HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

DEUXIÈME PARTIE. — PROBLÈMES POLITIQUES ET RELIGIEUX DE 962 À 1025

 

CHAPITRE VII. — LES ORIGINES DU CONFLIT ENTRE LES ROYAUMES CAPÉTIEN ET ANGLO-NORMAND.

 

 

I — Les premières escarmouches (1067-1100)[1].

 

CONSÉQUENCES DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS. — La conquête de l'Angle, terre par les Normands a provoqué dans l'Europe occidentale — on l'a déjà noté, — une rupture d'équilibre. La réunion sous un même sceptre des deux États qui se faisaient face de part et d'autre de la Manche, créait, en faveur de Guillaume le Conquérant, une puissance dont ses voisins continentaux pouvaient redouter les effets. Plus qu'aucun autre, le roi capétien, dont l'autorité, au milieu du XIe siècle, apparaissait si limitée et si fragile[2], se trouvait menacé : la frontière de l'Epte, qui le séparait du duché de Normandie, ne risquait-elle pas d'être débordée à brève échéance ?

L'événement n'eut pas cependant, pour le regnum Francorum, de conséquences immédiates. Sans doute Guillaume, dont les ambitions s'accroissaient chaque jour, était-il tenté d'utiliser la force nouvelle dont il disposait pour réaliser ses projets sur le Vexin, sur le Maine, sur la Bretagne, mais la réorganisation de l'Angleterre, contrariée par une opposition ardente et prolongée, le retint plus longtemps qu'il ne l'avait pensé et le Capétien sut mettre à profit le temps de répit qui lui était par là même accordé.

LA POLITIQUE CAPÉTIENNE. — Le régent Baudouin V de Flandre, qui gouvernait le regnum Francorum depuis la mort de Henri Ier (1060), s'était lui-même éteint en 1067, au lendemain de la conquête de l'Angleterre par les Normands. Tandis que son fils, Baudouin VI, lui succédait en Flandre, le fils de Henri Ier, Philippe Ier, alors âgé de quinze ans et parvenu à sa majorité[3], assura désormais par lui-même la direction des affaires du royaume et, autant que l'on en peut juger, il aperçut assez vite quelle devait être l'orientation de la politique capétienne après l'événement de 1066.

Philippe Ier ne pouvait songer à lutter seul contre Guillaume le Conquérant. Pour parer à une attaque possible, il lui fallait grouper tous les grands feudataires qu'inquiétait l'accroissement de la puissance normande. La Flandre, quoique séparée du duché par le Ponthieu, en était le prolongement naturel et sa situation vis-à-vis de l'Angleterre lui conférait une importance primordiale ; malgré les liens de famille qui unissaient les Baudouins à Guillaume le Conquérant[4], elle n'était pas à l'abri dé convoitises toujours possibles. Au Sud, les comtes d'Anjou ne se Consolaient pas de la perte du Maine, passé en 1063 sous l'influence de la Normandie, Une coalition entre le Capétien, le comte de Flandre et le comte d'Anjou paraissait dictée par les Circonstances comme une garantie contre les ambitions normandes.

PHILIPPE Ier ET L'ANJOU. — Le rapprochement avec l'Anjou fut le premier acte de là politique personnelle de Philippe Ier. Depuis la mort de Geoffroy Martel (14 novembre 1060), une grave querelle dé succession mettait aux prisés lés héritiers du défunte ses deux neveux, Geoffroy le Barbu et Foulque le Réchin. Foulque, réduit à la seule possession de la Saintonge, prit quelque temps son parti de cette situation désavantagée, mais, lorsqu'en 1062 le duc d'Aquitaine lui eut enlevé Saintes, il songea à exploiter le. mécontentement produit par la mauvaise administration de son frère et à lui enlever l'héritage de Geoffroy Martel. Le 25 février 1067, il s'empara v par surprise de Saumur, puis, après un coup de main sur Angers (4 avril 1067), suivi d'une réconciliation éphémère, il se saisit de la personne du - Barbu qu'il enferma à Chinon et gouverna désormais le comté à sa. place (1068), Pour obtenir l'appui du roi de France, il lui céda le Gâtinais, possession extérieure et lointaine qui n'avait pour lui qu'une médiocre valeur et qui, en revanche, arrondissait heureusement le domaine royal vers le Sud[5]. De là résulta, entre Philippe 1er et le nouveau comte d'Anjou, une entente qui pouvait, à un moment donné, servir leurs intérêts réciproques.

PHILIPPE Ier ET LA FLANDRE. — L'alliance avec la Flandre fut quelque temps contrariée par les circonstances. La disparition prématurée de Baudouin VI, fils et successeur de Baudouin V, après un court règne de trois ans (1067-1070), engendra à l'intérieur de ce fief une véritable guerre civile. A la veille de sa mort, ce prince, qui avait épousé Richilde, comtesse de Hainaut, partagea ses États entre ses deux fils encore jeunes : l'un, Arnoul, eut la Flandre, l'autre, Baudouin, reçut le Hainaut. Le mauvais gouvernement de leur mère, Richilde, provoqua un mouvement en faveur du frère de Baudouin VI, Robert le Frison ; Arnoul dut se réfugier dans le Hainaut qui resta fidèle aux jeunes princes. Toutefois Richilde ne se tint pas pour battue ; elle acheta pour quatre mille livres d'or l'appui de Philippe 1er qui envoya une armée en Flandre. Une rencontre entre les armées française et flamande eut lieu à Cassel le 22 février 1071. Elle tourna à l'avantage de Robert le Frison : Philippe Ier dut prendre la fuite et le jeune Arnoul périt dans la mêlée. Devenu maître de la Flandre, Robert ne tarda pas à se réconcilier avec le roi qui épousa sa belle-fille, Berthe, née de l'union du comte Florent Ier de Hollande et de Gertrude qui avait, en secondes noces, convolé avec Robert[6]. Dès lors aucun nuage ne viendra assombrir les bonnes relations entre Philippe Ier et la Flandre.

SIÈGE DE DOL (1076). — En 1076, Guillaume le Conquérant, momentanément tranquille en Angleterre, vient assiéger la place de Dol dont les seigneurs lui étaient hostiles et où était enfermé son ennemi Raoul de Mont for t. Philippe Ier veut aussitôt prévenir un accroissement possible de la puissance normande ; il part en toute hâte pour Poitiers, afin de solliciter le concours du duc d'Aquitaine, Guy-Geoffroy, puis se dirige vers Dol et, avec l'aide du comte Alain Fergent, sans doute aussi des Angevins qui étaient venus prêter main-forte aux assiégés, il contraint Guillaume à se retirer avec pertes, puis à signer la paix avec lui[7]. Cette victoire a pour le roi de France une heureuse conséquence : l'année suivante (1077), il annexe le Vexin français que lui a abandonné Simon de Crépy avant de se faire moine, et cela sans soulever aucune protestation du Conquérant[8].

PHILIPPE Ier ET ROBERT COURTEHEUSE. — Après cette victoire, Philippe Ier ne perd pas de vue la Normandie. En 1078, il reçoit à sa cour le fils aîné de Guillaume le Conquérant, Robert Courteheuse, qui, impatient de régner, avait demandé à son père de lui abandonner de son vivant le gouvernement de la Normandie et du Maine ; il s'engage à lui prêter main-forte et lui remet le château de Gerberoy, en Beauvaisis, qui formait une excellente base d'opérations. Guillaume le Conquérant vient aussitôt investir cette place ; il ne peut l'enlever et se retire avec une blessure. Il négocie alors avec le roi de France qui vient à Gerberoy (janvier 1079) et sert de médiateur entre le père et le fils : en sa présence, Guillaume promet de laisser à Robert la Normandie[9]. Ainsi se prépare le démembrement de l'État créé à la suite de l'expédition de 1066.

DÉVASTATION DU VEXIN ET MORT DE GUILLAUME LE CONQUÉRANT (9 SEPTEMBRE 1087). — La politique de Philippe Ier, entre 1076 et 1079, n'a pas manqué d'habileté et a enregistré de réels succès. Guillaume le Conquérant n'en est que plus décidé à briser l'effort capétien, avant qu'il ait eu le temps de se développer. L'organisation de l'Angleterre a retardé ses projets d'offensive. C'est seulement en août 1087 que, prenant prétexte d'incursions des chevaliers français dans le Vexin normand, il envahit le Vexin français où ses troupes se livrent à un pillage méthodique. Bientôt Mantes est en ~ flammes, mais, au moment où Guillaume croit tenir le succès, il tombe malade et doit retourner à Rouen où il meurt, le 9 septembre 1087[10].

DÉMEMBREMENT DU ROYAUME ANGLO-NORMAND. — La disparition du Conquérant a failli entraîner la ruine de son œuvre en provoquant le démembrement de ses États. Conformément à la volonté du défunt, la Normandie échoit à son fils aîné, Robert Courteheuse, et l'Angleterre au second, Guillaume le Roux ; le troisième, Henri, déshérité par son père, reçoit de Robert, qui tenait à le ménager, la ville d'Avranches et le comté de Coutances[11].

Cette dislocation du royaume anglo-normand a engendré une longue crise qui, malgré un moment d'accalmie au début du XIIe siècle, durera jusqu'à l'avènement de Henri II Plantagenet (1154) et permettra à la royauté capétienne de consolider sa situation, de redresser l'autorité monarchique singulièrement affaiblie, de se mettre ainsi en bonne posture pour affronter d'inévitables luttes avec ses dangereux voisins.

GUILLAUME LE ROUX ROI D'ANGLETERRE. — L'ultime volonté de Guillaume le Conquérant fut respectée. En Normandie, au prix de quelques concessions à la féodalité, Robert Courteheuse succéda à son père sans difficulté. En Angleterre, Guillaume reçut la couronne, grâce à l'appui du primat de Cantorbéry, Lanfranc, qui lui assura l'adhésion du Witenangemot ; il dut seulement jurer de gouverner selon les lois de la justice et de &e conformer aux avis de l'Église dont il respecterait les libertés[12].

On pouvait douter de la valeur de tels engagements. Guillaume le Roux ne ressemble en rien à son père : Orderic Vital prétend qu'il donna les pires exemples d'inconduite et que, pour satisfaire à ses fantaisies, il pilla largement les trésors des églises, Les historiens anglais ne sont pas plus sympathiques au nouveau souverain, plus, féroce et plus méchant qu'aucun autre homme , a écrit Henri de Huntingdon, avec cela très mal entouré et toujours prêt à céder aux avis de conseillers encore plus pervers que lui-même[13]. Aussi jaloux de son autorité que l'avait été Guillaume le Conquérant, il cherchera à étendre l'absolutisme monarchique et, en donnant libre cours à ses instincts despotiques, il suscitera l'opposition de la noblesse et du haut clergé.

L'OPPOSITION DE LA NOBLESSE. — Le règlement de la succession de Guillaume le Conquérant a déplu à la noblesse anglaise qui eût préféré être gouvernée par Robert Courteheuse, car ce prince, naturellement mou et indolent, lui eût sans doute laissé plus d'indépendance que son frère. En outre, le démembrement de l'État anglo-normand gênait les barons qui possédaient des fiefs de chaque côté de la Manche. Dès la fin de 1088, éclate une révolte dont le but avoué était de remplacer Guillaume par Robert. A la tête du mouvement s'étaient placés le frère du Conquérant, Odon, évêque de Bayeux, qui, emprisonné sous le règne précédent, venait d'être élargi, H Eustache de Boulogne qui croyait son heure enfin venue. Autour J'eux se groupaient tous les mécontents qu'avait déçus l'absolutisme monarchique, établi au lendemain de la conquête, comme Robert de Bellême, Hugue de Grandmesnil, Robert de Mortain, Robert de Montbray ; l'évêque de Durham, Guillaume adhéra, lui aussi, à la conjuration[14].

Guillaume le Roux ne se laissa pas déconcerter : puisque la noblesse normande lui fait défaut, il s'appuiera sur les Anglo-Saxons qu'il se concilie en supprimant un certain nombre de taxes et en annonçant une loi meilleure. L'archevêque de Cantorbéry, Lanfranc, auquel Guillaume le Conquérant, avant de mourir, a confié la mission de faire respecter son ultime volonté, se porte garant de ces promesses. Fort de tels concours, Guillaume le Roux triomphe des rebelles à la bataille de Roçhester[15]. L'opposition aristocratique est anéantie. Elle se réveillera un moment en 1095 et tentera alors de substituer à Guillaume le comte d'Aumale, Étienne, petit-fils du duc de Normandie Robert II, mais elle aboutira encore à un échec que souligneront les plus dures représailles et de multiples confiscations[16].

DESPOTISME DE GUILLAUME LE ROUX. — Victorieux de ses barons, Guillaume le Roux donne libre cours à ses instincts despotiques. La mort de Lanfranc (1089) lui enlève toute retenue. Il accorde désormais sa confiance à un clerc sans scrupules, Renouf Flambard, avec lequel s'intensifie la fiscalité oppressive, si caractéristique du règne. Le paiement des droits féodaux est exigé avec une rigueur inusitée ; de lourdes sommes, pouvant atteindre jusqu'à la valeur totale du fief, sont exigées à la mort de chaque vassal ; les seigneurs n'obtiennent le consentement royal au mariage de leurs filles que moyennant des taxes fort élevées et les amendes, en cas de contravention aux règles du droit féodal, frappent avec prodigalité des délits insignifiants, parfois imaginaires[17].

LA POLITIQUE ECCLÉSIASTIOUE. — L'Église eut particulièrement à souffrir de cette tyrannie. Pour obtenir l'appui de l'épiscopat et pour recevoir la couronne des mains de Lanfranc qui disposait du pouvoir de l'élire, le roi avait solennellement promis aux clercs paix, liberté, sécurité, justice, miséricorde. Du jour où il eut été reconnu par tous, sa légendaire cupidité ne connut plus de bornes : les sanctuaires furent dépouillés et les évêchés cyniquement vendus aux plus offrants ; à la mort de Lanfranc (1089), le siège primatial de Cantorbéry demeura vacant pendant quatre ans, ce qui permit au roi d'en percevoir les revenus avec son habituelle âpreté. Cette vacance se serait sans doute prolongée si, au début de 1093, Guillaume le Roux n'était tombé gravement malade. La crainte de la mort le décida à satisfaire au vœu unanime du clergé de Cantorbéry en désignant comme successeur de Lanfranc (6 mars 1093), l'abbé du Bec, Anselme, qui fut consacré le 4 décembre. Entre temps, Guillaume se rétablit et revint à ses anciennes pratiques[18].

L'OPPOSITION DE L'ÉGLISE : SAINT ANSELME. — Il devait se heurter, cette fois, à une énergique résistance. Les évêques anglais, jusque là terrorisés, n'avaient pas osé défendre les règles canoniques et, grâce à cette attitude passive, le roi, depuis la mort de Lanfranc, avait manié l'Église anglaise à sa guise. Celle-ci, avec saint Anselme, allait retrouver un chef. Agé de soixante ans environ — il était né à Aoste en 1033 ou 1034 —, le nouveau primat de Cantorbéry avait passé la plus grande partie de son existence au monastère du Bec, en Normandie, où, comme écolâtre, puis comme abbé, il s'était acquis rapidement une réputation universelle de théologien et de savant. Cet homme d'étude, forgé dans la discipline monastique à laquelle il resta fidèle toute sa vie, ne connaît d'autres impulsions que celles d'une conscience particulièrement rigide et scrupuleuse ; il est incapable de composer avec la règle, de se plier à des compromis que réprouverait son âme droite et pure. Dépourvu de toute souplesse, il défendra les prérogatives de l'Église sans se soucier des conséquences que peut avoir pour lui-même sa résistance à l'arbitraire royal[19].

Avant même qu'Anselme ne soit consacré, quelques frictions se produisent. L'archevêque prétend imposer à Guillaume le Roux la restitution à l'église de Cantorbéry des biens aliénés pendant la vacance du siège : Guillaume le Roux promet de donner satisfaction, mais, suivant l'usage, il se dérobe ; Anselme insiste, rappelle les engagements qui ont été contractés : Guillaume sollicité de nouveaux délais qui ne lui sont pas accordés et, finalement, il doit s'incliner devant la froide et immuable revendication du primat anglais. Nouvelles difficultés au sujet de l'aide réclamée à l'archevêque par le roi, en 1094, lors d'une expédition anglaise en Normandie : Anselme refuse tout subside. Au même moment, de plus graves problèmes mettent aux prises les deux antagonistes : saint Anselme adresse des remontrances au souverain, à propos de regrettables nominations d'abbés, et Guillaume lui répond : En quoi cela vous regarde-t-il ? Est-ce que ces abbayes ne sont pas à moi ? Vous disposez comme vous le voulez de vos villas et je n'agirais pas à ma guise en ce qui concerne mes abbayes ? A cette affirmation du pouvoir royal sur l'Église saint Anselme riposte en annonçant l'intention de réunir chaque année un concile national, afin, disait-il, de réformer l'Église où la sodomie faisait rage et de restaurer les règles canoniques en matière d'élections abbatiales. Une fois de plus, Guillaume objecte que les abbayes sont à lui, mais ne réussit pas davantage à intimider l'homme de Dieu[20].

LE CONFLIT DE GUILLAUME LE ROUX AVEC LE SAINT-SIÈGE. — Le conflit s'aggrave en 1095. A cette date, saint Anselme fait part au roi de son intention d'aller à Rome pour y recevoir, conformément aux règles canoniques, le pallium archiépiscopal des mains d'Urbain II. Or Guillaume le Conquérant n'avait jamais permis à Lanfranc de se rendre ad limina. Guillaume le Roux maintient l'interdiction paternelle, faisant valoir, entre autres raisons, qu'il ne s'est pas encore prononcé entre Urbain II et Clément III, et déclare tout net que le départ du primat pour Rome sera considéré comme un acte de félonie. Malgré les conseils de prudence qui lui sont prodigués par ses confrères, saint Anselme maintient sa décision, encouragé d'ailleurs par les seigneurs laïques que son opposition ne peut manquer de réjouir, Inquiet des symptômes fâcheux qui se dessinent de ce côté, Guillaume le Roux cherche un compromis : il reconnaît Urbain II et sollicite de sa bienveillance l'envoi du pallium à saint Anselme. Gautier, évêque d'Albano, est aussitôt dépêché en Angleterre comme légat pontifical et reçoit de la part du roi un accueil empressé. Guillaume espérait, en captant sa confiance, l'amener insensiblement à ses vues et le convaincre que la déposition de saint Anselme rendrait la paix religieuse au royaume. Son espoir fut déçu et il dut, en fin -de compte, se résigner à une réconciliation qui, étant donné l'intransigeance des deux caractères, ne pouvait être durable[21].

De fait, un nouvel incident surgit en 1097. Cette année-là, Guillaume le Roux convoque saint Anselme à sa cour, parce que, disait-il, l'archevêque ne lui avait envoyé, pour une expédition dans le pays de Galles, que de mauvais chevaliers. Anselme s'abstient de comparaître : il dénie la compétence de la juridiction royale et annonce son intention d'aller, au préalable, prendre conseil du pontife romain. De nouveau, Guillaume lui interdit de partir. Malgré l'avis des évêques qui lui conseillent encore une fois de céder, le primat quitte l'Angleterre (novembre 1097), parvient à Rome, pendant que le roi met son diocèse à sac, demande au pape de le décharger de sa fonction qu'il ne peut exercer comme il l'entend, en raison de l'hostilité du souverain et de la servilité de l'épiscopat anglais qui se dérobe à ses responsabilités, mais Urbain II ne veut pas accepter une démission contraire aux intérêts de l'Église et, au concile de Bari (octobre 1097), menace Guillaume le Roux d'anathème. Des négociations s'engagent alors ; elles sont très vite interrompues par la mort, à un an d'intervalle, du pape (29 juillet 1099) et du roi (2 août 1100)[22].

LA POLITIQUE CONTINENTALE. DE GUILLAUME LE ROUX. — L'opposition à laquelle il s'est heurté en Angleterre n'a laissé à Guillaume le Roux que peu de loisirs pour s'occuper des affaires du continent. Il a cependant c herché à réunir les deux tronçons de l'État anglo-normand en évinçant son frère.

Les chroniqueurs ont laissé de Robert Courteheuse un portrait qui, pour être assez différent de celui de Guillaume le Roux, n'est guère plus avantageux. Aimable, généreux, prodigue et léger, Robert manquait totalement de sens politique. En compagnie de bouffons et de femmes de mauvaise vie, il dilapida joyeusement et très vite les trésors que lui avait légués son père. Il en oublia de gouverner et les seigneurs trouvèrent l'occasion propice pour se débarrasser des liens par lesquels Guillaume le Conquérant avait enchaîné leur belliqueuse turbulence. L'anarchie succéda à la paix[23]. La Normandie paraissait dès lors facile à saisir.

En janvier 1091, Guillaume le Roux traversa la Manche et s'avança vers Eu, mais, pour des raisons qu'il faut se résoudre à ignorer, il se réconcilia immédiatement avec Robert qui acheta sa retraite en lui cédant quelques châteaux[24], Il ne devait pas tarder à revenir en Normandie. En 1096, Robert Courteheuse part pour la croisade et confie à son frère le soin de gouverner son duché en son absence[25]. Guillaume va en profiter pour reprendre la politique d'extension vers l'Est que la mort de son père avait interrompue : en 1097, il réclame à Philippe Ier le Vexin avec les villes de Pontoise, Chaumont et Mantes ; il essuie un refus et la guerre recommence (novembre 1097)[26].

LA SECONDE GUERRE DU VEXIN (1097-1098). — On connaît mal l'histoire de cette guerre[27]. Du côté français, c'est le fils aîné de Philippe Ier, le jeune prince Louis, qui a été chargé de barrer la route aux envahisseurs. Sa mission était d'une exécution difficile : plusieurs seigneurs français, corrompus par l'argent anglais, étaient passés à l'ennemi. Malgré ces défections, les Français triomphèrent : après avoir capturé quelques chefs normands, ils remportèrent, grâce à des renforts venus d'un peu partout, un avantage marqué dans un combat près de Chaumont et Guillaume dut se retirer. Il revint, en septembre I098, avec une nouvelle armée, réussit à avoir raison de l'héroïque résistance de Pontoise et de Chaumont ; son allié, le duc d'Aquitaine, Guillaume IX, vint investir Montfort et Épernon, mais il fut impossible de tirer parti de ces succès. et il fallut même accepter une trêve[28]. En 1099, le roi d'Angleterre, obligé d'aller dompter une révolte du Maine qui s'était soulevé avec l'appui du comte d'Anjou, Foulque le Réchin, ne put songer à reprendre l'offensive contre le domaine royal capétien.qui demeura intact[29].

LE ROYAUME CAPÉTIEN À LA FIN DU XIe SIÈCLE. — Le roi de France n'essaya pas toutefois d'exploiter par une diversion les difficultés avec lesquelles son rival se trouvait aux prises. Cette inertie contraste avec l'activité qu'il avait déployée pendant les premières années de son règne personnel. Elle est sans doute une conséquence des désordres de sa vie privée. En 1092, Philippe Ier, qui avait répudié la reine Berthe de Frise, a enlevé la voluptueuse Bertrade de Montfort, épouse du comte d'Anjou, Foulque le Réchin[30]. A partir de ce moment, déclare Suger[31], il devint l'esclave du plaisir et ne s'occupa plus des affaires du royaume. Or son fils, le prince Louis, né sans doute en 1081[32], était trop jeune pour le suppléer complètement, en sorte que, par un curieux synchronisme, au moment où le royaume anglo-normand traverse une crise qui atténue les conséquences de l'événement de 1066, le royaume capétien souffre d'une absence de direction qui se fera sentir jusqu'au début du XIIe siècle.

PROGRÈS DE L'AUTORITÉ MONARCHIQUE SOUS PHILIPPE Ier. — Cependant le règne de Philippe Ier n'a pas été inutile à la monarchie. C'est pendant le dernier quart du XIe siècle qu'a été réalisé un pas décisif vers la centralisation par la substitution du palais à la cour dans le gouvernement du royaume. Pendant la régence de Baudouin (1060-1067), le roi, pour toutes les questions importantes, prend l'avis des proceres ou optimates qui composent la curia regis. Peu à peu, Philippe Ier se passe de cet assentiment et les décisions essentielles incombent aux personnes de son entourage immédiat groupées dans le palatium. Tandis que les diplômes des premières années du règne mentionnent la confirmation soit, lors de cours générales ou solennelles, de grands vassaux ou de hauts dignitaires ecclésiastiques, soit, pour les cours ordinaires, de seigneurs attenant au domaine, on ne relève plus, à partir de 1080, que les souscriptions des palatins recrutés en général parmi les chevaliers de l'Ile de France. Il y a plus : dans le palais lui-même, une spécialisation tend à se produire et l'on constate la formation d'une sorte de ministère constitué par les grands officiers de la couronne, à savoir le chambrier plus spécialement attaché à la personne du roi qu'il accompagne dans ses déplacements, le sénéchal, dont le rôle est exclusivement militaire, le connétable et le bouteiller qui n'ont pas d'attributions aussi précises ; dans la plupart des diplômes, ces officiers souscrivent à l'exclusion de toute autre personne, leurs noms étant précédés de la formule astantibus de palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa. En un mot le palais se place à la tête de l'administration et, de ce fait, le pouvoir royal se trouve fortifié[33].

EXTENSION DU DOMAINE ROYAL. — En outre, pendant le règne de Philippe Ier, le domaine royal s'est accru à l'aide de quelques acquisitions d'une réelle importance. En 1067, ce domaine, que les trois premiers Capétiens n'avaient guère pu étendre, comprend les prévôtés de Paris, Étampes, Orléans et Sens. A part l'annexe de Montreuil-sur-Mer qui date du règne de Robert le Pieux, il est à l'Ouest limité par le comté de Chartres et le Vexin, au Nord r resserré dans la vallée de l'Oise avec Senlis et Compiègne, tandis qu'au Sud il ne dépasse pas la Loire et qu'à l'Est il se heurte, immédiatement au delà de Paris, au Vermandois et à la Champagne. Philippe 1er va le faire déborder au delà de la région parisienne. En 1068 il annexe le Gâtinais. Peu de temps après, c'est le tour de Corbie, cédée sans doute par Arnoul de Flandre. En 1077, il réunit le Vexin français, c'est-à-dire la région de Mantes, Pontoise et Chaumont, que, par la suite, il défendra victorieusement contre les agressions anglo-normandes. Enfin, en 1101, il achète Bourges au chevalier Eude Arpin qui part pour la Terre Sainte ; il prend ainsi pied au delà de la Loire et, grâce à cette enclave en Aquitaine, prépare l'extension de l'influence capétienne dans le Sud-Ouest[34].

Malheureusement ce domaine, qui peut devenir un élément de puissance, est encore mal administré. Il est partagé en circonscriptions à la - tête desquelles se trouve des prévôts (præpositi, præfecti) qui rendent la justice en l'absence du roi et perçoivent les redevances domaniales ; ces fonctionnaires ont une délégation totale de l'autorité royale et, par suite, une réelle puissance dont ils n'ont pas toujours usé en faveur de la couronne[35]. D'autre part — et c'est là une cause encore plus grave de faiblesse — il reste, enclavées au milieu du domaine, de petites seigneuries dont les titulaires conservent une indépendance à peu près totale : ce sont, entre autres, celles de Beaumont, de Montmorency, de Roucy, de Montlhéry, du Puiset, groupées autour de châteaux forts qui constituent autant de repaires inexpugnables. A plusieurs reprises, cette féodalité s'est soulevée contre le roi : en 1079 notamment, Philippe Ier a été obligé d'aller investir le Puiset dont le seigneur, Hugue, avait pris les armes contre lui et il a éprouvé un grave échec, une sortie de la garnison ayant jeté la panique dans l'armée royale qui dut précipitamment lever le siège[36].

LE CONFLIT DES ROYAUMES CAPÉTIEN ET ANGLO-NORMAND A LA FIN DU XIe SIÈCLE. — On comprend que, dans ces conditions, le roi capétien, toujours à la merci d'un incident dans son propre domaine, n'ait pu de longtemps songer à une offensive de grande envergure contre la puissance anglo-normande. Le partage des États du Conquérant et l'opposition rencontrée par Guillaume le Roux d'un côté, la vie privée de Philippe Ier et la situation instable du domaine royal capétien de l'autre, expliquent pourquoi l'inévitable conflit n'a pu se développer à la fin du XIe siècle. Il n'atteindra pas encore sa forme aiguë pendant la première moitié du XIIe. Du moins, à cette époque, l'entrée en scène, presque simultanée, de deux rois d'une réelle valeur, Henri Ier en Angleterre et Louis VI en France, va-t-elle amener la création des forces qui s'affronteront un jour : de 1100 à 1135 l'autorité monarchique s'affermit en France comme en Angleterre, tandis qu'à certains intervalles les deux souverains préludent aux grandes luttes du temps de Philippe-Auguste et des fils de Henri II.

 

II. — La rivalité de Henri Ier et de Louis VI (1100-1135)[37].

 

AVÈNEMENT DE HENRI Ier EN ANGLETERRE ET DE LOUIS VI EN FRANCE. — Guillaume le Roux a trouvé la mort dans un accident de chasse, le 2 août 1100[38]. Il ne laissait pas d'héritier direct. Son frère, Robert Courteheuse, n'était pas revenu de la croisade et se trouvait alors en Sicile. Le troisième fils du Conquérant, qui jusque là avait été tenu à l'écart, revendiqua la royauté anglaise. A l'exception de Guillaume de Breteuil, les barons se prononcèrent pour lui et, après l'avoir élu, l'emmenèrent à Westminster où il fut couronné par l'évêque de Londres (5 août 1100)[39].

A cette date, Louis VI a déjà assumé la direction du royaume capétien. S'il n'a probablement porté le titre de roi désigné qu'un peu plus tard[40], il est associé au gouvernement et exerce, depuis la guerre du Vexin (1097), comme dux exercitus ou defensor regni, les fonctions de chef de l'armée[41]. Sans doute Philippe 1er, jusqu'à sa mort (1108), ne se désintéressera-t-il pas complètement de l'administration, mais, à partir de 1100, qu'il s'agisse des rapports avec la féodalité ou avec l'Église, sa politique revêt une allure toute nouvelle et c'est en réalité le règne de Louis VI qui commence.

L'entrée en scène, à peu près simultanée, de Henri Ier et de Louis VI, hommes nouveaux l'un et l'autre, va sensiblement modifier la physionomie des deux royaumes occidentaux.

HENRI Ier ROI D'ANGLETERRE. — Henri Ier ressemble plus à son père qu'à ses deux frères. Loyal, équitable, désintéressé, il a une égale horreur pour le vice et pour la violence. Au lendemain de son avènement, il épouse la sœur du roi d'Écosse, Edith, qui prend le nom de Mathilde, et sa vie privée n'aura aucune analogie avec celle de Guillaume le Roux. Si, d'autre part, il a hérité des instincts absolutistes du Conquérant, il veut sincèrement le bien de ses sujets, qu'il protégera contre l'arbitraire des nobles, et souhaite rétablir avec l'Église l'entente brisée sous le règne précédent. L'un de ses premiers actes est de rappeler saint Anselme et, au même moment, il fait emprisonner Renouf Flambard. Lors de son couronnement, dans une charte qui est comme le reflet de ses dispositions personnelles, il condamne les abus du règne précédent, restaure les lois d'Édouard le Confesseur avec les amendements que leur avait apportés Guillaume le Conquérant, puis il promet à l'Église la liberté des élections et le respect des biens ecclésiastiques, aux seigneurs la libre transmission de leurs fiefs, à l'ensemble des sujets une législation plus modérée des dettes et des amendes. Un serment sanctionne tous ces engagements et traduit les mêmes intentions équitables, miséricordieuses, pacifiques[42]. Tout annonce un règne réparateur, après la tourmente qui avait si rudement secoué l'Angleterre depuis 1087.

LOUIS VI ROI DE FRANCE. — En France, l'arrivée au pouvoir de Louis VI laisse aussi entrevoir une orientation nouvelle. Né sans doute à la fin de 1081, ce prince est de dix ans plus jeune que Henri Ier, mais il a, du fait des circonstances, une expérience peu commune. Il avait à peine achevé son éducation à l'abbaye de Saint-Denis qu'il fut investi par Philippe Ier (1092) de Pontoise, de Mantes et du Vexin. En 1097, quoiqu'il n'eût pas encore terminé sa seizième année, il prit une part brillante à la guerre contre Guillaume le Roux. Ce sont sans doute ses exploits qui lui valurent, en 1098, d'être armé chevalier et malgré son désaccord avec son père au sujet de Bertrade de Montfort, associé à la couronne.

Dès sa jeunesse, Louis VI s'est révélé comme un homme de guerre ou, pour employer la pittoresque expression de son biographe, l'abbé Suger, comme un athlète incomparable et un gladiateur éminent. Il aura toute sa vie la passion des combats et n'hésitera jamais à donner de sa personne : dans la guerre du Puiset, il luttera corps à corps avec ses adversaires et on le verra, lors de la prise de Mouchy, pénétrer le premier dans un donjon en flammes ; ne proposera-t-il pas aussi de mettre fin au différend qui opposait la France à l'Angleterre par un combat singulier entre les deux rois ? Bref, c'est un vrai chevalier d'un courage à toute épreuve, mais aussi très droit, très loyal, professant le plus dédaigneux mépris pour la ruse et pour la perfidie, soucieux d'agir en toutes choses conformément à la justice et de garder à chacun son droit. Par ailleurs, les tares inhérentes à sa dynastie ne l'ont point épargné : il est cupide, accessible à la corruption, capable — on le verra lors de l'affaire de la commune de Laon — de vendre son concours au plus offrant, plus encore gourmand et sensuel : le surnom de Gros, qui lui est resté dans l'histoire, rappelle la précoce obésité qui fut la conséquence de ses excès de table et l'empêchait, à quarante-six ans, de monter seul à cheval ; tout adolescent, il avait une fille naturelle et il ne se mariera qu'à trente-cinq ans, après avoir longtemps résisté aux semonces d'Yves de Chartres[43].

Malgré ces défauts, Louis VI est nettement supérieur aux rois qui l'ont précédé. Comme Henri Ier d'Angleterre, il entend fortifier son pouvoir royal et c'est ainsi que, de 1100 à 1135, on assiste, des deux côtés de la Manche, a un vigoureux effort pour asseoir l'autorité monarchique sur des bases plus solides, pour lui ménager les moyens d'action qu'elle avait perdus ou dont elle était dépourvue.

HENRI Ier ET LES BARONS ANGLAIS. — Henri Ier, au lendemain de son avènement, se propose avant tout d'imposer son autorité aux barons que le despotisme de Guillaume le Roux avait dressés contre la royauté. Le retour de son frère aîné, qui pouvait lui aussi revendiquer la couronne anglaise, déchaîna une agitation de courte durée : en 1101, Robert Courteheuse tenta d'envahir l'Angleterre, mais la médiation du comte de Meulan ramena la paix et Henri Ier restitua à Robert, qui le reconnut aussitôt comme roi, le Cotentin qu'il lui avait autrefois acheté ; le roi pardonna aussi à Eustache de Boulogne qui, seul parmi les barons, avait pris le parti de son compétiteur[44].

Henri Ier n'en avait pourtant pas fini avec l'opposition aristocratique. En 1102, il dut citer devant sa cour Robert de Bellême qui, depuis 1098, avait joint à ses nombreux fiefs normands le comté de Shrewsbury et dont les châteaux de Shrewsbury, d'Arundel et de Bridgnorth constituaient autant de centres de résistance à l'autorité monarchique. Robert ne répondit pas à la convocation qui lui avait été adressée ; le roi dut aller lui-même le châtier et, s'il lui fit grâce de la vie, il lui confisqua du moins tous ses fiefs[45]. Cet exemple fit impression : les barons ne s'insurgèrent plus contre l'autorité royale qui d'ailleurs se montra à leur égard équitable et modérée. Par ailleurs, les classes populaires surent gré au roi de les avoir débarrassées de Robert de Bellême et de quelques autres brigands de la même espèce, comme Yves de Grandmesnil qui fut également dépouillé de ses domaines.

PAIX DE HENRI Ier AVEC L’ÉGLISE. — Avec la fin de l'opposition aristocratique, le début du règne de Henri Ier a vu le rétablissement de la paix religieuse si gravement atteinte par le despotisme de Guillaume le Roux.

Henri Ier, qui a reçu le surnom de Beauclerc, était bien disposé envers l'Église, à l'égard de laquelle il avait toujours fait preuve d'une respectueuse déférence. Le rappel immédiat de saint Anselme apparut comme le signe avant-coureur d'un accord vivement désiré de part et d'autre. Cependant les négociations n'aboutirent pas aussi vite qu'on l'avait tout d'abord pensé. Pendant son séjour sur le continent, le primat anglais avait eu le loisir d'étudier le problème de l'investiture et il revenait en Angleterre avec des idées très arrêtées sur les limites de l'autorité royale en pareille matière. Il manifesta son intransigeance en refusant de prêter à Henri Ier le serment de fidélité réclamé par le souverain, ce qui ne l'empêcha pas de lui apporter son concours le plus empressé, lorsqu'il fallut faire face à l'invasion de Robert Courteheuse. Son attitude reçut l'entière approbation de Pascal II qui avait, au début de son pontificat, renouvelé la législation grégorienne et qui, dans deux bulles du 15 avril 1102[46], adressées l'une au roi d'Angleterre, l'autre à l'archevêque de Cantorbéry, avait interdit toute investiture laïque. Le conflit entre l'Église et l'État se trouva ainsi ressuscité : saint Anselme dut se retirer à Lyon, d'où il ne cessa de correspondre avec la cour anglaise. Les pourparlers, en se prolongeant, aboutirent à une heureuse issue grâce à la médiation d'Adèle de Blois, sœur de Henri Ier, qui ménagea à Laigle une entrevue entre le roi et l'archevêque. Finalement Henri Ier renonça à investir-des dignités ecclésiastiques et Anselme concéda que les évêques pourraient 'prêter serment au souverain, mais uniquement pour les fiefs qui relevaient des évêchés. Par une bulle du 23 mars 1106[47], Pascal II ratifia cet accord. Enfin, en août 1107, une diète, réunie à Londres, fixa définitivement les règles qui devaient présider aux rapports de l'Église et de l'État : il fut stipulé que l'évêque ne pourrait recevoir l'investiture par la crosse et par l'anneau ni du roi, ni d'aucune autre personne laïque, que, d'autre part, la consécration épiscopale ne pourrait avoir lieu, avant que l'élu n'eût prêté au roi le serment de vassalité pour ses fiefs[48]. On aboutissait en somme à un compromis conforme aux théories récemment mises en circulation par Yves de Chartres et capable d'asseoir la paix religieuse sur des assises stables[49].

RÉTABLISSEMENT DE L'UNITÉ ANGLO-NORMANDE. — Le retour à la tradition de Guillaume le Conquérant ne s'affirme pas seulement, au début du règne de Henri Ier, par le rétablissement de la paix civile et de la paix religieuse qu'avait brisées le despotisme de Guillaume le Roux ; dès 1106, l'État anglo-normand est reconstitué tel qu'il existait avant 1087.

Tout en conservant en apparence de bons rapports avec son frère qui, en 1103, vint en Angleterre afin d'y toucher la somme promise pour prix de sa renonciation, Henri Ier n'a pas cessé de travailler à la réunion sous son sceptre de la Normandie et de l'Angleterre. En 1104, il a entrepris sur le continent un voyage au cours duquel il s'est réconcilié avec Robert de Bellême et a gagné à prix d'or la plupart des seigneurs normands. Au même moment, il envoie une ambassade au roi de France, Philippe 1er, et une autre au jeune comte d'Anjou, Geoffroy Martel II, afin de s'assurer la bienveillante neutralité de l'un, l'alliance de l'autre, puis, en 1105, il traverse de nouveau la Manche, en annonçant qu'il vient revendiquer l'héritage paternel, devenu la proie des brigands. Tout lui réussit : il prend et incendie Bayeux, installe une garnison à Caen, évite une embuscade de Robert Courteheuse, retourne quelque temps en Angleterre, réapparaît en Normandie dans l'été de 1106 et, après de vaines négociations avec son frère, livre à celui-ci, à Tinchebray, le 28 septembre 1106, une bataille décisive qui fait tomber entre ses mains Robert Courteheuse ainsi que son puissant allié, Guillaume de Mortain. Victorieux, il vient à Rouen où il est acclamé, parcourt le duché, détruit les châteaux ; l'unité anglo-normande paraît solidement rétablie[50].

RUPTURE DE HENRI Ier AVEC LE ROYAUME CAPÉTIEN. — Cette reconstitution de l'État de Guillaume le Conquérant par Henri Ier devait amener la reprise des hostilités avec le royaume capétien et la transformation de la guerre d'escarmouches en hostilités véritables. Après sa victoire de Tinchebray, Henri Ier dispose d'une force supérieure à celle de son père pendant les années qui ont suivi la conquête de l'Angleterre. D'autre part, Guillaume le Conquérant a été immobilisé par l'opposition anglaise contre laquelle il lui fallut lutter jusqu'à sa mort ; Henri Ier jouit au contraire, des deux côtés de la Manche, d'une réelle popularité. Il peut donc aller de l'avant et, comprenant fort bien la nécessité d'étendre sa puissance sur le continent avant que Louis VI ait pu donner à la monarchie capétienne la puissance matérielle qui lui manquait. au XIe siècle, il va immédiatement provoquer la rupture.

En 1109, le prétexte est trouvé : c'est l'affaire de Gisors. Henri Ier convoitait ce château placé par la nature dans une position avantageuse à la limite commune de la France et de la Normandie, qui, dominant l'Epte, fournissait aux Normands un accès commode pour se jeter sur la France, tandis qu'il interdisait l'approche aux Français[51]. Il réussit à l'extorquer, tant par flatteries que par menaces, à Païen qui l'occupait. Louis le Gros, qui venait de succéder à Philippe 1er mort le 29 ou 30 juillet 1108[52], ne pouvait sans danger consentir à ce que son rival possédât une place aussi importante et somma Henri Ier de la rendre ou de la démolir. Henri refusa ; Louis, lui reprochant d'avoir rompu le traité, lui fixa un jour pour négocier et lui assigna un endroit. Une rencontre entre plénipotentiaires français et normands eut lieu, en mars ou avril 1109, aux Planches de Neauphle, non loin de Gisors : les envoyés de Louis VI rappelèrent à Henri Ier sa situation de vassal et exigèrent la restitution du château qui, conformément aux traités, devait être neutralisé ; Henri Ier ne voulut rien entendre et la guerre devint inévitable[53].

SITUATION DU ROYAUME CAPÉTIEN À LA MORT DE PHILIPPE Ier (1108). — Cette rupture était pleine de dangers pour le roi capétien, quoiqu'il eût lui aussi, au cours des années précédentes, tandis que vivait encore le vieux roi Philippe, accompli une œuvre non moins remarquable que celle de Henri Ier. Avec beaucoup d'esprit de suite, Louis VI a recherché, depuis 1100, deux buts essentiels, la paix avec l'Église et la reconstitution de l'autorité royale à l'intérieur du domaine par la soumission des féodaux de l'Ile de France, mais de ces deux buts seul le premier est atteint à la mort de Philippe Ier, bientôt suivie de la rupture avec l'Angleterre ; le domaine est encore loin d'être assaini, et, de ce fait, le Capétien se trouve en moins bonne posture que son rival.

LA ROYAUTÉ CAPÉTIENNE ET L'ÉGLISE. — Louis VI a rendu un immense service à la monarchie française en imposant un terme aux irritants débats qui avaient jusque là empêché tout accord durable entre la royauté capétienne et l'Église.

La querelle des investitures n'a pas épargné la France ; elle n'y a pas eu cependant la même acuité qu'en Allemagne. La législation grégorienne n'y a été promulguée qu'en 1077, au concile d'Autun, et la papauté s'est montrée bienveillante dans l'application, en se contentant de poursuivre et de déposer les prélats notoirement simoniaques, comme l'archevêque de Reims, Manassès, prélat orgueilleux, rapace, calomniateur, doublé d'un diplomate habile et retors, qui, - malgré l'appui du roi, fut obligé, après de multiples incidents, d'abandonner son siège et de s'incliner devant l'autorité romaine[54]. Même à l'égard de ce dignitaire quelque peu taré, Grégoire VII a usé de toutes sortes de ménagements. Il en a eu encore beaucoup plus envers son protecteur, Philippe Ier, auquel il avait autrefois reproché de vouloir assujettir l'Église comme une servante[55], mais avec lequel il s'efforça de conclure un accord, lorsque la lutte du Sacerdoce et de l'Empire fut entrée dans sa phase aiguë.

Cet accord, Philippe Ier l'a rendu impossible d'abord par sa simonie éhontée, puis, sous le pontificat d'Urbain II (1088-1099), par le scandale de sa vie privée. En 1092, il répudie sa femme légitime, Berthe de Frise, enlève l'épouse du comte d'Anjou, Foulque le Réchin, et réussit à faire bénir par un évêque français, Ursion de Senlis, cette union issue d'un double adultère. Gardien des canons, le pape s'insurge contre un tel attentat envers la loi religieuse, invite le roi à renoncer à ses indignes amours, mais ses objurgations restent sans effet. Aussi, en 1094, l'excommunication est-elle prononcée par le légat Hugue de Lyon au concile d'Autun et elle est renouvelée, l'année suivante, par le pape en personne, lors des grandes assises de la chrétienté tenues à Clermont-Ferrand. En 1097, l'anathème est complété par l'interdit, mais cette mesure si grave ne réussit pas à avoir raison de l'obstination du couple adultère ; Urbain II meurt (29 juillet 1099) sans avoir eu la joie de réconcilier le roi de France avec l'Église. C'est seulement en 1104 que Philippe sollicitera enfin l'absolution de Pascal II et que, moyennant la promesse de n'avoir plus avec Bertrade aucun commerce illicite, il sera réintégré dans la communion des fidèles[56].

Dès lors la paix religieuse devenait possible et elle sera réalisée lors du voyage de Pascal II en France (1106-1107). Si le pape franchit les monts, c'est avant tout pour s'assurer l'appui capétien en face de l'Allemagne menaçante, mais un règlement équitable du problème de l'investiture pouvait singulièrement faciliter l'alliance tant souhaitée. Aussi, avant d'aller à Saint-Denis où l'attendent Philippe Ier et Louis VI, le pontife se rend-il à Chartres où il célèbre la solennité pascale. Cette visite à l'évêque Yves indique clairement le sens dans lequel s'oriente la politique pontificale. Sans doute le concile de Troyes (25 mai 1107) condamne-t-il une fois de plus l'investiture laïque et décrète-t-il la déposition de ceux qui y auront recours, mais, sous l'influence des idées chartraines, le sens des mots a changé et un modus vivendi tend à s'établir : désormais le roi ne nommera plus lui-même les évêques et ne prétendra plus remettre à l'élu du clergé la crosse et l'anneau, insignes de la fonction épiscopale ; du moins son consentement sera-t-il toujours requis après l'élection qui de plus en plus passe aux chapitres cathédraux[57].

La fin du règne de Philippe Ier a donc vu la réconciliation de la royauté avec le Saint-Siège, condition indispensable de la paix religieuse. Quel a été le rôle de Louis VI dans les négociations qui ont abouti à cet accord, l'absence de textes positifs ne permet pas de le préciser, mais le fait que le roi désigné a assisté à l'entrevue de Saint-Denis atteste clairement sa volonté de rapprochement avec la, papauté.

PREMIÈRES EXPÉDITIONS DE LOUIS VI CONTRE LA FÉODALITÉ DU DOMAINE (1100-1108). — La monarchie capétienne avait tout avantage à sceller cette alliance, étant donné le prestige et l'influence dont jouissait le clergé, mais elle ne pouvait songer à accroître sa puissance, tant que le roi ne serait pas mieux respecté à l'intérieur du domaine. Louis VI est le premier souverain qui ait clairement vu l'orientation qu'il fallait imprimer à la politique capétienne : à partir du jour où se fait sentir son action personnelle, la royauté entame une lutte acharnée et persévérante contre la petite féodalité de l'Ile de France qui lui avait infligé de si cuisants échecs. Dès 1100-1101, le jeune prince attaque, au nord de la Seine, les barons pillards qui périodiquement dévastent les terres de l'abbaye de Saint-Denis, Bouchard IV de Montmorency et Matthieu Ier, comte de Beaumont. En 1102, il contraint Eble de Roucy à cesser ses incursions contre l'église de Reims[58]. Il intervient aussi au sud du fleuve où les seigneurs de Montlhéry et de Rochefort, d'ailleurs apparentés, interceptaient les communications entre Paris et Orléans. Rendu prudent par son-échec du Puiset, Philippe Ier avait essayé de les amadouer en leur confiant des fonctions au palais, puis en fiançant son fils adultérin, Philippe, à Élisabeth, fille de Guy Troussel, seigneur de Montlhéry, et Louis VI lui-même à Lucienne, fille de Guy le Rouge, comte de Rochefort. Ce second projet matrimonial, qui fut d'ailleurs annulé au concile de Troyes (1107), n'empêcha pas le prince Louis d'intervenir dans une guerre terrible provoquée en 1105 par le vicomte de Troyes et par son frère, Milon de Bray, qui revendiquait Montlhéry ; le jeune roi en profita pour entrer dans le château dont il ne laissa subsister, après l'avoir démantelé, que le donjon. Plus au sud, en Orléanais, Louis VI a, en 1103, châtié Léon de Meung qui pillait les terres épiscopales ; en 1107, il s'avancera jusqu'en Berry et contraindra le seigneur de Sainte-Sévère, Humbaud, à cesser ses dévastations[59].

Il y a donc, au début du XIIe siècle, quelque chose de changé dans l'attitude de la royauté capétienne à l'égard de ses vassaux immédiats ; une action plus énergique révèle la présence d'un dux exercitus bien décidé à faire respecter l'ordre et la paix par des châtelains qui, retranchés dans leurs donjons, s'étaient habitués à considérer leur souverain comme une quantité négligeable. Toutefois, au moment où disparaît Philippe Ier, cette politique nouvelle est à peine ébauchée et, à côté d'indiscutables succès, elle a connu des revers : Louis VI s'est laissé duper par le sinistre Thomas de Marie, fils d'Enguerran de Boves, qui a réussi à le mettre de son côté dans une guerre avec son propre père et avec Eble de Roucy ; il lui a laissé conserver le château de Coucy dont il devait éprouver plus tard la rude position[60] ; au Sud, l'annulation de son mariage avec Lucienne a déchaîné la colère de Guy le Rouge et engendré une nouvelle guerre, au cours de laquelle Louis a vainement tenté de s'emparer des châteaux de Montlhéry et de Bréthencourt[61]. Ces échecs diplomatiques et militaires soulignent l'ampleur de la tâche entreprise qui réclame un effort patient et prolongé. Il faudrait que Louis VI pût s'y consacrer exclusivement. Or son père vient à peine de mourir que Henri Ier, conscient des difficultés avec lesquelles se débat son rival, l'attaque sur l'Epte, contrariant ainsi une politique dont personnellement il a tout intérêt à retarder les effets.

PREMIÈRE GUERRE ENTRE LOUIS VI ET HENRI Ier (1109-1113). — Malgré tout, Louis VI accepte courageusement le défi du roi d'Angleterre et, Henri Ier ayant refusé de restituer le château de Gisors qu'il a indûment usurpé, il n'hésite pas à recourir aux armes (mars ou avril 1109). Un premier engagement devant Gisors lui est nettement favorable ; plus tard, à la fin de 1110 ou au début de 1111, après un siège mémorable, il enlève Meulan que défendait le comte Robert[62]. Sa diplomatie, au début, n'a pas été moins heureuse ; il a réussi à nouer une coalition avec le comte de Flandre qui a envoyé des troupes en Vexin et avec Foulque V d'Anjou qui, à l'automne de 1111, attirera Henri Ier de son côté, à un moment où le roi de France, accaparé lui-même sur un autre théâtre d'opérations, ne pourra plus mener avec la même vigueur la guerre contre la Normandie[63].

Brusquement en effet, tandis qu'il est engagé dans la lutté contre le roi d'Angleterre, Louis VI est sollicité d'intervenir contre Hugue du Puiset. On peut se demander si, en la circonstance, il n'a pas été joué. par le comte de Chartres, Thibaud IV, qui se plaignit au roi des maux qu'il endurait du fait de ce coquin, riche seulement de sa propre tyrannie et de celle de ses ancêtres. Thibaud avait été l'allié des seigneurs de Rochefort et de Montlhéry dont il avait facilité la victorieuse résistance en 1107. Louis VI n'avait donc aucune raison de lui être agréable, mais aux supplications de Thibaud se joignirent celles de l'archevêque de Sens et de ses suffragants, des abbés de Saint-Denis, de Fleury-sur-Loire et de Saint-Père de Chartres dont Hugue, plus rapace qu'un loup, dévorait les terres. Toujours prêt à acquiescer aux demandes des hommes d'Église, le roi ne voulut pas se dérober. Abandonnant momentanément la guerre contre Henri Ier, il vint à Toury, somma Hugue de lui livrer son château et, comme celui-ci refusait de sortir, il donna l'assaut au Puiset qu'il enleva malgré une défense héroïque[64].

Le véritable vainqueur de cette rude journée n'était pas Louis VI ; si paradoxal que cela puisse paraître a priori, le roi d'Angleterre devait en retirer tous les avantages. Louis a été trahi par Thibaud IV qui l'a tout à la fois utilisé pour affaiblir son redoutable voisin et pour le détourner de la lutte contre Henri Ier. L'expédition n'était pas terminée que, comme l'écrit Suger, le comte Thibaud, fort de l'aide de son oncle, l'illustre roi d'Angleterre Henri, se mit à faire la guerre au roi Louis avec ses complices, à jeter le trouble sur sa terre, à lui soustraire ses barons à coup de promesses et de cadeaux[65]. Il se forma ainsi une coalition dont l'âme était Thibaud IV et à laquelle les ressources de l'Angleterre et de la Normandie furent prodiguées sans ménagement ; tous les ennemis traditionnels de la monarchie y entrèrent : tels Milon de Montlhéry, Guy de Rochefort, Hugue de Châteaufort. et même Hugue du Puiset qui, ayant reçu son pardon du roi, s'empressa de se réconcilier avec le rusé Thibaud et de rentrer dans son château. En 1112, Louis VI, après une série de combats dans le Parisis, doit encore une fois chevaucher vers le Puiset dont il veut prévenir la reconstruction ; une nouvelle mêlée a lieu, aussi terrible que celle de l'année précédente ; le roi lui-même, entouré de toutes parts, se trouve un moment en fâcheuse posture et échappe difficilement à l'étreinte de ses ennemis ; il doit battre en retraite, ce qui laisse à Hugue, largement secondé par des soldats normands, le temps de se fortifier à nouveau, mais quelques semaines plus tard, après avoir regroupé ses forces, il réapparaît, construit lui-même un château en face du Puiset, occupe Janville où se livre une bataille acharnée avec Thibaud IV et les Normands, puis, après avoir obligé le comte de Chartres à s'enfuir, il enlève de nouveau le Puiset dont il bouleverse l'emplacement[66].

PAIX ENTRE LOUIS VI ET HENRI Ier (1113). — Le roi de France restait victorieux. La situation n'en comportait pas moins cette conclusion qu'il ne pourrait lutter efficacement contre les Anglo-Normands que le jour où il en aurait fini avec la petite féodalité du domaine. Aussi, en mars 1113, accepte-t-il de signer avec le roi d'Angleterre le traité de Gisors par lequel il reconnaissait à Henri Ier la suzeraineté du Maine et de la Bretagne[67]. C'était là une grave concession qui consacrait la domination anglaise dans l'ouest de la France et affaiblissait l'Anjou, allié des Capétiens. Peut-être eût-elle été évitée si, en 1111, Louis VI, au lieu de se laisser détourner par Thibaud de Chartres de la lutte contre l'Angleterre, avait poussé jusqu'au bout les avantages qu'il avait jusque là obtenus, mais, en 1113, après les deux guerres du Puiset, l'intérêt de la monarchie exige avant toutes choses l'assainissement définitif du domaine royal où elle était sans cesse attaquée et trahie.

PACIFICATION DU DOMAINE ROYAL CAPÉTIEN (1112-1118). — Louis VI a deviné que la paix de Gisors ne pouvait être qu'une trêve de plus ou moins longue durée. Aussi importait-il d'en finir rapidement avec la pacification du domaine. Jamais son activité n'a été plus intense qu'entre 1112 et 1118, et l'on ne saurait entrer dans le détail des expéditions qu'il a entreprises pendant cette période : tour à tour il contraint Foulque de Gâtinais à ne plus molester les moines de Fleury (1112), pacifie le pays de Beauvais où il limite les pouvoirs du châtelain Eude (1115), enlève le comté d'Amiens à Enguerran de Coucy et détruit la tour de cette ville (1117)[68], mais, tout en arrivant à être partout où sa présence est requise, il concentre davantage son effort contre Thomas de Marle et contre la famille de Montlhéry-Rochefort.

LOUIS VI ET THOMAS DE MARLE. — Thomas de Marle était, au dire de Suger, un homme de la pire espèce, un scélérat, ennemi de Dieu et des hommes, qui massacrait tout et ruinait tout. Comme il ne cessait de ravager les pays de Laon, de Reims et d'Amiens, un concile, réuni à Beau vais le 6 décembre 1114, sous la présidence du légat Conon de Préneste, supplia Je roi de mettre fin à tant d'intolérables vexations. Aussitôt Louis VI convoque son ost, attaque le Château de Crécy qui appartenait â Thomas, le prend d'assaut, enlève ensuite celui de Nouvion, punit durement les coupables qui tombent entre ses mains, contraint son terrible adversaire à se soumettre et à restituer les biens qu'il a usurpés (mars-avril 1115), après quoi, avec cette instinctive générosité qui a nui parfois aux succès de ses entreprises, il lui pardonne, si bien que le résultat fut en somme médiocre[69]. Thomas continua à affamer et à torturer les paysans ; à inquiéter les évêques et les clercs qui ripostèrent par d'inutiles anathèmes ; il faudra, en 1130, une nouvelle expédition royale pour venir à bout de ce brigand sans foi ni loi.

LOUIS VI ET LES SEIGNEURS DE MONTLHÉRY-ROCHEFORT. — Le toi eut à fournir tin effort plus rude encore au sud dé la Seine. Le pays verdoyant et accidenté qui s'étend sur la rive gauche dé la Seine et comprend les riantes vallées de la Mauldre, de l'Eure, de l'Yvette, de l'Orge et de l'Essonne, a écrit l'historien de Louis VI, donna plus de mal à Louis le Gros que tout le reste du domaine royal. Ce paradis était alors un véritable enfer féodal, hérissé de donjons inexpugnables, repaires d'incorrigibles barons. Montlhéry, Chevreuse, Rochefort-en-Yveline, Châteaufort, Gometz, Bréthencourt, Corbeil, La Ferté-Alais, Gournay, Bray-sur-Seine interceptaient les communications à travers la région parisienne et mettaient le roi à la merci de ses vassaux. Il fallait en finir avec cette perpétuelle menace. La politique de conciliation, suivie à l'égard des seigneurs de Montlhéry et de Rochefort pendant les dernières années du règne de Philippe Ier, avait totalement échoué, mais les dissensions familiales devaient, sous Louis VI, faciliter l'action royale : Guy le Rouge et son fils, Hugue de Crécy, s'entendaient mal avec Milon de Bray et avec Eude de Corbeil. En 1118, Hugue de Crécy ayant assassiné son cousin, le roi affecta une profonde indignation et obligea le meurtrier, que depuis dix ans et même davantage il n'avait cessé de combattre, à se retirer dans un monastère, puis il confisqua ses biens. Ce drame le débarrassait d'un seul coup de deux adversaires et mettait à sa disposition les propriétés de la maison de Montlhéry qu'il garda pour lui ou remit à la famille amie des Garlande[70]. De ce fait, les relations devinrent plus aisées entre la région de la Seine, l'Orléanais et le Berry ; d'autre part, le roi pouvait s'éloigner du domaine sans s'exposer au risque d'un coup de main sur ses propres terres.

SECONDE GUERRE ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLETERRE (1116-1120). — Au moment où disparaissait la maison de Montlhéry, la guerre avait repris depuis quelque temps déjà avec les Anglo-Normands. De part et d'autre, on considérait la paix de 1113 comme une éphémère suspension d'armes et à peine était-elle conclue que l'on se préparait en vue d'une nouvelle guerre. Louis VI, tout en luttant contre les féodaux, n'a cessé de resserrer l'alliance traditionnelle avec la Flandre et l'Anjou ; en outre, à partir de 1116, revenant à une tactique autrefois suivie par son père, il soutient l'opposition normande, représentée par Guillaume Cliton, fils de Robert Courteheuse, qui revendique la succession paternelle. De son côté, Henri Ier s'appuie plus que jamais sur Thibaud IV, comte de Blois et de Chartres, qu'anime une haine tenace pour la dynastie capétienne, et qui, installé aux portes du domaine royal, cherche de nouveau à coaliser tous les mécontents[71].

Dès 1116, Henri Ier revient en Normandie. Au printemps de cette année, des combats se livrent sur la frontière des deux États, mais ni en 1116, ni en 1117, il n'y a d'opérations sérieuses : Louis VI est occupé à soumettre Thomas de Marie et à prendre Amiens ; il se contente de quelques incursions en territoire normand[72]. Au début de 1118, par un curieux synchronisme auquel le comte Thibaud n'a peut-être pas été étranger, Hugue du Puiset se révolte à nouveau ; le roi est encore obligé de retourner en Beauce pour châtier le rebelle qu'il déshérite complètement, après avoir rasé son château[73], puis il revient en toute hâte vers la frontière normande où il médite une opération importante. En février ou mars 1118, une offensive générale se dessine en effet : Henri Ier est attaqué à la fois par les Français, les Flamands, les Angevins et les seigneurs normands qui ont épousé la cause de Guillaume Cliton ; Louis le Gros pénètre dans le Vexin, attaque le château de Gasny, au confluent de l'Epte et de la Seine, qu'il enlève de haute lutte, puis il s'empare de Malassis ; tout le pays est conquis jusqu'à l'Andelle, tandis que le comte d'Anjou, Foulque V, avance à travers le Maine et rem-, porte une victoire près d'Alençon (novembre 1118)[74].

DÉFAITE DE LOUIS VI A BRÉMULE (20 AOÛT 1119). — A la fin de 1118, la situation de Henri Ier semblait fortement compromise. Elle se redressa pourtant très vite, par suite de circonstances accidentelles défavorables au roi de France. Dans l'été de 1119, celui-ci perdit ses deux meilleurs auxiliaires, Baudouin VII de Flandre et Enguerran de Chaumont qui moururent presque simultanément. Au même moment, Foulque V d'Anjou traita avec le roi d'Angleterre et le mariage du fils de Henri, Guillaume Adelin, avec Mathilde, fille de Foulque, scella cette réconciliation. Ainsi privé de tous ses alliés, Louis VI se laisse surprendre, le 20 août 1119, à Brémule, au cœur du pays entre Epte et Andelle qu'avait conquis Enguerran de Chaumont. Au lieu de suivre l'avis de Bouchard de Montmorency qui lui conseillait de se dérober, il accepte le combat et il est vaincu. Il essaie de se venger en brûlant Ivry, échoue devant Breteuil (septembre 1119), médite d'incendier Chartres, afin de punir Thibaud IV qu'il rend responsable de sa défaite, puis il se ravise : c'est par la diplomatie qu'il prendra sa revanche[75]...

MÉDIATION DE CALIXTE II. — A son retour du siège de Breteuil, Louis VI a, le 3 octobre III9, à Morigny, une entrevue avec le pape Calixte II qui avait reçu la tiare le 2 février 1119 et s'acheminait vers Reims où devait s'ouvrir un concile le 20 octobre[76]. Il aperçoit en effet la possibilité d'une médiation pontificale dans le conflit franco-anglais[77]. Depuis son avènement, il n'a laissé échapper aucune occasion de témoigner sa sympathie envers le Saint-Siège, notamment depuis 1111 : si Suger exagère lorsqu'il prétend que le concile de Vienne qui, en 1112, protesta contre l'attentat commis l'année précédente par Henri V, se tint avec l'aide et sur le conseil de Louis VI[78], il n'en reste pas moins vrai que le roi a approuvé l'attitude de l'épiscopat français et qu'au cours des années suivantes, en accordant une généreuse hospitalité au cardinal Conon de Préneste, puis aux papes Gélase II et Calixte II, il a manifesté avec éclat sa volonté très arrêtée de soutenir l'Église romaine 88. En revanche, Henri Ier avait fait preuve à l'égard du siège apostolique d'autres sentiments : après avoir accepté le concordat sur les investitures, il s'était plaint d'avoir été lésé par le pape et, dès 1108 il insinua qu'il exercerait de nouveau ses anciens droits[79] ; après la mort de saint Anselme (21 avril 1109), il revint insensiblement aux pratiques de son père et même de son frère, laissant les évêchés indéfiniment vacants afin de percevoir plus longtemps leurs revenus, empêchant les légats pontificaux de pénétrer en Angleterre, ce qui provoqua, en 1115, une protestation de Pascal II et amena pendant quelques années une véritable tension entre le roi et le Saint-Siège[80]. Aussi, en octobre 1119, les dispositions de Calixte II sont-elles forcément favorables à Louis VI dont l'Église romaine n'a eu qu'à se louer en toutes circonstances.

RÉTABLISSEMENT DE LA PAIX ENTRE LOUIS VI ET HENRI Ier (1119-1120). — Après le concile de Reims, Calixte II se rend à la frontière anglo-normande ; il a une entrevue à Gisors avec Henri Ier et transmet aussitôt au roi de France l'es propositions formulées par son rival. On ne les connaît pas avec précision, mais il semble qu'elles aient comporté tout simplement le statu quo, car, dans lie courant de l'année 1120, les deux princes, après s'être rencontrés, se restituent les châteaux et les prisonniers tombés en leur pouvoir. En outre, Guillaume Adelin, fils de Henri Ier, fait, sur l'ordre de son frère, hommage à Louis VI pour le duché de Normandie[81].

LA COAUTION DE 1123-1124. — Peu de temps après la signature de ce traité, le fils aîné de Henri Ier, Guillaume Adelin, et plusieurs membres de la famille royale anglaise périrent dans un naufrage qu'avait causé leur imprudente légèreté (25 novembre 1120)[82], Comme le roi n'avait plus d'héritier mâle direct, le fils de Robert Courteheuse, Guillaume Cliton, convoita de nouveau le duché de Normandie et il s'attacha, dès 1122, à former une coalition où entrèrent le comte d'Anjou, Foulque V, Amauri de Montfort et Galeran de Meulan. Sans y adhérer officiellement, Louis VI la patronnait ; n'était-ce pas l'occasion rêvée de dissocier à nouveau le royaume anglo-normand ? Henri Ier aperçut aussitôt le danger ; en septembre-octobre 1123, il vint assiéger Montfort et Pont-Audemer, puis, pour en finir avec ce roi de France qui décidément ne pouvait lui laisser un seul moment de quiétude, il monta une opération de plus grand style en décidant son gendre, l'empereur Henri V, à attaquer le royaume capétien[83]. Celui-ci, qui gardait rancune à Louis VI de son attitude dans la lutte du Sacerdoce et de l'Empire, rie demandait pas mieux que de se venger sur lui des déconvenues qu'il avait éprouvées au cours des dernières années. Il se prépara donc à envahir la France par l'Est, tandis qu'une fois de plus Henri Ier portait la guerre dans le Vexin où, en mars 1124, il remporta à Rougemoutier une victoire stérile[84].

L'INVASION ALLEMANDE EN FRANCE (JUILLET-AOÛT 1124). — A la fin de juillet 1124, Henri V pénètre dans le revnum Francorum et marche sur Reims qu'il projette d'enlever par surprise. A cette nouvelle, Louis VI fait semoncer les nobles, se rend à Saint-Denis pour y invoquer la protection du martyr, prend l'oriflamme et, en toute hâte, gagne Reims où devait s'opérer la concentration de ses forces. Son appel a été largement entendu et les seigneurs affluent de toutes parts. On voyait, écrit Suger, une telle quantité de chevaliers et de gens de pied qu'on eût dit des sauterelles dérobant aux yeux la surface de la terre non seulement le long des cours d'eau, mais encore sur les montagnes et dans la plaine. Si hyperbolique que soit ce langage, il reste vrai que les grands feudataires, en présence du danger qui menaçait le royaume tout entier, se sont empressés d'accourir, y compris ceux qui avaient jusque là fait preuve à l'égard du roi d'indifférence ou même d'hostilité : Thibaud IV de Chartres, malgré sa parenté avec Henri Ier, est venu avec son oncle, Hugue de Champagne ; sont encore là Charles le Bon, comte de Flandre ; Hugue II, duc de Bourgogne ; Guillaume, comte de Nevers ; Raoul, comte de Vermandois, qui groupe autour de lui les hommes du Ponthieu, de Saint-Quentin, d'Amiens et de Beauvais ; seuls, Guillaume IX, duc d'Aquitaine, Foulque V d'Anjou et Conan III de Bretagne se sont abstenus en raison de leur éloignement. Les églises, elles aussi, ont envoyé leurs milices qui rivalisent d'enthousiasme avec les contingents féodaux. Bref, le royaume entier est derrière le souverain et, pour la première fois, la solidarité nationale se manifeste ailleurs que dans les diplômes.

RETRAITE DE HENRI V. — Il est impossible d'évaluer le nombre des troupes concentrées à Reims à la fin de juillet 1124, mais il était certainement supérieur à celui des soldats allemands. Aussi l'écho de ces préparatifs grandioses étant parvenu aux oreilles de Henri V, l'empereur jugea prudent de ne pas aller au-devant d'une défaite. A peine avait-il dépassé Metz qu'il se retirait subrepticement, aimant mieux, dit Suger, endurer l'ignominie d'une défection que d'exposer aux accablantes représailles des Français son empire et sa personne en péril de ruine. Louis VI s'abstint de le poursuivre : la retraite allemande lui avait conféré suffisamment de prestige pour qu'il préférât rester sur ses positions[85].

CONSÉQUENCES DE L'ÉCHEC DE LA COALITION DE 1124. — L'échec de la coalition et de l'invasion germanique en France a eu pour l'histoire des royaumes occidentaux les plus importantes conséquences. Tout d'abord, à partir de 1124, Henri Ier d'Angleterre n'attaquera plus le royaume capétien ; une longue trêve commence et elle se prolongera jusqu'au delà de l'avènement de Henri II Plantagenet (1154). Du même coup, les deux souverains français et anglais, à la faveur de cette période de paix, vont parallèlement poursuivre, avec une activité renouvelée, l'œuvre de consolidation de l'autorité royale à laquelle ils se sont voués depuis leur avènement ; une phase décisive s'ouvre pour la constitution des deux monarchies anglo-normande et capétienne.

LE GOUVERNEMENT DE LOUIS VI. — Jusqu'à la fin, le règne de Louis VI a conservé l'allure qu'il avait revêtue dès le début du XIIe siècle. En matière d'administration, le fils de Philippe Ier a peu innové et s'est contenté de maintenir intactes les réformes paternelles. Le gouvernement reste, comme pendant le dernier quart du XIe siècle, concentré entre les mains d'un petit nombre de palatins parmi lesquels émergent tout d'abord les frères de Garlande, Anseau qui fut sénéchal et périt d'un coup de lance au troisième siège du Puiset (1118), Guillaume qui succéda à Anseau dans cette fonction et qui commandait à Brémule, enfin le chancelier Étienne ; le préféré du roi, qui, quoique d'Église, n'apparaît pas comme un modèle de sainteté ni de désintéressement ; personne ne sut mieux que lui cumuler les places et les fonctions, ce qui lui valut d'être accusé par saint Bernard de servir à la fois Dieu et le diable[86]. Après la disgrâce d'Étienne, qui trouva le moyen de s'aliéner la reine Adélaïde de Maurienne, très influente sur son époux (1127), le personnage tout-puissant au palais fut Raoul de Vermandois, cousin de Louis VI, dont le rôle avait été décisif lors de l'invasion de 1124 et que l'on trouve mêlé depuis lors à tous les événements importants[87]. Autour de ces hommes de premier plan gravite tout un personnel de clercs qui expédient les affaires, tandis que le souverain lui-même poursuit le but qu'il s'est assigné depuis sa jeunesse, à savoir l'affermissement de l'autorité monarchique sur les diverses classes qui composent le royaume.

PACIFICATION DU DOMAINE ROYAL. — A la faveur de la paix avec les Anglo-normands, Louis VI a tout d'abord achevé de soumettre la petite féodalité du domaine contre laquelle, depuis son avènement, il n'avait cessé de lutter avec une inlassable énergie. Le départ, en 1128, de Hugue du Puiset pour la Terre Sainte où il mourut quelques années plus tard, le débarrasse de ' son plus redoutable ennemi[88]. Deux ans plus tard, Thomas de Marie succombe à son tour. Sa défaite de 1115 n'avait pas mis fin à ses rapines et de nouveau les doléances des églises de la région de Laon montaient vers le roi. En octobre 1130, sur le conseil de Raoul de Vermandois, Louis VI organisa une expédition contre Coucy où s'était retranché ce scélérat de Thomas et, après un vigoureux assaut, au cours duquel le roi donna largement de sa personne, la position fut enlevée de haute lutte. Thomas, malgré une défense acharnée, fut fait prisonnier et mourut peu après des multiples blessures qu'il avait reçues dans le combat[89].

Au sud de la Seine, la chute de Montlhéry a facilité la tâche du roi et quelques opérations de nettoyage, pendant les dernières années du règne, achèvent la pacification de cette région. Vers 1132 ou 1133, la destruction de Chateaurenard rend plus sûre la route qui conduit de Paris au Gâtinais[90]. L'action royale s'étend aussi à l'Orléanais où Louis VI, en 1135, dirige une expédition contre le châtelain de Saint-Brisson qui détroussait les marchands et assure ainsi la liberté du commerce de la Loire[91].

Cette campagne est la dernière qu'ait menée Louis le Gros et elle couronne l'œuvre de pacification méthodique qu'il a poursuivie avec un opiniâtre persévérance. Nul doute que le bilan ne soit fructueux. A la fin du XIe siècle, la physionomie du domaine royal s'est transformée. Jadis hérissé de donjons dont les châtelains, parvenus à une indépendance à peu près totale, tenaient en échec l'autorité monarchique et paralysaient le commerce, il est maintenant, pour la dynastie capétienne, un solide point d'appui capable d'étayer une politique de grande envergure. La suppression des Hugue du Puiset, des Thomas de Marle, des Hugue de Crécy a donné à la couronne une force matérielle qui lui manquait, tandis que l'échec de l'invasion germanique l'a enrichie d'un prestige moral dont elle saura également tirer parti.

POLITIQUE ECCLÉSIASTIQUE DE LOUIS VI. — En même temps qu'il a créé cette force matérielle et fait naître ce prestige moral, Louis VI a rendu à la royauté un autre service : il lui a ménagé deux alliances qui lui sont précieuses pour l'avenir, celle de l'Église et celle des classes populaires.

En apparence, la politique ecclésiastique de Louis VI offre des contradictions. Cela tient à ce que le roi, tout en se montrant empressé. à l'égard du clergé, n'a jamais voulu sacrifier ce qu'il considérait comme les droits intangibles de la couronne. A plusieurs reprises, il est entré en conflit avec l'épiscopat, soit qu'il ait voulu dans certaines élections, comme à Laon (1112) ou à Tours (1118-1119), imposer son candidat de préférence à celui du chapitre[92], soit qu'il ait essayé de substituer la juridiction royale à la juridiction ecclésiastique dans des procès qui canoniquement ne pouvaient relever de la cour[93]. En ces diverses circonstances et en d'autres encore, il s est montré autoritaire, emporté, violent même, ce qui lui a valu d'âpres remontrances de la part d'Yves de Chartres, d'Étienne de Senlis, évêque de Paris, ou surtout de saint Bernard qui, avec son habituelle sévérité, le dénonça au pape Honorius II comme un nouvel Hérode[94]. Il ne faudrait cependant pas attacher trop d'importance à ces incidents : ni le tempérament absolutiste du roi, ni l'influence d'Étienne de Garlande qui ne s'est pas exercée dans un sens favorable au clergé n'ont empêché l'accord de 1107 de porter, ses fruits ni la réforme grégorienne de progresser à l'intérieur du royaume capétien et cela, le plus souvent, avec l'appui de Louis VI.

Lors des pourparlers qui ont précédé le concordat de Worms, l'un des négociateurs, Guillaume de Champeaux, pour faire accepter par Henri V l'abandon de toute investiture, invoquait l'exemple de la France où les évêques, disait-il, sans recevoir leur dignité des mains de leur souverain, remplissaient avec exactitude leurs devoirs féodaux envers lui. Cette affirmation prouve que le régime préconisé par Yves de Chartres a régulièrement fonctionné sous le règne de Louis VI. — Sans doute le roi a-t-il parfois exercé sur les électeurs une forte pression, afin de faire agréer par eux le candidat de son choix, mais il n'a pas toujours triomphé et a dû, à Reims au début du règne, à Auxerre en 1115, accepter contre sa propre volonté l'élu des chanoines[95]. D'ailleurs le nombre d'élections où Louis le Gros a combattu les chapitres est infime par rapport à celles où les choses se 'sont passées normalement, et l'on peut dire en somme que la théorie chartraine a reçu, en France, au début du XIIe siècle, la consécration des faits[96].

PROGRÈS DE LA RÉFORME DE L'ÉGLISE EN FRANCE. — En même temps qu'il respecte, sauf exception, l'indépendance de l'Église, Louis VI favorise la diffusion de la réforme monastique qui, au cours des dernières années du XIe siècle, est venue compléter celle de Cluny. Les nombreuses donations trahissent l'intérêt qu'il porte aux ordres nouveaux ; Arrouez, Fontevrault, Tiron, Cîteaux, aussi bien que la vieille congrégation clunisienne, ont reçu de lui de précieux privilèges. Prémontré a été davantage encore l'objet de sa sollicitude : Louis VI, conseillé surtout par l'évêque de Laon, Barthélemy de Vir, a compris l'intérêt de l'œuvre accomplie par saint Norbert qui, soucieux de faire pénétrer les habitudes monastiques dans l'Église séculière, a voulu grouper en une vaste congrégation les communautés de chanoines réguliers éparses un peu partout ; l'abbaye mère de Prémontré et plusieurs de ses filiales ont tout particulièrement bénéficié de la générosité royale[97]. Cette générosité s'est encore davantage exercée à l'égard de l'abbaye de Saint-Victor de Paris qu'avait fondée Guillaume de Champeaux pour en faire un centre d'études et qui, d'abord fixée à Puiseaux, fut installée, en 1113, sur la montagne Sainte-Geneviève par le roi qui lui concéda, outre un important domaine, le droit d'élire son abbé sans attendre aucune autorisation, pas même la sienne[98].

Non content d'enrichir les monastères ou les communautés de chanoines, Louis VI veille aussi — et c'est en cela qu'il s'est montré le meilleur des auxiliaires pour les réformateurs — à ce que la règle soit observée et il prête, au besoin, main-forte aux abbés, quand il s'agit de la faire respecter. En 1128, il confirme la décision du concile d'Arras qui, à l'abbaye de Notre-Dame et Saint-Jean de Laon, avait substitué des moines aux religieuses convaincues de mauvaises mœurs et il semble bien qu'un motif analogue l'ait déterminé à expulser les nonnes qui vivaient à Argenteuil où furent introduits des religieux de Saint-Denis[99]. Si l'on en croit Hermann de Tournai[100], il aurait été même jusqu'à employer la force pour obliger les moines de Saint-Médard de Soissons à recevoir la règle de Cluny. Toutes ces interventions attestent un zèle religieux évident et expliquent la popularité dont le roi a joui le plus souvent parmi les hommes d'Église.

LOUIS VI ET LE SAINT-SIÈGE. — L’appui que Louis VI a prête au Saint-Siège en de graves circonstances a encore accru cette laveur. Un a vu quel avait été son rôle dans la lutte du Sacerdoce et de l'Empire avant le concordat de Worms. En 1130, à la mort d'Honorius II, l'Église romaine traverse de nouveau une crise par laquelle l'unité chrétienne se trouve menacée : le pape régulièrement élu, Innocent II, voit surgir devant lui un antipape, Anaclet[101]. L'appui de la France est ardemment recherché par les deux rivaux. Aussitôt Louis VI, subordonnant, avec une loyauté digne de tous éloges, ses préférences personnelles à l'avis de l'Église de France réunit à Étampes un concile national qui reconnaît la légitimité d'Innocent II[102]. L'adhésion de la France entraîne celles du roi d'Angleterre et de l'empereur. Par son énergique orthodoxie, Louis VI a contribué, plus que personne, à mettre fin au schisme qui divisait la chrétienté.

Ainsi, au temps d'Innocent II comme sous les pontificats de Pascal II, de Gélase II et de Calixte II, la papauté a dû une bonne part de ses succès à l'alliance française, mais la royauté capétienne a retiré, elle aussi, quelques avantages d'une entente qui n'était pas entièrement désintéressée. Pour être agréable au roi de France, la papauté, au temps d'Urbain II, avait séparé l'église toute française d'Arras de celle de Cambrai qui relevait de l'Empire[103] ; pour la même raison, elle maintint au contraire celle de Tournai, qui aspirait à son autonomie, sous la dépendance de celle de Noyon[104]. De Calixte II Louis VI a obtenu aussi la prise en considération des droits de l'archevêque de Sens à la primatie des Gaules et de Germanie que Grégoire VII avait transférée au métropolitain de Lyon, alors ville d'Empire[105]. Ainsi, dans toutes ces affaires d'organisation ecclésiastique, la solution adoptée par le Saint-Siège a été conforme aux intérêts de la politique française. Par la suite, les Capétiens, dans leur œuvre d'extension territoriale, pourront généralement compter sur l'appui de la papauté.

LOUIS VI ET LES POPULATIONS RURALES. — Une autre alliance, moins -nettement caractérisée et encore bien timide, s ébauche entre la royauté et le peuple. A l'égard des serfs ruraux, la politique de Louis VI n'a pas eu la continuité ni la largeur de vues qu'on lui a longtemps attribuées. Toutefois on relève à son actif quelques actes d'affranchissement dictés par une -intention pieuse ou encore des conventions relatives à des échanges de serfs et destinées à sauvegarder les lois familiales[106]. De même, le roi s'efforce de protéger les populations de la campagne contre les vexations des fonctionnaires et notamment contre les exigences tracassières du fisc. C'est cette pensée, fort honorable d'ailleurs, qui a inspiré la charte type de Lorris qu'adopteront par la suite plusieurs villes franches. Les habitants de ce bourg du Gâtinais sont affranchis du service de guet, des corvées, de la taille, de l'aide ainsi que d'un bon nombre d'impôts indirects, et leurs redevances envers leur seigneur, en l'espèce le roi, sont rigoureusement définies ; en outre, aucun d'eux n'est attaché à la glèbe, ce qui implique la liberté pour tous. A ces améliorations sociales s'ajoutent des privilèges commerciaux : le roi prend sous sa sauvegarde les personnes qui viennent au marché et dispense de toutes taxes les marchandises transportées par les hommes de la ville[107]. De droits politiques, en revanche, il n'est pas question. Aussi bien est-il évident que Louis VI veut surtout favoriser le développement économique du Gâtinais, sans qu'il songe le moins du monde à se concilier les populations par l'octroi de libertés. A l'égard des communes, sa politique sera dominée par des préoccupations analogues.

LOUIS VI ET LE MOUVEMENT COMMUNAL. — C'est en effet sous Louis VI que se précipite en France la révolution qui arrache à l'autorité seigneuriale un grand nombre de villes pour les ériger en communes, c'est-à-dire en organismes autonomes et indépendants, véritables seigneuries collectives au sein de la féodalité. Déjà, pendant le règne de Philippe Ier, Le Mans s'était affranchi en 1069, Cambrai en 1076, Saint-Quentin vers 1080, Beauvais en 1099[108]. Après l'avènement de Louis le Gros, les grandes cités du nord de la France s'émancipent à leur tour : Arras et Noyon en 1108-1109, Mantes en 1110, Valenciennes en 1114, Amiens en 1116-1117, Corbie vers 1120, Soissons en 1126, Bruges, Lille et Saint-Omer vers 1127[109]. Sous le règne de Louis VII et de Philippe ! Auguste, le mouvement gagnera le Midi.

De ce fait, se posait pour la royauté un redoutable problème : directement atteinte à Noyon et à Mantes, devait-elle combattre le mouvement communal ou au contraire le favoriser ? Il ne semble pas que Louis VI ait envisagé sous cette forme ce troublant dilemme et le surnom de père des communes, dont on l'a parfois gratifié, s'appliquerait plus justement, à son fils, Louis VII, qu'à lui-même. Sa politique apparaît comme hésitante, incertaine, contradictoire. A Mantes, dont il est l'unique seigneur ; les marchands, en 1110, sollicitent l'autonomie municipale ; il l'accorde[110]. A Laon, il observe une tout autre attitude : en 1111, pendant une absence de l'évêque, le fameux Gaudri, un singulier prélat qui domine par la terreur et par J'assassinat, la ville se révolte, s'affranchit et s'organisa ; avec de l'argent, elle obtient de son pasteur la reconnaissance du fait accompli, du roi la ratification de la charte, mais Gaudri ne consent pas à sa défaite ; eu y mettant le prix, il décide Louis VI à supprimer la commune (1112). Aussitôt une insurrection éclate, les bourgeois en armes assaillent le palais épiscopal, se saisissent de l'évêque qu'ils mettent à mort et mutilent atrocement, massacrent à tort et à travers nobles et clercs. Le roi ne veut pas laisser de telles violences impunies : il vient prendre Laon (1114), maintient l'abolition de la commune dont il autorisera pourtant la reconstitution quatorze ans plus tard (1128)[111]. A Amiens, Louis VI au contraire, dès 1113, confirme une commune qui, en fait, n'existe pas encore[112] : il a besoin du concours des bourgeois pour enlever la tour où) s'est fortifié le représentant d'Enguerran de Boves, Adam, qu'en 1117 il dépouille de toute autorité sur Amiens[113], ce qui implique l'existence de la commune.

De ces diverses interventions il est difficile de tirer une conclusion précise quant à l'attitude de Louis VI à l'égard du mouvement d'émancipation urbaine. On peut se demander s'il en a compris la portée générale. A Mantes, s'il autorise la commune, c'est avant tout, pour affermir son autorité- sur une ville qu'il venait de reprendre à1 son demi-frère, Philippe, fils die Bertrade de Montfort, et où il avait intérêt à se rendre populaire ; à Amiens, il s'agit de détruire la domination d'un adversaire de la couronne ; à Laon, les soucis fiscaux l'emportent sur toute autre considération. Cependant, que ce soit de bon ou de mauvais gré„ Louis VI a, en liait r favorisé la révolution communale et ainsi s'expliquent les sympathies qu'il a pu conquérir parmi les populations urbaines. Celles-ci, comme les habitants des campagnes, lui ont su gré d'avoir fait régner l'ordre et la paix dont les transactions commerciales ne pouvaient que bénéficier. Les classes laborieuses partagent les sentiments du clergé et lieur fidélité à la monarchie capétienne ne cessera de s'accroître au cours du XIIe siècle.

LES GRANDS FIEFS FRANÇAIS AU TEMPS DE LOUIS VI. — En revanche, le roi qui a pacifié le domaine et préparé, consciemment ou non, les alliances qui aideront ses successeurs à parfaire l'unité française, n'a guère entamé les grands fiefs qui, au contraire, achèvent de s'unifier en dehors de la royauté pendant le premier tiers du XIIe siècle.

Au début du XIe siècle, la France était surtout constituée par des châtellenies sur lesquelles le grand feudataire n'exerçait qu'une suzeraineté illusoire. Il en est tout autrement à l'époque de Louis VI : un travail de concentration s'est opéré à l'intérieur des grandes unités provinciales qui se dessinaient à la fin de la période carolingienne. Si, dans la plupart des cas, le grand feudataire n'a pas réussi à imposer à ses vassaux son autorité suzeraine, s'il n'a pas reconquis les droits régaliens précédemment usurpés, du moins des liens de solidarité se sont-ils créés entre lui et ses barons ; des assemblées établissent des - ordonnances communes à tout le fief ; de plus, par des guerres heureuses, par une savante diplomatie matrimoniale, le haut suzerain est parvenu à agrandir tout à la fois son fief et son domaine personnel ; de même, il a pu accroître son pouvoir qu'il transmet régulièrement à ses successeurs et créer une administration ; en un mot, il a réalisé, à l'intérieur de son fief, ce que Philippe Ier et Louis VI avaient opéré dans le domaine royal. Ainsi se sont constitués ces États provinciaux qui donnent à la France du XIIe siècle sa physionomie propre. Il est à noter toutefois que l'évolution qui les a produits a été plus rapide au Nord et à l'Ouest qu'à l'Est et au Sud[114].

LA FLANDRE. — Au Sud, le comté de Flandre est devenu très vite l'un des fiefs les plus puissants et les mieux organisés du royaume capétien. L'œuvre de Baudouin V (1036-1067), qui avait conquis la région entre Escaut et Dendre et annexé le Hainaut, a été continuée après la crise qui a suivi la mort de Baudouin VI (1067-1070), par son second fils, Robert le Frison (1071-1093). Cet aventurier, d'abord célèbre pour ses lointaines pérégrinations, se révéla très vite comme un politique de premier ordre qui sut admirablement exploiter la situation intermédiaire de son pays, vassal à la fois du roi de France et de l'empereur, pour s'affranchir en fait de toute autorité suzeraine. Son successeur, Robert II (1093-1111), connu surtout pour sa participation à la première croisade, ne lui a pas été inférieur : il a très bien vu que l'avenir de la Flandre était du côté de l'Est, le bombement de l'Artois constituant vers l'Ouest une barrière naturelle et la puissance anglo-normande interdisant toute expansion de ce côté ; à la faveur des guerres civiles en Allemagne, il a pu annexer Cambrai (1103) et, en 1107, il a tenu Henri V en échec. Après lui, Baudouin VII (1111-1119) a accompli une œuvre assez analogue à celle de Louis VI dans le domaine royal ; c'est avant tout le souverain justicier qui abat les donjons et impose la paix, accroissant de ce fait la puissance comtale à l'intérieur du fief. Malheureusement pour la Flandre, il ne laissait pas d'héritier. Il aura pour successeur son cousin, Charles de Danemark, qui périra assassiné le 2 mars 1127. De là une crise de succession d'où l'État flamand sortira indemne, prêt à jouer un rôle primordial dans les guerres du règne de Philippe-Auguste[115].

L'ANJOU. — Au sud-ouest de la Flandre, la Normandie est devenue partie intégrante du royaume fondé par Guillaume le Conquérant. Elle confine elle-même, au Sud, au comté d'Anjou qui a souffert, au milieu du XIe siècle, de la crise de succession ouverte par la mort de Geoffroy Martel (1060) : abandon de la Saintonge au duc d'Aquitaine, du Maine au duc de Normandie, du Gâtinais au roi de France, telles ont été les conséquences territoriales de la guerre civile qui, de 1064 à 1068, a opposé les deux neveux du défunt, Geoffroy le Barbu et Foulque le Réchin. Le règne de Foulque (1068-1109), que les chroniqueurs représentent comme gourmand, débauché, inerte, et dont les malheurs conjugaux sont restés célèbres, n'a pas réparé ces ruines ; il n'a cependant pas été inutile à la grandeur angevine : c'est pendant cette période que s'est affirmé le pouvoir comtal sur le haut clergé et que, par une évolution analogue à celle que l'on observe dans le domaine royal sous Philippe 1er, se sont constitués et organisés les grands offices de la cour[116]. Les successeurs de Foulque le Réchin, Foulque V le Jeune (1109-1129) et Geoffroy le Bel (1129-1151), sont au contraire les émules de Louis VI : ils pacifient la comté en réduisant à l'obéissance les châtelains rebelles de l'Isle Bouchard, de Preuilly, de Montbazon, de Montreuil-Bellay, de Condé, de Sablé qui avaient profité de l'apathie du Réchin pour semer partout la terreur ; à l'extérieur, Foulque le Jeune, en 1110, reprend le Mans à Henri Ier Beauclerc et s'empare ensuite d'Alençon ; en 1127, il fera épouser à son fils, Geoffroy, Mathilde, fille du roi anglo-normand et préparera ainsi l'union de l'Anjou, de la Normandie et de l'Angleterre[117].

LA BRETAGNE. — La Flandre et l'Anjou font figure, pendant la première moitié du XIIe siècle, de véritables, États. Ailleurs, le travail d'unification n'est pas aussi avancé. En Bretagne, le duc Houel a, en 1066, réuni sons, son autorité suzeraine les. trois comtés de Cornouaille, de Nantes et de Rennes, mais cette suzeraineté est purement nominale. Jusqu'au XIIe siècle, M péninsule bretonne à son histoire toute remplie par des luttes intestines : elle réussit cependant à maintenir son indépendance à l'égard des dues de Normandie qui, depuis Guillaume le Conquérant, rêvaient de l'annexer, jusqu'au jour où le fils de Houël, Alain Fergent, qui avait soutenu Henri Ier contre Robert Courteheuse et combattu à Tinchebray, prêterai hommage au roi anglo-normand[118].

LE DUCHÉ D'AQUITAINE. — L'évolution du duché d'Aquitaine est plus accentuée. Dès le début du XIe siècle, Guillaume le Grand (994-1030) s'intitulait déjà duc de toute la monarchie d'Aquitaine. Ce titre convient davantage encore à Guillaume VIII ou Guy-Geoffroy (1058-1086), chevalier fougueux et ardent, qui en 1062, conquis la Saintonge et, en 1070, après une lutte acharnée contre Bernard, comte d'Armagnac, annexé la Gascogne, étendant ainsi sa domination du Massif Central à l'Océan et de la Loire aux Pyrénées. Administrateur remarquable en même temps qu'homme de guerre, il a accru le pouvoir ducal, constitué une cour que fréquentent les comtes d'Auvergne, de la Manche et d'Angoulême, maté la petite féodalité, notamment à Limoges où, avec l'aide dés abbés de Saint-Martial, il a, eu, raison des vicomtes. Son fils et successeur, Guillaume IX (1088-1127), connu pour son scepticisme ; ses mœurs faciles et ses démêlés avec l’Église[119], a continué son œuvre et maintenu toutes les positions acquises. Guillaume. X (1127-1137) est beaucoup plus insignifiant et a eu pour principal mérite de donner la main de sa fille, Aliénor, à l'héritier de la couronne de France[120].

LE COMTÉ DE TOULOUSE. — Voisin de l'Aquitaine, le comté de. Toulouse, qui englobe le Languedoc des deux côtés du seuil de Naurouze, marche plus lentement vers l'unité. Les petites seigneuries, comme les vicomtés de Carcassonne et de f-Béziers, ont longtemps ignoré le suzerain qui a beaucoup de peine à se, défendre contre les coalitions de ses vassaux. Ceux-ci trouvent des auxiliaires dans l'épiscopat, dont la puissance temporelle s'affirme, et dans les villes. Le péril extérieur n'est pas moins menaçant : Guillaume IV (1061-1093) passe sa vie à lutter d'un côté contre les ducs d'Aquitaine qui revendiquent Toulouse et, de l'autre, contre les comtes de Barcelone qui convoitent la Provence. Son successeur, Raymond IV de Saint-Gilles, est le vrai fondateur du fief languedocien dont il réalise l'unité en 1093, mais, dès 1095, il part à la croisade, réveillant -ainsi les ambitions de Guillaume IX d'Aquitaine qui, à deux reprises (1098 et 1114) s'empare de Toulouse où il ne peut se maintenir. Il faudra beaucoup de ténacité à Alphonse-Jourdain (1100-1148) pour reconstituer un État quelque peu sacrifié aux grandes entreprises orientales du héros de la croisade[121].

LE DUCHÉ DE BOURGOGNE. — Les fiefs de l'Est sont dans un état de, stagnation à peu près totale. Le duché de Bourgogne, conquis par Robert le Pieux, mais reconstitué en 1032 pour la branche cadette de la maison capétienne, n'a eu que des souverains inertes et plus ou moins incapables. Robert Ier (1032-1076) n'est guère connu que pour ses démêlés avec l'Église. Son petit-fils et successeur, Hugue Ier (1076-1079), a eu au contraire une vocation monastique que Grégoire VII a cherché à entraver. Après lui, Eude Ier (1079-1102) a surtout excellé dans l'art de détrousser les voyageurs, mais, comme ses prédécesseurs, il n'a rien fait pour organiser son fief. Au début du XIIe siècle, Hugue II le Pacifique (1102-1143) a ébauché l'organisation de la cour, sans réussir à créer un gouvernement fort, ni à ruiner l'autorité de ses vassaux avec lesquels il semble avoir d'ailleurs entretenu de bonnes relations[122].

LE COMTÉ DE CHAMPAGNE. — Le comté de Champagne s'est, à la mort d'Eude II (1037), séparé de celui de Blois avec lequel il avait été uni pendant le règne de ce turbulent seigneur. L'un des fils d'Eude II, Thibaud III, reçut Blois et Chartres, l'autre, Étienne, la Champagne. En 1063, Thibaud réussit un instant à reconstituer l'unité du fief, mais, à sa mort (1089), la Champagne reprend son existence indépendante et connaît, sous les fils du défunt, Eude (1089-1093), puis Hugue Ier (1093-1125), une large 'période de paix. A la mort de Hugue Ier, qui succomba au cours d'un pèlerinage en Terre Sainte, son neveu, le comte de Blois, Thibaud IV (1125-1152), personnage remuant, belliqueux, ennemi acharné de la dynastie capétienne, hérite du comté conformément à la volonté de son oncle et dès lors la Champagne est entraînée dans son opposition au roi, sans que rien de saillant ne marque sa vie propre[123].

LOUIS VI ET LES GRANDS FEUDATAIRES. — En résumé, pendant le premier tiers du XIIe siècle, on observe à travers tous les grands fiefs le même travail de concentration tantôt à peine ébauché comme en Languedoc, en Bourgogne et en Champagne, tantôt proche de son terme comme en Flandre, en Anjou et en Aquitaine. Ici s'est créée une administration qui ressemble à celle du domaine capétien et pénètre à l'intérieur des seigneuries vassales ; là au contraire, les barons ne se sont pas encore dépouillés des droits régaliens et continuent à ignorer plus ou moins les grands feudataires. Dans l'ensemble il y a tendance à l'édification d'États provinciaux gouvernés par des dynasties héréditaires.

Une telle évolution rend singulièrement difficile l'action royale à l'intérieur de ces grands fiefs. Sans doute tout lien juridique n'a pas disparu : les grands feudataires restent les fidèles du roi auquel ils doivent l'hommage ; comme on l'a fort bien remarqué[124], ils descendent, à l'exception du duc de Normandie, des comtes, ducs et marquis de l'époque carolingienne, et l'usurpation des droits régaliens n'a pas brisé les liens de dévouement personnel qui les rattachent au roi, mais pratiquement cette subordination se réduit à peu de chose. Louis VI, qui a réussi à fortifier dans le domaine l'autorité monarchique, a plus de peine à faire valoir au dehors sa prérogative suzeraine ; toutefois, s'il ne peut songer à exiger des grands feudataires l'accomplissement quotidien des obligations féodales, il va essayer de remplir dans l'ensemble du regnum Francorum les devoirs qui, à ses yeux, incombent plus spécialement à la royauté protectrice de la paix, en combattant les seigneurs turbulents et pillards qui troublent l'ordre. Dès le début de son règne, en 1108-1109, il s'est rendu en Bourbonnais pour défendre le jeune Archambaud V auquel son oncle, Aimon II Vaire-Vache, disputait la succession paternelle et a contraint l'usurpateur à une complète soumission[125]. De même, en 1122, il paraît en Auvergne pour défendre l'évêque de Clermont, Aimeri, que le comte Guillaume VI avait chassé de sa ville épiscopale, s'empare de Pont-du-Château et remet l'évêque en possession de son domaine, mais le traité est mal exécuté ; en 1126 le roi revient avec une armée plus nombreuse où figurent des contingents flamands, normands, bretons et angevins, brûle Montferrand, rétablit la paix, convoque le comte et l'évêque pour faire juger leur différend à Orléans, en présence du duc d'Aquitaine[126].

En ces diverses circonstances, Louis le Gros a fait figure de souverain justicier, d'arbitre suprême, exercé sa prérogative suzeraine qu'il essaiera aussi de faire valoir en Flandre, mais avec moins de succès.

INTERVENTION DE LOUIS VI EN FLANDRE. — En 1127, le comte Charles de Danemark, successeur de Baudouin VII, est assassiné et l'on demande à Louis VI de punir les meurtriers. Le roi ne manque pas de répondre à cet appel et il en profite pour imposer aux Flamands, comme successeur du défunt feudataire, le fils de Robert Courteheuse, Guillaume Cliton, évincé par Henri Ier de l'héritage paternel, auquel il venait de faire épouser une sœur de la reine Adélaïde, Jeanne de Montferrat. C'était pour la couronne une excellente opération : Guillaume, prince apathique et sans énergie, pouvait être l'instrument docile de la politique royale en Flandre et en Normandie. Malheureusement ce fils de Courteheuse était aussi dépourvu de sens politique que son père ; il trouva le moyen de s'aliéner la bourgeoisie toute-puissante et les seigneurs, qui n'avaient subi qu'à contre-cœur la volonté royale, firent cause commune avec les villes. Louis VI s'imagina un peu trop facilement qu'une hautaine mise en demeure aurait raison de toutes les résistances ; il ne réussit qu'à s'attirer une verte riposte des Flamands. On opposa à Guillaume Cliton Thierry d'Alsace qui s'enferma dans Lille. Le roi vint vainement assiéger la cité et la mort de Guillaume Cliton au siège d'Alost (1128) laissa la place libre à son rival qui s'empara du comté[127]. C'était un échec grave : la Flandre échappait à l'influence royale et la disparition, du prétendant au duché de Normandie privait Louis VI d'un précieux moyen d'agitation dans les possessions continentales du roi d'Angleterre.

L’ŒUVRE DE LOUIS VI. — L'insuccès de la politique royale en Flandre prouve à quel point il était difficile à la monarchie capétienne d'entamer les grands fiefs habitués à se gouverner tout seuls et où la réalisation de l'unité provinciale, tout en préparant la future unité française, opposait à celle-ci les plus sérieux obstacles. Il n'en reste pas moins que Louis VI a créé les moyens de surmonter ces obstacles : en rendant la royauté forte à l'intérieur de son domaine, en lui ménageant l'appui du clergé et des classes laborieuses, en manifestant à tous qu'elle assumait la mission de maintenir l'ordre et la paix, en lui donnant tout à la fois la puissance matérielle et le prestige moral, il l'a mise en bonne posture pour la reprise inévitable des hostilités avec l'Angleterre où, au même moment, Henri Ier s'efforce lui aussi de consolider l'autorité monarchique.

LE GOUVERNEMENT DE HENRI 1er EN ANGLETERRE. — Dès le début de son règne, Henri Ier a, comme on l'a déjà vu, affermi le pouvoir royal en rendant a 1 Angleterre la paix civile et religieuse compromise par le despotisme de Guillaume le Roux. Par la suite, ce qui caractérise avant tout son gouvernement, c'est un effort, généralement heureux, pour améliorer l'administration du royaume et pour mettre au point la législation anglaise. S'il est inexact de considérer Henri / comme l'instaurateur des fameuses libertés qui se feront longtemps attendre, il a eu du moins le mérite de tempérer l'absolutisme monarchique par l'introduction de règles plus strictes dans l'action gouvernementale. C'est à lui que remonte l'organisation de la curia regis qui commence à se diversifier par la spécialisation de l'administration judiciaire et de l'administration financière. D'une part, en effet, un comité de barons exerce un véritable contrôle judiciaire et délègue dans les comtés des justiciarii chargés de recevoir les appels et d'imposer aux cours locales la jurisprudence de la curia regis. D'autre part, l'administration financière est confiée à un certain nombre de conseillers ; ceux-ci forment l'Échiquier où siègent le trésorier, le connétable, deux chambellans, de nombreux clercs dont l'un rédige le rapport écrit ou rotulus de thesauro. Sessions judiciaires et sessions financières sont présidées en principe par le souverain, mais, comme celui-ci est contraint par ses soucis continentaux à de fréquentes absences, le justicier ou summus justiciarius, qui déjà avait pris une grande importance pendant le règne de Guillaume le Roux, tend à le remplacer et à jouer le rôle de régent. Roger de Salisbury, qui exerça la fonction en Angleterre sous Henri Ier, a été vraiment le lieutenant du roi, secundus a rege. Il y a également des justiciers en Normandie (ils ont été jusqu'à cinq), mais l'un d'eux, l'évêque de Lisieux, jouit d'une véritable prééminence sur les autres, et fait fonction de vice-duc, les autres étant plutôt des juges itinérants ou des conseillers de l'Échiquier[128].

On peut donc dire que les cadres administratifs de l'Angleterre médiévale se fixent à l'époque d'Henri Ier et il en résulte plus de régularité dans l'exercice de la justice comme dans la perception des impôts.1 Le personnel a été en même temps renouvelé : les shériffs des comtés, recrutés parmi la petite aristocratie normande, ont appliqué la loi avec rigueur, mais aussi avec modération et en se conformant le plus souvent aux usages normands, créant ainsi une certaine unité de juridiction entre les différentes parties du royaume[129]. A cet égard, le règne de Henri Ier a beaucoup contribué à la fusion des domaines situés de chaque côté de la Manche, en faisant de plus en plus prévaloir la loi normande au détriment de la loi anglaise.

En matière d'impôts, les réformes de Henri Ier ont été moins profondes. Dans la charte qu'il a promulguée au lendemain de son avènement, il a annoncé des intentions équitables et modérées, mais il ne semble pas que ses promesses aient été tenues ; les nécessités continentales l'ont obligé à percevoir le danegeld avec la même rigueur que sous les règnes précédents et à solliciter des aides qui pesèrent lourdement sur les classes laborieuses[130]. Du moins ses préoccupations fiscales l'ont-elles porté à favoriser l'essor industriel et commercial. Enrichir les villes, n'était-ce pas le meilleur moyen d'alimenter le trésor royal en rendant plus fructueuses les taxes qui pesaient sur elles ? Il semble bien que telle soit la raison qui ait porté Henri Ier à favoriser le développement des institutions municipales dans les cités anglaises. Celles-ci, au début du XIIe siècle, sont encore peu nombreuses ; anciens lieux fortifiés ou agglomérations récemment constituées autour des châteaux normands, les bourgs, à cette date, ne groupent qu'un petit nombre d'habitants. Il était de l'intérêt de la couronne de favoriser leur extension, en raison des revenus qu'ils pouvaient produire. Aussi Henri Ier a-t-il toléré la formation de gouvernements municipaux selon la formule de la charte normande de Breteuil que beaucoup de villes anglaises, parmi lesquelles Hereford et Shrewsbury, ont adoptée, sans que la couronne y apportât le moindre obstacle. De même, il a encouragé les gildes marchandes et, par là, favorisé le développement économique ; Londres, notamment, a reçu quelques privilèges dont il ne faut pas exagérer l'importance, mais qui sont à l'origine de son essor futur[131].

 

III. — L'évolution des royaumes capétien et anglo-normand de 1135 à 1154.

 

MORT DE HENRI Ier (1er DÉCEMBRE 1135) ET DE LOUIS VI (1er AOÛT 1137). — Henri Ier et Louis VI ont disparu à moins de deux ans d'intervalle : Henri Ier est mort le Ier décembre 1135[132] et Louis VI le Ier août 1137[133]. Si leur conflit n'a abouti à aucun résultat tangible, les forces respectives des deux royaumes se sont sensiblement accrues et, d'un côté comme de l'autre de la Manche, le pouvoir royal a, pendant leurs règnes, marqué de réels progrès. Il semble toutefois qu'au moment où succombe Louis VI, l'avenir de la monarchie capétienne s'annonce plus brillant, par suite d'un récent succès diplomatique.

MARIAGE DU PRINCE LOUIS AVEC ALIÉNOR D'AQUITAINE. — En avril 1137, Guillaume X, duc d'Aquitaine, alors en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, sentant venir la mort, pria les barons qui l'entouraient de remettre son duché et sa fille Aliénor au roi de France, son suzerain, afin qu'il fiançât cette dernière à son fils. Il en fut ainsi fait ; Louis VI accepta l'offre de son vassal et envoya aussitôt dans le Midi le jeune Louis, accompagné d'une brillante escorte où figurait notamment l'abbé de Saint-Denis, Suger. Le cortège, à travers le Limousin, s'achemina vers Bordeaux où le mariage fut célébré à la fin de juillet 1137, au moment où Louis VI s'éteignait[134]. Le domaine capétien s'accroissait du Poitou, du Limousin, de l'Auvergne, du Périgord, du Bordelais, de l'Agenais et de la Gascogne : de magnifiques perspectives s'ouvraient vers le Midi à l'aube du nouveau règne.

LA SUCCESSION DE HENRI Ier. — En Angleterre, c'est au contraire la guerre civile qui se prépare. Le fils de Henri Ier, Guillaume Adelin avait péri, en 1120, dans le naufrage de la Blanche-Nef. Très préoccupé de l'avenir de ses États, le roi avait, en 1126, fait reconnaître comme son héritière sa fille Mathilde, veuve de l'empereur Henri V, qui s'était presque aussitôt remariée au jeune Geoffroy Plantagenet, fils aîné du comte d'Anjou Foulque V. De cette union était né, en 1133, un fils, Henri (le futur Henri II), mais le jeune prince n'avait que deux ans au moment de la mort de son aïeul et il était clair que le choix du nouveau souverain allait relever exclusivement de la volonté des barons[135].

ÉTIENNE ROI D'ANGLETERRE. — Jamais une femme n'avait gouverné l'Angleterre et la veuve de Henri V ne semblait guère désignée pour créer un précédent : fière, quelque peu dédaigneuse, très autoritaire, naturellement antipathique, Mathilde avait encore, pour les Anglais, le tort d'être mariée à un prince du continent, à un Angevin que les barons ne se souciaient pas de voir régner au nom de sa femme. Aussi bien la volonté de Henri Ier ne fut-elle pas respectée : tandis que Mathilde, avec son demi-frère, le bâtard Robert de Gloucester, se rendait en Normandie où était mort Henri Ier, afin d'assister aux obsèques de son père, les bourgeois de Londres et quelques barons proclamaient roi Étienne, fils du comte de Blois. Etienne-Henri et par sa mère, Adèle, petit-fils du Conquérant[136].

Étienne avait été, en 1120, adopté par Henri Ier qui, avant de faire élire sa fille par les barons, songea peut-être à léguer sa couronne à son neveu[137]. Sans doute il avait, à Noël 1126, prêté serment à Mathilde en même temps que les autres seigneurs, mais il ne semble pas que ce lointain souvenir l'ait beaucoup embarrassé. Il s'était acquis une grande popularité parmi les Anglais en vivant au milieu d'eux, en se montrant affable envers les barons et généreux envers les églises. A peine a-t-il appris la mort du roi que, laissant Mathilde rendre les derniers devoirs à son père, il accourt à Londres où il est acclamé, triomphe des dernières hésitations de l'archevêque de Cantorbéry et se fait couronner à Westminster (23 décembre 1135), tandis que Roger de Salisbury, gagné à sa cause, lui livre les clefs du trésor royal[138].

Sur le continent, la Normandie se rallie elle aussi à Étienne qui peut compter sur l'appui de son frère, Thibaud de Blois-Champagne, trop heureux de trouver l'appoint anglais dans sa lutte contre l'Anjou. Le comte de Gloucester lui-même abandonne sa demi-sœur. Mathilde n'a plus pour elle que le roi d'Écosse, David Ier, frère d'Édith, première femme de Henri Ier ; encore ce prince aperçoit-il surtout dans la querelle de succession qui vient de s'ouvrir en Angleterre une occasion propice pour envahir l'ancien royaume de Northumberland dont les souverains écossais n'ont jamais cessé de revendiquer la possession[139].

LE GOUVERNEMENT D'ÉTIENNE. — Étienne n'a pas su tirer parti des circonstances nettement favorables qui ont entouré son avènement. Totalement dépourvu de clairvoyance, il s'imagina que quelques concessions aux barons et au clergé suffiraient pour affermir son pouvoir : il inaugura donc son règne par une charte qui confirmait les libertés anglaises, accroissait les pouvoirs de l'Église, notamment en matière de juridiction[140]. De même il crut apaiser le roi d'Écosse, David, en abandonnant quelques villes à son fils, Henri, dont il reçut le serment de fidélité[141]. En 1137, persuadé que ces mesures ont assuré la paix sur des bases solides, il se rend sur le continent, afin de se faire reconnaître par le roi de France et d'en finir avec Geoffroy Plantagenet, comte d'Anjou et époux de Mathilde, qui avait envahi la Normandie. Il réussit à obtenir l'adhésion du roi qui donne l'investiture de la Normandie à son fils aîné, Eustache, et à conclure une trêve de deux ans avec Geoffroy auquel il s'engage à verser annuellement une somme de deux cent mille marcs d'argent[142]. Il aurait fallu qu'il pût rester quelque temps dans son duché où ses partisans et ses adversaires ne cessaient de s'affronter, mais, avant la fin de l'année 1137, il est obligé de rentrer en Angleterre pour réprimer le soulèvement de Hugue Bigot et de Baudouin de Revers.

OPPOSITION DES BARONS. — L'opération ne présenta aucune difficulté, mais, au cours de l'année 1138, le mécontentement s'accentue : on reproche à Etienne d’avoir comble ses favoris en leur distribuant titres, dignités et domaines, d'entretenir auprès de lui une armée de mercenaires flamands et de manifester par là même sa défiance à l'égard des Anglais. Aussi Robert de Gloucester, dont l'adhésion a été toute conditionnelle, estime-t-il que le moment est venu de jouer un rôle : il prend résolument la tête des insurgés, nombreux dans le Sud et l'Ouest, et réussit à les organiser, ce qui était relativement facile, car Étienne, pour se concilier les barons, leur avait permis de fortifier leurs châteaux. Pendant ce temps le roi d'Écosse, David, envahit le Northumberland[143].

Le mouvement échoua pourtant. Étienne se porta d'abord contre les Écossais sur lesquels il gagna la victoire dite de l'Étendard et qu'il contraignit à regagner leur pays, puis il se retourna contre les rebelles et bientôt tout rentra dans l'ordre[144]. L'autorité du roi semblait restaurée, mais de nouvelles maladresses allaient la compromettre.

OPPOSITION DE L'ÉGLISE. — Le grand tort d'Étienne a été de mécontenter l'Église à laquelle il devait pourtant son ascension au trône d'Angleterre. En juin 1139, il fit arrêter Roger de Salisbury sur la fidélité, duquel il avait conçu des doutes et auquel il reprochait, avec une jalousie mal placée, son excessive puissance. De fait, Roger, dont le rôle avait été primordial sous le règne précédent et décisif après la mort de Henri Ier, accroissait sans cesse son influence ; pendant les troubles qui suivirent l'avènement d'Étienne, il construisit plusieurs châteaux et ses neveux, les évêques d'Ely et de Lincoln, imitèrent son exemple. Le roi voulut abattre cette force naissante, avant qu'elle ne devînt dangereuse pour la couronne : il s'assura de la personne et des châteaux des évêques de Salisbury et de Lincoln. C'était de sa part une grosse maladresse. Il s'efforça bien de persuader l'opinion qu'il s'attaquait aux barons richement nantis et non pas aux évêques : l'Église lui devint hostile, et même le légat pontifical Henri, évêque de Winchester, dont l'influence était presque égale à celle de Roger de Salisbury, prit position contre lui[145].

Dès lors, impopulaire auprès de l'aristocratie, 'abandonné par les évêques, Étienne était hors d'état de résister, le jour où Mathilde voudrait effectivement faire valoir ses droits à la couronne.

GUERRE CIVILE EN ANGLETERRE (1139-1141). — Le 1er août 1139, un baron du Devonshire, qui s'était signalé par son opposition opiniâtre, Baudouin de Revers, arrive en Normandie pour inviter Mathilde à traverser la Manche. Le 30 septembre, l'ex-impératrice débarque à Arundel et Robert de Gloucester lui apporte le concours des seigneurs de l'Ouest, de nouveau soulevés contre Étienne. Malgré ce précieux appoint, elle ne peut obtenir aucun résultat décisif et l'année 1140 se passe en combats locaux sans conséquences notables. En 1141, Étienne marche contre Lincoln, afin de détruire la puissance du comte. Raoul de Chester qui venait de se déclarer pour sa rivale ; non seulement il échoue, mais, au cours d'un engagement, il est fait prisonnier par Robert de Gloucester venu au secours de Raoul (2 février 1141). Mathilde cherche aussitôt à exploiter ce succès, enlève Winchester (3 mars) et se fait proclamer domina Angliæ par une assemblée réunie en toute hâte. Après Lincoln et Nottingham, Oxford et Londres lui ouvrent leurs portes (juin 1141) ; la situation paraît complètement retournée[146].

Elle ne l'était pas pour longtemps. Mathilde commet exactement les mêmes fautes qu'Étienne : elle refuse de reconnaître les lois d'Édouard, confisque les biens d'Église et éloigne l'évêque Henri de Winchester, ce qui lui aliène le haut clergé ; elle mécontente enfin les Londoniens en les écrasant de taxes. Son gouvernement s'annonce aussi autoritaire que celui d'Étienne et sa dureté hautaine envers la femme de son rival, Mathilde de Boulogne, achève de disperser les quelques sympathies qui lui restaient. Aussi la guerre civile continue-t-elle. Dès le 21 juin, Londres se soulève et oblige l'impératrice à se retirer en toute hâte à Oxford. D'autre part, le légat pontifical, Henri de Winchester, se prononce formellement contre le nouveau régime. Mathilde vient assiéger Winchester, mais, bientôt encerclée elle-même, elle échappe péniblement à l'étreinte des troupes ennemies et Robert de Gloucester est fait prisonnier, à Stockbridge, par l'autre Mathilde, épouse d'Étienne. Le roi et le comte sont échangés ; Robert, aussitôt rendu à la liberté, part pour le continent, afin d'intéresser Geoffroy d'Anjou à la lutte dynastique qui divise l'Angleterre, mais Geoffroy est occupé à conquérir la Normandie et ne peut se distraire de cette tâche. Aussi, dès 1142, la situation évolue-t-elle de plus en plus en faveur d'Étienne qui reprend l'offensive, appuyé sur les comtés de l'Est, tandis que l'Ouest demeure fidèle à Mathilde. Cependant ni en 1143, ni au cours des années suivantes, aucune décision n'intervient, et c'est seulement en 1147, après la mort de Robert de Gloucester, que Mathilde abandonne la partie et regagne le continent[147].

CONQUÊTE DE LA NORMANDIE PAR GEOFFROY PLANTAGENET. — Etienne est, de ce fait, seul roi d'Angleterre, mais sa situation n'en demeure pas moins précaire. La Normandie lui échappe : pendant qu'il luttait péniblement contre Mathilde, Geoffroy Plantagenet a fait la conquête de ce duché. Depuis le départ d'Étienne (1137), le pays avait été en proie à la guerre civile, les deux prétendants ayant conservé des partisans, mais jusqu'en 1141, Geoffroy se contenta de soutenir, par quelques raids isolés, les barons qui tenaient pour Mathilde. Au printemps de 1141, à la nouvelle des succès remportés en Angleterre par sa femme, il dessina au contraire une vigoureuse offensive, s'empara de Falaise, occupa sans difficulté toute la partie orientale du duché, puis il conquit le Bessin (1142), l'Avranchin et le Cotentin (1143) ; Rouen résista plus longtemps, mais finit par ouvrir ses portes (20 janvier 1144). En mai ou juin 1144, Geoffroy prend le titre de duc de Normandie et, moyennant la cession de Gisors, est reconnu comme tel par le roi de France[148]. Au cours des années suivantes, il réorganise le duché, en ayant soin de respecter les vieilles institutions normandes, puis, à l'automne de 1150, il le remet à son fils Henri, alors âgé de dix-sept ans[149].

ANGLETERRE ET NORMANDIE AU MILIEU DU XIIe SIÈCLE. — Ainsi, grâce à l'activité de Geoffroy Plantagenet, la Normandie échappe à Étienne. Une fois de plus, l'État de Guillaume le Conquérant paraît condamné au démembrement ; quinze années de luttes dynastiques ont anéanti l'œuvre de patiente reconstitution réalisée par Henri Ier. De plus, comme il était à prévoir, la guerre civile a engendré le désordre et la ruine. En Normandie, les barons, partagés entre Étienne et Mathilde, ont repris des habitudes d'indépendance auxquelles Geoffroy aura peine à imposer un frein[150]. En Angleterre, le roi a perdu toute autorité sur l'Église qui a conquis une réelle autonomie, tandis que les barons couvrent le pays de châteaux et, usurpant les droits régaliens, font peser sur les populations rurales une lourde tyrannie[151]. Bref, la longue crise dynastique qui a suivi la mort de Henri Ier aboutit à un affaiblissement politique et économique qui met l'Angleterre en état de réelle infériorité et diminue la force de résistance de la Normandie.

LOUIS VII ROI DE FRANCE. — Il semble que le roi capétien eût pu tirer parti de cette situation. Sans doute Philippe Ier et Louis VI, toujours à l'affût des circonstances favorables, n'eussent pas manqué de le faire ; Louis VII n'a pas fait preuve d'autant d'habileté. Agé de seize ans seulement à la mort de son père, ce jeune prince a révélé, dès le début de son règne, un caractère faible, indécis, toujours prêt à s'incliner devant une volonté un peu impérieuse. Il a subi d'abord l'influence de sa mère, Adélaïde de Savoie, et plus encore celle des clercs qui l'ont élevé, mais l'une et l'autre sont, à partir de 1137, supplantées par celle de la reine Aliénor que le roi, disent les chroniqueurs, aimait d'un amour immodéré[152]. Adélaïde de Savoie doit quitter la cour et l'abbé Suger s'aperçoit très vite que son ascendant sur le jeune roi ne pourra prévenir les imprudences politiques inspirées par les capricieuses fantaisies d'une reine dont, à coup sûr, le caractère ne valait pas la dot[153].

RÔLE D'ALIÉNOR D'AQUITAINE. — Aliénor a passé sa jeunesse dans un milieu où les femmes ne brillaient pas par leur austérité et elle en a subi l'empreinte. Une légèreté sensuelle s'allie chez elle à la plus coquette vanité. Naturellement gracieuse, elle n'ignore aucun des artifices par lesquels elle pourra s'assurer la maîtrise d'un prince qui ne sait rien de la vie et elle conquiert de prime abord sur son époux une influence qui durera jusqu'au jour où Louis VII sera personnellement édifié sur sa frivolité. Pour le moment, le roi est prêt à sacrifier à sa folle passion ses goûts et ses préférences. Il a été habitué à respecter les prêtres dont il se plaît à s'entourer et à solliciter les conseils ; il est lui-même très pieux, plutôt enclin aux scrupules et en tous cas très soucieux de conformer sa vie aux préceptes évangéliques. Aliénor est tout l'opposé : à la cour d'Aquitaine, elle a entendu surtout plaisanter les clercs et n'a pas été habituée à obéir aux injonctions des évêques. Transplantée au palais capétien, la fille de Guillaume X se sentit très vite dépaysée et, grâce à son enveloppante fascination, elle amena le roi à prendre à l'égard du clergé une attitude qui ne répondait guère à ses sentiments personnels[154].

CONFLIT DE LOUIS VII AVEC L'ÉGLISE. — Ce qui caractérise en effet les débuts du règne de Louis VII, c'est un conflit, parfois violent, avec l'Église dont Louis VI avait fait l'alliée de la couronne. A Reims (1139), à Sens (1146), le roi soutient, les communes dressées contre leurs archevêques. A Bourges (1141), il prétend s'opposer à l'intronisation de Pierre de la Châtre, régulièrement élu par le chapitre, et installer à tout prix un clerc de sa chapelle, Cadurc ; le pape Innocent II doit intervenir pour défendre les libertés ecclésiastiques et, après avoir conféré le pallium a Pierre de la Châtre, il interdit la célébration du culte partout où Louis VII sera présent[155]. Le roi s'obstine ; Aliénor l'encourage d'autant plus à la résistance qu'elle a maintenant contre l'Église des griefs personnels : sa sœur, Pétronille d'Aquitaine, vient d'épouser le sénéchal Raoul de Vermandois qui, pour contracter cette union que bénirent les évêques de Laon, de Senlis et de Noyon, a répudié sa femme légitime, une autre Aliénor, nièce du comte de Champagne, Thibaud IV. Naturellement l'épouse délaissée proteste ; un légat pontifical, venu spécialement en France, annule le mariage de Raoul et de Pétronille, puis, devant leur commune révolte contre les décisions de l'Église, il les excommunie et jette l'interdit sur les terres du comte de Vermandois. Louis VII, pour plaire à la reine, soutient Raoul, ce qui est tout à fait impolitique, car il va se heurter à la fois au Saint-Siège et au comte Thibaud IV qui a pris fait et cause pour sa nièce et donné l'hospitalité au légat chargé de fulminer l'excommunication[156].

LA GUERRE DE CHAMPAGNE. — En 1142, le roi, sans doute à l'instigation d'Aliénor, déclare la guerre à Thibaud de Champagne, incendie Vitry où treize cents personnes périssent dans les flammes[157]. Ce singulier exploit n'était pas fait pour rehausser son prestige, aux yeux de l'Église et du pape ; il provoqua, comme de juste, une vive indignation et paraît avoir déchaîné de graves scrupules chez son auteur. Louis VII, chez qui la passion d'Aliénor n'avait pas éteint le sentiment religieux, ne put résister à l'assaut de sa conscience ; peut-être se rendit-il compte aussi des torts que causaient à la monarchie la rupture de l'alliance avec l'Église et une guerre inique contre un grand feudataire qui, après avoir été le ferment de l'opposition à la couronne, était revenu à de meilleures dispositions. En tout cas, il accueillit avec une faveur très marquée les propositions de paix que lui apportait saint Bernard.

PAIX AVEC LE COMTE DE CHAMPAGNE ET AVEC L'ÉGLISE. — Saint Bernard, en la circonstance, a fait figure de médiateur et d'arbitre : en agissant à la fois sur le roi, sur le comte de Champagne et sur le pape, il réussit, après de laborieuses négociations, à rétablir la paix civile et religieuse. Il décida tout d'abord Thibaud IV et Louis VII à signer, en 1143, le traité de -Vitry qui : ne devint définitif que l'année suivante, lorsque les supplications adressées au roi et à la reine par l'irrésistible moine cistercien eurent amené les souverains à se soumettre aux exigences de l'Église : Louis VII consentit à abandonner Raoul de Vermandois et à reconnaître Pierre de la Châtre comme archevêque de Bourges ; il s'engagea, en outre, à se confiner désormais, lors des élections épiscopales, dans les attributions qui lui étaient reconnues par les canons[158]. Il semble d'ailleurs que, depuis l'affaire de Vitry, l'influence d'Aliénor soit contrebalancée par celle des clercs et les scrupules religieux du roi vont engendrer une politique nouvelle.

LA SECONDE CROISADE. — Le jour de Noël 1145, à Bourges, Louis VII annonce à sa cour qu'il est décidé à partir pour la Terre Sainte, afin de porter secours aux États chrétiens dont la récente chute d'Édesse a rendu la situation précaire[159]. En 1147, il donne suite à ce projet qui se traduira par un échec et qui a l'inconvénient de faire oublier au roi les événements qui se déroulent à l'ouest du royaume. Du moins, la paix sera-t-elle maintenue en son absence grâce à la prudente sagesse de l'abbé Suger auquel, avant son départ, il avait confié la régence.

GOUVERNEMENT DE SUGER. — Louis VII ne pouvait faire un meilleur choix. D'origine fort humble — il s'est appliqué à lui-même la parole du psalmiste de stercore erigens pauperem ut sedere cum principibus faceret —, Suger a acquis à Saint-Denis, où il est entré tout enfant et dont il est devenu abbé en 1122, une vaste culture et un sens affiné de l'administration. Bien que saint Bernard ne lui ait pas ménagé les critiques, on ne saurait nier les immenses services qu'il a rendus au monastère : c'est lui qui en a reconstitué le temporel par une sage gestion où s'allient le souci d'alléger les charges des paysans du domaine et la constante préoccupation de ne laisser échapper aucune ressource ; il a, en outre, relevé et agrandi la vieille église qui menaçait ruine, attiré à Saint-Denis des artistes languedociens, bourguignons et flamands[160]. Jusqu'en 1147, il n'a guère participé au gouvernement du royaume : Louis VI lui-a simplement confié plusieurs missions auprès du pape et l'a chargé de l'éducation de son fils ; de 1137 à 1147, l'antipathie d'Aliénor qui redoutait son influence sur le roi l'a écarté des affaires, mais il a gardé la confiance de Louis VII auquel il apparaît, au moment du départ pour la croisade, comme l'homme nécessaire qui saura maintenir la paix à l'intérieur du royaume.

Suger s'est admirablement acquitté de cette mission. Pourtant les difficultés ne lui ont pas été épargnées. Elles vinrent d'abord de Raoul de Vermandois qui lui avait été adjoint par le roi et qui, au lieu de le seconder, chercha à mettre la main sur la ville royale de Bourges, aidé en cela par Cadurc, l'ancien candidat de Louis VII au siège archiépiscopal, mais Suger le contraignit à livrer la tour où il s'était fortifié et tout rentra dans l'ordre. Plus tard, le frère du roi, Robert de Dreux, revenu soudain de Terre-Sainte au printemps de 1149, chercha à exploiter le mécontentement provoqué par l'échec de la croisade et à grouper autour de lui tous ceux qui reprochaient au régent sa parcimonieuse intégrité. Ce mouvement pouvait devenir grave : Suger le conjura en s'appuyant sur une assemblée d'évêques et de barons à laquelle il en imposa par son énergique langage. Il rendit ainsi un réel service à la monarchie. En même temps, il avait pu, grâce à une remarquable administration financière, subvenir aux besoins de la croisade sans pressurer personne. Lorsque Louis VII rentra en France, vers la Toussaint de 1149, il trouva une situation à certains égards meilleure que celle qu'il avait laissée, mais la mort de Suger (13 janvier 1151), survenant au moment même où va s'ouvrir une crise d'une exceptionnelle gravité, est un vrai désastre pour le royaume[161].

LOUIS VII ET LE PROBLÈME ANGLO-NORMAND. — Cette crise, Louis VII n'a pas su la prévenir. Le conflit avec l'Église, la lutte avec Thibaud IV, la seconde croisade ont inutilement détourné son attention du problème anglo-normand qui avait jusque là dominé la politique capétienne. Entraîné vers d'autres buts souvent sans intérêt, il n'a pas su tirer parti de la guerre civile provoquée par la mort de Henri Ier. Sans doute a-t-il eu le sentiment qu'il fallait prévenir l'union menaçante de l'Anjou avec la Normandie : au lendemain de son avènement, en 1137, il a, afin de faire échec à Mathilde, accepté l'hommage que lui prêta Eustache, fils aîné du roi Étienne, mais il n'a pas soutenu sérieusement son prétendant et a laissé Geoffroy conquérir la Normandie, puis, en 1I45, prendre le titre de duc. Il consentit même, au mépris de ses engagements envers Eustache, à ratifier le fait accompli, moyennant la simple cession de Gisors, car, à cette date, il ne songeait qu'à partir pour la Terre-Sainte[162]. A son retour, il manifeste quelque mauvaise humeur, parce que le fils de Geoffroy, Henri, a tardé à lui prêter hommage pour la Normandie et parce que, en mai 1151, Geoffroy a emmené prisonnier à Angers son ami, Giraud Berlai, seigneur de Montreuil-Bellay, mais il se borne à menacer et il suffira qu'Henri lui prête serment, puis qu'on lui cède quelques localités du Vexin pour qu'il signe avec Geoffroy une paix à la faveur de laquelle vont se poser les derniers jalons de l'empire angevin[163].

FORMATION DE L'EMPIRE ANGEVIN. — Geoffroy Plantagenet meurt le 7 septembre 1151 et son fils Henri lui succède dans son fief, réalisant ainsi l'union de l'Anjou avec la Normandie dont il est déjà investi[164]. A ces deux provinces le jeune prince ajoute, l'année suivante, le duché d'Aquitaine. Les écarts de conduite d'Aliénor, que Louis VII avait emmenée à la croisade, ont suscité la jalousie du roi qui, au retour, a songé à se séparer d'elle. Saint Bernard avait autrefois dénoncé les liens de parenté qui rendaient illicite cette union mal assortie. Le concile de Beaugency put donc casser le mariage. Aliénor offrit aussitôt sa personne et sa dot à Henri Plantagenet auquel l'Angleterre allait échoir par surcroît[165].

Le roi Étienne venait d'entrer dans sa soixante-cinquième année et son pouvoir restait précaire. L'Église lui demeurait hostile[166] et l'ensemble de la nation ne demandait qu'à se donner au prince qui saurait la gouverner et ressusciter la paix dans l'ordre. Cette désaffection générale ne pouvait que favoriser les prétentions du fils de Mathilde à la couronne anglaise. Étienne soupçonna le danger : en 1152, il essaya de se faire associer comme roi son propre fils, Eustache, mais les évêques lui opposèrent un refus formel. Henri Plantagenet vit là une invitation à s'emparer de la couronne : en janvier 1153, il débarqua en Angleterre avec une nombreuse escorte. Il n'obtint pas cependant l'adhésion immédiate et unanime qu'il espérait. C'est seulement après la mort du fils d'Étienne, Eustache, que la situation évolua en sa faveur. Les barons décidèrent alors Étienne à signer le traité de Wellingford par lequel il adoptait Henri et le reconnaissait pour son héritier. Le vieux roi ne tarda d'ailleurs pas à succomber et Henri II Plantagenet lui succéda sans la moindre contestation[167]. L'empire angevin était définitivement constitué.

Ainsi s'était formé un État autrement vaste et puissant que celui qu'avait édifié Guillaume le Conquérant. En face du royaume capétien devant lequel, en 1137, paraissait s'esquisser le plus radieux avenir, se dresse, en 1154, un formidable empire, réunissant l'Angleterre à un vaste domaine continental. En moins de vingt ans, la situation s'est complètement retournée. La rivalité anglo-française, née de la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant, va revêtir dans la seconde moitié du XIIe siècle une âpreté croissante. Henri II saura rapidement reconstituer l'Angleterre anémiée par la guerre civile. D'autre part, si les débuts du règne de Louis VII ont amené pour les Capétiens un recul territorial, les forces créées par Philippe Ier et Louis VI restent intactes et Philippe-Auguste saura les utiliser.

 

 

 



[1] Outre les ouvrages généraux cités dans les chapitres précédents, on consultera surtout : A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, roi de France (1060-1108), Paris, 1912 ; Freeman, The reign of William Rufus and the accession of Henry the first, Oxford, 1882, 2 vol.

[2] Voir plus haut, chapitre III.

[3] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, Introduction, p. XXXII-XXXIV.

[4] Guillaume avait épousé Mathilde, sœur de Baudouin V.

[5] Cf. Halphen, Le comté d'Anjou au XIe siècle, p. 133 et suiv. ; Prou, L'acquisition du Gâtinais sous Philippe Ier dans les Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais, t ; XIV, 1898 ; Fliche, Le règne de Philippe Ier, p. 138-143.

[6] Le règne de Philippe Ier, p. 176-179 et 252-266 ; Pirenne, Histoire de Belgique, t. I, p. 104-109.

[7] Le règne de Philippe Ier, p. 269-274 ; Halphen, op. cit., p. 182.

[8] Le règne de Philippe Ier, p. 147-149.

[9] Le règne de Philippe Ier, p 275-281.

[10] Le règne de Philippe Ier, p. 281-286.

[11] Le règne de Philippe Ier, p. 286-287.

[12] Stubbs, Histoire constitutionnelle de l'Angleterre, édition française par Petit-Dutaillis, t. I, p. 362-363.

[13] Orderic Vital, Historia ecclesiastica, X, 2 ; Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, VII, 22.

[14] Voir le récit détaillé de ces événements dans Orderic Vital, Hist. eccl. VIII, 2 et X, 4.

[15] Stubbs, op. cit., t, I, p. 364-365.

[16] Stubbs, op. cit., t. I, p. 363.

[17] Stubbs, op. cit., t. I, p. 369.

[18] Sur le conflit de Guillaume le Roux avec l'Église, voir surtout : Bœhmer, Kirche und Staat in England und in der Normandie im XI und XII Jahrhundert, p. 146 et suiv.

[19] Sur saint Anselme, voir, outre le livre de Bœhmer : P. Ragey, Histoire de saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, Paris, 1890 ; Domet de Vorges, Saint Anselme, Paris, 1901 ; L. Vigna, Sant Anselme filosoto, Milan, 1899 ; P. E. Rosa, S. Anselmo di Aosta, contributo storico alle leste dell'octavo centenario 1109-1909, Florence, 1909 ; articles biographiques dans A. Baudrillart, Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, t. III, col. 464-485 ; Vacant-Mangenot, Dictionnaire de théologie catholique, t. I, col. 1327-1360 ; Herzog-Hauck, Realencyklopädia, t. I, p. 562-570 ; Hergenröther, Kirchenlexicon, t. I, col. 1327-1360 ; Catholic encyclopedia, New-York, t. I, p. 546-550.

[20] Bœhmer, op. cit., p. 149-150.

[21] Bœhmer, op. cit., p. 151-153.

[22] Bœhmer, op. cit., p. 153-156.

[23] Orderic Vital, Hist. eccl., VIII, 4. Sur Robert Courteheuse, voir Le Hardy, Le dernier des ducs de Normandie dans le Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, t. IX, 1880.

[24] Le règne de Philippe Ier, p. 292-297.

[25] Le règne de Philippe Ier, p. 301 et 307.

[26] Le règne de Philippe Ier, p. 302.

[27] Des deux sources qui s'y rapportent l'une, la Vita Ludovici VI de Suger (c. I), est très sobre de détails. Il faut donc se contenter de l'autre, à savoir l'Historia ecclesiastica d'Orderic Vital dont il n'y a d'ailleurs aucune raison de suspecter ici la véracité.

[28] Le règne de Philippe Ier, p. 303-305. Selon Suger, Guillaume le Roux aurait voulu, au cours de cette expédition, enlever la couronne au prince Louis, fils aîné de Philippe Ier. On ne trouve nulle part ailleurs trace de cette singulière prétention.

[29] Sur la révolte du Maine, voir Halphen, Le comté d'Anjou au XIe siècle, p. 187-189 ; Latouche, Histoire du comté du Maine pendant le Xe et le XIe siècle, Paris, 1910, p. 48-51.

[30] Le règne de Philippe Ier, p. 40 et suiv.

[31] Suger, Vita Ludovici VI, c. XII.

[32] La reine Berthe était en effet restée longtemps stérile. Sur la date de cette naissance, voir Le règne de Philippe Ier, p. 38-40.

[33] Le règne de Philippe Ier, p. 99-122.

[34] Le règne de Philippe Ier, p. 138-158.

[35] Le règne de Philippe Ier, p. 158-162.

[36] Le règne de Philippe Ier, p. 313-315.

[37] Sur Henri Ier, voiries ouvrages précédemment indiqués à propos de l'Angleterre, ce souverain n'ayant pas encore trouvé son biographe. Pour les institutions, on pourra consulter, outre Stubbs : R. Poole, The Exchequer in the twelfth century, Oxford, 1912 ; J. Fr. Baldwin, The kings' Council in England during the middle ages, Londres, 1913. —-Sur Louis VI, l'ouvrage décisif reste encore celui de Luchaire, Louis VI le Gros, Annales de sa vie et de son règne (1081-1137), Paris, 1890. Cf. aussi James Thompson, The development of the French Monarchy under Louis VI le Gros, Chicago, 1895.

[38] Le règne de Philippe Ier, p. 306.

[39] Orderic Vital, Hist. eccl., X, 14. Cf. Stubbs, op. cit., t. I, p. 372.

[40] Sur la date à laquelle il a porté ce titre, voir Le règne de Philippe Ier, p. 79-86.

[41] Cf. Le règne de Philippe Ier, p. 85-86.

[42] On trouvera le texte de ce serment dans Stubbs, op. cit., t. I, p. 373, n. 2, et celui de la charte dans Ch. Bémont, Chartes des libertés anglaises, Paris, 1892, p. 1-7.

[43] On trouvera dans Luchaire, Louis VI le Gros, p. XXXIII-XLI, un portrait très fouillé de Louis VI, emprunté surtout à la Vila Ludovici VI de Suger et complété A l'aide de certains traits que fournissent Orderic Vital, la chronique de Morigny et Yves de Chartres.

[44] Orderic Vital, Hist. eccl., X, 18 ; Guillaume de Malmesbury, De gestis reg. Angl., V, 395.

[45] Voir le récit de cette guerre dans Orderic Vital, Hist. eccl., XI, 3.

[46] Jaffé-Wattenbach, 5909 et 5910.

[47] Jaffé-Wattenbach, 6073.

[48] Bœhmer, Kirche und Staat in England, p. 157-162.

[49] Cet accord a facilité la pénétration en Angleterre delà réforme grégorienne que Henri Ier, fidèle à la tradition paternelle, n'a jamais contrariée. En 1102, au plus fort du conflit avec Pascal II, un concile, tenu à Londres, a condamné la simonie et prescrit l'observation du célibat ecclésiastique, en même temps qu'il rappelait aux clercs et aux laïques les principes de la morale chrétienne. En 1108, un nouveau synode, réuni également à Londres, décida, avec l'assentiment du roi et des barons, que tous les clercs mariés seraient privés de leurs fonctions et défendit aux fidèles d'assister à leurs messes (Cf. Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t, V, 1re partie, p. 476-478 et 503-504). Jusqu'à sa mort (21 avril 1109), saint Anselme ne cessa de lutter contre le désordre des mœurs cléricales, mais, une fois qu'il eût disparu, ces mœurs se relâchèrent à nouveau, et, si le mariage demeura interdit pour les prêtres, le niveau moral du clergé anglais resta malgré tout très bas. Cf. Bœhmer, op. cit., p. 285-287.

[50] Le règne de Philippe Ier, p. 308-312.

[51] Suger, Vita Ludovici VI, c. XVI.

[52] Le règne de Philippe Ier, p. 76.

[53] Luchaire, Louis VI le Gros, n° 72. C'est au cours de ces négociations que Louis VI fit à Henri Ier la proposition singulière de trancher le litige par un combat singulier avec lui.

[54] Le règne de Philippe Ier, p 417-422.

[55] Grégoire VII, Registrum, I, 35. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 126 et Le règne de Philippe Ier, p. 405-406.

[56] Le règne de Philippe Ier, p. 40-75.

[57] Le règne de Philippe Ier, p. 446-449. Voir aussi Bernard Monod, Essai sur les rapports de Pascal II avec Philippe Ier (1099-1108), Paris, 1907, p. 55-57.

[58] Le règne de Philippe Ier, p. 316-318.

[59] Le règne de Philippe Ier, p. 320-326.

[60] Le règne de Philippe Ier, p. 318-320.

[61] Le règne de Philippe Ier, p. 325.

[62] Luchaire, Louis VI le Gros, n° 103.

[63] C'est ce qui paraît résulter des brèves mentions de Suger (Vita Ludovici, c. XVI) et d'Orderic Vital (Hist. eccl. XI, 44). Cf. Luchaire, op. cit., n° 120. Il est probable aussi que Louis VI, dès ce moment, a cherché à diviser la Normandie où, par une coïncidence notable, on voit déjà se dessiner en laveur de Guillaume Cliton, fils de Robert Courteheuse, un mouvement qui ne peut être que préjudiciable à Henri Ier.

[64] Voir le récit dé la guerre du Puiset dans Suger, Vita Ludovici, c. XIX.

[65] Suger, Vita Ludovici, c. XIX.

[66] Suger, Vita Ludovici, c. XXI.

[67] Luchaire, op. cit., n° 81.

[68] Luchaire, op. cit., n° 138, 198, 216, 220.

[69] Suger, Vita Ludovicï, c. XXIV. Cf. Luchaire, op. cit., n° 189.

[70] Luchaire, op. cit., p. LXXIX-LXXXII et n° 246.

[71] Suger, Vita Ludovici, c. XXVI ; Luchaire, op. cit., n° 207.

[72] Luchaire, op. cit., n° 229.

[73] Suger, Vita Ludovici, c. XXI. — Sur la date, cf. Luchaire, op. cit., n° 236. L'expédition est certainement antérieure au Ier mai, mais étant donné l'importance des combats qui se sont livrés au printemps sur la frontière normande, il nous paraît infiniment probable que la marche contre le Puiset a dû les précéder et qu'il faut la placer tout à fait au début de l'année 1118.

[74] Luchaire, op. cit., n, 233 ; Suger, Vita Ludovici, c. XXVI.

[75] Suger, loc. cit. ; Luchaire, op. cit., n° 259, 261, 262.

[76] Luchaire, op. cit., n° 264.

[77] Les origines de cette médiation sont assez obscures. Calixte II est venu à Paris du 8 au 11 octobre (J. W., 6747-6748), mais aucun texte ne signale positivement la présence de Louis le Gros qui reste malgré tout fort probable. On a généralement ajouté foi au récit d'Orderic Vital (Hist. eccl., XII, 21), d'après lequel le roi de France se serait rendu au concile de Reims et aurait prononcé un vigoureux réquisitoire contre Henri Ier, l'accusant notamment d'avoir injustement arraché la Normandie à Robert Courteheuse et à son fils ; l'archevêque de Rouen aurait essayé de défendre son souverain, mais en aurait été empêché par les évêques français qui firent un tel bruit qu'il ne put pas parler ; quant au pape, il ne se serait pas prononcé. Or on ne relève aucune allusion à ces faits dans les autres versions du concile, ni dans celle de Hesson dont Orderic Vital s'écarte d'ailleurs sur d'autres faits, ni dans celle de Suger (Vita Ludovici, c. XXVII) qui mentionne seulement les négociations avec Henri V. On peut donc émettre des doutes sur la véracité des incidents rapportés par Orderic Vital, mais le fait même de la médiation pontificale, qui s'est exercée à la fin de novembre suivant, ne saurait être mis en doute malgré le silence de Suger qui n'a pas voulu, en narrant ces négociations, souligner la défaite de son roi.

[78] Vita Ludovici, c. X. — Suger, ce qui montre bien sa confusion, appelle à cette occasion Louis VI roi désigné ; or il y avait déjà quatre ans que Philippe Ier était mort.

[79] Voir à ce sujet une lettre de saint Anselme à Pascal II dans Mansi, t. XX, col. 1022.

[80] Bœhmer, op. cit., p. 289 et suiv.

[81] Luchaire, op. cit., n° 267 et 298. — Cette paix eut une conséquence indirecte qui mérite d'être relevée : il est fort probable qu'au cours de l'entrevue de Gisors une explication est intervenue entre Calixte II et Henri Ier, et que les questions litigieuses furent résolues, car, à partir de 1119, le roi laissa les évêques anglais prendre part aux conciles réunis sur l'initiative du pape et n'opposa plus aucun obstacle à la venue des légats pontificaux dans son royaume.

[82] Orderic Vital, Hist. eccl., XII, 25.

[83] Luchaire, op. cit., n° 334 ; Meyer von Knonau, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich IV und Heinrich V, t. VII, p. 271-274. Henri V avait épousé Mathilde, fille de Henri Ier.

[84] Luchaire, op. cit., n° 343.

[85] Voir le récit très vivant de Suger, Vita Ludovici, c. XXVIII. Cf. Luchaire, op. cit., n° 349 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 275-279 ;

[86] Saint Bernard, epist. 78.

[87] Sur le rôle des palatins, voir surtout Luchaire, op. cit., Introduction, p. XLII et suiv. Il ne semble pas que l'influence de Suger ait été, pendant le règne de Louis VI, aussi importante qu'on l'a cru longtemps. Comme le remarque très justement le dernier éditeur de la Vita Ludovici, M. Waquet (Classiques de l'histoire de France au Moyen âge, fâsc. II, p. IX), on n'observe, depuis 1127, date de la disgrâce d'Étienne de Garlande, jusqu'en 1137, date de la mort de Louis VI, à peu près aucune trace de l'intervention de l'abbé de Saint-Denis dans les affaires proprement politiques.

[88] Sur les dates du départ et de la mort de Hugue, voir la note de H. Waquet dans son édition de Suger, Vie de Louis VI (Classiques de l'histoire de France au Moyen âge), p. 170, n. 3.

[89] Luchaire, op. cit., n° 461. Voir le récit de Suger, Vita Ludovici VI, c. XXXI.

[90] Luchaire, op. cit., n° 530.

[91] Luchaire, op. cit., n° 558.

[92] Luchaire, op. cit., n° 133 et 249, A Laon, il s'agissait de remplacer le fameux évêque Gaudri assassiné en 1112 : Louis VI a imposé comme successeur Hugue, doyen de Sainte-Croix d'Orléans. A Tours, les chanoines voulaient remplacer le défunt Raoul II par un certain Gautier auquel le roi substitua un autre candidat, Gilbert, d'ailleurs plus sympathique à Rome que Gautier.

[93] C'est ainsi qu'en 1129 le roi évoque devant son tribunal le différend entre les chanoines d'Etampes et les moines de Morigny que l'archevêque de Sens, en qualité de métropolitain, aurait dû juger. Cf. Luchaire, n° 437 et 438.

[94] Saint Bernard, epist. 49. Cf. Luchaire, op. cit., n° 448.

[95] Voir le récit de ces élections dans Luchaire, op. cit., p. CLXVI-CLXVII et CLXIX-CLXX.

[96] M. Luchaire (op. cit., p. CLXII et suiv.) nous paraît avoir sensiblement exagéré l'importance des restrictions apportées par Louis VI à la liberté des élections épiscopales et appuyé ses conclusions sur des cas exceptionnels plutôt que sur les cas normaux.

[97] Luchaire, op. cit., p. CXLIX-CLII.

[98] Luchaire, op. cit., n° 160.

[99] Luchaire, op. cit., n° 410, 431, 433.

[100] Luchaire, op. cit., n° 230.

[101] L'histoire du schisme d'Anaclet sera exposée en détail au tome IV.

[102] Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. V, 1re partie, p. 680-682.

[103] Cf. Le règne de Philippe Ier, p. 427.

[104] Luchaire, op. cit., p. CXXVI-CXXVIII.

[105] Louis VI, à cette occasion, écrivit à Calixte II (avril 1127) qu'il préférerait voir son royaume incendié et encourir lui-même le trépas plutôt que de subir l'affront d'un assujettissement de l'église de Sens à celle de Lyon. Cf. Luchaire, op. cit., n° 301.

[106] Cf. Luchaire, op. cit., p. CLXXXI-CLXXXII.

[107] Luchaire, op. cit., n° 607. Cf. Maurice Prou, Les coutumes de Lorris et leur propagation aux XIIe et XIIIe siècles, Paris, 1884.

[108] Le règne de Philippe Ier, p. 514-515.

[109] Sur le mouvement communal en France, voir les pages très suggestives de Pirenne, Les villes du Moyen âge, p. 156 et suiv. et aussi : A. Luchaire, Les communes françaises à l'époque des Capétiens directs, nouv. édit. revue par L. Halphen, Paris, 1911. On pourra consulter également des monographies telles que : A. Giry, Histoire de la ville de Saint-Omer et de ses institutions jusqu'au XIVe siècle, Paris, 1877 et Études sur les origines de la commune de Saint-Quentin, Paris, 1889 ; A. Lefranc, Histoire de la ville de Noyon, Paris, 1888 ; L.-H. Labande, Histoire de Beauvais, Paris, 1892 ; G. Bourgin, La commune de Soissons, Paris, 1908.

[110] Luchaire, op. cit., n° 105.

[111] Luchaire, op. cit., n° 124, 132, 425. Voir aussi le pittoresque récits de Guilbert de Nogent, De vita sua, c. VI et suiv.

[112] Luchaire, op. cit., n° 169.

[113] Suger, Vita Ludovici, c. XXIV.

[114] Sur les grands fiefs, voir : Luchaire, Manuel des Institutions françaises. Période des Capétiens directs, Paris, 1892, p. 237 et suiv. ; Paul Viollet, Histoire des institutions politiques et administratives de la France, t. I, p. 448 et suiv. ; F. Lot, Fidèles ou vassaux ?

[115] Pirenne, Histoire de Belgique, t. I, p. 102 et suiv.

[116] Sur cette évolution administrative, voir Halphen, Le comte d'Anjou au XIe siècle, p. 191-201.

[117] Sur Foulque V et Geoffroy le Bel, cf. Josèphe Chartrou, L'Anjou de 1109 à 1152, Paris, 1929.

[118] De la Borderie, Histoire de Bretagne, t. III, Paris, 1898 ; Flach, Origines de l’ancienne France, t. IV, p. 253-258.

[119] A l'exemple de Philippe Ier, Guillaume IX a répudié sa seconde femme, Hildegarde d'Anjou, pour convoler avec Maubergeon, épouse du vicomte de Châtellerault, qu'il avait enlevée.

[120] Sur l'Aquitaine, voir Richard, Histoire des comtes de Poitou, t. I, Paris, 1903, p. 266 et suiv. M. Garaud, Essai sur les instructions judiciaires du Poitou, Poitiers, 1910 ; Flach, op. cit., t. IV, p. 580 et suiv.

[121] Cf. Dom Vaissète, Histoire de Languedoc, t. III, p. 415 et suiv. ; Flach, op. cit., t. IV, p. 612 et suiv.

[122] Pour la Bourgogne, il n'y a aucune monographie récente. On pourra consulter Petit, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, t. I et II, Paris, 1885-1888.

[123] Sur la Champagne au temps de Hugue Ier et de Thibaud IV, voir d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, Paris, 1860, t. II, p. 63 et suiv.

[124] Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 3-4.

[125] Luchaire, op. cit., n° 91 et 92.

[126] Luchaire, op. cit., n° 318 et 369.

[127] Luchaire, op. cit., n° 379-391, 404-407, 412, 416.

[128] Stubbs, op. cit., t. I, p. 424 et suiv. ; Valin, Le duc de Normandie et sa cour, p. 151-153 ; Chartrou, L'Anjou de 1109 à 1151, p. 128.

[129] Stubbs, op. cit., t. I, p. 382-383.

[130] Stubbs, op. cit., t. I, p. 383-385.

[131] Sur les origines du mouvement urbain en Angleterre, voir-Petit-Dutaillis, L'origine des villes en Angleterre dans Stubbs, op. cit., t. I, p. 824-845 ; Mary Batesou, The laws of Breteuil dans English historical review, t. XV et XVI, 1900-1901.

[132] Stubbs, op. cit, t. I, p. 389.

[133] Luchaire, op. cit., n° 591.

[134] Luchaire, op. cit., n° 579, 580, 588 et 589. Voir aussi le récit de Suger dans la Vita Ludovici VI, C. XXXIV.

[135] Stubbs, op. cit., t. I, p. 113-115.

[136] Stubbs, op. cit., t. 1, p. 390-391.

[137] C'est la raison pour laquelle il revendiqua la couronne, quoiqu'il ne fut que le cadet de la maison de Blois, évinçant son frère aîné Thibaud.

[138] Voir le récit de ces événements dans Guillaume de Malmesbury, Historia novella, c. 460 et suiv. Cf. Bœhmer, Kirche und Staat in England und in der Normandie im XI und XII Jahrhundert, p. 331.

[139] Stubbs, op. cit., t. I, p. 391.

[140] Bémont, Chartes des libertés anglaises, p. 8-10.

[141] Henri de Huntingdon, VIII, 4.

[142] Chartrou, op. cit., p. 49-54.

[143] Stubbs, op. cit., t. I, p. 394-395.

[144] Stubbs, op. cit., t. I, p. 395-396.

[145] Bœhmer, op. cit., p. 341. — M. Bœhmer (ibid., p. 327-329) attire l'attention sur le caractère incohérent de la politique ecclésiastique d'Étienne qui n'obéit à aucune direction d'ensemble et a toujours été inspirée par les seules nécessités du moment.

[146] Voir le récit de ces événements dans Guillaume de Malmesbury, Historia novella, c. 491 et suiv.

[147] Guillaume de Malmesbury, Historia novella, c. 498 et suiv. Cf. Stubbs, op. cit., t. I, p. 401-404.

[148] Chartrou, op. cit., p. 54-66.

[149] Chartrou, op. cit., p. 68. Sur les institutions normandes au temps de Geoffroy Plantagenet, cf. ibid., p. 107 et suiv.

[150] Cf. Chartrou, op. cit., p. 55 et suiv.

[151] Voir les textes cités par Stubbs, op. cit., t. I, p. 399-400. Il faut évidemment faire la part des exagérations auxquelles se sont laissé aller les chroniqueurs, mais il demeure certain que les paysans, mal défendus par les fonctionnaires royaux, ont été impitoyablement pressurés.

[152] Le mot se trouve dans l'Historia pontificalis dont Jean de Salisbury est sans doute l'auteur.

[153] Sur Louis VII, voir Hirsch, Studien zur Geschichte Ludwigs VII von Frankreich, Diss. Leipzig, 1892. Il n'existe malheureusement pas encore de monographie française, mais on consultera avec fruit les excellentes pages consacrées à ce roi par Luchaire dans l'Histoire de France de Lavisse, t. III, 1re partie, p. 1 et suiv.

[154] Hirsch, op. cit., p. 28-30 ; D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. II, p. 345-346.

[155] Elle n'a pas réussi pourtant à atténuer chez Louis VII une foi scrupuleuse qui, au bout de quelque temps, reprendra le dessus.

[156] D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. II, p. 346-347.

[157] D'Arbois de Jubainville, op. cit, t. II, p. 348-349 ; Hirsch. op. cit., p. 31-32.

[158] D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. II, p. 351 et suiv. ; Hirsch. op. cit., p. 33.

[159] Saint Bernard, epist, 247 ; Otton de Freising, Gesta Friderici, I, 34. Cf. Vacandard, Vie de saint Bernard, abbé de Clairvaux, t. II, p. 273-274.

[160] Sur cette partie de l'œuvre de Suger, voir le Liber de rebus in administratione sua gestis. Cf. aussi Mâle, l'Art religieux du XIIe siècle en France, p. 152 et suiv.

[161] Sur la régence de Suger, voir : O. Cartellieri, Abt Suger von Saint-Denis, Berlin, 1898, p. 45 et suiv.

[162] Chartrou, op. cit., p. 53 et 65-66.

[163] Chartrou, op. cit., p. 78-79.

[164] Chartrou, op. cit., p. 76.

[165] Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. V, Ire p., 845 ; Vacandard, Le divorce de Louis VII dans la Revue des questions historiques, t. XLVII, 1890, p. 408-432 ; Hirsch. op. cit., p. 81.

[166] Le haut clergé en voulait tout particulièrement au roi de n'avoir pas permis, en 1148, à l'archevêque de Cantorbéry de se rendre sur le continent pour assister au concile de Reims.

[167] Stubbs, op. cit., t. I, p. 401-409.