés à marcher sur des objectifs dont la possession lui garantira l’ébranlement du front ennemi. Il y a donc lieu : Dans les corps d’armée, de déterminer et d’indiquer les objectifs éloignés et capitaux. dans les divisions, de choisir des objectifs intermédiaires. Et, pour les petites unités (régiments, bataillons), de manoeuvrer avec précision et rapidité les points sur lesquels des mitrailleuses, en particulier, les arrêtent partiellement. la bataille est dorénavant faite de la décision des commandants de corps d’armée, de l’initiative et de l’énergie des commandants de division. Une fois de plus l’activité du commandement, comme aussi l’endurance de la troupe, qui ne manque jamais à condition qu’on y fasse appel, font la loi de la bataille. Entamée le 26 septembre, à 5 h. 30 par la 1ere armée américaine, à 5 h. 25 par la 4e armée française, après une violente préparation d’artillerie, l’offensive alliée, opérations b et c, obtenait tout d’abord des résultats sensibles entre la Meuse et la Suippe. Sur tout le front d’attaque, la première position ennemie était enlevée et en plusieurs points dépassée ; la progression de nos troupes atteignait en moyenne trois à quatre kilomètres. Pour suivre de plus près le développement des opérations, je m’étais installé, dans l’après-midi du 26, en poste de commandement au château de Trois-Fontaines (nord de Saint-Dizier). J’y restais le 27, et me rendais successivement auprès du général Pétain, établi provisoirement à Nettancourt, et au quartier général du général Gouraud, à Châlons-Sainte-Memmie. Dans les journées des 27 et 28, la résistance adverse devenait à la fois plus solide et plus active. La 4e armée se heurtait bientôt à des défenses établies par les allemands dans la vallée de la Py, tandis que la 1ere armée américaine, gênée par les flanquements de l’Argonne, se trouvait immobilisée à hauteur d’Apremont. Le 29 septembre, cependant, la 4e armée française, concentrant ses efforts au centre, réussissait à déborder la ligne de la Py et à rejeter l’ennemi sur une deuxième position établie entre Somme-Py et Monthois. Mais, de son côté, la 1ere armée américaine, entassée dans l’étroit couloir entre la Meuse et l’Argonne, rencontrant devant elle une résistance d’autant plus forte qu’elle était favorisée par la nature d’un terrain difficile et coupé, entravée dans sa progression à la fois par les flanquements de l’Argonne et par ceux de la rive est de la Meuse, continuait à piétiner. Elle pensa venir à bout de ses difficultés en augmentant ses forces de première ligne ; elle ne fit que les accroître et ce fut bientôt l’embouteillage complet de ses arrières et de ses communications. Pour remédier à cette situation, je décidais, d’accord avec le général Pétain, de retirer un certain nombre de divisions du secteur d’attaque américain et de les employer, d’une part à l’est de la Meuse, d’autre part à l’ouest de l’Argonne. Pour éviter toute perte de temps, elles seraient placées dans le cadre des corps d’armée français actuellement en place. Le général Pershing prendrait alors sous ses ordres les forces franco-américaines agissant sur les deux rives de la Meuse, tandis qu’un nouveau commandant d’armée français (2e armée) prendrait le commandement des forces alliées opérant de part et d’autre de l’Argonne. Le général Weygand fut chargé de communiquer ces dispositions au général Pershing, qui les accueillit dans l’ensemble, mais se refusa à admettre l’introduction d’une nouvelle armée française dans la région de l’Argonne. Pour lui donner satisfaction, j’acceptais de maintenir l’organisation actuelle du commandement, à condition que les attaques américaines repartissent sans tarder, et qu’une fois parties, elles fussent continuées sans arrêt… pendant que la 1ere armée américaine remettait de l’ordre dans ses unités avant de reprendre les opérations en direction de Mézières, la 4e armée française coopérait, par son centre et sa gauche, aux attaques de la 5e armée visant à faire tomber les monts de Champagne et le massif de Reims (opération d). Le 30 septembre, la 5e armée attaquait par surprise entre la Vesle et l’Aisne, et, malgré une forte résistance de l’ennemi, elle rejetait les allemands. Poursuivant son offensive le 1er octobre, elle obtenait des résultats encore plus importants que la veille en obligeant l’adversaire à repasser sur la rive est du canal de l’Aisne à la Marne, de Berry-Au-Bac à la Neuvillette, et à abandonner entre ses mains 2500 prisonniers et une trentaine de canons. En même temps la 4e armée, avec le concours de la 2e division américaine, attaquait et enlevait la forte position allemande établie sur les hauteurs sud d’Orfeuil, s’emparait de points d’appui solides comme ceux de Notre-Dame-Des-Champs et du Blanc-Mont, et capturait plus de 18000 prisonniers et 200 canons (1er et 3 octobre). Ce double succès ne tardait pas à porter ses fruits. Dans les journées des 5, 6 et 7 octobre, les allemands opéraient un large mouvement de repli au nord-est de Reims pour aller s’établir derrière la Suippe et la ligne de l’Arnes. Cependant, le 4 octobre, la 1ere armée américaine repartait à l’attaque. Sa gauche et son centre, s’élevant le long de l’Argonne, atteignaient Apremont, Exermont, Gesnes. Sa droite, gênée par les flanquements établis sur les hauteurs à l’est de la Meuse, ne gagnait que peu de terrain. Il était de toute nécessité de supprimer ces flanquements par la possession de la falaise de Dun-Sur-Meuse à Damvillers. Du 8 au 10 octobre, le 17e corps français, aidé de deux divisions américaines (33e et 39 e), entamait les opérations sur la rive droite de la Meuse et venait s’établir, après de durs combats, sur la ligne Sivry-Sur-Meuse, Beaumont. Quelque appréciables qu’aient été les résultats obtenus par l’offensive franco-américaine, ils apparaissaient cependant comme étant inférieurs à ceux qu’il était permis d’escompter sur un adversaire saisi de toute part et qui ne résiste, sur certains points, qu’avec des éléments usés, hétérogènes et réunis à la hâte, et dans une région où toutes les organisations ennemies ont déjà été enlevées. Faute d’être suffisamment conduite, la bataille engagée présentait un certain décousu. Le commandement, trop distant de l’action, ne semblait pas la mener lui-même avec la dernière énergie, en assurant l’exécution de ses combinaisons. Aussi était-il demandé au général Pétain de donner des instructions au haut commandement (groupes d’armées et armées) en vue d’assurer, dans la phase actuelle de la guerre de mouvement, une conduite personnelle et agissante sur le terrain, à des jours déterminés, de la bataille. Animer, entraîner, veiller, surveiller, reste avant tout sa première tâche. Le général Pétain en donnant ces instructions précisait de nouveau les buts à atteindre : à la 4e armée, marcher droit à l’Aisne, en direction de Rethel. À la 5e armée, pousser en direction de Neufchâtel, Soissons, en vue de favoriser le mouvement de la 10e armée sur Laon. Ainsi orientées, les attaques d’ensemble repartaient le 8 octobre. Tandis que la 1ere armée américaine, dégageant l’Argonne, atteignait les débouchés sud de Grandpré et s’emparait des hauteurs de Romagne et de Cunel, la 4e armée française, attaquant en force en direction de Cauroy-Machault, prenait pied sur la rive nord de l’Arnes et sur les hauteurs de Monthois. à sa gauche, la 5e armée enlevait de haute lutte le passage de la Suippe entre Aguilcourt et Saint-étienne, cependant qu’au nord de l’Aisne la 10e armée, s’ébranlant à son tour, forçait la ligne de l’Ailette et gagnait les hauteurs de Cerny-En-Laonnois et de Jumigny. Ces avances menaçantes portaient un coup sensible à l’adversaire. Dans les journées des 11, 12 et 13 octobre, il se voyait contraint d’exécuter un large mouvement de retraite sur tout le front compris entre l’Aisne de Vouziers et l’Oise de la Fère, et de se replier sur la forte position (Hunding Stellung et Brunehild Stellung) établie sur la ligne générale La Fère, Crécy-Sur-Serre, Sissonne, Château-Porcien et la vallée de l’Aisne en aval de Grandpré. Le 15 octobre, les armées franco-américaines étaient au contact de cette position et prenaient immédiatement les dispositions nécessaires pour lui donner l’assaut. offensive franco-britannique contre le front Cambrai-Saint-Quentin. Le 27 septembre, les 1ere et 3e armées britanniques (généraux Horne et Byng) se portaient en avant en direction de Cambrai, et attaquaient au point du jour les positions allemandes entre la Sensée et Villers-Guislain. Ayant franchi le canal du Nord, elles s’emparaient dans un élan magnifique des points d’appui célèbres de Marquion, Bois-Bourlon, Flesquières, et s’avançaient de six kilomètres dans les lignes adverses, capturant plus de 8.000 prisonniers et de 100 pièces d’artillerie. Le 28, elles poursuivaient leur avance, enlevaient Fontaine-Notre-Dame et Marcoing, franchissaient l’Escaut au nord de cette dernière localité, et, le lendemain 29, elles atteignaient les portes mêmes de Cambrai. Toute la position Hindenburg dans leur secteur d’attaque était entre leurs mains. À ce brillant succès, la 4e armée britannique (général Rawlinson) répondait plus au sud par un égal succès. Le 29 septembre, elle attaquait à son tour la position Hindenburg entre Vendhuille et Holnon, en enlevait les premières lignes et, marchant résolument sur Bohain, franchissait le canal de Saint-Quentin entre Ballicourt et Lahaucourt. À sa droite, la 1ere armée française (général Debeney) attaquait au sud de Saint-Quentin et s’emparait dans de durs combats du point d’appui de Cérizy. L’offensive franco-britannique se poursuivait avec acharnement dans les journées suivantes. Le 3 octobre, tandis que les armées britanniques, bordant l’Escaut en amont de Masnières, atteignaient les lisières du Catelet et la ligne des hauteurs à l’est du canal de Saint-Quentin, la 1ere armée française, ayant étendu son front d’attaque au nord de Saint-Quentin, franchissait le canal aux environs du Tronquoy, débordait Saint-Quentin par le nord et par le sud, et réoccupait la ville. Il ne restait plus à enlever de ce côté que les derniers réduits de la position Hindenburg. Le 5 octobre, on en donnait l’assaut. La 4e armée britannique, franchissant l’Escaut entre Crève-Coeur et le Catelet, s’emparait du plateau de Beaurevoir-Montbréhain, et par ce succès achevait dans son secteur d’attaque la conquête de la fameuse position. Par contre, à sa droite, la 1ere armée française, maintenue dans sa mission essentielle d’appuyer à tout prix la droite de l’armée britannique se heurtait à une résistance des plus énergiques à l’est et au nord-est de Saint-Quentin. Renouvelant ses attaques dans les journées suivantes, elle s’emparait de Lesdin (6 octobre) et progressait sur Fontaine-Uterte. Le 8, elle enlevait cette dernière localité et débordait les défenses allemandes établies au nord-est de Saint-Quentin. Elle allait bientôt, secondée par les progrès de la 4e armée britannique, récolter le fruit de sa ténacité. Le jour même où la position Hindenburg était tombée entièrement entre les mains de ses armées, le maréchal Haig avait donné des ordres pour que l’exploitation du succès suivît sans retard et que, grâce à la rapidité du mouvement, le temps ne fût pas laissé à l’ennemi de se rétablir solidement sur sa deuxième ligne de repli, la Hunding Stellung, qui, au sud de Cambrai, était plus rapprochée que partout ailleurs de la position Hindenburg. Il avait en conséquence prescrit à ses 3e et 4e armées, toujours couvertes à droite par la 1ere armée française, d’exécuter le 8 octobre une attaque générale en direction de Bohain-Busigny, et de s’emparer des hauteurs au sud de Cambrai. Ce résultat atteint, la 1ere armée britannique tenterait le forcement de l’Escaut, au nord de cette ville, dans la région de Ramillies. En exécution de ces ordres, l’attaque des 3e et 4e armées anglaises s’effectuait le 8 octobre avec plein succès entre Cambrai et Sequéhart ; d’un seul élan elle enlevait la Hunding Stellung sur tout le front visé. L’armée Debeney, en s’emparant comme nous l’avons vu plus haut du plateau de Fontaine-Uterte, avait prolongé et appuyé efficacement l’action britannique. Le 9 octobre, la 1ere armée anglaise forçait à son tour les passages de l’Escaut à Ramillies et au sud. Ce succès, s’ajoutant à ceux des jours précédents, portait un coup profond aux allemands et les obligeait à effectuer un large mouvement de retraite entre la Sensée et l’Oise. Serrant de près l’ennemi, les avant-gardes alliées venaient, le 12 octobre, border la rive gauche de la Selle entre Haspres et le Cateau, la lisière ouest de la forêt d’Andigny, et la rive nord de l’Oise en aval de Bernot. Elles arrivaient ainsi, à leur gauche, au contact d’une troisième position de repli ennemie établie sur la ligne générale Bouchain, la Capelle, le Cateau, Hirson, Mézières, et, à leur droite, devant la portion de la Hunding Stellung qui bordait la rive occidentale de l’Oise entre Mont d’Origny et le confluent de la Serre. Offensive du groupe d’armées des Flandres au nord de la Lys. La constitution du groupe d’armées des Flandres (g. A. F.), arrêtée le 11 septembre comme nous l’avons vu, s’était poursuivie avec la plus grande rapidité. Le temps nous pressait absolument, car dans le pays bas des Flandres dévasté par la guerre, si la mauvaise saison nous trouvait encore réduits à de simples préparatifs, il devenait pour ainsi dire impossible de retirer l’armée belge du terrain qu’elle occupait ou qu’elle avait consolidé sur la rive gauche de l’Yser, pour la jeter, à travers les rives toujours basses de cette rivière transformées en bourbiers, sur la rive droite que quatre ans de bataille et de bombardements avaient changée en un marais presque continu et que le mauvais temps eût rendue absolument impraticable. Après avoir assuré au groupe d’armées des Flandres une direction, s. M. Le roi des belges assisté du général Degoutte avec son état-major, il avait fallu lui donner les forces nécessaires pour exécuter la mission qui lui incombait dans le plan général de l’offensive alliée. Outre l’armée belge, ces forces comprenaient la 2e armée britannique (général Plumer), le 2e corps de cavalerie et deux corps d’armée français (7e et 34 e). Pour les doter du matériel nécessaire de combat, de transport et de transmission, il avait été fait appel à l’armée anglaise, à l’armée française et même au gouvernement militaire de Paris. La marine britannique assurait de son côté la coopération de jour et de nuit d’un groupe d’aviation. J’avais insisté pour que tous les moyens mis ainsi à la disposition du roi des belges fussent employés dès le début, afin d’obtenir d’emblée les résultats les plus étendus. J’avais dans ce but demandé au maréchal Haig d’agir auprès du général Plumer, et, afin d’éviter toute fausse interprétation, de spécifier que la 2e armée britannique serait tout entière, dès le premier jour, à la disposition de son chef. Ses attaques poussées au nord-est du canal de Comines viseraient à atteindre le plus tôt possible Zandworde et les hauteurs de Kruisecke. C’est dans ces conditions qu’après une attaque d’artillerie de trois heures, l’offensive du groupe d’armée des Flandres s’engageait, le 28 septembre à 5 h. 30, dans l’intervalle compris entre Dixmude et la Lys. Elle obtenait de suite un grand succès, en enlevant complètement la première position allemande et en entamant fortement la seconde. Le lendemain matin, j’étais dans les Flandres. Je voyais successivement le général Plumer à Cassel, le roi Albert à La Panne, le lieutenant-général Gillain à Houthem. Je les sollicitais de pousser rapidement sur Roulers et Thourout. L’ardeur, du reste, ne faisait pas défaut. Le 29, Dixmude était réoccupé, toute la crête de Passchendaële et la forte position de Messines-Wytschaete tombaient au pouvoir des alliés. En deux jours, près de 10000 prisonniers et 200 canons avaient été capturés à l’ennemi. Le mouvement en avant se poursuivait le 30, mais, gênée par le mauvais temps, la progression devenait plus lente. La 2e armée britannique néanmoins approchait de Menin et bordait la rive gauche de la Lys de Warneton à Werwicq. Les 1er et 2 octobre, après quelques progrès sans importance, on décidait de s’arrêter, pour monter une nouvelle et puissante attaque avec des communications rétablies en arrière. Ici se révélaient les difficultés de la nature du terrain. Les troupes s’étaient bien avancées sur ce sol qui ne présentait que trous d’obus plus ou moins jointifs et remplis d’eau. Elles avaient gagné le terrain ferme, mais, en arrière, en beaucoup d’endroits, les communications étaient coupées sur la rive droite de l’Yser, et l’impossibilité se montrait de les réparer à l’aide de terre empruntée aux terrains avoisinants ; ils n’étaient qu’un marais. Le ravitaillement des troupes à la bataille, soit en vivres soit en munitions, devenait impossible dans certaines zones. Nous étions réduits à transporter tout d’abord par avion des milliers de rations de vivres. Pour faire marcher les convois, il fallait avant tout effectuer une réparation complète des communications. Elle exigeait en certains passages la construction de kilomètres de route en madriers jointifs sur pilotis. Cependant les résultats de notre incontestable succès des Flandres se faisaient déjà sentir. Menacés à la fois par l’avance du groupe d’armées des Flandres au nord de la Lys et par l’avance simultanée des armées anglaises au sud de la Sensée, les allemands entamaient un nouveau mouvement de retraite devant la 5e armée anglaise (général Birwood) qui opérait à la droite de la 2e armée britannique et se trouvait en liaison avec la 1ere. Le 2 octobre, La Bassée et Lens étaient réoccupées ; le 3, Armentières. Le 4, les avant-gardes du général Birdwood atteignaient la voie ferrée d’Armentières à Lens et le canal de la Haute-Deule, où elles se reliaient aux avant-gardes du général Horne dont la gauche avançait également derrière l’ennemi en retraite. L’ébranlement produit dans la situation allemande par nos coups victorieux depuis le 18 juillet avait, en s’étendant jusque dans les Flandres, interdit à l’ennemi tout rétablissement de sa résistance, et cette condition favorable à nos armées devait se maintenir et même s’accentuer, à la condition que nous l’exploitions sans retard et que nous ne laissions pas à l’ennemi le temps de se reprendre. Ceci paraissait d’autant plus certain que, d’après les renseignements reçus, les allemands ne pouvaient disposer au delà de Douai, en Belgique, d’aucune ligne de repli solide. Aussi pressions-nous le groupe d’armées des Flandres de hâter le plus possible la reprise de ses attaques par la remise en état de ses communications, dans nos lettres des 6 et 9 octobre : La défaite que vient de subir l’ennemi sur le front anglais, disait la dernière, comme aussi le développement de nos attaques sur le front franco-américain, créent actuellement une situation exceptionnellement avantageuse pour la continuation de l’offensive en Belgique. Cette situation apporte un intérêt particulier à hâter votre attaque et augmente par suite la nécessité de pousser vos préparatifs dans toute la mesure du possible... Néanmoins, malgré la bonne volonté de tous, le groupe d’armées des Flandres ne put être prêt à attaquer de nouveau avant le 14 octobre. Mais, à cette date, avec ses troupes parvenues dans des régions que la guerre n’avait pas dévastées, avec ses communications désormais assurées à travers la zone démolie par quatre ans de lutte, il pouvait reprendre la bataille, et, s’il était aidé de puissants moyens, pousser son attaque, quelle que fût la saison, jusqu’à la réduction totale de la résistance ennemie. |