HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

DEUXIÈME PARTIE. — PROBLÈMES POLITIQUES ET RELIGIEUX DE 962 À 1025

 

CHAPITRE VI. — LA LUTTE DU SACERDOCE ET DE L'EMPIRE JUSQU'À LA MORT DE HENRI V (1076-1125).

 

 

I. — Grégoire VII et Henri IV (1076-1085)[1].

 

L'ALLEMAGNE APRÈS LE CONCILE ROMAIN DE FÉVRIER 1076. — La lutte du Sacerdoce et de l'Empire s'ouvre aussitôt après l'assemblée de Worms qui a déclaré Grégoire VII déchu de la dignité pontificale (24 janvier 1076) et après le concile romain du 14 février 1076 qui a riposté en prononçant la déposition du roi de Germanie, Henri IV. Pendant deux siècles, elle opposera les empereurs et les papes, ou plutôt deux thèses inconciliables, le césaro-papisme germanique et la prééminence romaine, souvent désignée sous le nom de théocratie.

Au lendemain de la rupture, la situation évolue en faveur du Saint-Siège. La sentence synodale du 14 février produit en Allemagne une violente émotion. A Worms, en janvier, les évêques n'ont eu ni le temps ni la liberté de réfléchir : sommés par Henri IV de rédiger la formule d'insoumission et de désobéissance, ils ne pouvaient se dérober sans encourir les plus graves dangers, mais, après quelques semaines de réflexion, ils envisagent moins à la légère les sanctions canoniques dont ils sont passibles et leurs dispositions tendent à se modifier. En outre, au moment même où se terminent les sessions du concile romain, Godefroy le Bossu, duc de Basse-Lorraine, meurt assassiné (21 février 1076)[2] et avec lui disparaît le meilleur soutien de Henri IV en Italie.

Pour ces diverses raisons, une tendance à la soumission se dessine parmi les évêques. Dès le mois d'avril, Hermann de Metz donne le signal du retour à l'obédience pontificale et rend la liberté aux prisonniers saxons qu'il était chargé de garder depuis la capitulation d'octobre 1075. En juin, Burchard, évêque d'Halberstadt, Werner, archevêque de Magdebourg, Werner, évêque de Mersebourg, Bennon, évêque de Meissen, le comte Magnus s'évadent à leur tour[3] ; l'opposition allemande retrouve les chefs qu'elle avait perdus, tous décidés à profiter des événements pour réparer l'échec humiliant de l'année précédente et, comme les princes laïques ne manifestent, pour la plupart, aucun enthousiasme en faveur de leur souverain, la situation de Henri IV paraît, au printemps de 1076, sérieusement ébranlée.

ATTITUDE DE HENRI IV. — C'est à Utrecht que le roi apprend, le samedi saint (26 mars 1076), la nouvelle de la condamnation qui le frappe. Auprès de lui se trouvaient l'évêque de la ville, Guillaume, un de ses plus chauds partisans, et deux prélats, également favorables à sa cause, Pibon de Toul et Thierry de Verdun. Ceux-ci, pris de peur, s'enfuient secrètement dans la nuit du samedi au dimanche et leur retraite produit d'autant plus d'effet que la foudre tombe sur la cathédrale d'Utrecht où, le jour de Pâques, Guillaume fulmine, au nom du roi, l'anathème contre le pape. N'est-ce pas là un jugement de Dieu que confirme, quelques semaines plus tard, la mort du prélat blasphémateur ?[4]

Henri IV persévère pourtant dans sa volonté de résistance. D'Utrecht il adresse à Grégoire VII une épître restée fameuse où, après avoir accusé le pontife d'être parvenu au sacerdoce par l'argent, par la faveur et par la force, il lui lance cette furieuse injonction : Nous, Henri, roi par la grâce de Dieu, nous vous clamons avec tous les évêques : descendez, descendez, puisque vous êtes condamné à tout jamais. En même temps, il convoque les évêques allemands à Worms pour la Pentecôte (15 mai 1076), en vue d'élire un nouveau pape[5].

ASSEMBLÉE DE MAYENCE (29 JUIN 1076). — L'épiscopat ne se laisse pas convaincre. La cité de Worms est à peu près déserte au jour de la Pentecôte et il faut ajourner au 29 juin l'assemblée qui, par la même occasion, est transférée à Mayence. Elle n'aboutit d'ailleurs à rien, en raison du nombre infime des assistants. De plus en plus les hésitants se rallient à la cause du pape, dont la modération contraste avec le langage violent de Henri IV ; l'archevêque de Trèves, Udon, tout dévoué à la royauté, 'se laisse lui-même entraîner par son suffragant, Hermann de Metz, et, s'il paraît à Mayence, c'est avec l'assentiment de Grégoire VII[6].

ATTITUDE DE GRÉGOIRE VII. — Depuis la condamnation de Henri IV au concile romain de février 1076, le pape n'a cessé d'affirmer qu'il était prêt à pardonner au roi, si celui-ci donnait au Saint-Siège les satisfactions requises par les canons de l'Eglise. L'encyclique par laquelle il communique à la chrétienté, dès la fin de février, la décision synodale, est un véhément appel aux fidèles pour qu'ils demandent à Dieu, en d'ardentes prières, d'incliner à la pénitence le cœur des impies, seul moyen, écrit-il encore le 25 juillet 1076, de rappeler le roi dans le sein de notre commune mère qu'il s'est efforcé de diviser[7]. Guidé par des motifs d'ordre religieux, préoccupé avant tout d'exercer dans sa plénitude le pouvoir de lier et de délier conféré par le Christ à l'apôtre Pierre, Grégoire VII n'a qu'un désir, celui de prononcer une sentence d'absolution qui serait, autant que celle de condamnation, une éclatante manifestation de la suprématie romaine.

Ces dispositions conciliantes ont produit une forte impression en Allemagne. Pendant l'été de 1076, le mouvement de défection s'accroît parmi les évêques, tandis qu'un élément nouveau entre en scène, les princes qui, animés de sentiments plus positifs, se demandent si le moment n'est pas venu d'en finir avec la tyrannie de Henri IV.

ASSEMBLÉES D'ULM ET DE TRIBUR (SEPTEMBRE-OCTOBRE 1076). — Dans le courant de septembre io76, les ducs Rodolphe de Souabe, Welf de Bavière, Berthold de Carinthie se rencontrent à Ulm avec les évêques Adalbéron de Wurtzbourg, Adalbert de Worms, Altmann de Passau. Sans agiter encore la question d'une déchéance royale, ils décident de convoquer à Tribur, pour le 16 octobre, une assemblée plus nombreuse où sera examiné le grave problème qui préoccupe l'Allemagne[8]. Cette assemblée se réunit à la date fixée. Un légat de Grégoire VII, Cadalus, tout récemment arrivé, y communique les instructions du pape ; il. a lui-même pour mission de ne rien brusquer, d'essayer avant tout d'obtenir la soumission du roi qui se trouvait précisément dans le voisinage de Tribur, à Oppenheim, et qui, en présence de tant de défections répétées, avait perdu de sa belle arrogance. C'étaient là autant de symptômes propices à l'ouverture de pourparlers qui s'ébauchent en effet à la fin d'octobre[9].

Henri IV en prend l'initiative. Comme la plupart des évêques qui l'ont accompagné à Oppenheim se sont empressés de solliciter l'absolution pontificale[10], il est obligé, s'il veut conserver sa couronne, de céder à l'impulsion générale. Il fait donc rédiger deux documents, l'un destiné au légat de Grégoire VII, la promissio, par laquelle il s'engage à observer en toutes choses l'obéissance due au Saint-Siège et à donner pieusement toutes satisfactions, l'autre, désigné sous le nom d'edictum, qui s'adresse aux princes et par lequel le roi se déclare prêt à changer sa première sentence contre un avis plus salutaire[11]. Peut-être espère-t-il que le légat, touché de ces vagues propos de repentir, le réconciliera avec l'Église, sans qu'il ait pris d'autres engagements plus précis sur les questions en litige, mais il ignore que Grégoire VII s'est personnellement réservé le droit de l'absoudre[12]. Lorsqu'il est mis au courant de cette intention, il se résigne à accepter la proposition qui lui est faite par le légat et par les princes, aux termes de laquelle il serait offert au pape de venir à Augsbourg, pour y présider, le 2 février 1077, une grande assemblée où serait prononcée la sentence définitive de condamnation ou de pardon[13].

Cet accord est aussitôt ratifié par Grégoire VII qui, malgré l'avis contraire des Romains, se prépare immédiatement à partir pour l'Allemagne et, dans les premiers jours de janvier, gagne l'Italie du Nord, mais là, au lieu de voir surgir l'escorte que devaient envoyer les princes allemands, il apprend, non sans surprise, que Henri IV approche[14].

HENRI IV EN ITALIE. — Le roi ne tenait nullement à ce que le pape vînt en Allemagne. Il avait les plus sérieuses raisons de redouter que l'assemblée d'Augsbourg ne tournât pas en sa faveur. Il ne pouvait pas compter sur l'épiscopat, encore moins sur les princes qu'il sentait hostiles et unis contre lui[15]. Aussi, devant cet avenir incertain, a-t-il imaginé un plan de salut qui consistait à devancer ses adversaires en allant en Italie où, grâce à une pénitence habilement simulée et entourée d'une mise en scène théâtrale, il forcerait la miséricordieuse clémence du pape et arracherait à ses scrupules canoniques l'absolution qui ferait de lui à nouveau un catholique romain, puis, ce qui était encore plus important, un roi de Germanie.

A cet effet, il s'est assuré le concours de son parrain, l'abbé de Cluny, Hugue, dont il connaissait le désir de maintenir l'entente entre le Sacerdoce et l'Empire. Sûr de cet appui, il a, un peu avant Noël, quitté l'Allemagne dans le plus grand secret et, par Besançon et Genève, gagné le Mont-Cenis d'où, par Turin, il descend en Italie[16].

A la nouvelle de l'arrivée si imprévue du roi, Grégoire VII se réfugie au château de Canossa, situé au sud-ouest de Reggio, qui appartenait à la comtesse Mathilde et offrait pour lui toute sécurité. Henri IV cherche aussitôt à négocier avec lui par l'intermédiaire de Hugue de Cluny, du marquis d'Esté, Azzon, d'Adélaïde de Savoie et de Mathilde elle-même[17]. Le pape se montre d'abord intraitable, tellement il a conscience qu'un pardon prématuré risque de compromettre la situation de l'Église, mais il se laissera finalement ébranler par les manifestations de repentir à l'aide desquelles Henri IV essaie de remuer son cœur.

L'ENTREVUE DE CANOSSA. — Le 25 janvier 1077, le roi est arrivé devant Canossa, accompagné d'une escorte peu nombreuse, afin de prévenir tout soupçon. Il y fut, dit une bulle de Grégoire VII que l'on doit considérer comme la seule version authentique de l'événement[18], trois jours devant la porte, sans aucun insigne royal, nu-pieds, dans le costume de pénitent, ne cessant d'implorer la miséricorde apostolique, tellement qu'il émut jusqu'au fond de l'âme ceux qui furent témoins de cette conduite ou qui en eurent l'écho. L'entourage pontifical intercéda en faveur du prince ; la comtesse Mathilde et Hugue de Cluny, qui se trouvaient là, se montrèrent stupéfaits de la dureté inaccoutumée du pape et allèrent jusqu'à l'accuser de cruauté tyrannique. Pendant trois jours, Grégoire VII résista, puis, vaincu par la persévérance du repentir, il reçut Henri IV dans la grâce de la communion et dans le sein de l'Église, moyennant un serment contresigné par les personnes présentes[19].

LE SERMENT DE HENRI IV. — On a conservé le texte de ce serment[20]. Le roi promet, dans les limites qui seront fixées par le pape, de faire justice selon sa sentence ou accommodement selon son conseil, d'accorder, sauf obstacle certain qui ne pourrait être d'ailleurs que momentané, un sauf-conduit à Grégoire VII s'il veut venir au delà des monts, de répondre de sa sécurité et de celle de sa suite, de prévenir toute tentative dirigée contre lui.

Ce serment ressemble singulièrement à celui d'Oppenheim : il demeure très vague et ne contient même pas, de la part du souverain, un engagement précis de comparaître devant l'assemblée d'Augsbourg. Aucune des questions brûlantes n'est abordée, ni celle des mauvais conseillers, ni celle de l'investiture laïque, ni celle de la suprématie romaine. Bref, Grégoire VII n'obtient aucune garantie. De plus, Henri IV, réconcilié avec l'Église, recouvre sa couronne par la même occasion ; quand il se présentera devant le pape, assisté des princes, il ne sera plus le pécheur qui vient solliciter humblement son pardon et confesser ses fautes ; il paraîtra en roi. D'ailleurs, à supposer que l'assemblée solennelle prévue à Tribur ait réellement lieu, comment le pape pourrait-il se déjuger et prononcer une sentence de condamnation contre celui qu'à Canossa il avait réconcilié avec Dieu ?

CONSÉQUENCES DE L'ABSOLUTION DE CANOSSA. — En résumé, avant Canossa, Henri IV était sûr de perdre sa couronne ; après Canossa, il a toutes chances de la conserver. Dans sa lutte avec le Saint-Siège et avec les princes, il, a réussi, par un trait de génie, à gagner la partie qui, quelques mois auparavant, paraissait perdue pour lui. D'un geste Grégoire VII a dissipé tous les avantages péniblement accumulés au cours de l'année 1076, mais le geste est sublime et inspiré par le plus pur sentiment chrétien. Si le pape avait maintenu son exigence première et refusé d'ouvrir les portes du château au pécheur suppliant, il aurait laissé la réputation d'un politique énergique, d'un diplomate aussi tenace que clairvoyant ; en pardonnant, il a prouvé qu'il était un vrai chrétien capable de renoncer à des succès d'ordre temporel pour se conformer aux exigences de la charité.

Toutefois son autorité spirituelle demeure intacte. A Rome, en février 1076, il a lié ; à Canossa, en janvier 1077, il délie un pêcheur tour à tour coupable et repentant. Ce pouvoir de lier et de délier, qui dicte tous les actes de la politique et du gouvernement de Grégoire VII, Henri IV, en sollicitant son absolution, l'a implicitement reconnu. Aux yeux du pape, c'est un important résultat : le césaro-papisme impérial s'est incliné devant la suprématie romaine et, à cet égard, Canossa est pour Grégoire VII un succès que la déloyauté de Henri IV et l'ambition des princes devaient rendre tout à fait éphémère.

ASSEMBLÉES D'ULM ET DE FORCHHEIM (FÉVRIER-MARS 1077). — La nouvelle de l'absolution de Canossa produit en effet en Allemagne, où l'on préparait fiévreusement l'assemblée d'Augsbourg, un profond désarroi-Sans doute le pape annonçait-il toujours son intention de venir prochainement pour réaliser la paix de l'Église et la concorde du royaume, mais la situation se trouvait modifiée du tout au tout. De là un réel désaccord entre Grégoire VII et ses alliés, les princes, qui, peu sensibles aux considérations théologiques, aspirent avant tout à débarrasser le royaume d'un tyran qu'ils abhorrent.

Au milieu de février 1077, Siegfried, archevêque de Mayence, Adalbéron, évêque de Wurtzbourg, Hermann, évêque de Metz, Rodolphe, duc de Souabe, Welf, duc de Bavière, Berthold, duc de Carinthie, se réunissent à Ulm et, après examen de la situation, décident de convoquer pour le 13 mars, à Forchheim, une autre assemblée où l'on prendrait une décision au sujet du roi. Ils ne perdent d'ailleurs pas contact avec le pape et chargent un certain Rapoton, venu pour apporter la bulle qui relatait l'entrevue de Canossa, de transmettre à Rome les vœux que l'on formait pour le voyage pontifical, en ajoutant un peu ironiquement que Grégoire VII ferait bien de solliciter, à cette fin, l'approbation et l'aide de Henri IV[21].

Comme il était à prévoir, le pontife ne put organiser ce voyage. Il dut se contenter d'envoyer à Forchheim deux légats, le cardinal-diacre Bernard et un autre Bernard, abbé de Saint-Victor, porteurs d'une bulle très vague où il affirmait toujours son intention de venir en Allemagne dès qu'il le pourrait. Les instructions verbales, données aux ambassadeurs du Saint-Siège, paraissent avoir été plus explicites : il s'agissait de prévenir l'irréparable et d'ajourner toute solution[22].

ÉLECTION DE RODOLPHE DE SOUABE (13 MARS 1077). — On connaît mal l'histoire de l'assemblée de Forchheim que la partialité des chroniqueurs saxons a singulièrement défigurée[23]. La seule chose qui soit certaine, c'est que les évêques et les princes ont déposé Henri IV et lui ont substitué comme roi son beau-frère, Rodolphe de Rheinfelden, duc de Souabe (13 mars 1077)[24]. Quelques jours plus tard, le 26 mars, Rodolphe fut couronné à Mayence par l'archevêque Siegfried, en présence des nombreux princes et évêques qui l'avaient élu, mais en l'absence des légats pontificaux, résolument fidèles à l'attitude d'expectative que leur avait tracée Grégoire VII[25].

GRÉGOIRE VII, HENRI IV. ET RODOLPHE DE SOUABE. — L'élection de Rodolphe de Souabe plaçait le pape dans une situation délicate : Henri IV, qui, depuis Canossa, n'avait pas quitté l'Italie, lui demandait son appui contre l'usurpateur ; Rodolphe, de son côté, se déclarait prêt à obéir, en toutes choses, au Saint-Siège[26]. Sans doute l'assemblée de Forchheim n'avait tenu aucun compte des directions pontificales, mais, par ailleurs, l'attitude de Henri IV demeurait énigmatique : si le roi se gardait personnellement de tout acte hostile au Saint-Siège, les évêques lombards se montraient beaucoup moins réservés ; l'un d'eux, Denis de Plaisance, avait osé saisir et emprisonner les légats Géraud d'Ostie et Anselme de Lucques à leur retour de Milan où, après l'expulsion de l'intrus Tedald par le peuple, ils avaient été rétablir l'orthodoxie[27]. De là, pour Grégoire VII, un cruel embarras ; de là aussi une attitude en apparence hésitante, mais guidée en réalité par le souci exclusif de se conformer aux règles canoniques : le pape affirme le droit formel du Saint-Siège de connaître et juger des choses séculières ; il examinera donc l'affaire et, quand ses légats auront terminé leur enquête, il proclamera quelle est celle des deux parties qui peut gouverner conformément à la justice[28].

Les événements allaient déjouer ce plan plein de sagesse : d'un côté comme de l'autre, on n'a aucune confiance dans les moyens proposés par Rome et l'on veut recourir aux armes pour vider la querelle.

LA CAMPAGNE DE 1077. — Dès qu'il a eu connaissance de l'élection de Rodolphe de Souabe, Henri IV est rentré en Allemagne. Arrivé en Bavière au début de mai, il réunit ses partisans à Ratisbonne, puis se dirige vers le Rhin, ravage la Souabe, entre à Ulm où, en présence d'une nombreuse assemblée, il juge par contumace les princes rebelles et confisque leurs fiefs ; il revient ensuite en Bavière, afin d'y terminer ses préparatifs[29]. Au cours de cette randonnée, il a pu évaluer ses forces : les pays rhénans lui sont favorables ; en Bavière, s'il se heurte à l'hostilité de l'archevêque de Salzbourg, Gebhard, et de l'évêque de Passau, Altmann, il a pour lui la plupart des seigneurs laïques ; en Carinthie, Liutold, fils de Markward d'Eppenstein, qu'il a investi du duché, combat avec ardeur le duc légitime, Berthold ; enfin le[duc de Bohême, Wratislas, satisfait d'avoir reçu, en 1075, la marche saxonne de l'Est devenue marche de Misnie[30], accourt à l'appel du roi avec ses terribles soldats qui sèment partout la terreur. Il faut amalgamer ces éléments disparates, mais le succès est loin d'être impossible.

Rodolphe a eu au contraire toutes sortes de déconvenues. Le jour de son couronnement, une émeute l'a contraint à quitter Mayence et à s'enfuir en hâte vers ses États où il arrive pour apprendre la défection des évêques d'Augsbourg et de Constance. Ses efforts pour se consolider dans la région du Danube échouent également : il ne peut s'emparer du château de Sigmaringen dont il doit, à l'arrivée de Henri IV, abandonner le siège pour se retirer en Saxe. C'est là qu'il va organiser son armée, tandis que Welf de Bavière et Berthold de Carinthie défendront la Souabe contre Henri IV[31].

Les hostilités commencent en juillet 1077. Rodolphe prend l'offensive : il met le siège devant Wurtzbourg qui avait pris parti pour Henri IV, mais dont l'évêque, Adalbéron, était tout dévoué au Saint-Siège. Il ne peut pénétrer dans la place, mais réussit du moins à opérer sa jonction avec les contingents souabes que lui amenaient Welf et Berthold. Il essaie alors d'attaquer les positions de Henri IV sur le Neckar, mais celui-ci, qui attendait des secours de Bohême et de Bavière, refuse la bataille. D'ailleurs, d'un côté comme de l'autre, on a peu d'entrain pour se battre ; bientôt même des négociations s'engagent non pas entre les rois, mais entre leurs partisans réciproques ; on projette une rencontre sur les bords du Rhin pour le Ier novembre et, si cette conférence n'a pas lieu pour des raisons que l'on ignore, du moins le début de l'année 1078 est-il marqué par une nouvelle offensive du Saint-Siège en faveur de la paix[32].

LE CONCILE ROMAIN DE FÉVRIER-MARS 1078. — A la fin de 1077, Grégoire VII annonce son intention de porter le différend entre Henri IV et Rodolphe de Souabe devant le concile convoqué à Rome pour le début du carême. En présence de cette assemblée, réunie du 27 février au 3 mars 1078, il signifie qu'il enverra prochainement en Allemagne des légats, armés d'un large pouvoir d'enquête, qui manderont devant eux les personnes susceptibles d'éclairer le débat et transmettront au pape leur avis motivé, après quoi la sentence sera rendue[33].

On ne sait rien des négociations qui ont suivi[34]. Il apparaît seulement qu'à l'automne elles n'avaient abouti à aucun résultat positif. D'autre part, Grégoire VII a vivement mécontenté les Saxons en accueillant les ambassadeurs de Henri IV avec les mêmes égards que ceux de Rodolphe[35], en sorte que, l'offensive pacifique ayant échoué, on ne place plus désormais d'espoir que dans une victoire des armes.

BATAILLE DE MELRICHSTADT (7 AOÛT 1078). — De nouveau Rodolphe assume la responsabilité de l'attaque (27 mai 1078). Il a préparé sa campagne avec le plus grand soin et cherché à s'assurer des appuis extérieurs du côté de la Hongrie, de la Hollande, peut-être aussi de la Flandre et de la France. Quand il se croit en mesure d'affronter son adversaire, il se dirige vers la Thuringe où il espère rejoindre les contingents souabes que lui amènent les ducs Welf et Berthold. A Melrichstadt, il se heurte à l'armée de Henri IV, composée surtout de Franconiens, de Souabes et d'Alsaciens (7 août 1078). La bataille est acharnée et sanglante ; finalement l'arrivée de Wratislas et de ses Bohémiens permet à Henri IV de rester maître du terrain. Rodolphe doit se retirer en Saxe, laissant entre les mains de son adversaire des prisonniers de marque tels que l'archevêque de Mayence, Siegfried, le comte Magnus et son oncle Hermann ; l'archevêque de Magdebourg et l'évêque de Mersebourg ont été massacrés, tandis qu'ils s'enfuyaient. Toutefois, le même jour, Welf de Bavière et Berthold de Carinthie ont remporté une victoire sur le Neckar, si bien que Henri IV, au lieu de poursuivre son rival, est obligé d'aller s'enfermer à Wurtzbourg, en attendant de pouvoir rentrer à Mayence[36]. On ne saurait donc parler de décision ; les armes ont été aussi impuissantes que la diplomatie à régler une situation qui paraît désormais sans issue.

LES POURPARLERS DE PAIX EN 1078-1079. — La guerre civile continue pendant l'automne sans apporter davantage de résultats appréciables[37]. Aussi les deux rois, afin d'augmenter leur prestige, rivalisent-ils d'ardeur pour entraîner le pape à condamner l'adversaire. Henri IV envoie à Rome un message où il affirme une fois de plus sa volonté de ne pas gêner l'action pontificale et supplie Grégoire VII de ne pas prononcer de sentence sans l'avoir entendu. De leur côté, Rodolphe de Souabe et les Saxons s'efforcent d'apitoyer le pontife sur les dévastations, les massacres, les viols commis par les armées de Henri IV et sollicitent le renouvellement de la condamnation de 1076. Grégoire VII reste impassible. Au synode de novembre 1078, il s'est contenté d'entendre les légats des deux compétiteurs, accourus à Rome. Lors d'un nouveau concile, tenu en février 1079, il refuse encore de tirer du fourreau le glaive apostolique avant que la lumière ne soit pleinement faite ; du moins oblige-t-il les envoyés de Henri IV et ceux de Rodolphe de Souabe à accepter la formule d'un serment qui les contraignait l'un et l'autre à s'incliner devant la sentence des légats pontificaux[38]. L'arbitrage suprême du Saint-Siège est admis en principe : il s'agit maintenant pour le pape de l'exercer effectivement.

L'enquête canonique, ordonnée par Grégoire VII, remplit les derniers mois de l'année 1079. Les légats précédents s'étant trop compromis avec les Saxons, elle est confiée à des hommes nouveaux, Pierre, cardinal-évêque d'Albano, et Ulrich, évêque de Padoue. La duplicité de Henri IV se révèle au cours de ces négociations : après avoir vainement cherché à corrompre les envoyés pontificaux, le roi exige, avant toutes choses, la soumission pure et simple des Saxons qu'il convoque à cet effet à Wurtzbourg et, comme naturellement ils s'abstiennent de paraître, il les attaque au début de 1080, en plein hiver, découvrant ainsi son jeu qu'il a jusque-là si bien caché aux yeux du pape[39].

BATAILLE DE FLARCHHEIM (27 JANVIER 1080). — Les troupes de Rodolphe étaient massées sur la frontière de la Thuringe et c'est au nord-ouest de ce pays, à Flarchheim, que s'engage, le 27 janvier 1080, la bataille qui devait décider du sort de l'Allemagne. Une tempête de neige n'empêche pas les deux armées de s'affronter en une active mêlée. Une fois de plus le résultat est indécis : si Rodolphe bat en retraite vers Goslar, Henri IV ne se sent pas assez fort pour le poursuivre[40]. Il se considère cependant comme victorieux, car le champ de bataille est resté en son pouvoir ; aussi va-t-il essayer d'intimider le pape.

CONCILE ROMAIN DE MARS 1080 ET SECONDE EXCOMMUNICATION DE HENRI IV. — Aussitôt après la bataille de Flarchheim, il envoie en ambassade à Rome l'archevêque de Brême, Liémar, et l'évêque de Bamberg, Robert[41]. Le choix de Liémar qui, en 1074, avait donné au clergé allemand le signal de la révolte contre l'autorité [pontificale, constituait une grave inconvenance et trahissait les secrètes pensées du prince, mais c'était bien mal connaître Grégoire VII que de le croire. capable de céder à une manœuvre de ce genre. Le pontife n'avait jamais réglé son attitude sur les événements politiques ou militaires ni affiché d'autre préoccupation que d'assurer le triomphe de la justice ; loin de spéculer sur les conséquences possibles de la bataille de Flarchheim, il se contentera de formuler, comme il l'avait annoncé, les conclusions canoniques résultant de l'enquête entreprise par ses légats.

Le 7 mars 1080, s'ouvre le concile romain qui se tenait chaque année à l'occasion du carême. C'est là que le pape publie sa sentence au sujet des affaires germaniques : en un saisissant discours, il résume l'histoire des relations du Saint-Siège avec l'Allemagne au cours des dernières années et, avec la plus catégorique netteté, accuse Henri IV d'avoir empêché la réunion de l'assemblée prévue par le synode de l'année précédente ; l'excommunication de Henri, la reconnaissance de Rodolphe de Souabe que les Allemands ont élu comme roi, telle est la double conséquence que Grégoire VII tire de cette constatation[42].

Il n'est pas nécessaire de souligner la gravité de cette sentence, rendue après une minutieuse enquête qui a duré plusieurs années. Elle est, une fois de plus, l'expression de la suprématie romaine revendiquée dans les Dictatus papæ : comme représentant de saint Pierre, Grégoire VII a décidé quel est celui des deux compétiteurs dont la puissance est suivant l'ordre de Dieu, exerçant par là ce rôle d'arbitre suprême qu'il considère comme une de ses prérogatives essentielles[43].

ASSEMBLÉE DE BRIXEN ET ÉLECTION DE CLÉMENT III (25 JUIN 1080). — C'est à Liège, vers Pâques qui tombait cette année-là le 12 avril, que Henri IV connut la sentence d'excommunication et de déposition qui l'avait frappé. Il se rapprocha aussitôt du Rhin et, le jour de la Pentecôte (31 mai), réunit à Mayence dix-neuf prélats allemands dont la plupart s'étaient déjà concertés à Bamberg quelques semaines plus tôt. Tous lui conseillèrent de déposer Grégoire VII et décidèrent d'envoyer l'évêque de Spire, Hozmann, en Italie pour solliciter l'assentiment des évêques lombards. Ceux-ci ne se firent pas prier, si bien que le roi, sûr des intentions de l'épiscopat, plus sûr encore de celles des laïques, put convoquer ses fidèles pour le 25 juin 1080 à Brixen, aux confins de l'Allemagne et de l'Italie[44].

Les chroniqueurs sont très sobres de détails sur cette assemblée. Le procès-verbal de déposition de Grégoire VII donne la liste des évêques présents : la plupart appartiennent à la Lombardie ; les Allemands ne sont venus qu'en petit nombre et le cardinal Hugue Candide représente à lui seul le Sacré Collège. Rien de bien saillant dans les griefs formulés contre le pape : on réédite le réquisitoire de Worms en y ajoutant l'accusation d'hérésie — Grégoire VII aurait été disciple de Bérenger[45], après quoi l'on conclut à la déchéance d'Hildebrand et l'on élit à sa place, sous le nom de Clément III, l'archevêque de Ravenne, Guibert, excommunié depuis 107848[46].

L'illégalité de cette élection ne saurait faire de doute. L'assemblée de Brixen n'avait pas qualité pour nommer un pape. Elle l'a si bien senti qu'elle a dû, pour mettre Grégoire VII en opposition avec la loi canonique, forger une nouvelle version du décret de Nicolas II[47] et, quand il s'est agi de lui donner un successeur, elle n'a même pas réussi à respecter les stipulations du texte ainsi falsifié. Si le faux décret accorde au roi une part importante dans l'élection, s'il supprime le privilège des cardinaux-évêques, dont aucun n'a paru à Brixen, il maintient du moins le principe de la désignation du pontife romain par le Sacré Collège, puis par le clergé et par le peuple de Rome. Or ce dernier élément n'a pas participé à l'élection et un seul cardinal, Hugue Candide, a élu Guibert de Ravenne. Mais peu importe : on escompte que l'opinion, ignorante des subtilités juridiques, ne saisira pas le vice de la procédure ; bientôt Clément III, installé sur le siège de Pierre par l'armée allemande, sera reconnu par la chrétienté universelle comme le légitime successeur de l'apôtre et posera sur le front de Henri IV la couronne impériale.

L'ÉGLISE ET LE SCHISME. — C'étaient là de singulières illusions En dehors du royaume de Germanie et de la Lombardie, clercs et laïques, évêques et rois demeurent attachés à l'orthodoxie. Il faut voir là une conséquence de l'action entreprise par Grégoire VII à l'intérieur de l'Église. Pour faire respecter les décisions synodales par le clergé, le pape a resserré les liens qui unissaient à Rome les différents diocèses ; à côté des légats temporaires, chargés de représenter l'autorité pontificale en des circonstances bien définies, il a créé des légats permanents qui exercent leur juridiction sur un territoire étendu, président les conciles locaux où sont promulgués les décrets réformateurs, jugent les évêques et les clercs rebelles, transmettent au siège apostolique les affaires les plus importantes ; tels ont été en France Hugue, évêque de Die, puis archevêque de Lyon, et Amat d'Oléron, archevêque de Bordeaux, en Corse Landulf de Pise, en Lombardie Anselme de Lucques, en Allemagne Altmann de Passau. De cette action continue et pour ainsi dire quotidienne est résulté un accroissement sensible de l'autorité pontificale[48]. Simultanément, les collections canoniques, nées sous l'inspiration de Grégoire VII, se sont attachées à justifier par des passages tirés de l'Écriture, des Pères, des canons conciliaires, des Fausses décrétales, les théories de la suprématie romaine énoncées dans les Dictatus papæ, en 1074 ; sans doute, le Capitulare du cardinal Atton est venu enrichir de textes nouveaux la collection en 74 titres composée sous Léon IX et c'est entre 1075 et 1080 que le pape a confié à Anselme de Lucques et à Deusdedit la lourde tâche de réunir en de vastes compilations les diverses sentences susceptibles de prouver que canoniquement le Saint-Siège a toute puissance sur l'Église universelle, que personne n'a le pouvoir de juger le pontife romain, successeur de Pierre et investi par le Christ d'une mission divine[49]. Quoique la collection d'Anselme de Lucques n'ait vu le jour que vers 1083 et celle de Deusdedit qu'en 1086 ou 1087, il est acquis, dès l'époque de l'assemblée de Brixen, que la tradition de l'Église est favorable à Grégoire VII. Aussi s'explique-t-on qu'en dehors des prélats lombards et allemands qui ont agi sous la contrainte de Henri IV, l'épiscopat de l'Europe occidentale reste groupé autour du pape légitime.

LES PRINCES CHRÉTIENS ET LE SCHISME. — Il en est de même pour la plupart des princes chrétiens. La sentence de Brixen ne pouvait avoir aucun écho en Angleterre où Guillaume le Conquérant, au dire du pape, résiste aux sollicitations dont il est l'objet de la part des ennemis de l'Église romaine[50], ni en Espagne où les rois d'Aragon, de Léon et de Navarre sont les fils soumis de l'Apôtre[51]. En France, Philippe Ier, quoique moins docile aux injonctions pontificales, espère se faire pardonner par sa bienveillante neutralité ses entreprises simoniaques. Quant aux pays limitrophes de l'Allemagne, à l'exception de la Bohême où Wratislas attend de Henri IV la couronne royale, objet de ses ambitions, ils sont généralement favorables à Grégoire VII, à la fois par zèle religieux et par intérêt politique, car ils tiennent à échapper à l'emprise germanique qui les menace. Les rois de Danemark, Svend II, puis, après la mort de celui-ci (28 août 1076), Harald Hein, n'ont cessé d'entretenir avec le pape les rapports les plus affectueux, et la Norvège témoigne de la même, fidélité empressée envers l'Apôtre[52]. La Pologne traverse une période de crise : le duc Boleslas, qui a profité des embarras de Henri IV pour prendre la couronne royale en 1076, a dû fuir devant une insurrection56[53], mais le sentiment religieux reste très vif et s'accompagne d'une entière soumission à Rome[54]. En Russie, le roi de Kiev, Dmitri, s'est proclamé, en 1075, vassal du Saint-Siège, et le même geste a été esquissé, en 1076, par le duc de Croatie-Dalmatie, Swonimir[55]. La Hongrie est également pour Grégoire VII : le roi Salomon, beau-frère de Henri IV, que les armées allemandes avaient installé sur le trône en 1063, a été obligé, en 1072, devant une offensive de son rival, Geisa, de s'enfuir dans le royaume voisin de Germanie ; les troubles de Saxe ayant empêché toute intervention en sa faveur, Geisa a pu s'emparer de la couronne et se faire reconnaître par le pape, mécontent de ce que Salomon, eût prêté hommage au roi de Germanie et non pas au Saint-Siège qui, en vertu d'une bulle plus ou moins authentique de Silvestre II, revendiquait la suzeraineté de la Hongrie. Geisa est mort en 1077 et son successeur, Ladislas, s'il paraît avoir manifesté moins d'empressement à l'égard du pape, est resté fidèle à l'orthodoxie grégorienne[56], en sorte que Henri IV ne peut, à la fin de 1080, compter sur aucune diversion extérieure. Du moins sa puissance s'est-elle affermie en Allemagne où l'opposition saxonne vient d'être désorganisée.

MORT DE RODOLPHE DE SOUABE (15 OCTOBRE 1080). — Pendant l'été de 1080, Henri IV a séjourné en Franconie, puis sur les bords du Rhin ; il s'est efforcé de rallier ceux de ses partisans qui hésitaient à se précipiter dans le schisme et de préparer les moyens matériels nécessaires pour en finir avec l'antiroi acclamé par les princes et reconnu par le pape. Au début d'octobre, son armée est sur pied et il s'avance vers l'Est, dans la direction d'Erfurt qu'il incendie. Il opère ensuite sa jonction avec Wratislas de Bohême et Egbert de Misnie qui lui amenaient d'appréciables renforts, puis, le 15 octobre 1080, livre bataille à ses adversaires, sur les bords de l'Elster, entre Pegau et Zeitz. Grâce aux prouesses d'Otton de

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Nordheim, les Saxons sont victorieux et Henri IV doit battre en retraite vers le Rhin, mais Rodolphe de Souabe a été tué[57]. N'est-ce pas là le jugement de Dieu qui ordonne le ralliement à Henri IV ?

NÉGOCIA I'IONS DE HENRI IV A VEC LES SAXONS. — La ligne de conduite du roi était, de ce fait, toute tracée : il fallait, à tout prix, obtenir la soumission des Saxons et pacifier l'Allemagne, avant d'aller en Italie pour y installer Clément III sur le siège apostolique. Si l'on en croit l'historien Brun, Henri IV envoya des ambassadeurs chargés d'offrir son fils comme roi, avec la promesse qu'il ne pénétrerait jamais lui-même en Saxe. Otton de Nordheim aurait décliné ces propositions, sous prétexte que d'un mauvais bœuf il ne pouvait naître que de mauvais veaux. Des conférences s'engagèrent pourtant entre les évêques des deux partis à Kaufungen, près de la Wéser, en février 1081, mais elles ne purent aboutir et Henri IV dut partir pour l'Italie sans avoir rien obtenu[58].

ATTITUDE DE GRÉGOIRE VII APRÈS L'ASSEMBLÉE DE BRIXEN. — Pendant que se déroulaient en Allemagne ces graves événements, Grégoire VII se préparait à la lutte inévitable. Sa fermeté n'a pas été ébranlée et sa confiance demeure intacte : malgré tant d'apparences contraires, il garde la certitude que la sainte Église, après avoir vaincu et confondu ses ennemis, jouira enfin du repos dans la gloire[59]. Le il décembre 1080, il donne un pasteur à l'église de Ravenne, en remplacement du schismatique Guibert, déposé depuis deux ans. A la fin de février 1081, il réunit tranquillement à Rome le concile habituel du carême et renouvelle la sentence d'excommunication prononcée contre Henri IV et ses partisans[60]. Le 15 mars, au moment même où le roi s'apprête à franchir les Alpes, il adresse à l'évêque de Metz, Hermann, une lettre solennelle où, exposant sous une forme dogmatique et avec une ampleur voulue sa théorie de la suprématie romaine, il proclame majestueusement qu'en vertu du pouvoir de lier et de délier conféré par le Christ à saint Pierre, la puissance pontificale ne comporte aucune exception ni aucune limite, qu'elle s'étend aux laïques comme aux clercs, aux rois comme aux évêques, que, par suite, pour avoir désobéi au vicaire de Dieu, Henri IV a été justement déchu de la dignité royale[61]. Bref, le pape attend les événements avec une immuable sérénité, ce qui ne l'empêche pas de prendre les mesures qui s'imposent.

ALLIANCE DE LA PAPAUTÉ AVEC LES NORMANDS. — Au Nord, Grégoire VII compte toujours sur la comtesse Mathilde qui vient de léguer ses États au Saint-Siège[62]. Au Sud, il se décide à renouveler l'alliance de Nicolas II avec les Normands, seuls capables de s'opposer à la poussée germanique, en Italie. Ce n'était pas qu'il éprouvât beaucoup de sympathie pour ses turbulents voisins. Robert Guiscard, depuis l'échec des pourparlers entamés avec lui en 1073, avait constamment harcelé l'État pontifical, sans se soucier des foudres de l'anathème qui tombèrent sur lui à plusieurs reprises. Les princes de Capoue, Richard, puis Jourdain, entraînés plus d'une fois dans ces razzias, n'avaient pas témoigné de beaucoup plus de respect envers le Siège apostolique[63]. De là, chez le pape, une légitime hésitation à se rapprocher de seigneurs qui n'avaient jamais sacrifié leur amour du gain au respect dû à l'Église romaine, mais il fallut bien s'incliner devant la nécessité. Grégoire VII autorisa donc l'abbé du Mont-Cassin, Didier, très lié avec Jourdain de Capoue aussi bien qu'avec Robert Guiscard à ménager l'indispensable accord. Au début de juin 1080, avant l'assemblée de Brixen, il se rendit dans l'Italie du Sud, reçut, le 10, à Ceprano, le serment de fidélité de Jourdain de Capoue, puis, le 29, il eut une entrevue avec Robert Guiscard qui renouvela, en des termes à peu près identiques, les promesses autrefois consenties à Nicolas II et se reconnut vassal du Saint-Siège[64].

Le pape attendait beaucoup de cette alliance et il avait tort. En 1080, Robert Guiscard nourrit les plus vastes ambitions ; il ne songe à rien moins qu'à conquérir l'Empire byzantin ou tout au moins l'Illyrie. La chute, en mars 1078, de l'empereur Michel VII qui avait demandé et obtenu pour son fils Constantin la main d'une fille de Guiscard, est un prétexte tout trouvé pour une intervention, d'autant plus que l'usurpateur, Botaniatès, a relégué dans un monastère la jeune fiancée[65]. Tout entier à ses projets orientaux, Robert Guiscard ne songe guère à défendre Grégoire VII contre Henri IV qui, après la défaite de la petite armée de la comtesse Mathilde par les Lombards à Volta sur le Mincio (octobre 1080)[66], voit s'ouvrir devant lui la route de Rome.

ÉCHEC DE HENRI IV DEVANT ROME (MAI 1081). — Henri IV s'imaginait qu'une expédition allemande en Italie serait une simple promenade militaire. Il n'avait emmené avec lui que peu de troupes[67]. De fait, au début, il ne rencontre aucune résistance. Le 4 avril 1081, il arrive à Vérone où ses partisans l'accueillent avec enthousiasme. Milan, Pavie, Ravenne, lui ouvrent également leurs portes. Il annonce à qui veut l'entendre qu'il sera à Rome le jour de la Pentecôte[68].

Il paraît en effet sous les murs de la ville le 21 mai, escorté de tous les prélats condamnés par Grégoire VII, tels que Guibert de Ravenne, Liémar de Brême, Tedald de Milan, Burchard de Lausanne, et de la plupart des évêques lombards. Il campe dans les prata Neronis et adresse aux Romains une proclamation où, sans nommer Grégoire VII, il annonce son intention de rétablir la paix de l'Église.

Les Romains ne se laissent pas attendrir. Les portes de la cité demeurent obstinément fermées et le jour de la Pentecôte ne voit ni l'intronisation de Clément III ni le couronnement impérial prévus pour ce jour-là. La dernière cérémonie est du moins célébrée en plein air et l'on se console en ravageant la campagne romaine, puis, au bout de quarante jours, l'on doit se résigner à abandonner un siège sans issue.

AFFAIBLISSEMENT DU PARTI PONTIFICAL EN ITALIE. — Pour réparer cet échec, Henri IV s'efforce, au cours des mois qui suivent, de consolider sa situation en Italie. Il cherche avant tout à se concilier les villes : avant de quitter Rome, le 23 juin, il accorde une charte de liberté à Lucques, puis il se rend en Toscane où il continue à multiplier les privilèges en faveur des cités qui, sauf Florence, se prononcent pour lui[69]. Ce sont là autant d'appuis précieux dont l'influence se fait très vite sentir : la comtesse Mathilde, isolée dans l'Italie du Nord, est réduite à concentrer la résistance dans la citadelle de Canossa[70]. La meilleure alliance du Saint-Siège se trouve ainsi annihilée. Or, au même moment, Robert Guiscard a quitté l'Italie pour aller faire la conquête de l'Illyrie où le siège de Durazzo l'occupe pendant tout l'été ; le 18 octobre 1081, il remporte sur l'armée byzantine, que l'empereur Alexis Comnène avait conduite au secours de la place, une victoire décisive ; tout semble lui sourire et de plus en plus ses regards ambitieux se portent vers Constantinople[71].

ÉLECTION DE L'ANTIROI HERMANN DE LUXEMBOURG (AOÛT 1081). — L'affaiblissement de Mathilde et l'éloignement de Guiscard décident Henri IV à persévérer dans son projet de prendre Rome. La situation de l'Allemagne lui permet de prolonger son séjour en Italie. Sans doute, au début d'août, les Saxons ont élu comme roi Hermann, comte de Salin, frère du comte Conrad de Luxembourg, qui appartenait à une vieille famille lorraine et, le 11 du même mois, le nouvel antiroi a remporté sur Frédéric de Hohenstaufen, chef des partisans de Henri IV en Souabe, une victoire à Hochstædt, mais- cette victoire a été stérile : Hermann n'a pu s'emparer d'Augsbourg et a dû retourner en Saxe, en sorte que le danger ne paraît pas imminent ; le prestige d'une victoire en Italie suffira pour en imposer à l'Allemagne[72].

NOUVEL ÉCHEC DE HENRI IV DEVANT ROME (FÉVRIER-AVRIL 1082). — Aussi, en février 1082, Henri IV réapparaît-il devant Rome[73]. Il adresse aux habitants une nouvelle proclamation où il se défend de tout sentiment de rancune à leur égard ; il invite en même temps Hildebrand à venir prouver la justice de sa cause, s'engageant à lui laisser la vie sauve, même si les canons démontrent sa culpabilité[74].

Le pape ne pouvait accepter d'être jugé par une autorité temporelle et les Romains le comprennent. Une fois de plus, les portes de la ville restent fermées. En mars, Henri IV essaie d'enlever la cité léonine ; il est repoussé. Le dimanche des Rameaux (17 avril), il renouvelle l'assaut sans plus de succès et doit modestement célébrer la fête de Pâques, qui tombait cette année-là le 24 avril, à Albano[75].

TROISIÈME EXPÉDITION DE HENRI IV CONTRE ROME. — Pourtant, au cours de cette année 1082, malgré des échecs militaires, la situation du roi en Italie s'est améliorée. Il a réussi à détacher de la cause pontificale le prince de Capoue, Jourdain, jaloux de Robert Guiscard et désireux de s'agrandir à ses dépens avec le concours de l'armée allemande. Jourdain lui a ménagé, au moment de Pâques, une entrevue avec l'abbé du Mont-Cassin, Didier, qui s'est hasardé à lui promettre de le faire couronner empereur par le pape légitime[76]. Enfin, pendant le siège de Rome, Henri a noué, sans doute par l'intermédiaire de Jourdain de Capoue, une alliance avec l'empereur d'Orient, Alexis Comnène, très préoccupé d'unir en un faisceau compact tous les ennemis de Robert Guiscard en Italie et de provoquer une diversion qui contraindrait le vainqueur de Durazzo à interrompre sa marche sur Constantinople. Cette entente présentait toutefois plus d'avantages pour Alexis que pour Henri IV, car elle eut pour effet immédiat d'obliger Robert Guiscard à regagner Otrante, dès qu'il eut pris Durazzo (21 février 1082)[77].

Le retour de Robert n'eut pourtant pas de trop fâcheuses conséquences pour le roi de Germanie, car pendant deux ans le duc fut occupé en Pouille par la révolte de ses vassaux[78]. Aussi Henri IV va-t-il essayer de prendre Rome, avant que la force normande ne soit en état d'intervenir. En février 1083, il est, pour la troisième fois, devant la ville. Il ne livre pas immédiatement l'assaut décisif ; il préfère, pendant quelques mois encore, affaiblir le moral de la population énervée par deux années de lutte et augmenter la disette en rendant plus précaires les communications avec l'extérieur. Cette tactique réussit bien : des défections se produisent dans l'entourage du pape où l'on incline de plus en plus à la paix. Le 3 juin, l'attaque est enfin lancée contre la cité léonine ; toute la ville jusqu'au Tibre tombe aux mains de Henri IV avec l'église Saint-Pierre où, le 28, l'antipape Clément III présidera une cérémonie solennelle. Enfermé dans le château Saint-Ange, Grégoire VII refuse toujours de capituler ; la région du Latran et du Cælius tient pour lui. Cependant la noblesse romaine souhaite une réconciliation et elle réussit à faire accepter par les deux adversaires l'idée de réunir, à la fin de l'année, un concile où Grégoire VII convoque tous les évêques de la chrétienté[79].

LE CONCILE DE NOVEMBRE 1083. — Pendant l'été de 1083, le pape et le roi restent sur leurs positions réciproques. Henri IV retourne dans la Haute-Italie, laissant à Rome une garnison qui fut très éprouvée par la maladie. Son attitude reste énigmatique : il a accepté la procédure qui a été suggérée en vue d'un accord et pourtant il met la main sur plusieurs prélats qui se rendent à Rome pour le concile, si bien que cette assemblée, ouverte le 20 novembre 1083, ne réunit que quelques évêques italiens et français. Dès lors, elle perd le caractère qui lui avait été assigné. Le pape ne peut que constater les effets de la tyrannie de Henri IV qui, non content d'empêcher depuis trois ans la réunion habituelle du synode du carême et de répandre le sang dans Saint-Pierre, retient les évêques, afin qu'ils ne puissent assister à un concile qu'il a pourtant approuvé[80].

PRISE DE ROME PAR HENRI IV (MARS 1084). — Les tentatives pour arriver à un compromis ont échoué et le siège continue ; les Romains, qui avaient espéré la paix, sont déçus ; le haut clergé est ébranlé dans sa fidélité et treize cardinaux abandonnent le pape ; les laïques, soutenus sans doute par les subsides de Robert Guiscard, paraissent davantage disposés à la résistance, mais avec l'or byzantin Henri IV lutte contre l'or normand. A la fin de 1083 ou au début de 1084, il a reçu une ambassade venue de Constantinople qui lui a remis les sommes nécessaires à une expédition contre le duc de Pouille. Pour la forme, il s'est rendu en Campanie (février 1084), mais il n'y a entrepris aucune opération sérieuse et, dès le mois de mars, il est revenu devant Rome pour y livrer, le 21 du même mois, l'assaut final. Cette fois il occupe les quartiers de la rive gauche du Tibre et l'antipape Clément III pénètre dans le Latran[81].

LE CONCILE SCHISMATIQUE DU 24 MARS 1084. — Grégoire VII demeure impassible. Encerclé de toutes parts dans le château Saint-Ange, il est résigné à mourir s'il le faut, mais il ne veut rien sacrifier des principes qu'il a défendus toute sa vie. Invité par Henri IV à comparaître devant un grand concile réuni à Saint-Pierre, le 24 mars 1084, il se confine dans une dédaigneuse abstention. On instruit son procès en vue duquel Henri IV a prié le juriste Petrus Crassus, formé à l'école de Ravenne, de composer la Defensio Heinrici regis qui est beaucoup moins un plaidoyer en faveur du roi qu'un réquisitoire contre le pape[82]. En fin de compte, l'assemblée du Latran excommunie et dépose Grégoire VII, puis reconnaît comme pape Clément III qui est solennellement consacré, non pas, suivant l'usage, par le cardinal-évêque d'Ostie qui tenait pour Grégoire VII, mais par les évêques excommuniés de Modène et d'Arezzo[83].

COURONNEMENT IMPÉRIAL DE HENRI IV (31 MARS 1084). — Cette cérémonie est presque aussitôt suivie d'une autre depuis longtemps attendue. Le 31 mars, Henri IV est couronné empereur à Saint-Pierre par l'antipape, avec la reine Berthe qui reçoit, elle aussi, le diadème. Le but de l'expédition italienne paraît atteint[84].

ROBERT GUISCARD À ROME (MAI 1084). — Les opérations militaires reprennent immédiatement. Le roi poursuit l'investissement du château Saint-Ange, occupe le Palatin et le Capitole, mais là se bornent ses succès. Grégoire VII comptait encore des partisans dans Rome et dans la campagne romaine ; leur résistance lui permit d'attendre le secours normand.

Robert Guiscard, alerté par Jarenton, abbé de Saint-Bénigne de Dijon, qui se trouvait alors à Rome, et par Didier du Mont-Cassin, a de suite saisi toute la gravité de la situation. Les échecs de son fils Bohémond qui, au printemps de 1083, s'est fait battre par l'armée byzantine près de Larissa[85], l'ont contraint à abandonner son rêve oriental. Une victoire sur les armées germaniques lui apparaît comme une compensation nécessaire. Il répond sans tarder à l'appel du pape.

Henri IV n'était pas en mesure de résister aux Normands. Aussi le 21 mai 1084, il bat en retraite, laissant au Latran une petite garnison, condamnée par avance à tomber aux mains de l'ennemi. Le 24, Robert Guiscard paraît ; le 27, ses troupes pénètrent dans Rome par une brèche. Allemands et partisans de Henri IV s'efforcent de le contenir. Une bataille sanglante s'engage. Finalement Robert est victorieux. Il parvient au château Saint-Ange, délivre Grégoire VII qu'il conduit à Saint-Pierre et au Latran. Pourtant la lutte n'est pas terminée. A la suite d'incidents, elle recommence et aboutit à un pillage au cours duquel les Normands se signalent par toutes sortes d'excès[86].

GRÉGOIRE VII À SALERNE. — Ce sac de Rome par les troupes de Robert Guiscard rend la situation du pape intenable. Il lui faut quitter sa capitale et prendre le chemin de l'exil. Accompagné de quelques fidèles, il se rend au Mont-Cassin, puis à Bénévent, où il demeure quelques jours, enfin à Salerne où il se fixe définitivement et c'est Clément III qui, aussitôt rentré à Rome, officiera à Saint-Pierre le jour de Noël 1084[87].

A Salerne, Grégoire VII conserve la plus entière liberté. A la fin de 1084, il réunit un concile, renouvelle l'excommunication prononcée contre Clément III et Henri IV, puis envoie dans les différents pays chrétiens des légats chargés de notifier cette sentence. En même temps, il lance une dernière encyclique que l'on peut considérer comme son testament spirituel et où, avec une saisissante grandeur d'âme, il proclame sa foi dans le succès de son œuvre, convaincu que, malgré toutes les tribulations de l'Église romaine, les vrais chrétiens auront à cœur de défendre le siège apostolique et d'assurer sa suprématie sur les rois de la terre coalisés contre le Seigneur et contre son Christ[88].

MORT DE GRÉGOIRE VII (25 MAI 1085). — Peu de temps après avoir rédigé cet appel suprême à la chrétienté, Grégoire VII s'éteignit (25 mai 1085). Son panégyriste, Paul de Bernried a laissé de ses derniers moments un récit très édifiant, mais qui contient de telles inexactitudes qu'il faut se résigner à ignorer ce qu'a été cette fin émouvante et mélancolique[89]. La parole fameuse, que l'hagiographe place dans la bouche du pontife moribond, j'ai constamment haï l'iniquité et aimé la justice, est sans doute apocryphe, mais elle résume bien cette vie imprégnée d'idéal et consacrée tout entière au service de l'Église et du Saint-Siège. Surnaturel avant tout, vicaire du Christ et représentant de l'Apôtre, Grégoire VII reste, comme pape, une grande figure de l'histoire, mais on doit convenir aussi qu'il a souvent manqué de sens politique : à Canossa, notamment, il a laissé échapper la victoire pour remplir avec une charité magnanime ce qu'il considérait comme le devoir le plus sacré de sa charge.

L'ŒUVRE DE GRÉGOIRE VII. — A ne considérer que les apparences, son pontificat se termine par un échec : la prise de Rome par Henri IV, l'installation de l'antipape à Saint-Pierre, l'exil de Salerne, tous ces faits douloureux ne semblent-ils pas démontrer l'inanité de l'effort accompli pour assurer la suprématie du siège apostolique ? Les événements qui ont suivi ne justifient pas, on le verra par la suite, une conclusion aussi pessimiste. De plus, on ne doit pas oublier que, si Grégoire VII n'a pu faire triompher pratiquement la thèse de la suprématie romaine telle qu'il l'avait énoncée dans les Dictatus papæ, il a forgé les armes nécessaires à sa défense. La collection canonique d'Anselme de Lucques, où sont groupés les textes destinés à en prouver la légitimité, a vu le jour à la fin du pontificat. Au même moment, les polémistes, s'appuyant sur ces textes, en dégagent des conclusions favorables aux prétentions du pape. Aux anti-grégoriens et aux impérialistes, qui s'efforcent de placer l'absolutisme royal, fondé sur l'hérédité de droit divin, en dehors et au-dessus des canons de l'Église, les grégoriens opposent la tradition ecclésiastique à l'aide de laquelle ils font apparaître l'œuvre de Grégoire VII comme une restauration de règles tombées en désuétude lors de la grande tourmente qui a suivi la disparition de l'Empire carolingien. Tour à tour Bernold de Constance, Gebhard de Salzbourg, Manegold de Lautenbach prennent la plume pour réfuter l'argumentation quelque peu sophistique des juristes de Henri IV et la conception grégorienne du pouvoir de lier et de délier s'enrichit d'un certain nombre d'idées d'une audacieuse nouveauté : c'est ainsi que, l'année même de la mort de Grégoire VII, l'Alsacien Manegold expose la théorie contractuelle de la royauté, d'après laquelle le roi ne gouverne qu'en vertu d'un contrat tacite passé avec ses sujets lors de son avènement, en sorte que, s'il vient à rompre ce contrat en administrant ses États contrairement à la justice et à la charité, ses sujets se trouvent déliés du serment de fidélité, le pape demeurant juge des raisons qui peuvent justifier leur révolte et les sanctionnant de son autorité suprême[90].

Tout ce mouvement d'idées a contribué, aussi bien que la fixation de la tradition canonique, à faire admettre et respecter l'autorité romaine, à répandre l'idée grégorienne que le Saint-Siège a tout pouvoir sur l'Église universelle et sur les princes chrétiens ; il a préparé le triomphe de la papauté sous le pontificat d'Urbain II, triomphe précédé d'une crise particulièrement aiguë au cours de laquelle la puissance apostolique a éprouvé les plus redoutables assauts.

 

II. — La crise de la papauté après Grégoire VII (1085-1088).

 

L'ÉLECTION DE VICTOR III. — A son lit de mort, Grégoire VII, prié par les cardinaux d'indiquer l'homme d'Église le plus qualifié pour lui succéder, avait mis en avant les noms d'Anselme, évêque de Lucques, d'Eude, cardinal-évêque d'Ostie, de Hugue, archevêque de Lyon. La tiare fut pourtant dévolue à l'abbé du Mont-Cassin, Didier, candidat du prince de Capoue, Jourdain, qui persuada aux cardinaux que Didier rendrait plus de services à l'Église que l'un ou l'autre des personnages désignés par Grégoire VII.

Cette pression laïque, peu conforme aux principes grégoriens, déchaîna chez Didier des scrupules de conscience. Il s'enfuit au Mont-Cassin et déclina la charge qui lui était offerte. De nouvelles démarches n'eurent pas raison de son refus et, lorsqu'après un an de négociations, une assemblée de cardinaux l'eut élu malgré lui (24 mai 1086), il ne consentit pas à être consacré et se retira au Mont-Cassin[91].

L'ITALIE ET L'ALLEMAGNE APRÈS LA MORT DE GRÉGOIRE VII. — Rien ne pouvait être plus désastreux pour l'Église que cette vacance prolongée du siège pontifical. Il eût fallu à la tête de la chrétienté, dans une situation aussi critique, un homme d'une puissante énergie, capable de rallier et de conduire les derniers partisans de la papauté en Italie et en Allemagne. Si grave que soit le péril, la cause est loin d'être désespérée.

A Rome, Clément III n'a pu se maintenir et c'est à Ravenne qu'il va, au début du carême de 1086, présider un concile schismatique[92]. Au Nord, la comtesse Mathilde a remporté, le 2 juillet 1084, à Sorbaria, une victoire sur les troupes de Henri IV qui rejoignaient l'Allemagne ; autour d'elle, le parti grégorien enregistre des progrès : les églises de Modène, de Reggio, de Pistoie sont entre ses mains ; malheureusement la mort d'Anselme de Lucques (mars 1086) le prive d'un chef éminent et très difficile à remplacer[93]. Au Sud, les événements n'ont pas aussi bien tourné en faveur du siège apostolique : Robert Guiscard, qui avait repris ses projets de conquête en Orient et remporté une victoire sur les Grecs à Corfou, est mort le 17 juillet 1085, laissant comme héritier son fils Roger, né d'un second mariage avec Sykelgaïte ; Roger dut combattre un enfant du premier lit, Bohémond, auquel il abandonna finalement les villes d'Oria, d'Otrante et de Tarente, avec la région située entre Conversano et Brindisi[94]. La paix dans l'Italie normande est à la merci du moindre incident, d'autant plus que, outre ces divisions de famille, une vieille rivalité oppose toujours la maison des Guiscard avec celle des princes de Capoue.

En Allemagne, l'avenir est incertain. Les Saxons n'ont pas su profiter de l'absence de Henri IV pour reconquérir les avantages perdus au cours des années précédentes. La mort d'Otton de Nordheim (4 janvier 1083) les a privés du seul homme capable de diriger une opération de grande envergure. Les chefs religieux manquent, eux aussi, de conviction et de hardiesse : invités par Henri IV au début de 1085 à un colloque avec les prélats impérialistes, qui a lieu à Gerstungen, ils ne savent pas rétorquer les arguments qui leur sont opposés et dans une polémique avec l'archevêque de Mayence, Wécil, qui en 1084 avait succédé à Siegfried, Gebhard de Salzbourg, leur chef, a manifestement le dessous ; l'effet produit est déplorable et il en résulte plusieurs défections, dont celle de l'évêque d'Hildesheim, Udon[95]. Henri IV croit tenir le succès : il réunit, après Pâques, à Mayence, un synode où paraissent les trois archevêques rhénans, escortés de seize évêques, d'une foule de clercs et de plusieurs seigneurs laïques, tels que Wratislas de Bohême, Frédéric de Souabe, Liutold de Carinthie, et fait excommunier ou déposer par cette assemblée les évêques grégoriens[96], puis il exécute aussitôt la sentence : en Lorraine, il oblige l'évêque de Metz, Hermann, à quitter son siège sur lequel il installe Galon, abbé de Saint-Arnoul, puis il se retourne contre la Saxe ; tandis que l'antiroi Hermann s'enfuit au delà de l'Elbe, il reçoit la soumission des prélats et remplace les évêques grégoriens par des partisans sûrs[97]. Pourtant tout espoir n'est pas perdu pour la cause pontificale et certains symptômes laissent percer la fragilité du succès de Henri IV : à Metz, Galon est saisi- de remords et va solliciter le pardon d'Hermann, si bien que le roi doit le remplacer par un certain Brun, connu pour la légèreté de ses mœurs et la dureté de son caractère, qui scandalise ou mécontente tous ses diocésains ; en Saxe, l'épiscopat a été épuré, mais certains remaniements territoriaux ont mécontenté les seigneurs laïques qui se groupent autour du comte Egbert et obligent Henri IV à la retraite[98].

Ainsi en Allemagne comme en Italie tout n'est pas perdu pour la papauté, si ses défenseurs sont méthodiquement dirigés et vigoureusement réconfortés. Malheureusement direction et réconfort leur manqueront le plus souvent, car le successeur de Grégoire VII, élu contrairement au vœu du pape défunt et sous la pression normande, n'a ni la décision ni le prestige indispensables pour coordonner les bonnes volontés éparses et leur donner l'impulsion nécessaire.

DIDIER DU MONT-CASSIN. — Né en 1027, issu d'une famille princière de Bénévent, abbé du Mont-Cassin en 1058, cardinal de l'Église romaine en 1059, Didier est resté sous le pontificat de Grégoire VII assez à l'écart. Architecte, amateur d'art, collectionneur, bibliophile, il n'a eu d'autre préoccupation que de rendre au monastère fondé par saint Benoît sur les crêtes nues et désolées de l'Apennin sa splendeur passée ; continuant l'œuvre ébauchée par son prédécesseur Richer, il a édifié une bibliothèque, une salle capitulaire, une basilique grandiose où il a accumulé statues, mosaïques, fresques, miniatures, objets d'orfèvrerie, ornements du culte, livres liturgiques. Ses rares interventions dans le gouvernement de l'Église n'ont eu d'autre objet que de préserver ces richesses artistiques contre les horreurs de la guerre et du pillage. De là ses efforts pour sceller une alliance durable entre la papauté et les Normands ; de là aussi, en Io82, sa tentative de médiation entre Henri IV et Grégoire VII[99]. Peu au courant des affaires de l'Église, encore moins initié aux subtilités de la diplomatie, Didier, malgré ses vertus sacerdotales incontestables, n'a pas l'envergure nécessaire pour être pape en une époque particulièrement troublée et les circonstances qui ont entouré son avènement jettent sur lui un discrédit dangereux pour l'Église romaine. Aussi son élection, sous le nom de Victor III, ouvre-t-elle une crise qui se manifeste par une double offensive contre la papauté, offensive impériale dont le but est de provoquer le ralliement à Clément III des grégoriens privés de leur chef, et offensive grégorienne qui, en divisant le parti de l'orthodoxie, risque d'assurer le succès de Henri IV.

L'OFFENSIVE IMPÉRIALE : GUY DE FERRARE. — En présence du désarroi causé par la longue vacance du siège pontifical et par l'élection de Didier, les partisans de Henri IV s'efforcent avant tout de prouver à leurs adversaires que Clément III est le pape légitime. Au lendemain de l'élection de Victor III, Guy de Ferrare rédige, à la demande de l'antipape, son De scismate Hildebrandi[100]. Hildebrand y est dénoncé comme un schismatique dont l'élection était nulle et dont la déposition s'imposait. Aussi Guibert de Ravenne, proclamé sous le nom de Clément II, doit-il seul être honoré comme pape. L'argumentation de Guy de Ferrare n'est pas plus convaincante que celle de ses prédécesseurs, mais, ce qui est tout à fait notable, c'est la modération apparente dont fait preuve ce nouveau défenseur de Henri IV : les cris de haine et de colère, dont l'écho retentissait à travers les œuvres polémiques des années précédentes, ont complètement cessé, mais, si la tactique s'est modifiée, la thèse n'a pas changé : Grégoire VII est un usurpateur.

L'OFFENSIVE GRÉGORIENNE : HUGUE DE LYON. — L'offensive grégorienne est plus immédiatement dangereuse pour la papauté. Elle est conduite par l'archevêque de Lyon, Hugue, ancien légat de Grégoire VII en Gaule. Hugue est un homme de principes, entier, rigide, plus grégorien que Grégoire VII lui-même, chez qui le souci de la justice fait disparaître toute commisération pour les faiblesses de l'humanité[101]. Ses convictions réformatrices aussi bien que ses tendances rigoristes devaient fatalement l'amener à prendre position contre Victor III.

Hugue était arrivé à Rome peu de temps après la promotion du nouveau pape qu'il alla trouver au Mont-Cassin. Il apprit de ses propres lèvres tout à la fois les actions abominables dont Victor III s'était rendu coupable à la fin du précédent pontificat et les circonstances de l'élection qui, au dire de Didier lui-même, avait été tumultueuse et contraire à la volonté de Dieu. L'abbé déclara d'ailleurs, avec une humble énergie, qu'il n'y avait jamais adhéré, qu'il n'y adhérerait jamais et il prouva la pureté de ses intentions en convoquant à Capoue, pour mars 1087, un concile où furent invités Hugue de Lyon et son ami Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille, qui l'avait accompagné[102].

LE CONCILE DE CAPOUE (MARS 1087). — Ainsi rassurés, Hugue et Richard s'acheminent vers Capoue, mais là un véritable coup de théâtre se produit. Sous la pression du prince Jourdain et aussi du jeune Roger Guiscard, Didier, après avoir refusé tout d'abord de reconnaître sa propre élection, revêt brusquement la chape pontificale, le dimanche 21 mars 1087, et accepte la tiare. Les cardinaux et évêques présents le reconnaissent, à l'exception de Hugue de Lyon qui, isolé et abandonné de tous, s'enferme dans un silence majestueux et discipliné, puis le pape se rend à Rome, escorté par les princes de Capoue et de Salerne. Il passe le Tibre près d'Ostie, prend possession de Saint-Pierre d'où les Normands viennent de déloger les partisans de Clément III ; le 9 mai, en présence d'une foule nombreuse, il est enfin consacré par Eude de Châtillon, cardinal-évêque d'Ostie, assisté des cardinaux-évêques de Tusculum, Porto et Albano, de nombreux évêques et abbés[103]. La crise intérieure, qui déchirait l'Église depuis la mort de Grégoire VII, semble conjurée ; seul le péril extérieur persiste.

PROGRÈS DES GRÉGORIENS EN ITALIE ET EN ALLEMAGNE. — Encore celui-ci tend-il à s'atténuer. En Italie comme en Allemagne, la situation des grégoriens n'a cessé de s'améliorer. Au concile de Capoue, Victor III a rallié à sa cause le jeune Roger Guiscard qui jusque-là ne lui avait témoigné que défiance ou même hostilité ; il a maintenant pour lui l'unanimité des princes normands. Au nord de la péninsule, la comtesse Mathilde exploite avec la plus patiente habileté le désarroi causé par le départ précipité de Henri IV et par la disparition de plusieurs évêques schismatiques ; en juin 1087, elle est si forte qu'elle peut sans inconvénient se rendre à Rome pour y saluer le nouveau pape et l'assurer de son inaltérable fidélité au Saint-Siège[104].

En Allemagne, Henri IV n'a pas réussi, en 1086, à reconquérir les positions perdues l'année précédente. Une nouvelle offensive contre la Saxe (février 1086) est restée infructueuse. Après la Saxe, la Bavière se révolte au mois de juin et le roi subit à Bleichfeld (11 août 1086) un échec qui permet à l'évêque grégorien de Wurtzbourg, Adalbéron, de rentrer un instant dans sa cité épiscopale. Sans doute Adalbéron ne peut se maintenir ; du moins le vieil archevêque de Salzbourg, Gebhard, réussit-il à reprendre définitivement possession de son siège. Quelque peu inquiet, Henri IV cherche à négocier, mais les princes lui imposent comme condition préalable un acte de soumission formelle à l'autorité pontificale, ce qui interrompt tous pourparlers[105]. La guerre civile continue en Allemagne, ce qui est à l'avantage des grégoriens, car Henri ne peut s'éloigner pour porter secours à son antipape.

LA LUTTE POUR ROME. — Victor III, qui, après sa consécration, s'était, une fois de plus, retiré au Mont-Cassin, avait ensuite consenti, sur les instances de la comtesse Mathilde, à retourner dans sa capitale. Le II juin 1087, il célèbre de nouveau la messe à Saint-Pierre, puis, avec l'aide de Mathilde, il entre dans Rome par le Transtevere, se rend maître du château Saint-Ange et de la rive droite du Tibre, Le 28, attaqué par l'antipape qui tenait à officier à Saint-Pierre le lendemain, jour des saints apôtres, il est obligé de battre en retraite et de s'enfermer dans le château Saint-Ange ; Clément III peut pontifier sinon le 29, du moins le 30, mais son triomphe est de courte durée : le Ier juillet, Victor III reprend possession de la basilique, après quoi, fatigué et inquiet pour sa santé, il regagne le Mont-Cassin[106].

LE CONCILE DE BÉNÉVENT (29 AOÛT 1087). — Avec la prise de Rome, l'événement essentiel du pontificat de Victor III est le concile de Bénévent (29 août 1087). Le pape y renouvelle l'anathème qui frappait Henri IV et lance l'excommunication contre Hugue de Lyon et Richard de Marseille, sans avoir esquissé à leur égard le moindre geste de réconciliation. Il n'est pas impossible qu'il ait aussi publié à nouveau la législation grégorienne sur le nicolaïsme, la simonie et l'investiture laïque ; cependant l'histoire du synode a été embrumée par de telles légendes qu'on ne saurait rien affirmer[107]. Victor III n'a certainement pas rompu avec les directions de son prédécesseur, mais ses bulles sont trop peu nombreuses pour que l'on puisse en tirer des conclusions formelles.

MORT DE VICTOR III (16 SEPTEMBRE 1087). — Victor III est mort le 16 septembre 1087. Son bref pontificat n'a pu laisser une empreinte bien marquée[108]. L'ancien abbé du Mont-Cassin, avant tout esthète et bibliophile, n'a guère eu d'idées personnelles sur le gouvernement de l'Église. Sous Grégoire VII, il a un moment essayé de rapprocher le Sacerdoce et l'Empire, mais il n'a songé, en la circonstance, qu'aux intérêts de son monastère, sans même se douter de la gravité de son initiative et, une fois le danger passé, il est revenu dans le sillage du pontife régnant. Élu pape à son tour sous la pression des princes normands, il a vu se dresser contre lui les purs grégoriens, ce qui ne l'a pas empêché de rester grégorien lui-même. Il demeure avant tout un personnage effacé et terne qui fait pâle figure entre Grégoire VII et Urbain II.

ÉLECTION D'URBAIN II (12 MARS 1088). — Avant de rendre le dernier soupir, Victor III avait émis le souhait qu'on appelât pour lui succéder Eude de Châtillon, cardinal-évêque d'Ostie, et c'est en effet Eude qui, par la volonté des cardinaux-évêques, va devenir le pape Urbain II[109].

L'élection n'alla pas sans difficulté. Rome était toujours sous la menace des schismatiques et, malgré le concours des troupes de la comtesse Mathilde, les cardinaux n'auraient pu y délibérer en paix. Suivant la procédure prévue en pareil cas par le décret de Nicolas II, ils se transportèrent à Terracine et, pour permettre au clergé et au peuple de Rome de participer à l'élection, ils admirent le vote par mandat[110]. Le 12 mars 1088, Eude de Châtillon, cardinal-évêque d'Ostie, fut élu sous le nom d'Urbain II et prit immédiatement possession du trône pontifical dans l'église de Saint-Pierre,

Il était difficile de faire un meilleur choix. Français de naissance (il était originaire de Chatillon-sur-Marne, au diocèse de Reims), disciple de saint Bruno, puis de saint Hugue de Cluny, nommé en 1078 évêque d'Ostie, chargé en 1084-1085 d'une légation en Allemagne, Eude a été l'un des meilleurs auxiliaires de Grégoire VII qui, à son lit de mort, le désigna comme l'un de ses successeurs possibles[111]. Peu de pontifes sont arrivés au pouvoir avec une expérience aussi consommée des affaires ecclésiastiques. Urbain II est non moins bien servi par ses qualités d'intelligence et de caractère : Pierre Pisan a dit de lui qu'il était courageux, versé dans la science des divines Écritures, imbu des traditions de l'Église et doté d'une persévérance acharnée pour les faire observer. Bernold de Constance célèbre également sa science canonique, alliée à beaucoup de piété, fruit de cette discipline clunisienne qui a pétri son âme[112]. Cette science et cette piété s'allient à un robuste bon sens, à une générosité toute française, à une volonté énergique qui n'exclut ni la douceur ni la charité. Un contact prolongé avec les hommes a révélé au nouveau pape que le seul moyen de régénérer l'Église, si rudement secouée par la crise qui avait accompagné le pontificat de Victor III, c'était de rester fidèle aux directions de Grégoire VII, dont il se propose d'être en toutes choses l'imitateur, le continuateur ou, pour emprunter son intraduisible expression latine, le pedisequus. Ayez confiance en moi, écrit-il aux évêques allemands le 13 mars 1088, comme jadis en notre bienheureux père, le pape Grégoire. En toutes choses je veux suivre sa trace. Je rejette ce qu'il a rejeté ; je condamne ce qu'il a condamné ; je chéris ce qu'il a aimé ; je confirme et approuve ce qu'il a considéré comme juste et catholique. Enfin en toutes choses je pense comme lui[113].

Le pontificat de Grégoire VII, interrompu le 25 mai 1085, recommence le 12 mars 1088 : les théories grégoriennes inspireront tous les actes du nouveau pontificat et l'Église romaine continuera à diriger la chrétienté, en rencontrant les mêmes résistances et les mêmes oppositions, mais aussi les mêmes appuis fidèles, fortifiés par les arguments d'ordre canonique qui de plus en plus rallient les hésitants.

 

III. — Le Sacerdoce et l'Empire sous le pontificat d'Urbain II (1088-1099)[114].

 

LE SCHISME ET LA QUESTION ROMAINE. — Pour reprendre efficacement l'œuvre de Grégoire VII, il fallait avant tout mettre fin au schisme de Clément III et réintégrer la papauté à Rome, en lui donnant les moyens matériels d'exercer son autorité souveraine. Tel est le but poursuivi par Urbain II pendant les cinq premières années de son pontificat avec autant de ténacité que d'optimisme. A cette fin, il s'applique tout d'abord à resserrer les alliances sur lesquelles il croyait pouvoir compter.

URBAIN II ET L'ITALIE. — Le nouveau pape, qui a plus de sens politiques que Grégoire VII, s'aperçoit, au lendemain de son avènement, que le Saint-Siège tire sa force réelle de l'appui des prélats et des princes italiens. Les expéditions infructueuses de Henri IV ont fait perdre à la royauté germanique une bonne partie de son prestige dans la péninsule. Seuls, quelques évêques du Nord, groupés autour du patriarche d'Aquilée, Ulrich, restent enlisés dans le schisme. L'archevêque de Milan lui-même, Anselme, qui avait reçu l'investiture royale, est subitement pris de remords et, après avoir fait pénitence dans une abbaye, va prêter serment d'obéissance à Urbain II. De même, les sièges de Reggio, Modène, Pistoie, longtemps occupés par des schismatiques, sont maintenant entre les mains d'évêques grégoriens[115]. Enfin la comtesse Mathilde rallie autour d'elle les partisans du Saint-Siège dans l'Italie du Nord et s'efforce de les grouper en un solide faisceau.

Avec la comtesse Mathilde, le principal soutien de la politique pontificale en Italie, ce sont les princes normands, très intéressés à limiter l'expansion germanique. Malheureusement pour la papauté, la crise qui s'est manifestée après la disparition de Robert Guiscard, et que /on a pu croire un instant dénouée, s'est rouverte après la mort de Victor III. A la fin de l'été de 1087, la guerre a repris entre Bohémond et Roger, et elle durera jusqu'en 1089[116]. Malgré ces divisions, les princes normands sont unanimement favorables au pape qui s'empresse de resserrer les liens qui l'unissent à eux. Urbain II entretient les meilleurs rapports avec Jourdain de Capoue ; il recherche davantage encore l'alliance du comte de Sicile, Roger, qui, depuis la mort de Robert Guiscard, semblait être le véritable arbitre des destinées de l'Italie du Sud et il a avec lui une entrevue très cordiale à Troina[117].

En somme l'Italie normande, comme l'Italie du Nord, reconnaît Urbain II. Clément III n'a d'autre point d'appui que la campagne romaine où Palestrina, Velletri, Sutri se rattachent à son obédience et où le comte de cette dernière ville, son neveu, Odon, tient toujours en échec les partisans du pape légitime[118].

URBAIN II ET L'ALLEMAGNE. — Tout en cultivant les alliances italiennes du Saint-Siège, Urbain II s'efforce de tenir en haleine les partisans que la papauté conserve en Allemagne : en harcelant Henri IV dans son royaume, ils peuvent jouer un rôle décisif. Malheureusement les quelques lueurs d'espoir qui avaient jailli de ce côté sous le pontificat de Victor III se sont bien rapidement éteintes.

En 1088, Henri IV remporte en effet un succès de premier ordre par la soumission du margrave Egbert, le plus hardi et le plus valeureux de ses adversaires, qui, sans doute mécontent du rôle de second plan auquel il était relégué, va faire sa paix avec lui. Peu après, l'assassinat de l'évêque d'Halberstadt, Burchard, achève de dissocier l'opposition saxonne ; l'archevêque de Magdebourg, Hartwig, privé par cette mort d'un lieutenant qui assumait toutes les responsabilités importantes, cède à son tempérament apathique et se rend à son tour auprès de Henri IV qui, enchanté de cette adhésion inattendue, s'empresse de lui restituer son évêché. Privée de ses chefs, la Saxe se rallie au roi ; Hermann de Luxembourg se retire en Lorraine où il périt le 28 septembre 1088, et il n'est pas question de lui donner un successeur[119].

Tandis que la Saxe échappe à l'action pontificale, la disparition de Gebhard de Salzbourg, qui meurt le 15 juin 1088, porte un coup sensible aux grégoriens de Bavière[120]. Canoniste et orateur remarquable, Gebhard jouissait d'un grand prestige même parmi ses adversaires qui, séduits par sa droiture et sa modération, apercevaient en lui le seul prélat susceptible de ménager entre le Sacerdoce et l'Empire la paix capable de satisfaire tout à la fois leur conscience et leur loyalisme monarchique. Le siège de Salzbourg est perdu pour les partisans du Saint-Siège, car l'évêque impérialiste, Berthold, en reprend presque aussitôt possession.

Tous ces événements ont affaibli la position du Saint-Siège en Allemagne. Le chroniqueur Bernold de Constance constate, non sans raison, qu'au début de 1089 il n'y a plus dans ce pays que cinq évêques fidèles à la communion catholique, à savoir Adalbéron de Wurtzbourg, Altmann de Passau, Adalbert de Worms, Gebhard de Constance et Hermann de Metz qui vient de rentrer dans son diocèse[121]. Avec des forces aussi minimes, il est difficile d'entreprendre une action efficace.

GEBHARD DE CONSTANCE LÉGAT PONTIFICAL EN ALLEMAGNE. — Urbain II ne se laisse pourtant pas décourager et, tandis qu'il resserre ses alliances italiennes, réorganise en Allemagne les forces grégoriennes. Le 18 avril 1089, il nomme Gebhard de Constance vicaire apostolique et, dans une bulle d'une haute portée, lui trace l'orientation de la politique pontificale qui, tout en ne sacrifiant aucune des idées grégoriennes, se révèle plus souple qu'au temps de Grégoire VII[122].

La désignation de Gebhard de Constance comme vicaire apostolique en Allemagne est un trait de génie. Au lieu d'envoyer en mission temporaire un légat a latere peu au courant de la situation, Urbain II, qui se rappelle sans doute les difficultés auxquelles il s'est heurté quand il a été chargé, en 1084-1085, d'une mission de ce genre, choisit parmi les évêques du royaume germanique un représentant permanent du Saint-Siège, comme l'avait fait autrefois Grégoire VII pour la France, et son choix est particulièrement heureux. Seul l'évêque de Constance est en mesure d'assumer cette fonction délicate : Altmann de Passau — qui lui est associé par déférence — est vieux et fatigué ; il en est de même pour Adalbéron de Wurtzbourg ; Adalbert de Worms a fait pâle figure ; Hermann de Metz a un tempérament hésitant ; Gebhard, au contraire, est jeune, actif, entreprenant, et avec cela en parfaite communion d'idées avec le pape dont il partage la rigidité doctrinale et les dispositions conciliantes ; sa parenté avec les plus vieilles familles de l'Allemagne ajoute encore à ses chances de succès.

LES DIRECTIONS PONTIFICALES POUR L'ALLEMAGNE. — En même temps qu'il désigne son vicaire, Urbain II fixe la ligne de conduite à tenir. Elle est d'une énergique modération. Le pape maintient l'excommunication qui pèse sur le roi et sur l'antipape ; il enchaîne dans les liens de l'anathème tous ceux qui collaborent à leur œuvre mauvaise par leurs armes, par leur argent, par leurs conseils, par leur obéissance ou surtout en recevant soit d'eux soit de leurs partisans les ordres ou des charges ecclésiastiques. Conformément aux règles canoniques, il interdit sous peine d'anathème d'avoir des rapports avec les partisans de Clément III et de Henri IV, eux-mêmes excommuniés, mais se montre prêt à adoucir les pénitences de ceux qui auront enfreint la loi par ignorance, par crainte ou par nécessité, en même temps qu'il laisse à Gebhard toute latitude pour réintégrer dans l'Église les clercs dont l'ordination était irrégulière. C'étaient là des tendances conciliantes, destinées à favoriser le retour de ceux qui avaient versé dans le schisme par peur de représailles plus que par conviction personnelle. L'opinion allemande ne pouvait que bien accueillir ces directions qui décelaient une sincère volonté de paix dans l'orthodoxie. Seuls quelques intransigeants les désapprouvèrent : tel Altmann de Passau qui paraît avoir quelque peu boudé à Urbain II ; tel encore, en Italie, l'évêque de Sutri, Bonizon, violent entre tous les violents, qui ne cessa de fulminer contre un pontife animé de dispositions si différentes des siennes[123].

PRISE DE ROME PAR URBAIN II (28-30 JUIN 1089). — Tout en organisant la lutte contre le schisme impérial en Italie et en Allemagne, Urbain II ne perd pas de vue l'objectif plus immédiat vers lequel tendent ses efforts, l'assainissement de Rome et de la campagne romaine. Clément III, comme on l'a vu, y disposait encore d'une certaine puissance. En mai ou juin 1089, il a pu tenir un concile solennel auquel il a cité Eude, jadis appelé évêque d'Ostie[124]. Naturellement l'assemblée dut se résigner à enregistrer la carence d'Urbain II et à condamner en bloc tous ceux qui étaient rebelles à l'autorité de Henri IV, mais, en même temps, pour donner le change, elle promulgua une série de décrets interdisant le nicolaïsme et la simonie sous peine des sanctions les plus sévères. Grâce à ces allures réformatrices, Clément III allait se vanter d'être le vrai successeur de Pierre, incarnant cette unité romaine que Grégoire VII — c'est la thèse chère aux anti-grégoriens — avait brisée en condamnant un roi institué par Dieu.

Cette tactique ne réussit guère et n'empêcha pas Urbain II, jusque-là réfugié dans une île du Tibre, de s'emparer de Rome (28-30 juin 1089). Le 3 juillet, le pontife fit une entrée solennelle, aux acclamations du clergé et du peuple qui, jetant avec profusion des fleurs et des palmes sur son passage, l'accompagnèrent à Saint-Pierre où il célébra la messe[125]. C'était là un succès d'une grande portée morale qui effaçait l'humiliation de 1084. Il s'agissait seulement pour Urbain II de se maintenir et de se consolider dans la ville où il était entré par surprise. C'est à cela qu'il va s'employer pendant la fin de 1089 et le début de 1090 en resserrant son alliance avec les Normands, en fortifiant la situation de la comtesse Mathilde dans l'Italie du Nord, en essayant enfin de détacher Henri IV de l'antipape Clément III.

CONCILE D'AMALFI ET SERMENT DE ROGER GUISCARD (SEPTEMBRE 1089). — A peine entré dans sa capitale, Urbain II la quitte pour entreprendre dans l'Italie du Sud un voyage décidé depuis quelque temps déjà. Il se dirige vers Bénévent, puis vers Amalfi où il tient, en septembre 1089, un concile auquel assiste le duc Roger Guiscard, escorté de tous les comtes normands de Pouille et de Calabre. A cette occasion, l'alliance avec la maison des Guiscard est solennellement renouvelée : Roger promet fidélité à l'Église romaine et reçoit son duché des mains du pape[126]. Grâce à ces engagements, grâce aussi à l'entente conclue, l'année précédente, avec Roger de Sicile, Urbain II peut envisager l'avenir avec plus de confiance : au cas où Henri IV descendrait en Italie, il sait que les princes normands, conscients du danger que présenterait pour eux l'hégémonie germanique sur le nord et le centre de la péninsule, feront cause commune avec lui.

MARIA GE DE LA COMTESSE MATHILDE AVEC WELF DE BAVIÈRE. — Il était plus important encore de barrer aux armées allemandes la route de Rome. A cette fin, Urbain II s'emploie à consolider la puissance de la comtesse Mathilde dans l'Italie centrale. Or Mathilde était veuve depuis 1076 ; quoiqu'elle fût alors âgée de quarante-trois ans et qu'elle eût toujours vécu comme une nonne égarée dans le siècle, le pape imagine de la marier, en août 1089, au jeune Welf V, fils de Welf IV de Bavière, qui n'avait alors que dix-sept ans[127]. Cette union toute diplomatique offrait pour la papauté d'inappréciables avantages : elle conjuguait les deux têtes de l'opposition allemande et de l'opposition italienne, fortifiait la situation de Mathilde dans l'Italie du Nord et, du même coup, enchaînait par des liens plus solides la Bavière à la cause grégorienne. On peut se demander toutefois si cette audacieuse manœuvre n'était pas prématurée. Il était indiqué pour Henri IV de briser cette nouvelle puissance, avant qu'elle ne fût en état de 1 paralyser son action, en sorte que l'offensive impériale en Italie va être hâtée par cet événement. Or Urbain II, malgré les progrès accomplis au début de son pontificat, n'est pas encore en état de tenir le coup.

NÉGOCIATIONS EN ALLEMAGNE. — Peut-être s'en est-il rendu compte, car, tout en s'efforçant d'organiser la défense de la péninsule, il n'a rien fait pour entraver les négociations qui, au cours de l'année 1089, se sont engagées en Allemagne entre Henri IV et ses adversaires. A cette date, en effet, les princes partisans du Saint-Siège ont offert au roi de le reconnaître s'il consentait à se rallier lui-même au pape légitime. L'occasion était tentante et Henri IV aurait personnellement incliné vers cette solution, mais il fut retenu par les évêques schismatiques qui craignaient, si l'entente était rétablie sur ces bases entre le Sacerdoce et l'Empire, d'être déposés pour leur adhésion au schisme et, finalement, c'est leur avis qui l'emporta sur celui du roi, lors de l'assemblée de Spire (14 février 1090). Au lieu de conclure la paix, on s'apprêta au contraire à porter la guerre en Italie[128].

Or Gebhard de Constance n'est pas encore en état de provoquer à l'intérieur du royaume germanique l'heureuse diversion qui eût empêché Henri IV de s'en éloigner. Plusieurs événements fortuits consolident au contraire la situation du souverain au cours de l'année 1090. D'abord sur les cinq évêques restés grégoriens deux sont enlevés par la mort, Hermann de Metz et Adalbéron de Wurtzbourg, puis, parmi les laïques, la papauté fait des pertes plus graves encore avec Berthold de Rheinfelden, fils de Rodolphe de Souabe, qui disparaît le 18 mai, et avec le marquis Egbert qui, brouillé de nouveau avec Henri IV, est assassiné le 3 juillet[129].

HENRI IV EN ITALIE. — Ainsi, malgré les succès diplomatiques obtenus par Urbain II au cours de l'année 1089, l'horizon n'est pas pur de tout orage et celui-ci éclate au printemps de 1090. A cette date, Henri IV franchit les Alpes ; le 10 avril, il est à Vérone[130] et Clément III déclare sur un ton fanfaron que prochainement toutes choses seront rentrées dans l'ordre[131].

SIÈGE ET PRISE DE MANTOUE (1090-1091). — Instruit par l'expérience des années 1081-1084, le roi, au lieu de s'aventurer directement au centre de la péninsule, a cherché tout d'abord à briser la domination de Mathilde en Lombardie. Dès le mois de mai 1090, il commence le siège de Mantoue que l'on pouvait considérer comme la clef des États de la comtesse. Il se heurte à une terrible résistance : la ville, entourée d'eau de tous côtés, paraissait imprenable ; de plus, Mathilde y avait concentré une assez forte garnison qui se défendit avec une énergie farouche. Trouvant sans doute que les opérations traînaient trop en longueur, Henri IV, laissant une partie de son armée continuer le blocus, s'en va prendre le château de Governolo qui dominait le confluent du Pô et du Mincio, passe une partie de l'hiver 1090-1091 à Vérone et à Padoue, revient ensuite devant Mantoue qu'il enlève dans la nuit du jeudi au vendredi saint (10 au 11 avril 1091). Il y célèbre les solennités pascales, après quoi il essaie de s'affermir sur la rive nord du Pô en s'emparant des différents châteaux de Mathilde, mais il est fortement retardé par la résistance de Piadena, sur la rive droite de l'Oglio, et, dans le comté de Vérone, de Nogara dont il ne peut forcer l'accès. Le 17 mai, il est de nouveau à Mantoue où il tient un plaid solennel et confirme aux habitants les libertés accordées par son père[132].

LA GUERRE DU PÔ (1091-1092). — Maître de Mantoue, Henri IV reprend la conquête de la rive gauche du Pô et s'empare encore de quelques châteaux, mais il n'ose passer sur la rive droite où Mathilde tenait solidement les comtés de Modène et de Reggio[133]. Au mois d'août, il revient à Vérone où il a une entrevue avec Welf IV de Bavière qui ne peut le décider à séparer sa cause de celle de Clément III[134]. Il pousse ensuite une pointe vers l'Adige, inflige à Tricontaï un échec aux troupes de Mathilde qui avaient essayé de le surprendre, emploie l'hiver à recueillir pour son fils Conrad l'héritage de sa belle-mère, Adélaïde de Turin, qui venait de mourir ; au mois de juin 1092, il franchit enfin le Pô, afin de réduire les derniers châteaux de Mathilde, gravit les montagnes qui dominent Modène, occupe sans difficulté Montemorello et Montalfredo, investit Monteveglio dont le siège dure tout l'été[135]. C'est au cours de cette dernière opération que s'engagent de nouvelles négociations qui marquent une phase décisive dans l'histoire de la guerre du Pô.

SITUATION DE LA PAPAUTÉ EN 1092. — Comme il était à prévoir, l'arrivée de Henri IV a jeté l'épouvante en Italie. Urbain II a réussi à se maintenir à Rome jusqu'à la fin de juin 1090, puis il s'est enfui à Capoue, et, de là, à Salerne[136]. Il ne pouvait malheureusement espérer une intervention militaire de ses alliés normands. La mort, en avril 1090, de la veuve de Robert Guiscard, Sykelgaïte, dont l'énergie toute virile avait eu raison des hésitations d'un fils timide et incertain, a réveillé les instincts pillards d'une féodalité naturellement turbulente : les vaines attaques de Renaud Ridel, seigneur de Gaëte, contre le Mont-Cassin et celles, plus heureuses, des comtes d'Aquino sur Sora suffisent à immobiliser le jeune Roger. Plus grave encore est pour le pape, quelques mois plus tard (novembre 1090), la disparition du prince de Capoue, Jourdain, dont le fils, Richard, ne peut que difficilement se faire reconnaître par les bourgeois révoltés[137], Personne ne remplacera cet allié du Saint-Siège, pas même le comte de Sicile, Roger Ier, avec lequel Urbain II a une entrevue à Mileto au printemps de 1091 et qui, quoique très sympathique au pape, est trop éloigné pour être d'un secours efficace[138].

Le désarroi de l'Italie normande a fait perdre au Saint-Siège, en 1091, tout ce qui avait été péniblement acquis au cours de l'année 1089. Tandis que le pontife légitime erre dans le sud de la péninsule, ses adversaires s'emparent du château Saint-Ange et Clément III rentre à Rome[139]. Sans doute Urbain II, naturellement optimiste, ne perd Pas courage ; il n'abdique aucune de ses prétentions ; à un concile tenu à Bénévent du 28 au 31 mars 1091, il renouvelle l'anathème contre Clément III et ses partisans[140], mais, devant la gravité de la situation, il incline vers une réconciliation avec Henri IV, à la condition qu'elle sauvegarde les droits de l'Église romaine.

L'ALLEMAGNE PENDANT L'ABSENCE DE HENRI IV. — La situation de l'Allemagne ne peut que le confirmer dans ces dispositions. Les efforts de Gebhard de Constance pour organiser les grégoriens n'ont pas encore porté leurs fruits. Partout on combat avec âpreté, mais nulle part le succès ne paraît proche. A Salzbourg, l'abbé de Saint-Pierre, Thiémon, élu en remplacement de Gebhard et consacré par Altmann de Passau le 7 avril 1090, n'est pas de taille à lutter contre l'usurpateur Berthold. A Metz, le siège est très disputé entre le grégorien Poppon, élu à la mort d'Hermann, et son compétiteur, Adalbéron, nommé par le roi[141]. Enfin la mort du vieil Altmann de Passau, survenue le 8 août 1091, prive la cause pontificale sinon d'un ardent défenseur, du moins d'un des plus populaires parmi ses protagonistes[142].

LES NÉGOCIATIONS DE 1092. — L'affaiblissement général des grégoriens en Italie et en Allemagne explique pourquoi, dans l'été de 1092, après les premiers succès de Henri IV sur la rive droite du Pô, les partisans d'Urbain II ont essayé, par une suprême tentative, de réconcilier le pape et l'empereur.

L'initiative de ces négociations est venue des vassaux de Mathilde qui la contraignirent, pendant le siège de Monteveglio par Henri IV, à provoquer des pourparlers. Le roi posa comme condition préalable à tout accord la reconnaissance comme pape de Clément III qui était venu le rejoindre. Dès lors, les pourparlers devaient aboutir à un échec. Fidèlement attachée au Saint-Siège, la comtesse Mathilde ne pouvait que repousser avec indignation toute pensée de reniement qui répugnait à sa conscience délicate et scrupuleuse. Les vassaux insistèrent. Une assemblée d'évêques et d'abbés se réunit à Carpineto le 5 septembre 1092 et, si l'on ne peut ajouter foi à tous les détails apportés par Donizon qui en a quelque peu dramatisé les débats, il demeure certain qu'à la suite d'une vigoureuse intervention de l'abbé de Canossa, Jean, les négociations furent rompues. Avec une tranquille fermeté d'âme, Mathilde reprit la lutte, décidée à la mener jusqu'au bout[143].

DÉFAITE DE HENRI IV À CANOSSA. — Ce suprême effort allait trouver sa récompense et la victoire ne devait guère tarder à changer de camp. A l'automne de 1092, Henri IV abandonne le siège de Monteveglio qui se prolongeait depuis plusieurs mois. Pour en finir, il veut faire capituler Canossa où la comtesse s'était retranchée. Il gagne Reggio, feint un moment de se diriger vers Parme, revient brusquement vers Caviliano d'où il prépare l'assaut décisif qui doit lui livrer son ennemie. A son approche, Mathilde quitte le château, où elle laisse une garnison, et se retire à Bianello, puis, dès qu'elle est en lieu sûr, elle renvoie les troupes qui l'ont accompagnée vers Canossa dont Henri IV a commencé l'investissement ; Quand les Allemands aperçoivent cette armée, ils lui offrent le combat, elle le refuse jusqu'au moment où les assiégés, répondant à des signes convenus, tentent une sortie. Henri IV, encerclé de toutes parts, a beaucoup de peine à se dégager, d'autant plus qu'un épais brouillard ajoute encore à la difficulté de ses mouvements ; son porte-étendard tombe aux mains des partisans de Mathilde et finalement il lui faut battre en retraite vers Baïano[144].

RETRAITE DE HENRI IV. — Les conséquences de la bataille de Canossa ont dépassé toutes les espérances. Henri IV est obligé de repasser le Pô, suivi par l'armée victorieuse de la comtesse Mathilde qui reprend les châteaux perdus au début de la guerre[145]. Il se retire à Pavie où il passe la plus grande partie de l'hiver[146]. Son expédition, qui avait commencé triomphalement, se termine par un vrai désastre : la route de Rome lui demeure plus que jamais fermée et, si Urbain II n'ose encore rentrer dans sa capitale, Clément III ne peut pas davantage s'y montrer. L'opinion italienne, réconfortée par l'issue victorieuse de la guerre du Pô, incline de nouveau en faveur du pape légitime et les succès diplomatiques, remportés par le Saint-Siège à la fin de l'année 1093, ne pourront que confirmer ces dispositions favorables.

RÉVOLTE DE CONRAD. — La défaite de Henri IV sur le Pô coïncide avec la révolte de son fils aîné, Conrad. Depuis quelque temps déjà, de graves dissentiments, dont on ignore la nature exacte, s'étaient élevés entre le père et le fils. Urbain II et la comtesse Mathilde s'attachèrent à les exploiter. Au début, les choses n'allèrent pas aussi vite qu'ils l'avaient présumé : Henri IV éventa le complot et put se saisir de son fils qu'il retint quelque temps captif, mais Conrad finit par s'échapper et fut couronné roi d'Italie à Milan par l'archevêque Anselme, avec le consentement de Mathilde et de Welf[147]. Au lendemain de la retraite sur l'Adige, cette défection dans sa propre famille était pour l'empereur schismatique un rude coup qui semblait préparer la ruine de toutes ses prétentions sur l'Italie.

FORMATION DE LA LIGUE LOMBARDE. — Au même moment, se produit un autre événement de la plus haute importance où il faut voir aussi la main de Welf et de Mathilde. Bernold de Constance rapporte que, au cours de la même année 1093, les cités lombardes de Milan, Crémone, Lodi, Plaisance, formèrent pour vingt ans une conjuration contre Henri[148]. Il ne donne malheureusement aucun détail sur le caractère et l'organisation de cette ligue, placée, dit-il simplement, sous le patronage de Welf, mais il semble bien qu'elle soit un épisode du mouvement d'émancipation qui s'est produit, pendant la seconde moitié du XIe siècle, dans la plupart des cités de l'Italie septentrionale. Si l'organisation communale n'est généralement pas antérieure aux toutes dernières années du XIe siècle ou aux premières du XIIe, du moins l'autorité de l'évêque, autrefois toute-puissante, est-elle déjà un peu partout battue en brèche. Le couronnement de Conrad, fils de Henri IV, comme roi d'Italie, n'a pu qu'encourager les cités à s'affranchir du joug des prélats imposés par l'empereur et, du même coup, de la tutelle allemande[149]. Tel est le sens de la ligue lombarde qui ne peut dès lors que seconder efficacement l'effort d'Urbain II et de la comtesse Mathilde.

L'ŒUVRE DE GEBHARD DE CONSTANCE EN ALLEMAGNE. — L'année 1093 a été marquée également en Allemagne par de notables progrès des grégoriens que Gebhard de Constance a réussi enfin à organiser[150]. Le 2 mai 1092, le frère du légat, Berthold de Zähringon, a été élu duc de Souabe par une assemblée, réunie à Ulm, qui a décidé en même temps que Berthold et Welf IV seraient subordonnés à Gebhard par un serment de vassalité[151]. De ce fait le représentant du Saint-Siège en Allemagne se trouve investi d'une autorité politique suprême qui lui permettra de faire sentir davantage encore son action personnelle.

En même temps que se dessine cette organisation plus consistante des grégoriens allemands, les partisans d'Urbain II gagnent partout du terrain. L'action des moines, qui ne restent plus, comme au temps de Grégoire VII, en dehors de la lutte, y est pour beaucoup ; sous l'impulsion de Guillaume, abbé de Hirschau de 1071 à 1091, les Clunisiens se sont répandus à travers toute l'Allemagne et ont multiplié les foyers de vie régulière ; en même temps, des directions nouvelles ont prévalu et, tandis que saint Hugue, abbé de Cluny, si favorable qu'il fût au Saint-Siège, observait une stricte neutralité dans le grand conflit du Sacerdoce et de l'Empire, les disciples de Guillaume de Hirschau sont résolument entrés dans la lice et ont partout prêché la lutte contre l'investiture laïque, contre la royauté schismatique, contre les partisans de l'antipape[152]. Grâce à cette propagande, Gebhard de Constance, Clunisien lui aussi, a pu réveiller le zèle des indifférents et enregistrer plusieurs succès.

C'est ainsi qu'en 1093 la Lorraine échappe à Henri IV : à Toul, l'évêque Pibon se prononce pour le pape ; à Metz, Poppon, auquel son métropolitain refusait la consécration épiscopale, fait venir l'archevêque de Lyon, Hugue, qui procède à la cérémonie ; à Verdun, Richer se convertit lui aussi à la cause pontificale et entreprend, en 1094, le voyage de Lyon où il abjure ses erreurs passées entre les mains de Hugue qui lui donne ensuite la consécration épiscopale[153]. Un mouvement analogue se dessine dans les régions avoisinantes : à Liège, l'abbé de Saint-Hubert, Thierry, recourt lui aussi à la protection de Hugue contre l'évêque impérialiste, Otbert, qui le persécute, tandis que l'église d'Arras se sépare de celle de Cambrai pour constituer un diocèse distinct en dehors de l'Empire[154].

En Saxe, le revirement est plus laborieux. Jusqu'en 1093, Henri IV est resté le maître absolu du pays, mais, dans le courant de l'année, de fâcheux symptômes ont dû s'esquisser, car l'évêque de Bamberg implore la présence du roi, toujours en Italie[155]. Rien de grave pourtant ne se produit encore : il manque à l'opposition saxonne un chef qu'elle va trouver, au début de 1094, en la personne du nouvel évêque d'Halberstadt, Herran, dont Urbain II fera bientôt un légat pontifical[156]. Avec lui la Saxe se réveillera de sa torpeur et coordonnera son action avec celle de la Bavière, de la Souabe, de la Lorraine, toutes régions qui échappent à l'autorité de Henri IV.

RETOUR D'URBAIN II À ROME (NOVEMBRE 1093). — Au moment où l'Italie rejette Henri IV et où l'Allemagne elle-même manifeste quelques velléités d'indépendance, Urbain II rentre à Rome et porte au schisme un coup décisif. Depuis la fin de l'année 1090, il n'avait pas quitté l'Italie normande où il apprit successivement les échecs de Mathilde, puis sa victoire à Canossa et la retraite de l'armée germanique. Malheureusement ses alliés, s'ils lui ont offert la plus généreuse hospitalité, n'ont pu lui être d'aucun secours effectif : la crise politique ouverte par la mort de Robert Guiscard n'est pas encore dénouée en 1093 ; à la faveur d'une maladie du jeune duc, son demi-frère Bohémond s'est fait reconnaître en Calabre et il a fallu, une fois de plus, l'intervention de Roger de Sicile pour rétablir une paix toujours fragile[157].

Ces événements ont peut-être contribué à retarder le retour du pape à Rome. C'est seulement en octobre 1093 qu'Urbain II, par Ceprano, Alatri, Anagni, s'achemine vers sa capitale où il arrive, entre le 20 et le 24[158]. Voulant éviter toute effusion de sang, il n'essaie pas de pénétrer au palais du Latran, toujours au pouvoir des partisans de Clément III[159]. Pendant tout l'hiver, il se contente de l'hospitalité de Jean Frangipani et c'est seulement un peu avant Pâques (1094), qu'il peut, grâce à une trahison, reprendre possession de la résidence pontificale où il se maintiendra désormais sans trop de peine[160].

CONSÉQUENCES DE LA VICTOIRE D'URBAIN II. — Malgré les difficultés rencontrées à Rome par Urbain II, jamais, depuis la rupture du Sacerdoce avec l'Empire, la situation de la papauté ne s'est présentée sous un jour aussi favorable : l'offensive allemande en Italie est brisée et l'antipape totalement discrédité. L'Église romaine peut dès lors revenir à son but initial qu'elle n'a pas perdu de vue et donner une impulsion nouvelle à la réforme ecclésiastique. Aussitôt après son retour à Rome, Urbain II, Gregorii pedisequus, signifie au monde chrétien qu'il est dominé par les mêmes préoccupations religieuses que son prédécesseur, en renouvelant et en mettant au point la législation grégorienne approuvée par les conciles romains de 1074 et de 1075. Dans le courant de l'été de 1094, il quitte de nouveau sa capitale, mais cette fois de son plein gré, séjourne quelque temps en Toscane, puis, en février 1095, il gagne Plaisance où il a convoqué en concile les évêques de tous les pays[161]. Le 1er mars, a lieu la séance d'ouverture : près de quatre mille clercs et de trente mille laïques ont répondu à l'appel pontifical ; l'affluence est telle que les églises ne suffisent pas pour contenir l'assistance et que l'on est obligé de délibérer en plein air[162].

LES CONCILES RÉFORMATEURS. — Ces grandes assises de la chrétienté occidentale ont été précédées par des synodes nationaux qui les ont en quelque sorte préparées. En 1094, au cours de la Semaine Sainte, Gebhard de Constance a réuni les prélats allemands dans sa ville épiscopale et fait approuver les condamnations portées par Grégoire VII contre le nicolaïsme et la simonie, avec défense aux fidèles d'assister aux offices célébrés par les clercs coupables[163]. Le 16 octobre de la même année, Hugue de Lyon, de nouveau chargé des fonctions de légat pour la France, a obtenu le même vote du synode d'Autun[164]. A Plaisance, Urbain II renouvelle, sous une forme plus solennelle, les décrets constitutifs de la réforme de l'Église. De plus, tout en maintenant les sentences de son prédécesseur, il fixe la jurisprudence romaine sur certains points qui avaient donné lieu à controverse, en particulier sur la question des ordinations conférées par les évêques simoniaques : le concile, après avoir affirmé la nullité de toutes les consécrations où l'argent est intervenu, admet au contraire par concession que la consécration par un simoniaque d'une personne élue sans simonie conserve tout son effet, lorsque celle-ci ignorait l'indignité du consécrateur ; de même celui qui, avant une acquisition simoniaque, a été ordonné canoniquement, doit conserver son rang, s'il rend ce qu'il a acquis à prix d'argent, à moins qu'il ne s'agisse d'une haute dignité de l'Eglise[165].

On remarquera le caractère très modéré de ces canons de Plaisance. Ils sont l'expression de la volonté conciliatrice d'Urbain II qui s'est formulée dès le début du pontificat dans la lettre déjà citée à Gebhard de Constance et que les tribulations des années précédentes n'ont pu émousser. Le pape n'a cessé d'ailleurs de promouvoir, sur les délicats problèmes soulevés à Plaisance, les recherches des théologiens dont les conclusions ont le plus souvent concordé avec sa propre manière de voir. Sans doute, parmi ceux-ci, il subsiste encore des intransigeants comme l'évêque de Sutri, Bonizon, auteur du Liber de vita christiana, pour qui les ordres conférés par un prélat simoniaque ou même simplement excommunié sont nuls en tout état de cause[166]. Par contre, le cardinal Deusdedit en Italie, Bernold de Constance en Allemagne, tout en prônant le maintien des censures qui frappent les schismatiques, inclinent à faciliter le retour dans le giron de l'Église de ceux dont la complicité est inconsciente ; c'est leur thèse que traduisent les canons de Plaisance[167].

Ceux-ci ont été renouvelés à plusieurs reprises au cours des années suivantes et jusqu'à la fin du pontificat les synodes réformateurs se succèdent à de brefs intervalles. De Plaisance, Urbain II se rend en France, préside à Clermont-Ferrand, en novembre 1095, un nouveau concile général qui confirme les décisions précédemment adoptées, en même temps qu'il étend à tout l'Occident les institutions de paix et décrète la croisade[168]. D'autres assemblées, tenues en présence du pape et dirigées par lui, à Nîmes (juillet 1096), au Latran (janvier 1097), à Bari (octobre 1098), de nouveau au Latran (après Pâques 1099), ont édicté une série de mesures qui, complétant celles de Plaisance et de Clermont, sont destinées à assurer le rayonnement de la morale chrétienne parmi les clercs et aussi parmi les laïques que certains canons, relatifs au meurtre, au rapt, au mariage, visent très directement[169].

LE SACERDOCE ET L'EMPIRE DE 1095 À 1099. — Cette activité réformatrice est l'indice d'une accalmie dans la lutte du Sacerdoce et de l'Empire. Il ne saurait pourtant être question de paix définitive ni même de trêve momentanée. Henri IV n'esquisse pas le moindre geste de soumission et, malgré ses échecs militaires ou diplomatiques, ne considère pas la partie comme perdue. Peu de temps après le concile de Plaisance, il apprend que le jeune Welf, déçu par son mariage avec Mathilde dont il ne peut attendre ni postérité ni accroissement de puissance pour sa maison, abandonne l'épouse à laquelle il n'a jamais été uni que devant l'Église. Persuadé que la comtesse, privée de l'appui bavarois, ne pourra résister à une poussée germanique, le roi attaque Nogara, mais c'est un nouvel échec qu'il lui faut enregistrer[170]. Décidément il ne réussit pas à arracher l'Italie du Nord à l'influence pontificale ; au Sud, son fils révolté, Conrad, vient d'épouser une fille du comte de Sicile, Roger, ce qui ne peut manquer d'affermir encore la situation du Saint-Siège dans la péninsule[171], Il vaut mieux regagner l'Allemagne et, tandis qu'à l'automne de 1096, Urbain II, après son voyage triomphal outre monts, rentre dans sa capitale où le château Saint-Ange, toujours aux mains des guibertistes, ne tardera pas à lui revenir, Henri IV fait ses préparatifs de départ ; en 1097, peu après Pâques, il repasse les Alpes et rallie son royaume de Germanie[172].

De ce côté la situation n'est pas beaucoup plus brillante. L'effort méthodique de Gebhard de Constance, secondé par les moines de Hirschau, a porté ses fruits : les évêques abandonnent le schisme. Déjà Bennon de Meissen a reconnu Urbain II et, avec lui, Richer de Verdun, Emehhard de Wurtzbourg, Otton de Strasbourg. Bientôt ce sera le tour de Ruthard de Mayence, d'Hermann d'Augsbourg, de Rupert de Bamberg[173]. A défaut de l'épiscopat, Henri IV peut-il compter sur les seigneurs laïques ? Sans doute le vieux Welf IV, déçu dans ses rêves d'extension en Italie, ne demande-t-il pas mieux que de s'entendre avec lui, mais Welf V, malgré la promesse que lui fait le roi de lui laisser la Bavière, ne manifeste aucun empressement à suivre son père ; les autres princes, profondément travaillés par le légat, se montrent tièdes et peu enclins à un rapprochement qui ne leur rapporterait sans doute que l'anathème pontifical[174]. Au dehors, Henri IV essaie sans beaucoup plus de succès de se ménager l'alliance de la Hongrie où Coloman a succédé à Ladislas (29 avril 1095) ; il offre son amitié au nouveau souverain, mais celui-ci a été mis en garde par le pape contre les dangers qui pourraient résulter pour lui d'une adhésion au schisme impérial[175] ; aussi se tient-il sur une sage réserve. En Bohême les dispositions sont meilleures : Bretislas, très préoccupé d'assurer sa succession à son jeune frère Borivoi, recherche l'appui du roi de Germanie avec lequel il aura, à Ratisbonne, le 19 avril 1099, une entrevue des plus cordiales[176].

Dans l'ensemble, en Allemagne, toutes les positions sont maintenues de part et d'autre : En Italie, la situation de la papauté est plus forte que jamais. A Rome, les guibertistes perdent chaque jour du terrain : la mort, en 1097, d'Otton de Sutri, neveu de l'antipape, leur enlève un précieux appui dans la campagne ; en 1098, Urbain II recouvre la possession du château Saint-Ange[177], Au Nord, la rupture du mariage de Mathilde avec Welf n'a apporté aucune modification notable. Au Sud, Urbain II, au cours d'un voyage dans l'Italie méridionale, a rencontré, à Salerne (juillet 1098), le comte Roger de Sicile et l'autre Roger, duc de Pouille : avec le premier il a aplani toutes les difficultés pendantes et resserré, de ce fait, une alliance précieuse pour la papauté ; il a cherché d'autre part, mais sans grand succès, à rétablir la paix dans les États du second dont le mauvais gouvernement avait provoqué des insurrections[178]. A l'exception de Venise, avec laquelle Henri IV, au moment de son départ, a renoué les traditionnels liens d'amitié, toute l'Italie est groupée autour du Saint-Siège.

MORT D'URBAIN II (29 JUILLET 1099). — Urbain II est mort le 29 juillet 1099. Son pontificat, après de rudes épreuves au début, a été jalonné, au cours des dernières années, par une série de triomphes. En 1099, le schisme impérial est virtuellement terminé et Clément III ne compte pour ainsi dire plus de fidèles, tandis que, par un effet de la centralisation ecclésiastique, l'Eglise d'Occident se plie, beaucoup plus qu'autrefois, aux directions de la papauté, partout présente par les conciles et par les légats. Politiquement, l'Italie tout entière adhère - à la cause romaine ; en Allemagne le parti grégorien, à peu près anéanti au temps de Victor III, regagne chaque jour du terrain. Enfin, quinze jours avant la mort d'Urbain II, la prise de Jérusalem (15 juillet 1099) est le plus splendide couronnement du pontificat : si la croisade a eu lieu et si elle a atteint son but, c'est avant tout, comme on le verra par la suite, parce qu'elle a été voulue, prêchée, organisée, dirigée par le grand pape français dont elle a été, à partir de 1095, la pensée dominante. Comme Henri IV, les autres rois d'Occident se sont tenus à l'écart du mouvement ; la gloire, qui jaillit du succès, auréole l'Église romaine, devenue, suivant l'expression de la diplomatique pontificale, la mère des nations aussi bien que des églises.

Urbain II a ainsi donné au Saint-Siège un prestige tel qu'il n'en avait jusque-là jamais connu, mais il ne lui a pas rendu la paix qu'il n'a cessé pourtant de souhaiter depuis son avènement. Henri IV a repoussé toutes ses avances et refusé une soumission qui ramènerait la concorde entre les deux grandes puissances spirituelle et temporelle ; il ne veut rien abdiquer des vieilles prétentions césaro-papistes et s'entête à soutenir son antipape ; la lutte du Sacerdoce et de l'Empire continue.

 

IV. — La querelle des investitures au temps de Henri V (1100-1125)[179].

 

ÉLECTION DE PASCAL II (13 AOÛT 1099). — Urbain II eut pour successeur le cardinal Renier qui fut élu, le 13 août 1099, sous le nom de Pascal II[180]. C'était un saint homme, originaire de la Toscane, que Grégoire VII avait tiré de sa solitude de Vallombreuse pour lui conférer la pourpre. Collaborateur aussi fidèle qu'effacé des papes qui se succédèrent sur le trône pontifical à la fin du XIe siècle, il ne paraissait pas spécialement désigné pour assumer la lourde succession d'Urbain II. Il n'a pas la vaste intelligence de son prédécesseur et seules ses qualités morales lui ont valu la tiare. Cet ancien moine est un saint qui souhaite, avant toutes choses, le triomphe de la réforme de l'Église, mais il lui manque cette clairvoyance perspicace et décidée, cette souplesse d'esprit qui avaient permis sous le pontificat précédent de réaliser de si grandes choses. Sa timidité et son exclusivisme un peu rigide l'empêcheront de tirer parti d'une situation particulièrement brillante.

MORT DE CLÉMENT III (8 SEPTEMBRE 1100). — La mort d'Urbain II est en effet suivie, à un an d'intervalle, de celle de Clément III (8 septembre 1100)[181]. A Rome, les schismatiques essaient de donner un successeur à l'antipape en la personne de Thierry de Sainte-Rufine, mais celui-ci est saisi aussitôt par les orthodoxes et enfermé au monastère de la Cava. Une tentative en faveur d'Albert, évêque de Sainte-Sabine, aboutit au même insuccès L'unité de l'Église semble enfin rétablie[182].

ASSEMBLÉE DE MAYENCE (15 DÉCEMBRE 1100). — Le terrain paraissait propice à une réconciliation entre le Sacerdoce et l'Empire, et Henri IV ne pouvait songer à ranimer un schisme moribond. Aussi, dès qu'il apprend la mort de Clément III, le roi réunit-il à Mayence, au moment de Noël, une assemblée d'évêques et de princes qui conclut à l'envoi d'ambassadeurs à Rome en vue de réaliser l'unité de l'Église et d'établir un pape selon l'élection des Romains et de toutes les églises[183].

Ce vœu traduisait de la part de l'épiscopat et des princes des dispositions pacifiques. Celles-ci n'ont trouvé aucun écho à Rome[184]. Dès le 18 janvier 1101, dans une lettre à Gebhard de Constance, Pascal II se révèle peu disposé à une réconciliation sur de telles bases[185]. La décision de Mayence n'impliquait-elle pas la réélection d'un pape déjà élu et cela sur l'invitation des délégués de l'empereur, ce qui était contraire aux principes grégoriens ? Il semble toutefois qu'avec un peu d'intelligence et de bonne volonté il eût été possible de trouver un compromis honorable qui eût rétabli la paix ardemment souhaitée.

DIFFICULTÉS DE HENRI IV EN ALLEMAGNE. — Au lieu d'incliner vers cette solution raisonnable, Pascal II préfère exploiter les difficultés avec lesquelles Henri IV se trouve aux prises en Allemagne. Le 21 décembre 1100, le duc de Bohême, Bretislas, est mort assassiné. Son successeur, Borivoi, voit se dresser aussitôt devant lui son cousin, Ulrich de Brünn, qui prétendait lui aussi à l'héritage ; il consent à abandonner la Moravie à son rival, mais celui-ci revendique même la Bohême et il en résulte une guerre civile dont Henri IV ne peut se désintéresser[186], Au même moment, à l'Ouest, Robert le Frison, comte de Flandre, revenu de la croisade, convoite Cambrai où l'évêque Vaucher., tout dévoué au roi, avait des difficultés avec ses diocésains qui l'obligèrent à ressusciter la commune créée en 1076 ; Henri IV est obligé de venir lui-même en Flandre en 1102 et de conclure avec Robert un arrangement dont on ne connaît pas la teneur exacte[187].

PASCAL II ET HENRI IV. — Le pape a encouragé les ennemis de l'empereur : le 21 janvier 1102, au moment où Henri IV se prépare à attaquer la Flandre, il exhorte Robert le Frison à poursuivre partout ce prince, tête des hérétiques, lui affirmant que rien ne pouvait être plus agréable à Dieu[188]. Quelques semaines plus tard, le 12 mars, il réunit au Latran un concile composé surtout d'évêques italiens où il renouvelle l'excommunication qui pesait sur le roi, en même temps qu'il condamne l'investiture laïque[189]. Faut-il avec certains historiens[190] attribuer cette intransigeance combative à la haine de l'Allemagne ? Peut-être, au contraire, chez cet ancien moine, les motifs d'ordre religieux l'ont-ils emporté sur les conceptions politiques et Pascal II a-t-il voulu tout simplement signifier à Henri IV sa fidélité aux principes canoniques qui imposent une pénitence comme préface à toute absolution.

Henri IV a ainsi interprété l'attitude du pape : le 6 janvier 1103, en présence des grands dignitaires ecclésiastiques et laïques, il a formellement annoncé son intention de partir à Jérusalem, afin de se faire relever de l'excommunication et de rétablir la paix, qu'il reconnaissait avoir brisée, entre le royaume et le Sacerdoce[191]. Ces dispositions étaient-elles sincères ? Rien ne s'oppose à une telle hypothèse, mais, en raison de la duplicité dont Henri IV avait autrefois donné maintes preuves, la prudence, autant que l'expérience du passé, commandait à Pascal II d'attendre, d'observer, d'enregistrer les promesses de soumission et les manifestations de repentir, sans prononcer une absolution trop hâtive. Cette expectative s'imposait d'autant plus que Henri IV se montrait peu pressé de quitter son royaume ; à la fin de 1103 et au début de 1104, il est surtout occupé à rétablir la paix en Flandre et à affermir sur son siège épiscopal quelque peu chancelant l'évêque de Cambrai, Vaucher, ou encore à calmer l'agitation des Saxons[192]. Rien ne fait prévoir un prochain pèlerinage que la révolte du fils du roi, Henri, va empêcher pour toujours.

RÉVOLTE DE HENRI V. — Henri avait été associé au pouvoir en io98, sacré et couronné en 1099, mais écarté de toute participation effective au gouvernement. Ambitieux, autoritaire, dénué de scrupules et incapable de refréner ses passions, par-dessus tout impatient de régner, il quitta secrètement la cour, le 12 décembre 1104, entraînant à sa suite tous les mécontents saxons, souabes et bavarois[193]. Entre le père et le fils, animés des mêmes instincts, ce devait être un duel à mort, mais par là même la situation du Saint-Siège devenait tout à fait délicate : pasteur commun de tous les fidèles et garant de la paix chrétienne, le pape ne pouvait que se placer au-dessus de toutes les questions de personnes et travailler à l'apaisement d'un conflit douloureux. Or il faut reconnaître que, si telles ont pu être les intentions de Pascal II, pratiquement, il s'est laissé jouer par le futur Henri V et n'a pas su garder la neutralité.

PASCAL II ET HENRI V. — Comme l'on pouvait s'y attendre, l'appui du pape fut ardemment recherché de part et d'autre. Henri V a très habilement joué de l'excommunication paternelle pour grouper autour de lui les partisans du Saint-Siège en Allemagne. De plus, à peine a-t-il manifesté-sa révolte qu'il envoie une ambassade à Rome pour solliciter humblement l'avis de Pascal II au sujet de la validité du serment qu'il avait autrefois prêté à son père, en déclarant par surcroît qu'il n'acceptera le royaume qu'avec le consentement du pape. Pascal II se laisse prendre aux palinodies de cet insidieux jeune homme qui devait être son plus terrible ennemi : au lieu de réserver sa sentence, d'offrir son arbitrage, il félicite Henri V de ses sentiments d'obéissance, lui promet l'empire, lui envoie sa bénédiction apostolique[194]. Au moment de Pâques 1105, Henri V paraît en Thuringe, accompagné du légat pontifical, Gebhard de Constance, qu'il vient de rétablir sur son siège usurpé par l'intrus Arnold. Cette seule présence suffit pour rassurer les grégoriens de Saxe et de Bavière qui, avec une candeur enthousiaste, acclament le jeune prince, croyant que l'heure de la libération définitive a enfin sonné. Partout, à Erfurt, à Halberstadt, à Hildesheim, à Goslar, le fils rebelle reçoit des adhésions empressées ; dès le printemps de 1105, il a reconstitué autour de lui l'ancienne opposition saxonne[195].

GUERRE CIVILE EN ALLEMAGNE. — Tandis que Henri V parcourait ainsi la Thuringe et la Saxe, Henri IV, fortifie sur la rive gauche du Rhin, se déclarait prêt a négocier et proposait de partager le royaume avec son fils auquel il promettait sa succession. Avec une hypocrisie consommée, Henri V répondit qu'il ne pouvait être question, pour le moment, que du rétablissement de l'unité de l'Église. L'attitude de Pascal II inclinait le vieux roi à craindre qu'une capitulation sans conditions n'entraînât sa déposition. Aussi préféra-t-il tenter la fortune des armes. Le 1er août 1105, il quitta Mayence, reprit Wurtzbourg sans difficulté, puis, se dirigeant vers le Sud, il rencontra près de Ratisbonne les troupes que son fils avait hâtivement réunies. D'un côté comme de l'autre, on ne demandait qu'à éviter une bataille : Henri IV souhaitait la paix et Henri V ne tenait pas à inaugurer son règne en versant le sang, mais, comme il voulait davantage encore vaincre et dominer, il chercha à s'emparer de son père par trahison. Son projet fut découvert : Henri IV n'eut que le temps de s'enfuir vers le Rhin où sa situation sembla très vite désespérée ; Henri V, qui l'avait suivi pas à pas, était arrivé à Spire et le sommait impérieusement de quitter Mayence. Menacé d'un côté par les Saxons, de l'autre par les Lorrains gagnés eux aussi à Henri V, le malheureux prince dut se réfugier au château de Hammerstein, puis à Cologne, tandis que son fils entrait à Mayence. Une diète solennelle y avait été convoquée pour prononcer, en présence des légats pontificaux, Gebhard de Constance et Richard d'Albano, la déchéance de Henri IV. Pour éviter l'irréparable, le roi sortit de sa retraite, offrit de comparaître devant l'assemblée et d'apporter sa soumission totale aux représentants du Saint-Siège. Henri V essaya sans succès de le détourner de ce projet ; il le fit alors saisir et le tint étroitement captif. Le tour était joué : en l'absence de l'accusé, l'assemblée de Mayence renouvela l'anathème contre Henri IV qui dut, de gré ou de force, remettre ses insignes royaux. Henri V fut couronné par l'archevêque Ruthard (5 janvier 1106) et une ambassade alla demander au pape de sanctionner une sentence promulguée au mépris des règles canoniques, puisqu'on avait délibérément refusé d'entendre l'accusé[196].

MORT DE HENRI IV (7 AOÛT 1106). — Tandis que cette ambassade s'acheminait vers Rome, Henri IV, dans un dernier sursaut d'énergie, essaya de ressaisir sa couronne. Du château d'Ingelheim, où il était captif, il adressa aux habitants de Cologne un émouvant appel ; il pria aussi son parrain Hugue de Cluny, dont il avait déjà imploré le secours, de s'interposer auprès de Pascal II et de lui obtenir son absolution, puis il gagna Liège où l'évêque Otbert, qui avait réussi à détacher de Henri V le duc de Basse-Lorraine, Henri, organisait la résistance en sa faveur. A cette nouvelle, Henri V réunit une armée et vient occuper Visé d'où il est repoussé par Henri de Basse-Lorraine (22 mars 1106). Il se retire vers le Rhin, puis, au début de juillet, attaque Cologne dont les habitants s'étaient prononcés en faveur de son père, mais il ne peut enlever la ville d'assaut ; la maladie qui décime ses troupes l'oblige à battre en retraite vers Aix-la-Chapelle. C'est alors qu'au moment où il voyait luire des possibilités de revanche, Henri IV succombe, le 7 août 1106, brisé par la fatigue et les émotions, après avoir confessé ses fautes à l'évêque de Munster, Burchard, et chargé ce prélat de remettre son anneau à son fils[197]. La crise du royaume germanique était terminée, mais la papauté allait trouver dans le nouveau roi, dont elle avait imprudemment servi les intérêts, le pire des adversaires. Dès 1107, la lutte du Sacerdoce et de l'Empire reprend avec âpreté.

PASCAL II ET L'INVESTITURE LAÏQUE. — Cette fois, la question du dominium mundi passe au second plan et c'est sur le terrain de l'investiture que l'on va s'affronter. Dès 1102, au concile du Latran, Pascal II a renouvelé la législation grégorienne[198]. Au lendemain de l'avènement de Henri V, le 22 octobre 1106, il tient non pas à Rome, mais à Guastalla, dans la Haute-Italie, un autre synode auquel assistent la plupart des évêques italiens, beaucoup de Français et même quelques Allemands. Là, après avoir prononcé l'absolution d'un bon nombre de prélats schismatiques dont les ordinations n'étaient pas entachées de simonie, il défendit aux clercs de recevoir l'investiture des mains d'un laïque, aux laïques de conférer l'investiture d'une dignité ecclésiastique quelconque, puis, pour bien montrer qu'il ne s'agissait pas seulement d'une affirmation théorique, il prononça la déposition de l'archevêque de Trèves, Brun, coupable d'une infraction au principe[199].

Une telle attitude avait pour l'avenir une signification très nette : Pascal II n'entendait pas laisser tomber en désuétude la législation grégorienne, mais, comme en fait foi sa lettre du 11 novembre 1105 à l'archevêque de Mayence[200], il était prêt à examiner loyalement avec Henri V la question, objet de tant de controverses.

HENRI V ET LES ÉLECTIONS ÉPISCOPALES. — De son côté, Henri V avait, avant la mort de son père, manifesté le désir d'une entente sur ce même sujet. Cela ne l'empêcha pas, une fois en possession du pouvoir, de disposer des évêchés avec la plus audacieuse désinvolture, sans même requérir un simulacre d'élection qui eût au moins sauvé les apparences ; en 1105, à Minden, à Wurtzbourg, à Ratisbonne, à Spire, à Salzbourg, il procède ainsi de sa propre autorité à des nominations sur lesquelles il était difficile au Saint-Siège de fermer les yeux[201]. Dans ces conditions, la rupture était fatale, à moins que l'on n'envisageât l'idée d'un compromis susceptible d'accorder les exigences réciproques.

LA THÉORIE FRANÇAISE DE L'INVESTITURE. — Or cette idée était dans l'air depuis quelques années et elle était née en France où l'on avait trouvé une solution du problème de l'investiture qui, en laissant intacts les principes canoniques, accordait au pouvoir temporel certaines concessions.

La législation grégorienne, quoique conforme à la plus pure tradition de l'Église, en avait dépassé la lettre en excluant toute intervention des rois ou des seigneurs dans les élections épiscopales et en supprimant le consensus autrefois exercé par eux. Ce consentement, ne pouvait-on dès lors le rétablir, afin de donner aux princes temporels une légitime satisfaction ? Tel est le point de départ de la théorie exposée par l'évêque de Chartres, Yves, à la fin du pontificat d'Urbain II[202]. Pour Yves, l'investiture laïque ne viole pas les règles ecclésiastiques, tant qu'elle s'applique aux biens attachés à l'évêché ou à l'abbaye ; ce qui serait une hérésie, ce serait de croire qu'elle communique des pouvoirs sacerdotaux. Dès lors, ne réaliserait-on pas l'accord de l'Église et de l'État en admettant que le roi confère non pas la fonction pastorale, mais une simple investiture temporelle concernant uniquement les terres et autres revenus dont il a la propriété éminente ? C'était là une thèse hardie, allant à l'encontre de toutes les conceptions jusque-là en vigueur, d'après lesquelles l'évêché formait un tout indivisible et indissoluble. Toutefois, elle avait pour elle la tradition et elle était d'une application facile : clergé et peuple conservaient le droit d'élire, le métropolitain celui de consacrer, le roi se bornant à remettre à l'évêque, son vassal, les biens inhérents à sa fonction. Pascal II et Henri V ne pouvaient-ils négocier sur de telles bases un arrangement acceptable pour la papauté aussi bien que pour la royauté germanique ?

PASCAL II EN FRANCE. — Au cours de l'année 1105, il avait été question d'un voyage de Pascal II en Allemagne pour régler 1 affaire de l'investiture, mais, lorsqu'au concile de Guastalla les évêques renouvelèrent l'invitation de Henri V, le pape répondit qu'il abandonnait pour le moment ce projet auquel il avait paru tout d'abord acquiescer. Le chroniqueur Ekkehard d'Aura, auquel on doit ce renseignement, attribue le revirement pontifical à la crainte que le souverain inspirait à Pascal II[203]. Il paraît plus probable qu'avant d'entamer un si grave débat, Pascal II a voulu s'assurer une alliance et c'est sans doute pour cette raison qu'aussitôt après le concile de Guastalla, il se rend en France[204]. Suger, dans sa biographie de Louis le Gros, insiste sur la nécessité où se trouvait le pape de prendre conseil du roi de France et de son fils, à la suite des nouveaux outrages et des revendications pour l'investiture dont l'accablait le roi Henri[205]. Le roi Philippe Ier avait été, en 1104, relevé de l'excommunication qui l'avait frappé pour son union illicite avec Bertrade de Montfort[206] et son fils Louis, associé au pouvoir et conseillé par Suger, nourrissait envers le Saint-Siège des sentiments de déférence qu'il était opportun de mettre à profit.

Dès son arrivée aux confins du domaine royal, à La Charité-sur-Loire, Pascal II fut respectueusement salué par les envoyés des princes, mais, au lieu de se rendre directement à Saint-Denis, où ils l'attendaient, il passa par Chartres où il voulait sans doute s'entretenir avec l'évêque Yves du problème auquel il rêvait d'apporter une solution définitive. A Saint-Denis, où il arriva peu après Pâques (1107), les deux rois se prosternèrent devant le successeur de Pierre qui, après les avoir relevés, leur demanda d'aider l'Apôtre et son vicaire, comme l'avaient fait leurs prédécesseurs. On ne connaît pas avec exactitude les propos qui furent échangés, mais du récit de Suger se dégagent deux conclusions : le statut de l'Église de France fut réglé dans ses grandes lignes conformément.aux idées d'Yves de Chartres et les rois promirent à Pascal II de l'aider, s'il en était besoin, contre Henri V[207].

ENTREVUE DE CHALONS-SUR-MARNE. — En possession de cette promesse, Pascal II pouvait affronter le roi de Germanie et lui proposer une entrevue aux confins de la France et de l'Allemagne. Henri V se contenta pour le moment d'envoyer une ambassade, composée de l'archevêque de Trèves, Brun, de plusieurs évêques et de quelques laïques, tels que les ducs Welf V de Bavière et Berthold de Zähringen. La rencontre, eut lieu à Châlons-sur-Marne où Pascal II s'était avancé, accompagné de l'abbé de Saint-Denis, Adam, et de Suger. Celui-ci a rapporté le discours que tint Brun, délégué pour prendre la parole au nom de ses collègues : nécessité de prendre l'assentiment de l'empereur avant l'élection, obligation pour l'élu devenir, après la consécration, solliciter dudit empereur l'investiture par l'anneau et par la crosse, telles furent les deux revendications essentielles que l'archevêque présenta de la part de Henri V. Pascal II y opposa une fin de non recevoir absolue. S'il n'est pas possible à l'Église, aurait-il fait dire par l'évêque de Plaisance, d'élire un prélat sans consulter l'empereur, elle se trouve subordonnée à lui comme une esclave et c'est pour rien que le Christ est mort. L'investiture par l'anneau et par la crosse, alors que de telles choses appartiennent aux autels, est une usurpation sur les droits de Dieu même[208].

Les deux thèses s'affrontaient avec une intransigeance qui ne laissait entrevoir aucune issue au conflit. En affichant sa prétention de conférer l'investiture par la crosse et par l'anneau, signes de la fonction sacerdotale, Henri V revendiquait des prérogatives spirituelles que le pape ne pouvait lui consentir. De plus ses représentants, au lieu de discuter la théorie pontificale et de chercher, au besoin avec la médiation française, un terrain d'entente, se retirèrent aussitôt après le discours de l'évêque de Plaisance, en proférant des menaces. Ce n'est pas ici, dirent-ils, mais à Rome que se terminera la querelle. Pascal II, animé d'un sincère désir de paix et soucieux d'éviter à l'Église romaine de sanglantes épreuves, essaya de renouer les négociations par l'intermédiaire du chancelier Adalbert auquel il proposa de s'entretenir de ces questions sur un ton paisible et posé. Ce fut peine perdue et, après avoir tenu un concile à Troyes (23 mai 1107), il regagna l'Italie[209].

DIFFICULTÉS DE HENRI V EN ALLEMAGNE. — Au lendemain de l'entrevue de Châlons, Henri V, pour affirmer son droit de nommer les évêques, s'empresse de désigner lui-même Richard comme successeur à Richer, évêque de Verdun, mort le 8 mars 1107[210]. Il est fermement décidé à faire triompher ses idées par la force et, comme l'ont annoncé ses ambassadeurs, à vider à Rome même son différend avec le Saint-Siège. Seule la situation de l'Allemagne retardera de trois ans l'exécution de son dessein.

Bien que les partisans de Henri IV aient, au lendemain de la mort du roi, volé vers son fils pour lui apporter leur soumission empressée, il règne, à l'intérieur du royaume, un certain mécontentement, dû aux sanctions par lesquelles Henri V a assouvi sa rancune contre ses anciens adversaires. A l'Ouest, le roi n'est pas sûr de la Lorraine où il a persécuté Henri de Limbourg, le vainqueur de Visé, et il doit lutter aussi contre Robert de Flandre. A l'Est, il est obligé, en 1107, de parcourir la Thuringe et la Saxe[211]. Sur les frontières, des événements plus graves encore retiennent son attention : au Nord, les Slaves inquiètent les évêques de la province de Magdebourg qui sollicitent l'organisation d'une croisade contre eux[212], mais c'est surtout sur les limites orientales de la Germanie que le péril peut devenir grave.

LES PROBLÈMES BOHÉMIEN, POLONAIS ET HONGROIS. — Depuis la mort de Bretislas II, la Bohême était déchirée par la guerre civile. Ulrich de Brünn, cousin du défunt, avait réussi à arracher l'investiture du duché a Henri IV, mais Borivoi, frère de Bretislas, n'entendait nullement renoncer à ses droits que l'empereur avait reconnus en 1099. En 1102, les choses se compliquèrent du fait d'une querelle de succession analogue déchaînée en Pologne par la mort du duc Wladislas-Hermann : le fils de celui-ci, Boleslas III, vit aussitôt surgir un rival en la personne d'un bâtard, Zbigniev, que soutinrent Borivoi de Bohême et son cousin, Svatopluk, mais Borivoi, gagné par l'argent de Boleslas, ne tarda pas à se retirer. Furieux de cette défection, Svatopluk s'offrit comme chef aux opposants bohémiens et chercha à entraîner contre Borivoi le roi Coloman de Hongrie[213]. Il n'aboutit à aucun résultat jusqu'en 1107, mais, à cette date, il trouva un précieux appui chez le plus jeune frère du duc, Wladislas, qui, avec l'aide de Coloman, entra à Prague et se fit proclamer duc à son tour, tandis que Borivoi allait demander à Henri V de le rétablir. Celui-ci ne pouvait se désintéresser de l'anarchie bohémienne : il manda Svatopluk qui n'osa pas résister, le retint captif et fit rétablir Borivoi, après quoi il laissa partir son prisonnier avec lequel il s'était réconcilié ; celui-ci s'empressa de rentrer en Bohême et d'expulser Borivoi[214].

En 1108, c'est la Hongrie qui sollicite l'attention de Henri V. Le roi Coloman, depuis 1095, n'avait cessé d'affermir sa puissance ; en 1102, il avait joint à sa couronne celle de Croatie-Dalmatie et atteint les rives de l'Adriatique. Son différend avec son frère Almus servit de prétexte à une intervention germanique. Henri V descendit le Danube avec une - armée imposante où figuraient un grand nombre d'évêques et de princes ; il fut rejoint par des contingents bohémiens que lui amena Svatopluk, décidément réconcilié avec lui, mais les choses allèrent très mal : Svatopluk fut rappelé en Bohême par une attaque de Borivoi que secondait Boleslas III de Pologne, allié de Coloman, et les Allemands n'arrivèrent pas à s'emparer de Presbourg. Coloman put même reprendre l'offensive et ravager la Moravie qui appartenait à Svatopluk[215].

L'échec germanique en Hongrie était dû en partie à la diversion polonaise en Bohême. Aussi, en 1109, Henri V voulut-il se venger de Boleslas III. Il était très encouragé par le demi-frère du duc, Zbigniev, qui lui laissa croire que l'expédition ne présenterait aucune difficulté. En réalité, il rencontra sur l'Oder une terrible résistance ; il finit par franchir le fleuve, mais ne put prendre Glogau et, harcelé sans cesse par l'armée polonaise dans sa marche sur Breslau, il dut battre en retraite. Au même moment, en Bohême, Svatopluk était assassiné et le pays plongé dans une effroyable anarchie : Wladislas, d'abord reconnu, se heurta presque aussitôt à Borivoi qui, aidé par Boleslas, réussit à s'installer à Prague. Henri V prit aussitôt le chemin de la Bohême où il arriva au début de janvier 1110, manda devant lui Borivoi et Wladislas, reconnut celui-ci et emmena son rival sous bonne garde au château de Hammerstein[216]. Cette fois, la paix paraissait enfin rétablie à l'Est ; malgré ses échecs successifs en Hongrie et en Pologne, Henri V pouvait, au début de 1110, annoncer aux Allemands son intention de descendre en Italie, afin d'y recevoir la couronne impériale. Il allait mettre à exécution la menace que ses ambassadeurs avaient proférée en quittant Châlons-sur-Marne.

CONCILE DU LATRAN (MARS 1110). — Pascal II ne s'était pas laissé émouvoir et n'avait pas cédé un pouce de terrain. Au concile du Latran (7 mars 1110), il a renouvelé l'interdiction de l'investiture laïque[217] et, répondant aux polémistes impériaux qui ont tenté d'édifier l'argumentation de leur maître sur un faux privilège d'Hadrien Ier[218], ses théologiens, comme Rangier de Lucques, ont défendu avec une fougueuse logique la thèse grégorienne et rappelé une fois de plus que l'empereur ne peut disposer de l'anneau, signe sensible du mariage mystique que l'évêque contracte avec son église au jour du sacre, ni du bâton pastoral à l'aide duquel il conduit son troupeau[219]. Rien ne laisse prévoir du côté du pape la moindre renonciation ni le moindre fléchissement.

HENRI V EN ITALIE. — En août 1110, Henri V est prêt. Il franchit les-Alpes au Grand Saint-Bernard avec une armée de trente mille hommes, et entre en Italie par Ivrée. Son apparition, en réveillant le souvenir des randonnées de Henri IV, provoque une véritable terreur. Les villes, à l'exception de Novare, se soumettent sans combat. A Roncaglia, le roi tient une assemblée solennelle, puis il franchit le Pô, séjourne trois semaines à Plaisance, parvient en Toscane sans que la comtesse Mathilde s'oppose à son passage, reçoit le même accueil empressé qu'en Lombardie, célèbre la fête de Noël à Florence, s'avance ensuite jusqu'à Arezzo d'où il envoie une ambassade à Pascal II[220]. Après cette marche triomphale, il ne doute pas de son succès : le pape est isolé et n'a pas un allié en Italie ; la comtesse Mathilde, pour des raisons qu'il est difficile de démêler, ne manifeste plus le même empressement pour la cause pontificale et reste neutre. Au Sud, Roger, duc de Pouille, est aux prises avec toutes sortes de difficultés intérieures ; en Sicile, le comte Roger Ier est mort (1101), et son fils, le jeune Roger II, placé sous la tutelle de sa mère Adélaïde, est trop faible pour se mêler aux querelles du Sacerdoce avec l'Empire[221]. Aussi Henri V va-t-il pouvoir exécuter froidement le plan qu'il a conçu avant de descendre dans la péninsule.

NÉGOCIATIONS DE SUTRI. — D'Arezzo, continuant sa marche vers Rome, il se dirige vers Aqua-Pendente où il rencontre une ambassade envoyée au-devant de lui par le pape et d'où il adresse aux Romains un message du même style que ceux de son père lors des expéditions contre Grégoire VII : ce sont les mêmes protestations d'affection compatissante, les mêmes promesses de paix et de justice, les mêmes regrets de n'avoir pu visiter plus tôt la Ville éternelle[222], En même temps qu'il harangue les Romains, Henri V dépêche au pape une nouvelle ambassade, conduite par le chancelier x Adalbert, qui, le 4 février 1111, se rencontre à Sutri avec les messagers de Pascal II. La conversation s'engage aussitôt. Les représentants du roi s'étonnent de ce que le pontife régnant ne veuille plus reconnaître l'investiture royale, admise pendant soixante-trois pontificats, et rappellent avec insistance que les évêques ont reçu de Charlemagne et de ses successeurs de magnifiques domaines qui justifient la prétention des souverains germaniques en matière d'élections épiscopales. Les envoyés de Pascal II répondent que, si telle est la raison d'être de la thèse royale, le pape est prêt à renoncer pour les évêques à tous les domaines, à tous les biens, à tous les revenus, en un mot à tous les regalia qu'ils tiennent des empereurs, et ils reçoivent aussitôt l'assurance que, si Pascal II exécute sa promesse, Henri V renoncera volontiers à l'investiture[223].

Le débat prenait une tournure inattendue. On s'acheminait vers cette séparation totale du spirituel et du temporel que, déjà sous Urbain II. le cardinal Deusdedit, dans son Libellus contra invasores et simoniacos, prônait comme le meilleur moyen de ramener le clergé à l'observation de son devoir sacerdotal, trop souvent délaissé pour le service de cour. On s'explique fort bien qu'une telle solution ait paru satisfaisante à ce moine tout épris d'idéal chrétien qu'était Pascal II. Dès 1102, dans une lettre à saint Anselme de Cantorbéry, ne dénonçait-il pas lui aussi le service féodal comme une atteinte à la liberté de l'Église[224] ? En revanche, cet accommodement ne pouvait convenir ni au roi de Germanie, à qui la féodalité ecclésiastique, échappant aux lois de l'hérédité, avait rendu trop de services depuis un siècle et demi, ni aux évêques allemands, nommés par lui, qui n'avaient certes pas brigué leur fonction avec l'intention de renoncer aux biens de ce monde, de s'interdire toute vie fastueuse, de se confiner dans l'évangélique pauvreté. De là un malentendu fondamental que Henri V se réserve de dissiper à l'heure qu'il aura choisie.

CONCORDAT DE SUTRI (4 FÉVRIER 1111). — Pour le moment, il est préférable de laisser le candide Pascal II s'enfoncer dans ses illusions. Les ambassadeurs de Henri IV concluent avec les envoyés pontificaux l'acte connu sous le nom de concordat de Sutri qui se présente sous la forme de deux déclarations, l'une du pape, l'autre du roi ; le premier, au nom des évêques, abandonne les biens ecclésiastiques et tous les regalia ; le second promet de se désintéresser des élections épiscopales et de l'investiture. Après la signature de la convention, Henri V vient lui-même à Sutri ; le 9 février, il ratifie les engagements acceptés de part et d'autre, sous réserve toutefois qu'ils seront consentis par les évêques allemands[225]. C'était là une perfidie : sûr que ceux-ci se révolteraient contre la clause qui les lésait dans leurs appétits matériels, le roi aurait un excellent prétexte pour imposer ses propres prétentions.

COURONNEMENT IMPÉRIAL DE HENRI V (12 FÉVRIER 1111). — Après avoir échangé des serments avec les ambassadeurs pontificaux, Henri V s'apprête à entrer dans Rome. Le samedi 11 février, il campe au Monte-Mario ; le dimanche 12, il jure de respecter les coutumes des Romains, puis il est conduit à Saint-Pierre suivant le cérémonial habituel. Arrivé devant la basilique, il prête serment, promet d'être à l'avenir le protecteur et l'ami du pape, de défendre l'Église romaine contre ses ennemis. Aussitôt, Pascal II le proclame empereur et le conduit à l'intérieur de l'église vers la table ronde de porphyre où se lisait la seconde oraison du couronnement. Auparavant, il se déclare prêt à exécuter la première partie du concordat de Sutri et interroge Henri V sur ses intentions quant à la seconde.

Le moment est venu pour le roi de découvrir son jeu. Au lieu de répondre à la question qui lui est posée, il demande au pape de donner connaissance de sa propre déclaration, ce qui est plus logique, puisque l'abandon des investitures est la conséquence de la renonciation pontificale aux regalia des églises. Pascal II s'acquitte de fort bonne grâce. Il lit un privilège conforme à l'acte de Sutri, où il énumère les inconvénients qui résultent pour la discipline ecclésiastique de la jouissance de biens matériels et proteste de son désir de revenir à la saine tradition. Il n'a pas terminé qu'un vif émoi se manifeste dans l'assemblée. Henri V, fidèle à l'attitude qu'il avait adoptée à Sutri, demande à conférer avec les évêques de son royaume avant de donner son approbation. Les rites du couronnement sont interrompus ; le roi se retire avec les prélats, puis il revient et cette fois déclare le projet du pape inapplicable, hérétique même à certains égards. Pascal II est atterré ; il refuse de continuer la cérémonie. Henri V exige qu'elle soit reprise et, comme le pontife persiste dans son abstention, il va user de la force : tandis que dans la ville, où les nouvelles se propagent de bouche en bouche, l'émeute gronde déjà, il donne à ses soldats l'ordre de se saisir du pape et de l'emmener captif, avec les cardinaux parmi lesquels seuls les évêques d'Ostie et de Tusculum parvinrent à s'enfuir, dans un hôpital voisin de la basilique Saint-Pierre[226].

PASCAL II RECONNAÎT L'INVESTITURE LAÏQUE. — L'attentat, froidement médité par Henri V, était consommé. Il s'agissait d'en tirer les conséquences nécessaires et, par la force, de contraindre Pascal II à couvrir de son assentiment les prétentions royales. Un moment, les Romains parurent réagir : à l'aube du lundi, ils attaquèrent les Allemands avec un tel élan qu'ils faillirent les chasser de Saint -Pierre ; Henri V, blessé au visage, fut un moment désarçonné et il aurait peut-être péri si, avec beaucoup de présence d'esprit, le comte Otton de Milan ne lui avait donné son propre cheval. L'armée germanique jugea plus sûr d'abandonner les abords de l'église et de se replier au nord du Tibre, vers une forte position d'où elle pouvait attaquer dans de meilleures conditions. Quant au pape, le roi, après l'avoir contraint à se dépouiller de ses vêtements pontificaux, l'avait fait conduire au château de Trébicum, d'où il le transféra, quelques jours plus tard, au camp allemand. Tandis que les Romains persévéraient dans leur résistance héroïque et que le cardinal Jean de Tusculum lançait de vains appels aux princes chrétiens, le malheureux Pascal II était pressé de reconnaître l'investiture laïque. Sous la menace de terribles représailles aussi bien contre les prisonniers que contre les églises, redoutant des maux pires encore, abreuvé de souffrances et d'humiliations, il finit par laisser tomber de ses lèvres ces simples mots cogor pro ecclesiæ liberatione et promit de déclarer par un édit solennel que le roi avait le droit de donner l'investiture aux évêques et aux abbés élus sans simonie et librement, mais avec l'assentiment royal[227]. Le 11 avril, près du Ponte-Mummolo qui séparait les Allemands des Romains, Pascal II et Henri V échangèrent des serments qui consacraient cette capitulation, puis le pape fit rédiger par notaire un privilège qui accordait au roi l'investiture des évêchés, après quoi on retourna à Saint-Pierre où se termina la cérémonie du couronnement[228].

PROTESTATION DE L'ÉGLISE. — A ne considérer que les faits immédiats, le privilège de Pascal II consacrait la ruine de la réforme grégorienne et le triomphe de la thèse germanique : Henri V recevait le pouvoir d'investir des évêchés et des abbayes par la crosse et par l'anneau, c'est-à-dire au spirituel comme au temporel. De plus, en se pliant, sous le coup d'une rude nécessité, aux exigences impériales, Pascal II ramenait l'Église aux plus mauvais jours du césaro-papisme, à l'époque où Henri III imposait au Saint-Siège sa volonté souveraine. Toutefois les événements allaient démontrer que depuis un demi-siècle il y avait quelque chose de changé. Le haut clergé, pénétré par la Réforme grégorienne, n'était plus disposé à accepter docilement pareille atteinte à son indépendance et à sa liberté. Lorsque la nouvelle de la capitulation de Pascal II se répandit à travers l'Occident, il y eut un véritable sursaut de la conscience chrétienne qui se traduisit par des protestations émues et indignées, aux formes variées, mais au but identique. Partout on comprit que l'avenir de l'Église était en jeu et qu'il fallait contraindre Pascal II à annuler un privilège arraché par la force.

EN ITALIE. — Le mouvement se dessina d'abord en Italie et il partit du Mont-Cassin dont l'abbé, Brun, était en même temps évêque de Segni. Suivant la chronique de Pierre Diacre, ce personnage aurait immédiatement sommé Pascal II de rompre le traité conclu avec Henri V et, gagnant à sa manière de voir les cardinaux Léon d'Ostie et Jean de Tusculum qui avaient réussi à s'enfuir lors de l'échauffourée du 12 février, suscita la réunion à Rome, en juin 1111, d'une assemblée de mécontents qui blâma le pape d'avoir cédé[229]. Peut-être le chroniqueur a-t-il un peu exagéré les choses, car l'on a conservé plusieurs lettres de Brun de Segni dont le ton est très déférent à l'égard de Pascal II[230]. Du moins le problème de l'investiture laïque y est-il très nettement posé avec toutes les conséquences qu'il comporte. dans le cas présent : à plusieurs reprises, le Saint-Siège a condamné l'investiture laïque ; tout ce qui va à l'encontre de cette législation est hérétique et, par conséquent, le privilège du 12 avril 1111, qui en est la négation, ne peut être accepté par l'Église, telle est la thèse de Brun de Segni[231]. Avec lui l'épiscopat italien prend position : il veut le maintien de la législation grégorienne et exige de Pascal II qu'il la confirme en réprouvant les engagements qui lui sont contraires.

EN FRANCE. — Le clergé italien, tout en repoussant le privilège du 12 avril, tout en insinuant que le pape aurait pu résister davantage, ne s'insurge pas contre l'autorité de Pascal II. En France, l'opposition se montre beaucoup plus âpre et cela s'explique aisément. Les prélats français n'ont pas été, comme leurs confrères italiens, témoins des événements romains ; ils n'ont pas, comme eux, tremblé pour l'unité de l'Église et pour la vie de leur troupeau pastoral. D'autre part, ils sont profondément attachés aux idées grégoriennes qui, sous l'impulsion des légats pontificaux, en particulier de Hugue de Lyon, ont poussé très loin leurs racines. Par suite, ils jugent la situation d'un point de vue à la fois plus objectif et plus simpliste, sans en percevoir la cruelle complexité ; avec une sévérité ignorante et quelque peu injuste, ils ne retiennent à l'actif du pape que l'abandon du plus essentiel parmi les décrets grégoriens, si bien qu'au début leur protestation confinera à la révolte.

L'offensive partit à la fois de l'Ouest et du Sud-Est. Avant la fin de nu, l'abbé de Vendôme, Geoffroy, adresse à Pascal II une lettre peu respectueuse où, après avoir rappelé que la barque de Pierre n'avait échappé au naufrage que par l'énergie de son pilote, il exprime la crainte que le successeur actuel de l'apôtre ne brise contre les écueils l'esquif où il a embarqué un nouveau Judas. Le bienheureux Pierre, s'écrie-t-il, qui jadis se promenait au-dessus des flots, n'est-il pas maintenant enseveli sous ces flots ? Appliquant à Pascal II la parole du psalmiste Verba oris ejus iniquitas et dolus, l'abbé de Vendôme n'hésite pas à affirmer que ce pontife n'est plus un pasteur, mais un loup nourri du sang de ses brebis, ou encore un prophète corrompu par Satan, pour conclure qu'on ne peut s'attacher à lui en fermant les yeux sur son impiété[232]. Geoffroy fut suivi par un certain nombre de prélats français, tels que Galon, évêque de Saint-Pol de Léon, et Robert, évêque de Paris, tandis que, dans les provinces de Lyon et de Vienne, Josseran de Lyon et Guy de Vienne prenaient l'initiative de convoquer leurs collègues à Anse pour juger le pape[233]. Ne s'acheminait-on pas vers une crise intérieure, pire que celle qu'avait déchaînée l'ambition de Henri V ?

RÔLE D'YVES DE CHARTRES. — Le schisme fut pourtant évité grâce à Yves de Chartres qui sut faire prévaloir les avis de la prudence et de l'orthodoxie. Convoqué par Josseran au concile d'Anse, il refusa de s'y rendre avec ses collègues de la province de Sens et formula toutes sortes de réserves au sujet des thèses qui s'insinuaient dans la vallée du Rhône : Pierre, écrivait-il à Josseran[234], n'a-t-il pas trois fois renié son maître, ce qui ne l'a pas empêché de rester apôtre et d'être chargé de la direction de l'Église ? D'autre part, il était évident que Pascal II avait cédé à la violence, que par suite son adhésion à l'investiture laïque était sans valeur et que le pape ne manquerait pas, dès qu'il aurait recouvré sa liberté, de promulguer à nouveau la saine doctrine. Cette doctrine, Yves, afin d'éviter tout malentendu, s'empresse d'en rappeler les traits essentiels : l'investiture laïque, dit-il une fois de plus, n'est pas une hérésie, à la condition que le roi ou seigneur qui la confère n'ait pas la folie de vouloir transmettre le Saint-Esprit ni la réalité du sacrement.

FIDÉLITÉ DE L'ÉGLISE AU SAINT-SIÈGE. — Ainsi, grâce à Yves de Chartres, l'opposition française ne dégénéra pas en révolte et l'on se rallia au principe grégorien suivant lequel le pontife romain ne peut être jugé par personne. Des divers incidents provoqués par les événements de 1111 il ne subsistait qu'un mouvement spontané, unanime, ardent, indigné, en faveur du maintien de la législation édictée par Grégoire VII, mouvement qui s'étendit même à l'Allemagne où Conrad, archevêque de Salzbourg, quitta la cour et où le chancelier Adalbert essaya, sans grand succès, de ramener son souverain à plus de modération[235].

NOUVELLES DISPOSITIONS DE PASCAL II. — En présence de l'opposition qui se manifestait un peu partout, la première pensée de Pascal II a été de remettre à d'autres le soin de redresser la situation[236]. Ses lettres de l'été et de l'automne, 1111 trahissent une âme désolée et inquiète qui souffre de toutes les sévérités dont on l'accable et n'a d'autre souci que le bien des fidèles. Après avoir vainement cherché à attendrir l'empereur, auquel il confie, dans sa bulle du 26 octobre 1111[237], que les accusations dont il est l'objet lui font monter la rougeur au visage, il finit par céder aux sollicitations qui lui viennent de toutes parts, notamment à celles d'Yves de Chartres qui, avec une, extrême délicatesse, s'est employé à éclairer cette conscience timorée, à raffermir ce tempérament incertain et timide. C'est en effet dans une lettre écrite à Yves à la fin de 1111[238] que Pascal II manifeste des dispositions nouvelles et confesse qu'il n'a cédé qu'à la force. Une lettre à Guy de Vienne[239] est plus explicite encore : le pape y annonce son intention formelle d'abroger et d'infirmer le privilège accordé à Henri V.

CONCILE DU LATRAN (MARS 1112). — Le 18 mars 1112, un concile s'ouvre au Latran. Plus de cent évêques sont présents ; à côté de nombreux prélats italiens, l'épiscopat français est représenté par Gérard d'Angoulême et par Galon de Saint-Pol de Léon. A la suite d'un exposé détaillé des événements de février-avril 1111, les derniers doutes se dissipent et, pour calmer les scrupules de Pascal II qui ne voulait pas violer le serment qu'il avait fait de ne pas excommunier Henri V, on se rallie à l'ingénieuse procédure imaginée par Gérard d'Angoulême. Le 23 mars, le pape affirme solennellement devant le concile qu'il s'en tient à la sainte Écriture, aux canons des apôtres, à ceux des quatre conciles œcuméniques de Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalcédoine, aux décrets des papes, plus spécialement à ceux de Grégoire VII et d'Urbain II ; il loue ce que les uns et les autres ont loué, rejette ce qu'ils ont rejeté, défend ce qu'ils ont défendu, interdit ce qu'ils ont interdit. Après quoi et conformément à Cette déclaration, le concile casse le privilegium ou, pour mieux dire, le pravilegium extorqué par Henri V[240].

POLITIQUE CONCILIANTE DE PASCAL II. — Ainsi la Réforme grégorienne se trouvait restaurée par la volonté concordante du Saint-Siège et de l'épiscopat. Cette solution digne et mesurée fut jugée insuffisante par quelques intransigeants : l'archevêque de Vienne, Guy, réunit dans sa métropole, le 16 septembre 1112, un concile qui déclara hérétique l'investiture laïque et jeta l'anathème sur Henri V[241], puis il demanda à Pascal II de confirmer ces décisions, ce qui jetait le pape dans un cruel embarras. Toute la politique pontificale tendait en effet, à cette date, à éviter un éclat de la part de Henri V : après la clôture du concile du Latran, Gérard d'Angoulême avait été envoyé en ambassade à la cour germanique pour notifier les canons romains et, malgré les murmures haineux de son entourage, l'empereur n'avait pas osé renouveler à l'égard du légat les sévices commis l'année précédente contre le pape[242]. Approuver le concile de Vienne, excommunier Henri V, c'était ressusciter le conflit et provoquer des représailles. Aussi, pour faire taire les passions intransigeantes, Pascal II confirma-t-il sous une forme vague les décrets de Vienne (20 octobre 1112)[243], mais il se garda bien d'excommunier Henri V auquel il importait de laisser éventuellement toute la responsabilité de nouvelles violences.

RÉVOLTE DE LA SAXE. — Aussitôt après le concile du Latran (mars 1112), les partisans de l'empereur en Italie l'ont ardemment sollicité de revenir sans tarder dans la péninsule où sa présence leur paraissait indispensable[244]. Pendant quatre ans, la situation de l'Allemagne empêchera Henri V de répondre à ces pressants appels. Dès son retour, en juillet 1112, il a pu constater toutes sortes de symptômes fâcheux. La Saxe, dont l'opposition avait tant de fois paralysé les énergies de Henri IV lors de son conflit avec Grégoire VII, manifestait des sentiments d'inquiétude inspirés sans doute par l'absolutisme royal et par une politique religieuse peu respectueuse de la discipline catholique. Au printemps de l'année 1112, un incident va donner au mouvement qui couvait sourdement une allure de révolte[245].

Le 13 mai 1112, meurt le comte de Weimar, Ulrich, et sa maison s'éteint avec lui. Henri V estime que ce fief doit faire retour au suzerain, c'est-à-dire à l'empereur, mais aussitôt le comte palatin Siegfried élève des prétentions et, ne pouvant obtenir satisfaction, il agit auprès du duc de Saxe, Lothaire, de plusieurs comtes, de l'évêque Reinhard d'Halberstadt qui se déclarent prêts à soutenir sa cause par les armes. Surpris et inquiet, Henri V invite les princes à comparaître devant lui à Erfurt le jour de Noël. Aucun d'eux ne répond à son appel. Il part aussitôt en campagne, incendie Halberstadt et détruit le château de Hornburg qui appartenait à l'évêque. Ce terrible exemple déconcerte les opposants. Successivement, l'évêque d'Halberstadt, le comte Louis de Thuringe, le duc Lothaire apportent leur soumission et l'ordre paraît rétabli. Henri V peut croire l'Allemagne pacifiée. Le 7 janvier 1114, il célèbre à Mayence son mariage avec Mathilde, fille du roi d'Angleterre Henri Ier, à laquelle il était fiancé depuis longtemps déjà et qui venait d'entrer dans sa treizième année[246].

ÉCHEC DE HENRI V EN FRISE (MAI 1114). — Malgré le calme apparent dans lequel se déroula cette cérémonie, la situation de l'Allemagne demeurait pour 1 empereur un sujet d'inquiétudes : la Saxe se montrait défiante ; la Lorraine était troublée par la rivalité des évêques de Verdun avec les comtes de Bar ; sur l'Elbe, les Slaves s'agitaient ; au nord, les Frisons refusaient de payer tribut. En face de tant de périls, Henri V se voyait abandonné par les siens : son ami et son confident, l'archevêque Adalbert de Mayence, qu'il avait élevé à la dignité de chancelier, se séparait de lui pour des motifs d'ailleurs difficiles à saisir. Descendre en Italie, dans de telles conditions, l'empereur n'y peut songer. C'est vers la Frise qu'il se dirige en mai 1114 et, tandis que son rival, le duc Lothaire, se couvre de gloire au cours d'expéditions contre les Slaves de la Baltique, il éprouve un rude échec qui a dans toute la région rhénane un douloureux retentissement. L'archevêque de Cologne, Frédéric, quitte le camp impérial pour se placer à la tête de ses diocésains ameutés contre le souverain qui a conduit l'armée à un désastre. En Westphalie les comtes d'Arnsberg, en Lorraine le duc Godefroy et le comte Henri de Limbourg, se soulèvent et obligent Henri V à revenir[247].

GUERRE CIVILE EN ALLEMAGNE (1114-1115). — C'est alors la plus sauvage des guerres civiles qui commence. Henri V attaque Cologne ; Cologne le repousse avec pertes. Il veut semer l'effroi en saccageant la campagne avoisinante ; Cologne tient toujours et bientôt l'arrivée des comtes d'Arnsberg contraint les troupes impériales à la retraite. Au cours de cette retraite, Henri V apprend que tous ses châteaux des bords du Rhin ne sont plus qu'un immense brasier. Il rumine une sombre vengeance et dans une assemblée, tenue à Spire le 13 septembre 1114, élabore un plan d'attaque qu'il cherche aussitôt à exécuter. Le 1er octobre, il se fait battre à Andernach. A cette nouvelle, la région rhénane tout entière se soulève, tandis qu'en Saxe éclate avec fracas l'orage qui grondait depuis plusieurs mois[248]. Quand, à la fin de 1114, l'empereur fugitif arrive à Goslar où il a convoqué les évêques et les princes saxons, il constate non sans amertume qu'aucun d'eux n'a répondu à son appel ; l'archevêque de Magdebourg, Adelgot, qui s'était hasardé à venir, est saisi de panique, dès qu'il constate qu'il est seul, et il se retire aussitôt, ce qui lui vaut d'être déposé par l'empereur[249].

Henri V veut en finir avec cette nouvelle conjuration et effacer, du même coup, la fâcheuse impression produite par sa défaite d'Andernach. Il se précipite sur Halberstadt qu'il incendie pour la seconde fois. Les conjurés, surpris, songent à se replier sur la Thuringe. L'empereur cherche à leur couper la retraite : le 11 février 1115, il les attaque Welfesholz, entre la Saale et son affluent de gauche, la Wipper, malgré un temps effroyable. Après une bataille qui dure toute la journée, il doit abandonner la partie et s'enfuir vers le Rhin[250].

EXCOMMUNICATION DE HENRI V PAR LES LÉGATS PONTIFICAUX. — Les deux défaites d'Andernach et du Welfeslholz ont ruiné l'autorité politique de Henri V en Allemagne et par là elles ont puissamment servi la cause du Saint-Siège. Les légats pontificaux, qui séjournaient aux portes de l'Allemagne, l'un en France, Conon de Préneste, l'autre en Hongrie, le cardinal Thierry, crurent que le moment était venu de faire expier à l'empereur les torts qu'il avait causés à l'Église romaine. Le premier lança l'excommunication contre lui, le jour de Pâques 1115, dans l'église Saint-Géréon de Cologne. Le second, vraisemblablement appelé par le duc Lothaire, vint à Goslar où il tint, le 8 septembre, un concile auquel assista un bon nombre d'évêques et de princes ; il prononça également l'anathème contre Henri V et promulgua les décrets du dernier synode du Latran, puis il se rendit à Cologne pour y recevoir la soumission d'Adalbert, mais il mourut avant d'y arriver[251].

LES PROJETS DE HENRI V. — Les évêques allemands avaient secondé ou même sollicité l'action des légats. Toute l'Allemagne ecclésiastique et laïque se dressait contre Henri V. Pourtant l'empereur ne perdait pas confiance. Il avait conçu un plan de salut que les circonstances s'étaient chargées de lui suggérer.

En août 1115, des messagers étaient venus d'Italie pour lui annoncer la mort de la comtesse Mathilde. Sans doute, par deux donations successives, l'une de 1080, l'autre de 1102, la veuve de Godefroy de Lorraine avait légué ses États au Saint-Siège, mais, à la fin de sa vie, elle s'était rapprochée de Henri V qu'elle avait rencontré à Bianello en 1111 au moment de son retour en Allemagne. L'empereur avait en Toscane des partisans qui lui conseillaient de recueillir sans tarder un héritage que le pape ne paraissait pas autrement disposé à lui disputer[252]. L'invitation était tentante, mais il fallait assurer la tranquillité de l'Allemagne pendant une absence qui pouvait se prolonger, si l'on essayait du même coup d'amener une réconciliation avec le Saint-Siège. Aussi Henri V convoque-t-il les princes à Mayence pour le Ier novembre, en leur annonçant un programme de réformes dont l'application permettrait de réparer les erreurs passées, mais, le Ier novembre, personne ne paraît dans la métropole rhénane. Une autre assemblée, convoquée à Spire pour le 10 décembre, ne réunit que quelques évêques et des laïques sans importance[253]. Le 2 janvier 1116, l'empereur est toujours dans cette ville, inquiet, indécis, incertain sur la marche à suivre : faut-il ajourner le voyage en Italie et en finir d'abord avec l'opposition allemande ou au contraire aller dans la péninsule, asseoir la domination impériale sur l'Apennin et, pour déjouer les plans des adversaires, négocier la paix avec le pape ? Après avoir hésité entre les deux partis à prendre, Henri V opte pour le second et, dépêchant au-devant de lui l'abbé de Cluny, Pons, qu'il a chargé d'une mission auprès de Pascal II, il gravit le Brenner. Au début de mars, il est à Trévise[254].

SECONDE EXPÉDITION DE HENRI V EN ITALIE. — Pour témoigner de ses intentions pacifiques, il n'a emmené qu'une simple escorte d'évêques et de princes avec laquelle, après avoir pris possession, à Padoue, de l'héritage de Mathilde, il visite ses nouveaux États, accompagné aussi de Boniface, marquis de Savone, de Renier, marquis de Montferrat, et d'autres seigneurs italiens[255]. Il ne rencontre nulle part la moindre résistance ; le rêve de son père et de son aïeul semble réalisé : l'Italie du Nord et du. Centre subit l'hégémonie germanique.

CONCILE DU LATRAN (MARS 1116). — Il s'agissait maintenant d'obtenir le plus rapidement possible de Pascal II un arrangement qui, au prix de quelques concessions de pure forme, laisserait intactes les prétentions césaro-papistes. Or le pape, fort cette fois de l'appui de l'Église, ne se montrait nullement disposé à des concessions contraires au droit canon. Le 6 mars 1116, au moment où Henri V entrait en Italie, un concile se réunissait au Latran et la législation grégorienne sur l'investiture était une fois de plus confirmée. Au cours des sessions suivantes, certains évêques, dont le légat Conon de Préneste, insistèrent pour que le pontife romain excommuniât l'empereur. Pascal II resta fidèle à son attitude de prudente réserve, et, comme Conon lui demandait de ratifier devant l'assemblée les actes de sa légation au cours de laquelle il avait jeté l'anathème contre Henri V, il répondit : Ce que vous et les autres légats avez approuvé ou rejeté en vertu de mon autorité, je l'approuve et je le rejette pareillement[256]. C'était là un moyen d'éluder la question : Conon devait être satisfait de cette réponse imprécise et, comme par ailleurs l'excommunication de Henri V n'avait pas été lancée sur l'ordre explicite du pape, elle ne pouvait lui être imputée.

PASCAL II QUITTE ROME. — L'empereur séjourna assez longtemps dans la haute Italie et c'est seulement au début de 1117 qu'il se rapprocha de Rome. Instruit par l'expérience de IIII, Pascal II ne l'attendit pas et gagna Bénévent[257], Cette retraite s'imposait d'autant plus que sa situation à Rome était précaire : le 30 mars 1116 le préfet de Rome était mort et le pape avait voulu lui donner pour successeur un fils de Pierleon qui lui était tout dévoué, 1 mais un mouvement populaire se prononça contre son candidat et le fils du défunt fut installé malgré lui[258]. Dans de telles conditions, il était préférable de s'éloigner.

HENRI V À ROME. — Aussi Henri V entra-t-il dans Rome sans difficulté, mais, bien qu'il ait prétendu par la suite avoir reçu un accueil enthousiaste, il semble que Pierre Pisan ait plus exactement caractérisé sa réception par ces mots : magnus apparatus, parva gloria. Aucun haut dignitaire n'était là et, lorsque, le jour de Pâques, l'empereur voulut se faire couronner dans Saint-Pierre, il ne trouva, pour officier, que l'archevêque portugais Maurice, dit Burdin, alors à Rome : ce singulier prélat fut d'ailleurs excommunié par un concile, tenu à Bénévent, pour avoir usurpé, avec une rare inconvenance, un pouvoir qui ne lui appartenait pas. Quant à Henri V, le pape répondit froidement à ses avances et refusa toute entrevue avec lui[259].

MORT DE PASCAL II (21 JANVIER 1118). — Pendant l'été, Henri V s'éloigna de Rome. Pascal II s'en rapprocha alors et il y rentra le 14 janvier 1118. Quelques jours plus tard, il y mourait (21 janvier 1118)[260], laissant la réputation d'un pontife juste et bon, sinon toujours habile.

ÉLECTION DE GÉLASE II. — Trois jours plus tard, les cardinaux-évêques proposèrent, pour succéder à Pascal II, Jean de Gaëte, chancelier de l'Église romaine, ancien collaborateur d'Urbain II et de Pascal II dont il avait, en 1111, partagé la captivité. Aussitôt acclamé par le clergé et par le peuple, le nouvel élu prit le nom de Gélase II[261].

On ne pouvait faire un meilleur choix : Gélase II joignait à une piété exemplaire et à des mœurs irréprochables l'esprit de décision qui avait manqué à Pascal II et qu'il allait manifester dès le lendemain de son avènement. Peu de papes ont reçu la tiare dans des circonstances aussi tragiques. A peine l'élection est-elle terminée que Cencius Frangipani enfonce les portes de l'église où elle a eu lieu, saisit le nouveau pontife à la gorge, le frappe avec violence et l'emmène prisonnier, mais cet attentat soulève l'indignation de la foule qui exige de Frangipani la libération de son captif. Gélase II est aussitôt conduit au Latran dont il prend possession. Comme il n'est que diacre, il ne peut être consacré sans avoir été au préalable ordonné. Or Henri V, à la nouvelle de la mort de Pascal II, s'est rapproché de Rome ; dans la nuit du 1er au 2 mars, il y pénètre subrepticement. Le pape a été informé : il quitte le Latran, se cache pendant toute la journée du 2, puis, dans la nuit du 2 au 3, au cours d'un orage épouvantable, il s'achemine vers le Tibre où une barque l'attend ; le 4, il est à Terracine, le 5 à Gaëte, sa ville natale ; il n'a plus rien à redouter[262].

L'ANTIPAPE GRÉGOIRE VIII. — Henri V est déçu. Il cherche à intimider Gélase II : il le somme de rentrer à Rome pour y recevoir la consécration pontificale, il nommera lui-même un pape si l'élu des cardinaux n'obéit pas. Gélase II accepte le défi : il sait qu'il a derrière lui toute l'Église et qu'un antipape sombrera sous le ridicule. Il repousse les avances de Henri V auquel il se contente de faire connaître son intention de réunir à Milan ou à Crémone un concile où l'on essaierait de mettre fin au conflit qui depuis si longtemps opposait le Sacerdoce et l'Empire. Entêté et tenace, l'empereur fait élire et consacrer comme pape l'archevêque de Braga, Burdin, qui par ironie prend le nom de Grégoire VIII (8 mars 1118)[263].

EXCOMMUNICATION DE HENRI V ET DE GRÉGOIRE VIII PAR GÉLASE II. — Gélase II ne se laisse toujours pas émouvoir : il écrit au clergé et au peuple de Rome pour les affermir dans leurs sentiments, aux fidèles de France pour leur signaler toutes les tares du pape impérial[264], puis, toujours calme, il gagne Capoue et, le 7 avril, lance l'excommunication contre Henri V et Grégoire VIII, en chargeant Conon de Préneste d'aller promulguer cette sentence en Allemagne[265]. Conon part aussitôt : le 19 mai, il est à Cologne où un concile, réuni par les soins de l'archevêque Frédéric et d'Adalbert de Mayence, prononce l'anathème contre l'empereur et ses partisans ; de là il va en Saxe et renouvelle la sentence à Fritzlar[266]. L'Allemagne est de nouveau en pleine effervescence, si bien que Henri V, craignant que son royaume ne lui échappe, s'empresse de quitter l'Italie (juin 1118), sans se soucier de l'infortuné Grégoire VIII qui juge plus sûr d'évacuer Rome où Gélase II rentre le 5 juillet 1118[267].

ÉCHEC DE HENRI V. — La seconde expédition de Henri V en Italie se termine donc sur un échec : si elle a permis à l'empereur d'occuper les alleux et les fiefs de la comtesse Mathilde, elle n'a pas fait prévaloir la solution impériale du conflit qui divisait le Sacerdoce et l'Empire. Henri V n'a pas obtenu le retrait des mesures qui annulaient le privilège de 1111 ni l'abandon par Pascal II, puis par Gélase II, des principes grégoriens. Dès lors n'est-il pas raisonnable de s'acheminer vers l'idée d'un compromis analogue à celui qui, sous l'influence d'Yves de Chartres, avait été, quelques années plus tôt, adopté en France ? Si indiquée que paraisse cette solution, trois ans seront encore nécessaires pour que l'on se résigne de part et d'autre à l'abandon des thèses intransigeantes et inconciliables.

GÉLASE II EN FRANCE. — Il y a cependant un réel désir de paix, car sans elle le pape et l'empereur ne sauraient atteindre les buts qu'ils poursuivent à l'intérieur de l'Église et de l'État. Dès son avènement, Gélase II a vu que cette paix ne pourrait être obtenue qu'au prix d'une médiation et telle a été sa pensée lorsque, quittant Rome, le 2 septembre 1118, à la suite d'une émeute (21 juillet 1118), il se dirige vers la France, au lieu de chercher asile dans l'Italie méridionale. Le roi Louis VI n'avait cessé de manifester envers le Saint-Siège des sentiments de respectueuse amitié et le régime de l'investiture préconisé par Yves de Chartres fonctionnait dans ses États à la satisfaction des deux parties en présence.

Par Pise et Gênes, puis par Marseille et Saint-Gilles, le pape s'achemine vers Maguelone où il est salué par une ambassade française que conduisait l'abbé de Saint-Denis, Suger[268]. Il fut convenu qu'une entrevue entre Gélase II et Louis VI aurait lieu à Vézelay et le pontife, sans s'attarder davantage, prit la route du Nord[269].

MORT DE GÉLASE II (29 JANVIER 1119). — Il traversa successivement, Montpellier, Avignon, Orange, Saint-Paul Trois-Châteaux, Le Puy, Lyon, Mâcon et arriva à Cluny où il succomba le 29 janvier 1119[270]. Cette mort de Gélase II loin de Rome, en un moment où les cardinaux-évêques étaient dispersés, créait toute sortes de difficultés pour l'élection du successeur. Lambert d'Ostie et Conon de Préneste, qui se trouvaient au chevet du pontife mourant, prirent sur eux de désigner le nouveau pape, quitte à faire ratifier ensuite leur choix par l'évêque de Porto, Pierre, resté à Rome pour y représenter Gélase II, et à solliciter par son intermédiaire l'adhésion du clergé et du peuple. Ils choisirent l'archevêque de Vienne, Guy, dont ils notifièrent l'élection à Rome et, le Ier mars 1119, Guy fut acclamé dans la basilique de Saint-Jean de Latran sous le nom de Calixte II[271].

CALIXTE II. — Sans attendre le résultat de cette consultation, on avait procédé à la cérémonie du couronnement dans la cathédrale de Vienne et Calixte II avait aussitôt pris en mains le gouvernement de l'Église. En choisissant Guy de Vienne, Conon et Lambert avaient été en somme fort bien inspirés. Issu de la vieille famille des comtes de Bourgogne, apparenté à l'empereur, archevêque depuis 1088, mêlé de très près aux événements qui avaient accompagné la crise de 1111, il avait tout à la fois de l'expérience et de l'autorité. Quoique disciple de Hugue de Lyon et de tendances plutôt intransigeantes, il avait cependant assez de souplesse et assez de sens chrétien pour pouvoir évoluer, s'il était nécessaire, vers des conceptions plus modérées ; son extraordinaire activité devait être précieuse à l'Église romaine en une heure qui s'annonçait décisive.

Dès son avènement, Calixte II n'a qu'une idée, celle de négocier une paix honorable entre le Sacerdoce et l'Empire. Comme son prédécesseur, il veut s'appuyer sur la France : l'entrevue projetée par Gélase II avec Louis VI aura lieu et elle sera suivie, le 18 octobre, d'un concile, à Reims, où seront invités les évêques allemands[272].

L'ALLEMAGNE APRÈS LE RETOUR DE HENRI V. — La situation de l'Allemagne devait incliner l'empereur à une réconciliation avec le Saint-Siège. A son retour d'Italie, il a trouvé une situation très troublée : la Saxe n'a cessé de s'agiter pendant son absence et la défection d'Adalbert de Mayence, auquel il a décidément retiré la charge de chancelier, a maintenu la guerre civile dans les pays rhénans. En 1117, de rudes combats ont eu lieu dans la région de Mayence que le duc Frédéric II de Souabe, chargé du gouvernement de l'Allemagne en l'absence de l'empereur, a ravagée, sans pouvoir s'emparer de la célèbre ville métropolitaine. En 1118, Adalbert, prenant à son tour l'offensive, a détruit Oppenheim qui appartenait à Frédéric. L'arrivée de Henri V, au mois de juillet, rétablit un calme provisoire, mais l'opposition est loin d'être réduite et la situation n'est pas meilleure qu'en 1116. Au même moment, du côté de l'Est, le jeune roi Étienne II de Hongrie, qui, en 1114, a succédé à Coloman, attaque les Allemands dans la région de la Leitha. Fort heureusement pour Henri V, il s'est brouillé avec le duc Wladislas II, si bien qu'avec le concours d'un contingent bohémien le marquis Liupold repousse les Hongrois. Cette offensive n'en rappelle pas moins à Henri V l'instabilité des frontières orientales de l'Empire[273].

Aux menaces de guerre civile et étrangère s'ajoutent de non moins fâcheuses perspectives du côté de l'Église allemande. Il est clair que l'esprit de la réforme grégorienne s'implante de plus en plus parmi elle. Certaines élections épiscopales rendent cette vérité évidente : à Osnabrük, Godescalc est régulièrement remplacé par le doyen du chapitre, Thiethard, bien que Henri V ait désigné de son côté Conrad, doyen d'Hildesheim. A Liège, après la mort d'Otbert, l'empereur a nommé l'archidiacre Alexandre dont il a vraisemblablement reçu une somme d'argent, mais l'église a vomi cet intrus auquel une élection canonique oppose le frère du comte Godefroy de Namur, Frédéric connu pour sa foi et sa piété. A Magdebourg, Adelgot meurt le 12 juin 1119 et son successeur, Roger, régulièrement désigné, refuse obstinément de recevoir l'investiture des mains de Henri V[274].

ASSEMBLÉE DE MAYENCE (24 JUIN 1119). — Calixte II est donc secondé par le haut clergé allemand qui se conforme strictement à la discipline romaine. Cette attitude a dû faire réfléchir l'empereur qui, pour la première fois, au printemps de 11 19, traduit par un acte positif son désir de paix. Il convoque les princes allemands pour le 24 juin dans la région de Mayence, afin, disait-il, de chercher les moyens de rétablir la concorde avec ses sujets et avec l'Église. En présence de telles dispositions, les princes, au lieu de s'enfermer, comme les années précédentes, dans une abstention dédaigneuse, se rendent à l'appel de leur souverain. L'assemblée donne de bons résultats. On convient tout d'abord d'une restitution mutuelle des terres qui avaient été prises de part et d'autre au cours de la guerre civile. On manifeste aussi la volonté d'aboutir à la paix religieuse et, en présence d'ambassadeurs de Calixte II venus pour notifier l'avènement du pape, on décide d'ajourner toute décision jusqu'à la réunion du concile de Reims[275]. En somme, Henri V se montre prêt à négocier et une prise de contact devient possible.

NÉGOCIATIONS DE STRASBOURG. — Pendant ce temps, Calixte II poursuivait la réalisation de son programme. A Étampes, il s'est rencontré avec Louis VI et c'est à la suite de cette entrevue qu'il envoya à Henri V une ambassade composée de l'abbé Pons de Cluny et de Guillaume de Champeaux, évêque de Châlons-sur-Marne. Ce choix de négociateurs français semblait particulièrement heureux, étant donné que l'on avait trouvé pourle royaume capétien un modus vivendi très capable de s'adapter à l'Allemagne. Pons et Guillaume allèrent trouver Henri V à Strasbourg. L'évêque fit ressortir les bienfaits du régime français. Sire, dit-il, à l'empereur, si vous voulez avoir une véritable paix, il faut que vous renonciez à l'investiture des évêchés et des abbayes. Pour vous assurer que votre autorité royale n'en subira aucune diminution, je vous apprendrai que, quand j'ai été élu évêque de France, je n'ai rien reçu du roi ni avant ni après ma consécration, et cependant par les impôts, par le service militaire et par les autres droits qui appartiennent à l'État, je le sers aussi fidèlement que vos évêques vous servent dans votre royaume, en vertu de l'investiture qu'ils reçoivent de vous et qui a attiré l'anathème sur vous. Henri V répondit qu'il ne désirait rien de plus que cette fidélité féodale et Guillaume conclut que, si telles étaient les dispositions du roi, le conflit serait bientôt apaisé[276].

AMBASSADE DES CARDINAUX LAMBERT ET GRÉGOIRE. — Guillaume de Champeaux vint rendre compte à Calixte II, alors à Paris, de cette mission préliminaire. Le pontife, tout heureux du résultat, dépêcha auprès de l'empereur le cardinal Lambert, évêque d'Ostie, et le cardinal Grégoire, afin de rédiger un projet de traité. Les légats rencontrèrent Henri V entre Metz et Verdun. Les promesses de Strasbourg furent renouvelées et l'on décida d'un commun accord qu'une entrevue entre le pape et l'empereur aurait lieu à Mouzon le 24 octobre. Une double déclaration fut signée : Henri V renonçait à toute investiture sur les églises et garantissait la paix à ses adversaires, en promettant de les aider à recouvrer leurs biens ; de son côté, Calixte II jurait aussi la paix et s'engageait à obtenir les mêmes restitutions pour les partisans de l'empereur[277].

CONCILE DE REIMS (OCTOBRE 1119). — Pendant ce temps, Calixte II s'acheminait vers Reims, accompagné du roi Louis VI. Le concile s'ouvrit le 18 octobre 1119, en présence de treize archevêques et de soixante-trois évêques dont beaucoup de Français, d'Italiens et d'Allemands, quelques Espagnols et quelques Anglais. Laissant l'assemblée à l'examen des affaires ecclésiastiques ou encore de la plainte portée par la duchesse d'Aquitaine, Hildegarde, contre son époux volage, Guillaume IX, le pape quitta Reims (22 octobre) pour aller à Mouzon au-devant de Henri V[278].

NÉGOCIATIONS DE MOUZON. — Celui-ci était déjà arrivé, escorté d'une. armée de trente mille hommes dont la présence paraît avoir produit mauvaise impression, tellement le souvenir des événements romains de 1111 était encore vivace. Aussi Calixte II, cédant aux prudentes sollicitations de son entourage, préféra-t-il négocier d'abord par l'intermédiaire de délégués et s'enfermer lui-même au château de Mouzon qui appartenait à l'archevêque de Reims. L'évêque de Châlons, Guillaume de Champeaux, partit donc à' sa place ; il devait proposer quelques modifications préalables à la rédaction adoptée pour les déclarations impériale et pontificale lors de l'entrevue entre Henri V et les cardinaux. Le texte de la nouvelle rédaction n'est pas connu. On sait seulement par Hesson que les précisions demandées par Calixte II avaient pour but de spécifier que l'empereur, en renonçant à l'investiture, ne pouvait enlever aux évêques les fiefs d'empire et que la paix accordée par le pape n'impliquait pas le maintien sur leurs sièges des prélats illégalement nommés par Henri V[279].

Ces modifications,, légitimes en elles-mêmes, avaient l'inconvénient de remettre en question des textes sur lesquels on était tombé d'accord. Guillaume de Champeaux se montra fort habile et, comme Henri V insinua qu'il n'avait rien promis de ce qui figurait dans la nouvelle rédaction, il insista sur les excellentes intentions du pape qui admettait parfaitement, disait-il, que les évêques fussent, après la convention, astreints aux mêmes obligations féodales que leurs prédécesseurs.. Henri V demanda jusqu'au lendemain pour en délibérer avec les princes, puis, une fois ce délai expiré, il en sollicita un autre que Guillaume de Champeaux lui refusa. Les pourparlers se trouvèrent ainsi rompus. Calixte II fit dire à l'empereur que, par amour de la paix, il avait quitté un concile général pour venir le trouver, qu'il ne pouvait laisser plus longtemps les affaires de l'Église en suspens, que d'ailleurs., il serait toujours prêt à recevoir le souverain[280].

REVIREMENT DE L'ALLEMAGNE EN FAVEUR DE HENRI V. — L'échec des négociations de Mouzon ne pouvait manquer d'avoir une fâcheuse répercussion en Allemagne où l'on attendait la paix avec une vive impatience. Comme Henri V, lors de l'assemblée de juin 1119, avait manifesté des dispositions conciliantes, que, d'autre part, Calixte II était chargé d'un lourd passé intransigeant, on ne pouvait manquer de rejeter sur le pape la responsabilité de la rupture, d'autant plus qu'avant de quitter Reims, il avait prononcé une sentence d'excommunication contre Henri V et contre l'antipape Grégoire VII[281]. Aussi, à la fin de 1119 et au début de 1120, un revirement se dessine-t-il en faveur du souverain. Seuls les évêques rhénans et saxons tiennent bon. Henri V ne peut décider Frédéric de Cologne à le laisser venir à Liège pour installer l'évêque qu'il a investi ni à lui ouvrir les portes de sa cité archiépiscopale. Pourtant, à la fin de 1119, l'empereur, grâce aux intelligences qu'il s'est ménagées dans la place, peut y pénétrer, tandis que Frédéric s'enfuit en Saxe, après avoir jeté l'interdit sur son propre diocèse. Le haut clergé saxon, lui aussi, observe strictement la règle canonique qui prohibe tout contact avec les excommuniés et ne se rend pas, le 21 janvier 1120, à l'assemblée de Goslar, convoquée par Henri V ; du moins le souverain a-t-il la satisfaction d'y voir accourir la plupart des princes laïques qui l'avaient combattu les années précédentes, comme le duc Lothaire, le marquis Rodolphe, le comte palatin Frédéric. Les seigneurs de Basse-Lorraine eux aussi décident une suspension d'armes[282]. Bref, l'unité est à la veille de se refaire autour de l'empereur.

NOUVEAU CONFLIT DE HENRI V AVEC SES SUJETS. — Une maladresse de Henri V allait ressusciter le conflit avec les princes. C'est à Münster qu'il faut chercher l'origine de cette nouvelle révolte. Le roi persistait à vouloir interdire l'entrée de cette ville à l'évêque Thierry qu'il en avait expulsé à son retour d'Italie. Thierry, qui était lié d'amitié avec Lothaire de Saxe, décida le duc à le réintégrer par la force. Il en résulta un violent combat au cours duquel la. cathédrale fut incendiée (2 février 1121). L'agitation gagna très vite toute la Saxe et on décida d'aller reprendre Mayence, au pouvoir de Henri V, pour y conduire Adalbert. Un terrible combat allait se livrer aux portes de la ville, lorsque simultanément, de chaque côté, se produisirent des initiatives pacifiques qui empêchèrent les armées de s'affronter. Une fois de plus, il apparaissait que l'Allemagne était lasse des tueries sanguinaires, mais, connue la paix religieuse était le gage de la paix civile, on devait s'acheminer fatalement vers de nouvelles négociations en vue d'une entente plus que jamais nécessaire entre le Sacerdoce et l'Empire[283].

NÉGOCIATIONS DE WURTZBOURG (29 SEPTEMBRE 1121). — A cet effet, on décida de nommer, dans chaque camp, douze médiateurs dont les propositions seraient soumises à l'assemblée qui devait se tenir à Wurtzbourg le 29 septembre 1121. Celle-ci se réunit en effet à la date fixée et prescris-vit pour toute l'Allemagne la paix générale sous peine de mort, puis on remit à l'empereur ses territoires, à l'Église ses biens ; enfin, après avoir déploré l'excommunication qui pesait sur Henri V, on convint d'envoyer au pape, seul qualifié pour la lever, l'évêque de Spire et l'abbé de Fulda qui lui communiqueraient la délibération de la diète et lui demanderaient de tenir un concile œcuménique où le Saint-Esprit trancherait ce que les hommes ne pouvaient parvenir à résoudre[284]. Ces décisions reçurent l'assentiment de Henri V : ainsi l'empereur reconnaissait l'autorité suprême du pontife romain entre les mains duquel se trouvait désormais le sort de la chrétienté.

RETOUR DE CALIXTE II À ROME. — Après avoir clos les sessions du, concile de Reims, Calixte II avait encore séjourné quelque temps en France, puis, au début de l’année 1120, regagné l'Italie où il visita successivement Plaisance, Lucques, Pise, Volterra[285]. Le 3 juin, il fait son entrée à Rome ; il est reçu à la fois par Pierre, cardinal-évêque de Porto, et par le préfet Pierre ; Frangipani et Colonna, oubliant leurs vieilles haines, rivalisent dans leurs acclamations. Le pape dispose ainsi d'une force réelle dont il se sert pour débarrasser la campagne romaine de l'antipape Grégoire VIII, réfugié à Sutri. En avril 1121, il envoie le cardinal Jean de Crème cueillir ce personnage insignifiant qu'il expédie à l'abbaye de La Cava[286]. Le schisme est ainsi terminé et, Henri V n'ayant manifesté aucun désir de réintégrer Grégoire VIII dont il ne se souciait plus guère, Calixte II peut faire bon accueil aux ambassadeurs allemands qu'il voit arriver devant lui, sans doute au début de 1122, au cours d'un voyage dans l'Italie normande.

NÉGOCIATIONS ENTRE CALIXTE II ET HENRI V. — Il est probable que ces délégués de Henri V ont apporté au pape toutes les garanties nécessaires, car, le 19 février 1122, Calixte II écrit à l'empereur une lettre affectueuse et émue qu'Azzon, évêque d'Acqui, fut chargé de porter à son destinataire ; le choix de ce messager, tout dévoué à Henri V, soulignait encore la portée amicale du geste pontifical[287]. Peu après, trois cardinaux partirent pour l'Allemagne, le cardinal-évêque Lambert d'Ostie, le cardinal-prêtre Saxon et le cardinal-diacre Grégoire[288]. Les négociations, qui devaient s'ouvrir à Mayence le 8 septembre, furent transférées à Worms où elles se dérouleraient dans une atmosphère plus calme que dans la ville archiépiscopale du fougueux Adalbert, toujours plein de rancune à l'égard de l'empereur.

On connaît mal le détail de ces pourparlers. Le seul document un peu explicite est une lettre de l'archevêque Adalbert à Calixte II[289], mais ce témoignage d'un adversaire haineux de Henri V n'a pas l'autorité que lui ont accordée certains historiens. Il faut donc se contenter de l'affirmation plus vague du chroniqueur Ekkehard d'Aura au dire duquel les négociations, conduites avec un soin minutieux, aboutirent, le 23 septembre 1122, au compromis connu sous le nom de concordat de Worms[290].

CONCORDAT DE WORMS (23 SEPTEMBRE 1122). — Ce concordat fameux se compose de deux déclarations, lune de l’empereur, l’autre du pape[291]. Henri V abandonne à Dieu, à ses saints apôtres Pierre et Paul, et à la sainte Église toute investiture par l'anneau et par la crosse ; il promet que les élections seront libres ; il s'engage à restituer au Saint-Siège les biens et les regalia qui sont en son pouvoir, garantit une paix sincère à Calixte II et à ses partisans. Le pape, de son côté, permet que les élections épiscopales et abbatiales se fassent en présence de l'empereur sans simonie et sans aucune violence ; il consent à ce qu'en cas de contestation, l'empereur, avec l'aide du métropolitain donne son assentiment et son secours à la partie la plus digne ; il admet que l'élu reçoive par le sceptre les regalia, sauf ceux qui appartiennent à l'Église romaine, et rende les devoirs qu'ils comportent ; enfin, par réciprocité, il garantit la paix à l'empereur et à ceux qui ont combattu à ses côtés.

RÉCONCILIATION DE HENRI V AVEC L'ÉGLISE. — Lorsque ces deux déclarations eurent été paraphées par l'empereur et par les légats pontificaux, le cardinal-évêque d'Ostie célébra une messe solennelle, à la fin de laquelle il donna le baiser de paix à Henri V qu'il communia ensuite de ses mains. Le souverain était réintégré au sein de l'Église sans aucune pénitence. C'était là une preuve des dispositions bienveillantes de Calixte II, qui s'affirmèrent à nouveau dans sa lettre du 13 décembre 1122 où il témoignait à Henri V sa joie de l'heureuse issue des pourparlers[292].

CARACTÈRES DU CONCORDAT DE WORMS. — La papauté avait-elle lieu de se réjouir de la sorte et fallait-il voir dans le concordat de Worms le triomphe de toutes les prétentions qu'elle avait formulées depuis le pontificat de Grégoire VII ? Ce serait là une singulière illusion, de même que l'on ne saurait apercevoir dans l'acte du 23 septembre 1122 une victoire de la thèse impériale. On remarquera tout d'abord que le concordat laisse intacte la grave question du dominium mundi : le pape ne renonce aucunement au droit, revendiqué par Grégoire VII, de contrôler les actes des souverains ratione peccati et l'empereur ne s'incline pas devant la suprématie du Saint-Siège ; théocratie romaine et césaro-papisme impérial restent en présence, prêts à s'affronter en de nouveaux combats. La question de l'investiture est-elle du moins réglée en conformité avec la théorie grégorienne ? Il n'en est rien : entre le concordat de Worms et le décret de 1075, il y a un abîme. Pour Grégoire VII, comme on l'a déjà noté à plusieurs reprises, les biens ecclésiastiques appartiennent au patron de l'église et non pas au souverain qui en a historiquement accordé la jouissance au titulaire et à ses successeurs ; ainsi se trouve exclue toute intervention du pouvoir temporel dont la propriété éminente, pour parler le langage féodal, n'est pas reconnue par Grégoire. Les prétentions impériales ne reçoivent pas davantage satisfaction ; les juristes et les polémistes à la solde de Henri IV et de Henri V ont toujours soutenu que l'empereur, en raison des services rendus aux églises et de ses multiples donations, avait le droit d'investir par la crosse et par l'anneau ; le concordat de Worms lui refuse ce mode d'investiture. En réalité, cet acte célèbre a le caractère d'un compromis entre les théories adverses, et canoniquement son véritable auteur, c'est le Français Yv-es de Chartres qui a eu le mérite de devancer son siècle en imaginant la distinction entre les attributs spirituels et temporels de l'évêque sur laquelle repose avant tout la convention passée entre Calixte II et Henri V. A cette distinction fondamentale répond la double investiture par la crosse et l'anneau d'une part, par le sceptre d'autre part, la première rappelant le mariage mystique de l'évêque avec son église et les pouvoirs qu'il a sur les âmes, la seconde traduisant au contraire la souveraineté de l'empereur en matière temporelle.

A cet égard, le concordat de Worms est la solution du bon sens. Tout au plus peut-on regretter que sur certains points la rédaction n'en ait pas été plus précise. C'est ainsi que l'intervention de l'empereur dans les élections épiscopales n'est pas définie avec une rigueur suffisante : le droit de regard qui lui est reconnu par la déclaration pontificale l'autorise-t-il à refuser d'investir des biens ecclésiastiques un candidat, élu par le clergé et par le peuple, qui lui déplairait pour une raison ou pour une autre ? Le concordat ne tranche pas cette épineuse question. De même on a remarqué aussi, et non sans raison, que le sens du mot regalia n'était pas nettement défini, que la clause relative à ceux de ces regalia qui appartenaient à l'Église romaine n'était pas claire, mais on ne peut dire que ces insuffisances juridiques aient rendu difficile l'application d'un traité qui, avec un peu de bonne volonté réciproque, était de nature à faire disparaître entre le Saint-Siège et l'Empire l'une des raisons les plus évidentes de discorde[293].

LE NEUVIÈME CONCILE GÉNÉRAL DU LATRAN (MARS 1123). — En tout cas, à la faveur de cette paix, le Saint-Siège va pouvoir reprendre son œuvre réformatrice. Si Grégoire VII a attaché une telle importance à la question de l'investiture, c'est avant tout parce que de sa solution dépendait la régénération morale du clergé, but suprême de tous ses efforts. L'acte de Worms ayant tranché cette question et apporté les garanties nécessaires, le Saint-Siège peut formuler à nouveau, en lui donnant plus d'ampleur, le programme grégorien : l'épilogue du concordat, c'est le concile général qui réunit au Latran pendant le carême de 1123, du 18 au 27 mars, trois cents évêques de tous les pays. Le premier des canons qui y furent votés condamne la simonie le septième défend expressément aux prêtres, diacres, sous-diacres la fréquentation' de concubines ou de femmes mariées et la cohabitation avec toute femme autre que la mère, la sœur, la tante ou toute autre parente à l'abri du soupçon ; le troisième interdit de consacrer un évêque qui n'aurait pas été élu canoniquement ; le huitième et le neuvième assurent la sauvegarde des biens ecclésiastiques contre les entreprises des laïques[294].

L'Église indépendante du pouvoir temporel dans ses personnes et dans ses biens, à l'abri des puissances d'argent, évitant à ses clercs tout Contact impur avec le siècle, n'était-ce pas là le programme grégorien primitif, que les papes n'avaient jamais perdu de vue et dont la réalisation s'était poursuivie malgré les obstacles accumulés ? Le premier effet de la paix survenue entre le Sacerdoce et l'Empire, c'est une impulsion nouvelle donnée par la papauté à cette réforme pour laquelle elle a tant lutté et tant souffert.

PUISSANCE DE LA PAPAUTÉ. — Pour mener à bien cette tâche réformatrice, l'Église romaine dispose, en 1123, d une puissance plus accusée qu’au temps de Grégoire VII. Les collections canoniques, composées à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, ont mis en lumière son pouvoir doctrinal et disciplinaire qui, grâce à l'action continue des conciles provinciaux et des légats, représentants du pape dans les différents pays chrétiens, s'est imposé partout comme une nécessité. D'autre part, la situation du Saint-Siège à Rome s'est sensiblement affermie sous le pontificat de Calixte II. Profitant du mouvement de popularité qui s'était dessiné en sa faveur lors de son retour, le pape a pu faire détruire un certain nombre de tours fortifiées et en interdire la reconstruction, tandis que des expéditions dans la campagne aboutissaient à la suppression des foyers de brigandage[295]. A la mort de Calixte II (13 décembre 1124), la puissance temporelle de la papauté est manifestement en progrès.

L'ALLEMAGNE APRÈS LE CONCORDAT DE WORMS. — En revanche, le concordat de Worms n'a pas fendu la paix à l'Allemagne. Les chroniqueurs font un sombre tableau des dernières années du règne de Henri V. A les en croire, des bandes armées, parties de la Saxe, auraient, en 1123, parcouru tout le pays en y semant une véritable terreur[296]. Peut-être y a-t-il dans ces récits quelque exagération. Ce qui demeure certain, c'est que l'empereur est de nouveau en conflit avec la Saxe et que le duc Lothaire trouve partout prétexte à une violente opposition. Celui-ci, en 1123, vole au secours de sa sœur Gertrude, veuve du comte Florent de Hollande, que Henri V avait attaquée pour venger son échec en Frise, et contraint l'empereur à la retraite ; en Lusace et en Misnie, il oppose les comtes Albert de Ballenstædt et Conrad de Wettin aux héritiers institués par Henri V après la mort du margrave Henri ; convoqué à l'assemblée de Bamberg (4 mai 1124), il ne paraît pas[297]. Des troubles graves sont à prévoir et, au lieu de chercher à les empêcher, Henri V se laisse, en 1124, entraîner par son beau-frère., Henri Ier, roi d'Angleterre, dans une guerre contre la France qui aboutira à une défaite[298].

Ainsi les efforts de Henri V pour restaurer en Allemagne l'absolu-time monarchique se traduisent par un échec ; depuis la fin du règne de Henri III, l'autorité royale, si forte au temps des Ottons et des premiers empereurs franconiens, est contrebattue violemment par les princes qui ne s'inclinent plus devant ses décisions. A l'extérieur, les tentatives du souverain pour étendre la puissance impériale vers l'Est n'ont pas été davantage couronnées par le succès. La Hongrie échappe définitivement à l'emprise germanique. En Bohême, Henri V a bien réussi, en 1110, à faire reconnaître comme duc Wladislas qui se montrait tout disposé à subir son influence, mais les luttes civiles n'ont pas cessé : à deux reprises, en 1110 et en 1113, Wladislas a été attaqué par son frère Sobeslas, réfugié en Pologne ; en 1115, la médiation du duc de ce dernier pays a bien amené une réconciliation, mais celle-ci est suivie, en 1123, d'une nouvelle rupture et d'une nouvelle fuite de Sobeslas. Au début de 1125, Wladislas tombe malade ; Sobeslas revient, une fois de plus, en Bohême et, grâce à l'appui de sa mère, Svatawa, il réussit à succéder à son frère, mort le 12 avril 1125. Il a toujours été l'ennemi de Henri V et son accession à la dignité ducale ne peut être considérée comme un triomphe de la politique germanique[299].

MORT DE HENRI V (23 MAI 1125). — Henri V suivit de près Wladislas dans la tombe. Il mourut à Utrecht le 23 mai, 1125, âgé de quarante-quatre ans seulement. Dépourvu de postérité directe, il avait exprimé le désir d'avoir pour successeur son neveu Frédéric de Hohenstaufen[300]. Or la couronne fut donnée à Lothaire de Saxe avec lequel il ne s'était pas réconcilié. La dynastie franconienne s'éteint avec ce prince ambitieux et autoritaire qui avait voulu dominer l'Église et l'Allemagne, sans jamais parvenir à réaliser aucune de ses entreprises.

 

 

 



[1] Pour le pontificat de Grégoire VII, nous renvoyons à la bibliographie dressée à la fin du (tome II de notre Réforme grégorienne, p. 427-433. Les ouvrages généraux ont été indiqués plus haut, en tête du chapitre IV.

[2] Réforme grégorienne, t. II, p. 289.

[3] Meyer von Knonau, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich IV und Heinrich V, t. II, p. 671 et suiv.

[4] Réforme grégorienne, t. II, p. 291 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 662.

[5] On trouvera les deux lettres dans les Constitution es et acta publica imperatorum et regum, t. I, p. 110-113. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 291-294.

[6] Réforme grégorienne, t. II, p. 294-295.

[7] Registrum, III, 6 et IV, 1.

[8] Meyer von Knonau, op cit., t. II, p. 725-727 ; Réforme grégorienne, t. II, p. 299.

[9] Réforme grégorienne, t. II, p. 299-300 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 728 et suiv. — On connaît mal le détail de ce qui s'est passé à Tribur. Les sources narratives, pour toute la période 1076-1080, sont pour la plupart d'origine saxonne et font preuve à l'égard de Henri IV de la plus partiale hostilité. Cf. la critique que nous en avons faite dans l'introduction de.la Réforme grégorienne, t. II, p. 32 et suiv.

[10] Réforme grégorienne, t. II, p. 300, n. 3.

[11] On trouvera le texte de ces documents dans les Monumenta Bambergensia, p. 110-111. Sur leur caractère et leur valeur, voir : Réforme grégorienne, t. II, p. 301-302.

[12] Cf. Registrum, IV, 1.

[13] Réforme grégorienne, t. II, p. 302.

[14] Réforme grégorienne, t. II, p. 302-304.

[15] Tout récemment encore, il avait vu s'éloigner de lui Otton de Nordheim, qu'il croyait réconcilié définitivement avec lui depuis la capitulation de Saxe et qui venait de se rapprocher de son rival Welf, installé par la volonté du roi dans son ancien duché de Bavière. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 734.

[16] Le voyage de Henri IV a été illustré d'une série d'épisodes légendaires par le chroniqueur Lambert de Hersfeld, qui s'est très directement inspiré du récit de Tite-Live concernant le passage des Alpes par Hannibal. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 739 et suiv. ; Réforme grégorienne, t. II, p. 304.

[17] Réforme grégorienne, t. II, p. 305, n. I. — En traversant la Savoie, Henri IV avait eu une entrevue avec sa belle-mère, Adélaïde de Savoie, qu'il a peut-être chargée de se joindre à Hugue de Cluny pour sonder les intentions du pape.

[18] Registrum, IV, 12. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 305. n. 2.

[19] Sur la scène de Canossa, voir : Réforme grégorienne, t. II, p. 305 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 757 et suiv. ; Hauck, Kirchengeschichte Deuschlands, t. III, p. 808-810.

[20] Registrum, IV, 12 a : Constitutiones et acta publica imperatorum, t. I p. 115.

[21] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 774-777 ; Réforme grégorienne, t. II, p. 358-359. Il est à remarquer que les princes, en fixant l'assemblée de Forchheim au 13 mars, ne laissaient pas à Grégoire VII le temps matériel nécessaire pour négocier avec Henri IV, ce qui dénote clairement leurs projets.

[22] Jaffé-Wattenbach, 5019 ; Réforme grégorienne, t. II, p. 354-361.

[23] Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 359, n. 4, et 361, n. 1.

[24] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 783-785 ; Réforme grégorienne, t. II, p. 361.

[25] Meyer von Knonau,, op. cit., t. III, p. 9.

[26] Réforme grégorienne, t. II, p. 361.

[27] Réforme grégorienne, t. II, p. 359.

[28] Registrum, IV, 23 et 24.

[29] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 16 et suiv.

[30] Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 744.

[31] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 21-27.

[32] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 45-59.

[33] Réforme grégorienne, t. II, p. 367-369. — Sur les légendes colportées au sujet de cette assemblée par les chroniqueurs saxons, cf. ibid., p. 368, n. 3.

[34] Il y a eu certainement des négociations en Allemagne après le concile, mais on ne les connaît que par les annales saxonnes dites de Berthold de Reichenau auxquelles il est impossible d'attribuer le moindre crédit. Faut-il admettre que les exigences de Henri IV ont rendu toute entente impossible ? Rien n'est moins sûr, car, comme le remarque très justement Meyer von Knonau (op. cit., t. III, p. 124-126), Grégoire VII n'aurait pas continué à traiter Henri :V en roi, si celui-ci avait été manifestement à l'encontre des directions tracées par le concile romain.

[35] On a conservé une lettre des Saxons au pape qui trahit un vif mécontentement. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 370-371 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 118-119.

[36] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 132 et suiv.

[37] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 145 et suiv.

[38] Réforme grégorienne, t. II, p. 371-373.

[39] Comme on ne saurait prendre au sérieux les assertions fantaisistes des chroniqueurs saxons, il faut se contenter, pour l'histoire de ces négociations, des quelques allusions contenues dans les bulles de Grégoire VII qui en disent assez long sur le rôle de Henri IV. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 374-377 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 208 et suiv.

[40] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 235 et suiv. Cf. aussi Réforme grégorienne, t. II, p. 377, n. 1.

[41] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 242-243 ; Réforme grégorienne, t. II, p. 377.

[42] Registrum, VII, 14 a. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 378-381 ; Martens, op. cit., t. I, p. 194 et suiv. ; Hauck, op. cit., t. III, p. 823 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 255-256.

[43] Il est à remarquer que Grégoire VII, en 1080, n'a pas reproché à Henri IV d'avoir nommé un certain nombre d'évêques allemands contrairement à la législation du concile de 1075. Au cours des pourparlers qui ont précédé le concile, il avait prié ses légats (Jaffé-Wattenbach, 5137) de ne pas soulever la question de l'investiture laïque, sans doute pour ne pas compromettre par un irritant débat l'issue des négociations engagées. Du moins a-t-il, en concile, renouvelé le décret de 1075 en l'étendant à toutes les dignités ecclésiastiques et en menaçant de l'excommunication les laïques qui enfreindraient les prescriptions pontificales. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 208.

[44] Meyer von Knonau, op cit., t. III, p. 275 et suiv.

[45] Sur le peu de valeur de cette accusation, cf. A. Fliche, Saint Grégoire VII, p. 136-137. — Il est à remarquer d'autre part qu'en ce qui concerne la vie privée de Grégoire VII, on a imputé au pape les désordres d'un autre moine du nom d'Hildebrand, qui vivait à Farfa autour de 970. Cf. Martens, Gregor VII, t. I, p. 215-216.

[46] Constitutiones et acta publica imperatorum, t. I, p. 118. Cf. Réforme grégorienne, t II, p. 384. — Sur Clément III, voir : O. Kœhncke, Wibert von Ravenna, Leipzig, 1888 ; P. Kehr, Zur Geschichte Wiberts von Ravenna (Clemens III) dans Sitzungsberichte der Kœniel. Akad der Wissenschaften, Berlin, 1921, p. 335-360 et 973-988.

[47] Cf. Réforme grégorienne, t. I, p. 322-323.

[48] Sur l'action des légats pontificaux, voir : Réforme grégorienne, t. II, p. 210 et suiv. : J. Massino, Gregor VII im Verhaltnis zu seinen Légaten, Greifswald, 1907 ; W. Lühe, Hugo von Die und Lyon, Strasbourg, 1898.

[49] Sur l'œuvre canonique de Grégoire VII, cf. Paul Fournier, Les collections canoniques de l'époque de Grégoire VII dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XLI, 1918, p. 271-297, et Un tournant de l'histoire du droit (1060-1140) dans Nouv. rev. hist. de droit français et étranger, t. XL, 1917, p. 129-180.

[50] Cf. la bulle du 19 avril 1080 (Registrum, VII, 3).

[51] Réforme grégorienne, t. II, p. 350-352.

[52] Réforme grégorienne, t. II, p. 352-354.

[53] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 554-555, 745-746 et t. III, p. 107.

[54] Réforme grégorienne, t. II, p. 332-333.

[55] Réforme grégorienne, t. II, p. 332-333.

[56] Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 330-332 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 385-389 et 743-744.

[57] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 325 et suiv.

[58] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 325.

[59] Registrum, VIII, 5.

[60] Réforme grégorienne, t. II, p. 388-389.

[61] Registrum, VIII, 21. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 389 et suiv.

[62] Sur la date de cette donation, qui se place entre le 17 septembre 1079 et le 26 mars 1080, cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 259, n. 47, et Overmann, Gräfin Mathilde von Tuscien, p. 143-144 et 239-240.

[63] Cf. Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, t. I, p. 227 et suiv.

[64] Réforme grégorienne, t. II, p. 387-388 ; Chalandon, op. cit., t. I, p. 255 et suiv.

[65] Chalandon, op. cit., t. I, p. 258 et suiv.

[66] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 316-317.

[67] C'est Grégoire VII lui-même qui le constate dans une lettre à Didier (Registrum, VIII, 34), enlevant ainsi tout crédit aux exagérations de certains chroniqueurs.

[68] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 377-381.

[69] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 395-400.

[70] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 401-405.

[71] Chalandon, op. cit., t. I, p. 267 et suiv.

[72] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 415-421.

[73] Sur la date, cf. Sander, Der Kampj Heinrichs IV und Gregors VII, p. 187-191 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 432, n. 2.

[74] On trouvera le texte de la proclamation dans les Monumenta Bambergensta, p. 498-502.

[75] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 437-441.

[76] Chalandon, op. cit., t. I, p. 272-273. Sur le rôle de Didier, voir Augustin Fliche, L'Élection d'Urbain II dans le Moyen âge, 2e série, t. XIX, 1916, p. 362 et suiv.

[77] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 447-448.

[78] Chalandon, op. cit., t. I, p. 273-275.

[79] Réforme grégorienne, t. II, p. 418 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 470-489.

[80] Registrum, IX, 35 a. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 490-497.

[81] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 521-528.

[82] La Detensio Heinrici regis a été publiée par L. de Heinemann dans les Libelli de lite imperatorum et pontificum, t. I, p. 432-453.

[83] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 528-533.

[84] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 534.

[85] A la suite de cette défaite, Bohémond a perdu la presque totalité des territoires conquis par son père. Cf. Chalandon, op. cit., t. I, p. 278 et suiv.

[86] Chalandon, op. cit., t. I, p. 277-278 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 540 et suiv.

[87] Meyer von Knonau, op. cit., t. III, p. 559-560 et 567.

[88] Réforme grégorienne, t. II, p. 420-422.

[89] Réforme grégorienne, t. II, p. 422-423.

[90] Sur ce mouvement d'idées, voir C. Mirbt, Die Publizistik im Zeitalter Gregors VII, Leipzig, 1894 ; A. Fliche, Les théories germaniques de la souveraineté à la fin du XIe siècle dans la Revue historique, t. CXXV, 1917, p. 1-67 ; R. N. et A. S. Carlyle, A history of medieval political theory in the West, Londres, 1903-1922, 4 vol. — E. Voosen, Papauté et pouvoir civil à l'époque de Grégoire VII, Gembloux, 1927. Les tomes III et IV de notre Réforme grégorienne seront consacrés à l'étude de ce mouvement d'idées contemporain de Grégoire VII.

[91] Sur l'élection de Victor III et les controverses auxquelles elle a donné lieu, voir : Augustin Fliche, L'élection d'Urbain II dans le Moyen âge, 2e série, t. XIX, p. 356 et suiv.

[92] Cf. A. Fliche, Le pontificat de Victor III dans Revue d'histoire ecclésiastique, t. XX, 1924, p. 391 et suiv ; Les pages qui suivent ne sont qu'un résumé de cet article auquel nous renvoyons pour les discussions qui se sont produites au sujet de ce pontificat.

[93] A. Fliche, article cité, p. 392-393.

[94] Chalandon, op. cit., p. 282 et suiv.

[95] A. Fliche, article cité, p. 393 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 3 et suiv.

[96] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 21 et suiv. — Peu de temps auparavant, le légat Eude d'Ostie, envoyé par Grégoire VII en Allemagne, a réuni les quelques évêques grégoriens à Quedlinbourg, en Saxe, et renouvelé les condamnations contre le roi et l'antipape. Cf. ibid., p. 17-21.

[97] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 35 et suiv.

[98] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 40-42 et 113 et suiv. ; A. Fliche, article cité, p. 394-395.

[99] A. Fliche, article cité, p. 387-391. — Peut-être, à la suite de son entrevue avec Henri IV, Didier a-t-il été excommunié ; en tout cas, il a été certainement tenu à l'écart pendant les dernières années du pontificat de Grégoire VII.

[100] Le De scismate Hildebrandi a été édité par Dümmler dans les Libelli de lite, t. I, p. 529-567. Cf. Augustin Fliche, Guy de Ferrare, Étude sur la polémique religieuse en Italie à la fin du XIe siècle dans Bulletin italien, t. XVI, 1916, p. 105-140.

[101] Sur Hugue de Lyon, voir Réforme grégorienne, t. II, p. 217 et suiv., et W. Lune, Hugo von Die und Lyon, Diss. Strasbourg, 1898.

[102] A. Fliche, article cité, p. 397.

[103] A. Fliche, article cité, p. 398-404.

[104] A. Fliche, article cité, p. 404-405.

[105] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 123-131 et 158-161.

[106] A. Fliche, article cité, p. 405.

[107] Sur les controverses relatives au concile de Bénévent, voir A. Fliche, article cité, p, 405 et suiv.

[108] Victor III a été très diversement jugé par les historiens. Suivant Hauck (Kirchengeschichte Deutschlands, t. III, p. 852-853), il aurait abandonné les grands projets de ses prédécesseurs, tandis que pour Hirsch (Desiderius von Monte-Cassino als Papst Victor III dans Forschungen zur deutschen Geschichte, t. VII, 1887, p. 97-98) il aurait clairement affirmé sa volonté de continuer l'œuvre de Grégoire VII, tout en apportant un tempérament différent et en usant de la diplomatie plutôt que des armes spirituelles et temporelles. Ces deux appréciations paraissent également exagérées.

[109] A. Fliche, L'Élection d'Urbain II dans le Moyen âge, 2e série, t. XIX, p. 379.

[110] Nous résumons dans les lignes qui précèdent et dans celles qui suivent f article cité à la note précédente où l'on trouvera sur l'application de cette procédure tous les détails voulus.

[111] Pour la biographie d'Urbain II avant son avènement, voir Stern, Zur Biographie des Papstes Urbans II, Berlin, 1883.

[112] Pierre Pisan dans Watterich, Vitæ pontificum Romanorum, t. I, p. 572 ; Bernold de Constance, a. 1088.

[113] Jaffé-Wattenbach, 5348.

[114] Il n'existe sur Urbain II aucun livre d'une valeur réellement scientifique. On consultera surtout les ouvrages généraux déjà indiqués de Meyer von Knonau et de Hauck. La monographie de L. Paulot, Un pape français, Urbain II, Paris, 1903, ne peut être utilisée qu'avec beaucoup de prudence. Pour les rapports avec l'Italie normande, voir l'ouvrage souvent cité de Chalandon, ainsi que E. Jordan, La politique ecclésiastique de Roger Ier dans le Moyen âge, 2e série, t. XXV, 1922-1923, p. 237-276 et t. XXVI, p. 32-65, et pour les relations avec la comtesse Mathilde : Paul Fournier, Bonizon de Sutri, Urbain II, la comtesse Mathilde dans Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. LXXVI, 1915, p. 265-298. — On trouvera plus loin la bibliographie relative aux origines de la croisade.

[115] Ces précisions sont données par Urbain II lui-même dans une de ses premières bulles (Jaffé-Wattenbach, 5359).

[116] Chalandon, op. cit., t. I, p. 294 et suiv.

[117] Chalandon, op. cit., t. I, p. 296.

[118] Voir à ce sujet une bulle de Pascal II (Jaffé-Wattenbach, 5865).

[119] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 206 et suiv.

[120] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 214.

[121] Bernold de Constance, a. 1089.

[122] Jaffé-Wattenbach, 5393.

[123] Cf. Paul Fournier, article cité, p. 286 et suiv.

[124] La date de ce concile a été très discutée. Sur les raisons d'adopter celle de 1089 (et non pas celle de 1092, comme l'ont voulu Wilmans dans les Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XII, p. 150, et Lehmann-Danzig, Das Buch Widos von Ferrara, p. 18), voir : Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 265-269 ; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. III, p. 861 ; Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. V, p. 346, n. 3. Une bulle de Clément III (J. W, 5330) résume les débats de cette assemblée.

[125] On doit le récit de ces événements à Urbain II lui-même dans une bulle longtemps restée inédite et publiée en 1900 par P. Kehr dans Archivio della Societa Romana di Storia Patria, t. XXIII, p..277-280.

[126] Chalandon, op. cit., t. I, p. 296-297. Le concile d'Amalfi, auquel assistèrent soixante-douze évêques et douze abbés, a également renouvelé les interdictions grégoriennes au sujet de l’investiture laïque, de la simonie, du mariage sacerdotal et promulgué plusieurs décrets concernant la discipline ecclésiastique. Cf. Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. V, 1re p.. p. 344-345.

[127] Il y a lieu de penser avec Overmann, Gräfin Mathilde, p. 155, que le mariage a été célébré en août, car Bernold de Constance (a. 1089) le mentionne avant le départ de Henri pour la Saxe qui a eu lieu à ce moment.

[128] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 259-260.

[129] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 284-294.

[130] Stumpf, 2903.

[131] Jaffé-Wattenbach, 5826 a.

[132] On ne connaît les détails de l'histoire du siège de Mantoue et de la guerre entre Henri IV et Mathilde que par une seule source, le poème écrit par Donizon à la gloire de la comtesse (II, v. 454 et suiv.), mais, en éludant les développements inhérents au panégyrique, on peut lui accorder un certain crédit, car les renseignements épars dans les autres versions, y compris les versions henriciennes telles que les annales d'Augsbourg, ne lui apportent aucun démenti. Les diplômes de Henri IV (Stumpf, 2904 et suiv.) aident à préciser son itinéraire. Cf. Overmann, op. cit., p. 156 et suiv.

[133] Donizon, II, v. 558 et suiv.

[134] L'entrevue est mentionnée à la fois par Bernold de Constance, et par les Annales augustani, à l'année 1091.

[135] Donizon, II, v. 569 et suiv.

[136] La dernière bulle délivrée à Rome (Jaffé-Wattenbach, 5435) est du 16 juin 1090.

[137] Chalandon, op. cit., t. I, p. 297-298.

[138] Sur les rapports d'Urbain II avec Roger de Sicile, voir : E. Jordan, article cité, qui expose (p. 247 et suiv.) comment ont été réglées les différentes questions religieuses qui s'étaient posées après la reconquête de la Sicile sur les Musulmans.

[139] Bemold de Constance, a. 1091.

[140] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, 1re p, p. 352.

[141] Plus que jamais Henri IV affirme son droit de nommer les évêques. A Zeitz, Frédéric de Goseck, canoniquement élu, est venu en Italie chercher l'investiture impériale ; le roi la lui refusa et désigna Walram, sans autre raison que son bon plaisir. Cf. Meyer von Knonau, op, cit., t. IV, p. 295-297.

[142] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 289-290, 304-305, 363.

[143] Donizon, II, v. 625 et suiv.

[144] Donizon, II, v. 663 et suiv.

[145] Donizon, II, v. 724 et suiv.

[146] On y relève sa présence à la fin de 1092 (Stumpf, 2916) et le 25 avril 1093 (Ibid., 2917).

[147] La meilleure version de cet événement se trouve dans Bernold de Constance (a. 1093), qui n'a pas versé dans les exagérations des autres chroniqueurs ni colporté les mêmes anecdotes scandaleuses et quelque peu difficiles à admettre que l'on trouve chez Ekkehard d'Aura et d'autres annalistes. Cf. aussi Donizon, II, v. 835 et suiv.

[148] Bernold de Constance, a. 1093.

[149] Cf. Anemüller, Geschichte der Verfassung Mailands in den Jahren 1075-1117, Diss. Halle, 1881, p. 15-17, et Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 394-395. La question du mouvement urbain sera traitée dans son ensemble au tome IV.

[150] Henri IV, qui redoutait l'évêque de Constance, a essayé de lui susciter un compétiteur dans son diocèse en la personne de l'abbé de Saint-Gall, Arnold, auquel il donna l'investiture et qu'il fit consacrer par Clément III, le 28 mars 1092, mais Arnold fut éconduit par les habitants de Constance qui restèrent fidèles à Gebhard. Cf. Bernold de Constance, a. 1092.

[151] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 383 et suiv. — On a discuté (cf. ibid., p. 402) sur la nature du serment prêté à Gebhard par Welf de Bavière et Berthold de Souabe. Le reçoit-il comme évêque de Constance ou comme légat pontifical ? Aucun texte ne permet de se prononcer formellement en faveur de l'une ou l'autre hypothèse, quoique la seconde paraisse plus plausible.

[152] Ce caractère nouveau de la lutte a été fort bien mis en lumière par Hauck, op. cit., t. III, p. 861 et suiv.

[153] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 403-406.

[154] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 406-407 ; A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, roi de France, p. 426-429.

[155] On trouvera cette lettre dans le Codex Udalrici, n° 87 (Monumenta Bambergensia, p. 87-92).

[156] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 420-421.

[157] Chalandon, op. cit., t. I, p. 299-301.

[158] Jaffé-Wattenbach, p. 5492 et suiv.

[159] Yves de Chartres, qui était alors auprès de lui, témoigne (epist. 27) que les choses se sont passées pacifiquement.

[160] Cf. Geoffroy de Vendôme, Epist. I, 8, qui raconte comment le pape, dénué de tout, ne put trouver ce qui était nécessaire pour payer la trahison du chef guibertiste installé au Latran et comment il facilita lui-même la solution de l'affaire en donnant à Urbain II une somme d'argent, ainsi que des chevaux et des mules.

[161] Sur l'itinéraire d'Urbain II, voir : Jaffé-Wattenbach, 5526 et suiv.

[162] Cf. Bernold de Constance, a. 1095.

[163] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 427-431 ; Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, 1re p., p. 382-383.

[164] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, 1re p., p. 387.

[165] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 304-395. Sur cette question des ordinations simoniaques, cf. L. Saltet, Les réordinations, p. 218-257.

[166] Sur les théories de Bonizon, voir : Paul Fournier, Bonizo de Sutri, Urbain II et la comtesse Mathilde dans Bibl. Éc. des Chartes, t. LXXVI, 1915, p. 276 et suiv.

[167] C'est en 1094 que Deusdedit a publié son traité Contra invasores et symoniacos et reliquos scismaticos, qu'on trouvera dans les Libelli de lite, t. II, p. 300-365. La même année, Gebhard de Constance a demandé à Bernold une véritable consultation canonique dont le légat et le pape ont adopté les conclusions.

[168] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 399-403. Il sera question de la croisade au chapitre VIII.

[169] On trouvera les canons de ces conciles dans Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 447 et suiv.

[170] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 447.

[171] Chalandon, op. cit., t. I, p. 301.

[172] Sur l'itinéraire de Henri IV, voir : Meyer von Knonau, op, cit., t. IV, p. 469-473.

[173] Ce fait a été fort bien mis en lumière par Hauck, op. cit., t. III, p. 873-874.

[174] Meyer von Knonau, op. cit., t. IV, p. 460 et suiv., et t. V, p. 22 et suiv.

[175] Jaffé-Wattenbach, 5662.

[176] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 63-65 ; Bretholz, Geschichte Böhmens and Mährens, p. 190.

[177] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 13-14 et 44-45.

[178] Chalandon, op. cit., t. I, p. 301 et suiv, Amalfi, en 1096, s'était proclamée indépendante et c'est seulement en 1100 que Roger réussira à la reprendre. Sur les rapports d'Urbain II avec Roger de Sicile, voir l'article cité plus haut de Jordan où l'on verra comment a été réglée par un véritable concordat la question de la légation sicilienne qui divisait le pape et le comte.

[179] On consultera pour cette période, outre les ouvrages précédemment indiqués : G. Peiser, Der deutsche Investiturstreit unter Kaiser Heinrich V bis zum pàpstlichen Piivileg vom 3 avril 1111, Berlin, 1883 ; J. Roskens, Kaiser Heinrich Vund Papst Paschalis II von der Erteilung des Privilegs am 13 avril 1111 bis zum Tode des letzeren am 21 janvier 1118, 1885 ; C. Willing, Zur Geschichte des Investiturstreils, Leipzig, 1896 ; Bernard Monod, Essai sur les rapports de Pascal II et de Philippe Ier, Paris, 1907 ; M. Maurer, Papst Calixt II, Munich, 1886-1889 ; U. Robert, Histoire du pape Calixte II, Paris, 1891 ; E. Bernheim, Zür Geschichte des Wormser Concordates, Göttingen 1877 et das Wormser Konkordat und seine Vorurkunden, Breslau, 1906 ; M. Rudorff, Zur Erklürung des Wormser Konkordates dans Quellen und Studien zur Verlassungs geschichte, Weimar, 1906 ; D. Schäfer, Zur Beurtheilung des Wormser Konkordates, Berlin, 1905. — On trouvera un bon nombre de textes intéressant cette période dans E. Bernheim, Quellen zur Geschichte des Investiturstreites, 2e p., Leipzig, 1907.

[180] Sur l'élection, voir le témoignage de Pascal II lui-même (Jaffé-Wattenbach, 5807). On trouvera les autres textes dans Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 78-79.

[181] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 107.

[182] Voir à ce sujet le récit de Pierre Pisan dans sa biographie de Pascal II et celui des Annales Romani.

[183] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 102-103.

[184] Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. III, p. 881.

[185] Jaffé-Wattenbach, 5817. On a discuté sur la date de cette lettre ; il semble bien qu'il y ait lieu avec Buchholz (Ehkehard von Aura, t. I, p. 139) de la placer en 1101 et non pas en 1100, et qu'elle soit une réponse à l'assemblée de Mayence.

[186] Sur cette querelle de succession, cf. surtout Bretholz, op. cit., p. 190 et suiv.

[187] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 128-130 et 151-155.

[188] Jaffé-Wattenbach, 5889.

[189] Héfélé-Leclercq, t. V, Ire p., p. 474-475.

[190] Cf. Hauck, op. cit., t. III, p. 881-883 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 172.

[191] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 173-176.

[192] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 179. — Il est à remarquer également qu'au moment où Henri IV se montre prêt à s'amender, le comte Henri de Heiligenberg chasse de Constance le légat Gebhard, sans que le roi ait rien fait pour l'en empêcher (cf. ibid., p. 181-182) et que de Liège, où l'évêque Otbert lui était tout dévoué, part une violente attaque contre Pascal II, l'Epistola Leodicensium adversus Paschalem papam (Libelli de lite, t II, p. 451-464), ce qui laisserait supposer un double jeu.

[193] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 204-205.

[194] La lettre de Pascal II a été conservée par la chronique du Mont-Cassin, IV, 36. La date en a été très discutée. On ne peut la placer avec Jaffé-Wattenbach (6070) au début de 1106, ni admettre avec Henking (Gebhard von Konsianz, p. 91) qu'elle soit la combinaison de deux bulles, l'une de 1105, l'autre de 1106. Cf. à ce sujet Meyer von Knonau, op. cit., p. 216, n. 8, et Peiser, op. cit., p. 9-13. En réalité cette bulle est la conclusion naturelle de l'ambassade de Henri V et ne peut avoir été écrite que dans les premiers mois de 1105.

[195] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 220-230.

[196] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 230 et suiv. Sur l'attitude de Pascal II, voir surtout la lettre à Ruthard, du 11 novembre lIo5 (Jaffé-Wattenbach, 6050).

[197] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 250 et suiv.

[198] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, 1re p., p. 475-476.

[199] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, i1e p., p. 496-497. Après une pénitence de trois jours, Brun fut réintégré et reçut même le pallium des mains du pape.

[200] Jaffé-Wattenbach, 6050.

[201] Hauck, op. cit., t. III, p. 889.

[202] Sur les théories d'Yves de Chartres, voir : Esmein, La question des investitures dans les lettres d'Yves de Chartres, Paris, 1889 ; P. Fournier, L'œuvre canonique d'Yves de Chartres et son influence dans Revue des questions historiques, t. LXIIT, 1898, p. 51-98 et 384-405 ; A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, roi de France, p. 439-440.

[203] Ekkehard d'Aura, a. 1106.

[204] Pour son itinéraire, voir : Jaffé-Wattenbach, 6098 et suiv.

[205] Suger, Vie de Louis VI, c. 10.

[206] Sur la solution de l'affaire, voir : Le règne de Philippe Ier, p. 72-75.

[207] Sur ces événements, voir : Le règne de Philippe Ier, p. 446-447 ; Bernard Monod, op. cit., p. 53 et suiv.

[208] Suger, Vie de Louis VI, c. 10. Cf. Le règne de Philippe Ier, p. 447 ; B. Monod, La question des investitures à l'entrevue de Châlons dans Revue historique, t. CI, 1909, n. 80-87.

[209] Suger, Vie de Louis VI, c. 10.

[210] Gesta episcoporum Virdumusium, c. XIV. Au début de 1107. Henri V avait de même nommé des évêques à Halberstadt et à Bâle, un abbé à Corvey.

[211] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 65-74.

[212] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 79-81. — En 1110 (cf. ibid., p. 121-122), les Slaves s'avanceront jusqu'à Hambourg et se retireront en emmenant de nombreux captifs.

[213] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 130-131 et 239-240 ; Bretholz, op. cit., p. 191-192.

[214] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 61-65 ; Bretholz, op, cit., p. 192-194.

[215] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 81-88.

[216] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 94-103 et 112-113 ; Bretholz, op. cit., p. 195-197.

[217] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 508-510.

[218] Cf. notamment le Tractatus de investitura episcoporum, œuvre d'un clerc de Liège, dans les Libelli de Lite, t. II, p. 495-504.

[219] Liber de anulo et baculo dans les Libelli, t. II, p. 508-533.

[220] Meyer von Knonau. op. cit., t. VI, p. 129-137.

[221] Cf. Chalandon, op. cit., t. I, p. 354-358.

[222] On trouvera le texte du message dans les Constitutiones et acta imperatorum, t. I, p. 134.

[223] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 138 et suiv. Cf. aussi Gernandt, Die erste Romfakrt Meinrichs, V.

[224] Jaffé-Wattenbach, 5909.

[225] Cette réserve est indiquée par le chroniqueur Ekkehard d'Aura auquel on doit la principale version de ces événements. Sur sa valeur, cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 147, n. 15.

[226] On a conservé sur ces faits une relation rédigée dans l'entourage du pape et une autre désignée sous le nom d'Encyclica Heinrici, qui constitue là version impériale. Entre ces deux textes il existe des divergences de détail, mais ils ne se contredisent pas sur les faits essentiels.

[227] La parole du pape a été rapportée par la chronique du Mont-Cassin, IV, 40. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 165 et suiv ; Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire, p., p. 521 et suiv.

[228] On trouvera le texte des serments et du privilège de Pascal II dans Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, 1re p., p. 524-526.

[229] Chronicon monasterii Casinensis, IV, 42.

[230] On trouvera ces lettres dans les Libelli de Lite, t. II, p. 563-565 ; mais leur éditeur, Sackur, les place à tort en février, alors qu'elles sont certainement postérieures aux événements romains de février-août. Sur Brun de Segni, voir surtout : Gigalski, Bruno, Bischof von Segni, Abt von Monte Cassino (1049-1123), sein Leben and seine Schriften dans Kirchengeschichtliche Studien, t. III, fasc. 4.

[231] Telles sont aussi les conclusions de Placide de Nonantula dans son Liber de honore ecclesiæ, rédigé à la fin de 1111 (Libelli, t. II, p. 568-639). Cf. Kayser, Placidus von Nonantula, Ein Beitrag zar Geschichte des Investiturstreits.

[232] On trouvera cette lettre dans les Libelli, t. II, p. 680-683. Sur Geoffroy de Vendôme, cf. Compain, Étude sur Geoffroy de Vendôme, Paris, 1891.

[233] Cf. Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, ire p., p. 531.

[234] Voir sa lettre dans les Libelli, t. II, p. 649-654.

[235] Meyer von Knonau, op. cit., t. V, p. 265.

[236] Le fait est affirmé par Suger, Vita Ludovici VI, c. 10, et dans une lettre d'Hildebert de Lavardin (Libelli, t. II, p. 671). Pascal II, en juillet IIII, s'est retiré dans une des îles Pontines et n'est revenu au Latran qu'en octobre (J. W., 6305). Cf. Schum, Kaiser Heinrich V und Papst Paschalis II im Jahre 1112 dans Jahrbücher Konigl. Akad. Erfurt, nouv. série., t. VIII, 1877, p. 221.

[237] Jaffé-Wattenbach, 6305.

[238] Jaffé-Wattenbach, 6326.

[239] Jaffé-Wattenbach, 6325.

[240] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 532-534.

[241] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 535-536.

[242] Henri V, au dire des Gesta episcoporum Engolismensium, remit même des présents à Gérard, conformément à la tradition. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 234.

[243] Jaffé-Wattenbach, 6330.

[244] Cf. les lettres d'Azzon, évêque d'Acqui, et de Bérald, abbé de Farfa, dans le Codex Udalrici, n° 161 et 162.

[245] Sur les premières difficultés de Henri V en Saxe, cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 250 et suiv.

[246] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 256 et suiv.

[247] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 295-298.

[248] Au moment de son mariage, Henri V avait eu le tort de faire arrêter le comte Louis de Thuringe venu pour le saluer et cette maladresse avait suscité les colères des Saxons.

[249] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 299-311.

[250] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 321-325.

[251] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, 1re p., p. 552-553.

[252] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 334-335.

[253] Meyer von Knonau, op, cit., t. VI, p. 335-339.

[254] Meyer von Knonau, op. cit., t. VI, p. 356 et suiv.

[255] Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 1-5.

[256] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 553-557.

[257] Pour son itinéraire, cf. Jaffé-Wattenbach, 6544-6545.

[258] Voir le récit de ces événements dans Pierre Pisan et les Annales Romani.

[259] Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 27 et suiv.

[260] La date est donnée par Pierre Pisan et Foulque de Bénévent.

[261] On connaît surtout cette élection par le récit du biographe de Gélase II, le diacre Pandolf.

[262] Pandolf, Vita Gelasii II.

[263] Pandolf, Vita Gelasii II et Annales Romani.

[264] Jaffé-Wattenbach, 6632 et 6635.

[265] Jaffé-Wattenbach, 6642.

[266] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 564-506.

[267] Meyer von Knonau, op, cit., t. VII, p. 73-78.

[268] Sur l'itinéraire de Gélase II, cf. Jaffé-Wattenbach, 6651 et suiv.

[269] Voir le récit de l'entrevue dans Pandolf, Vita Gelasii II, et Suger, Vita Ludovici VI, c. 27.

[270] Jaffé-Wattenbach, 6664 et suiv.

[271] Ulysse Robert, Histoire du pape Calixte II, p. 45.

[272] Les convocations sont parties de Brioude les 4 et 6 mai. Cf. Jaffé-Wattenbach. 6693.

[273] Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 17-26, 42-49, 78-82.

[274] Meyer von Knonau, op, cit., t. VII, p. 97-102.

[275] Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 103-104.

[276] Nous avons, pour ces négociations et pour celles qui suivent, le récit d'un témoin oculaire, Hesson, qui accompagnait Guillaume de Champeaux, intitulé Commentariolus et publié dans les Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XII, p. 422-428. On en trouvera de nombreux extraits traduits dans Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p. Cf. pour l'entrevue de Strasbourg, ibid., p. 574, n. 3.

[277] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 575-576. On trouvera le texte des déclarations dans les Constitutiones et acta imperatorum, t. I, p. 157.

[278] Sur les-débats du concile de Reims, voir surtout Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 576 et suiv.

[279] On peut se demander aussi, en raison de la résistance soulevée du côté impérial par le nouveau texte, si l'on n'a pas essayé de substituer à la formule acceptée par Henri V : Je renonce à toute investiture sur les églises, celle qui fut proposée au concile de Reims et souleva un violent tumulte dans l'assemblée, car elle impliquait la fin de toutes les investitures données par les laïques sur les églises et les biens des églises (Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 589). Il n'avait pas été question des biens dans les précédentes conversations où l'on avait semblé admettre que ces biens relevaient du pouvoir temporel.

[280] Nous avons suivi le récit de Hesson dont on trouvera un résumé dans Héfélé-Leclercq, op. cit.. t. V, 1re p., p. 583-586.

[281] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 591.

[282] Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 141-147.

[283] Meyer von Knonau, pp. cit., t, VII, p. 166-174.

[284] C'est l'expression, dont se sert Ekkehard d'Aura auquel on doit le récit des délibérations de l'assemblée. Cf. Meyer von Knonau, op. cit.. t. VII, p. 174-175.

[285] Jaffé-Wattenbach, 6842 et suiv.

[286] Ulysse Robert, op. cit., p. I03 et suiv.

[287] Jaffé-Wattenbach, 6950. On trouvera une traduction de la lettre du pape dans U. Robert, op. cit., p. I41-143.

[288] Au moment où les négociations entraient dans leur phase décisive, elles faillirent être troublées par une fâcheuse initiative de Henri V. L'évêque de Wurtzbourg, Erlung, étant mort, l'empereur désigna de sa propre autorité, pour lui succéder, un jeune étudiant, qui n'avait reçu aucun ordre ecclésiastique, Gebhard, qu'il vint lui-même installer en février 1122, mais à peine est-il parti que le clergé élit canoniquement un chanoine du diocèse, Rugger, dont l'archevêque de Mayence, Adalbert, s'empresse de confirmer l'élection avec l'assentiment des trois cardinaux envoyés par Calixte II. La guerre civile recommence à cette occasion, mais elle n'empêche pas les négociations d'aboutir. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 188 et suiv.

[289] On trouvera cette lettre dans les Monumenta Bambergensia, p. 518-522.

[290] Ekkehard d'Aura, a. 1122.

[291] Voir le texte de ces déclarations dans les Constitutiones et acta, t. 1, p. 159-161.

[292] Jaffé-Wattenbach, 6995.

[293] On trouvera un résumé des discussions auxquelles le concordat de Worms a donné lieu, dans Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, Excurs I, p. 349-354 et Héfélé-Leclercq, op, cit., t. V, 1re p., p. 620, n. 2. Pour la question des regalia, voir notamment Rudorff, Zur Erklâruttg des Wormser Konkordates dans Quellen und Studien zur Verfassungsgeschichte, 1906, p. 33 et suiv. — On s'est aussi demandé pour quelle durée le concordat avait été conclu. Pour Rudorff (ibid., p. 43 et suiv.), il n'a qu'une valeur temporaire et n'engage que les deux contractants, tandis que pour le Dr Schäfer (Zur Beurtheilungdes Wormser Konkordates), c'est un acte définitif qui fixe pour toujours les droits respectifs du pape et de l'empereur dans la collation des évêchés. Cette seconde interprétation nous paraît devoir être admise et, bien que le concordat n ait pas été toujours observé parles successeurs de Henri V, ce n'est qu'assez tardivement que l'on verra intervenir l'interprétation adoptée par M. Rudorff.

[294] On trouvera le texte de ces canons dans Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, 1re p., p. 630 et suiv.

[295] Voir surtout Pandolf. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 258-259.

[296] Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 246-247.

[297] Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 250 et suiv.

[298] Il sera question de cette expédition allemande en France au chapitre suivant auquel nous renvoyons.

[299] Meyer von Knonau, op. cit., t. VU, p. 318-320.

[300] Meyer von Knonau, op. cit., t. VII, p. 322-323.