HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

DEUXIÈME PARTIE. — PROBLÈMES POLITIQUES ET RELIGIEUX DE 962 À 1025

 

CHAPITRE IV. — L'AFFRANCHISSEMENT DE L'ÉGLISE ROMAINE.

 

 

I. — Le pontificat d'Étienne IX (1057-1058)[1].

 

L'ÉLECTION PONTIFICALE DU 2 AOÛT 1057. — La mort de Henri III a été presque immédiatement suivie de celle du pape Victor II que l'empereur avait, suivant l'usage, désigné en 1055 pour succéder à Léon IX[2]. Rentré en Italie au début de 1057, après avoir fait reconnaître Henri IV comme roi de Germanie et l'impératrice Agnès comme régente, le pontife mourut à Arezzo le 28 juillet[3].

Aussitôt la nouvelle connue à Rome, les clercs se réunirent et, avec l'approbation du peuple, élurent, pour succéder à Victor II, l'abbé du Mont-Cassin, Frédéric de Lorraine, qui reçut le nom d'Étienne IX et fut immédiatement consacré (2 août 1057)[4].

Ce coup d'audace est une première étape vers l'affranchissement de l'Église romaine à l'égard de la royauté germanique. Les prédécesseurs d'Étienne IX ont tous été des créatures de Henri III ; Léon IX et Victor II, si acquis qu'ils fussent aux idées de réforme, ont été nommés par l'empereur dont les Romains n'ont fait que confirmer les décisions[5]. Il en est tout autrement en 1057 : on n'a pas envoyé en Germanie l'ambassade traditionnelle, chargée de solliciter la désignation d'un pape ; en cinq jours tout a été réglé directement et, comme pour souligner la portée de ce geste d'indépendance, on a confié la succession de Victor II à un membre de cette maison de Lorraine qui, fortement assise dans l'Italie du Nord, pouvait contrarier sérieusement l'influence allemande dans la péninsule.

ÉTIENNE IX. — Étienne IX est en effet le propre frère de Godefroy le Barbu qui, revenu en Italie sans doute en même temps que Victor II, s'est empressé d'affermir son autorité sur les riches pays qui lui revenaient du fait de son mariage avec Béatrix. Marquis de Toscane, reconnu par le nouveau pape comme duc de Spolète et marquis de Fermo, maître de la Pentapole[6], Godefroy est à la tête d'un vaste État qui s'étend, par-dessus l'Apennin, de la mer Tyrrhénienne à l'Adriatique et lui permet, par sa situation même, de dominer toute la péninsule au nord de Rome. Il est suffisamment fort pour protéger le Saint-Siège contre toute tentative destinée à briser son indépendance et pour empêcher le renouvellement de l'usurpation césaro-papiste de 1046.

Grâce à cette précieuse parenté, Étienne IX pourra dégager la papauté de l'étreinte germanique et poursuivre une politique nouvelle. Il représente dans l'Église une tendance différente de celle de ses prédécesseurs et surtout il apporte au service de ses idées réformatrices la plus inflexible volonté. Originaire du diocèse de Liège où il fut archidiacre de Saint-Laurent[7], il a subi l'influence de Wason et s'est toujours montré hostile à l'ingérence du pouvoir temporel dans les affaires ecclésiastiques. Il est venu à Rome au début du pontificat de Léon IX et, avec Humbert de Moyenmoutier, y a introduit les idées lorraines suivant lesquelles la réforme de l'Église ne pouvait être réalisée sans l'affranchissement préalable du sacerdoce vis-à-vis de la puissance laïque. Léon IX lui a témoigné sa confiance en le dépêchant à Constantinople avec le cardinal Humbert pour essayer de prévenir le schisme oriental. Au retour de sa mission, il a appris la mort du pape et la désignation de Victor II par l'empereur. Au lieu de rentrer à Rome, il s'est enfermé au Mont-Cassin, affectant à l'égard de Henri III et du pontife, instrument du césaro-papisme, une attitude de défiance inquiète et méprisante. Pour prévenir une opposition redoutable, Victor II le créa cardinal-prêtre au titre de Saint-Chrysogone (24 juin 1057), mais Frédéric ne modifia pas sa manière de voir et, se confinant dans les devoirs de sa charge d'abbé du Mont-Cassin, il vécut dans la retraite jusqu'au jour où, à la mort de Victor II, les Romains, très spontanément, lui offrirent la tiare, affirmant sur son nom leur volonté d'en finir avec le césaro-papisme impérial[8].

ATTITUDE DE LA ROYAUTÉ GERMANIQUE. — Tout en proclamant par son acceptation l'indépendance du siège apostolique, Étienne IX ne veut pourtant pas briser avec la cour de Germanie. S'il dénie à celle-ci le droit de nommer lè pontife romain, il n'hésite pas cependant à lui notifier son élection. Il envoie en Allemagne, à cette fin, le moine Hildebrand qui, après s'être sans doute arrêté quelques jours à Milan, rejoignit à Goslar, au moment de Noël, le jeune Henri IV et sa mère. On n'a aucun détail sur les entretiens qui eurent lieu entre l'impératrice régente ét le légat pontifical ; on en sait seulement l'issue : Agnès reconnut Étienne IX, malgré toute l'antipathie que lui inspirait le nouveau pape par suite des circonstances où il avait été élu[9].

Elle ne pouvait, sans témérité, adopter une autre ligne de conduite. En Allemagne, la mort de Henri III avait suscité une certaine agitatiài1 avec laquelle elle devait compter. En Italie, la maison de Lorraine était trop forte pout qu'elle pût l'affronter sans péril ; à Milan, la disparition de l'empereur avait déchaîné le mouvement des Patares, adversaires du haut clergé simoniaque et nicolaïte, qui, dirigés par deux chefs audacieux, Ariald et Landulf, attaquaient les prêtres mariés et n'hésitaient pas à en appeler à Rome de l'excommunication lancée contre eux par les prélats impérialistes[10]. Dans l'Italie du Sud, les princes normands, Richard d'Aversa et Robert Guiscard, songeaient beaucoup plus à consolider leurs positions qu'à reprendre la lutte contre le Saint-Siège et, tandis que Richard s'emparait de Capoue, dont le prince, Pandolf, venait de mourir, et achetait Aquino, Robert mettait la main sur là Fouille[11].

MORT D'ÉTIENNE IX. — La situation de l'Allemagne et de l'Italie obligeait donc la régente à s'incliner devant le fait accompli. D'ailleurs, au bout de quelques mois, elle fut délivrée de l'affreux cauchemar que lui avait valu l'élection si inattendue d'Étienne IX, car, dès le 29 mars 1058, ce dangereux réformateur mourait, sans avoir eu le temps d'exécuter son programme[12].

LE TRAITÉ DU CARDINAL HUMBERT CONTRE LES SIMONIAQUES. — Si court qu'il ait été, le pontificat d'Étienne IX n'en a pas moins eu une importance décisive. L'élection du 2 août 1057 a mis fin à la tutelle allemande sur Rome. Quelques mois plus tard, le cardinal Humbert de Moyenmoutier, ami et confident d'Étienne IX, publie son fameux traité Adversus Simoniacos où, disciple de Wason et dépositaire de la tradition lorraine, il dénonce avec une mordante âpreté l'usurpation par les puissances laïques de prérogatives purement ecclésiastiques, pour conclure que le seul moyen d'en finir avec les abus qui désolent l'Église, c'est d'arracher les élections épiscopales aux rois et aux seigneurs, puis de les restituer, conformément à la tradition, au clergé et au peuple. On peut voir dans cette thèse la justification canonique de l'élection d'Étienne IX. Le cardinal propose d'étendre à tous les évêchés la procédure adoptée en la circonstance. Il s'efforce, en outre, de subordonner plus étroitement le pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Celui, dit-il, qui veut comparer avec vérité et utilité la dignité sacerdotale et la dignité royale, pourra dire que le sacerdoce dans l'Église est semblable à l'âme, le royaume au corps, parce qu'ils s'aiment mutuellement, qu'ils ont besoin l'un de l'autre et que chacun exige le concours de l'autre. Mais, de même que l'âme domine le corps et lui commande, de même la dignité sacerdotale est supérieure à la dignité royale, comme le ciel à la terre. Pour que tout soit en ordre, le sacerdoce doit, comme l'âme, déterminer ce qu'il faut faire, puis le royaume, comme la tête, commandera à tous les membres et les divisera où il faut[13].

Il y a là tout un programme de réforme, antithèse des traditions césaro-papistes qui, jusqu'à la mort de Henri III, ont animé la politique ecclésiastique des empereurs. Ce programme était celui d'Étienne IX qui n'a pu l'appliquer. A son tour, Nicolas II (1059-1061) va le faire sien et il le réalisera partiellement en libérant le Saint-Siège du joug des pouvoirs temporels.

 

II. — Les décrets de Nicolas II (1059-1061)[14].

 

ÉLECTION DE BENOIT X PAR LA NOBLESSE ROMAINE. — Étienne IX est mort au cours d'un voyage en Toscane. Avant de quitter Rome, se sentant malade et redoutant une mort prochaine, il avait réuni les cardinaux et les cives romani pour leur enjoindre, sous peine d'excommunication, de ne pas procéder à l'élection de son successeur avant le retour d'Hildebrand, alors en Allemagne[15].

Sa volonté ne fut guère respectée. Le pape avait à peine rendu le dernier soupir que la noblesse romaine, dirigée par les comtes de Tusculum et de Galeria, acclamait, pour lui succéder, Jean Mincius, évêque de Velletri. Les cardinaux et, en particulier, Pierre Damien qui, comme évêque d'Ostie, aurait dû consacrer le nouveau pontife, refusèrent de ratifier une élection aussi singulière. On se passa de leur consentement et, le 5 avril 1058, Jean fut intronisé sous le nom de Benoît X[16]. Il semblait que l'on fût revenu aux temps de Théophylacte où l'aristocratie seule disposait de la tiare.

L'ÉLECTION DE NICOLAS II. — En dépit de telles apparences la situation avait changé et le parti de la réforme qui, lors de l'avènement d'Étienne IX, avait affranchi le Saint-Siège de la tutelle germanique, n'était pas disposé à tolérer une intrusion encore plus dangereuse. Lorsque Hildebrand fut revenu d'Allemagne (juin 1058), il désigna comme pape, sans doute après s'être mis d'accord au préalable avec l'impératrice régente, Gérard, évêque de Florence, qui devint Nicolas II[17].

Il s'agissait maintenant de se débarrasser de l'intrus qui tenait Rome. Benoît X, peu enchanté du rôle qu'on lui faisait jouer, n'opposa pas une vive résistance. Aussi, dès le 24 janvier 1059, grâce à l'appui de Godefroy le Barbu et du chancelier impérial en Italie, Guibert de Parme, grâce aussi aux intelligences qu'Hildebrand lui avait ménagées dans la ville, Nicolas II entre à Rome après un combat de rues, prend possession du Latran, puis est solennellement intronisé à Saint-Pierre. Benoît X tiendra encore quelque temps dans la campagne et ne fera sa soumission définitive qu'en 1060[18].

LE CONCILE DU LATRAN ET LE DÉCRET DU 13 AVRIL 1059. — Avant même d'avoir triomphé de son compétiteur, Nicolas II s'est mis résolument à l'œuvre et a traduit en actes les théories énoncées, sous le pontificat précédent, par le cardinal Humbert.

Le 13 avril 1059, un grand concile réunit au Latran quatre-vingts évêques, pour la plupart italiens[19]. Devant cette imposante assemblée le pape promulgue un décret sur l'élection pontificale. Désormais, lorsque le siège apostolique sera vacant, les cardinaux-évêques régleront toutes choses avec le plus grand soin, puis feront appel aux cardinaux-clercs ; le reste du clergé et du peuple consentira à la nouvelle élection, en sorte que, pour empêcher le poison de la vénalité de se glisser sous un prétexte ou sous un autre, les hommes religieux soient les premiers à promouvoir l'élection du pontife, tandis que les autres suivront. Les droits de l'empereur, roi de Germanie, sont réservés en ces termes, volontairement très vagues : étant saufs l'honneur et la révérence dus à notre très cher fils Henri, actuellement roi et bientôt, nous l'espérons, empereur avec la permission de Dieu. Il est enfin prévu que, si l'élection ne peut avoir lieu à Rome, les cardinaux-évêques se transporteront ailleurs avec les clercs et les laïques quoique peu nombreux et que, si l'élu ne peut être intronisé par suite de la guerre ou des luttes de partis, il aura pourtant le droit de gouverner l'Église romaine et de disposer de ses revenus[20].

Cette simple analyse du décret du 13 avril 1059 fait ressortir les caractères de la nouvelle législation : Nicolas II restitue l'élection pontificale au clergé, auquel elle appartenait avant la constitutio romana de 824, et, au sein du clergé, il crée une catégorie d'électeurs privilégiés, les cardinaux-évêques ou titulaires des évêchés suburbicaires, Les laïques sont du même coup exclus de l'élection, qu'il s'agisse de la noblesse locale ou du roi de Germanie, patrice des Romains. L'indépendance du Saint-Siège à l'égard des puissances séculières se trouve ainsi consacrée et c'est là une étape importante vers son affranchissement.

CONSÉQUENCES POLITIQUES DU DÉCRET SUR L'ÉLECTION PONTIFICALE. — Il était à prévoir que le décret sur l'élection pontificale serait mal accueilli par ceux qu'il dépouillait de leurs traditionnelles prérogatives. L'aristocratie romaine continua à soutenir Benoît X, mais le Saint-Siège disposait de trop puissants alliés pour, qu'elle pût être dangereuse. Quant à l'Allemagne, elle ne semblait pas plus redoutable, au moins pour l'instant. Quoiqu'elle eût rétabli la paix intérieure, la régente était toujours astreinte à la prudence et elle ne pouvait compter, en Italie, sur aucun concours efficace : Godefroy de Lorraine était tout dévoué au Saint-Siège et l'opposition patare, sans cesse grandissante, immobilisait plus que jamais les évêques impérialistes de Lombardie. Pourtant la mesure prise par le pape lésait trop gravement les intérêts de la couronne pour qu'on pût la laisser passer sans esquisser au moins un geste de désapprobation.

Aussitôt après le concile du Latran, Nicolas II avait dépêché au delà des monts le cardinal Étienne, pour notifier à la régente et à son entourage les décisions qui venaient d'être prises. On refusa de recevoir l'envoyé du siège apostolique qui, après avoir vainement attendu pendant cinq jours l'audience qu'il sollicitait, dut se retirer sans avoir accompli sa mission. Quelques mois plus tard, les évêques allemands', réunis en concile, prononcèrent contre le pape une sentence de condamnation et cassèrent tous ses actes[21].

LE DÉCRET D'AVRIL 1060. — Cette résistance ne fait pas fléchir Nicolas II. En avril 1060, il tient un second concile au Latran et promulgue à nouveau le décret sur l'élection pontificale, en maintenant ses dispositions essentielles : tractatio par les cardinaux-évêques, approbation des ordres inférieurs, possibilité pour les cardinaux de procéder à l'élection en dehors de Rome. Toutefois, tandis que le décret de 1059 mentionne le double consentement du clergé et du peuple, celui de 1060 reste muet sur l'élément laïque ; de même, la phrase sur l'honneur et la révérence dus au très cher fils Henri est supprimée. Telle est la réponse du pape aux menées tumultueuses de l'aristocratie romaine et à l'attitude si insolemment dédaigneuse de la cour germanique[22].

LE SERMENT DE ROBERT GUISCARD. — Nicolas II pouvait se permettre sans danger cette manifestation. Outre l'alliance de Godefroy de Lorraine, il dispose, à cette date, d'un appui non moins précieux, celui des princes normands de l'Italie du Sud, réconciliés avec la papauté. Dès le mois de juillet 1059, il s'est rendu en Pouille et un concile, tenu à Amalfi le 23 août, a reçu le serment de fidélité de Robert Guiscard[23].

Les premières ouvertures étaient d'ailleurs venues de Robert, mis au courant des dispositions de Nicolas II par l'abbé du Mont-Cassin, Didier, qui, en cette négociation, servit constamment d'intermédiaire. Le Normand avait tout intérêt à se réconcilier avec le Saint-Siège : l'État qu'il avait fondé par une série de violentes usurpations était dépourvu d'existence légale. Rival de Byzance, il ne pouvait songer davantage à devenir le vassal de l'empereur germanique qui, depuis un siècle, convoitait les terres sur lesquelles le prince normand venait d'établir sa puissance. Puisque la papauté s'était dégagée de la tutelle allemande, il avait tout intérêt à faire bloc avec elle et, en reconnaissant sa suzeraineté, il pouvait, du même coup, prendre place dans la hiérarchie féodale.

On s'explique donc que Robert ait envoyé une ambassade à Nicolas II et qu'il se soit rendu au-devant de lui, dès que sa présence fut signalée. Lors de l'entrevue d'Amalfi, il se proclama son vassal, reçut de lui le titre de duc avec la possession de la Pouille, de la Calabre et de quelques enclaves dans le Latium, promit d'être l'allié du Saint-Siège et s'engagea, au cas où le pape mourrait avant lui, à aider les meilleurs cardinaux, ainsi que le clergé et les laïques de Rome, à procéder à l'élection d'un nouveau pape, afin que ce pape fût ordonné pour l'honneur de Saint-Pierre[24].

Cette dernière disposition souligne le caractère de l'alliance normande : elle garantit l'exécution du décret du 13 avril 1059 l'indépendance de la papauté que peuvent menacer demain la noblesse romaine et la royauté germanique, évincées de l'élection pontificale.

RAPPROCHEMENT DE LA PAPAUTÉ AVEC LA FRANCE. — Nicolas II a voulu compléter l'orientation nouvelle qu'il imprimait à la politique du Saint-Siège par un rapprochement avec la France. Deux légats pontificaux assistent, le 23 mai 1059, au sacre du jeune Philippe Ier qui, l'année suivante, devait succéder à son père[25]. En outre, par l'intermédiaire de l'archevêque de Reims, Gervais, tout acquis aux idées réformatrices, le pape négocie avec la monarchie capétienne une entente qui se resserrera sous le pontificat suivant et qui pourrait être fort utile en cas de rupture avec la Germanie[26].

LES MESURES RÉFORMATRICES. — Affranchi de la tutelle impériale, Nicolas II a les mains plus libres pour continuer l'œuvre réformatrice ébauchée par Léon IX et sur ce point son action est également décisive : les décrets sur l'élection pontificale sont accompagnés de canons visant le nicolaïsme et la simonie[27].

Conformément à la tradition de l'Église, Nicolas II interdit à tout prêtre, diacre, sous-diacre qui prend publiquement une concubine ou qui ne quitte pas celle qu'il a prise, de chanter la messe et d'assister à l'office' divin, en même temps qu'il défend aux fidèles d'entendre la messe d'un prêtre manifestement connu pour avoir auprès de lui une concubine. De plus, non content de sévir contre les coupables, il s'attache à prévenir le mal en prescrivant aux clercs la vie en commun qui leur permet d'exercer les uns sur les autres la plus salutaire surveillance[28].

La simonie est également J'objet de la sollicitude pontificale.

Le concile de 1059 renouvelle toutes les condamnations antérieures. A celui de 1060, le pape annonce son intention de ne plus garder le moindre ménagement envers les simoniaques, de les priver de leurs dignités, d'annuler à l'avenir leurs ordinations qu'il ratifie cependant pour le passé, en obéissant à un motif de miséricorde plutôt qu'à un sentiment de justice. En outre, il décide que désormais aucun clerc ne pourra recevoir en aucune façon une église des mains d'un laïque, soit gratuitement soit pour de l'argent[29].

L'OPPOSITION NICOLAÏTE. — De telles mesures ne pouvaient manquer de soulever les plus vives résistances parmi un clergé corrompu. On a conservé l'écho de ces protestations dans un pamphlet de 1060 qui a sans doute pour auteur l'évêque Ulrich d'Imola[30]. Ce rescrit d'Ulrich oppose à la thèse pontificale du célibat ecclésiastique celle du mariage sacerdotal : pour prévenir le désordre des mœurs cléricales que l'auteur affecte de déplorer, il est indispensable de permettre aux prêtres de contracter des unions légitimes et de n'obliger personne à la continence par une impérieuse contrainte. Comme l'on pouvait s'y attendre, cette facile théorie eut un grand succès, non seulement en Italie, mais aussi en Allemagne pt en France où ont paru des versions amplifiées du rescrit d'Ulrich[31].

L'ACTION RÉFORMATRICE DU SAINT-SIÈGE. — Cette opposition, si violente qu'elle ait pu être, ne désarma pas la volonté réformatrice du Saint-Siège. Sous Nicolas II, c'est surtout à Milan qu'elle eut l'occasion de se faire sentir. Le mouvement patare avait pris dans la métropole lombarde une intensité toujours croissante, mais le haut clergé restait sur ses positions et ne rompait pas avec ses fâcheuses habitudes. Pierre Damien, cardinal-évêque d'Ostie, et Anselme de Baggio, évêque de Lucques, tous deux ardents apôtres de la chasteté cléricale, furent envoyés par le pape dans la ville de saint Ambroise ; après de violents incidents, ils réussirent à arracher à l'archevêque Guy, sous la foi du serment, la promesse de ne plus exiger à l'avenir aucune redevance pour la collation des dignités ecclésiastiques et de ne plus tolérer le mariage des clercs, mais Guy, peu sincère, n'en continua pas moins à fermer les yeux sur les abus qui désolaient son église. La question milanaise se posera de nouveau sous les successeurs de Nicolas II[32].

La réforme de l'Église a été également poursuivie en France. Le cardinal Étienne, à son retour d'Allemagne, a tenu, le 17 février 1060, à Tours, un concile où il a promulgué, au nom du pape, la législation sur la simonie et le nicolaïsme[33]. Seule, la Germanie demeure fermée à l'influence romaine qui ne pourra s'y faire sentir de longtemps.

MORT DE NICOLAS II. — Nicolas II meurt prématurément le 27 juillet 1061[34]. Son pontificat, très court mais extraordinairement fécond, a été la préface de celui de Grégoire VII. Malheureusement ce pape clairvoyant et énergique aura un successeur animé des meilleures intentions, mais qui ne saura pas défendre contre les menées césaro-papistes de la royauté germanique les positions victorieusement conquises de 1057 à 1061.

 

III. — La réaction césaro-papiste sous Alexandre II (1061-1073)[35].

 

L'ÉLECTIQN D'ALEXANDRE II. — Après la mort de Nicolas II, le siège pontifical resta vacant plus de deux mois. Des troubles très graves éclatèrent à Rome, fomentés par la noblesse romaine qui, mécontente d'être écartée de l'élection, essaya d'empêcher l'application du décret de 1059. Les partisans de la réforme ne se laissèrent pas déconcerter. Didier du Mont-Cassin alla chercher le prince Richard d'Aversa et, sous la protection des troupes normandes, les cardinaux-évêques, usant de la prérogative que leur conférait la nouvelle législation, remirent la tiare à Anselme de Lucques qui prit le nom d'Alexandre II (1er octobre 1061)[36].

A bien des égards c'était un excellent choix. Adversaire des abus qui désolaient l'Église, Anselme avait lutté avec la plus généreuse ardeur contre les clercs nicolaïtes de Lombardie, sans verser dans les violences par lesquelles les Patares s'étaient parfois déshonorés. Il apparaissait comme un homme de juste milieu que l'on ne pouvait suspecter d'intransigeance, mais il lui manquait l'intelligence de son prédécesseur.

LE SCHISME DE CADALUS. — Dès son avènement, Alexandre II se trouva : aux prises avec une situation critique. Aussitôt après la mort de Nicolas II, le comte Gérard de Galéria avait provoqué l'envoi d'une ambassade en Germanie pour solliciter, au nom des Romains, la désignation comme pape de l'évêque de Parme, Cadalus. La cour allemande n'hésita pas : le 28 octobre 1061, après avoir appris l'élection par les cardinaux d'Anselme de Lucques, elle fit proclamer Cadalus par un concile réuni à Bâle[37]. Ce n'était pas qu'elle éprouvât à l'égard de ce prélat quelque peu taré des sympathies particulières : il s'agissait avant tout, en ne reconnaissant pas l'élu des cardinaux, de ruiner l'œuvre libératrice de Nicolas II et de restaurer le privilège impérial.

L'attitude de l'impératrice Agnès, qui avait osé pactiser avec les nobles romains, ennemis traditionnels de l'Empire aussi bien que du Sacerdoce, provoqua une vive indignation parmi les hommes d'Église. Cadalus traînait derrière lui un lourd passé qui n'était pas de nature à lui ménager les sympathies des réformateurs et ceux-ci lui opposèrent une résistance sans merci40.

Ils pouvaient compter sur Godefroy de Lorraine et sa femme Béatrix qui, dès que l'antipape eut été consacré sous le nom d'Honorius II, essayèrent de lui barrer la route de Rome. Malgré cela, à la fin de mars 1062, Cadalus, vigoureusement soutenu par l'évêque d'Albe, Benzon, réussit à s'approcher de la ville. Il battit les troupes pontificales, le 14 avril, au campus Leonis, força un instant l'entrée de la cité léonine et pénétra dans Saint-Pierre. Les choses tournaient mal pour Alexandre II qui avait dû se réfugier dans un monastère[38].

Godefroy de Lorraine était l'arbitre de la situation. Or, tout en étant favorable à Alexandre II, il souhaitait le réconcilier avec la cour allemande, afin d'organiser la lutte contre les Normands de l'Italie méridionale dont les progrès l'inquiétaient vivement. Les circonstances semblaient favorables à la réalisation de son vœu : une révolution de palais venait d'arracher le jeune Henri IV à la tutelle de sa mère et de porter au pouvoir l'archevêque de Cologne, Annon (avril 1062). Aussi, en mai 1062, Godefroy parut-il devant Rome. Il enjoignit aux deux compétiteurs de se retirer dans leurs diocèses respectifs, jusqu'à ce que le roi de Germanie eût pris une décision à leur égard[39].

Nicolas II n'aurait jamais accepté cette procédure humiliante qui remettait à une puissance laïque le soin de trancher un débat d'ordre canonique. Alexandre II ne vit pas sans doute qu'il allait compromettre l'affranchissement de l'Église romaine en sacrifiant, pour un succès personnel, les principes fondamentaux posés par son prédécesseur. Il retourna dans son diocèse de Lucques et y séjourna d'août 1062 au printemps de 1063, dans l'attente de la décision royale[40].

ASSEMBLÉE D'AUGSBOURG. — Bien entendu, la cour allemande saisit avec empressement l'occasion qui lui était offerte de renouer la tradition césaro-papiste. En même temps qu'elle lui permettait d'exercer son arbitrage, la combinaison de Godefroy avait l'avantage de lui fournir un moyen avouable de se débarrasser de l'élu de la noblesse romaine auquel elle ne tenait guère. Annon convoqua donc à Augsbourg une assemblée qui devait entendre les arguments des deux rivaux et décider lequel était le vrai pape.

L'assemblée, réunie en octobre 1062, se montra très préoccupée de sauver les apparences. Elle affecta de vouloir procéder à un supplément d'enquête et envoya en Italie le propre neveu d'Annon, Burchard, évêque d'Halberstadt. Alexandre II, toujours docile, se prêta à cette singulière procédure qui soumettait le chef de l'Église universelle au jugement des évêques allemands et d'un prince temporel. Il fut d'ailleurs reconnu à Augsbourg et put rentrer à Rome dans les premiers jours de mars 1063. Il triomphait de son compétiteur, mais, en acceptant la sentence du roi de Germanie, il annulait le décret de 1059 et portait un coup terrible à l'indépendance du Saint-Siège[41].

CONCILE DE MANTOUE. — L'humiliation n'était pas encore suffisante. Une démarche inopportune de Pierre Damien, qui déjà, au moment du concile d'Augsbourg, avait, dans sa Disceptatio synodalis, présenté une défense plutôt maladroite d'Alexandre II, remit tout en question. De France, où il s'acquittait d'une légation, cet ami dévoué du pape, sans doute mal informé des résultats de la mission de Burchard, écrivit à Annon pour le supplier de réunir le plus promptement possible un concile général qui trancherait définitivement le débat[42]. Alexandre II n'osa pas se dérober à la combinaison suggérée par son légat, bien qu'elle ne fût pas de nature à rehausser son prestige[43]. Le concile se tint à Mantoue en 1064, au moment de la Pentecôte. Il fut présidé par Annon lui-même et l'on vit une fois de plus le pontife légitime se justifier humblement devant un prélat allemand d'accusations mensongères étalées avec la plus hypocrite complaisance. Finalement Cadalus, qui avait fait défaut, fut frappé d'anathème et Alexandre II, enfin reconnu, put rentrer à Rome[44]. La crise était conjurée, mais la papauté sortait diminuée de cette longue épreuve et le césaro-papisme, un instant brisé par les décrets de Nicolas II, avait pris une revanche inquiétante pour l'avenir.

RUPTURE DE LA PAPAUTÉ AVEC LES NORMANDS. — Le schisme de Cadalus a eu une autre conséquence fâcheuse pour le Saint-Siège : en rétablissant l'alliance du Sacerdoce et de l'Empire, Alexandre II a provoqué une rupture avec les Normands. Ceux-ci avaient, pour une fois, respecté leurs engagements et, selon la promesse d'Amalfi, veillé à l'application du décret de 1059. C'est grâce à Richard d'Aversa que les cardinaux-évêques ont pu, en octobre 1061, se réunir et désigner librement le successeur de Nicolas II. Or, au concile de Mantoue, sommé par Annon de s'expliquer sur ses rapports avec les Normands, Alexandre II renia ses anciens alliés qui se trouvèrent libérés à son égard. Après une période de tension, Richard d'Aversa, à la fin de 1066, marchera sur Rome[45].

LE GOUVERNEMENT D'4LEXANDRE II. — Malgré l'abandon des directions tracées par Nicolas II, Alexandre II poursuit avec un zèle sincère l'œuvre réformatrice inaugurée par ses prédécesseurs ; la lutte contre le nicolaïsme et la simonie reste au premier plan de ses préoccupations et elle affecte même, à, certains égards, une allure nouvelle. Comme évêque de Lucques et comme légat pontifical à Milan, le futur pape avait pu constater l'insuffisance des moyens d'action dont disposaient les partisans de la réforme et il a été conduit à cette conclusion qu'ils ne pourraient mener efficacement le bon combat, s'ils n'étaient soutenus, appuyés, dirigés par le Saint-Siège. Aussi, une fois investi de la dignité apostolique, s'applique-t-il à subordonner plus étroitement à l'Église romaine toutes les forces de la chrétienté. A plusieurs reprises, il affirme que le jugement du pape ne peut être annulé ni modifié par personne, que ce même pape a le droit d'intervenir partout, que ses décisions doivent être acceptées sans discussion par les rois aussi bien que par les évêques[46]. Grâce à cette orientation, esquissée déjà par Léon IX, par Étienne IX et par Nicolas II, le pontificat d'Alexandre II, quoique inauguré par une regrettable capitulation, a contribué dans une large mesure à l'affranchissement de l'Église romaine.

LES CONSEILLERS D'ALEXANDRE II. — Pour exécuter ce programme de centralisation réformatrice, Alexandre II est aidé par deux auxiliaires de premier ordre, depuis longtemps apôtres de l'idée romaine, Pierre Damien et Hildebrand.

Depuis le jour où Etienne IX avait arraché Pierre Damien à sa solitude de Fonte - Avellana pour faire de lui un cardinal-évêque d'Ostie, ce moine impétueux, épris de pénitence et d'ascétisme, s'est donné pour mission d'éclairer le clergé sur ses devoirs sacerdotaux ; de l'arracher au bourbier de dépravation où il était enlisé ; puis, après l'avoir ainsi purifié, de le contraindre à évangéliser et à répandre parmi les laïques les pratiques de la vie chrétienne. En toutes circonstances, il n'a voulu être que l'humble serviteur de l'Église romaine qui, comme il l'affirme au début de sa Disceptatio synodalis, est, en vertu de sa fondation par le Verbe qui a créé le ciel et la terre, supérieure à toute puissance ecclésiastique et laïque[47].

Plus encore que Pierre Damien, Hildebrand est convaincu que seul, le Saint-Siège a l'autorité suffisante pour obliger le clergé à se plier à l'antique discipline ecclésiastique. Depuis son extrême jeunesse, il est le serviteur passionné de l'Église romaine qui représente à ses yeux le sacerdoce suprême, investi de la mission de conduire les âmes dans la voie du salut. S'il n'a pas joué dès 1048 le rôle de premier plan qu'on lui a longtemps attribué[48], il a toujours, soit comme économe du monastère de Saint-Paul, soit comme légat en Gaule sous Léon IX et Victor II, soit comme ambassadeur d'Étienne IX en Allemagne, défendu les prérogatives du siège apostolique. Lors des deux schismes qui désolèrent l'Église à l'avènement de Nicolas II et à celui d'Alexandre II, il a été l'un des défenseurs les plus ardents et les mieux inspirés du pape légitime. Le zèle éclairé dont il a fait preuve en ces occasions l'a mis en relief ; il est devenu le conseiller le plus écouté d'Alexandre II qui partage ses conceptions et ne demande qu'à suivre ses méthodes.

LA RÉFORME DE L'ÉGLISE SOUS ALEXANDRE II. — Sous l'impulsion de tels hommes, la réforme de l'Église prend un nouvel essor, surtout en Italie. Au Sud, malgré la rupture de l'alliance du Saint-Siège avec les princes normands, plusieurs synodes, tenus par les légats pontificaux ou par le pape lui-même, ont veillé au maintien de la législation romaine[49]. A Florence, l'évêque Pierre, accusé de simonie, a été déposé, quoiqu'il fût soutenu par Godefroy de Lorraine[50]. A Milan, Alexandre II a essayé de mettre fin aux troubles qui désolaient la grande métropole lombarde, mais il a été moins heureux : une menace d'anathème contre l'archevêque Guy, dénoncé à Rome en 1066 pour avoir favorisé de nouvelles usurpations de biens ecclésiastiques, n'eut d'autre effet que de déchaîner une guerre civile au cours de laquelle le chef des Patares, Ariald, fut massacré et atrocement mutilé ; Guy, âprement poursuivi par Erlembaud, ami et compagnon d'Ariald, remit bien, en 1067, sa démission entre les mains des légats dépêchés à Milan par Alexandre II, mais ses partisans proposèrent pour le remplacer un certain Godefroy qui ne valait guère mieux ; les Patares, de leur côté, élurent, le 6 janvier 1072, un clerc nommé Atton ; entre les deux compétiteurs la lutte ne pouvait manquer d'être âpre ; elle battait son plein à la mort d'Alexandre II (21 avril 1073)[51].

En dehors de l'Italie, Alexandre II a également cherché à assurer le succès de la réforme. Plusieurs interventions en France, notamment à la suite d'élections irrégulières à Soissons (1063), à Chartres (1065), ont clairement attesté sa volonté de faire respecter la législation romaine. Grâce à l'archevêque de Reims, Gervais, conseiller ecclésiastique du jeune roi Philippe Ier pendant sa minorité, l'action pontificale n'a pas été sérieusement contrariée[52].

Il en a été tout autrement en Allemagne. Bien que la cour germanique ait fini par reconnaître Alexandre II, elle n'oublie pas les événements de 1059 et reste décidée à combattre l'influence du Saint-Siège, afin de préparer le retour au césaro-papisme. Comme par ailleurs le prestige de la papauté s'est singulièrement accru depuis le pontificat de Léon IX, le conflit entre le Sacerdoce et l'Empire devient inévitable ; il se dessine dès la minorité de Henri IV pendant laquelle se prépare aussi la guerre civile -qui se juxtaposera aux luttes religieuses.

L'ALLEMAGNE PENDANT LA MINORITÉ DE HENRI IV. — La mort de Henri III n'a pas eu immédiatement les conséquences que l'on pouvait redouter. Par sa prudence, par son équitable modération, par ses concessions plus dangereuses pour l'avenir que pour le présent, l'impératrice régente, Agnès, a surmonté assez vite les difficultés intérieures, tout en continuant avec un certain succès la politique du règne précédent : en 1057 une attaque des Slaves à la frontière de l'Elbe a été repoussée ; en Hongrie, le roi André, qui s'était rapproché de l'Allemagne et avait fiancé son fils Salomon à Judith, sœur de Henri IV a été supplanté par son frère Bela et a péri au cours d'une bataille (1058), mais Bela n'a pas tardé à solliciter de l'impératrice, qui avait accueilli Salomon fugitif, une paix qui lui fut refusée et, en 1063, la Hongrie sera rendue au fils d'André[53].

LE COUP D'ÉTAT D'AVRIL 1062. — La politique ecclésiastique de la régente a été moins bien inspirée. La disgrâce de Gontier, évêque de Bamberg, ancien chancelier de Henri III en Italie, qu'elle avait d'abord pris comme conseiller, la brouilla avec une partie de l'épiscopat[54]. Le plus haut dignitaire de l'Église allemande, l'archevêque de Cologne, Annon, très lié avec Gontier, conçut alors le projet de se substituer à Agnès que, conformément aux dernières volontés de Henri III, il assistait dans le gouvernement du royaume. Avec la complicité d'Otton de Nordheim, d'Egbert de Brunswick, peut-être aussi de Godefroy de Lorraine, il réussit, en avril 1062, à enlever le jeune Henri IV, tandis qu'il séjournait avec sa mère à Kaiserswerth, et, désormais, il exerça seul le pouvoir[55].

LE GOUVERNEMENT DES ARCHEVÊQUES. — Agnès ne chercha pas à reprendre la place d'où elle avait été chassée. Jusqu'au jour où Henri IV, parvenu depuis quelque temps à sa majorité, assumera lui-même la direction des affaires, le royaume sera administré par les archevêques Annon et Adalbert.

ANNON DE COLOGNE. — Au début, c'est Annon qui gouverne à peu près seul. Métropolitain de Cologne depuis 1056, irréprochable dans sa vie privée, ascète même à ses heures, il est tout acquis aux idées réformatrices. C'est lui qui a réconcilié la royauté germanique avec le Saint-Siège en imposant l'abandon de Cadalus et le ralliement au pontife légitime. Toutefois la piété n'a jamais éteint chez ce prélat de vieille souche souabe un incommensurable orgueil. S'il n'a pas ambitionné la papauté, comme l'ont insinué ses ennemis, il a voulu du moins dominer l'Allemagne en nantissant copieusement ses parents et ses amis. La politique extérieure l'intéresse moins : il en abandonne volontiers la direction à l'archevêque de Brême, Adalbert, et au duc de Bavière, Otton de Nordheim. Ces deux personnages sont, en 1063, les véritables instigateurs de l'expédition militaire destinée à rétablir Salomon sur le trône de Hongrie. Elle fut pour eux un facile triomphe : Bela mourut avant d'avoir combattu ; son fils Geisa prit la fuite et Salomon reprit sa couronne sans avoir versé une goutté de sang, après quoi il célébra son mariage avec Judith, sœur de Henri IV[56]. Toutefois la situation restait instable, car Geisa s'était réfugié en Pologne et, d'autre part, le mariage, en troisièmes noces, du nouveau duc de Bohême, Wratislas, avec une princesse polonaise, en rapprochant les deux États voisins de la Hongrie, était pour Salomon un événement d'une menaçante portée[57].

L'expédition de Hongrie, à laquelle Henri IV avait participé ; n'en demeurait pas moins un succès pour l'archevêque Adalbert qui l'avait suscitée et qui prit dès lors un réel ascendant sur le jeune prince. Dès la fin de 1063, Annon se vit obligé de partager la régence avec son collègue qui, en 1064, pendant qu'il était en Italie, s'empressa de ruiner son influence sur le roi. Le 29 mars 1065, Henri IV fut proclamé majeur et armé chevalier, ce qui officiellement imposait un terme à la régence d'Annon[58]. En réalité, pendant quelque temps, l'autorité royale fut exercée par Adalbert de Brème.

ADALBERT DE BRÊME. — Ce prélat, qui a joué un si grand rôle dans l'histoire de l'Allemagne à la fin du règne de Henri III et au début de celui de Henri IV, reste une figure énigmatique. De 1043 à 1056, il a été l'un des pionniers de la civilisation chrétienne dans les pays scandinaves et slaves. Son œuvre d'évangélisation s'est prolongée pendant la minorité de Henri IV : l'Islande et les îles Orcades ont reçu des évêques consacrés par ses soins ; en Suède, grâce au roi Stenkil, plus favorable à l'église de Brême-Hambourg que son prédécesseur Anund, le christianisme a pénétré jusque dans la région d'Upsal ; chez les Wendes enfin, le prince des Obotrites, Godescalc, qui agit en parfaite union avec Adalbert, accompagne les missionnaires allemands dans leurs tournées et s'associe à leur prédication ; à Oldenbourg, Ratzebourg, Mecklembourg sont ordonnés des évêques, étroitement subordonnés à la métropole de Blême-Hambourg[59].

Adalbert a été le principal ouvrier de cette œuvre magnifique, qui témoigne tout à la fois de son zèle d'apôtre et de la fécondité de ses moyens. Il apparaît, de fait, comme un prélat à l'âme fortement trempée, qu'une foi pure et désintéressée porte avant tout à arracher les païens au culte des idoles, mais l'esprit surnaturel n'a pas tué chez lui un orgueil inné qu'il reporte sur son église, considérée par lui comme la plus brillante, en raison même de la grande tâche qui lui incombe, parmi les métropoles allemandes. Aussi n'a-t-il jamais négligé le temporel de son évêché : non seulement il a construit à Hambourg une basilique qui, décorée par des peintres italiens, surpassait, paraît-il, en splendeur, toutes les cathédrales de l'Occident, mais il a aussi voulu établir son autorité souveraine sur les pays qui confinaient à son diocèse, notamment sur la Saxe, où il a combattu le duc Ordulf avec le concours de la maison de Stade, et sur la Frise dont les comtes lui opposèrent la plus vigoureuse résistance, au point de l'obliger à s'enfuir de son évêché (1064)[60]. Grâce à l'ascendant qu'il avait pris sur Henri IV, il espérait du moins mettre au service de son église toutes les forces de la monarchie, tout en servant les intérêts de la couronne.

Son rêve fut déçu et le fastueux archevêque n'eut même pas le temps d'esquisser son programme. Il réussit du moins à empêcher le roi de partir en Italie et. de porter secours à la papauté contre les Normands. Cette expédition lointaine allait à l'encontre des intérêts personnels d'Adalbert qui se sentait menacé en Allemagne où son absolutisme outrancier achevait de lui aliéner la plupart des princes laïques. Il s'aperçut bien vite que ceux-ci avaient juré sa perte et, cédant à un brusque découragement qui s'accorde mal avec son caractère altier, il ne chercha pas à leur tenir tête. Sommé par eux de s'expliquer devant l'assemblée de Tribur, il préféra prendre la fuite et céder la place à Annon qu'il évincera de nouveau de 1069 à 1072[61].

La chute d'Adalbert a eu des résultats fâcheux pour l'Allemagne et pour l'Église. Le prestige de la métropole de Brême-Hambourg en a souffert ; Adalbert a dû aliéner une bonne partie des biens diocésains à Magnus, fils du duc de Saxe Ordulf, à Udon de Stade et à quelques autres seigneurs. De même l'œuvre d'évangélisation, à laquelle s'était voué le grand prélat, s'est trouvée interrompue aussi bien chez les Slaves où Godesca1c a été massacré (7 juin 1066) que dans les pays scandinaves où le paganisme esquissera un retour offensif[62].

ENTRÉE EN SCÈNE DE HENRI IV. — En Allemagne même, quelques réserves que l'on puisse formuler sur les tendances du gouvernement d'Adalbert, l'éloignement de l'archevêque a eu des conséquences non moins regrettables. L'influence personnelle de Henri IV commence à se faire jour et le royaume, comme l'Église, ne tardera pas à en souffrir cruellement.

RÉVOLTES EN SAXE ET EN BAVIÈRE. — Les procédés de gouvernement de Henri IV lui ont très vite aliéné l'aristocratie. Celle-ci, depuis le jour où Adalbert a pour la première fois évincé Annon, a été complètement tenue à l'écart des conseils de la couronne. Le roi s'inspire uniquement des avis de quelques familiers peu recommandables qui s'appellent le comte Evrard, le comte Werner, puis, après la mort de celui-ci (1065), Léopold de Mersebourg[63]. Ces divers favoris ont joui d'une égale impopularité qui a rejailli sur le souverain lui-même.

Le mécontentement, qui s'est traduit de bonne heure par des incidents sans grande importance, revêt en 1069 une allure plus grave. Le soulèvement, facilement réprimé, du margrave Dedi qui a entraîné dans sa rébellion quelques seigneurs thuringiens, est un premier avertissement ; la Saxe a prouvé, par son attitude défiante, qu'elle était prête à participer à une rébellion de ce genre et il est clair qu'elle attend une occasion plus propice[64]. D'autre part, le duc de Bavière, Otton de Nordheim, accusé de méditer contre le roi les plus sinistres projets et sommé de comparaître, pour s'expliquer, devant l'assemblée de Goslar (1er mai 1070)[65], se dérobe, sous prétexte qu'on ne lui a pas donné le sauf-conduit qu'il sollicitait ; il est aussitôt déclaré coupable de lèse-majesté, mais, au lieu de se soumettre, il rassemble ses forces ; à Eschwege, en Thuringe, il inflige une rude défaite aux troupes royales, puis il gagne la Saxe où il entraîne dans sa rébellion Magnus, fils du duc Ordulf. Henri IV accourt à Goslar et là, dans une assemblée tenue le jour de Noël, il enlève le duché de Bavière à Otton de Nordheim et le remet au gendre de ce prince, Welf, fils du marquis Albert-Azzon II d'Esté, neveu, par sa mère, de Welf III, duc de Carinthie[66]. Otton essaie pourtant de continuer la lutte dans les montagnes de la Hesse où il s'est réfugié, puis, cédant à des conseils pacifiques, il accepte de se soumettre ; en 1071, il comparaît devant l'assemblée d'Halberstadt et se réconcilie avec le roi qui lui rend ses alleux en Saxe et en Thuringe, mais ne consent pas à lui restituer le duché de Bavière[67].

Si Henri IV triomphe ainsi de l'insurrection bavaroise, son despotisme de plus en plus rigoureux va aggraver l'hostilité des princes à son égard. Welf, dépourvu de toute reconnaissance, ne paraît plus à la cour et il en est de même du propre beau-frère du roi, Rodolphe de Souabe. Bien que l'impératrice Agnès ait réussi un moment, lors de l'assemblée de Worms (25-27 juillet 1072), à ménager une réconciliation éphémère[68], il est clair que l'Allemagne s'achemine vers la guerre civile, et cela au moment où la politique religieuse de Henri IV, inspirée des mêmes tendances, va déchaîner un conflit avec l'Église romaine qui a pris conscience de sa force et n'est plus disposée à se contenter d'être, comme autrefois, le docile instrument du césaro-papisme.

HENRI IV ET L'ÉGLISE. — On a dit avec beaucoup de raison que la minorité de Henri IV avait été, entre 1065 et 1073, une réédition du règne de Conrad II[69]. Evêchés et abbayes ont été vendus à l'encan ou distribués à des parents et à des amis du souverain ou de ses courtisans. A Bamberg, en 1065, Hermann devient évêque dans des conditions pour le moins suspectes. La même année, Adalbéron est promu à Worms, parce qu'il est le frère de Rodolphe de Souabe et Werner désigné pour Strasbourg en raison de sa parenté avec un trop fameux conseiller du roi, également nommé Werner. En 1067, le chanoine Henri de Goslar reçoit, pour des raisons analogues, le siège de Spire, bien qu'il n'ait pas l'âge canonique. A Constance, après la mort de Rumold (4 novembre 1069), Charles, doyen du chapitre de Magdebourg, achète l'évêché à Henri IV pour une forte somme d'argent ; à peine intronisé, il cherche à rentrer dans ses débours en vendant les dignités ecclésiastiques, les vases sacrés et jusqu'aux vêtements sacerdotaux. A ces exemples on pourrait en ajouter d'autres : il est peu de prélats qui, pendant cette triste période, aient été élus régulièrement[70].

L'ANARCHIE ECCLÉSIASTIQUE. — De là, pour l'Église d Allemagne, une véritable anarchie. Partout ce ne sont que conflits tragiques ou même sanglants. A Trèves, lorsqu’Annon veut, en 1066, installer son neveu, Conrad, sur le siège métropolitain, la population s'insurge et met à mort l'archevêque qu'on prétend lui imposer[71]. Dans le diocèse de Mayence, un interminable conflit au sujet des dîmes de Thuringe oppose l'autorité diocésaine avec les abbés de Hersfeld et de Fulda[72]. A Cologne, Annon a des difficultés avec les monastères qu'il veut réformer et qui l'accusent de porter atteinte à leurs libertés traditionnelles[73].

INTERVENTIONS ROMAINES. — A plusieurs reprises, les parties lésées se sont adressées au Saint-Siège et l'on peut voir, à propos de ces différends, combien le pouvoir pontifical s'est accru, même en Allemagne. C'est Alexandre II que saisit l'abbé de Fulda lors de l'affaire des dîmes de Thuringe et c'est à lui également que l'abbé de Stavelot fait appel contre Annon de Cologne. Le pape est ainsi amené à intervenir et à s'ériger en juge suprême des infractions aux règles canoniques. Tantôt il réussit à imposer sa manière de voir, comme à Constance où, malgré le roi qui soutient l'évêque simoniaque, il oblige celui-ci à remettre sa crosse et son anneau aux légats pontificaux. Tantôt, au contraire, la volonté de Henri IV est plus forte que la sienne : à Bamberg, Hermann reste à la tête de son diocèse, tout comme Werner à Strasbourg et Henri à Spire[74]. Malgré de louables efforts, Alexandre II ne peut limiter les ravages de la simonie ; à plus forte raison ne réussira-t-il pas à prévenir la nomination directe de l'évêque par le roi.

ALEXANDRE II ET HENRI IV. — Henri IV est bien décidé, en effet, à ne pas tolérer l'intrusion du Saint-Siège dans les questions ecclésiastiques, mais les choses ont changé depuis vingt ans et l'Église romaine, affranchie par Nicolas II, entend conserver sa liberté d'action. Hildebrand, dont l'influence ne cesse de s'accroître, défend jalousement les prérogatives que les canons reconnaissent au Saint-Siège et imprime à la politique pontificale une allure plus énergique que par le passé.

Ces tendances nouvelles éclatent au grand jour à propos d'un incident d'ordre privé qui faillit un moment provoquer la rupture entre la papauté et la royauté germanique.

Henri IV, dont l'éducation première n'avait guère été dirigée par sa mère, l'impératrice Agnès, ni par son tuteur, l'archevêque Annon, était devenu de bonne heure le jouet de passions déshonnêtes qu'Adalbert eut le tort d'encourager, avec la pensée que le jeune prince, accaparé par la luxure, le laisserait gouverner le royaume à sa guise. Fiancé par Annon à Berthe de Turin, le roi retarda son mariage le plus longtemps qu'il put. Pourtant, en 1066, après la chute d'Adalbert, se rendant aux instances des princes, il conduisit Berthe à l'autel, mais, dès le lendemain de ses noces, il délaissa sa jeune femme pour s'adonner de nouveau aux plaisirs les plus grossiers. En 1069, il voulut parachever le divorce et s'entendit, à cet effet, avec l'archevêque de Mayence, Siegfried, qui réunit un concile pour examiner l'affaire. Il prétendait que le mariage n'avait jamais été consommé et réussit à extorquer à la malheureuse Berthe des déclarations dont la jeune femme ne comprit ni le sens ni la portée[75].

Siegfried, redoutant les foudres de Rome, n'osa pourtant prononcer une séparation que rien ne semblait justifier canoniquement. Il sollicita l'envoi d'un légat pontifical. Au nom du pape, Pierre Damien vint rappeler, en présence de Henri IV, que le divorce était interdit par l'Église aux rois comme aux simples fidèles, ajoutant qu'Alexandre II, gardien de la loi, ne sacrerait jamais empereur l'auteur d'un tel parjure. Henri IV n'eut qu'à s'incliner, mais, par esprit de représailles, il s'entoura de plus en plus de conseillers notoirement hostiles à l'Église et excommuniés par elle, ce qui le faisait tomber lui-même sous le coup de l'anathème[76]. A tous ces indices, on peut prévoir que, malgré les dispositions conciliantes d'Alexandre II et d'Hildebrand, la paix ne sera pas de longue durée.

Or cette tension avec le royaume germanique n'est pas sans danger pour la papauté que les paroles prononcées par Alexandre II à Mantoue ont brouillée avec ses alliés normands. Le péril est d'autant plus grand que ceux-ci sont devenus maîtres de l'Italie méridionale.

LES CONQUÊTES DE ROBERT ET ROGER GUISCARD. — Lors de son entrevue avec Nicolas II au concile d'Amalfi, Robert Guiscard était occupé à enlever la Calabre aux Byzantins. En 1060, après la prise de Reggio, il a conquis, cette province ; en 1062, il prend Brindisi. Une révolte de ses vassaux brise momentanément son élan, mais, une fois l'insurrection réprimée, il sait mettre à profit les difficultés où se débat l'Empire d'Orient pour investir Bari dont il s'empare après un siège mémorable (1071). Il est désormais le maître de la Pouille dont les Grecs sont définitivement chassés. Au même moment, Robert et son frère Roger arrachent la Sicile aux Musulmans contre lesquels ils luttent depuis 1060. Le 10 janvier 1072, les deux princes entrent à Palerme qui reste à Robert avec la suzeraineté de l'île, tandis que Roger se voit attribuer la moitié de Messine, le val Demone et les autres territoires conquis[77].

RICHARD DE CAPOUE ET LE SAINT-SIÈGE. — Ces opérations, parfois difficiles, marquées par des alternatives de succès et de revers, n'ont pas laissé à Robert Guiscard suffisamment de loisirs pour qu'il pût tourner ses regards vers l'Italie centrale. En revanche, son voisin, Richard d'Aversa, installé à Capoue depuis le 21 mai 1062, et à Gaète depuis juin 1063, esquisse, dès cette époque une politique agressive vis-à-vis du Saint-Siège : en 1065, il attaque les comtes d'Aquino ; en 1066 il se rend maître de Ceperano et ravage la campagne romaine[78].

PROJET D'EXPÉDITION ALLEMANDE EN ITALIE. — Pour faire face au péril qu'il avait imprudemment provoqué. Alexandre II n'eut d'autre ressource que de solliciter le concours germanique. Henri IV ne demandait pas mieux que d'organiser une expédition qui offrait de multiples avantages : ruine de la domination normande en Italie, protection ostensiblement accordée au Saint-Siège qui reconnaissait ainsi la nécessité de la tutelle allemande, éventualité d'un couronnement impérial qui s'imposerait après Id. victoire. Bref, le 2 février 1067, une assemblée, réunie à Augsbourg, acclama sans difficulté le projet de descente dans la péninsule[79].

PAIX D'ALEXANDRE II AVEC LES NORMANDS. — L'expédition n'eut cependant pas lieu et on ne sait exactement pour quelles raisons. Peut-être Henri IV jugea-t-il imprudent de s'éloigner de son royaume où le mécontentement pouvait très vite dégénérer en révolte. Il est plus probable que cet ajournement est dû à la diplomatie de Godefroy de Lorraine qui ne tenait sans doute pas à voir les armées allemandes reprendre le chemin de l'Italie où elles pouvaient, après avoir réduit les Normands, menacer à nouveau l'indépendance de ses États. En tout cas, Godefroy, après avoir très habilement manœuvré pour éloigner Henri IV et se faire donner le titre de vicaire impérial, marche contre Richard de Capoue qu'Alexandre II venait d'excommunier, va investir Aquino, après quoi le pape et le prince se réconcilient (août 1067)[80].

C'était pour le siège apostolique la meilleure des solutions. L'intervention allemande était évitée et le pontife romain, tranquille du côté des Normands, sûr de l'appui de Godefroy de Lorraine, pouvait avoir une attitude plus indépendante et plus fière. En 1068, Annon, archevêque de Cologne, et Otton, duc de Bavière, viennent en Italie au nom de Henri IV ; Alexandre II refuse de les recevoir, parce qu'ils ont eu, en cours de route, une entrevue avec l'évêque de Parme et l'archevêque de Ravenne, tous deux excommuniés par le Saint-Siège, et, pour être admis en présence du pape, Annon est obligé de s'astreindre à une pénitence humiliante[81].

Après avoir abandonné la politique de Nicolas II, Alexandre II incline de nouveau vers elle pendant les dernières années de son pontificat : l'alliance normande lui apparaît comme répondant le mieux aux exigences de la situation ; elle deviendra indispensable du jour où éclatera la lutte du Sacerdoce et de l'Empire.

MORT DE GODEFROY LE BARBU (24 DÉCEMBRE 1069). — L'autre point d'appui du Saint-Siège en Italie se trouve dans l'État toscan[82]. La mort de Godefroy le Barbu, qui avait fidèlement servi les intérêts d'Alexandre II (24 décembre 1069), ne change rien à la situation. Un fils d'un premier lit, Godefroy le Bossu, hérite de ses possessions lorraines, et, en épousant Mathilde, belle-fille de Godefroy le Barbu, née de l'union de Boniface de Montferrat avec Béatrix, conserve l'État toscano-lorrain tel qu'il était au temps de son père. Personnellement, Mathilde est très attachée à la papauté à laquelle elle prêtera un généreux concours.

MORT D'ALEXANDRE II (22 AVRIL 1073). — Alexandre II disparaît à son tour le 21 avril 1073[83]. Maigre les débuts pénibles de son pontificat, il laisse une situation meilleure qu'on ne pouvait l'espérer dix ans plus tôt. De plus, l'orientation nécessaire de la politique pontificale se dessine avec plus de netteté et les derniers événements ont prouvé la sagesse des directions tracées par Nicolas II qui seront aussi celles du successeur d'Alexandre II, Grégoire VII.

 

IV. — Les débuts du pontificat de Grégoire VII (1073-1076)[84].

 

L'ÉLECTION PONTIFICALE DU 22 AVRIL 1073. — Le 22 avril 1073, tandis que l'on procédait à l’ensevelissement d'Alexandre II, un grand tumulte s'éleva parmi la foule qui assistait aux funérailles. Clercs et laïques, hommes et femmes acclamèrent Hildebrand comme évêque. Quelques instants plus tard, les cardinaux, réunis dans l'église de Saint-Pierre-aux-Liens, ratifièrent le choix populaire[85].

Les formes prescrites par le décret de Nicolas II n'ont pas été respectées ; le peuple a spontanément désigné Hildebrand avant toute tractatio des cardinaux-évêques, mais ceux-ci n'ont formulé aucune réserve et, livrés à eux-mêmes, ils auraient sans doute abouti au même résultat, ardemment souhaité par tous les partisans de la réforme.

GRÉGOIRE VII. — Hildebrand, qui devient par la volonté de tous le pape Grégoire VII, était à coup sûr, parmi les hauts dignitaires de l'Église romaine, celui qui paraissait le plus désigné pour mener à bien l'œuvre réformatrice à laquelle il a attaché son nom. Depuis qu'il a été prouvé que le registre qui renferme ses lettres n'est pas, comme on l'avait cru longtemps, une compilation due à l'un de ses disciples, qu'il est bien le registre original dont les pièces essentielles ont été dictées par lui[86], la physionomie du pontife apparaît en pleine lumière et il est relativement aisé d'en dégager les traits dominants.

Une foi ardente, illuminée par une piété toute mystique, un sentiment très profond de l'impuissance de l'homme que domine à tout moment la volonté de Dieu, souverain juge et souverain dispensateur, un invincible besoin de s'élever jusqu'au modèle divin par la prière, par la communion, par le renoncement total de soi, par l'amour de la souffrance, par une charité débordante qui chérit les hommes, tout en détestant leurs vices et qui demeure la meilleure source de la paix chrétienne, tels sont les éléments divers qui composent le portrait de Grégoire VII. La pensée de Dieu engendre chez ce pape un sentiment profond de ses devoirs qui se résument en ce seul mot : évangéliser les hommes ; et, pour lui, évangéliser, ce n'est pas seulement prêcher la doctrine, c'est encore, en redressant les abus, exercer le pouvoir de correction qui fait partie intégrante de la puissance universelle conférée par le Christ à saint Pierre et à ses successeurs[87].

LE PROGRAMME RÉFORMATEUR. — Aussi la réforme de l'Église reste-t-elle le souci primordial du nouveau pontife. Extirper totalement l'hérésie simoniaque et ramener les clercs, enchaînés dans les désordres d'une vie honteuse, à la pratique d'une rigoureuse chasteté[88], voilà tout le programme de Grégoire VII, au moment où il ceint la tiare. Plus encore que ses prédécesseurs, il aperçoit clairement que seul le Saint-Siège a l'autorité suffisante pour redresser les abus. Instituée par le Christ qui l'a revêtue d'une véritable primauté sur toutes les églises de la chrétienté, messagère de Dieu dont elle signifie la volonté aux évêques et aux fidèles, l'Église romaine jouit d'une puissance absolue et illimitée devant laquelle toute personne, quelle que soit sa condition, doit s'incliner. Grégoire VII, dès son avènement et avant d'avoir défini la nature du pouvoir pontifical dans les Dictatus papæ, est fermement décidé à se servir de toutes les prérogatives que la tradition lui confère pour réformer un clergé corrompu[89].

A cette réforme il veut faire concourir toutes les forces de la chrétienté. Il compte sur les évêques qu'il s'efforce, en multipliant les légations, de subordonner plus étroitement au siège apostolique ; ses premières bulles trahissent un effort vigoureux et inquiet pour secouer l'inertie des prélats qui aspirent avant tout à la gloire de ce monde et aux délices de la chair[90]. De même, il espère que le pouvoir temporel participera, lui aussi, à l'œuvre de salut. Contre les rois il n'a aucune prévention ni aucun parti pris. Quoiqu'il ait pu, aux côtés d'Alexandre II, observer les intentions plutôt malveillantes de Henri IV à l'égard des lois de l'Église, il souhaite sincèrement, sans rien sacrifier de la suprématie romaine, rétablir l'entente traditionnelle entre le Sacerdoce et l'Empire. De même, écrit-il à Rodolphe de Souabe en 1073, que le corps humain est dirigé par les deux yeux, sa lumière temporelle, le corps de l'Église est conduit par ces deux dignités (sacerdotale et laïque) qu'accorde une pure religion et qui constituent sa lumière spirituelle[91].

Conformément à cette doctrine, qui n'est autre que celle énoncée par Pierre Damien dans sa Disceptatio synodalis, Grégoire VII essaiera de résoudre les difficultés pendantes, avec le roi de Germanie, afin de se consacrer ensuite à l'exécution de son programme réformateur.

GRÉGOIRE VII ET HENRI IV. — Au moment où Hildebrand devient pape, Henri IV est sous le coup de l'excommunication pour n'avoir pas voulu se séparer de conseillers eux-mêmes excommuniés[92]. En outre, il a, pendant les derniers temps du pontificat d'Alexandre II, pris ouvertement le parti des adversaires de la réforme en Lombardie ; il veut imposer à Milan un archevêque de son choix, Godefroy, et repousse Atton, élu le 6 janvier 1072, après la mort de Guy, par les Patares[93]. Grégoire VII, s'il encourage les partisans d'Atton, ne repousse pas un règlement amiable de l'affaire. De même, tout en affirmant sa volonté de ne pas enfreindre, les règles canoniques, violées par Henri IV, il fait savoir à ce prince, par l'intermédiaire de Godefroy de Lorraine, qu'il est disposé à la miséricorde et au pardon. Il laisse même entrevoir l'éventualité d'un couronnement impérial dans un avenir prochain et cherche enfin, pour souligner la sincérité de ses dispositions conciliantes, à prévenir la guerre civile qui menaçait d'ébranler le pouvoir de Henri IV[94].

RÉVOLTE DE LA SAXE. — L'avènement de Grégoire VII a coïncidé en effet avec une révolte de la Saxe. Depuis plusieurs années, la population du duché reprochait a Henri IV de ne pas respecter ses libertés ni ses privilèges, de couvrir le pays, sous prétexte de le protéger contre les Slaves, d'une foule de châteaux où il entretenait des garnisons qui se signalaient par toutes sortes d'excès. A la mort du duc Ordulf (28 mars 1072), ce mécontentement se transforma en une véritable rébellion. Les Saxons voulaient que la succession du défunt allât à son fils, Magnus, retenu alors en captivité par Henri IV qui, convoitant pour lui-même l'héritage d'Ordulf, refusa d'élargir son prisonnier. L'âme du mouvement était l'évêque d'Halberstadt, Burchard II, auquel Henri IV avait saisi injustement quelques biens de son église et qui réussit à entraîner à sa suite l'évêque d'Hildesheim, Hécil, puis l'ancien duc de Bavière dépossédé par Henri IV, Otton de Nordheim, et l'oncle de Magnus, le comte Hermann[95].

En juillet 1073, une assemblée saxonne, réunie à Wormsleben, envoya une ambassade à Henri IV qui séjournait alors dans le Harz, pour lui exposer les griefs de la population et lui demander, du même coup, de détourner contre les Liutices, massés aux frontières, l'armée avec laquelle, pour venir en aide à la Bohême, il se préparait à envahir la Pologne. Le roi répondit par de bonnes paroles, sans prendre aucun engagement précis. L'insurrection éclata aussitôt. Les rebelles, en toute hâte, vinrent assiéger le château de Harzburg où Henri IV s'était retiré. Celui-ci, fort inquiet, chercha, pour gagner du temps, à négocier, mais les Saxons, par la voix d'Otton de Nordheim, exigèrent la démolition immédiate des châteaux royaux qui, disaient-ils, n'avaient pas été construits pour la défense de l'Empire. Naturellement ces propositions furent repoussées par le roi qui réussit à s'enfuir et à gagner Hersfeld, puis Cappel où il rejoignit les contingents qui s'acheminaient vers la frontière polonaise. Il annonça alors à leurs chefs qu'ils devraient le suivre non pas en Pologne, mais en Saxe. Il essuya un refus formel qui l'obligea à ajourner jusqu'au 5 octobre l'ouverture des hostilités[96].

La situation devenait périlleuse pour Henri IV, d'autant plus qu'au cours des semaines qui suivirent, les Saxons, désormais convaincus que toute voie pacifique serait sans issue, entamèrent une action énergique contre les châteaux royaux. Le mouvement s'étendit de la Saxe à la Thuringe. D'autre part, sur le Rhin, l'armée, qui devait envahir la Saxe le 5 octobre, n'arrivait pas à se constituer. Si Grégoire VII avait eu à l'égard d'Henri IV les sentiments d'hostilité systématique qu'on lui a parfois prêtés, l'occasion était unique pour déchaîner, en cette fin de l'année 1073, la lutte du Sacerdoce et de l'Empire, mais, loin d'apporter aux insurgés le concours de son autorité morale, le pape, animé d'un sincère désir de paix, désapprouva la révolte de la Saxe dans une lettre du Ier septembre 1073 à Rodolphe de Souabe : il ne pouvait mieux manifester son désir d'être agréable à Henri IV[97].

PAIX DE HENRI IV AVEC LE SAINT-SIÈGE ET AVEC LES SAXONS. — Devant la gravité de la situation, toute résistance devenait impossible pour le roi qui ne songea plus qu'à se réconcilier avec le Saint-Siège et à composer avec les Saxons. Dès le début de septembre, il écrivit au pape une lettre où il manifestait son regret d'avoir usurpé des biens ecclésiastiques et vendu des évêchés, sollicitait humblement son absolution, protestait de son respect envers le siège apostolique, se déclarait prêt à donner satisfaction dans l'affaire milanaise[98].

Le rêve de Grégoire VII se trouvait réalisé : la révolte de la Saxe aboutissait indirectement à un accord entre le Sacerdoce et l'Empire, sans que l'Église romaine abdiquât ses prérogatives et renonçât à son indépendance vis-à-vis du pouvoir temporel.

Cet arrangement devait avoir pour la royauté allemande des conséquences non moins heureuses. Tranquille du côté de Rome, Henri IV peut entamer avec les Saxons des négociations auxquelles Grégoire VII apporte son appui moral. Il envoie aux rebelles les archevêques de Mayence et de Cologne, Siegfried et Annon, les ducs Godefroy de Lorraine ; Rodolphe de Souabe et Berthold de Carinthie. Des pourparlers s'engagent à Gerstungen, mais ils restent stériles, les insurgés exigeant toujours la démolition des châteaux construits par Henri IV. Les hostilités se prolongent jusqu'au début de l'année 1074 ; après quelques succès des Saxons, qui s'emparèrent de plusieurs places, elles sont interrompues, au moment où une bataille allait s'engager sur les bords de la Fulda, par les rigueurs de l'hiver. Le 2 février 1074, moyennant la promesse de détruire les forteresses, objet du litige, Henri IV reçoit la soumission des Saxons et des Thuringiens[99].

LES DÉCRETS RÉFORMATEURS DE MARS 1074. — Grégoire VII ne pouvait que se féliciter du rétablissement de la paix qu'il souhaitait de toute son âme. Henri IV n'allait-il pas manifester sa reconnaissance envers le Saint-Siège en l'aidant dans l'accomplissement de sa mission réformatrice ? Dès le début de son pontificat, le pape a multiplié les appels à l'épiscopat, pour que la loi du célibat fût mieux observée par le clergé et que disparussent, à tous les degrés de la hiérarchie, les pratiques vénales condamnées par le siège apostolique[100]. Pendant la première semaine du carême de 1074 (9-15 mars), il réunit à Rome un concile qui, après avoir proclamé comme archevêque de Milan Atton, promulgue les décrets sur le nicolaïsme et la simonie. Désormais quiconque aura été promu à prix d'argent à l'un des ordres sacrés ou à une charge ecclésiastique, ne pourra exercer aucun ministère sacerdotal et ceux qui auront par le même moyen acquis des églises, perdront ces églises. Quant aux clercs coupables de fornication, il leur est interdit de célébrer la messe et le peuple ne pourra assister à leurs offices[101].

Ces diverses mesures ne sont que la réédition de celles qui avaient été prises par Nicolas II, au concile de Latran, en 1059. Elles attestent le désir d'en finir avec les mauvais prêtres en les séparant du troupeau des fidèles et apparaissent comme le reflet des idées de Pierre Damien dont Grégoire VII épouse toutes les conceptions.

L'APPLICATION DES DÉCRETS DE 1074. — Les décrets de 1074 se révèlent très vite insuffisants. En Allemagne, les légats Géraud d'Ostie et Hubert de Préneste, envoyés par le pape pour réconcilier Henri IV avec l'Église et pour promulguer la législation romaine sur le nicolaïsme et la simonie, accomplissent avec succès la première partie de leur mission[102], mais, lorsqu'ils veulent faire observer la loi du célibat ecclésiastique, quelque peu tombée en désuétude, ils se heurtent à l'opposition du haut et du bas clergé. Les archevêques Siegfried de Mayence et Liémar de Brême contestent aux envoyés pontificaux le droit de convoquer un synode à l'intérieur du royaume germanique[103]. Parmi les clercs, c'est une véritable levée de boucliers contre l'autorité romaine : on proclame que le pape est hérétique ; on insinue qu'en voulant obliger par la force les hommes à vivre comme des anges, en refusant à la nature de suivre son cours, il favorise la fornication et le dérèglement des mœurs[104].

Il semble donc qu'en Allemagne la réforme de l'Église soit vouée à un échec, par suite du mauvais vouloir d'un épiscopat nommé par le roi et révolté contre la discipline romaine. En France, Grégoire VII n'a pas beaucoup plus de satisfactions : la résistance du clergé se double ici de l'hostilité du souverain et, au mépris des décrets pontificaux, Philippe Ier pratique ouvertement la simonie. Même dans l'État anglo-normand où le roi Guillaume le Conquérant est acquis à la cause de la réforme, les clercs ne manifestent pas des dispositions plus favorables : peu s'en faut que, pour avoir voulu les séparer de leurs concubines, l'archevêque de Rouen, Jean, ne soit lapidé par eux[105].

L'ÉVOLUTION DU PROGRAMME GRÉGORIEN. — Grégoire VII a été profondément affecté par ces diverses résistances. Les bulles pontificales du début de l'année 1075 respirent la tristesse et l'angoisse[106], mais non pas le découragement. Si préoccupé qu'il soit de l'avenir, le pape a confiance dans le secours d'En Haut. Son effort de prédication a échoué devant l'égoïsme farouche de l'épiscopat et l'indifférence des princes. D'autres méthodes s'imposent : pour tarir les sources empoisonnées de la simonie et du nicolaïsme, il faut assurer un meilleur recrutement du clergé, en arrachant les élections épiscopales aux princes laïques et en revenant, comme le souhaitait en 1058 le cardinal Humbert, aux vieilles règles canoniques, seules capables d'assurer l'indépendance de l'Église. Au concile romain de février 1075, la législation sur la simonie et le nicolaïsme sera complétée par un décret sur l'investiture laïque.

LE DÉCRET SUR L'INVESTITURE LAÏQUE (FÉVRIER 1075). — On n'a pas conservé le texte exact de ce décret fameux. Il semble que Grégoire VII se soit borné à étendre aux évêchés et aux abbayes le sixième canon du concile du Latran (1059) qui visait les églises privées et était ainsi conçu : Qu'aucun clerc ou prêtre ne reçoive en aucune façon une église des mains d'un laïque, soit gratuitement, soit pour de l'argent[107]. En supprimant résolument l'intrusion du pouvoir laïque dans les élections épiscopales et abbatiales, Grégoire VII prévenait toute intervention simoniaque et avait chance d'écarter de l'Église les loups rapaces qui ne songeaient qu'à dévorer leur troupeau, au lieu de le conduire dans les voies du salut.

LA SUPRÉMATIE ROMAINE. — En même temps, toujours pour assurer le succès de la réforme, Grégoire VII cherche à asseoir pratiquement et théoriquement la suprématie romaine sur des bases plus solides. Le concile de février 1075 ne s'est pas contenté de légiférer ; il a jugé tous les cas de désobéissance à l'égard de l'autorité apostolique et édicté des sanctions parfois sévères. Deux prélats italiens, qui n'ont pas répondu à la convocation pontificale, Guillaume de Pavie et Cunibert de Turin, sont suspendus ; Denis de Plaisance est déposé pour déloyauté vis-à-vis du Saint-Siège ; en Allemagne, Liémar de Brème, qui a été l'âme de la résistance aux légats, est suspendu, ainsi que Werner de Strasbourg, Henri de Spire, Hermann de Bamberg. Les laïques ne sont pas davantage épargnés : Robert Guiscard et son neveu, Robert de Loritello, sont excommuniés pour leurs incursions sur le territoire pontifical ; le roi de France, Philippe Ier, qui a ouvertement pratiqué la simonie et qui, tout récemment, a dépouillé des marchands italiens de passage en France, est menacé de l'anathème, s'il ne donne à bref délai les satisfactions requises par le pape[108]. Jamais autant de condamnations n'ont été prononcées par un synode romain : suspensions et dépositions sont un avertissement à l'adresse de l'épiscopat auquel elles viennent rappeler que la primauté, revendiquée par le siège apostolique, n'est pas une simple formule canonique, qu'elle est, au contraire, une réalité vivante.

LES DICTATUS PAPAE. — Cette primauté, Grégoire VII, au même moment, s'attache à en définir les caractères et les ultimes conséquences dans les propositions fameuses connues sous le nom de Dictatus papæ[109].

L'Église romaine a été fondée par le Seigneur seul. C'est sur cette affirmation que le pape échafaude toute sa théorie du pouvoir pontifical. Le pouvoir de lier et de délier, accordé par le Christ à saint Pierre, est d'origine divine : aussi bien, puisque le Maître a promis à Pierre de l'assister toujours, est-ce le saint Esprit qui dicte et inspire tous les actes du pontife romain, en le préservant de toute erreur. L'Église romaine, lit-on au Dictatus 22, n'a jamais erré et, comme l'atteste l'Écriture, ne pourra jamais errer.

Au nom de ces principes, Grégoire VII revendique sur la chrétienté un pouvoir absolu et illimité. Le pontife romain, continue-t-il, ne peut être jugé par personne, mais il a le droit de juger tous les évêques, d'évoquer devant lui les causes qui lui paraissent d'une gravité particulière ou que les tribunaux épiscopaux n'auraient pas réussi à terminer. Il légifère pour toutes les églises, modifie, s'il y a lieu, les circonscriptions ecclésiastiques, -a tous pouvoirs sur les personnes qu'il ordonne, transfère, dépose, sans avoir à rendre compte de ses décisions. Ses légats ont partout la première place, quel que soit leur rang dans la hiérarchie.

Le gouvernement de la société laïque s'inspire des mêmes principes : Grégoire VII proclame que le pape peut priver les empereurs de leur couronne et délier les sujets du serment de fidélité qu'ils auraient prêté aux rois injustes.

Tels sont les Dictatus papæ. Aucun réformateur, italien ou lorrain, n'avait encore déduit des principes canoniques, qui sont à l'origine des théories grégoriennes, des conséquences aussi précises. Grégoire VII a vu — et c'est là que réside la véritable originalité de sa pensée — que la réforme de l'Église ne pourrait être réalisée que par la centralisation ecclésiastique, seul moyen de briser les résistances de l'épiscopat, et par la subordination des royaumes chrétiens au Saint-Siège.

Une dernière étape reste à franchir. Après avoir formulé la thèse de la suprématie romaine, il faut encore l'adapter aux circonstances et en assurer l'application, ou, si l'on préfère, prouver par des actes que le Saint-Siège ne tolérera aucune désobéissance à ses décrets, qu'il usera au besoin de toutes les prérogatives que lui reconnaissent les canons de l'Église : l'excommunication par le pontife romain du roi de Germanie, Henri IV, en février 1076, est l'illustration des Dictatus papæ et comme le signe sensible des temps nouveaux.

LES RAPPORTS DE GRÉGOIRE VII ET DE HENRI IV JUSQU'EN 1075. — Jusqu'à l’apparition du décret sur l'investiture laïque et des Dictatus papæ, les rapports de Grégoire VII avec Henri IV ont été empreints d'une cordialité au moins apparente. On a vu comment, en 1073, le jeune prince s'était réconcilié avec l'Église romaine, sollicitant le pardon des fautes passées et affichant, pour l'avenir, les meilleures intentions. Cette entente dure jusqu'en septembre 1075 : Grégoire VII s'emploie à apaiser l'insurrection saxonne ; de son côté, Henri IV, après le concile romain de mars 1074, accueille avec empressement les légats pontificaux, Géraud d'Ostie et Hubert de Préneste, reçoit dévotement de leurs mains l'absolution pontificale, leur promet son concours pour l'accomplissement de leur mission réformatrice[110]. Le roi, à ce moment, a des préoccupations exclusivement politiques : en août 1074, il entreprend une expédition malheureuse en Hongrie[111], mais surtout il médite de se venger de la Saxe à laquelle il ne pardonne pas son insurrection de 1073 et, pour réaliser ce dessein, il lui est indispensable de vivre pleinement en paix avec le Saint-Siège.

NOUVELLE EXPÉDITION EN SAXE. — Après la conclusion du traité de février 1074, les Saxons, avec une hâte fébrile, avaient détruit ou incendié les châteaux royaux dont la démolition avait été décidée. Cet empressement déplut au roi, qui comptait ne pas exécuter la convention et qui, dès Noël 1074, commença des préparatifs militaires[112]. La concentration de l'armée qui devait en finir avec les Saxons fut fixée au 8 juin 1075, à Breidingen. A la date indiquée, Henri IV, escorté des ducs Wratislas de Bohême, Rodolphe de Souabe, Welf de Bavière, Godefroy de Basse-Lorraine, Thierry de Haute-Lorraine, franchit la Werra et s'avança vers l'Unstrut derrière lequel étaient concentrées les forces ennemies. Son armée était mieux organisée et mieux disciplinée que les bandes de paysans qu'elle avait devant elle. Aussi, le 9 juin, fut-elle victorieuse près de Homburg, après une rixe sanglante. Henri IV ne put toutefois capturer les chefs qui réussirent à prendre la fuite. Il les poursuivit, jusqu'à Halberstadt, semant partout la terreur, incendiant les églises, massacrant les femmes et les enfants. Toute résistance semblait désormais impossible, et lorsque, après une suspension d'armes, le roi, à la fin d'octobre, reparut dans le pays, il fallut bien en passer par ses conditions, si dures qu'elles fussent. L'archevêque de Magdebourg, Werner, s'était déjà soumis. Imitant son exemple, Burchard, évêque d'Halberstadt, Otton de Nordheim, et Magnus, qui avait recouvré sa liberté au début des hostilités, allèrent trouver Henri IV à Gerstungen, sans armes et pieds nus. Une assemblée se réunit à Goslar, au moment de Noël, pour statuer sur leur sort ; les légats pontificaux, qui se trouvaient là, plaidèrent en leur faveur et obtinrent que la liberté fût laissée à Otton de Nordheim qui bientôt se réconcilia avec le roi[113].

Henri IV triomphait et, du même coup, il recouvrait la liberté de ses mouvements. La question de la Saxe l'a paralysé jusqu'à la fin de 1075 et obligé, malgré ses tendances absolutistes et irréligieuses, à ménager le Saint-Siège. Du jour où son succès s'accuse et bien que Grégoire VII l'ait secondé aux plus mauvais jours, il se montre plus cassant, plus hautain, plus arrogant. La soumission de la Saxe (octobre-décembre 1075) est suivie, dès janvier 1076, d'une rupture avec la papauté ; le synchronisme des deux événements est tout à fait frappant.

LA CRISE MILANAISE. — L'affaire milanaise a été l'occasion de la rupture. La promulgation du décret sur l'investiture laïque avait été retardée en Allemagne. Dans le courant de l'été de 1075, Henri IV a nommé des évêques à Spire, à Liège, à Bamberg, sans que Grégoire VII ait élevé la moindre protestation[114]. A Milan, où la guerre civile avait pris une recrudescence nouvelle à la suite du terrible incendie du 30 mars 1075, le roi, pour être agréable au parti impérialiste qui accusait les Patares d'avoir mis le feu à la ville, désigna également un nouvel archevêque, Tedald, jusque-là simple diacre, que les évêques lombards sacrèrent avec empressement[115]. Or l'église de Milan possédait déjà un pasteur, Atton, que Henri IV avait lui-même reconnu : Grégoire VII ne pouvait fermer les yeux, comme il l'avait fait pour les diocèses allemands, ni tolérer un scandale aussi éclatant et aussi douloureux.

Le 8 décembre 1075, le pape, qui depuis deux mois éprouvait déjà quelques inquiétudes[116], écrit au roi pour lui reprocher sa désobéissance aux canons apostoliques, tout en se montrant disposé à la lui pardonner, s'il abandonne Tedald[117]. A ces paternels avertissements Henri IV va répondre par un insolent défi. Tout semble à ce moment lui sourire. En Allemagne, la Saxe a capitulé. En Italie, les Patares, privés de leur chef, Erlembaud, qui vient d'être assassiné, ont perdu de leur vigueur offensive et, au Sud, les déprédations normandes sur les terres ecclésiastiques ont brouillé l'Église romaine avec ses anciens alliés[118]. A Rome même, Grégoire VII a des ennemis : le 25 décembre 1075, un attentat est dirigé contre sa personne par un ancien partisan de Cadalus, Cenci. Toutefois ces violences donnent au pontife un regain de popularité qui se manifeste après l'échec de la tentative criminelle[119]. D'autre part, Robert Guiscard, quoique frappé d'anathème par le pape, reste sourd à toutes les avances de Henri IV : il redoute les ambitions allemandes en Italie et, pour les conjurer, se réconcilie avec son voisin et rival, Richard de Capoue[120]. Enfin Grégoire VII peut compter sur l'appui fidèle de la comtesse Béatrix, veuve de Godefroy le Barbu, et de la fille de celle-ci, la comtesse Mathilde, mariée à Godefroy le Bossu. Bref, si Henri IV est le maître incontesté d'Allemagne, les moyens d'action dont il dispose en Italie sont, au contraire, plus limités.

L'ASSEMBLÉE DE WORMS (24 JANVIER 1076). — La responsabilité de la rupture incombe au roi. C est lui qui a pris l'initiative de réunir à Worms, le 24 janvier 1076, une solennelle assemblée d'évêques et de princes à laquelle il veut arracher une sentence de déposition contre Grégoire VII. Tout l'épiscopat allemand est accouru à son appel ; les laïques, à l'exception de Godefroy de Lorraine, brouillé avec sa femme, se sont au contraire abstenus. Le cardinal Hugue Candide, qui s'est récemment séparé de Grégoire VII, est venu tout exprès pour attiser les rancunes et les haines. Des délibérations de cette assemblée sort un violent réquisitoire contre le pape : Grégoire VII est accusé d'avoir usurpé son pouvoir, détruit la paix de l'Église, porté atteinte à la juridiction de l'ordinaire en s'arrogeant le droit de juger toutes les causes ecclésiastiques, nourri des ambitions temporelles sur l'Italie et cherché à enlever au roi de Germanie la dignité qui lui était échue par héritage. Pour conclure, chaque évêque doit signer une déclaration ainsi formulée : Moi, N..., évêque de N..., je notifie à Hildebrand que, dès ce moment, je lui refuse soumission et obéissance, que je ne le reconnaîtrai plus comme pape et ne lui donnerai plus ce titre[121].

La sentence de Worms est, à bien des égards, une réplique aux Dictatus papæ. Elle apparaît comme l'expression du vieux césaro-papisme impérial, en face de la théorie grégorienne de la suprématie romaine. Les deux systèmes s'affrontent ; le conflit est inévitable.

EXCOMMUNICATION ET DÉPOSITION DE HENRI IV (14 FÉVRIER 1076). — Après l'assemblée de Worms, les évêques de Spire et de Bâle, Hozmann et Burchard, sont envoyés en Italie pour solliciter l'adhésion des prélats lombards à la sentence de déposition prononcée contre Grégoire VII. Elle est obtenue sans difficulté à l'assemblée de Plaisance et un clerc de Parme, Roland, est chargé d'aller notifier au concile qui devait se réunir à Rome à l'occasion du carême la double condamnation dont le pape a été l'objet[122].

Ce synode romain se réunit en effet le 14 février. Roland s'y acquitte de sa mission et somme les clercs de se rendre auprès du roi pour la Pentecôte, afin de recevoir un pape de ses mains. D'unanimes protestations s'élèvent aussitôt et l'on eût fait un mauvais parti à Roland, si Grégoire VII, en le couvrant de sa personne, ne lui avait sauvé la vie. Après cet incident, le pape prend la parole et, exerçant le pouvoir de lier et de délier, confié par le Christ à l'Apôtre, interdit à Henri IV, qui par un orgueil insensé s'était élevé contre l'Église, de gouverner le royaume d'Allemagne et d'Italie ; il délie ensuite ses sujets du serment de fidélité, puis, après avoir rappelé que le roi avait entretenu des rapports avec les excommuniés et méprisé les avertissements du siège apostolique, il le frappe d'anathème[123].

Cette sentence, jusque-là sans précédent, est une date dans l'histoire des rapports de la papauté avec les puissances temporelles. Elle consacre l'application des thèses énoncées un an plus tôt dans les Dictatus papæ dont elle souligne la valeur à la fois doctrinale et pratique. Affranchie par Nicolas II de la tutelle germanique, l'Église romaine affirme sa suprématie non seulement sur les évêques et sur les clercs, mais aussi sur les rois qui doivent, sous peine de sanctions spirituelles et temporelles, se plier aux directions du siège apostolique. On peut mesurer par là toute l'étendue du chemin parcouru au cours des trente dernières années : en 1046, Henri III déposait, de sa propre autorité, les trois papes qui se disputaient le siège apostolique sans soulever la moindre résistance ; en 1076, Grégoire VII riposte à une sentence du même genre en invitant les sujets de Henri IV à ne plus le reconnaître comme roi. La papauté, jusque-là satellite de l'empire, est devenue une puissance avec laquelle les princes temporels devront compter.

 

 

 



[1] Sur Étienne IX, voir : A. Fliche, La Réforme grégorienne, t. I, La formation des idées grégoriennes, Louvain, Paris, 1924 ; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. III ; Meyer von Knonau, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich IV und Heinrich V, Leipzig, 1890-1909, 7 vol., t. I ; U. Robert, Le pape Étienne IX dans la Revue des questions historiques, t. XX, 1876, 49-76.

[2] Réforme grégorienne, t. I, p. 165-167.

[3] Réforme grégorienne, t. I, p. 167.

[4] Meyer von Knonau, op cit., t. I, p. 29-31.

[5] Voir le récit de ces élections dans la Réforme grégorienne, t. I, p. 129-130 et 159-165.

[6] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 32-33.

[7] Laurent de Liège, Gesta episcoporwm Virdunensium, c. IV.

[8] Réforme grégorienne, t. I, p. 170-171.

[9] Réforme grégorienne, t. I, p. 168-169.

[10] Arnulf, Gesta archiepiscoporum Mediolanensium, c. X et suiv.

[11] Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, t. I, p. 143 et suiv.

[12] La date de la mort du pape est donnée par Léon d'Ostie, Chronica monasterii Casinensis, II, 98.

[13] Adversus Simoniacos, III, 21. — Sur l'ensemble de l'œuvre, voir : Réforme grégorienne, t. I, p. 283-308.

[14] Outre les ouvrages cités à la première note de ce chapitre, on pourra consulter utilement : Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. IV, 26 p., p. 1139 et suiv. ; P. Scheffer-Boichorst, Die Neuordnung der Papstwahl durch Nicolaus II, Strasbourg, 1879 ; Giesebrecht, Das echte Decret Nicolaus II iiber die Papstwahl und die Fiilschungen, dans le Münchenes historisches jahrbuch, 1886. ; Martens, Die Besetzung des päpstlichen Stubles unter den Kaisern Heinrich III und Heinrich IV, Fribourg, 1887.

[15] Ce renseignement est donné par une lettre de Pierre Damien (III, 4). Cf. Réforme grégorienne, t. I, p. 309-310.

[16] Réforme grégorienne, t. I, p. 310.

[17] Sur ces diverses négociations, assez controversées, voir : Réforme grégorienne, t. I, p. 310-313.

[18] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 120 ; Réforme grégorienne, t. 1, p. 313 et 326-327.

[19] On en trouvera la liste dans Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1165-1166.

[20] C'est la version dite pontificale du décret qui vient d'être analysée. Il en existe une autre, connue sous le nom de version impériale, que l'on a parfois considérée comme la version authentique, mais il est aujourd'hui démontré qu'elle n'est qu'un faux, rédigé peu après 1080 par les partisans de l'antipape Clément III. Cf. Réforme grégorienne, t, I, p. 316-323. On trouvera reproduites dans ce même volume (p. 315, n. 1) les deux versions, d'après le texte des Monumenta Germaniæ historica in-4°, Constitutiones et acta publica imperatorum et regum, t. I, p. 539 et suiv. — Les cardinaux-évêques sont les sept évêques suburbicaires et les cardinaux-prêtres les curés des paroisses de Rome.

[21] Réforme grégorienne, t. I, p. 325. Sur la chronologie de ces événements, cf. ibid., n. 4.

[22] Réforme grégorienne, t. I, p. 333-334.

[23] Contrairement à l'opinion généralement soutenue, l'idée de ce voyage n'a pas été dictée au pape par Hildebrand, mais bien par l'abbé du Mont-Cassin, Didier (le futur pape Victor III), qui, pour sauvegarder les trésors artistiques accumulés dans son monastère, avait jugé prudent d entretenir de bons rapports avec les princes normands, véritables spécialistes du pillage. Le 6 mars 1059, Nicolas II est venu au Mont-Cassin et c'est sans doute au cours de cette entrevue que la politique de rapprochement a été décidée. Avant de pénétrer en Pouille, en juillet 1059, le pape passe de nouveau au monastère pour y prendre l'abbé Didier qui l'accompagnera constamment. Cf. Réforme grégorienne, t. I, p. 326 et suiv.

[24] Chalandon, op. cit., t. I, p. 367 et suiv ; Réforme grégorienne, t. I, p. 328-330 ; Gay, L'Italie méridionale et l'empire byzantin, p. 515-519. D'après M. Gay (p. 519), le duc d'Apulie, tout en se reconnaissant le fidèle de l'Église romaine, n'entend point être son vassal ; et la vague formule par la grâce de Dieu et de saint Pierre n'implique en aucune façon la reconnaissance d'un droit éminent de l'Église à la souveraineté de l'Italie méridionale.

[25] Voir : A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, roi de France, p. 2 et suiv.

[26] Réforme grégorienne, t. I, p. 330-333.

[27] En dehors des conciles du Latran, de nombreux synodes ont été tenus par Nicolas II, notamment à Sutri, en janvier 1059, à Bénévent et à Amalfi au cours du voyage de l'été de 1059 dans l'Italie normande. Le pape a également songé à aller en France pour y promulguer les décrets réformateurs, mais il est mort trop tôt pour réaliser ce projet. Cf. Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1133 et suiv. ; Réforme grégorienne, t. I, p. 328 329 et 332.

[28] Réforme grégorienne, t. I, p. 335-337.

[29] Réforme grégorienne, t. I, p. 338-339. — Ce dernier canon du concile romain de 1059 est le prototype du célèbre décret sur l'investiture laïque promulgué en 1075 par Grégoire VII. Il n'est d'ailleurs que la traduction d'un passage du traité Adversus Simoniacos (III, 6) où le cardinal Humbert, auquel il faut reporter l'idée première de la législation sur l'investiture, conteste aux laïques le droit de distribuer les fonctions ecclésiastiques, de disposer de la grâce pontificale et pastorale.

[30] Voir : A. Fliche, Ulrich d'Imola, Étude sur l'hérésie nicolaïte en Italie au milieu du XIe siècle, dans Revue des sciences religieuses, t. II, 1922, p. 127-139.

[31] Fliche, Les versions normandes du rescrit d'Ulrich, dans Ibid., t. V, 1925, p. 14-34.

[32] On a sur ces événements une relation de Pierre Damien lui-même (op. V).

[33] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1202-1204.

[34] La date est donnée par le chroniqueur Bernold de Constance, a. 1061.

[35] Sur Alexandre II voir, outre les ouvrages précédemment cités : R. Fetzer, Voruntersuchungen zu einer Geschichte des Pontifikats Alexanders II, Strasbourg, 1887.

[36] Réforme grégorienne, t. I, p. 342-344.

[37] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1216-1219. Cf. Réforme grégorienne, t. I, p. 343. 40. Pierre Damien (epist. I, 20 et 21) a notamment accusé Cadalus d'avoir dépouillé son église et versé l'or à pleines mains pour détruire la foi chrétienne.

[38] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 247 et suiv.

[39] Réforme grégorienne, t. I, p. 345-346.

[40] Réforme grégorienne, t. I, p. 346-347.

[41] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 300 et suiv. ; Réforme grégorienne, t. I, p. 347-348.

[42] Pierre Damien, Epist. III, 6.

[43] Il est possible qu'Alexandre II ait été influencé par une nouvelle tentative contre Rome de Cadalus qui réussit encore une fois à enlever la cité léonine et le château Saint-Ange, mais ne tarda pas à être repoussé. Cf. Meyer von Knonau, op cit., t. I, p. 309 et suiv.

[44] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1234 et suiv. ; Réforme grégorienne, t. I, p. 349-350.

[45] Réforme grégorienne, t. 1, p. 350-351 ; Chalandon, op. cit., t. I, p. 218.

[46] Réforme grégorienne, t. I, p. 353.

[47] Sur le caractère, les idées et l'œuvre de Pierre Damien, voir : Réforme grégorienne, t. I, p. 175- 264, et aussi : R. Foglietti, S. Petto Damiano, Autobiographiei, Turin, 1899 ; J. A. Endres, Petrus Damiani und die weltliche Wissenschaft dans les Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters de Bæumker, Munster, 1910 ; Hans von Schubert, Petrus Damiani als Kirchenpolitiker, dans Festgabe von Fachgenossen Und Freunden Karl Muller zum siebzigstêh Gebuntag durchgebracht, Tubingue, 1922, p. 83-102.

[48] Sur le rôle d'Hildebrand, de 1048 à 1073, voir : Fliche, Hildebrand dans le Moyen âge, 2e série, t. XXI, 1919, p. 76-106, 149-161, 197-210 et Réforme grégorienne, t. I, p. 366 et suiv.

[49] Alexandre II a notamment présidé, en 1067, le concile d'Amalfi où plusieurs évêques coupables ont été déposés. Cf. Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1264-1265.

[50] Réforme grégorienne, t. I, p. 357-358.

[51] On trouvera un récit détaillé de ces événements dans Arnulf, Gesta archiepiscoporum Mediolanensium, III, 16 et suiv., qui est la seule source digne de foi. Cf. Réforme grégorienne, t. 1, p. 358-359.

[52] Réforme grégorienne, t. I, p. 359.

[53] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 42, 93-96, 189 et suiv.

[54] Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. III, p. 7II-712.

[55] Meyer von Knonau, op cit., t. I, p. 274 et suiv. ; Hauck, op. cit., t. II, p. 714-715, Agnès se retira au monastère de Fructuaria en Piémont, puis à Rome.

[56] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 342-348.

[57] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 206-et 349-350. Wratislas avait succédé, en 1061, à son frère Spitignev.

[58] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 400-401.

[59] Hauck, op. cit., t. III, p. 649 et suiv. : Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 407 et suiv.

[60] On trouvera Je récit de ces luttes dans Adam de Brème, III, 45.

[61] Meyer von Knonau, op. cit., t. 1, p. 424-426, 487 et suiv.

[62] Hauck, op.cit., t. III, p. 735 ; Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 513 et suiv.

[63] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 152-154 ; Hauck, op. cit., t. I, p. 725.

[64] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 618-620.

[65] On ne connaît pas la teneur exacte des accusations lancées contre le duc de Bavière. On sait simplement qu'en 1069, Henri IV, au retour d'une expédition sur la rive droite de l'Elbe, avait été l'hôte d'Otton et qu'au cours d'une rixe entre les serviteurs du roi et ceux du duc, une des personnes de la suite de Henri IV avait trouvé la mort II est possible qu'Otton ait été rendu responsable de ce meurtre. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 610-611.

[66] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 9 et suiv. Welf n'avait pas épousé la cause de son beau-père. Il ne tarda pas d'ailleurs à renvoyer sa femme pour épouser Judith, fille de Baudouin V de Flandre et veuve de l'Anglais Tostig.

[67] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 41-45 et 70,

[68] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 154 et suiv.

[69] Hauck, op. cit., t. III, p. 726.

[70] Hauck, op. cit., t. III, p. 726-727 ; Réforme grégorienne, t. I, p. 360-361.

[71] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 500-501 et 503-505.

[72] Hauck, op. cit., t. III, p. 731 et 736

[73] Hauck, op. cit., t. III, p. 736.

[74] Réforme grégorienne, t. I, p. 361-363.

[75] Réforme grégorienne, t. I, p. 364-365.

[76] Réforme grégorienne, t. 1, p, 365 ; Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1269-1272.

[77] Chalandon, op. cit., t. I, p. 173 et suiv. ; Gay, op. cit., p. 533-538.

[78] Chalandon, op. cit., t. I, p. 215 et suiv.

[79] Meyer von Knonau, op. cit,, t. t, p. 546 et suiv. ; Hauck, op. cit., t. III, p. 746 ; Réforme grégorienne, t. I, p. 351.

[80] Chalandon, op. cit., t. I, p. 221 ; Réforme grégorienne, t. I, p. 352.

[81] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 585 et suiv.

[82] Meyer von Knonau, op. cit., t. I, p. 634-638.

[83] Réforme grégorienne, t. I, p. 365.

[84] On trouvera une bibliographie détaillée du pontificat de Grégoire VII dans A. Fliche, Réforme grégorienne, t. II, Grégoire VII, Louvain-Paris, 1925. Parmi les ouvrages à retenir plus spécialement, nous signalerons, outre ceux qui ont été indiqués à propos des précédents pontificats : A. F. Gfrorer, Papst Gregorius VII und sein Zeitalter, Schaffouse, 1859-1861, 7 vol. ; W. Martens, Gregor VII, sein Leben und Wirken, Leipzig, 1894, 2 vol. ; P. Fournier, Un tournant de l'histoire du droit dans la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, t. XL, 1917, p. 129-180 ; Les collections canoniques romaines de l'époque de Grégoire VII dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, t. XLI, 1918, p. 271-397 ; A Fliche, Saint Grégoire VII, Paris, 4e éd., 1928 ; Th. Oestreich, The Personality and Character of Gregory VII in recent historical research dans The catholic historical review, nouv. série, t. I, 1921, p. 35-43. E. Caspar, Gregor VII in seinen Briefen dans Historische Zeitschrift, t. CXXX, 1924, p. 1-30.

[85] Mirbt, Die Wahl Gregors VII, Diss. Marbourg, 1892 ; A. Fliche, L'élection de Grégoire VII dans le Moyen âge, 2e série, t. XXVI, 1924-1925, p. 71-90. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 71 et suiv.

[86] Cette découverte est due à W. M. Pertz, dont le travail, intitulé Das Originalregister Gregors VII im Vatikanischm Archiv, a paru dans les Sitzungsberichte der kais. Akad. der Wissenschaften zu Wien, phil. hist. klasse, t. CLXV, fasc. 5, Vienne, 1911. Cf. aussi : E. Caspar, Studien zum Register Gregors VII, dans Neues Archiv, t. XXXVIII, 1913, p. 143-226 ; O. Blaul, Studien zum Regisier Gregors VII, dans Archiv für Urkundenforschung, t. IV, 1912, p. 113-228 ; A. Fliche, La Réforme grégorienne, t. II, p. 1-31. — Une édition définitive du registre de Grégoire VII a été donnée par M. Caspar dans les Monumenta Germaniæ historica, au tome II des Epistolæ selectæ, Berlin, 1920-1923.

[87] Nous renvoyons, pour plus de détails, au portrait que nous avons tracé de Grégoire VII dans Etudes sur la polémique religieuse à l'époque de Grégoire VII, Paris, 1916, p. 262-278 ; Saint Grégoire VII, p. 13-21 ; La Réforme grégorienne, t. II, p. 90-103.

[88] Registrum, I, 27.

[89] Réforme grégorienne, t. II, p. 103 et suiv.

[90] Jaffé-Wattenbach, 4801.

[91] Registrum, I, 19 ; Réforme grégorienne, t. II, p. 108.

[92] Reforme grégorienne, t. II, p. 121.

[93] Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 119.

[94] Réforme grégorienne, t. II, p. 121-123.

[95] On trouvera un très bon exposé des origines de l'insurrection saxonne dans Meyer von Knonau, op. cit, t. II, p. 225-338.

[96] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 242 et suiv.

[97] Réforme grégorienne, t. II, p. 122-124

[98] Cette lettre a été insérée dans le registre de Grégoire VII (I, 29 a). Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 124-125.

[99] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 286 et suiv.

[100] On trouvera plusieurs de ces bulles analysées ou traduites dans Réforme grégorienne, t. II, p. 109 et suiv.

[101] Jaffé-Wattenbach, 4931-4932 ; Réforme grégorienne, t. II, p. 135 et suiv. — Sur la date de ces décrets, cf. ibid., t. II, p. 136, n. 5.

[102] Réforme grégorienne, t. II, p. 149-151.

[103] Réforme grégorienne, t. II, p. 152.

[104] Voir le récit très pittoresque de Lambert de Hersfeld, a. 1074. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 158-161.

[105] Réforme grégorienne, t. II, p. 162-167.

[106] Cf. par exemple la lettre II, 49 du Registrum à Hugue de Cluny.

[107] Réforme grégorienne, t. II, p. 178 et suiv.

[108] Réforme grégorienne, t. II, p. 174-177.

[109] Les Dictatus papæ, insérés dans le registre de Grégoire VII (II, 55 a), ont été longtemps attribués au cardinal Darsdedit. Il est aujourd'hui acquis qu'ils ont été, au contraire, écrits sous la dictée du pape. Cf. à ce sujet Réforme grégorienne, t. II, p. 190, n. 2.

[110] Réforme grégorienne, t. II, p. 149-150.

[111] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 385-389 et 402-404.

[112] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 415-416.

[113] Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 487 et suiv.

[114] Réforme grégorienne, t. II, p. 265. Ces diverses nominations étaient pures de toute simonie et le 20 juillet 1075, Grégoire VII félicite encore Henri IV de sa virile résistance aux simoniaques (Registrum, III, 3).

[115] La seule version véridique de ces événements se trouve dans Arnulf, IV, 8-10, et V, 5. Cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 479, n. 45.

[116] Le 11 septembre, une lettre aux comtesses Béatrix et Mathilde (Registrum, II, 5) les trahit en termes voilés, alors que, le 3, Grégoire VII se réjouissait encore (ibid., III, 7) de la victoire de Henri IV sur les Saxons où il voyait un gage de paix. Sur la chronologie de ces lettres, cf. Meyer von Knonau, op. cit., t. II, p. 570, n. 8, et Réforme grégorienne, t. II, p. 266, n. 4 et 267, n. 2.

[117] Registrum, III, 10.

[118] Réforme grégorienne, t. II, p. 135 et 177. — Robert Guiscard a été excommunié par le pape à deux reprises, lors des conciles romains de 1074 et de 1075.

[119] Réforme grégorienne, t. II, p. 277.

[120] Chalandon, op. cit., t. I, p. 243-

[121] Réforme grégorienne, t. II, p. 279-281. On trouvera les divers textes relatifs à l'assemblée de Worms dans les Constitutiones et acta, t. I, p. 106-110.

[122] Réforme grégorienne, t. II, p. 282-283.

[123] Registrum, III, 10 a. Cf. Réforme grégorienne, t. II, p. 284 et suiv.