HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

PREMIÈRE PARTIE. — LES CONSÉQUENCES DU DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE CAROLINGIEN (888-962)

 

CHAPITRE VII. — LE RÉGIME SEIGNEURIAL.

 

 

I. — L'organisation politique et administrative des royaumes occidentaux[1].

 

PHYSIONOMIE DES ÉTATS OCCIDENTAUX AU MILIEU DU Xe SIÈCLE. — La disparition de l'empire carolingien a profondément modifié la carte de l'Europe occidentale en substituant à l'unité impériale, imparfaitement reconstituée par Otton le Grand, là division en royaumes. Le travail de désagrégation ne s'est pas arrêté là : au milieu du Xe siècle, chacun de ces royaumes n'est en réalité qu'une mosaïque d'États dont les chefs portent les noms de ducs, de marquis ou de comtes, et sur lesquels l'autorité monarchique, au moins en France, en Bourgogne et en Italie, ne se fait sentir que d'une façon lointaine et souvent illusoire. Les comtés eux-mêmes se morcellent en seigneuries indépendantes, laïques ou ecclésiastiques ; dont les titulaires exercent pour la plupart les droits régaliens et ne sont rattachés au comté que par les liens de la vassalité, c'est-à-dire du dévouement personnel, qui unissent également les comtes et les ducs au roi[2].

ORIGINES DU RÉGIME SEIGNEURIAL. — Ce régime, dit seigneurial, n'est pas nouveau. Il existe virtuellement pendant la période carolingienne et ses origines premières remontent plus haut encore[3]. Le vasselage, qui subordonne une personne, le vassus, à une autre personne, le senior, est reconnu par les capitulaires dès l'époque de Charlemagne et il est, sous ses successeurs, un des éléments de la constitution de l'État : tout homme peut se choisir un seigneur auquel il jure fidélité, dont, en échange, il reçoit la protection et qui répond de lui devant le roi. Le plus souvent, ce vassal est en même temps un bénéficiaire auquel le seigneur remet en bénéfice une terre qu'il cultive moyennant certaines redevances et qu'en général il transmet à ses descendants.

Sur ce phénomène d'ordre social, d'où est né le régime seigneurial, se sont greffés d'autres usages qui, en provoquant la désagrégation de l'État, ont amorcé une transformation politique d'une incalculable portée. Le roi, par l'immunité, a abandonné les droits régaliens sur les terres des grands propriétaires fonciers qui ont rendu la justice et perçu les impôts pour eux-mêmes, acquérant ainsi au détriment de l'État une indépendance à peu près complète. Il a surtout — et c'est là l'étape la plus décisive — admis l'assimilation des offices aux bénéfices, abandonné aux comtes, représentants de l'autorité publique, en guise de traitement, les propriétés de l'État et les droits régaliens à l'intérieur de leurs circonscriptions administratives, si bien que ses fonctionnaires sont devenus à la fois des bénéficiaires et des immunistes qui, au lieu d'être ses mandataires responsables et révocables, ne se rattachent désormais au pouvoir central que par les liens assez lâches de la fidélité. C'est là une véritable révolution qui a transformé les comtes, primitivement agents de l'État, en fidèles ou vassaux. Naturellement l'anarchie politique qui a sévi un peu partout pendant la première moitié du Xe siècle, a rendu cette fidélité encore plus théorique et rompu les dernières entraves qui subordonnaient à la couronne les anciens fonctionnaires carolingiens.

CONSÉQUENCES DES LUTTES DYNASTIQUES. — On a vu comment, au cours de cette période, tous les royaumes ont été en proie à des luttes dynastiques qui ont ébranlé l'autorité monarchique. Pour conserver la couronne, que leur disputaient âprement des compétiteurs ardents et jaloux, les rois n'ont eu d'autre préoccupation que de s'assurer le concours de leurs fidèles. Le meilleur moyen d'obtenir leur appui n'était-il pas de leur abandonner les rares prérogatives qu'ils avaient conservées ? Aussi les ducs, marquis, comtes qui, depuis l'époque mérovingienne, se recommandaient au souverain avant d'entrer en fonctions, ont-ils achevé de devenir des vassaux dont le roi se contente de recevoir, en qualité de suzerain, l'hommage et le serment de fidélité, sans exercer aucun contrôle sur eux. Il y a plus : ces grands offices, d'où procéderont les grands fiefs, se transmettent par l'hérédité si bien, qu'il se constitue de véritables dynasties qui échappent à l'action du souverain. En France par exemple, depuis Richard le Justicier (877), les ducs de Bourgogne se lèguent leur fonction de père en fils ; il en est de même en Normandie avec Guillaume Longue-Épée (927-943), Richard Ier (943-996), Richard II (996-1027), ou encore en Flandre où, depuis Baudouin Bras de Fer (863-879), la dignité comtale ne sort pas de la même famille[4]. La situation est identique en Allemagne où, jusqu'à Otton le Grand, la transmission par l'hérédité de la dignité ducale n'est gênée que par l'opposition de familles rivales. Ainsi s'affermit le régime du dévouement personnel qui supprime l'ingérence du pouvoir central à l'intérieur des circonscriptions locales devenues autant de seigneuries indépendantes.

Cette évolution, commune à tous les royaumes occidentaux, ne s'est pas arrêtée partout au même stade et il en résulte une diversité. sur laquelle on ne saurait assez insister : le régime seigneurial n'affecte pas la même physionomie en Allemagne qu'en Italie ou en France.

LE RÉGIME SEIGNEURIAL EN ALLEMAGNE. — En Allemagne, la monarchie, après avoir connu une éclipse totale au temps de Louis l'Enfant (900-911) et de Conrad de Franconie (911-918), s'est ressaisie après l'avènement de la dynastie saxonne (mai 919). On a vu comment Otton Ier avait réussi à faire des ducs ses ministeriales qu'il nomme et révoque à sa guise. Ce qui est vrai des ducs l'est aussi des comtes et des margraves placés à la tête des comtés frontières qui font face aux Slaves et aux Hongrois. Tous sont considérés comme des fonctionnaires investis des droits régaliens, mais simples représentants du pouvoir central qui rendent la justice et commandent l'armée au nom du roi, qui n'ont, comme on l'a très justement remarqué, qu'une simple délégation du bannum royal[5].

Cependant, malgré le redressement opéré par Otton le Grand, les cadres subsistent et la volonté de l'empereur se heurte à certaines habitudes acquises. Si le roi, en certaines circonstances, s'est débarrassé de ducs, de margraves ou de comtes rebelles, s'il a disposé de leurs dignités en faveur de ses parents et de ses amis, il a été obligé, en des cas plus nombreux, de se plier à la tradition et d'accepter la transmission par héritage des fonctions publiques, si bien que celles-ci continuent à faire partie du patrimoine familial et restent assimilées à des bénéfices[6]. Que le pouvoir royal, pour une raison ou pour une autre, vienne à s'affaiblir — ce qui arrivera pendant la seconde moitié du XIe siècle —, l'Allemagne subira le sort des autres États occidentaux. Contrarié par Otton le Grand, le régime seigneurial s'y implantera plus tard qu'ailleurs, mais il y poussera des racines plus profondes et y durera plus longtemps.

En outre, pour contre-balancer le pouvoir des ducs, Otton Ier et ses successeurs ont été conduits a créer, au profit de l'Église, de véritables seigneuries ecclésiastiques. Non seulement ils ont multiplié les donations, mais surtout ils ont concédé aux prélats, assimilés à des princes temporels, les droits régaliens jusque-là réservés aux comtes. Dans l'ancien royaume de Lorraine par exemple, les évêques de Liège ont reçu les comtés de Huy, de Brunengerunz, de Haspinga et presque tout le Condroz ; ceux d'Utrecht, le Hamaland, l'Ostergo et le Westergo, tandis que ceux de Cambrai devenaient les maîtres de tout le Cambrésis[7]. A Mayence, à Cologne, à Magdebourg, à Coire, les évêques ont été investis par Otton Ier des pouvoirs comtaux sur le territoire de la ville ou du diocèse, avec le droit de percevoir les revenus qui y étaient attachés et il en a été de même, sous Otton II, à Worms et à Minden[8], Otton III et Henri II développeront encore cette politique. Bref l'évêché, en Allemagne, est devenu l'un des éléments essentiels du régime seigneurial, Toutefois, comme, du fait du célibat ecclésiastique, le titulaire change à chaque décès et que le roi a conservé le droit de nomination, l'aliénation des droits régaliens aux mains des prélats aura des inconvénients moins sensibles pour la royauté.

LE RÉGIME SEIGNEURIAL EN ITALIE. — Bien que l'Italie, a partir de 951, appartienne aux rois de Germanie, le régime seigneurial y a conservé, pendant la seconde moitié du Xe siècle, toute sa vigueur. Sous les Ottons, comme pendant la période anarchique qui avait suivi la disparition de l'empire carolingien, la péninsule reste partagée en une série de seigneuries dont les détenteurs sont les véritables souverains[9]. Toutes sont devenues héréditaires et Otton le Grand n'a pu aller à rencontre d'usages déjà anciens. En Toscane par exemple, le marquis Herbert lègue sa dignité à son fils, Hugue le Grand, qui deviendra l'un des principaux personnages de la politique italienne à la fin du Xe siècle[10]. Il en est de même à Turin et à Canossa, à Spolète et à Ivrée ; seul le Frioul, qui intéresse directement la puissance germanique en Italie, est considéré comme une marche allemande, étroitement subordonnée à la royauté[11]. Les évêques ont, eux aussi, conservé leur indépendance et leurs grands domaines, mais, jalousés par les marquis et par les comtes, ils restent, comme en Allemagne, très attachés à la couronne qui les protège et les enrichit, afin d'être plus sûre de leur appui[12].

LE RÉGIME SEIGNEURIAL EN FRANCE. — En France, comme en Italie, les prérogatives royales ont à peu près complètement disparu. Il ne s'est' pas trouvé un Otton le Grand pour restaurer l'autorité monarchique ; tout au contraire celle-ci n'a cessé de s'affaiblir par suite de la très longue durée des luttes dynastiques et de la nécessité où se sont trouvés les rois, Carolingiens ou Robertiens, d'aliéner les quelques droits qu'ils avaient pu garder pour acheter les concours qui leur étaient nécessaires. D'autre part, il n'y a rien en France qui ressemble aux duchés allemands. Le royaume est partagé en douze ou quinze principautés sans caractère ethnique bien accusé et dont les chefs, parés du titre de duc, de marquis ou de comte, ont réuni le plus souvent sous leur pouvoir plusieurs comtés carolingiens[13]. Ce sont là de véritables États, gouvernés par des dynasties héréditaires qui exercent tous les droits régaliens dans la mesure où elles ne les ont pas aliénés à des seigneurs de moindre importance. En tous cas, le roi y a perdu tout pouvoir de contrôle ; c'est à peine si dans quelques-uns d'entre eux il a conservé la nomination de rares évêques. On ne songe même pas à solliciter de lui la délivrance de diplômes[14] et sa suzeraineté, purement théorique, ne saurait exiger de ces vassaux, pourtant descendants des anciens fonctionnaires carolingiens, aucun des devoirs que comporte la fidélité ; le régime seigneurial est parvenu au terme de son évolution, et il faudra longtemps avant que la royauté puisse reconquérir les droits qu'elle a successivement abandonnés[15].

POUVOIRS DES GRANDS VASSAUX. — Le régime seigneurial n'a donc - pas la même allure dans les divers royaumes occidentaux. Toutefois les différences qui viennent d'être constatées sont des différences de degré et non pas de nature. Partout il existe de grandes seigneuries dont les titulaires, autrefois fonctionnaires révocables d'un roi souverain, sont maintenant, dans une plus ou moins large mesure, les vassaux héréditaires d'un roi suzerain. Sans doute le caractère des rapports juridiques n'a pas changé. Pendant la période carolingienne, les ducs et comtes n'entraient en charge qu'après s'être placés sous le mundium du souverain et lui avoir juré fidélité[16]. Le contrat vassalique, aux Xe et XIe siècles, dérive de cette cérémonie ; il comporte tout à la fois l'hommage, issu de l'ancienne recommandation, et le serment de fidélité prêté sur l'Évangile, deux actes qui se complètent sans s'opposer l'un à l'autre. C'est, comme on l'a dit très justement, par leur union intime, indissoluble, que se forme l'engagement vassalique[17].

Toutefois, si les formules juridiques sont toujours les mêmes, la situation qu'elles recouvrent s'est profondément modifiée. D'une part, les grands vassaux sont devenus héréditaires ; ils transmettent à leurs enfants leur duché ou leur comté, et c'est seulement au cas où il n'y a pas de descendance en ligne directe ou encore quand l'héritier est mineur qu'il peut y avoir intervention royale[18] ; en règle générale, le souverain se contente de recevoir l'hommage du fils d'un duc ou d'un comte défunt. D'autre part, sauf en Allemagne où, au Xe siècle, le roi a conservé un certain contrôle, le grand vassal jouit personnellement des pouvoirs dont il était autrefois investi comme délégué de la couronne. Le tribunal royal est devenu son propre tribunal et il perçoit pour lui les impôts dont le montant était autrefois versé à l'administration centrale. Il a sa cour, promulgue des ordonnances et, théoriquement au moins, reçoit les appels des tribunaux inférieurs. En France, dans bien des cas, il nomme l'évêque, exerce sur les églises et sur les monastères les droits royaux, à moins qu'à son tour il ne les cède en bénéfice[19]. Sa puissance est d'ailleurs variable, mais elle se trouve limitée moins du fait de la royauté que de celui des seigneurs d'un rang inférieur dont le grand vassal est lui-même le suzerain.

Il s'est produit en effet, à l'intérieur de ces grandes seigneuries, un phénomène analogue à celui qui les a fait naître dans le cadre du royaume : par suite d'une série d'aliénations successives, des seigneurs d'un moindre rang jouissent eux-mêmes, à la fin du Xe siècle, de droits régaliens qui leur assurent une indépendance à peu près complète. Au XIIe siècle, le grand feudataire réussira, au moins en France, à leur reprendre ce qu'ils ont conquis au Xe, mais jusque-là, c'est le triomphe du morcellement territorial, accompagné d'un émiettement de l'autorité souveraine qui persistera fort longtemps[20].

LES INVASIONS ET LE MORCELLEMENT TERRITORIAL. — Ce morcellement territorial est une conséquence des grandes invasions des IXe et Xe siècles dont l’influence, pour la constitution du régime seigneurial, a été plus décisive encore que celle des luttes dynastiques.

On a vu comment l'État, très affaibli à la fin de la période carolingienne, n'avait pas pu, dans la plupart des cas, assurer efficacement la résistance aux incursions sarrasines, hongroises ou normandes. Aussi les populations, abandonnées à elles-mêmes, ont-elles cherché à se protéger en utilisant les ressources qu'elles avaient à leur portée. La défense s'est organisée sur place et, si les grandes dynasties seigneuriales ont parfois joué un rôle qui, en cas de succès, s'est traduit pour elles par une augmentation de puissance, les pouvoirs locaux, représentés par l'évêque, par le comte ou tout simplement par un propriétaire foncier disposant de moyens suffisants, sont intervenus de façon plus décisive encore et, le plus souvent, ont conjuré les horreurs inhérentes à l'invasion. En un mot, les nécessités de la lutte ont engendré une série de faits sociaux par le jeu desquels le régime seigneurial a franchi une nouvelle et suprême étape.

ORGANISATION DE LA DÉFENSE CONTRE LES INVASIONS AU Xe SIÈCLE. — Lorsque les Normands ou les Hongrois surgissaient dans une contrée, le grand souci des habitants était naturellement de trouver un refuge où ils pussent échapper au massacre. Résignés à sacrifier la majeure partie de leurs biens, mais poussés par un instinct bien naturel de conservation, ils songeaient avant tout à sauver leurs existences menacées. Trois retraites possibles s'offraient à eux : les villes, les monastères fortifiés, les châteaux.

RÔLE DES VILLES. — Au début, ce sont surtout les villes qui ont servi de lieux d'asile. A diverses reprises, les chroniques font le tableau lugubre des populations s'enfuyant vers elles à l'approche de l'ennemi. A Sens, on voit, à deux reprises, lors de l'invasion normande de 898 et lors de l'invasion hongroise de 936, les moines de Saint-Pierre-le-Vif quitter leur abbaye avec leurs reliques et se réfugier à l'intérieur des remparts[21]. En Anjou, on sacrifie la campagne et c'est également à l'intérieur d'Angers, de Saumur, d'Amboise que se concentre la résistance[22]. Augsbourg en Allemagne, Pavie en Italie ont joué un rôle identique[23].

Cette fonction des villes, en face de l'invasion, s'explique fort bien. Beaucoup parmi elles avaient gardé leurs murailles qui remontaient en général aux derniers temps de l'empire romain : c'était le cas, en Allemagne, de Magdebourg, de Wurtzbourg et de Hildesheim[24]. Souvent ces anciens remparts se révélèrent insuffisants ; il fut nécessaire de les restaurer ou d'en construire de nouveaux. En Allemagne, pendant le règne d'Henri Ier, les villes saxonnes, menacées par les Slaves, ont été ainsi fortifiées, et cela le plus souvent par l'initiative du roi. A Nantes, de 900 à 915, l'évêque Foucher, en même temps qu'il reconstruit la cathédrale, l'entoure d'une enceinte ; celle-ci, détruite par les Normands en 919, est réédifiée en 940 et complétée, en 990, par l'adjonction du château de Bouffay, au confluent de la Loire et de l'Erdre[25]. Ainsi s'affirme la valeur militaire des villes qui, au Xe siècle, ont perdu toute importance commerciale : elles servent de refuge en même temps qu'elles opposent une digue aux invasions.

RÔLE DES MONASTÈRES. — En certains cas, la ville est trop lointaine pour assumer cette charge défensive. Lorsque les moines, en raison de la distance, ne peuvent y transporter leurs reliques et leurs trésors, ils fortifient leur abbaye qui, à son tour, devient un lieu d'asile. En 926, on annonce à Saint-Gall l'arrivée des Hongrois : aussitôt l'abbé Engilbert fait élever des retranchements qui se révèlent d'ailleurs insuffisants et n'empêchent pas le pillage du monastère[26]. Ailleurs les travaux ont été moins improvisés : lorsqu'au début du Xe siècle, Baudouin, comte de Flandre, s'est emparé de l'abbaye de Saint-Bertin, il l'a mise en état de résister aux attaques normandes dont elle avait eu à souffrir plusieurs fois[27] ; de même, à Saint-Martial de Limoges, autour de 935, l'abbé Étienne a fait élever deux tours, afin d'être en mesure de parer à des coups de main toujours possibles[28]. Ces fortifications sont d'ailleurs assez sommaires et le bois y est plus employé que la pierre.

APPARITION DES CHÂTEAUX. — C'est au Xe siècle enfin que, toujours dans le même but, les différents pays d'Occident commencent à se hérisser de châteaux forts qui, avant d'être utilisés pour les guerres privées, ont servi à enrayer les invasions et à limiter leurs effets meurtriers. Jusqu'à l'arrivée des Normands, les villes seules étaient entourées de remparts. Ce mode de défense ne pouvant plus suffire, les comtes, les évêques, les grands propriétaires fonciers opt construit des bourgs, destinés tout à la fois à barrer la route aux envahisseurs et à abriter la population rurale. En Allemagne, le droit d'édifier un château est resté un droit royal que les évêques et les princes laïques ont réussi parfois à usurper ; en France et en Italie, le contrôle du suzerain est devenu, comme pour tout le reste, très vite illusoire[29].

Jusqu'à la fin du Xe siècle, où la castramétation a réalisé de remarquables progrès, le château a un aspect tout à fait primitif. Il ne comporte qu'une enceinte peu développée, réduite le plus souvent à une simple palissade de bois et dont l'accès est interdit par un fossé[30] ; au centre un donjon, également en bois, domine la position[31]. Tout est organisé en vue de la défense : de larges souterrains ont été creusés, où l'on entasse les redevances en nature fournies par les paysans et tout ce qui est nécessaire pour soutenir un long siège. A la fin du siècle, le château seigneurial se perfectionnera : la pierre remplacera le bois dans la construction et les donjons pourront défier les attaques les mieux montées, mais, si rudimentaires qu'ils fussent, les premiers bourgs[32] ont joué, pendant la période des invasions, un rôle militaire qui n'a pas été dénué d'importance. Villes, monastères et châteaux ont été les pivots de la défense et l'on s'explique, dès lors, pourquoi évêques, abbés et châtelains, en assumant une mission protectrice d'une incontestable utilité ont été, en fin de compte, les ultimes bénéficiaires du régime seigneurial.

LES CHATELLENIES. — La véritable unité politique, pendant la seconde moitié du Xe siècle, c'est la châtellenie. Elle a des origines diverses et une physionomie essentiellement variable. Le châtelain peut être un comte, car, à côté des comtes qui ont soit par les armes, soit par une ingénieuse diplomatie matrimoniale, constitué les grandes unités dont il a été précédemment question, il en est d'autres qui se sont plus modestement contentés de conquérir leur indépendance et qui possèdent, sur le territoire du comté, un ou plusieurs châteaux. D'autres châtelains sont les héritiers des fonctionnaires inférieurs du comté, comme les vicomtes ; d'autres sont d'anciens propriétaires fonciers qui jouissaient de l'immunité et exerçaient les droits régaliens sur les terres de leur domaine ; d'autres enfin sont de simples fidèles du comte auxquels celui-ci a confié la garde de tel ou tel château qu'il avait construit et qui, en raison des concessions qui ont été faites, est devenu l'amorce d'une nouvelle seigneurie[33].

Quoi qu'il en soit, le châtelain, après avoir été, au début du Xe siècle, un chef militaire, est arrivé à s'arroger un véritable pouvoir administratif dont l'ampleur varie suivant les régions, aussi bien que l'étendue des terres sur lesquelles il exerce sa souveraineté. Partout il a des attributions judiciaires et financières qu'il s'est appropriées aux dépens du suzerain, mais l'usurpation a été plus ou moins complète. Tantôt le seigneur a conquis la plénitude du pouvoir judiciaire ; tantôt au contraire il n'en a qu'une partie ; de là les distinctions entre haute et basse justice, source d'une réelle confusion et de nombreux conflits. En revanche, le seigneur a presque toujours hérité des impôts autrefois payés aux fonctionnaires royaux et qui ne vont même plus aux comtes, héritiers de ces fonctionnaires. Il n'y a plus, au Xe siècle, d'impôts d'État ; ils ont été remplacés par les droits seigneuriaux que le roi a conservés sur son domaine personnel, mais qui partout ailleurs lui échappent[34].

LES DROITS SEIGNEURIAUX. — Une classification rigoureuse de ces droits est impossible par suite de leur enchevêtrement. On a distingué les droits domaniaux, perçus sur le paysan, à son tour simple usufruitier et non plus possesseur du sol qu'il cultive, et les droits d'origine régalienne, mais les uns et les autres se sont tellement amalgamés qu'il est souvent difficile de les isoler, si bien qu'il est plus pratique d'établir entre eux une distinction d'après leur nature.

On peut isoler tout d'abord un certain nombre de services, dont le principal est la corvée (corrogata opera) qui oblige les paysans du domaine non seulement à participer à certains travaux d'utilité générale, tels que l'entretien du château et le curage des fossés, mais aussi à cultiver les terres seigneuriales, comme le faisait autrefois l'esclave pour le mansus indominicatus. Aux services s'ajoutent les redevances en nature, notamment le champart, par lequel le paysan remet au seigneur une partie de sa récolte, de son bétail ou des produits de sa basse-cour. Les redevances en argent sont le cens, qui représente à l'origine le prix de location de la terre, le chevage, ancienne capitatio humana, la taille, d'abord personnelle, mais qui, plus tard, sera payée en proportion des revenus[35], les nombreux droits de mutation, comme le droit de lods et vente sur les marchandises vendues, les droits de succession, les droits d'amortissement, perçus lorsqu'une terre est cédée à l'Église, les droits sur le commerce et l'industrie,. péages, tonlieux, auxquels viennent encore s'ajouter les banalités de moulin, de four, de pressoir qui dérivent de ce fait que le seigneur a le ban ou droit illimité de faire des règlements de police à l'intérieur de la seigneurie, ce qui l'amène à constituer de véritables monopoles, comme celui de la vente du vin, qu'il est obligé d'affermer pour en tirer des ressources. Le seigneur a également, au Xe siècle, le pouvoir de battre monnaie qui, grâce aux altérations auxquelles il se livrera, deviendra particulièrement productif. A tout cela il faut enfin joindre les droits de justice qui proviennent les uns de l'immunité, les autres de l'usurpation des droits régaliens, et donnent lieu à des amendes exorbitantes en même temps qu'à des perceptions non moins excessives pour le greffe et pour le timbre[36].

L'ABSOLUTISME SEIGNEURIAL. — Le seigneur dispose donc de revenus importants qui ont le plus souvent un caractère arbitraire. Peu à peu une réglementation interviendra, mais rien de tel ne se dessine encore aux Xe et XIe siècles. Le seigneur, à cette date, est le maître absolu de son domaine. Solidement établi dans son château, allié souvent à d'autres châtelains du voisinage avec lesquels il forme de véritables coalitions, il peut défier toutes les remontrances de son suzerain, et c'est seulement à la fin du XIe et au XIIe siècle, lorsque se produira le travail de concentration qui aboutira à la création des grands fiefs, que son pouvoir subira une diminution sensible au profit de celui du grand feudataire[37].

LES VILLES ET LE POUVOIR ÉPISCOPAL. — Le domaine du châtelain est le plus souvent un domaine rural. Dans la majorité des cas, il n'y a pas autour du château de véritable agglomération urbaine et, à l'intérieur des murailles, les forteresses créées aux temps des invasions n'abritent que les hommes nécessaires à la défense ou au service personnel du seigneur. Toutefois certains bourgs se sont établis à l'intérieur des villes et leurs occupants partagent, en ce cas, la juridiction avec l'évêque. Le plus souvent ; surtout en Allemagne, c'est celui-ci qui, à l'intérieur de la cité, a la toute-puissance administrative, qu'il l'exerce directement ou qu'il la délègue à un avoué ou à un vidame[38].

Depuis l'époque mérovingienne, grâce à l'immunité, le pouvoir de l'évêque n'a cessé de grandir. Dès le IXe siècle, la cité, chef-lieu du diocèse, où il réside continuellement, est entièrement sous son autorité qui s'y exerce au temporel autant qu'au spirituel ; Il a son tribunal, que préside l'archidiacre et dont relèvent non seulement les clercs, mais aussi les laïques pour un grand nombre de causes parmi lesquelles celles qui ont trait aux testaments et aux mariages. Il est chargé de la voirie, de la police, de la réfection des remparts et se substitue, en toutes choses, à l'administration civile défaillante. Si le roi ou le comte conserve le droit de le nommer, du moins n'est-il, comme les autres vassaux, qu'un fidèle, astreint aux seuls services qu'exige le dévouement personnel. Il a pris place dans la hiérarchie seigneuriale. et, profitant de l'indépendance qu'il a conquise, il a pu recouvrer les biens et les droits qui lui avaient été arrachés à l'époque carolingienne. En somme, avant la querelle des investitures, l'évêché s'est organisé au sein du régime seigneurial et il en a été de même de l'abbaye qui, grâce aux progrès de la réforme monastique et au succès grandissant de l'exemption, se reconstitue elle aussi[39].

LES FAITS ET LE DROIT. — C'est donc à un extraordinaire morcellement de la souveraineté qu'aboutit le régime seigneurial, et telle est l'ultime conséquence de la crise qui a suivi la disparition de l'empire carolingien. Dans l'Europe occidentale, à la fin du Xe et au début du XIe siècle, le pouvoir appartient avant tout au châtelain et à l'évêque ; il n'y a guère qu'en Allemagne que le roi ait conservé quelques-unes de ses prérogatives souveraines. Cependant, si châtelain et évêque gouvernent à leur guise, en droit ils sont sous la dépendance d'un suzerain qui peut être le roi, un duc ou un comte. De même, ils jouissent librement de leurs terres, mais juridiquement ils n'ont que l'usufruit et le suzerain conserve sur le domaine de son vassal la propriété éminente. Au moment où les pouvoirs locaux s'affranchissent de ce qui fut autrefois le pouvoir central, les obligations vassaliques qui relient les différents échelons de la hiérarchie se définissent théoriquement avec plus de précision.

RAPPORTS DU VASSAL ET DU SUZERAIN. — Le régime seigneurial, aux Xe et XIe siècles, est fondé sur une double hiérarchie, celle des personnes et celle des terres. Le vasselage, issu de l'ancienne recommandation, et le bénéfice, qui commence à prendre le nom de fief[40], se rejoignent et se confondent, car le vassal tient son fief du suzerain et les anciennes relations personnelles deviennent territoriales. Or, le fief n'est autre chose qu'un bénéfice devenu héréditaire, mais son caractère premier n'est pas entièrement tombé dans l'oubli et explique pour une large part l'allure qu'affectent les relations vassaliques.

LA FOI ET L'HOMMAGE. — Le bénéfice viager faisait, à l'époque carolingienne, l'objet d'un contrat entre le suzerain et le vassal. De même, aux Xe et XIe siècles, lorsqu'un seigneur vient à mourir, son fils va trouver le suzerain, afin de lui prêter foi et hommage. Il paraît devant lui tête nue et agenouillé, met ses mains dans ses mains, reçoit de lui un baiser sur la bouche, puis lui prête serment sur l'Évangile et sur les reliques[41]. Il est désormais son homme et a contracté envers lui toutes sortes d'obligations ; en échange, il a reçu de lui son fief sous la forme d'un objet symbolique, tel que le bâton ou la lance. Tous deux se rendent ensuite sur le domaine où a lieu la cérémonie complémentaire de la visio, ostensio ou monstrée de terre.

Au XIIe siècle, on distinguera dans les textes deux sortes d'hommages, l'hominium ligium et l'hominium planum. Au Xe siècle, tout hommage est lige ou, suivant le terme allemand beaucoup plus expressif, ledig, ce qui veut dire qu'il ne contient aucune réserve ; il est exceptionnel que le vassal puisse, comme il arrivera plus tard, relever de plusieurs suzerains suivant les différentes terres dont il jouit ; en général, il n'en a qu'un seul envers lequel il s'engage sans aucune restriction, l'hommage étant la forme essentielle du dévouement personnel. Le serment de fidélité précise le sens de cet acte et, en s'ajoutant à lui, scelle, comme on l'a déjà noté, le contrat vassalique[42].

LES OBLIGATIONS RÉCIPROQUES DU SUZERAIN ET DU VASSAL. — Du fait de ce contrat, vassal et suzerain contractent l'un envers l'autre les plus graves obligations. En jurant fidélité à son suzerain, le vassal lui promet, suivant les expressions de Fulbert de Chartres dans sa lettre souvent citée à Guillaume V, duc d'Aquitaine (1020), incolume, tutum, honestum, utile, facile, possibile, ce qui revient à dire qu'il ne portera aucune atteinte à sa personne, qu'il se montrera en toutes circonstances un serviteur honnête et zélé. Le suzerain, à son tour, s'engage à rendre la pareille à son fidèle — vicem fideli suo reddere —, mais, tandis qu'il n'est astreint qu'à ces devoirs d'ordre purement moral, il y a pour le vassal d'autres obligations, plus positives, que Fulbert résume dans les deux mots devenus classiques de conseil et aide — consilium et auxilium[43].

LE CONSILIUM. — Le conseil, c'est avant tout le service de cour : le vassal est tenu d'accourir avec ses hommes, chaque fois qu'il est convoqué par le suzerain, afin de préparer avec lui les ordonnances générales communes aux seigneuries qui relèvent de lui, plus encore pour rendre la justice[44]. Telle est en effet l'une des prérogatives essentielles du suzerain qui le plus souvent n'a pas été dépouillé de la haute justice, restée l'attribut des cours seigneuriales. L'organisation elle-même diffère suivant les pays. En Allemagne, on observe, au XIe siècle, deux sortes de juridictions, les Landgerichte qui prolongent, à l'époque seigneuriale, les tribunaux publics de la période carolingienne, avec la même compétence qu'eux, et les Lehngerichte, organismes nouveaux dont ne relèvent que les procès d'ordre vas salique[45]. En France, au contraire, il n'y a qu'une seule juridiction, la cour féodale, qui dérive exclusivement du mall carolingien et réunit, pour connaître des mêmes procès, les vassi comitum, astreints à ce service qui constitue la plus effective de leurs obligations[46].

L'AUXILIUM. — L'auxilium est double : le vassal est tenu d'aider le suzerain de sa personne et de son argent, ce qui revient à dire qu'il lui doit le service militaire et l'aide financière.

Le service militaire sera défini, au XIIe siècle, par des règles très précises. Au début de la période seigneuriale, il est illimité : le vassal doit répondre à l'appel du suzerain, qu'il s'agisse de l'estage, c'est-à-dire de la garde de son château, ou de l'ost et chevauchée qui implique la participation aux guerres entreprises par lui. Il est tenu de venir accompagné de ses propres vassaux et de rester avec eux à là disposition du suzerain aussi longtemps que celui-ci l'exige. De là forcément de nombreux abus qui amèneront une atténuation sensible de ce devoir militaire. Celui-ci se présente encore sous un autre aspect : le Vassal doit remettre son château au suzerain irrité ou apaisé, quand il l'exige, soit pour prévenir une tentative possible de rébellion, soit parce que le château peut servir de point d'appui dans une guerre contre un ennemi. De plus, le vassal ne peut construire de nouvelles forteresses sans l'assentiment du suzerain. C'étaient là alitant de précautions qui pouvaient paraître nécessaires, niais qui pratiquement furent illusoires sous ce régime où la force s'est exercée tant de fois à l'encontre du droit[47].

Le vassal doit également aider le suzerain de son argent et ici encore l'obligation offre, à ses débuts, le même caractère arbitraire. Au XIIe siècle, il sera prévu un certain nombre de cas où l'aide doit fonctionner, mais, à l'origine, il n'y a pas d'autre loi qùe la nécessité, source d'exigences aussi multiples que peu fondées. Si le vassal est faible, il se laissera pressurer ; s'il est fort, il résistera et il en résultera un de ces conflits armés qui ont été la plaie des Xe et XIe siècles[48].

LES REDEVANCES FÉODALES. — L'aide n'est pas la seule contribution pécuniaire que le vassal apporte au suzerain. A côté de cette obligation, inhérente, comme celle du service militaire, au contrat vassalique, là survivance de traditions antérieures à la période seigneuriale entraîne une série de redevances beaucoup mieux définies.

Le fief, on l'a déjà remarqué à plusieurs reprises, dérive du bénéfice viager. Si pratiquement il est devenu héréditaire, théoriquement il est, à la mort du vassal, repris par le suzerain et racheté par l'héritier qui, en conséquence, verse un droit dont le nom varie suivant le pays et dont le montant a été primitivement débattu entre les deux parties en cause. Pour la même raison, le suzerain seul a la faculté d'aliéner le fief et si, au XIe siècle, il arrive que le vassal vienne à le vendre, il doit mentionner dans l'acte de vente l'autorisation de son seigneur qu'il n'obtient que moyennant le paiement d'un droit de lods et vente. De même encore, il ne peut y avoir aliénation partielle ou abrégement du fief sans consentement du suzerain et cet abrègement s'étend à une foule de cas, comme l'affranchissement d'un serf ou, par la suite, la création d'une commune, Ce sont là. autant d'usages qui attestent qu'en théorie le vassal n'a que l'usufruit et non pas la propriété de son fief, mais la conception juridique à laquelle ils répondent n'apporte pas de limites effectives à l'exercice de l'autorité du châtelain à l'intérieur de sa seigneurie. Châtelains et évêques disposent en réalité de leurs domaines comme ils l'entendent et les administrent à leur guise, sans que le suzerain puisse faire valoir ce jus eminens, relégué le plus souvent au rang des vieilles formules[49].

LES USAGES SUCCESSORAUX. — Cette indépendance de fait a pour signe sensible l'hérédité. Malgré les cérémonies symboliques qui rappellent l'origine viagère du fief, le suzerain a perdu tout pouvoir d'intervention dans les successions seigneuriales. Au Xe siècle, il exerce encore un droit de déshérence, lorsque le vassal meurt sans laisser d'héritier mâle en ligne directe ou encore lorsque cet héritier est mineur, mais peu à peu s'établissent des règles qui concourent à l'éliminer à peu près totalement. Conrad II de Franconie reconnaîtra l'hérédité des fiefs de tout genre, aussi bien pour l'Italie que pour l'Allemagne[50], ce qui lui vaudra, au dire de son biographe Wipon[51], une grande popularité parmi ses vassaux. Partout ailleurs le même principe, sans s'exprimer sous une forme aussi catégorique, s'est introduit plus ou moins facilement et il n'est, en tout cas, contesté nulle part.

Le fief, devenu héréditaire dès le Xe siècle, n'a pas suivi les lois ordinaires de succession suivant lesquelles les enfants se partageaient l'héritage du père. Comme le suzerain en a conservé la propriété éminente, il peut théoriquement en disposer à sa guise et par conséquent choisir parmi les enfants du vassal défunt celui qui succédera au père. Généralement ses préférences se portent sur le fils aîné ; ainsi se crée pour beaucoup de fiefs un droit d'aînesse absolu qui exclut la division et maintient l'unité : il n'y aura jamais qu'un comte de Flandre et un comte de Normandie, un duc de Saxe et un duc de Bavière[52]. Cependant la coutume du partage opposera une énergique résistance à ces tendances nouvelles, et sur ce point encore les faits iront plus d'une fois à l'encontre du droit. On arrivera parfois, surtout pour les petites seigneuries, à des compromis entre les deux principes opposés : en Bretagne et en Touraine par exemple, [l'aîné aura droit aux deux tiers du domaine, mais l'autre tiers sera partagé entre ses frères puînés[53].

D'autres difficultés ont surgi de bonne heure pour la succession des fiefs, notamment par suite de l'absence d'héritiers mâles ou de descendance directe, ou encore parce que l'héritier légitime était mineur. Elles n'ont pas été tranchées partout de la même façon. En Italie, aux termes de la constitutio de beneficiis, que promulgue en 1037 Conrad II, la femme est exclue de l'héritage seigneurial[54]. En France elle est, au début, également écartée, parce qu'elle ne peut aller à l'ost, mais on admet dès le XIe siècle qu'il lui est permis de se faire représenter, et d'importantes seigneuries passeront ainsi en des mains féminines[55]. Par suite, l'héritière d'un riche fief sera très recherchée en mariage et plus d'une fois le suzerain s'empressera de l'épouser pour arrondir son propre domaine. Des raisons de ce genre ont été l'obstacle le plus efficace au travail de démembrement qui est issu du régime seigneurial.

Si le vassal n'a pas de descendance directe, le suzerain, en droit, reprend le fief. Bientôt cependant on admet la succession au profit des frères et même des collatéraux. Lorsque le seigneur aura perdu son fils aîné, il pourra y avoir compétition entre son petit-fils mineur et ses fils cadets ou même ses frères, mais de plus en plus on tendra à respecter le privilège de l'aîné[56].

Enfin il peut arriver qu'il n'y ait qu'un héritier mineur. Au Xe siècle, le suzerain reprend encore le fief ; au XIe au contraire, on voit s'introduire l'usage du bail : le suzerain désigne un tuteur, le baillistre, et le plus souvent il se choisit lui-même comme tel, ce qui lui permet de jouir des revenus jusqu'à la majorité de son jeune vassal. Par la suite, cette fonction sera généralement remplie par le plus proche parent, ce qui ne sera pas sans danger pour le mineur qui mourra plus d'une fois dans des conditions suspectes. S'il s'agit d'une fille, le droit de bail a encore plus d'importance, puisqu'il implique pour le baillistre le pouvoir de la marier et par suite de l'épouser[57].

ÉVOLUTION DU RÉGIME SEIGNEURIAL. — Ces mariages seigneuriaux ont facilité le travail de regroupement des fiefs qui s'esquissera seulement pendant la seconde moitié du XIe siècle. A l'émiettement indéfini succédera alors non pas encore un essai de reconstitution de l'État, mais un mouvement vers la centralisation qui aboutira, au moins en France, à la formation de grands fiefs où s'exercera directement l'autorité du grand feudataire, comte ou duc. En attendant, c'est à la fin du Xe siècle et au début du XIe que le morcellement seigneurial a atteint sa plus grande extension. Jamais l'idée de l'État n'a été plus affaiblie, et sa disparition à peu près totale explique sans doute pourquoi l'on observe une régression dans les mœurs. N'ayant pratiquement à rendre de comptes à personne et ne connaissant nul frein à ses fantaisies ou à ses caprices, le châtelain ou baron donnera libre cours à ses mauvais instincts. Avec le morcellement territorial, ce qui caractérise avant tout le régime seigneurial, c'est la multiplicité des guerres accompagnées de toutes sortes de violences envers les personnes comme envers les biens.

 

II. — Les guerres seigneuriales et les institutions de paix.

 

CARACTÈRE DES GUERRES SEIGNEURIALES. — L'affaiblissement de l'État, qui est à la base du régime seigneurial, explique la multiplicité, aux Xe et XIe siècles, des conflits armés qu'aucune autorité supérieure n'est capable de prévenir ou de réprimer, et dont le caractère est à peu près unique dans l'histoire. Par suite de la prédominance des forces locales, la guerre de royaume à royaume, jusqu'au XIIe siècle, constitue l'exception. Tout au plus voit-on s'affronter entre eux les grands feudataires ou ceux-ci se coaliser contre le roi suzerain : Otton 1er en Allemagne, Louis IV et Lothaire en France ont eu ainsi à lutter contre leurs fidèles révoltés, Plus souvent, c'est un seigneur qui s'oppose à un autre seigneur ou un groupe à un autre groupe et une telle guerre ne dure que quelques semaines ou quelques mois, mais elle se renouvelle constamment. Elle ne dépend pas d'intérêts politiques et économiques ; elle est engendrée uniquement par les caprices ou les fantaisies de princes ou de barons aux intérêts farouches, à l'humeur querelleuse, aux convoitises ardentes. Tantôt il s'agit de trancher un différend qu'au lieu de porter devant un tribunal ou un arbitre, on règle par la voie des armes[58]. Tantôt le motif est plus futile : pour une parole mal comprise ou pour une histoire de femme, l'on fonce sur le voisin et l'on ravage ses terres. Parfois même, tout prétexte fait défaut : le suzerain est parti pour un pèlerinage ou pour une expédition lointaine, il est mort en laissant un héritier mineur : ce sont là pour le vassal autant d'occasions d'arrondir son fief par un hardi coup de main, d'enrichir son trésor par de fructueuses razzias. Ou bien encore c'est le fils qui guerroie contre un père qui tarde trop à mourir et fait attendre sa succession au delà des limites permises, c'est un frère cadet qui s'insurge contre un aîné qu'il juge trop avantagé, c'est un oncle qui dépouille un neveu coupable d'avoir reçu un trop bel héritage, ce sont des enfants qui disputent à leur mère veuve la tranquille possession de son douaire. Quelquefois, à défaut de tout prétexte plus ou moins avouable, c'est le simple plaisir de piller. La guerre est pour le baron la passion de tous les instants : s'il fait profession de christianisme, ses pratiques religieuses sont purement rituelles et n'impliquent aucune obligation morale ; il assiste dévotement le dimanche à l'office célébré en sa présence par son chapelain, mais occupe les six autres jours de la semaine à commettre le vol, le rapt, l'homicide et n'interrompt ses belliqueux exploits que pour jouir avec bestialité des plaisirs de la table ou se laisser choir avec une sensualité lascive dans les bras des filles de joie[59].

QUELQUES TYPES DE BARONS. — Ce type traditionnel du baron n'est pas une fiction de la littérature ; ir a existe réellement. 11 suint, pour s en convaincre, d ouvrir, à titre d'exemple, le curieux livre des miracles de Sainte-Foy, dont les parties les plus anciennes, rédigées au début du XIe siècle, fourmillent en détails significatifs sur les mœurs seigneuriales du midi de la France vers cette date. On y trouve le portrait de plusieurs barons dont les moines ont été les innocentes victimes, que ce soit Rainon d'Aubin, excommunié pour ses multiples brigandages, ou le Limousin Adémar qui, pour un larcin de chevaux, attaque un de ses vassaux, et, après s'être emparé de sa personne, lui fait arracher les yeux, ou encore, en Velay, Wigon du Monastier qui perfidement saisit trois vassaux de l'église Notre-Dame du Puy et les fait jeter dans les souterrains de son château[60]. Dans tout le Midi, les mêmes types se retrouvent : tel Pons du Vernet, rançonneur de vilains, voleur de moutons et de fromages au détriment de l'abbaye de Saint-Martin du Canigou ; tel Oliba Cabreta, comte de Cerdagne, qui brusquement, en 981, se jette avec une troupe armée sur le comté de Razès que possédait en paix le comte de Carcassonne, Roger, y commet toutes sortes d'excès et laisse en se retirant de nombreux morts ou blessés ; telle enfin — car les femmes ont les mêmes instincts belliqueux — Garsinde, vicomtesse de Béziers et d'Agde qui, en 1013, arrache par la force à sa sœur Sénégonde le village de Palais, au diocèse d'Agde, après quoi elle offre de prouver la légitimité de ses droits[61].

Le seigneur turbulent, féroce et pillard, n'existe pas seulement dans le Midi. La chronique de Clarius de Sens fournit, pour la seconde moitié du Xe siècle, des exemples que l'on peut rapprocher de ceux précédemment empruntés aux miracles de Sainte-Foy. Le comte de Sens, Rainard le Vieux (951-996), que Clarius qualifie d'Antéchrist, bataille lui aussi de tous côtés, dépouille le monastère de Sainte-Colombe, s'empare de plusieurs autres abbayes qu'il transforme en châteaux forts, essaie de s'opposer par la force à l'entrée dans sa ville archiépiscopale de l'archevêque Seguin qui avait à ses yeux le tort de contraster par sa très grande dignité de vie avec son prédécesseur Archambaud, compagnon assidu du comte dans ses débauches aussi bien que dans ses dévastations meurtrières[62]. Non loin de Sens, en plein domaine royal, il serait facile de citer aussi de ces brigands rapaces qui ne reculent devant aucune violence pour satisfaire leurs instincts de rapine et de pillage[63].

On ne serait pas embarrassé pour découvrir également en Allemagne, au moins jusqu'à l'avènement d'Otton le Grand, et plus encore en Italie, où ils ont persisté plus longtemps, de ces barons assoiffés de meurtre et de carnage ; Bamberg et Conradins, au temps de Louis l'Enfant, en Franconie, ne le cèdent à personne pour l'amour du sang inutilement versé ; et le trop fameux Salomon III, évêque de Constance, qui n'a dominé que par la guerre et l'assassinat, est une preuve vivante de l'intrusion des mœurs seigneuriales jusque dans l'Église. Toutefois, en Allemagne, ces fauteurs de désordre seront matés par Henri 1er et Otton 1er. En Italie, au contraire, les empereurs ne seront jamais assez forts pour ramener la paix intérieure ; pendant son séjour dans la péninsule, en 1027, Conrad II aura à lutter contre un certain Thasselgard, très digne de figurer dans la galerie que l'on vient de parcourir : Wipon dit de lui que, quoique d'une famille noble, il était essentiellement méprisable pour ses mauvaises mœurs et qu'il se montrait particulièrement habile à dépouiller les églises et les veuves ; solidement retranché dans ses châteaux du comté de Fermo, il en est sorti à plusieurs reprises pour dévaster la contrée avoisinante dans un cercle fort étendu[64]. La campagne romaine regorgeait de châtelains du même ordre qui, comme on le verra par la suite, ont semé de pièges et d'embuscades les pas du pape et de l'empereur.

MULTIPLICITÉ DES GUERRES. — Avec de tels hommes la guerre est nécessairement un mal endémique. Si certaines régions ont été particulièrement éprouvées, toutes les annales de la fin du Xe siècle sont plus ou moins sillonnées par le récit de luttes à main armée. A titre d'exemple, on peut dresser la liste de celles qui se sont déroulées en France pendant les premières années du règne de Lothaire que l'on ne saurait pourtant considérer comme une période très agitée. Le roi a été couronné et sacré le 12 novembre 954. Or, la fin de l'année est remplie par la guerre de Renaud de Roucy avec Herbert de Vermandois : Herbert prend le château de Roucy, ce à quoi Renaud riposte en s'emparant de Monfélix qui appartenait à Herbert. En 955, a lieu une guerre entre Hugue le Grand et Guillaume Tête d'Étoupe, comte d'Aquitaine ; la même année sans doute, Renier, comte de Hainaut, attaque Ursion, chevalier de l'église de Reims, et met la main sur les possessions de la reine Gerberge, ce qui provoque, en 956, des représailles royales et des combats sous Mons. En 957, une expédition de Lothaire en Bourgogne est nécessitée par des troubles résultant de rivalités entre seigneurs de la région ; dans le Nord, Baudouin, fils d'Arnoul, comte de Flandre, et Roger, fils d'Erluin de Montreuil, s'affrontent au sujet de la ville d'Amiens ; -la Lorraine enfin se révolte contre Brunon. En 958, les vassaux de l'église de Reims reprennent le château de Coucy dont s'était emparé Thibaud le Tricheur, comte de Chartres, tandis que la Bourgogne est ensanglantée par de nouvelles guerres entre seigneurs qui provoquent encore une fois une intervention royale[65].

On pourrait continuer cette analyse et répéter presque indéfiniment l'expérience. Encore ne s'agit-il là que de guerres relativement importantes par suite de la qualité de ceux qu'elles mettent aux prises. A côté d'elles, combien d'autres de moindre envergure, mais tout aussi fâcheuses pour les personnes et pour les biens ! Si les évêques du Languedoc, réunis à Narbonne en 990, ont jugé opportun d'élever la voix contre une noblesse qui ne ménageait pas plus les clercs que les paysans, n'est-ce pas sans doute parce que des forteresses perchées sur le rebord escarpé de la montagne cévenole, à l'endroit où les rivières s'évadent de vallées abruptes pour se répandre dans la plaine, ont fait irruption des guerriers sauvages qui, sans respect pour les choses saintes et sans pitié pour les faibles, ont pillé les terres des églises, détroussé les paysans, détruit les maisons, mis à sac les vergers et sont rentrés chez eux chargés d'un lourd butin, fruit de leur iniquité ?

ORIGINES DES INSTITUTIONS DE PAIX. — Ces exemples suffisent pour mettre en lumière l'insécurité effroyable qu'a engendrée le régime seigneurial. Sans doute il y a de grandes différences suivant les régions. On a déjà noté, à plusieurs reprises, qu'en Allemagne la restauration de l'autorité monarchique avait ramené l'ordre intérieur dans ce royaume plus durement éprouvé qu'aucun autre après la chute de l'empire carolingien. En France, le mal a été moindre dans le Nord où, dès la fin du Xe siècle, le roi Robert mate les châtelains qui troublaient la paix[66], que dans le Midi où la royauté capétienne n'est pas reconnue, où le marquisat de Gothie n'est plus qu'une simple expression géographique, ce qui amène le triomphe du morcellement territorial et ôte toute espèce de frein aux instincts belliqueux. Toutefois, quelle qu'ait été l'étendue du mal, il a partout existé et l'on s'explique que, devant la carence de l'État, l'Église se soit émue. A la guerre seigneuriale répondent, en France et en Bourgogne, les institutions de paix dont l'origine est nettement ecclésiastique[67].

Il est assez difficile de déterminer à quelle époque remonte la plus lointaine ébauche de ces institutions qui, loin de s'épanouir brusquement, ne se sont développées que par paliers successifs. Pendant la période carolingienne, lors des troubles qui ont suivi le traité de Verdun, l'Église a déjà joué un rôle de conciliation et s'est efforcée de prévenir les luttes entre les princes que le pape Serge III menaçait de sanctions canoniques[68], et c'est Nicolas Ier qui a déclaré, dans sa fameuse lettre aux Bulgares[69], que, la guerre étant satanique dans ses origines, il fallait s'en abstenir en principe. Au Xe siècle, l'affaiblissement du pouvoir pontifical sur la chrétienté ne permet pas au Saint-Siège d'exercer cet apostolat pacifique, mais dans les régions plus spécialement exposées à la folie belliqueuse des barons, les évêques vont se concerter pour imposer un terme au fléau et leurs interventions, timides d'abord, s'affirment ensuite avec une énergie grandissante[70].

CONCILES DE CHARROUX (989) ET DE NARBONNE (990). — On considère généralement que le mouvement en faveur de la paix a son point de départ dans les conciles tenus en 989 à Charroux, en Aquitaine, et en 990 à Narbonne, en Septimanie. De fait, ces deux assemblées ont élevé d'éloquentes protestations et promulgué des sanctions contre les perturbateurs de la paix[71], mais il n'y a dans leurs canons qu'une condamnation indirecte de la guerre seigneuriale et l'on y chercherait en vain une idée doctrinale ou la trace d'une organisation destinée à prévenir des excès justement réprouvés. Ce qu'il importe seulement de remarquer, c'est que la protection de l'Église s'étend aux laïques comme aux clercs, et que ceux qui volent le bien des paysans ou des autres pauvres sont indistinctement frappés des rigueurs de l'anathème.

LES ASSOCIATIONS POUR LA PAIX. — Un nouveau pas est franchi avec le synode que réunit au Puy, en 990, l'évêque Guy d'Anjou et auquel participent la plupart des prélats des provinces d'Embrun, de Vienne et de Narbonne. C'est là que l'on vote, pour la première fois, à la demande de Guy, une charte de paix qui multiplie les obstacles à la guerre et, en même temps, crée une force de police destinée à réprimer toutes les infractions. D'une part, il est interdit de faire irruption dans les églises, d'enlever des chevaux ou du bétail, d'employer des personnes étrangères au bénéfice ou à l'alleu pour construire ou assiéger un château, de faire tort aux moines ou à leurs compagnons qui voyagent sans armes, d'arrêter les paysans pour les contraindre à se racheter. D'autre part, on envisage des moyens pratiques pour faire respecter les décisions synodales : chevaliers et paysans s'associent, sans grand enthousiasme il est vrai, à la proposition de l'évêque et jurent de faire respecter le pacte : c'est là une ébauche de ligue en faveur de la paix[72].

Par la suite l'idée se précise. Il est question d'une association liée par le même pacte de paix et de justice lors du concile de Limoges (997). Celui de Poitiers (vers 1000), où sont présents l'archevêque de Bordeaux, les évêques de Poitiers, Limoges, Angoulême et Saintes, décide que toute contestation entre particuliers sera réglée d'après le droit, que l'évêque et le comte pourront requérir contre une tentative de violence le concours des signataires du pacte[73]. Avant la fin du Xe siècle, le mouvement, parti du Velay, a gagné l'Aquitaine. Au début du XIe, il va s'étendre à la plus grande partie de la France. Il s'est constitué des ligues pour la paix, dès 1021, en Picardie, entre les habitants de Corbie et d'Amiens. En 1023, les évêques Warin de Beau vais et Bérold de Soissons rédigent, pour les seigneurs de la province de Reims, une formule particulièrement saisissante où on lit entre autres choses : Je n'envahirai en aucune façon les églises ni les celliers des églises, sinon pour y saisir le malfaiteur qui aura violé la paix ou commis un homicide... Je ne saisirai ni le paysan, ni la paysanne, ni les marchands ; je ne leur prendrai point leurs deniers et je ne les obligerai pas à se racheter. Je ne veux pas qu'ils perdent leur avoir à cause de la guerre de leur seigneur et je ne les fouetterai point pour leur enlever leur subsistance... Je ne détruirai ni incendierai les maisons ; je ne déracinerai ni ne vendangerai les vignes sous prétexte de guerre... J'observerai ce traité à l'égard de tous ceux qui l'ont juré et qui l'observent à mon égard[74]. La même année, d'autres ligues se constituent dans le royaume de Bourgogne où déjà, lors du concile de Verdun-sur-Doubs (1016), il était question d'un serment de paix formulé sur les reliques et obligeant tous les signataires[75]. En 1038 enfin, le concile de Bourges, sous l'impulsion de l'archevêque Aimon, élaborera une organisation encore plus précise : tout fidèle, âgé de quinze ans, sera formellement tenu de jurer la paix et d'entrer dans les milices diocésaines chargées de la faire respecter[76].

PROGRÈS DE L'IDÉE DE PAIX. — Ainsi s'est formée, suivant la très heureuse expression de M. Luchaire, une sorte de garde nationale, destinée à tenir la féodalité en respect[77]. Ce qui caractérise en effet le mouvement ecclésiastique fiançais en faveur de la paix, c'est, outre l'engagement formel d'épargner toutes les personnes désarmées et de limiter le fléau de la guerre aux seuls belligérants et à leurs biens, l'association cimentée par un pacte entre tous ses membres et conclu pour une période donnée. Il y a là, sous l'impulsion de l'Église, une réaction organisée contre le régime seigneurial et une tentative fort intéressante pour substituer à l'arbitraire, que symbolise la guerre, l'arbitrage fondé sur le droit.

Les souverains, au début du XIe siècle, ont compris la portée du mouvement et s'y sont associés, car la royauté ne pouvait que gagner à s'appuyer sur les organisations nouvelles. Vers 1010-1011, Robert le Pieux tient à Orléans une assemblée destinée à proclamer la paix[78]. Lors de leur entrevue à Ivois (1021), le même roi de France et l'empereur, qui était alors Henri II, donnent une preuve de leur esprit pacifique en aplanissant tous leurs différends personnels et en s'engageant à faire triompher dans leurs États respectifs la paix de la sainte Église[79]. Malheureusement, la mort prématurée de Henri II (1024), celle, survenue la même année, du pape Benoît VIII qui a rêvé, semble-t-il, de généraliser la paix dans toute la chrétienté, empêchèrent d'arriver aux réalisations entrevues. D'autre part, certaines circonstances imprévues, comme la grande famine de 1031-1034, amenèrent une recrudescence du brigandage[80], mais ne purent avoir raison du zèle des évêques, très soutenus par l'opinion publique qui a bien vu d'où pouvait venir le salut[81].

ORIGINES DE LA TRÊVE DE DIEU. — Autour de 1040, la physionomie du mouvement se modifie quelque peu. A la paix de Dieu s'ajoute la trêve de Dieu, qui a pour but de rendre la guerre plus difficile et plus rare en l'interrompant à tout instant, sous prétexte de respecter le souvenir de certains jours marqués du sceau des grands souvenirs religieux.

Il semble que, dès 1027, le premier synode tenu à Tuluges, en Roussillon, ait interdit de combattre le dimanche[82] et qu'une idée du même genre se soit glissée dans certains pactes de paix. Toutefois, c'est seulement en 1041 que la trêve de Dieu prend vraiment corps dans une lettre des évêques de la province ecclésiastique d'Arles, rédigée avec la collaboration de l'abbé Odilon de Cluny. Nous vous demandons, lit-on dans cette épître fameuse, nous vous adjurons, vous tous qui craignez Dieu, qui croyez en lui, qui avez été rachetés de son sang, de maintenir la paix parmi vous, afin de mériter par là d'être en paix avec Dieu et d'atteindre le repos éternel. Acceptez et gardez par conséquent la trêve de Dieu, que nous avons déjà nous-mêmes acceptée et maintenue comme nous ayant été envoyée du ciel par un effet de la divine miséricorde. Elle consiste en ce que, à partir du mercredi soir, tous les chrétiens, amis ou ennemis, observent une paix complète et une trêve durable jusqu'au lever du soleil le lundi matin. Et les prélats de développer ensuite les raisons qui ont inspiré la nouvelle institution. Nous avons, ajoutent-ils, consacré à Dieu quatre jours, le jeudi à cause de l'Ascension du Christ, le vendredi en mémoire de ses souffrances, le samedi en raison de sa sépulture et le dimanche en souvenir de sa résurrection, en sorte qu'en ces jours il ne devra y avoir aucune expédition et que nul n'aura à redouter son ennemi[83].

ORGANISATION DE LA TRÊVE DE DIEU. — Ainsi la trêve de Dieu consiste à interdire la guerre pendant les jours qui commémorent les épisodes douloureux ou glorieux de la vie du Christ. L'invention a eu un succès immédiat. L'année même où les évêques de Provence lancent leur appel, un concile, réuni à Montriond, au diocèse de Lausanne, décrète la trêve de Dieu toutes les semaines, du mercredi soir au lundi matin, pendant tout l'Avent et le temps de Noël jusqu'au premier dimanche après l'Épiphanie, enfin de la Septuagésime au premier dimanche après Pâques[84]. En 1042, la même pratique est introduite en Normandie où elle s'étend, de plus, à la période de l'année liturgique comprise entre les Rogations et la fin de l'octave de la Pentecôte[85]. Elle s'implante aussi dans le Midi avec le second concile de Tuluges que préside, vers 1050, l'archevêque de Narbonne, Guifred[86].

CONCILE DE NARBONNE (1054). — La trêve de Dieu s'est généralisée rapidement par toute la France. Le concile de Narbonne (25 août 1054), tenu sous la présidence de l'archevêque Guifred, a codifié toute la législation antérieure. Ses canons peuvent être considérés comme ayant imprimé à l'institution sa forme définitive. Ils s'ouvrent par une affirmation dogmatique où l'on peut voir la plus énergique condamnation qui ait été portée contre les guerres seigneuriales. Un chrétien qui tue un autre chrétien, y est-il dit, répand le sang du Christ. Les autres décrets concernent à la fois la trêve de Dieu et la paix de Dieu. La trêve est proclamée chaque semaine, du mercredi soir au lundi matin, et s'étend non seulement aux périodes qui vont du premier dimanche de l'Avent à l'octave de l'Épiphanie, du premier dimanche du Carême à l'octave de Pâques, de l'Ascension à l'octave de la Pentecôte, mais encore à toutes les fêtes de la Vierge, de saint Jean-Baptiste, des apôtres, à toutes les vigiles et aux quatre temps de septembre. La multiplication des jours où la guerre est interdite tend à la rendre pratiquement impossible. En outre, les prescriptions relatives à la paix de Dieu sont renouvelées et les plus graves sanctions, dans l'ordre ecclésiastique, sont prévues pour les infractions[87]. Par l'ensemble des mesures qu'ils renferment les canons du concile de Narbonne peuvent être considérés comme la charte de la paix dans la France du Midi.

LES INSTITUTIONS DE PAIX EN ALLEMAGNE, EN ITALIE ET EN ESPAGNE. — La trêve de Dieu s'est répandue lentement en dehors de la France. En Allemagne, il n'en est pas question avant 1081, date à laquelle elle est introduite dans le diocèse de Liége par l'archevêque Henri de Toul ; elle s'est généralisée au cours des années suivantes et les chroniques indiquent qu'en 1083 tout le royaume jouissait des institutions de paix[88]. En Italie, le synode de Melfi (10 septembre 1089) a voté la paix de Dieu pour la Pouille et le Calabre ; en 1093, un autre concile réuni à Troia, a établi la trêve de Dieu dans les mêmes régions[89]. La trêve a pénétré sensiblement plus tôt en Espagne où elle est instituée dès 1068 par le concile de Gérone[90].

LES INSTITUTIONS DE PAIX AU CONCILE DE CLERMONT (1095). — Enfin, au crépuscule du XIe siècle, la papauté, devenue la tête du monde chrétien, prend en mains la cause de la paix et rend universelles les obligations édictées par les conciles français ou autres. Suivant l'historien Foucher de Chartres, lors du concile de Clermont où a été décrétée la première croisade, Urbain II aurait flétri avec une fougueuse véhémence les guerres seigneuriales et les excès qu'elles entraînaient à leur suite, pour arriver, en fin de compte, à cette conclusion : Je vous demande instamment de maintenir énergiquement dans chacun de vos diocèses la trêve, ainsi qu'on la nomme ordinairement. Si quelqu'un, par avidité ou par orgueil, vient à la violer, en vertu de l'autorité divine et de celle de ce saint concile, n'hésitez pas à jeter sur lui l'anathème. Quelles qu'aient été les paroles d'Urbain II, il est certain que la trêve de Dieu a été proclamée à Clermont à peu près dans les mêmes termes qu'en 1054 à Narbonne. Un canon stipule, en outre, que les moines, clercs et femmes jouiront quotidiennement de la paix de Dieu, qu'en outre, en raison de la cherté des vivres, cette paix sera également étendue pendant trois ans à tous les paysans et à tous les marchands[91].

LES INSTITUTIONS DE PAIX ET LE RÉGIME SEIGNEURIAL. — Le concile de Clermont marque le point culminant des institutions de paix et de la réaction ecclésiastique contre les guerres et les pratiques belliqueuses nées du régime seigneurial. Ce mouvement, né dans le midi de la France, est à coup sûr une des plus belles pages de l'histoire médiévale et il fait honneur au sens chrétien des évêques qui l'ont lancé ou alimenté, mais il est difficile de dire dans quelle mesure il a réussi. A en juger par le grand nombre de conflits armés dont il est encore question dans les textes à la fin du XIe siècle, on serait tenté de conclure que les sanctions spirituelles n'ont pas été suffisantes pour modérer les barons. De plus, il n'apparaît pas que les associations créées un peu partout après le concile du Puy aient fait preuve très longtemps d'une grande activité, et on peut se demander si le silence qui se fait peu à peu à leur sujet ne trahirait pas du découragement et de la lassitude. Il semble donc qu'il ait manqué à l'Église la force nécessaire pour faire respecter ses décisions, mais du moins l'idée est-elle semée et elle ne manquera pas de germer ; des rois, comme Guillaume le Conquérant et Henri Ier en Angleterre, comme Louis VI en France, certains grands feudataires aussi se laisseront gagner par elle et la feront finalement triompher, le jour où ils auront eux-mêmes acquis les moyens nécessaires, mais il faut attendre pour cela la fin du XIe siècle ou même le début du XIIe, Jusque-là le régime seigneurial durera et ses conséquences, aussi bien politiques que morales, pèseront sur la vie des États qu'il régit et domine en toutes circonstances.

 

 

 



[1] Le régime seigneurial a donné lieu à une foule de travaux d'ensemble ou d'études de détail. Nous retiendrons comme essentiels pour les Xe et XIe siècles : J. Calmette, La société féodale, Paris, 1923 ; Ferdinand Lot, Fidèles ou vassaux ? Paris, 1904 ; P. Guilhiermoz, Essai sur l'origine de la noblesse de France au Moyen âge, Paris, 1902 ; Brussel, Nouvel examen de l'usage général des fiefs en France, Paris, 1727, 2 vol. ; H. Pirenne, Les villes au Moyen âge, Paris, 1927 ; Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques et administratives de l'ancienne France. Les transformations de la royauté à l'époque carolingienne, publiée par C. Jullian, Paris, 18q2 ; P. Viollet, Histoire des institutions politiques et administratives de la France, Paris, 1890-1903, 3 vol. ; J. Flach, Les origines de l'ancienne France, Paris, 1886-1917, 4 vol. ; Ch. Seignobos, Le régime féodal en Bourgogne jusqu'en 1360, Paris, 1882 ; A. Luchaire, Manuel des Institutions françaises, période des Capétiens directs, Paris, 1892 ; J. Declareuil, Histoire générale du droit français, Paris, 1925 ; R. Schröder et E. von Künssberg, Lehtbuch der deutschen Rechtsgeschichte, Berlin et Leipzig, 6e édit., 1922 ; G. Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. V-VIII ; E. Mayer, Deutsche und französische Verfdssungsgeschichte vom 9-11 Jahrhundert, Leipzig, 1899, 2 vol. ; H. Pirenne, Histoire de Belgique, t. I, Bruxelles, 1909.

[2] Ce sont là les caractères politiques et administratifs du régime seigneurial, tel qu'il est sorti de la crise qui a suivi la mort de Charles le Gros. Il importe de noter que ce régime a encore des aspects sociaux et économiques qui trouveront leur place dans la troisième partie.

[3] Voir tome I.

[4] Voir Lot, Fidèles ou vassaux ?

[5] Waitz, op. cit., t. VI, p. 448 et suiv. ; t. VII, p. 24 et suiv. ; Schröder-Künssberg, op. cit., p. 582 et suiv. ; Ganshof, Quelques aspects de l'histoire de l'Empire au XII siècle, p. 18-19.

[6] Ce fait a été fort bien mis en lumière par Ganshof, op. cit., p. 19-20.

[7] Pirenne, Histoire de Belgique, t. I, p. 63.

[8] Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. III, p. 62 et suiv. ; Ganshof, op. cit., p. 22-23.

[9] On trouvera plus haut l'énumération des principales d'entre elles.

[10] Sur la Toscane, voir Davidsohn, Geschichte von Florenz, t. I, Berlin, 1896, p. 102 et suiv.

[11] Hartmann, Geschichte Italiens im Mittelalter, t. IV, Ire p., p. 41-45.

[12] Sur les domaines ecclésiastiques en Italie, voir G. Luzzatto, I servi nello grandi proprieta ecclesiastiche Italiane dei sec. IX et X, Pise, 1910 ; F. Schneider, Die Reichsverwaltvng in Toscana von der Gründung des Langobardenreiches bis zum Ausgang der Staufer, t. I, Die Grundlagen dans Bibl. des Kgl. Pr. hist. Institutes in Rom., t. XI, 1911.

[13] On en trouvera la carte et l'énumération détaillée dans Lot, Études sur le règne de Hugues Capet et la fin du Xe siècle, p. 191-215.

[14] F. Lot, op. cit., p. 235-236, fait très justement remarquer que, pendant un règne de dix ans, Hugue Capet n'a délivré qu'une douzaine de diplômes, alors que l'on possède plus de quatre cents actes de son contemporain Otton III. Rien ne peut mieux faire ressortir la différence qui existe entre le régime seigneurial allemand et le régime seigneurial français à la fin du Xe siècle.

[15] Il y a en Occident un quatrième royaume, celui de Bourgogne, mais il est loin d'avoir l'importance des trois autres et disparaît en 1038. Il suffira d'indiquer que le pouvoir royal y est encore plus faible qu'ailleurs. Cf. Poupardin, Le royaume de Bourgogne (888-1038), p. 177 et suiv. En Angleterre, le régime seigneurial a fait également son apparition, mais, en raison de l’évolution particulière de ce pays, il ne saurait être étudié ici.

[16] Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 3-4.

[17] Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 247. M. Lot a lumineusement prouvé dans cet ouvrage que la fidélité ne saurait désigner un engagement plus faible que la vassalité et que le sens des deux termes fidelis et vassus est rigoureusement identique. Il ajoute (p. 237 et suiv.), contre Brussel (Nouvel examen de l'usage des fiefs, t. I, p. 116-120), et Luchaire (Manuel des Institutions françaises, p. 188-190), que l'hommage des grands vassaux français du Xe siècle a tous les caractères de ce qu'on appellera au XIIIe siècle l'hommage-lige ; il s'agit donc d'un hommage sans réserve et celui qui le prête est, suivant l'expression allemande, ledig, c'est-à-dire libre de toute obligation envers un autre suzerain.

[18] C'est à cela que se ramènent la plupart des nominations faites par Otton Ier ; le cas de ducs ou comtes dépossédés pour avoir pris les armes contre lui est beaucoup plus rare.

[19] Cf. E. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t II, fasc. 3, 1928.

[20] Guilhiermoz, op, cit., p. 195 et suiv.

[21] Acta S. Saviniani et chronique de Clarius (Duru, Bibl. hist. de l'Yonne, t. II, p. 357 et 382).

[22] Halphen, Le comté d'Anjou au XIe siècle, p. 152.

[23] On lira avec fruit les quelques pages lumineuses consacrées à cette question par Pirenne, Les villes au Moyen âge, p. 65 et suiv. Cf. du même, Les villes flamandes avant le XIIe siècle dans Annales de l'Est et du Nord., t. I, 1905, p. 12 et suiv.

[24] Voir C. Kochne, Burgen, Burgmannemindt Städte dans Historische Zeitschrift, t. CXXXIII, 1925, p. 15.

[25] Cf. Widukind, I, 35 ; Enlart, Manuel d’archéologie française, 2e partie, Architecture civile et militaire, p. 413-414.

[26] Waitz, Jahrbuçher des deutschen Reichs unter König Heinrich I, p. 89-90.

[27] Cf. Guérard, Cartulaire de Saint-Bertin, préface, p. XLIV.

[28] Rey, Les vieilles églises fortifiées du midi de la France, p. 18.

[29] Sur la construction des châteaux, voir, outre Pirenne et l'article cité de Kœhne F. Schneider, Die Enstehung von Burg und Landgemeinde in Italien, Berlin, 1924 ; W. Maitland, Township and Borough, Cambridge, 1898.

[30] En l'an 1000, les remparts de Dinan ne se composaient que d'une palissade en bois. Cf. Enlart, op. cit., p. 45.

[31] Le donjon de Foulque Nerra, comte d'Anjou, dans les dernières années du Xe siècle, est certainement l'un des premiers donjons en pierre. C'est seulement au XIe siècle que la pierre se substituera au bois et que s'élèveront, notamment en Anjou, les donjons carrés destinés non plus à la défense contre les invasions, mais à la guerre féodale. Cf. Enlart, op. cit., p. 500 ; Halphen, op. cit., p. 153 et suiv.

[32] C'est en effet le terme qui prévaut généralement, bien que l'on trouve aussi dans les textes ceux de castellum, de castrum et d'oppidum.

[33] De même que l'origine diffère, le nom varie. Le terme primitif de vassus, au Xe et surtout au XIe siècle, est fréquemment remplacé par ceux de miles, de dominus, de baro, auxquels s'accolent les épithètes de vir nobilis, de liber homo (en allemand Freiherr), de homo ingenuus. Par la suite, le terme de miles s'opposera à celui de baron, le baron étant le possesseur d'un château, le miles étant au contraire un simple chevalier qui n'est pas nécessairement possesseur d'un fief. Cf. Guilhiermoz, op. cit., p. 145 et suiv.

[34] Sur la force et le pouvoir des châtelains, voir surtout Guilhiermoz, op. cit., p. 143-144.

[35] Sur les origines de la taille, voir Flach, op, cit., t I, p. 333 et suiv., qui voit en elle le prolongement de l'impôt direct carolingien, Luchaire, op. cit., p. 336, pour qui elle est une survivance de l'ancien droit de retrait du pécule. M. Calmette (op. cit., p. 67-68) a fort bien montré que ces diverses théories étaient trop exclusives et que la taille avait, en réalité, des origines multiples.

[36] Calmette, op. cit., p. 60 et suiv. ; Declareuil, op. cit., p. 206-212.

[37] Il résulte de ce qui a été dit plus haut (p. 163-166) que ces considérations valent surtout pour la France, l'Italie et la Bourgogne. En Allemagne, l'autorité monarchique étant restée plus forte jusqu'au milieu du XIe siècle, les châtelains n'ont pas eu la même indépendance que dans les autres royaumes occidentaux.

[38] Pirenne, Les villes au Moyen âge, p. 57-63.

[39] Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t. II, fasc. 3, p. 83 et suiv. ; Hauck, Kitchengeschichte Deutschlands, t. III, p. 441 et suiv.

[40] On s'accorde à penser que le terme de fief apparaît pour la première fois dans une charte de Cluny, de juin 881 (Bruel, Recueil des Chartes de l'abbaye de Cluny, t. I, p. 29), mais il est encore exceptionnel au Xe siècle et ne devient d'un usage courant que dans la seconde moitié du XIe siècle.

[41] On trouvera une description de la cérémonie dans Waitz, op. cit., t. IV, p. 234 et suiv., Lot, Fidèles et vassaux ?, p. 240-241 ; Guilhiermoz, op. cit., p. 78-85.

[42] Voir Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 239-240 et l'article de F. L. Ganshof, Depuis quand, a-t-on pu en France être vassal de plusieurs seigneurs, dans Mélanges Paul Fournier, 1929, p. 261-270, où ont été relevés plusieurs exemples, malgré tout assez rares jusqu'à la fin du Xe siècle, d'engagements vassaliques multiples dont le plus ancien date de 895.

[43] Fulbert de Chartres, epist. 58. Cf. Calmette, op. cit., p. 40 et 46-47.

[44] Guilhiermoz, op. cit., p. 255 et suiv. ; Schröder-Künssberg, op. cit., p. 440.

[45] Schröder-Künssberg, op. cit., p. 605 et suiv. ; 632 et suiv.

[46] Voir à ce sujet le très convaincant article de F. L. Ganshof, Contribution à l'étude des origines des cours féodales en France dans Revue historique de Droit français, 4e série t. VII, 1928, p. 644.

[47] Calmette, op. cit., p. 41-43, Schröder-Künssberg, op. cit. p. 563 et suiv.

[48] Calmette, op, cit., p. 43-44.

[49] Guilhiermoz, op. cit., p. 309 et suiv.

[50] On trouvera le texte de la constitution italienne dans les Monumenta Germaniæ historiæ, Constitutiones et acta publica imperatorum, p. 90.

[51] Wipon, c. 6.

[52] En Allemagne, la constitution de Conrad II prévoit qu'à la mort du père un seul fils héritera ou, à défaut du fils un seul petit-fils, à défaut du petit-fils un seul frère ; enfin, au cas où il y aurait plusieurs héritiers du même degré, il appartiendra au suzerain de les départager. Pour la France voir Declareuil, op. cit., p. 218 et suiv.

[53] Guilhiermoz, op. cit., p. 200 et suiv.

[54] Constitutiones et acta imperatorum, t. I, p. 89-91.

[55] Luchaire, op. cit., p. 167-168.

[56] Luchaire, op. cit., p. 165-166.

[57] Luchaire, op. cit., p. 169-171.

[58] M. Pfister (Études sur le règne de Robert le Pieux, p. 163) pense que c'est là une survivance de l'ancien droit germanique de se faire justice à soi-même qui n'a jamais entièrement disparu, même à l'époque de Charlemagne.

[59] Cet aspect moral du régime seigneurial a été moins étudié que les problèmes juridiques. On trouvera quelques bonnes pages dans le chapitre consacré à la féodalité par Luc h aire dans Lavisse, Histoire de France, t. II, 2e p., p. 12 et suiv.

[60] Liber miraculorum S. Fidis, I, 5, 30, 2.

[61] Dom Vaissète, Histoire du Languedoc, t. III, p. 192 et suiv., 245..

[62] Clarius, Chronicon S. Petri Vivi dans Duru, op. cit., t. II, p. 484 et suiv.

[63] On en trouvera des exemples dans Pfister, op. cit., p. 88 et suiv.

[64] Wipon, c. 18. Cf. Bresslau, Jahrbücher des deutschen Reiches unter Konrad II, t. I, p. 178-180.

[65] Lot, Les derniers Carolingiens, p. 11 et suiv.

[66] Pfister, op. cit., p. 161-163.

[67] On remarquera que l'Église n'a pris aucune initiative de ce genre en Allemagne et que certains évêques, comme Gérard de Cambrai, se sont déclarés les adversaires déterminés des institutions de paix, parce que dans ces pays où l'institution monarchique est restée forte, e soin de maintenir l'ordre incombe au roi et que vouloir se substituer à lui dans cette mission traditionnelle constitue, toutes proportions gardées, un acte de lèse-majesté.

[68] Voir tome I.

[69] Jaffé-Wattenbach, 2812.

[70] Sur les institutions de paix, voir Klueckhohn, Geschichte des Gottesfriedens, Leipzig, 1857 ; Semichon, La paix et la trêve de Dieu, Paris, 1869, 2 vol. ; Huberti, Studien zur Rechtsgeschichte der Gottesfrieden und Landfrieden, t. I, Die Friedensordnungen in Frankreich, Ansbach, 1892. Voir aussi Paul Viollet, Histoire des institutions politiques et administratives de la France, t. II, et les ouvrages déjà cités de Pfister et Poupardin.

[71] Mansi, t. XIX, col. 89 et 103. Cf. Huberti, op. cit., t. I, p. 34 et suiv. ; Paul Viollet, op. cit., t. II, p. 143.

[72] Dom Vaissète, op. cit., t. V, p. 15. ; Pfister, op. cit., p. 167-168 ; Huberti, op. cit., t. I, p. 123.

[73] Pfister, op. cit., p. 168.

[74] Pfister, op. cit., p. 170-171 ; Huberti, op. cit., t. I, p. 156 et suiv.

[75] Poupardin, Le royaume de Bourgogne, p. 301 et suiv.

[76] Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. IV, 2e p., p. 970-971.

[77] Lavisse, Histoire de France, t. II, 2e p., p. 135.

[78] Pfister, op. cit., p. 169.

[79] Pfister, op. cit., p. 369-370.

[80] On trouvera une description de la famine et des scènes de brigandage dont elle a été la cause dans Raoul Gaber, IV, 4. Il est probable que ce récit renferme quelques exagérations, (cf. Pfister, op. cit., p. 113), mais il y a malgré tout un fond de vérité.

[81] Cf. aussi Raoul Glaber, IV, 5, auquel on doit un bon nombre de renseignements sur la question et qui montre la foule assiégeant les conciles au cri de : Paix, paix, paix !

[82] Vaissète, Histoire du Languedoc, t. V, p. 442-445 ; Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 975.

[83] Mansi, t. XIX, col. 593 et suiv. Cf. Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 971-973.

[84] Steindorff, Jahrbucher des deutschen Reichs unter Heinrich III, t. I, p. 139 et suiv. ; Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 972.

[85] Mansi, t. XIX, col. 598.

[86] Mansi, t. XIX, col. 1042. La date est difficile à préciser, mais ce concile est certainement antérieur à celui de Narbonne (1054).

[87] Mansi, t. XIX, col. 827. Cf. Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1111-1113.

[88] Meyer von Knonau, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich IV und Heinrich V, t. III, p. 506-508.

[89] Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, t. I, p. 297-299 ; Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 345 et 372.

[90] Mansi, t. XIX, col. 1035. Cf. Héfélé-Leclercq, op. cit., t. IV, 2e p., p. 1268.

[91] Héfélé-Leclercq, op. cit., t. V, Ire p., p. 400-401.