HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

PREMIÈRE PARTIE. — LES CONSÉQUENCES DU DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE CAROLINGIEN (888-962)

 

CHAPITRE IV. — LA FRANCE DE 888 À 987.

 

 

I. — Le règne d'Eude (888-898)[1].

 

LA QUESTION DYNASTIQUE. — L'élection d'Eude comme roi de la Francia occidentalis, après la mort de Charles le Gros, a été dictée, comme on l'a vu, par le péril normand, mais elle n'implique pas la déchéance définitive de la dynastie issue de Charlemagne. Il persiste en France, comme en Allemagne et en Italie, un loyalisme carolingien, prêt à se réveiller aussitôt que les circonstances seront plus favorables. Si Eude a obtenu la couronne, c'est avant tout parce que le seul représentant de l'illustre lignée, Charles, fils posthume de Louis le Bègue, est un enfant de huit ans, chétif et malingre, incapable, en face d'une situation tragique, d'assumer les charges et les responsabilités du pouvoir.

LE POUVOIR ROYAL. — En présence de cette impossibilité, les grands ont désigné Eude tout à la fois parce qu'il avait fait ses preuves comme chef militaire et parce qu il disposait d'une puissance personnelle supérieure à toute autre. Eude possède le comté de Paris, d'importants domaines dans l'Orléanais, le Blésois et la Touraine ; il est le maître de la Neustrie dans laquelle il faut englober le futur État normand et aussi, grâce au titre de dux Francorum que lui a confirmé Charles le Gros[2], de la Francia ; comme tel, il est, plus que quiconque, capable d'enrayer les invasions normandes qui affectent surtout la région de Seine et Loire sur laquelle s'exerce plus directement son autorité[3].

Sur le reste du royaume il ne jouit, au contraire, d'aucun pouvoir effectif. Si l'évolution qui donnera naissance au régime féodal n'est pas encore terminée, on peut dire pourtant que, dès la fin du IXe siècle, le bénéfice tend de plus en plus à devenir héréditaire et que l'assimilation des offices aux bénéfices est le plus souvent chose faite[4]. Au temps d'Eude, il y a déjà des dynasties de comtes indépendants qui se considèrent beaucoup plus comme les vassaux que comme les fonctionnaires de la couronne. Il en est ainsi, dans le nord, en Flandre où Baudouin Bras de Fer a transmis à son fils, Baudouin II, le comté qu'il a reçu en 863 de Charles le Chauve, et en Vermandois où, au début du Xe siècle, Herbert II héritera de son père, le comte Herbert Ier. Au centre, le duché de Bourgogne, qui réunit les comtés d'Avallon, Auxerre, Langres, Mâcon, Châlon, l'Autunois, l'Auxois, le Lassois, le Barrois, le Tonnerrois, le pays entre la Saône, la Vingeanne et la Tille, sans doute aussi les comtés de Sens et de Troyes, est devenu, avec Richard#le Justicier, un État autonome où le pouvoir ducal est héréditaire. Le midi échappe davantage encore à l'emprise de la couronne : Ramnulf II, comte de Poitou, qui s'affuble du titre de duc d'Aquitaine, Guillaume le Pieux, comte d'Auvergne et marquis de Gothie, gouvernent à leur guise. Quant à la Septimanie et à la marche d'Espagne, elles sont en marge du royaume franc qu'elles ignorent à peu près complètement[5].

Ainsi les liens qui rattachent au souverain les différentes parties du royaume se distendent de plus en plus. Avec un roi élu cette évolution ne peut que s'accentuer. Eude, quelque peu jalousé par les grands feudataires, notamment par Baudouin II de Flandre, Richard de Bourgogne, Ramnulf II de Poitou, aura besoin de beaucoup de tact et de beaucoup d'énergie pour gouverner, tellement sa puissance est fragile et risque de s'effondrer au premier choc.

VICTOIRE D'EUDE SUR LES NORMANDS À MONTFAUCON (24 JUIN 888). — Ce prince semble tout d'abord justifier les espérances que l'on a placées en lui. Son règne débute par une magnifique victoire.

Les Normands, après la capitulation de Charles le Gros (novembre 886), ont largement exécuté la clause du traité qui les autorisait à ravager la Bourgogne, puis dans l'automne de 887, ils sont revenus vers la Marne, à Chessy, près de Lagny[6]. Après la mort de l'empereur, ils s'empressent de reprendre l'offensive, non plus cette fois vers Paris, mais du côté de l'est. Ils incendient Troyes, menacent Reims, s'avancent jusqu'à Toul et à Verdun. Ils se heurtent alors, dans des circonstances que l'on connaît mal, à l'armée d'Eude dont ils ne soupçonnaient pas la présence dans ces parages ; ils sont battus à Montfaucon-en-Argonne (24 juin 888) et poursuivis jusqu'au delà des frontières du royaume[7].

Ce brillant succès a un énorme retentissement. Baudouin de Flandre, hostile à Eude, s'empresse de le reconnaître et son adhésion est suivie de celle d'Arnulf de Germanie qui accepte la déchéance de sa famille. On allait pourtant s'apercevoir très vite que la victoire de Montfaucon n'avait eu que des résultats éphémères et qu'elle ne mettait nullement fin aux déprédations normandes.

LA LUTTE CONTRE LES NORMANDS DE 888 À 891. — Dès la fin de l'été 888, les envahisseurs, un moment chassés de France, reviennent vers l'ouest, brûlent Meaux, menacent Paris, mais ils n'osent tenter un nouveau siège et vont s'installer, pour l'hiver, au bord du Loing[8]. La situation générale est exactement la même qu'avant la bataille de Montfaucon.

En 889, les Normands, s'échappant de leur repaire, portent leurs coups tour à tour à l'est et à l'ouest, vers la Bourgogne, où ils incendient les faubourgs d'Auxerre, et vers Paris qui leur oppose de nouveau une résistance héroïque, conduite par l'évêque Anseri, digne successeur de Gozlin, mais Eude, rééditant le geste de Charles le Gros, achète leur retraite[9]. Rien n'explique ce surprenant abandon qui n'accorde à la région parisienne qu'un très court moment de répit. En 890 en effet, les Normands vont ravager le Cotentin et essaient d'entamer la Bretagne ; repoussés par le comte de Rennes, Bérenger[10], ils reviennent aussitôt vers la Seine. Parvenus à Conflans en octobre 890, ils remontent l'Oise avec le dessein de s'établir à Noyon pour l'hiver. Eude s'efforce vainement de contrarier ce projet et il ne peut pas davantage, à la fin de l'hiver de 891, prévenir le retour des pillages périodiques dirigés, cette année-là, vers les pays meusiens[11]. Un engagement à Wallers, près de Valenciennes, ne donne aucun résultat[12]. Une bataille, livrée en Vermandois à d'autres bandes que commandait un chef du nom d'Hastings, aboutit à une véritable déroute pour les troupes d'Eude[13]. Seul Arnulf, par sa victoire de Louvain (25 juin 891), sauve la situation et décide les Normands à quitter le continent qui ne fournit plus à leur rapacité un butin suffisant, pour aller opérer en Angleterre.

Eude n'est pour rien dans cette retraite, provoquée avant tout par l'épuisement des régions affectées par l'invasion. Personnellement il n'a que des défaites à son actif, En bien des circonstances, il a manqué de clairvoyance, plus encore d'énergie et de décision. Son règne ressemble étrangement à ceux qui l'ont précédé. De là, à son égard, une indifférence croissante qui chez les uns dégénère bientôt en une aversion jalouse, tandis que chez les autres elle réveille des ambitions redoutables pour l'avenir.

RÉVOLTE DE LA FLANDRE. — Dès 892, le comte Baudouin de Flandre se révolte contre le roi. A la mort de Rodolphe, abbé de Saint-Bertin et de Saint-Vaast (5 janvier 892), il réclame, quoique laïque, sa succession à Saint-Bertin, mais Eude écoute les supplications des moines et confirme la libre élection de Foulque, archevêque de Reims[14], Baudouin prend sa revanche en mettant la main, sans demander l'avis de personne, sur l'autre monastère vacant, celui de Saint-Vaast. Foulque le menace d'excommunication[15] et Eude lui demande compte de son usurpation. Baudouin n'en a cure et, avec le concours d'un cousin du roi, Vaucher, qui occupait Laon, s'insurge ouvertement. Eude se dirige immédiatement vers Laon, s'en empare, traduit Vaucher devant un tribunal de seigneurs qui le déclare coupable de lèse-majesté et le condamne à mort, puis, après avoir laissé exécuter cette dure sentence, il marche contre Baudouin qui déjoue tous ses plans et l'oblige à battre en retraite sans avoir livré aucun combat[16].

RÉVOLTE DE L'AQUITAINE. — Au même moment, une autre révolte se dessine au sud, en Aquitaine.

Le comte de Poitou, Ramnulf II, qui semble avoir pris dès 889 le titre de duc d'Aquitaine[17], avait observé une assez froide réserve à l'égard du successeur de Charles le Gros ; il s'était pourtant décidé à lui prêter un vague serment de fidélité, tout en gardant à sa cour le jeune Charles le Simple, réfugié auprès de lui [18]. Il mourut le 10 octobre 890[19], laissant un fils en bas âge, Eble. Les oncles de ce jeune prince, redoutant que le roi ne favorisât un compétiteur éventuel, son parent Adémar, s'insurgèrent contre lui au début de 892. A peine revenu de Flandre, Eude accourut à Poitiers où il entra sans difficulté, mais il trouva le moyen de mécontenter tout le monde en annonçant son intention de remettre le comté à son frère Robert et dut se retirer sans avoir pu faire prévaloir sa volonté. Adémar s'empara de Poitiers par surprise, tandis que le jeune Eble s'enfuyait auprès de Saint-Géraud d'Aurillac, puis de Guillaume, comte d'Auvergne[20].

COMPLOT CONTRE EUDE. — Ainsi les échecs se sont succédé avec. une déconcertante régularité : les Normands, victorieux en 890 et 891, ont quitté la région de la Seine, mais après l'avoir ruinée et de leur plein gré ; le comte de Flandre a clairement manifesté ses sentiments d'indépendance et l'Aquitaine a réglé ses destinées sans se soucier des décisions de la couronne. Partout le roi s'est montré inerte ou impuissant. Élu par les grands pour briser la force normande et pour relever le prestige du royaume franc de l'ouest, il ne s'est pas acquitté de la tâche qui lui était assignée. N'est-il pas logique de lui retirer, en le déposant, une confiance présomptueuse et de revenir à la dynastie traditionnelle dont le légitime représentant vient d'atteindre sa majorité ? Telle est la question qui se pose avec une acuité grandissante à la fin de 892.

L'archevêque de Reims, Foulque, aussi ambitieux qu'intrigant, peu sympathique à Eude auquel il ne s'était rallié qu'à contre-cœur, préoccupé avant tout de jouer personnellement un grand rôle, a bien vu que les esprits étaient mûrs pour une réaction carolingienne. Il a su attiser les mécontentements suscités parle gouvernement d'Eude. Il a été l'âme du complot qui groupe immédiatement autour de lui l'évêque de Paris Anseri[21], les comtes Effroi d'Artois et Herbert de Vermandois. Les conjurés escomptent le prochain concours de Baudouin de Flandre que Foulque a eu soin de ménager malgré son conflit personnel avec lui au sujet de Saint-Bertin[22], d'Adémar de Poitiers, de Guillaume d'Auvergne, peut-être aussi de Richard de Bourgogne -qui se confine dans une réserve un peu dédaigneuse.

SACRE DE CHARLES LE SIMPLE (28 JANVIER 893). — Pour entraîner tous les hésitants, Foulque a recours à une manifestation théâtrale qui lui paraît de nature à faire exploser le loyalisme carolingien toujours vivace. Le 28 janvier 893, il conduit dans sa cathédrale Charles le Simple, réfugié sans doute auprès de lui depuis la mort de Ramnulf d'Aquitaine[23], et le sacre suivant le cérémonial traditionnel[24]. C'est affirmer que Charles, docile à la volonté de l'archevêque, entend revendiquer la couronne de ses ancêtres, mais Eude, si surpris qu'il ait pu être tout d'abord par ce coup d'audace, n'est aucunement disposé à s'effacer devant son rival. La cérémonie du 28 janvier 893 ouvre l'ère des grandes luttes dynastiques entre Carolingiens et Robertiens.

GUERRE ENTRE EUDE ET CHARLES LE SIMPLE (JUIN-SEPTEMBRE 893). — Charles le Simple a pour lui presque tous les grands de l'ancienne Austrasie qui, pour la plupart, ont assisté à son sacre. La Neustrie, au contraire, paraît avoir tenu pour Eude, mais de quel côté allaient pencher les incertains, il était impossible de le prévoir.

En présence du danger qui le menace, Eude recouvre la décision et l'esprit d'initiative qui lui avaient sans cesse manqué depuis. son avènement. C'est en Aquitaine qu'il a connu, au début de février 893, la nouvelle du sacre de Charles. Aussitôt il se réconcilie, au prix de concessions qu'il faut se résoudre à ignorer, avec Adémar de Poitiers et Guillaume d'Auvergne[25], puis, fort de leur bienveillante neutralité, il se jette sur la Bourgogne, surprend le duc Richard au milieu de ses préparatifs et le contraint à renoncer à son intervention en faveur du prétendant carolingien, désormais privé de toute alliance efficace[26]. De Bourgogne, où il est encore le 28 mai, il passe en Champagne, détruit Épernay qui appartenait à Foulque, assiège Reims[27]. En quelques semaines il a reconquis son royaume.

Charles le Simple. finit pourtant par se ressaisir[28]. En septembre, il réapparaît devant Reims, contraint Eude à s'éloigner de la cité archiépiscopale et signe avec lui une trêve jusqu'à Pâques 804[29].

LA DIPLOMATIE DE FOULQUE. — En interrompant ainsi les hostilités, Foulque de Reims, qui conduit la barque de Charles, cherche surtout à gagner du temps, afin d'assurer le succès des savantes manœuvres diplomatiques qu'il poursuit depuis février 893. Aussitôt après le sacre, il a fait écrire par le jeune prince au pape Formose une lettre déférente et respectueuse ; Formose a répondu avec beaucoup de bienveillance[30]. De même, Foulque a recherché l'appui tout à la fois de l'empereur Guy de Spolète et du rival de Guy, le roi de Germanie, Arnulf, mais Guy a d'autres soucis et Arnulf se méfie de Foulque sans doute en raison de ses négociations avec Guy[31]. Foulque ne s'émeut pas ; il dépêche en Allemagne l'évêque de Beauvais, Autran, écrit lui-même à Arnulf pour lui faire comprendre que Charles, trop jeune en 888 pour succéder en France à Charles le Gros, est maintenant capable de bien gouverner le royaume écœuré par la tyrannie d'Eude, insinuant du même coup qu'en vertu de la solidarité qui a toujours uni les membres de la famille carolingienne, le représentant français de la dynastie est prêt à admettre la suprématie d'Arnulf dont il pourra un jour, par réciprocité, aider le fils à recueillir l'héritage germanique[32].

RÔLE D'ARNULF, ROI DE GERMANIE. — Arnulf se laisse convaincre par ces arguments. Il reçoit Charles le Simple à Worms (mai ou juin 894) et accepte de le reconnaître moyennant des promesses dont on ignore la teneur exacte[33]. Aussitôt après, Charles reprend l'offensive, mais Eude, solidement retranché sur les bords de l'Aisne, oppose un fort barrage à ses troupes où sont englobés d'anciens partisans de la famille robertienne. Dès le premier choc, c'est une débandade générale et le prétendant carolingien n'a d'autre ressource que de s'enfuir en Bourgogne où le duc Richard l'accueille, semble-t-il, sans grand enthousiasme[34]. L'appui du roi de Germanie n'a pu prévenir la défaite de Charles le Simple.

Cet échec paraît avoir sensiblement modifié les dispositions d'Arnulf. En 894, cédant aux instances de Foulque, il a pris parti pour Charles sans même entendre Eude. La défaite carolingienne éveille chez lui de tardifs scrupules. Il convoque à sa cour les deux rivaux, afin d'en finir par un arbitrage qui lui permettra peut-être de restaurer son prestige quelque peu atteint par les derniers événements[35]. Charles fait défaut. Eude comparaît humblement à Worms, à la fin de mai 895, et, disent les chroniqueurs, obtient tout ce pour quoi il était venu[36], ce qui ne laisse aucun doute sur l'issue de l'assemblée.

DÉFAITE DE CHARLES LE SIMPLE. — A partir de ce moment, Arnulf, absorbé par les préparatifs de sa seconde expédition en Italie (octobre 895), se désintéresse des querelles dynastiques en France. Une fois de plus, les armes vont décider entre Charles et Eude.

Charles s'est assuré l'alliance du roi de Lorraine, Zwentibold, auquel il a promis certains avantages territoriaux[37], mais il se brouille avec lui, à la suite d'une expédition infructueuse de Zwentibold contre Laon[38], et Zwentibold réussit à détacher de lui le comte de Flandre, Baudouin et son frère, Raoul, dont l'exemple sera bientôt suivi par d'autres fidèles, comme Herbert de Vermandois et Erchanger de Boulogne[39]. Bref Charles est à la merci de son adversaire. Il ne lui reste plus d'autre ressource que de dépêcher vers lui les comtes Herbert et Effroi qui, en son nom, concluent jusqu'à Pâques de l'année suivante (4 avril 896) une trêve destinée à faciliter la mise au point des conditions auxquelles on pourrait conclure la paix[40]. Eude triomphe sans avoir combattu. Charles, désemparé, se réfugie en Lorraine où Zwentibold, qui l'a trahi, songe surtout à arrondir son royaume par l'annexion de la région de Reims et de Laon, vers laquelle il conduit son armée, à la grande indignation de l'archevêque Foulque[41].

NOUVELLES INVASIONS NORMANDES (896-897). — Malgré l'anéantissement du parti carolingien, l'avenir est loin d'être sans nuages pour le roi Eude. Au moment où il croit avoir vaincu son rival, l'invasion recommence. Pendant l'été de 896, l'armée normande qui avait quitté la France pour aller dépouiller l'Angleterre, réapparaît à l'estuaire de la Seine, remonte le fleuve jusqu'au confluent de l'Oise, puis, conformément aux vieilles habitudes, s'installe pour l'hiver, à Choisy-au-Bac, au confluent de l'Aisne avec l'Oise d'où, au printemps de 897, elle ira renouveler ses incursions dans la vallée de la Meuse[42].

PAIX ENTRE EUDE ET CHARLES LE SIMPLE. — Charles le Simple eut un moment l'idée de se servir des Normands pour reconquérir le royaume de ses pères. Énergiquement détourné de ce déshonorant projet par l'archevêque de Reims[43], il se vit forcé de reprendre les négociations avec Eude auquel il envoya une nouvelle ambassade. Celui-ci, inquiet sans doute de la réapparition du péril normand[44], ne repoussa pas un accommodement. Une entrevue eut lieu entre les deux rivaux. Eude consentit à céder à Charles une portion du royaume et lui promit davantage encore[45]. Cette expression plutôt vague, dont se sert le chroniqueur de Saint-Vaast, a suscité chez les historiens modernes toutes sortes d'hypothèses entre lesquelles il est impossible de choisir[46]. Il est permis de croire qu'Eude, qui devait mourir l'année suivante et se sentait peut-être déjà condamné, a promis à Charles le Simple de le proposer comme son successeur.

PAIX AVEC LES NORMANDS ET MORT D'EUDE (1er JANVIER 898). — Après avoir traité avec le Carolingien, Eude s'empressa de conclure la paix avec les Normands dont la présence causait tant de dommages aux pays de la Seine au-dessous de Paris. Il les décida à se transporter sur la Loire d'où ils pourraient dévaster à leur aise la Neustrie et l'Aquitaine[47]. C'était là une convention peu glorieuse, mais guerre normande et guerre civile avaient conduit le royaume à un tel état d'épuisement qu'un nouvel effort semblait impossible. Eude ne survécut guère à cet arrangement. Il mourut le 1er janvier 898, après avoir recommandé aux grands d'élire Charles le Simple pour lui succéder[48].

RÉSULTATS DU RÈGNE D'EUDE. — On ne pouvait avouer plus explicitement l'échec de l'expérience, tentée en 888, qui avait substitué à la dynastie traditionnelle l'élu de l'aristocratie. Brillamment inauguré par la victoire de Montfaucon, le règne d'Eude a été tout à la fois stérile et néfaste. La menace normande est aussi redoutable en 898 qu'en 888. D'autre part le pouvoir royal, miné par la guerre civile qui a permis aux grands d'exercer le rôle d'arbitres entre Eude et Charles le Simple, a achevé de s'éclipser devant la grande féodalité qui agit et gouverne à sa guise. L'évolution, commencée aussitôt après la mort de Charlemagne, n'a fait que s'accentuer et rien désormais ne pourra l'empêcher de parvenir à son terme.

L'AVÈNEMENT DE CHARLES III LE SIMPLE. — Pour le moment, le retour à la dynastie carolingienne s'impose. Charles le Simple, désigné par. Eude, est reconnu sans difficulté. Robert, frère d'Eude, Richard de Bourgogne, Guillaume d'Auvergne, lui jurent fidélité et Herbert de Vermandois, qui l'avait un moment abandonné, s'empresse de lui apporter sa soumission[49]. Seul, Baudouin de Flandre se confine dans l'abstention et essaie de troubler la paix, à laquelle tout le monde aspire, en pillant des biens ecclésiastiques et en s'emparant de Péronne qui appartenait à Herbert, mais il suffit que Charles paraisse devant Arras pour qu'il lui apporte à son tour son adhésion[50]. En somme, les seigneurs français ne demandent qu'à se grouper autour du roi carolingien qui maintient entre eux une sorte d'équilibre et qui, tout en ayant été choisi par eux, est au-dessus d'eux du fait de sa naissance.

Charles a d'ailleurs des qualités ; il n'est pas dépourvu d'une certaine énergie et l'on peut se demander si le surnom de Simple, dont il a été affublé par les chroniqueurs de la fin du Xe siècle, a eu à%l'origine le sens péjoratif qu'il a pris par la suite[51]. Aucun témoignage contemporain ne permet malheureusement de tracer son portrait avec précision et c'est surtout sur son œuvre que l'on peut juger ce prince qui semble avoir été généreux et bon.

 

II. — La fondation du duché de Normandie[52].

 

LA QUESTION NORMANDE EN 898. — L'événement le plus marquant du règne de Charles le Simple est à coup sûr le traité de Saint-Clair-sur-Epte qui est un essai de liquidation de la question normande.

Celle-ci, au moment où Charles III succède à Eude, n'a rien perdu de son acuité. Le traité conclu par le roi défunt ne pouvait être qu'une trêve tout à fait provisoire et l'on s'en aperçut aussitôt. L'année 898 est marquée par une recrudescence et une extraordinaire dissémination du péril. Au printemps, deux armées normandes vont opérer l'une en Aquitaine, l'autre dans le Vimeu, tandis qu'une troisième, un peu plus tard, envahit la Bretagne[53], mais, de côté et d'autre, elles se heurtent à une résistance inaccoutumée : dans le Vimeu, Charles le Simple, avec une petite troupe, réussit à infliger aux agresseurs des pertes assez sérieuses et, en Bretagne, quatorze mille guerriers trouvent leur tombeau. Au début de l'hiver, la Bourgogne est ravagée à son tour ; les abbayes flambent successivement ; à Bèze, les moines, qui ont eu le courage de rester, sont froidement égorgés[54], mais ils ne tardent pas à être vengés : tandis qu'ils s'avancent vers Dijon, les Normands sont battus à Argenteuil, en Tonnerrois (28 décembre 898)[55], et ils doivent se replier vers la région de Seine et Oise[56].

En résumé, si l'offensive normande n'a rien perdu de sa vigueur, la répression ne s'était pas montrée depuis longtemps aussi vigoureuse ni aussi efficace. Cependant les batailles livrées dans le Vimeu, en Bretagne et en Bourgogne n'ont pas fait avancer la solution du grave problème. Sans doute plusieurs bandes ont été décimées, mais d'autres sont prêtes à se reformer à l'embouchure des fleuves et à renouveler les funestes exploits de celles qu'elles vont remplacer.

LES INCURSIONS NORMANDES DE 900 À 910. — On connaît très mal les incursions qui ont suivi celles de 898. Les Annales de Saint-Vaast, si précises et si détaillées pour la fin du IXe siècle, s'arrêtent à 899 et, à part quelques brèves mentions éparses dans les sources locales, on est désormais réduit à Dudon de Saint-Quentin, lui-même assez sobre pour cette période, et dont le témoignage est tout à fait sujet à caution[57]. Le seul fait avéré est l'incendie de Saint-Martin de Tours par deux chefs, Héric et Baret[58]. On peut se demander toutefois si cette expédition de Touraine est un fait isolé et exceptionnel ou si, au contraire, elle constitue un simple épisode d'un cycle plus étendu. La première hypothèse paraît s'imposer et il est plus que probable qu'à la suite de leurs échecs en 898, les Normands ont éprouvé le besoin de reconstituer leurs forces. En 910, ils sont de nouveau prêts et se décident sans peine à recommencer les attaques de grand style qui, cette année-là, affectent tout à la fois le Sénonais et le Berry[59].

ROLLON ET L'INVASION DE 911. — En 911, l'offensive est dirigée contre le pays chartrain. Elle est conduite par le fameux Rollon dont le nom apparaît pour la première fois avec certitude. Le portrait, que Dudon a laissé de ce chef illustre, est purement légendaire[60] et les Annales franques sont à peu près muettes à son sujet. Il est probable que Rollon était d'origine norvégienne[61], mais on doit se résoudre à ignorer son rôle jusqu'au jour où, en 911, il va, après avoir ravagé le Dunois, mettre le siège devant, Chartres. L'évêque Gousseaume défend la ville, tandis qu'une armée de secours s'organise sous le commandement de Robert, comte de Paris et duc des Francs, de Richard, duc de Bourgogne, et d'Eble, comte de Poitou. Rollon, vaincu dans une sanglante bataille qui aurait coûté aux Normands près de sept mille hommes (20 juillet 911), doit battre en retraite[62], après quoi il s'empresse de signer avec Charles le Simple le traité de Saint-Clair-sur-Epte.

CONCLUSION DU TRAITÉ DE SAINT-CLAIR-SUR-EPTE (911). — L'histoire de ce traité est enveloppée de légendes et de contradictions. Elle n'a été contée en détail que par le seul Dudon de Saint-Quentin chez lequel on a relevé tant d'erreurs qu'il est impossible de retracer la marche des négociations avec quelques chances d'exactitude[63]. La date même des pourparlers ne peut être fixée que par conjecture : elle est postérieure à l'échec de Rollon devant Chartres (20 juillet 911) et vraisemblablement antérieure à la conquête de la Lorraine par Charles le Simple qui a suivi de quelques semaines la mort de Louis l'Enfant (24 septembre 911). Il est fort probable qu'avant de s'engager à l'est, Charles a voulu régler la question normande. Dans ces conditions, le traité de Saint-Clair-sur-Epte se placerait en octobre 911.

On devine mieux les raisons qui ont acheminé Charles le Simple et Rollon vers la conclusion d'une paix mutuelle. De part et d'autre, on aspirait au repos. Les dernières invasions normandes n'avaient pas apporté à leurs auteurs les mêmes bénéfices que celles qui avaient précédé ; elles avaient abouti parfois à des défaites ; de nombreux guerriers avaient succombé et le butin s'était plus d'une fois évanoui. Aussi, avec leur sens pratique habituel, certains chefs ont-ils été amenés, pendant les premières années du Xe siècle, à se demander s'il ne serait pas plus avantageux de renoncer aux razzias trop souvent infructueuses pour exploiter une région riche et fertile dont on tirerait des revenus certains. C'est à Rollon sans doute qu'il faut attribuer ce plan ingénieux qui allait astreindre à une vie sédentaire ses guerriers à l'humeur nomade et les fixer autour de la vallée inférieure de la Seine.

Charles le Simple ne pouvait qu'entrer dans ces vues. Malgré les victoires remportées depuis son avènement, la situation demeurait instable et l'organisation militaire du royaume était insuffisante pour opposer une digue inébranlable au flot des envahisseurs. Comme on l'a très justement remarqué[64], l'armée, sous le règne de Charles le Simple, a déjà un caractère féodal ; elle a perdu toute cohésion ; les fidèles des ducs, comtes-ou évêques qui la composent ne connaissent d'autres chefs que ceux sous les ordres immédiats desquels ils servent. Ceux-ci, exclusivement préoccupés de défendre leurs propres domaines, acceptent difficilement de se grouper sous un commandement unique pour concourir à des entreprises d'intérêt général. Suivant la force dont ils disposent, ils repoussent les envahisseurs ou composent avec eux, mais ils opèrent toujours en ordre dispersé ; tout au plus parviennent-ils à former, comme en 911, des coalitions passagères ; en règle générale, ils sont incapables de s'élever au-dessus de l'horizon borné de leurs terres ; l'idée de participer à une œuvre de salut, dans le cadre du royaume, leur est totalement étrangère.

Charles le Simple a eu le mérite de percevoir ces traits qui dominent la situation de son royaume vers 911. De là l'idée d'en finir avec les invasions normandes par des concessions territoriales.

CLAUSES DU TRAITÉ. — Le texte du traité de Saint-Clair-sur-Epte ne nous est pas parvenu et, étant donné le peu de valeur des renseignements fournis par Dudon de Saint-Quentin, on éprouve quelque difficulté à le reconstituer. D'après ce chroniqueur, la paix conclue entre Rollon et Charles le Simple se ramènerait à quatre clauses essentielles : concession, en toute propriété, d'un territoire au chef normand, abandon de la Bretagne à ses guerriers comme pays à ravager, mariage de Rollon avec Gisèle, fille de Charles le Simple, baptême de Rollon.

CESSION DE LA HAUTE-NORMANDIE À ROLLON. — Le territoire cédé à Rollon en 9II se limitait à la Haute-Normandie, c'est-à-dire au pays entre l'Epte et la mer. C'est seulement en 924 que le Bessin et le Maine viendront s'ajouter à la donation primitive, puis, en 933, le successeur de Rollon, Guillaume Longue-Epée, recevra du roi Raoul les diocèses de Coutances et d'Avranches. Les textes à cet égard sont formels et il est impossible d'admettre avec Dudon que Rollon ait été investi par Charles le -Simple en gii de Bayeux, d'Évreux et du Mont-Saint-Michel[65]. Comme l'indique Flodoard[66], le chef normand n'a obtenu à cette date que la ville de Rouen et quelques comtés maritimes limités par la Bresle, l'Epte, l'Avre et sans doute la Dives[67].

LA QUESTION DE BRETAGNE. — Dudon, après avoir mentionné ces clauses territoriales du traité, ajoute que Rollon, trouvant la région de la Basse-Seine par trop ruinée, demanda à Charles le Simple de lui désigner un pays à piller. Charles lui ayant offert la Flandre, le chef normand aurait objecté que c'était une contrée trop marécageuse pour offrir un butin suffisant et indiqué ses préférences pour la Bretagne qu'il aurait finalement obtenue. Il y a là, comme on l'a très bien observé[68], une pure légende destinée à justifier les prétentions élevées sur la Bretagne par les ducs normands contemporains de Dudon. Comment en effet Rollon, qui, en 9II, venait d'essuyer sous les murs de Chartres une grave défaite, aurait-il pu insinuer de telles revendications, susceptibles de faire échouer les négociations engagées sur sa demande ?

LA LÉGENDE DU MARIAGE DE ROLLON AVEC GISÈLE. — C'est également au rang des légendes qu'il faut reléguer la mention, faite par Dudon, d'un mariage entre Rollon et Gisèle, fille de Charles le Simple, qui aurait été comme la garantie du traité de Saint-Clair-sur-Epte. En grr, Gisèle, quatrième fille de Charles le Simple et de Frérone, n'était certainement pas née, le roi s'étant lui-même marié en 907. Il est donc probable que Dudon a tout simplement transposé un passage de Réginon où il est rapporté que le chef normand, Godfrid, lorsqu'il reçut la Frise, épousa du même coup Gisèle, fille de Lothaire II[69], et qu'il a greffé là-dessus certains détails pittoresques, imaginés par lui, comme la consultation des chefs normands qui engagent Rollon à épouser une jeune fille de naissance légitime, d'une haute stature, d'une virginité immaculée, aussi prudente dans ses conseils qu'agréable dans sa conversation.

BAPTÊME DE ROLLON. — Toujours d'après la même source, l'archevêque de Rouen, à qui reviendrait l'idée d'unir Rollon à Gisèle, aurait mis comme condition que Rollon reçût le baptême. Sur ce point la version de Dudon doit être admise. Flodoard est tout à fait formel et constate qu'aussitôt après leur défaite de Chartres, les Normands commencèrent à accepter la foi du Christ, moyennant la cession de certains comtés maritimes et de la ville de Rouen[70]. Naturellement Dudon a agrémenté la cérémonie de détails singuliers[71], mais le fait du baptême demeure et il complète la physionomie du traité : les Normands de Rollon, jusque-là païens, sont incorporés, en grr, dans la chrétienté occidentale.

CONSÉQUENCES DU TRAITÉ, DE SAINT-CLAIR-SUR-EPTE. — La convention signée entre Charles le Simple et Rollon a suscité les commentaires les plus opposés. Pendant longtemps, les historiens ont été presque unanimes à flétrir la politique de Charles le Simple qui, disaient-ils, avait, avec une incommensurable lâcheté, capitulé devant les Normands et aliéné une riche province à des pirates qu'il n'avait pas le courage de combattre. Un revirement s'est produit par la suite et le traité de Saint-Clair-sur-Epte est généralement considéré aujourd'hui comme un acte de sagesse qui a mis fin aux invasions normandes, rendu la paix aux pays de la Seine, introduit de nouveaux éléments de vie dans la chrétienté occidentale. Peut-être cet optimisme, succédant à un pessimisme excessif, est-il lui aussi un peu exagéré. Sans doute l'ère des grandes expéditions normandes est close, mais les admirateurs les plus enthousiastes du traité de Saint-Clair-sur-Epte sont malgré tout forcés de convenir que les incursions n'ont pas entièrement cessé. Elles n'apparaissent plus toutefois, ajoutent-ils, que comme des entreprises privées, faites en dehors de l'action du duc, sinon contre sa volonté[72]. Tel est bien en effet le caractère de l'attaque contre Guérande en gI9-ou même de celle, de plus grande envergure, qui, en 920, est dirigée contre la Bretagne[73]. En revanche, les offensives, accompagnées des traditionnels pillages, qui seront organisées contre Raoul et Louis IV ressemblent étrangement, comme on le verra par la suite, aux randonnées du IXe siècle. Comment d'ailleurs les Normands, accoutumés à vivre de brigandage et de piraterie, auraient-ils pu devenir du jour au lendemain de paisibles agriculteurs et, à peine entrés dans la communauté chrétienne, renoncer d'un seul coup à leurs habitudes païennes ? Une transformation aussi subite serait sans précédent et l'on peut affirmer qu'elle ne s'est pas produite. Les compagnons de Rollon, constamment renforcés par de nouveaux immigrants, se sont très vite trouvés à l'étroit dans leur État, et, chaque fois qu'une occasion favorable s'est présentée, ils ont, au mépris de la convention passée avec Charles le Simple, renouvelé leurs attaques contre les pays situés au nord et à l'est. Les derniers Carolingiens et les premiers Capétiens ont pu constater plus d'une fois la survivance de leurs instincts querelleurs et batailleurs, de leur amour immodéré du gain et du pillage. La guerre a changé de caractère, mais elle a persisté jusqu'au jour où la Normandie a été annexée au domaine royal.

LE DUCHÉ DE NORMANDIE. — Si les vieilles mœurs scandinaves n’ont jamais complètement disparu, du moins l'État normand, désigné le plus souvent à partir du XIe siècle sous le nom de duché de Normandie[74], a-t-il revêtu une physionomie semblable à celle des autres grands fiefs. Tout d'abord il reconnaît la suzeraineté du roi de France. Sans doute Dudon qualifie d'alleu le territoire attribué à Rollon, mais il rapporte que Rollon fut prié de prêter hommage à Charles le Simple, ce qui implique qu'il tenait la Normandie du roi[75]. Plus tard, Guillaume Longue-Épée, successeur de Rollon, jurera fidélité à Raoul (927) et les grands de Normandie, au nom de Richard Ier en bas-âge, renouvelleront ce geste auprès de Louis IV[76].

Les Normands se sont donc incorporés dans le royaume et tel est le résultat le plus clair du traité de Saint-Clair-sur-Epte. Il est non moins évident que ces hommes du Nord se sont laissé pénétrer par l'élément indigène. Cela tient en grande partie à ce que les compagnons de Rollon n'avaient pas, pour la plupart, emmené leurs femmes avec eux et qu'ils se sont mariés dans la région de la Seine[77]. Sans doute quelques noms de lieu et quelques termes de la vie maritime rappellent-ils l'origine scandinave des Normands, mais, dans son ensemble, la civilisation de l'État qu'ils ont fondé procède surtout de la civilisation franque : ni le droit, ni la littérature, ni l'art, à l'exception de quelques particularités sculpturales, ne portent l'empreinte profonde des pays nordiques.

Il est plus difficile de saisir comment s'est faite cette assimilation. La seule source que l'on ait conservée pour l'histoire de la Normandie au Xe siècle est la chronique de Dudon de Saint-Quentin, et l'on sait combien elle est sujette à caution. Il faut se résoudre en particulier à considérer comme légendaires les fameuses lois de Rollon dont la physionomie a été poétisée par son biographe. Le successeur de Rollon, Guillaume Longue-Épée (937-942), a davantage l'allure du prince franc et du prince chrétien. Encore l'évolution accomplie sous son règne a-t-elle été brusquement interrompue par son assassinat (17 décembre 942). Aussitôt après, il s'est produit une violente réaction scandinave et païenne, provoquée par de nouveaux immigrants. Celle-ci ne fut, il est vrai, que passagère, et, pendant la seconde moitié du Xe siècle, sous le duc Richard Ier (943-996), puis sous Richard II (996-1027), les traits de l'État normand médiéval achèveront de se fixer.

 

III. — Les luttes dynastiques de 898 à 936.

 

LE GOUVERNEMENT DE CHARLES LE SIMPLE. — e règne de Charles le Simple se ramène à deux faits essentiels : un essai de liquidation des invasions normandes par la création du duché de Normandie et l'annexion de la Lorraine qui, à la mort de Louis l'Enfant (911), s'est donnée au dernier survivant de la dynastie carolingienne.

Cette acquisition, qui étendait le royaume franc de l'ouest jusqu'à la mer du Nord, au Rhin et aux Vosges, aurait dû affermir le pouvoir royal. En fait, elle a contribué pour une large part à déchaîner la guerre civile qui désole la France à partir de 920.

Charles le Simple a subi l'attraction du duché, berceau de sa famille, qu'il avait longtemps convoité[78] et où il s'est plu à résider constamment. Ses diplômes attestent ses fréquents séjours à Thionville, Gondrecourt, Héristal, Metz. De là un vif mécontentement parmi les seigneurs neustriens qui, en outre, reprochaient au roi de se passer de leurs conseils pour suivre les inspirations d'un certain Haganon, d'origine lorraine sans doute, et, en tout cas, d'assez basse extraction[79].

L'OPPOSITION DES SEIGNEURS NEUSTRIENS. — Pendant plusieurs années, ces griefs ne se produisirent pas au grand jour. Charles le Simple les ignora ou affecta de les ignorer. Pourtant certains indices étaient de nature à l'éclairer. Lorsqu'en 917, puis en 919, les Hongrois, venus d'Allemagne dévastèrent la Lorraine et la Bourgogne, les seigneurs, à l'exception de l'archevêque de Reims, Hervé, qui en 900 avait succédé à Foulque assassiné[80], ne répondirent pas à l'invitation du roi, se réservant d'intervenir au cas où le fléau s'étendrait jusqu'à leurs propres terres[81]. Charles ne parut pas comprendre cette leçon des événements. Fasciné par Haganon, il s'entêta outre mesure. Lors d'un plaid tenu à Soissons (920), tandis que Robert, frère d'Eude, quittait l'assemblée avec fracas, les autres seigneurs présents le supplièrent de se séparer de son conseiller favori. Il leur opposa un refus obstiné ; il allait par là au-devant d'une rupture certaine[82].

RÉVOLTE DE LA LORRAINE. — Cette politique était d'autant plus imprudente qu'en Lorraine même la situation de Charles le Simple était quelque peu ébranlée. Dès la fin de 918, une révolte a éclaté dans le duché, sous l'impulsion de Gilbert, fils de Renier au Long-Col, qui était mort à la fin de 915. Elle a échoué, il est vrai, et Gilbert, en 920, s'est réconcilié avec Charles[83], mais, entre temps, il a été en Allemagne où il a exposé ses griefs au roi Henri Ier qui, en 919, a succédé à Conrad Ier et qui médite précisément de prendre la Lorraine à la France. Pour comble de maladresse, Charles, mécontent de ce que Henri ait soutenu Gilbert, imagine d'envahir la région rhénane. Il est battu près de Worms (920) et juge plus prudent de conclure avec le roi de Germanie, après une entrevue à Bonn (4 novembre 921), un accord sur les bases du statu quo[84]. La Lorraine est sauvée pour cette fois, mais tout donne à penser qu'à la première occasion elle échappera à Charles le Simple.

NOUVELLE RÉVOLTE DES GRANDS. — L'expédition de 920, provocation inutile à l'égard du roi de Germanie, a eu, en France même, d'autres effets non moins désastreux. Elle a accentué l'opposition neustrienne, toujours hostile aux tentatives de Charles le Simple pour déplacer vers l'est le centre de gravité de sa puissance. De plus, le roi, au lieu de la calmer par des concessions indispensables, s'est ingénié à la surexciter par des mesures de défiance vexatoire. En 922, sans aucun prétexte apparent, il a enlevé à Rothilde, belle-mère du fils de Robert, Hugue, l'abbaye de Chelles et l'a donnée à Haganon[85]. C'était là un véritable défi que rien ne justifiait et qui venait mal à son heure. Le duc de Bourgogne, Richard le Justicier, au fond favorable aux Carolingiens, était mort le 31 août 921[86] et l'avènement de son fils Raoul, gendre de Robert dont il avait épousé la fille Emma, tout acquis à l'opposition neustrienne, allait apporter à celle-ci l'appoint bourguignon.

ÉLECTION ET COURONNEMENT DE ROBERT (28-30 JUIN 922). — La rébellion éclate en avril 922. Charles était alors à Laon. Redoutant une surprise, il s'enfuit en Lorraine, sans que le duc des Francs réussisse à gêner sa retraite. Il essaie aussitôt de prévenir une action conjuguée de Robert et de Raoul, mais il ne peut empêcher les deux princes d'opérer leur jonction, et assiste impuissant à la chute de Laon, citadelle du parti carolingien. Autour de lui, les défections se multiplient ; Gilbert de Lorraine, à son tour, prend parti pour Robert, en sorte que le malheureux roi n'est plus en sûreté même dans ses États de l'est[87].

Aussi les conjurés peuvent-ils aller de l'avant. Le 29 juin 922, ils élisent roi Robert qui est couronné le lendemain, à Saint-Rémi de Reims, par l'archevêque de Sens, Gautier, celui-là même qui, en 898, avait posé le diadème sur la tête d'Eude[88].

BATAILLE DE SOISSONS ET MORT DE ROBERT (15 JUIN 923). — L'élection de Robert ne ressemble en rien à celle d'Eude en 898. Eude, quoique jalousé par certains seigneurs, n avait devant lui aucun compétiteur. Il en est tout autrement pour Robert. Charles le Simple ne songe pas à s'effacer devant lui ; il est décidé à lui disputer âprement la couronne. A cet effet, une armée carolingienne est réunie en Lorraine et marche sur Soissons où Robert avait établi sa résidence. Le 15 juin 923, tout à fait à l'improviste, Charles attaque son rival et sème la panique parmi ses troupes. Robert est tué dans la mêlée ; la débandade commence, mais elle est conjurée par Hugue, fils de Robert, et par Herbert de Vermandois, dont l'arrivée a ranimé la confiance. Finalement c'est l'armée lorraine qui bat en retraite dans le plus grand désordre[89].

ÉLECTION DE RAOUL, DUC DE BOURGOGNE (13 JUILLET 923). — La situation créée par la bataille de Soissons est tout à fait confuse : les insurgés sont victorieux, mais leur roi a été tué et il est très difficile à remplacer. Sans doute Hugue, fils de Robert, s'offrirait-il volontiers pour succéder à son père, mais il n'a pas encore fait ses preuves et d'autre part le choisir, ne serait-ce pas, après les deux règnes d'Eude et de Robert, restaurer implicitement le principe héréditaire au profit d'une nouvelle dynastie dont on pourrait se lasser un jour ? De même, le jeune comte de Vermandois, Herbert II[90], personnage sans scrupules, ambitieux, avide, rêve lui aussi de la couronne royale, mais il inspire une confiance médiocre et ne soulève aucune sympathie. Reste Raoul, gendre de Robert, duc de Bourgogne, comte d'Autun, sans doute aussi d'Auxerre et de Sens, que recommandent tout à la fois sa valeur personnelle et la puissance dont il dispose ; c'est à lui finalement que se rallieront les grands, mais seulement au bout d'un mois. Pendant ce temps, Charles le Simple a pu reprendre espoir et s'attacher à réparer par la diplomatie l'échec de ses armes, mais ses efforts pour se gagner le comte Herbert II et l'archevêque de Reims, Séulf, qui avait succédé à Hervé au moment de l'élection de Robert[91], échouent totalement. Toute réconciliation semble impossible. Le 13 juillet 923, Raoul est élu à Soissons par une assemblée de grands, puis couronné par l'archevêque de Sens, Gautier[92].

On ne saurait parler toutefois d'une adhésion de tout le royaume. Seuls les seigneurs du Nord et de la Bourgogne ont suscité cette désignation. La Normandie et la Bretagne n'y ont pas pris part ; le Midi, où les diplômes continueront à être datés des années du règne de Charles l'a ignorée ; la Lorraine enfin tient généralement pour le Carolingien.

CAPTIVITÉ DE CHARLES LE SIMPLE. — Charles n'eut pas le temps de rechercher des alliances. Un guet-apens, insidieusement tendu par Herbert de Vermandois, l'a, avant la fin de 923, privé de sa liberté.

Herbert ayant feint de se soumettre, Charles vint à lui en toute confiance. Il fut aussitôt saisi, enfermé au donjon de Château-Thierry, puis transféré à Péronne[93]. Le roi Raoul, dont le caractère généreux ne pouvait que réprouver cet acte d'abominable perfidie, ne fit rien pour délivrer son rival. En réalité, le coup était dirigé contre lui au moins autant que contre la victime. Herbert tenait désormais un gage précieux dont il ne manquerait pas de se servir contre son souverain, si celui-ci contrecarrait son ambition et n'en passait pas par toutes ses exigences. Il pourrait, au moment voulu, provoquer un mouvement en faveur du prince captif, digne de toute pitié, et empêcher l'équilibre d'être rompu en faveur du roi bourguignon. Le calcul était exact : dès 924, Raoul doit compter avec une opposition qui, pendant cinq ans, va le paralyser et l'empêcher de gouverner.

NOUVELLES INCURSIONS NORMANDES (924-926). — C'est en Normandie que les troubles ont commencé. Un certain Rögnvald, qui commandait le groupe de la Basse-Loire, entraînant avec lui les bandes de la Basse-Seine, attaqua le Vermandois, fut repoussé, puis revint à la charge pour être de nouveau battu par le comte d'Arras, Alleaume. Raoul, après une expédition de représailles, conclut un armistice peu honorable, bientôt converti en une paix définitive qui donna aux Normands de la Basse-Seine le Maine et le Bessin (924)[94]. Ceux-ci furent ainsi récompensés d'avoir violé le traité de Saint-Clair-sur-Epte dont ils avaient trouvé une interprétation ingénieuse, en prétendant que Rollon était lié personnellement envers Charles le Simple, mais non pas envers Raoul qui avait usurpé sa place.

Rôgnvald ne fut pas satisfait de cet arrangement qui ne lui donnait aucun territoire. Il reprit les hostilités, remonta le cours de la Loire cherchant, semble-t-il, à atteindre la Bourgogne et dévastant tout sur son passage. Il arriva ainsi jusqu'en Gâtinais où il fut battu, en l'absence de Raoul, alors malade, par le comte Garnier de Sens qui périt d'ailleurs dans le combat (6 décembre 924). Malgré cette défaite, il réussit à se frayer un chemin jusqu'à la vallée de la Seine où il se heurta à de nouvelles forces, amenées par Raoul enfin rétabli ; avec beaucoup d'habileté il parvint à éviter le combat et à battre en retraite à travers la forêt d'Orléans sans être inquiété[95].

Il est probable que Rögnvald suggéra alors aux Normands de la Basse-Seine de reprendre leurs attaques, au mépris cette fois non plus du traité de 911, mais de celui de 924 passé avec Raoul en personne. Des bandes se lancent en effet sur le Beauvaisis, arrivent très vite devant Amiens, puis devant Arras et Noyon, en se livrant à toutes sortes d'horreurs. Une contre-offensive en Vexin les rappelle. Bientôt Raoul lui-même paraît devant Eu, enlève le château et fait froidement massacrer les habitants, mais il n'ose poursuivre ses avantages et se retire dans le Beauvaisis qu'il venait de délivrer[96].

L'année suivante (926), les Normands veulent se venger de leur échec. Ils envoient leur flotte ravager les côtes du Boulonnais, tandis que, sur terre, ils envahissent l'Artois. Raoul accourt en toute hâte, escorté d'Herbert de Vermandois. Il se laisse surprendre à Fauquembergue, échappe, non sans peine et au prix d'une grave blessure, à l'étreinte de ses ennemis et, s'il réussit malgré tout à sauver son armée, il ne peut prévenir le pillage de la Champagne jusqu'aux confins de la Lorraine. Pour sauver la Bourgogne, il est obligé d'acheter la paix[97].

PERTE DE LA LORRAINE (925) ET INVASION HONGROISE (926). — Ainsi, quinze ans après le traité de Saint-Clair-sur-Epte, les invasions normandes ont recommencé, au mépris de tous les engagements contractés, et elles ont eu pour la France plusieurs conséquences-fâcheuses En 925, pendant que Raoul était absorbé par la lutte contre les Normands, Henri Ier, roi de Germanie, a franchi le Rhin près de Zulpich et occupé la Lorraine qui avait d'abord reconnu Raoul sans difficulté[98]. En 926, pour la même raison, ce prince n'a pu se porter au-devant des Hongrois qui ont librement ravagé la Champagne et dépouillé de nombreux monastères[99]. Enfin, si la même année l'Aquitaine se révolte contre Raoul, c'est bien parce qu'elle espère que le roi, retenu par les Normands, ne pourra exercer aucune répression.

RÉVOLTE DE L'AQUITAINE (924). — Le grand duché du Midi a généralement été fidèle aux Carolingiens. Le duc Guillaume II a refusé de reconnaître Raoul qui, en 924, a dû se montrer dans la vallée de la Loire pour obtenir sa soumission[100]. En 926, il reprend les armes et menace la Bourgogne, si bien que Raoul, quoique mal remis de la blessure qu'il avait reçue au combat de Fauquembergue, doit revenir en toute hâte pour sauver ses États. Le roi pénètre un moment en territoire aquitain, mais doit brusquement interrompre sa marche pour prendre le chemin de la Bourgogne où les Hongrois ont fait une nouvelle apparition[101]. La mort de Guillaume, en 927, aplanit toutes les difficultés[102]. Son frère, Effroi, qui lui succède, ne donnera plus aucune inquiétude à son suzerain.

RÉVOLTE D'HERBERT DE VERMANDOIS. — Lorsqu'il put croire Raoul affaibli par les luttes qu'il avait du soutenir contre les Normands et les Aquitains, Herbert de Vermandois, qui nourrissait toujours les plus ambitieux projets, se décida à entrer personnellement en lice. La succession du comte de Laon, Roger, lui fournit le prétexte qu'il cherchait. Il la revendiqua, au détriment de l'héritier naturel, pour son fils Eude[103]. Raoul ne pouvait ratifier une telle injustice. Aussitôt Herbert, qui n'osait pas encore prétendre à la couronne pour lui-même, déchaîne la guerre civile dans le nord de la France en reconnaissant de nouveau comme roi Charles le Simple, qu'il transfère, en 927, de Péronne à Saint-Quentin[104].

En même temps, il se met en quête d'alliés. Il peut compter sur Reims où, en 925, il a installé, comme successeur de Séulf sur le siège archiépiscopal, son propre fils, Hugue, âgé de cinq ans[105], ce qui lui permet d'administrer lui-même le temporel de l'évêché. Il entraîne sans difficulté les Normands qui redoutent Raoul et dont les chefs, Rollon d'abord, Guillaume Longue-Épée ensuite, prêtent volontiers hommage à Charles le Simple, l'un en 927, l'autre en 928[106], mais c'est là le seul succès positif qu'il puisse compter à son actif. L'Aquitaine, malgré son loyalisme carolingien, reste immobile. Le pape Léon VI, sollicité d'accorder son appui moral, se confine dans le silence le plus absolu[107]. Le roi de Germanie, Henri Ier, également pressenti, ne voit pas la nécessité de se lancer dans une aventure qui ne peut rien lui rapporter[108]. La manœuvre d'Herbert a échoué sur toute la ligne et le - comte juge prudent d'ajourner l'exécution de ses grands projets. En 928, il réintègre Charles le Simple dans sa prison et, moyennant la cession de Laon que les troupes bourguignonnes avaient déjà évacué, s'empresse de se réconcilier avec Raoul[109].

MORT DE CHARLES LE SIMPLE (7 OCTOBRE 29). — Charles le Simple meurt le 7 octobre 929[110]. Son fils Louis, qui, aussitôt après la trahison d'Herbert de Vermandois, s'était réfugié en Angleterre avec sa mère Ogive, fille du roi Edouard Ier l'Ancien, ne songe pas pour le moment à revendiquer sa succession ; mais Raoul, quoique n'ayant plus de compétiteur devant lui, aura encore besoin de quelques années pour affermir son pouvoir avant de s'atteler à l'œuvre de réparation que la guerre civile, après les grandes invasions, a rendue nécessaire.

RAOUL ET LES NORMANDS. — Il lui faut d'abord en finir avec les Normands de la Loire qui, au cours des dernières années, n'ont cessé de troubler le royaume. Au début de 930, renonçant à ravager la France et la Bourgogne, ils vont semer l'effroi en Saintonge, en Angoumois, en Périgord et en Limousin. Raoul, qui se propose avant tout de pacifier son-royaume et de relever le prestige de la royauté, n'hésite pas à se porter au secours des populations éprouvées ; il ne saurait trouver meilleur moyen de traduire par des actes la conception qu'il se fait de sa fonction royale. Il remporte une retentissante victoire qui lui vaut une immense popularité, si bien que l'Aquitaine, jusque-là indifférente ou hostile, accordera désormais sa confiante adhésion au souverain dont la généreuse intervention l'a libérée d'un grand péril[111]. D'un seul coup, Raoul a éteint les deux foyers de résistance, le foyer normand et le foyer aquitain.

LUTTE DE RAOUL CONTRE HERBERT DE VERMANDOIS. — Pour achever la restauration de la puissance royale, il. fallait en finir avec le comte, de Vermandois dont les promesses de paix ne pouvaient faire illusion. Après s'être assuré le concours de Hugue, fils du roi Robert, brouillé avec Herbert, Raoul, pour prévenir une attaque perfide, prend l'offensive. En 931, il s'empare de Denain, assiège Arras, puis, après un armistice, offert par le duc de Lorraine, Gilbert, allié d'Herbert, et rompu par Herbert lui-même, il entreprend une large opération contre Laon et Reims. Herbert, abandonné par plusieurs de ses vassaux qui redoutent pour eux les conséquences d'une victoire de Raoul, essaie de provoquer en sa faveur une intervention du roi de Germanie, Henri Ier, auquel il fait hommage pour ses États, mais Raoul déjoue son plan en envoyant lui-même en Allemagne une ambassade conduite par Hugue, et Henri reste neutre.

Tranquille de ce côté, Raoul se montre de plus en plus entreprenant. Il prend successivement Reims, où il fait procéder à l'élection canonique d'un nouvel archevêque, puis Laon. Il doit, pendant l'hiver, interrompre la guerre pour aller régler différentes affaires en Bourgogne, mais, en son absence, Hugue poursuit la lutté et, au printemps de 932, s'empare de Saint-Quentin. Herbert perd peu à peu toutes ses places, à l'exception de Péronne et de Château-Thierry. Avec une énergie désespérée, il trouve le moyen de combattre encore pendant trois ans, jusqu'au jour où, épuisé, il doit accepter un armistice pendant la durée duquel lui vient un secours inespéré, l'alliance d'Arnoul, comte de Flandre, qui avait épousé Adèle de Vermandois[112]. Malgré tout, il n'est pas en état de prolonger sa résistance et il se résigne à capituler. En juin 935, il se rend à une assemblée réunie par Raoul, sur les bords de la Chiers, en présence du roi de Germanie, Henri Ier, pris comme arbitre, et accepte de se soumettre. C'est alors la réconciliation générale : Raoul restitue à Herbert quelques-unes de ses places et la paix paraît assurée[113]. Un combat s'engage encore autour de Saint-Quentin entre Herbert et Hugue qui ne voulait pas remettre cette ville au comte de Vermandois[114], mais, aussitôt après, tout rentre dans l'ordre et le royaume connaît enfin un moment de repos.

LE POUVOIR ROYAL DE RAOUL. — A ce moment, l'autorité de Raoul est partout reconnue, aussi bien dans le midi que dans le nord. En 923, Raymond-Pons III, comte de Toulouse, avec son oncle Ermengaud, comte de Rouergue, a prêté hommage au roi pour le Toulousain, la Gothie et même l'Aquitaine dont il était devenu duc, après la mort de Guillaume II[115]. La suzeraineté de Raoul s'exerce aussi, mais très temporairement sur la vallée du Rhône où son neveu, Charles-Constantin, comte de Vienne, après l'avoir formellement reconnu en 931, l'a reçu en 933 et lui a juré fidélité[116]. Bref, dans le Midi, il n'y a plus que la marche d'Espagne et le royaume d'Arles qui échappent à l'autorité royale. De même, à l'ouest, Raoul a reçu, en 933, l'hommage de Guillaume Longue-Épée, duc de Normandie, auquel il a donné, pour prix de sa soumission, les diocèses de Coutances et d'Avranches[117].

Ainsi, autour de 935, l'unité du royaume paraît reconstituée et il y avait longtemps que la situation de la couronne n'avait été aussi favorable. Sans doute il n'a pas été possible de remonter le courant qui, depuis le milieu du IXe siècle, avait acheminé vers un régime nouveau ; sans doute le roi doit-il se résigner à n'être plus que le suzerain de vassaux héréditaires qui ne lui sont plus liés que par l'hommage et exercent dans leur plénitude tous les droits régaliens, mais, du moins, Raoul est-il reconnu par les grands feudataires et peut-il s'intituler légitimement rex Francorum, Aquitanorum et Burgundionum — il aurait même pu ajouter Normannorum. Eude et Charles le Simple, n'avaient jamais groupé autour d'eux un nombre aussi imposant de fidèles.

Au total, ce prince que les grands avaient vraisemblablement choisi avec l'espoir de le manœuvrer à leur guise, a accru l'autorité royale et, par ses qualités personnelles, l'a rendue populaire. Nul doute en effet qu'il ne soit très supérieur à ses prédécesseurs. Il n'est pas seulement un chef valeureux, toujours prêt à s'exposer dans les combats ; il a, en certaines circonstances, conçu des plans stratégiques qui ne manquaient pas d'habileté et qui lui ont permis de triompher de tous ses adversaires. C'est aussi un homme de gouvernement : à la différence d'Eude qui s'est toujours laissé dominer par les circonstances, il a eu une politique qu'il a poursuivie malgré les multiples difficultés qui s'opposaient à sa réalisation. Au surplus, les chroniqueurs ont loué sa culture, plus encore sa piété, sa générosité, son amour de la justice et de l'ordre[118] qui lui ont assuré un réel prestige[119].

MORT DE RAOUL (JANVIER 936). — Raoul est mort malheureusement avant d'avoir pu donner toute sa mesure. Au moment où il triomphait des diverses oppositions qui pendant dix ans l'avaient tenu en haleine, il était très éprouvé dans ses affections familiales. Il perdit successivement, à la fin de 934, sa vaillante compagne, la reine Emma qui, en bien des circonstances, l'avait secondé avec une énergie toute virile, puis en septembre 935, son frère Boson[120]. Il tomba lui-même malade peu après et rendit l'âme le 14 ou 15 janvier 936[121].

LE PROBLÈME DYNASTIQUE À LA MORT DE RAOUL. — Raoul ne laissait pas d'héritier direct. Son frère, Hugue le Noir, lui, succéda comme duc de Bourgogne, mais il était trop effacé pour pouvoir prétendre à la couronne. En 936, le personnage le plus en vue du royaume est sans aucun doute le beau-frère de Raoul, Hugue, surnommé le Grand, fils de Robert, duc entre Loire et Seine, c'est-à-dire maître de la région correspondant à l'ancienne Neustrie, comte de Paris, propriétaire de vastes domaines non seulement en Francia, mais aussi en Orléanais, en Touraine et en Berry, abbé laïque de Saint-Martin de Tours, de Marmoutier, de Saint-Germain d'Auxerre, de Morienval, peut-être aussi de Saint-Germain-des-Prés. Bien qu'un bon nombre de ses terres soit inféodé, Hugue est le plus riche propriétaire du royaume. D'autre part, le ducatus Francorum lui confère la suzeraineté de la Francia. Enfin son mariage avec Ethilde, sœur du roi des Anglo-Saxons, Athelstan, ajoute encore à son influence. A cette puissance matérielle il joint une intelligence de premier ordre. Sans doute, il n'a pas la valeur militaire de ses ancêtres et il est enclin à recourir à la diplomatie plutôt qu'aux armes, mais c'est un politique avisé et habile, que les scrupules ne gênent pas beaucoup et qui sait merveilleusement nouer ou dénouer une intrigue. Il est tout indiqué pour assumer la fonction royale et pour continuer l'œuvre ébauchée par Raoul.

SACRE DE LOUIS IV D'OUTREMER (19 JUIN 936). — Si ambitieux qu'il soit, Hugue le Grand ne veut pourtant pas tenter la chance d'une élection. Avec son habituelle perspicacité, il se rend compte que les circonstances ne lui sont pas entièrement favorables. Il connaît la défiance de l'aristocratie qui le jalouse et le redoute davantage encore en raison de la fermeté et de la souplesse de son caractère. Il est sûr d'avoir contre lui Hugue le Noir, frère de Raoul, Herbert de Vermandois, Guillaume Longue-Épée. Aussi, estimant que les temps ne sont pas encore accomplis, il préfère renoncer au titre royal et cherche à exercer le pouvoir en fait, sinon en droit. A cette fin, il affiche, aussitôt après la mort de Raoul, un loyalisme carolingien qui n'est pas précisément désintéressé. C'est lui qui persuade aux grands de rappeler Louis, fils de Charles le Simple, alors réfugié en Angleterre[122].

Sa proposition reçoit un excellent accueil : une ambassade est envoyée à Louis qui débarque à Boulogne, où sa belle prestance paraît avoir déchaîné l'enthousiasme, et se rend à Laon où il est sacré, le dimanche 19 juin 936, par l'archevêque de Reims, Artaud[123].

On aboutissait donc, par la voie de l'élection, à une restauration carolingienne que les divisions des seigneurs avaient rendue presque fatale. A la différence de celle de 898, elle va durer un demi-siècle et se serait peut-être prolongée davantage, si le plus imprévu des accidents ne l'avait interrompue en 987.

 

IV. — La restauration carolingienne (936-987)[124].

 

LOUIS IV D'OUTREMER. — Louis IV ne ressemble en rien à son père Charles le Simple. Robuste et vigoureux, excellent cavalier, assoupli à tous les exercices du corps[125], capable d'endurer les plus rudes fatigues, il est peu cultivé, mais fort intelligent et vaut plus encore par son tempérament actif, énergique, tenace, qui l'aidera à surmonter bien des difficultés. Il a la volonté de régner et de continuer l'œuvre de restauration monarchique commencée par Raoul qui a singulièrement défriché le terrain devant lui.

LOUIS IV ET HUGUE LE GRAND. — Un tel programme devait fatalement le mettre aux prises avec Hugue le Grand, second après lui dans ses États, bientôt duc des Francs par la grâce de Dieu[126], dont il est bien obligé, pour asseoir son autorité, d'accepter tout d'abord l'encombrante protection. L'influence énorme dont dispose ce puissant personnage peut lui être d'un réel secours. Aussi se laisse-t-il conduire en Bourgogne par Hugue qui se sert de lui pour assouvir ses rancunes personnelles contre Hugue le Noir. Il oblige l'héritier de Raoul à remettre au duc des Francs une partie de la succession fraternelle, puis, au lieu de se rendre à Laon, qui était la vraie capitale carolingienne, il accompagne à Paris Hugue le Grand qui s'imagine dès lors que son rêve est réalisé, qu'il tient le jeune prince en tutelle et va gouverner en son nom[127].

Ce calcul est bientôt déjoué. Louis IV a percé à jour les projets de Hugue le Grand et entend recouvrer son indépendance. Avant que l'année 936 ne soit terminée, il quitte Paris, gagne Laon où il rejoint sa mère Ogive, récemment arrivée d'Angleterre[128], puis il prend comme chancelier l'archevêque de Reims, Artaud[129], ce qui trahit aussi clairement que possible ses intentions.

Bien que Louis ait évité de donner à son départ une allure agressive, la lutte entre le roi et le duc des Francs, déçu dans son ambition et froissé dans son orgueil, devient fatale. Cette pensée s'impose aux deux antagonistes ; elle les obsède même à un tel point qu'ils ne songent pas à repousser les Hongrois qui, en 937, peuvent librement ravager la Champagne et la Bourgogne[130]. Pendant que ces hordes pillent les monastères de Saint-Basle à Reims, de Saint-Pierre-le-Vif à Sens, Louis IV et Hugue le Grand sont exclusivement préoccupés de chercher des appuis en vue de leur conflit futur. Hugue a essayé d'abord de se ménager l'alliance allemande, en épousant Avoie, sœur du roi de Germanie, Otton Ier (937)[131]. Il s'est surtout réconcilié avec son ancien rival, Herbert II de Vermandois, qui en a profité pour reprendre Château-Thierry[132]. En 938, il gagne encore à sa cause le duc de Lorraine, Gilbert[133], et très probablement aussi le duc de Normandie, Guillaume Longue-Épée[134]. De son côté, Louis se rapproche du duc de Bourgogne, Hugue le Noir, avec lequel il a, en 938, une entrevue où est ébauchée une entente contre l'ennemi commun[135]. Il a également pour lui le comte de Flandre, Arnoul le Vieux, auquel il est apparenté et qui redoute tout à la fois Hugue le Grand et Herbert de Vermandois[136]. L'unité du royaume, péniblement réalisée par Raoul, est brisée dès 938 et l'œuvre du roi bourguignon paraît déjà compromise.

LOUIS IV RECONQUIERT SON DOMAINE. — Tandis que se poursuivent ces diverses négociations, les hostilités s'engagent. Louis IV cherche avant tout à reconstituer l'ancien domaine royal carolingien. En 938, il reprend sur la Meuse Tusey, donné en dot à sa mère Ogive par son père Charles le Simple, puis Corbeny, qui avait appartenu à la reine Frérone et qui commandait la route de Reims à Laon[137] ; il enlève enfin, non sans difficulté, la citadelle de Laon où Herbert tenait garnison depuis 935[138]. Cette dernière opération a affermi la situation du roi qui se trouve en excellente posture pour lutter contre ses grands vassaux.

LE PROBLÈME LORRAIN. — Louis compromit tous ces avantages en accueillant favorablement, en 939, les ouvertures des seigneurs lorrains chez lesquels son avènement avait réveillé les sentiments traditionnels d'attachement à sa dynastie. Entraînés depuis quelque temps dans le mouvement d'opposition qui s'était déchaîné contre Otton Ier, ils lui offrirent de lui prêter hommage, et, après avoir tout d'abord décliné cette proposition, Louis consentit, en fin de compte, à recevoir le serment de fidélité que vinrent lui jurer le comte Otton, Isaac de Cambrai, Thierry de Hollande et même le duc Gilbert qui, l'année précédente, avait pris le parti de Hugue le Grand[139].

COALITION CONTRE LOUIS IV. — En la circonstance, Louis IV a manqué de prudence. Son acceptation de la suzeraineté de la Lorraine a noué l'alliance de Hugue le Grand et des autres opposants français avec le roi de Germanie. Dès la fin de 939, Otton Ier conclut une entente non seulement avec Hugue le Grand et Herbert de Vermandois, mais même avec Arnoul de Flandre et Guillaume Longue-Épée qui, eux aussi, prennent parti contre leur souverain[140]. Seul Hugue le Noir reste fidèle au roi qui va être obligé de faire face simultanément à une guerre civile et à une guerre étrangère.

GUERRE ENTRE LOUIS IV ET OTTON Ier. — Les grands vassaux français laissent le roi de Germanie commencer les hostilités. En 939, Otton vient ravager la Lorraine, mais il doit se retirer aussitôt parce qu'il est aux prises, sur le Rhin, avec une opposition terrible qui met un moment la royauté saxonne à deux doigts de sa perte. Il arrive pourtant à surmonter cette crise intérieure[141] et reconquiert la Lorraine qu'il remet au comte Otton, réconcilié avec lui, L'année [142].suivante (940), Otton Ier, de nouveau maître de la Lorraine. pénètre en Champagne, reçoit à Attigny l'hommage de Hugue le Grand et de Herbert de Vermandois, poursuit Louis IV qui fuyait en toute hâte vers la Bourgogne, atteint Hugue le Noir sur les bords de la Seine et l'oblige à se soumettre, puis, se considérant sans doute comme suffisamment vengé, rentre en Allemagne. Aussitôt le roi de France, qui ne se tient pas pour battu, réapparaît en Lorraine où Otton revient à son tour. Une bataille semble à la veille de s'engager, mais au fond on ne la désire ni d'un côté ni de l'autre, et finalement les deux souverains se retirent dans leurs États respectifs sans s'être affrontés[143].

GUERRE ENTRE LOUIS IV ET HUGUE LE GRAND. — Tout en luttant contre Otton le Grand, Louis IV n'a cessé de combattre ses propres vassaux. Il a eu le tort de les provoquer en donnant le comté de Reims, qui appartenait à Herbert, à l'archevêque Artaud[144]. Hugue le Grand et le comte de Vermandois sont aussitôt venus, accompagnés du duc de Normandie, Guillaume Longue-Épée, mettre le siège devant la cité archiépiscopale et, grâce aux intelligences qu'Herbert avait parmi la garnison aussi bien que parmi la population, ils ont pu y entrer sans difficulté (940). Artaud doit abdiquer ; l'ancien archevêque, Hugue, fils d'Herbert, qui venait d'atteindre sa vingt et unième année, est intronisé à sa place[145] ; l'année suivante (941), un concile, réuni à Soissons, ratifie la déposition d'Artaud et l'élection de Hugue[146]. Le comte de Vermandois est de nouveau maître de Reims.

La perte de cette ville est un gros échec pour Louis IV. Ses adversaires essaient d'exploiter leur succès et s'efforcent d'enlever Laon, pivot de la défense carolingienne. Par deux fois ils en font le siège, mais, malgré une victoire remportée sur le roi dans le voisinage de la ville (941), ils ne peuvent s'emparer de cette place dotée par la nature des plus formidables moyens de protection[147].

RÉTABLISSEMENT DE LA PAIX EXTÉRIEURE ET INTÉRIEURE. — Louis IV a tenu le coup. En 942, la situation évolue de plus en plus en sa faveur. Le pape Étienne VIII envoie en France un légat, Damase, pour offrir la médiation pontificale et il menace d'excommunication quiconque poursuivrait le roi à main armée, mais, en même temps, il manifeste son esprit de conciliation en adressant le pallium à l'archevêque de Reims, Hugue, fils d'Herbert[148]. Au même moment Otton de Germanie, dont Louis IV a épousé la sœur, Gerberge, veuve de Gilbert de Lorraine, paraît disposé à traiter. Une entente entre les deux souverains a lieu à Visé, à la fin d'octobre ou au début dé novembre 942[149], et la paix est conclue sur des bases que malheureusement l'on ne connaît point[150].

Ces événements ont une répercussion immédiate à l'intérieur du royaume. Hugue et Herbert, redoutant tout à la fois l'excommunication pontificale et une intervention allemande, n'hésitent pas à se soumettre au roi[151].

La paix est donc rétablie au dedans et au dehors. L'autorité de Louis IV, protégée par le papé, reconnue par le roi de Germanie, tolérée par les grands vassaux, semble en voie de s'affermir. Le Midi qui, au même moment, aspire à se débarrasser de la suzeraineté du roi d'Arles, Conrad, fils de Rodolphe II, lui est généralement favorable. A la fin de 941, Louis s'est rendu à Vienne où le comte Charles-Constantin lui a ménagé la plus cordiale réception[152]. De là il s'est transporté à Poitiers où il a été non moins bien accueilli par les seigneurs aquitains et par le comte Guillaume Tête d'Étoupe (janvier 942)[153]. Celui-ci a ensuite accompagné le roi à Rouen où le duc Guillaume Longue-Épée, beau-frère du comte de Poitiers, a manifesté lui aussi un certain empressement[154]. Il semble que Louis IV, partout reconnu, puisse désormais gouverner son royaume en paix. La naissance d'un fils, Lothaire (941)[155], assure la perpétuité de la dynastie.

INTRIGUES DE HUGUE LE GRAND. — L'ambition malsaine de Hugue le Grand allait une fois de plus empêcher Louis IV de donner sa mesure. Le calme ne dura pas plus de deux ans. Tout en se montrant déférent à l'égard de son roi, le duc des Francs ruminait une vengeance et était à l'affût de toutes les occasions qui, en affaiblissant son rival, pourraient l'aider à redresser sa propre cause et à reprendre un jour la lutte avec chances de succès.

En 943, la mort d'Herbert de Vermandois provoque quelques divergences entre le roi et les héritiers du comte. Hugue encourage ceux-ci à assiéger le château de Clastres, non loin de Saint-Quentin, qui appartenait à un vassal de Louis IV. Louis riposte en ravageant le diocèse de Hugue, archevêque de Reims et fils d'Herbert (944)[156].

AFFAIRES DE NORMANDIE. — La Normandie offre un terrain encore plus propice pour semer le désordre. Hugue le Grand y compte de nombreux et dévoués partisans. Après l'assassinat de Guillaume Longue-Épée (17 décembre 942)[157], plusieurs seigneurs lui ont fait hommage[158], et, grâce à ces intelligences, il va pouvoir, bien que le successeur de Guillaume Longue-Épée, Richard Ier, ait prêté serment de fidélité au roi[159], dresser la Normandie contre Louis IV.

Louis n'était pas populaire dans le duché. On lui avait généralement su mauvais gré d'avoir, aussitôt après l'avènement de Richard Ier, énergiquement réprimé la réaction païenne, dirigée par Setric et Turmod[160]. On lui en voulait aussi de, s'être réconcilié avec le comte de Flandre, Arnoul, que la rumeur- publique accusait d'avoir participé à l'assassinat de Guillaume Longue-Épée. La question bretonne accentua ces dissentiments.

La Bretagne, par suite de la rivalité des comtes Alain et Bérenger, était plongée dans une sombre anarchie. Les Normands, sous prétexte d'y rétablir l'ordre, vinrent saccager Dol et dévaster le pays avoisinant. Ils se retirèrent ensuite, en laissant quelques-uns de leurs nouveaux immigrants dont ils n'étaient peut-être pas fâchés de se débarrasser[161], Louis IV fut très vivement irrité de cette intervention, car les Bretons s'étaient toujours montrés fidèles à la royauté. Sur les conseils du comte de Flandre, il organisa une expédition de représailles contre la Normandie, entra à Rouen, sans doute à la fin de juillet 944, et, pour pré. venir toute intrigue de la part de Hugue le Grand, il lui offrit Bayeux que le duc s'empressa d'aller investir ; mais, les Normands ayant fait leur soumission, il retira aussitôt cette concession et pria Hugue de lever le siège qu'il venait d'entreprendre[162]. Hugue fut très mécontent : il n'avait pas hésité, pour obtenir un avantage territorial qui en valait la peine, à froisser les seigneurs normands sur lesquels il avait conquis un réel ascendant et cet avantage lui échappait, par la volonté de Louis IV qui, du même coup, restaurait son autorité en Normandie. Dès lors, la rupture entre le roi et son vassal ne pourra être évitée.

REPRISE DES HOSTILITÉS ENTRE LOUIS IV ET HUGUE LE GRAND. — Hugue mit à profit, l'absence prolongée de Louis IV qui, à la fin de 944 et au début de 945, séjourna presque continuellement en Normandie afin, sans doute, d'y établir fortement son pouvoir. Avec plusieurs de ses vassaux, il organisa une série de coups de main qui purent fixer Louis IV sur ses intentions[163]. Aussi, au printemps de 945, le roi quitte-t-il la Normandie avec des troupes qu'il a surtout recrutées dans le duché et, pour frapper immédiatement un grand coup, il marche sur Reims qu'il se propose d'enlever à l'archevêque Hugue. En même temps, une autre armée normande envahit le domaine de Hugue le Grand, mais elle est immédiatement repoussée. Après s'être débarrassé d'elle, le duc se porte vers Reims. Craignant une défaite et tenant par ailleurs à empêcher Louis IV d'entrer dans cette ville, dont la possession aurait singulièrement affermi la puissance carolingienne, il entame des négociations et obtient du roi une suspension d'armes dont il est fermement décidé à tirer le meilleur parti[164].

DES NORMANDS, LOUIS IV PRISONNIER LE GRAND PUIS DE HUGUE. — Il était convenu que l'archevêque Hugue viendrait comparaître devant un plaid, le 24 juin. On ne le vit point. Louis IV qui, sur cette promesse, avait levé le siège de Reims, ne tarda pas à s'apercevoir qu'il avait été berné. Bien d'autres déconvenues l'attendaient.

La trêve ayant été prolongée d'un commun accord, le roi retourne en Normandie, mais il tombe aussitôt dans un guet-apens. Invité par Harold de Bayeux à une entrevue sur les bords de la Dives[165], il est entouré d'hommes armés qui massacrent sa suite ; il parvient malgré tout à s'enfuir, mais, à peine rentré à Rouen dont il se croyait le maître, il est fait prisonnier[166]. Hugue le Grand intervient alors pour le délivrer. Les Normands accèdent à son désir, mais avant 'de remettre le roi entre les mains de son vassal, ils lui ont sans doute fait jurer de renoncer à toute suzeraineté directe sur le duché[167], car Hugue se substitue à Louis dans ce rôle. C'est là pour le duc des Francs un succès primordial qu'il compte bien exploiter, le jour où il voudra usurper la couronne. Avec cela, il tient en son pouvoir son souverain qu'il remet au comte Thibaud de Chartres, tout en conservant la libre disposition de son prisonnier[168]. Il semble que l'on soit revenu aux plus mauvais jours du règne de Charles le Simple.

NOUVELLE INTERVENTION D'OTTON Ier. — Une fois de plus, le roi de Germanie, beau-frère à la fois de Louis IV et de Hugue le Grand, allait être amené à jouer en France le rôle d'arbitre. Vivement sollicité de part et d'autre, il n'eut pas un instant d'hésitation. Tout lui commandait de prendre le parti du Carolingien. Quel intérêt y aurait-il eu pour lui à accroître la puissance du duc des Francs dont l'ambitieuse activité l'inquiétait et à favoriser dans un royaume immédiatement voisin une révolte qui était pour ses propres vassaux d'un scandaleux exemple ? En outre, les procédés dont avait usé Hugue le Grand ne pouvaient que lui paraître blâmables, et le geste qu'il eût dessiné en s'unissant à un vassal pervers pour accabler un roi trahi et captif eût été vraiment peu chevaleresque-Aussi Otton céda-t-il sans peine aux supplications de sa sœur Gerberge et refusa-t-il l'entrevue que Hugue lui avait fait demander[169], mais son intervention n'allait pas immédiatement modifier la situation.

Sans doute elle a pour conséquence la délivrance de Louis IV, mais cette délivrance est chèrement achetée : la reine Gerberge doit remettre Laon à Hugue le Grand qui depuis longtemps convoitait cette place, considérée à juste titre comme la clef du domaine carolingien[170] et dont l'abandon devait rendre à peu près inutile le secours apporté par le roi de Germanie à Louis IV. D'ailleurs Otton, arrivé en France à la fin d'août ou au début de septembre 946, n'essaie pas de la reprendre. Après avoir rejoint Louis, il se dirige avec lui vers Reims où les deux princes entrent sans difficulté. Ils réintègrent Artaud, pendant que l'archevêque Hugue s'enfuit à Mouzon, puis ils pénètrent sur les terres du duc des Francs, essaient sans succès d'enlever Senlis qui était admirablement défendue, cherchent à atteindre Hugue le Grand qui toujours évite la bataille, traversent la Seine et ravagent le pays situé au sud du fleuve ; mais la mauvaise saison arrive sans qu'aucun résultat stratégique ait été obtenu. Otton regagne la Germanie (novembre 946). L'infortuné Louis IV, qui n'a même pas pu recouvrer Laon, passe la plus grande partie de l'hiver à Reims, puis, vers Pâques (947), il va rejoindre- Otton à Aix-la-Chapelle, tandis que Hugue le Grand essaie vainement de ressaisir Reims[171].

C'est sans doute pendant le séjour de Louis IV à Aix-la-Chapelle qu'un nouveau plan a été élaboré. Il se précise dans une seconde rencontre d'Otton et de Louis IV sur les bords de la Chiers, pendant l'été de 947. On décide qu'un concile se réunira dans le courant de novembre pour régler canoniquement la question de Reims. Puisque la solution militaire avait échoué, on préparerait ainsi la soumission de Hugue le Grand ou, en le contraignant à entrer en révolte contre les décisions de l'Église, on rendrait sa situation particulièrement délicate[172].

CONCILE D'INGELHEIM (JUIN 948). — La procédure fut longue à engager. Deux fois cité, à Verdun (novembre 947), puis à Mouzon (janvier 948), Hugue de Reims ne comparut pas. Il fut condamné par défaut et privé de la communion jusqu'à ce qu'il se fût justifié devant un concile général[173]. On s'adressa alors au Saint-Siège dont l'autorité suprême apparaissait comme seule capable d'en imposer aux deux partis en présence. Le rival de Hugue à Reims, Artaud, envoya à Rome un mémoire exposant l'état de la querelle et le pape Agapit, requis d'intervenir, dépêcha auprès d'Otton un légat, Marin, avec pouvoir de convoquer un grand concile qui trancherait souverainement. L'église de Saint-Rémi, à Ingelheim, fut choisie comme lieu de réunion. Trente-deux évêques s'y rendirent, mais la grande majorité était formée par des prélats allemands ou lorrains ; parmi les Français, seuls Artaud de Reims et ses deux suffragants de Laon et de Cambrai avaient répondu à l'invitation. Le légat Marin présida en personne, en qualité de vicaire du pape. Le roi Louis trouva l'occasion d'exposer toutes ses infortunes et Artaud, dans un long discours, énuméra les diverses tribulations subies par l'église de Reims. Le diacre Sigebold essaya bien de défendre la cause de l'archevêque Hugue, mais il ne réussit qu'à faire éclater, après une intervention du légat mis en cause, les procédés plus que douteux dont Hugue s'était servi pour se concilier l'appui de Rome. Finalement Hugue fut déposé et excommunié. De plus, pour être agréable à Louis IV, le concile vota un canon qui déclarait que nul ne devait porter atteinte au pouvoir royal ni le déshonorer traîtreusement par un perfide attentat et qui décidait, en conséquence, que Hugue le Grand serait frappé d'anathème s'il ne se justifiait devant un concile[174].

L'Église se prononçait ouvertement pour la royauté carolingienne. Les décisions du concile d'Ingelheim devaient décider de l'issue de la lutte sans merci engagée entre Louis IV et son vassal.

EXCOMMUNICATION DE HUGUE LE GRAND. — Hugue le Grand ne se laissa pas émouvoir par les décisions ni par les menaces du concile d'Ingelheim. Il y répondit en allant incendier Soissons et en jetant son armée, en partie composée de Normands, sur le diocèse de Reims qui fut mis à feu et à sang[175]. Cet acte de banditisme n'entraîna pour lui aucun avantage appréciable ; il ne réussit qu'à exaspérer les populations qui se groupèrent autour du roi et de l'archevêque Artaud. C'était, d'autre part, un défi à l'égard des évêques. Hugue aggrava encore son cas en n'envoyant aucun représentant au concile de Trèves (septembre 948) où il avait été convoqué pour apporter sa soumission. Aussi cette assemblée décréta-t-elle que l'excommunication serait maintenue contre lui jusqu'au jour, que l'on souhaitait prochain, où il aurait fait amende honorable en présence du légat Marin ou des évêques[176].

SOUMISSION DE HUGUE LE GRAND. — Les choses prenaient décidément mauvaise tournure pour le duc des Francs qui, malgré quelques avantages militaires sans importance, ne réussissait pas à emporter la décision par les armes. En 949, un événement inattendu vint améliorer encore la situation de Louis IV ; le roi réussit à pénétrer dans Laon par ruse. Hugue n'arriva pas à reprendre la ville[177]. Il ne pouvait subir une plus grave défaite. Maître de Laon et de Reims, Louis IV était en mesure de faire échec à son vassal. Celui-ci le comprit et il offrit une trêve qui fut acceptée. C'était le prélude de la soumission totale qui s'imposait d'autant plus qu'un concile romain venait de confirmer l'excommunication prononcée à Ingelheim et à Trêves. Au début de 95o, après d'activés négociations auxquelles prennent part Otton Ier et Conrad de Lorraine, une entrevue a lieu sur les bords de la Marne ; Hugue conclut la paix avec Louis IV et, comme signe de cette paix, restitue la tour de Laon qu'il tenait encore[178]. On ne peut dire pourtant que les hostilités, soient entièrement terminées : pendant trois ans, Hugue manifestera encore sa mauvaise humeur par des attaques sinon contre le roi, du moins contre certains de ses alliés ; mais, au début de 953, lors d'un plaid tenu à Soissons, il renouvellera toutes ses promesses précédentes[179] et pendant un an et demi le royaume jouira d'une tranquillité depuis longtemps inconnue.

MORT DE LOUIS IV D'OUTREMER (10 SEPTEMBRE 954). — Cette période de stabilité fut brusquement interrompue par la mort de Louis IV (10 septembre 954)[180], survenue au lendemain d'une terrible invasion hongroise qui, au printemps de 954, avait semé la mort et l'incendie en Lorraine, dans le Laonnois et en Champagne[181].

Il est très difficile de porter un jugement sur ce prince auquel les événements n'ont pas permis de donner sa mesure. A certains égards, son règne marque un recul par rapport au précédent ; la Normandie s'est dérobée à l'autorité royale pour se placer sous la suzeraineté du duc des Francs, ce qui constitue une dangereuse rupture d'équilibre. Ailleurs, notamment dans le Midi, le pouvoir de la monarchie carolingienne s'est maintenu dans le cadre étroit où il était enfermé et n'a subi aucune atteinte nouvelle. D'autre part, Louis IV a triomphé de Hugue dont la puissance reste intacte, mais qui ne peut, après ses défaites, songer à revendiquer la couronne. Il peut, sans la moindre difficulté, avoir pour successeur son fils Lothaire, bien que celui-ci ne soit âgé que de treize ans. Ce seul fait suffit à prouver le caractère durable de la restauration carolingienne de 936.

ÉLECTION DE LOTHAIRE (12 NOVEMBRE 954). — Aucune contestation ne se produit en effet. Le 12 novembre 954, une assemblée de grands et d'évêques, accourus de France, de Bourgogne et d'Aquitaine, se réunit à Reims et s'empresse d'élire roi le jeune fils de Louis IV, Lothaire, qui est aussitôt couronné par l'archevêque de Reims, Artaud[182]. Hugue le Grand n'esquisse pas le moindre geste de protestation. Il se contente, au cours des mois qui suivent, de faire payer chèrement son adhésion. A la mort de Gilbert, duc de Bourgogne, qui s'était proclamé son vassal (8 avril 956), il hérite du duché avec l'assentiment de Lothaire ; auparavant il s'est fait reconnaître la suzeraineté de l'Aquitaine. Il est vrai qu'une expédition entreprise dans ce pays, à la fin de l'été de 955, ne lui a pas donné le résultat qu'il attendait[183].

MORT DE HUGUE LE GRAND (16 ou 17 JUIN 956). — Hugue le Grand ne survécut guère à cet échec. Il mourut le 16 ou 17 juin 956192. La disparition de ce personnage ambitieux et perfide, dont le rôle, toujours néfaste, n'a jamais été inspiré par aucun sentiment généreux, ne pouvait que servir la cause de la paix[184]. Les trois fils qu'il laissait, Hugue, connu sous le nom de Hugue Capet[185], Otton et Eude-Henri, étaient tous trois mineurs et par suite incapables d'hériter de la puissance paternelle.

RÉGENCE DE BRUNON DE COLOGNE (956-965). — Jusqu'en 956, Lothaire et sa mère Gerberge ont subi l'influence du duc des Francs. Après la mort de Hugue le Grand, l'archevêque de Cologne, Brunon, frère de Gerberge sur laquelle il avait beaucoup d'ascendant, a fait constamment prévaloir ses directions dans le gouvernement de la France.

Cette intrusion n'a pas été sans de sérieux inconvénients. Brunon, frère de Gerberge, l'était aussi d'Hathuide, veuve de Hugue le Grand. D'autre part, comme duc de Lorraine[186], il avait intérêt à ce que la royauté française ne fût pas trop forte. Pour éviter tout danger de ce côté, le meilleur moyen était de tenir la balance égale entre Carolingiens et Robertiens, et c'est à cela que Brunon n'a cessé de s'appliquer. A cette fin, il a empêché Lothaire d'annexer la Bourgogne à son domaine, et obligé le roi à remettre le duché à Otton, fils de Hugue le Grand, tandis que Hugue Capet devenait duc des Francs et recevait le Poitou[187]. C'est pour arriver à ce singulier résultat que Lothaire était venu par trois fois dompter la féodalité bourguignonne. Après la mort d'Otton (965), le duché passa au plus jeune des fils de Hugue ¡e Grand, Eude-Henri[188].

On pourrait croire, d'après ces faits, que la politique de Brunon a

191. 192. Lot, Les derniers Carolingiens, p. 16, n. 4.

193. 194. 195. 196. 197.

eu pour objectif d'affaiblir la dynastie carolingienne au profit de la maison robertienne. Pourtant il n'en fut pas partout ainsi. A Reims, le résultat inverse a été obtenu. A la mort de l'archevêque Artaud (962), Hugue Capet, pour se concilier la maison de Vermandois, avait demandé qu'on réinstallât sur le siège de Reims Hugue, fils d'Herbert, précédemment déposé par le concile d'Ingelheim. Gerberge alla aussitôt trouver Brunon et, sans doute avec l'assentiment de son oncle, Lothaire adopta une attitude énergique : il fit porter l'affaire devant le pape Jean XII qui s'empressa, vraisemblablement à la demande d'Otton Ier, qu'il venait de couronner empereur, de renouveler l'excommunication portée contre Hugue. Brunon suggéra en même temps aux clercs de Reims d'élire, pour succéder à Artaud, un chanoine de Metz, Oudri, Sans doute cette proposition n'était-elle pas désintéressée : Oudri pourrait être un instrument de l'influence germanique dans le royaume carolingien, mais il avait le mérite d'être intelligent, énergique et pieux ; il a donné la paix à son diocèse et mis fin aux discordes qui le minaient.

L'INFUENCE ALLEMANDE EN FRANCE APRÈS LA MORT DE BRUNON (965-969). — Brunon est mort le 10 ou 11 octobre 965[189]. Quelque temps auparavant, il avait obtenu que Lothaire se rendît à la grande assemblée réunie à Cologne sous la présidence d'Otton Ier (2 juin 965)[190]. Ainsi s'affirmait l'emprise germanique sur la royauté française. Lothaire la subit quelque temps encore. A la fin de 965 ou au début de 966, il épousa Emma, fille de l'impératrice Adélaïde qui l'avait eue de son premier mariage avec Lothaire, roi d'Italie[191]. A la mort d'Oudri, archevêque de Reims (6 novembre 969), il laissa nommer, pour lui succéder, Adalbéron, chanoine de Metz, personnage aussi intelligent qu’ambitieux, animé d'un vif désir de réformer le clergé, très décidé à arracher son église à l'étreinte séculière, mais convaincu aussi que l'ordre ne pouvait renaître dans le monde occidental que sous l'impulsion de l'empereur allemand[192]. La présence, non loin de la frontière orientale du royaume carolingien, d'un prélat animé de pareilles dispositions et très décédé à les traduire clans ses actes, constituait un danger dont Lothaire n'allait pas tarder à mesurer toute la gravité.

GOUVERNEMENT DE LOTHAIRE. — Le jeune roi n'a pas pu réagir aussi vite qu'il l'eût souhaité contre la politique de son oncle Brunon de Cologne. Il est pourtant pénétré du désir de rendre à sa dynastie son ancien prestige. Autant qu'on en peut juger à travers les brèves mentions des chroniqueurs, il n'est pas dépourvu d'une certaine valeur personnelle : courageux comme l'était son père, il se distingue surtout par son esprit de décision, de promptitude dans l'action, auquel s'ajoute une certaine finesse, allant parfois jusqu'à la ruse. Sa mère Gerberge, qui meurt le 14 mars 968[193], a eu le souci de lui apprendre son métier de roi et de développer en lui les qualités indispensables pour bien gouverner. Avant la mort de Brunon, il a déjà, en certaines circonstances, exercé une action personnelle, par exemple en Normandie où il a soutenu Thibaud le Tricheur, comte de Chartres, contre le duc Richard[194], et en Flandre où il a réussi à se faire instituer par le comte Arnoul comme héritier du fief, le jour où celui-ci eut perdu son fils Baudouin (1er janvier 962). Il est vrai qu'il ne put recueillir l'intégralité de cette succession qui par la volonté des Flamands passa à Arnoul II, mais il garda du moins Arras, Douai et Saint-Amand[195].

Ces différentes interventions attestent un tempérament actif, plus encore la volonté de restaurer les prérogatives de la royauté. Après la mort de Brunon et après celle d'Otton Ier (7 mai 973), pour lequel il éprouvait une déférence respectueuse, Lothaire suivra ses propres impulsions qui vont entraîner une rupture avec la Germanie.

RIVALITÉ DE LOTHAIRE ET D'OTTON II. — Cette rupture fut provoquée, une fois de plus, par la question lorraine. Presque aussitôt après l'avènement d'Otton II, une révolte, dirigée par Renier et Lambert, éclate dans le duché. Les deux seigneurs rebelles se font battre, puis se réfugient en France où ils sont très bien accueillis par le roi, par son frère Charles et par les princes de la maison de Vermandois[196]. En 976, ils peuvent, grâce à ces différents concours, reprendre l'offensive en s'attaquant à Godefroy, comte de Verdun, et à Arnoul, comte de Valenciennes, auxquels Otton II avait remis le comté de Hainaut. Une sanglante bataille s'engage près de Mons ; elle se termine par la victoire de la coalition lorraine et française[197]. Cambrai est un moment menacé, mais les choses en demeurent là. Avec beaucoup d'habileté, Otton II parvient à dissocier ses adversaires en pardonnant à Renier et à Lambert qui recouvrent leurs biens et plus encore en se servant des dissensions qui venaient de naître parmi la famille carolingienne. Lothaire avait tout récemment chassé son frère Charles qui avait accusé la reine Emma d'entretenir des relations coupables avec le nouvel évêque de Laon, Ascelin. Otton s'empresse de donner le duché de Basse-Lorraine à l'exilé qui devient vassal de la couronne de Germanie[198].

MARCHE DE LOTHAIRE SUR AIX-LA-CHAPELLE. — Lothaire, indigné, se décide à brusquer les choses. En 978, il organise dans le plus grand secret une expédition dont le but est de surprendre, à Aix-la-Chapelle, Otton II et sa femme Théophano, alors enceinte. Les grands de Bourgogne et 'du nord de la France, à commencer par les Robertiens, lui prêtent volontiers leur concours, Pour ne pas éveiller l'attention, l'armée est partagée en plusieurs contingents qui s'acheminent vers l'est par des voies différentes, mais, au moment où elle parvient au voisinage d'Aix-la-Chapelle, Otton II est informé et il a le temps de s'enfuir en toute hâte avec l'impératrice vers Cologne. Le coup est manqué. Les troupes de Lothaire se dédommagent en pillant copieusement le palais impérial puis, au bout de trois jours, l'ordre de retraite est donné[199].

EXPÉDITION D'OTTON II EN FRANCE. — Otton II, revenu de son émotion, veut immédiatement venger cet affront. A son tour, il réunit une nombreuse armée et, le Ier octobre 978, il envahit la France. Il s'empare d'abord de Laon où Charles de Lorraine est proclamé roi, ravage le pays avoisinant ainsi que le Soissonnais et le Rémois, en ayant soin pourtant d'épargner les églises et les monastères. Il arrive ainsi jusqu'à la Seine et vient camper sur les hauteurs de Montmartre, pendant que Lothaire s'enfuit à Étampes, protégé par Hugue Capet qui barre le passage du fleuve aux Allemands. Ceux-ci, brisés dans leur élan, se contentent d'incendier les faubourgs de Paris et de dévaster les environs, puis, comme l'hiver approchait et que, grâce à la résistance de Hugue Capet, Lothaire avait pu reconstituer une armée derrière la Seine, Otton II, craignant de ne pouvoir nourrir ses soldats aux dépens d'un pays qu'il avait transformé en un désert, juge plus sûr de prendre le chemin du retour (30 novembre 978). Lothaire s'élance à sa poursuite et réussit, grâce à une crue de l'Aisne, à anéantir, près de Soissons, l'arrière-garde ennemie. Le 25 décembre, Otton II est rentré à Francfort, sans avoir obtenu plus de résultats que Lothaire lors de sa randonnée vers Aix-la-Chapelle[200].

TRAITÉ DE MARGUT-SUR-CHIERS (JUILLET 980). — Il ne restait plus qu'à liquider cette guerre inutile et stérile. En 979, Lothaire envoya des ambassadeurs a Otton II, pour entamer des pourparlers de paix[201]. Otton, qui était à la veille de partir pour l'Italie, souhaitait se réconcilier avec son cousin. Une entrevue eut lieu à Margut-sur-Chiers ; les deux rois se jurèrent amitié et alliance (juillet 980)[202].

LOUIS V ASSOCIÉ AU TRÔNE. — La guerre contre l'Allemagne a été la grande erreur du règne de Lothaire ; elle n'a été déterminée par aucun motif sérieux et ne pouvait aboutir à aucun résultat de nature à renforcer la puissance de la dynastie carolingienne, ébranlée par le différend qui avait opposé Lothaire et Charles de Lorraine. Le roi semble avoir été assez sérieusement préoccupé des conséquences que pouvait présenter pour la royauté l'inimitié de son frère. Dès 978, après lui avoir repris Laon, il a associé au trône son fils Louis, âgé de treize ans, qui fut sacré le 8 juin 979[203]. Il négocia ensuite pour ce futur héritier de la couronne un riche mariage et réussit à lui faire épouser Adélaïde, veuve du plus puissant seigneur de l'Aquitaine, Étienne, comte de Gévaudan[204]. Malheureusement Adélaïde était beaucoup plus âgée que le roi qui n'avait guère que quinze à seize ans et ne semblait pas révéler un tempérament des plus sérieux. Délaissée par lui, elle s'en alla en Provence où elle s'empressa de convoler en troisièmes noces avec Guillaume Ier, comte d'Arles[205]. Le prestige carolingien a été encore atteint par cette ridicule aventure.

HUGUE CAPET. — Au même moment, l'influence de la maison robertienne ne cesse de s'accroître. Son représentant Hugue Capet, fils aîné de Hugue le Grand, s'est rendu populaire par sa brillante défense de Paris en 978. Son zèle religieux lui a assuré l'appui du clergé séculier et régulier, enrichi par ses donations. Il était évident que, si une brouille survenait entre le roi et le duc des Francs, celui-ci pourrait compter sur de multiples concours. Or, Lothaire a froissé Hugue en l'écartant de toutes les négociations qui ont amené la conclusion du traité de Margut-sur-Chiers, alors qu'il l'avait si largement utilisé, lorsqu'il s'était agi de défendre le territoire envahi. Le duc n'a pas caché son mécontentement et, pour le manifester sous une forme plus tangible, au début de 981, il part pour Rome où se trouvait Otton II avec lequel il a une entrevue des plus cordiales[206]. Lothaire est à son tour blessé par ce geste inamical et, sans la pression de son entourage, il est probable que la guerre civile aurait repris en France dès 981. La réconciliation des deux rivaux la prévient pour le moment[207].

LOTHAIRE ET OTTON III. — Tranquille à l'intérieur de son royaume, Lothaire tourne de nouveau ses regards vers l'est et revient à sa politique d'aventureuse magnificence, peu en rapport avec les moyens dont il dispose. La mort d'Otton II (7 décembre 983)[208] fait tomber l'Allemagne au pouvoir d'un enfant de trois ans, Otton III, et sous la coupe d'une régente, peu sympathique, l'impératrice mère, Théophano, grecque d'origine. Un moment Lothaire, sous l'influence de l'archevêque de Reims, Adalbéron, poursuit le rêve chimérique de se faire confier la tutelle du jeune empereur[209], mais il doit renoncer très vite à cette illusion et aussitôt il s'entend avec le duc de Bavière, Henri, qui était l'âme de l'opposition en Allemagne. Conformément au plan concerté avec ce prince, au début de 985, il s'avance vers l'Alsace pour rejoindre son allié, mais celui-ci, au dernier moment, est pris de peur ou de remords et ne paraît pas. Lothaire doit battre en retraite à travers les Vosges, en plein hiver, au milieu d'une population hostile. Pourtant il ne se décourage pas et va prendre Verdun qu'il doit abandonner un moment, mais qu'il ne tarde pas à réoccuper après un fougueux assaut (mars 985)[210].

ROLE D'ADALBÉRON DE REIMS. — Cette brillante opération était, dans sa pensée, le prélude de la conquête de la Lorraine, mais il n'y eut pas moyen de donner suite à cette idée. L'expédition d'Alsace avait suscité le mécontentement de l'archevêque de Reims, Adalbéron, qui, Lorrain d'origine, était très attaché à la famille des Ottons. D'accord avec son ami, l'écolâtre de Reims, Gerbert, qui nourrissait les mêmes sentiments à l'égard de la dynastie saxonne, il forma le projet de sauver Otton III, qu'il croyait menacé par Lothaire, en substituant Hugue Capet à la famille carolingienne. Il chercha à cimenter une alliance entre les Robertiens et ceux des chefs lorrains qui, lors de la prise de Verdun, avaient échappé à Lothaire et auxquels Gerbert écrivait : Le roi Lothaire ne gouverne la France que de nom ; Hugue en est le maître véritable. Si vous aviez sollicité avec nous son amitié et rapproché son fils Robert de celui de César (Otton III), vous n'auriez plus rien à redouter de l'hostilité du roi des Francs[211].

Lothaire éventa le complot et traduisit Adalbéron devant une grande assemblée d'évêques qui se réunit à Compiègne, le 11 mai 985, mais fut bientôt dispersée par Hugue Capet. Les choses en restèrent là pour le moment et une fois de plus le duc se réconcilia avec le roi[212].

MORT DE LOTHAIRE (2 MARS 986). — Celui-ci revint alors à ses projets extérieurs ; il menaça un instant Cambrai et Liège, mais, tandis qu'il s'apprêtait à reprendre la conquête de la Lorraine, il mourut prématurément, âgé seulement de quarante-quatre ans (2 mars 986)[213].

LE RÈGNE DE LOUIS V (986-987). — La succession de Lothaire ne donne lieu à aucune difficulté. Hugue Capet, malgré les appuis sur lesquels il peut compter, ne cherche pas à disputer la couronne au fils du roi défunt, associé au pouf -voir depuis 979. Louis V, qui n'a que dix-neuf ans, est d'ailleurs loin de valoir son père et le seul fait que ce prince léger, indécis, quelque peu ridiculisé par son aventure conjugale, ait pu hériter sans compétition, prouve à quel point la royauté carolingienne est encore forte.

Le règne de Louis V ne dure qu'une année et il se concentre presque exclusivement autour de la lutte entre le roi et l'archevêque de Reims, Adalbéron.

Le jeune prince détestait ce prélat qui le poussait à une entente avec le roi de Germanie. Sa mère, Emma, fille de l'impératrice Adélaïde, elle-même veuve d'Otton le Grand, inclinait aussi vers une politique de rapprochement avec l'Allemagne pour laquelle Louis V semble avoir éprouvé une vive répugnance. Il n'hésita pas à se brouiller avec sa mère et aurait volontiers scellé une alliance avec Hugue Capet contre l'archevêque de Reims, mais le duc des Francs tenait à ménager Adalbéron dont le concours pouvait éventuellement lui être fort utile. Le roi résolut alors de se passer de son puissant vassal et, n'écoutant que sa rancune personnelle, il alla, sans prétexte avoué, investir Reims. Adalbéron offrit aussitôt de se justifier devant une assemblée à Compiègne, le 27 mars 987, et il fallut lever le siège. Le procès fut ensuite ajourné au 18 mai, mais au moment où commençaient les débats. Louis V périt accidentellement (21 ou 22 mai 987)[214].

ÉLECTION DE HUGUE CAPET. — Il ne restait plus qu'un seul représentant de la famille carolingienne : C'était le frère de Lothaire, Charles, duc de Basse-Lorraine, très impopulaire parmi les grands et encore plus mal vu de la cour germanique pour ses ambitions sur la Haute-Lorraine. Hugue Capet jugea que son heure était venue. Il prit la présidence de l'assemblée de Compiègne qui, après avoir réhabilité Adalbéron, décida de s'ajourner, non sans avoir fait jurer à tous ses membres, sur la proposition de l'archevêque qui ne faisait plus figure d'accusé, de ne prendre aucune initiative pour l'élection d'un roi jusqu'à la réunion d'une autre assemblée, à Senlis, dans les derniers jours du mois de mai.

Les choses se passèrent comme il avait été convenu. A Senlis, devant les grands du royaume, Adalbéron prononça les paroles décisives dont Richer a conservé au moins le sens[215]. Le trône, aurait-il dit, ne s'acquiert point par droit héréditaire et l'on ne doit mettre à la tête du royaume que celui qui se distingue non seulement par la noblesse corporelle, mais encore par les qualités de l'esprit, celui que l'honneur recommande, qu'appuie la magnanimité. Aussi, entre Charles que ne guide point l'honneur, que l'engourdissement énerve, qui a perdu la tête au point de n'avoir plus honte de servir un roi étranger et Hugue, recommandable par ses actions, par sa noblesse, par ses troupes, ne saurait-il y avoir la moindre hésitation.

Il n'y en eut point en effet. Tout le monde était favorable à Hugue Capet, à commencer par les grands vassaux tels que Eude-Henri, duc de Bourgogne et frère du duc des Francs, Richard, duc de Normandie, et même Guillaume IV, duc d'Aquitaine, dont Hugue avait épousé la sœur[216]. Aussi le résultat fut-il rapidement acquis. L'assemblée, transférée de Senlis à Noyon, proclama roi Hugue Capet, le 1er juin 987. Le 3 juillet, l'archevêque Adalbéron sacra, à Reims, le prince auquel son intervention avait assuré la couronne[217].

CARACTÈRES DU CHANGEMENT DE DYNASTIE DE 987. — C'en était fini de la dynastie carolingienne. Malgré quelques éclipses passagères, elle avait survécu beaucoup plus longtemps en France que dans les royaumes voisins et elle eût sans doute duré davantage encore sans la mort inopinée de Louis V et sans l'impopularité de Charles de Lorraine qui avait perdu tout contact avec le royaume de son frère et de son neveu.

Telles sont bien en effet les deux causes essentielles du changement de dynastie de 987 sur lequel on a bâti tant de fragiles hypothèses auxquelles les faits opposent un démenti formel[218]. La chute des Carolingiens est due uniquement aux circonstances et elle survient au moment où la dynastie, après la crise qui a marqué la fin du IXe et le début du Xe siècle, semble, malgré l'opposition redoutable qu'elle a subie à plusieurs reprises de la part du duc des Francs, en voie de se consolider et de s'affermir. Sans doute les derniers rois, issus de Charlemagne, n'ont disposé que d'un domaine relativement peu étendu qui ne dépassait guère la Seine d'un côté et la Meuse de l'autre, englobant notamment la ville et le comté de Laon, Douai, Arras, les abbayes de Saint-Vaast et de Saint-Amand, Compiègne, plusieurs villes de la région de l'Oise et Aisne, d'autres villes dans les Ardennes et sur la Marne, un palais à Reims dont le comté avait été abandonné à l'archevêque, avec, en Bourgogne, l'annexe de Dijon[219]. Toutefois, quelque exigu que fût ce domaine, surtout si on le compare à celui de Hugue Capet, il pouvait fournir des ressources qui n'étaient pas négligeables, d'autant plus que, tout autour, les comtes de Vermandois, de Roucy, de Troyes, de Chartres étaient, à l'époque de Lothaire, très dévoués au roi. Enfin, l'autorité suzeraine des Carolingiens était reconnue, comme on l'a déjà noté, par la plus grande partie du royaume où, parmi les grands fiefs, seul le duché de Normandie était vassal du duc des Francs[220].

Ce n'est donc pas en raison de sa faiblesse que la dynastie de Charlemagne a succombé. Comme l'a très vigoureusement mis en lumière l'historien des derniers Carolingiens, il semble que, durant la seconde moitié du Xe siècle, l'autorité royale ait été plus respectée que pendant les cent années précédentes[221]. On ne saurait en voir de meilleure preuve que la transmission régulière de la couronne de Louis IV à Lothaire et de Lothaire à Louis V. En 986, il n'y a même pas eu d'élection, mais un simple serment de fidélité de la part des grands à un roi qui régnait déjà, du fait de son association au pouvoir[222]. Le changement de dynastie n'est donc qu'un accident, mais un accident dont les conséquences ont une très lointaine portée.

 

 

 



[1] Sur le règne d'Eude, les deux ouvrages essentiels sont : E. Favre, Eude, comte de Paris et roi de France (882-898). Paris, 1893, et A. Eckel, Charles le Simple, Paris, 1899. On pourra encore consulter utilement : A de Barthélemy, Les origines de la maison de France dans Revue des questions historiques, t. XlII, 1873, p. 108-144 ; C, von Kalckstein, Geschichte des franzosischen Konigthums unter den ersten Capetingern, t. I, Der Kampf der Robertiner und Karolinger, Leipzig, 1877. On ne négligera pas non plus, pour ce règne, comme pour les suivants, les excellents chapitres de M. Pfister dans l'Histoire de France d'Ernest Lavisse, tome II, Ire p., p. 395-439, et de M. Halphen dans la Cambridge médiéval history, t. III, c. V et VI. Pour la critique des sources, on trouvera quelques indications dans G. Monod, Études sur l'histoire de Hugues Capet, dans : Revue historique, t. XXVIII, 1885, p. 241-272.

[2] Sur le caractère et la valeur de ce titre, voir : Eckel, op. cit., p. 34, n. 4.

[3] Sur les domaines de la maison robertienne voir : Favre, op. cit., p. 12-15.

[4] Cf. Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l'ancienne France, t. IV. Les transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, publ. par C. Jullian, Paris, 1892, p. 640 et suiv. ; F. Lot, Fidèles ou vassaux ? Paris, 1904.

[5] On trouvera une carte très détaillée du royaume franc de l'ouest à la fin du IXe siècle dans Eckel, Charles le Simple, p. 32-41.

[6] Sur l'identification de Caziacum, voir : Favre, op. cit., p. 67, n. 1.

[7] Steenstrup, Normannerne, t. II, p. 237 et suiv. ; Favre, op. cit., p. 106-108.

[8] Favre, op. cit., p. 116-118.

[9] Favre, op. cit., p. 127-128.

[10] Cf. H. Prentout, Essai sur les origines et la fondation du duché de Normandie, p. 119.

[11] Prentout, op. cit., p. 119-120 ; Favre, op. cit., p. 132-133.

[12] Favre, op. cit., p. 134.

[13] Favre, op. cit., p. 136.

[14] Annales Vedastini, a. 892.

[15] Sa lettre a été conservée par Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, IV, 7.

[16] Favre, op. cit., p. 140-145.

[17] Cela semble bien ressortir des textes très significatifs cités par Favre, op. cit., p. 121, n. 3.

[18] Favre, op. cit., p. 121-123 ; Eckel, op. cit., p. 10.

[19] Sur la date, cf. Favre, op. cit., p. 130, n. 3.

[20] Favre, op. cit., p. 146-149.

[21] On voit par une lettre de Foulque au roi de Germanie, Arnulf, conservée par Flodoard dans son Historia ecclesiæ Remensis, IV, 5, qu'Anseri s'était plaint à l'archevêque de l'attitude d'Eude à son égard. M. Favre estime avec raison (op. cit., p. 150-151) qu'Anseri a vivement reproché au roi d'avoir gardé pour lui l'abbaye de Saint-Denis, à la mort de l'abbé Eble. Il est possible aussi que l'évêque ait conservé une certaine rancune contre Eude pour son rôle passif lors du siège de Paris par les Normands en 889.

[22] Cf. une lettre de Foulque dans Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 7.

[23] Cf. Favre, op. cit., p. 152.

[24] Annales Vedastini, a. 893. Sur la date, cf. Dümmler, Geschichte des ostfränkischen Reichs, t. III, p. 383 ; Favre, op. cit., p. 155, n. 4.

[25] Favre, op. cit., p. 160-161.

[26] Favre, op. cit., p. 161.

[27] Favre, op. cit., p. 161 ; Eckel, Charles le Simple, p. 15.

[28] Suivant M. Eckel, op. cit., p. 15, Charles, après l'arrivée d'Eude en Champagne, se serait réfugié en Bourgogne,, mais cette hypothèse semble difficile à admettre, étant donné que le duc Richard avait abandonné quelques semaines plus tôt la cause carolingienne.

[29] Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 3 ; Annales Vedastini, a. 893.

[30] Les deux lettres ont été transcrites par Flodoard dans l'Historia ecclesiæ Remensis, IV, 3 et 5.

[31] Favre, op. cit., p. 156 et suiv.

[32] Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 5. Cf. Favre, op. cit., p. 163-165.

[33] Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 7. Il est probable que Charles a dû s'engager à reconnaître la suzeraineté d'Arnulf, le jour où le roi de Germanie aurait reçu l'empire. Cf. Favre, op. cit., p. 167, n. 1.

[34] Annales Vedastini, a. 894.

[35] Favre, op. cit., p. 172 ; Eckel, op. cit., p. 17.

[36] Annales Vedastini, a. 895 ; Réginon, a. 895.

[37] Annales Vedastini, a. 895. Il s'agit vraisemblablement, comme le suppose M. Favre, op. cit., p. 175-176, d'une partie du comté de Laon et du Porcien qui faisaient saillie au milieu du territoire lorrain.

[38] Annales Vedastini, a. 895 ; Réginon, a. 895.

[39] Favre, op. cit., p. 185 ; Eckel, op. cit., p. 24.

[40] Annales Vedastini, a. 895. Cf. Favre, op. cit., p. 180-181.

[41] Voir, à ce sujet, la lettre de Foulque au pape Etienne VI dans Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 4.

[42] Annales Vedastini, a. 896 et 897.

[43] Voir la lettre de Foulque dans Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 5.

[44] Nous croyons avec M. Eckel, op. cit., p. 27, que telle est bien la raison essentielle qui détermina Eude à traiter.

[45] Annales Vedastini, a. 897.

[46] Pour M. Favre, op. cit., p. 190-191, la cession de territoire à laquelle il est fait allusion concernerait la ville de Laon. M. Eckel, op. cit., p. 26, repousse énergiquement cette hypothèse. Aucun argument décisif ne justifie ! 'une ou l'autre attitude.

[47] Annales Vedastini, a. 897. Cf. Favre, op. cit., p. 193.

[48] Favre, op. cit., p. 193, n. 3.

[49] Annales Vedastini, a. 898. Cf. Eckel, Charles le Simple, p. 30-31.

[50] Eckel, op. cit., p. 50-57.

[51] Voir : Eckel, op. cit., app. 1 : Du surnom de Simple attribué à Charles III.

[52] Outre les ouvrages généraux indiqués au tome I dont notamment celui de Steenstrup, Normannerne, on consultera plus spécialement pour l'histoire de la formation du duché de Normandie : H. Prentout, Essai sur les origines et la fondation du duché de Normandie, Paris, 1911, et, du même : Étude critique sur Dudon de Saint-Quentin et son histoire des premiers ducs normands, Paris, 1916. On trouvera aussi dans Eckel, Charles le Simple, un bon chapitre consacré à la question normande.

[53] Annales Vedastini, a. 898. Cf. Eckel, op. cit., p. 64-65 ; Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 121.

[54] Chronicon Besuense, a. 898.

[55] Eckel, op. cit., p. 66, n. 1. Il semble, comme le constate très justement M. Eckel, que cette victoire d'Argenteuil ait beaucoup frappé l'imagination des contemporains. C'est en effet la première qui ait été vraiment décisive.

[56] D'après Dudon de Saint-Quentin, II, 21, les Normands auraient été ensuite en Auvergne, d'où ils seraient revenus par la vallée de la Loire, mais le récit de cet historien est trop légendaire pour qu'à défaut d'autres sources on puisse y ajouter foi. On ne voit pas d'ailleurs comment, après une défaite aussi grave que celle d'Argenteuil, l'armée normande aurait pu accomplir une randonnée lointaine.

[57] On trouvera une critique très poussée de Dudon dans Prentout, Étude critique sur Dudon de Saint-Quentin.

[58] Eckel, op, cit., p. 67, n. 3.

[59] Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 122, n. 3.

[60] Voir notamment : Henry H. Howorth, A criticism of the life of Rollo, astold by Dudo de Saint-Quentin dans Archaeologia, t. XLV, 1880, p. 235-250.

[61] Cf. la dissertation très convaincante de Prentout, Origines du duché de Normandie (c. VII : Rollon était-il danois, norvégien ou suédois ?), qui réfute la thèse danoise acceptée par Steenstrup (Cf. Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, t. X, p. 260).

[62] Eckel, op. cit., p. 69-70 ; Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 122.

[63] Dudon, II, 25 et suiv. Cf. Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 180 et suiv. — Dudon affirme, entre autres choses, que le traité aurait été conclu à la suite d'une entrevue entre Charles le Simple et Rollon, ménagée par l'archevêque de Rouen, Francon, qui aurait pris l'initiative des négociations. Or, le prélat installé sur le siège de Rouen en 911 portait le nom de Guy et Flodoard raconte (Hist. eccl. Rem., IV, 14) que ce Guy aurait demandé des conseils à l'archevêque de Reims, Hervé, sur la manière de convertir les Normands au christianisme. Cette erreur sur la personne n'est-elle pas de nature à enlever toute autorité à la narration de Dudon de Saint-Quentin ?

[64] Eckel, op. cit., p. 71-72.

[65] Le texte des annales de Flodoard ne laisse aucun doute pour les donations de 924 et de 933. Donc en 911, Rollon n'a reçu ni le Bessin, ni le Maine, ni les pays de Coutances et d'Avranches. D'ailleurs Dudon lui-même, quand il analyse le traité, parle uniquement du pays entre l'Epte et la mer ; c'est seulement à propos d'une conversation entre Rollon et l'archevêque de Rouen qu'il est question des autres territoires. Cf. Deville, Dissertation sur l'étendue des terres concédées à Rollon par le traité de Saint-Clair-sur-Epte dans Mémoires de la société des antiquaires de Normandie, t. VII, 1831-1833, p. 47-61 ; Eckel, op. cit., p. 76-78 ; Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 180 et suiv.

[66] Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 14.

[67] Voir dans Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 182-184, les textes qui autorisent ce tracé de la frontière.

[68] Eckel, op. cit., p. 78-79 ; Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 184-187. Cf. aussi, De la Borderie, Histoire de Bretagne, t. II.

[69] Réginon, a. 882. Telle est l'hypothèse de Dom Lobineau, Histoire de Bretagne, t. II, col. 77-78, reprise par Dümmler, Zur Kritik Dudos von Saint-Quentin dans Forschungen zür deutschen Geschichte, t. VI, 1866, p. 371-373 et plus récemment par Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 188. Eckel, op. cit., p. 81-82, rejette au contraire cette filiation.

[70] Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 14.

[71] Robert, duc des Francs, aurait servi de parrain à Rollon.

[72] Eckel, op. cit., p. 84.

[73] Eckel, op. cit., p. 85, n. 1.

[74] Au début, on trouve indistinctement, pour désigner l'État normand, les termes de duché, de marche ou de comté. Rollon est appelé princeps par Flodoard et Richer, dux ou encore patricius par Dudon de Saint-Quentin. En 1015, dans un diplôme, Richard II s'intitule dux et princeps. Cf. à ce sujet les observations très judicieuses de M. Prentout (Origines du duché de Normandie, p. 226-229) qui conclut avec M. Flach (Les origines de l'ancienne France, t. l, p. 170, n. 1) qu'à l'époque du traité de Saint-Clair-sur-Epte, les titres de duc, comte, marquis prince, patrice, avoué, etc. n'avaient plus ou n'avaient pas encore de signification précise.

[75] Dudon de Saint-Quentin, II, 28. D'après ce chroniqueur, Rollon aurait refusé de baiser le pied de Charles le Simple et envoyé à sa place un soldat qui, au lieu de s'agenouiller, saisit le pied du roi et le porta à sa bouche. C'est là, sans doute, une légende destinée à mettre en lumière l'esprit d'indépendance des premiers ducs normands.

[76] Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 233.

[77] Le fait indiqué par M. Prentout, Origines du duché de Normandie, p. 251, que l'on ne trouve pas dans le langage normand de termes scandinaves relatifs à la vie de famille, est assez probant à cet égard. Les textes cités par Steenstrup (Études préliminaires pour servir à l'histoire des Normands et de leurs invasions dans Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie, t. X, p. 316-320) ne semblent s'appliquer qu'à des cas tout à fait exceptionnels.

[78] Voir Eckel, Charles le Simple, p. 96, n. 2 et 3.

[79] Eckel., op. cit., p. 106-107.

[80] Eckel, op. cit., p. 52-53.

[81] Cette abstention est soulignée tout à la fois par Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 14 et par Richer, I, 15.

[82] Sur ces événements et ceux qui suivent, outre Eckel, op. cit., voir : Lauer, Robert Ier et Raoul de Bourgogne, rois de France, Paris, 1910. M. Eckel, p. 108, n. 4, trouve que Charles le Simple a eu raison, en 920, de ne pas céder aux injonctions des grands ; c'était cependant le plus sûr moyen de déchaîner la guerre civile.

[83] Eckel, op. cit., p. 110-112.

[84] Eckel, op. cit., p. 112-115.

[85] Eckel, op. cit., p. 116-117 ; Lauer, Robert Ier et Raoul, p. 8.

[86] Eckel, op. cit., p. 116, n. 1 ; Lauer, op. cit., p. 8, n. 1.

[87] Eckel, op. cit., p. 116-119 ; Lauer, op. cit., p. 8-9.

[88] Eckel, op. cit., p. 119, n. 4 ; Lauer, op. cit., p. 9.

[89] Lauer, op. cit., p. 10, n. 1.

[90] Herbert II a succédé, en 900, à son père, Herbert Ier, assassiné par un vassal du comte de Flandre. Cf. Eckel, op. cit., p. 57.

[91] Flodoard, Annales, a. 922 ; et Hist. eccl. Rem., IV, 18.

[92] Lauer, op. cit., p. 12, n. 3 ; Eckel, op. cit., p. 125.

[93] Lauer, op. cit., 'p. 21, n. 1 ; Eckel, op. cit., p. 127.

[94] Pour cette guerre avec les Normands et pour tout le règne de Raoul, la principale source à laquelle on doit avoir recours est constituée par les annales de Flodoard. Cf. Lauer, op. cit. p. 24-33.

[95] Flodoard, Annales, a. 925. Cf. Lauer, op. cit., p. 33-35. M. Lauer (ibid., p. 35-36) considère comme probable le pillage, au cours de la retraite, de l'abbaye de Saint-Benoît-sur Loire dont aucun texte ne donne la date. Il n'y a malheureusement aucune preuve positive.

[96] Flodoard, Annales, a. 925. Cf. Lauer, op. cit., p. 37-39.

[97] Flodoard, Annales, a. 926. Sur la localisation à Fauquembergue de la bataille livrée par Raoul aux Normands, voir : Lauer, op. cit., p. 43, n. 2.

[98] Raoul a paru une première fois en Lorraine en 923, au moment où Henri Ier, appelé par le duc Gilbert, tentait de s'emparer du duché, et a réussi à imposer son autorité (Cf. Lauer, op. cit., p. 26-27). En 925, il est revenu dans le pays de la Meuse recevoir l'hommage de Gilbert qui venait de faire sa soumission.

[99] Lauer, op. cit., p. 44, n. 1.

[100] Flodoard, Annales, a. 924. Cf. Lauer, op. cit., p. 27-28.

[101] Lauer, op. cit., p. 44.

[102] Lauer, op. cit., p. 49, n. 3.

[103] Flodoard, Annales, a. 926. Cf. Lauer, op. cit., p. 46-47.

[104] Lauer, op. cit., p. 48-49.

[105] Lauer, op. cit., p. 41-43. Herbert a même réussi à obtenir, pour cette singulière nomination, l'assentiment du pape Jean X (Jaffé-Wattenbach, 3570).

[106] Lauer, op. cit., p. 50-52 ; Eckel, op. cit., p. 131-133.

[107] Lauer, op. cit., p. 51 ; Eckel, op. cit., p. 132.

[108] Lauer, op. cit., p. 53-54.

[109] Lauer, op. cit., p. 54, n. 2.

[110] Lauer, op. cit., p. 56, n. 1 ; Eckel, op. cit., p. 134, n. 2.

[111] Lauer, op. cit., p. 59. Il y a tout lieu de penser (cf. ibid., p. 59, n. 2) que la bataille où Raoul repoussa les Normands s'est livrée à Estresse, près de Beaulieu (Corrèze). C'est ainsi qu'il faudrait traduire l'expression ad Destricios, employée par les chroniqueurs.

[112] Flodoard, Annales, a. 932-935 et Hist. eccl. Rem., IV, 24 et 35. Cf. Lauer, op. cit., p. 60 et suiv.

[113] Flodoard, Annales, a. 935. Cf. Lauer, op. cit., p. 75.

[114] Flodoard, Annales, a. 935. Cf. Lauer, op. cit., p. 77.

[115] Lauer, op. cit., p. 67, n. 3 ; Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 55.

[116] Lauer, op. cit., p. 60 et 70 ; A. Steyer t. Histoire de Lyon, t, II, 1897, p. 192-194 ; Gide Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècles, p. 131. Cette suzeraineté ne sera que très momentanée et le comté de Vienne sera peu après incorporé au royaume de Bourgogne.

[117] Lauer, op. cit., p. 71 ; De la Borderie, Histoire de Bretagne, t. II, p. 378 ; Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 184.

[118] Voir les textes cités par Lauer, p. 81, n. 2 et 82, n. 1-5.

[119] On a reproché à Raoul d'avoir abandonné la Lorraine à Henri Ier, roi de Germanie, et de n'avoir pas cherché à la reconquérir. Comme le remarque très justement M. Lauer (op. cit., p. 85), la responsabilité de cet abandon pèse surtout sur Herbert de Vermandois, homme néfaste qui, toute sa vie, fut le mauvais génie de son pays et qui, par son opposition continue, n'a pas laissé à Raoul la faculté de veiller à la frontière orientale du royaume.

[120] Lauer, op. cit., p. 74 et 77.

[121] Lauer, op. cit., p. 78, n. 4.

[122] Lauer, Le règne de Louis IV d'Outremer, p. 11, n. 1. — Richer, II, 2, rapporte le discours tenu par Hugue à cette occasion. Comme l'ont fort bien montré MM. Luchaire (Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, t. I, p. 12, n. 1) et Lauer (Louis IV, p. II, n. 2), les propos attribués à Hugue sont tout à fait fantaisistes. Il semble toutefois que ce soit bien Hugue qui ait pris l'initiative du rappel de Louis IV.

[123] Lauer, Louis IV, p. 11-14.

[124] Sur cette période, les deux ouvrages capitaux sont ceux de Ph. Lauer, Le règne de Louis IV d'Outremer, Paris, 1899 et de F. Lot, Les derniers Carolingiens, Paris, 1891, en tête desquels on trouvera une abondante bibliographie qu'il serait fastidieux de reproduire ici. Cf. aussi les ouvrages généraux indiqués au début du chapitre et August Heil, Die politischen Berichungen zwischen Otto dem Grossen und Ludwig IV von Frankreich, Berlin, 1904 (fasc. 46 des Historische Studien de Ebering) ; Curt Schœne, Die politischen Berichungen zwischen Deutschland und, Frankreich in den Jahren 953-980, Berlin, 1910 (fasc. 82 de la même collection).

[125] Si l'on en croit Richer, II, 14, il aurait, en débarquant à Boulogne, maîtrisé un fougueux coursier, orné des insignes royaux, que Hugue le Grand lui avait fait amener et produit, par cet exploit, une vive impression sur les assistants.

[126] Lauer, Louis IV, p. 16, n. 2. — C'est en 937, c'est-à-dire l'année qui suit l'avènement de Louis IV, que l'on relève pour la première fois dans un acte de Hugue l'expression de clementia omnipotentis Dei Francorum dux.

[127] Flodoard, Annales, a. 936 ; Richer, II, 4-5. Cf. Lauer, op. cit., p. 16-18.

[128] Flodoard, Annales, a. 937 ; Richer, II, 6.

[129] Le nom d'Artaud apparaît pour la première fois dans un diplôme du 1er février 937, ce qui semble, bien prouver qu'il y a connexion entre sa désignation comme chancelier et le départ de Louis IV pour Laon.

[130] Lauer, op. cit., p. 19-27.

[131] Flodoard, a. 938. Sur la date, cf. Lauer, op. cit., p. 27, n. 4.

[132] Flodoard, a. 937 ; Richer, II, 6.

[133] Flodoard, Annales, a. 938.

[134] Cf. Lauer, op. cit., p. 36, n. 4.

[135] Flodoard, Annales, a. 938.

[136] Lauer, op cit., p. 35-36.

[137] Flodoard, Annales, a. 938. Sur l'ordre de ces expéditions, cf. Lauer, op. cit., p. 30, n. 4.

[138] Flodoard, Annales, a. 938. Cf. Lauer, op. cit., p. 32, n. 6, qui montre fort bien que la construction de cette citadelle par Herbert est, contrairement à l'avis de M. d'Arbois de Jubainville (Histoire des comtes de Champagne, t. I, p. 119), antérieure à l'année 938.

[139] Flodoard, Annales, a. 939. Sur ces divers personnages, cf. Lauer, op. cit., p. 41, n. 5 et 6 et 42, n. 1.

[140] Flodoard, ibid. Cf. Lauer, op. cit., p. 42-43.

[141] Cf. infra, chapitre VI.

[142] Flodoard, Annales, a. 939 ; Widukind, II, 25-26. Cf. Lauer, op. cit., p. 43-49.

[143] La source essentielle pour cette guerre reste toujours Flodoard, Annales, a. 940. Cf. Lauer, op. cit., p. 58-61 ; Kôpke et Dümmler, Otto der Grosse, p. 105-106.

[144] Flodoard, Hist. eccl. Rem., IV, 27.

[145] Flodoard, Annales, a. 940, et Hist. eccl Rem., IV, 28-35.

[146] Flodoard, Annales, a. 941. Cf. Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. IV, 28 p. ; p. 158.

[147] Flodoard, Annales, a. 940 et 941. Cf. Lauer, op. cit., p. 57 et suiv.

[148] La bulle d'Étienne VIII est perdue, mais elle a été analysée par Flodoard, Annales, a. 942. Cf. Lauer, op. cit., p. 77 n. 1.

[149] Sur le lieu et la date, cf. Lauer, op. cit., p. 83-84.

[150] Selon les historiens allemands Kalckstein, Geschichte des franzosischen Kônigthums unler den ersten Capetingern, t. I, p. 234-236 et Köpke et Dümmler, Otto der Grosse, p. 128, Louis aurait renoncé à la Lorraine et à sa suzeraineté sur le Viennois. M. Lauer, op. cit., p. 85, n. 1, se refuse à le croire. En l'absence de tout texte, il est impossible de se prononcer.

[151] Flodoard, Annales, a. 942 ; Richer, II, 29.

[152] Flodoard, Annales, a. 941. Cf. Lauer, op. cit., p. 73-74.

[153] Deux diplômes de Louis IV ont été délivrés à Poitiers les 5 et 7 janvier 942. Cf. Besly, Histoire des comtes de Poitou, p. 243 ; Lauer, op. cit., p. 75, n. 7 et 76, n. 1.

[154] Lauer, op. cit., p. 79-81. Suivant M. Lauer, ce revirement de Guillaume Longue-Epée serait dû à une pression énergique du pape Étienne VIII. Cette hypothèse paraît peu vraisemblable, le Saint-Siège n'ayant encore aucune influence dans le duché de Normandie. Il semble plus probable, étant donné la présence de Guillaume Tête d'Etoupe à Rouen lors du séjour de Louis IV, de voir dans ce rapprochement l'œuvre de ce prince, beau-père de Guillaume Longue-Epée et tout acquis à Louis IV.

[155] Flodoard, Annales, a. 941. Sur la date de la naissance, cf. Lauer, op. cit.,.p. 72, n. 2.

[156] Flodoard, Annales, a. 944. Cf. Lauer, op. cit., p. 113 et 115-116.

[157] Lauer, op. cit., p. 88, n. 1 et 2.

[158] Lauer, op. cit., p. 111.

[159] Lauer, op. cit., p. 89-92 et 98 et suiv. ; Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 186.

[160] Lauer, op cit., p. 99-101.

[161] Flodoard, Annales, a. 944. Cf. Lauer, op. cit., p. 116-118.

[162] Lauer, op. cit., p. 119-124.

[163] Cf. Lauer, op. cit., p. 126.

[164] Flodoard, Annales, a. 945 et Hist. eccl. Rem., IV, 31 ; Richer, II, 45. Cf. Lauer, op. cit., p. 126-130.

[165] Sur le lieu de l'entrevue, cf. Lauer, op. cit., p. 131-132.

[166] Lauer, op. cit., p. 133.

[167] Cf. Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 178-188.

[168] La source essentielle pour ces événements est toujours Flodoard, Annales, a. 945. On trouvera une excellente critique des autres chroniques qui complètent son récit dans Lauer, op. cit., p. 135-137.

[169] Flodoard, Annales, a. 946 ; Richer, II, 49 et 50.

[170] Flodoard, Annales, a. 946 et Hist. eccl. Rem., IV, 35. Cf. Lauer, op. cit., p. 141-143.

[171] La seule source digne de foi est Flodoard, Annales, a. 946 et 947 et Hist. eccl. Rem., Sur les faits légendaires dont l'expédition d'Otton a été enrichie, cf. Lauer, op. cit., et suiv.

[172] Flodoard, Annales, a. 947. Suivant Widukind, III, 5, Hugue le Grand se serait alors réconcilié avec Otton, ce qui est tout à fait inexact (cf. Lauer, op. cit., p. 162, n. 1.)

[173] Flodoard, Annales, a. 947 et 948. Ce chroniqueur a reproduit le texte de la sentence du concile de Mouzon.

[174] On trouvera un récit exact et détaillé du concile dans Flodoard, Annales, a. 948 et Hist. eccl. Rem., IV, 35. La narration de Richer est au contraire tout à fait tendancieuse. Les actes se trouvent dans les M. G. H. in-4°, Constitutiones et acta, t. I, p. 14 et suiv. Cf. Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. IV, 2e p., p. 761 et suiv.

[175] Flodoard, Annales, a. 948 et Hist. eccl. Rem., IV, 35. Cf. Lauer, op. cit., p. 189-191.

[176] Flodoard, Annales, a. 948 et Hist. eccl. Rem., IV, 37. Cf. Lauer, op. cit., p. 191-195.

[177] Flodoard, Annales, a. 949 ; Richer, II, 87-90. Cf. la critiqué des deux versions par Lauer, op. cit., p. 199, n. 3.

[178] Flodoard, Annales, a. 949 et 950 ; Richer, II, 94-97. Cf. Lauer, op. cit., p. 207-208.

[179] Lauer, op. cit., p. 216 et suiv.

[180] Lauer, op. cit., p. 231, n. 4.

[181] Lauer, op. cit., p. 229-230.

[182] Flodoard, Annales, a. 954 ; Richer, III, 2. Cf. Lot, Les derniers Carolingiens, p. 9, n. 5.

[183] Lot, op. cit., p. 12-15. Cf. aussi du même, Fidèles ou vassaux ?, p. 58-62, d'où il résulte qu'après la mort de Raymond-Pons III (950) le titre de duc d'Aquitaine n'a pas été remis à Guillaume Tête d'Étoupe, mais n'a pas eu de titulaire jusqu'au moment où il a été concédé par Lothaire à Hugue le Grand.

[184] Nous adhérons pleinement au jugement que M. Lauer, op. cit., p. 240 et suiv., oppose aux appréciations traditionnelles portées sur le rôle de Hugue le Grand.

[185] Sur le surnom de Capet, cf. Lot, Les derniers Carolingiens, app. IV, p. 320-322.

[186] On verra au chapitre VI comment Brunon a reçu de son frère Otton Ier le duché de Lorraine,

[187] Lot, Les derniers Carolingiens, p. 21 et suiv.

[188] Flodoard, Annales, a. 962 ; Richer, III, 15-16. Cf. Lot, op. cit., p. 38-40.

[189] Lot, op. cit., p. 51, n. 1.

[190] Cf. Dümmler, Otto der Grosse, p. 371-377, où l'on trouvera une réfutation, de la thèse de Stumpf (Würzburger Immunitatsurkunden, p. 36) d'après lequel il faudrait prendre à la lettre l'expression d'imperator augustus Romanorum et Francorum que l'on trouve dans un diplôme destiné à cette assemblée.

[191] Lot, Les derniers Carolingiens, p. 54, n. 1.

[192] Sur Adalbéron et son œuvre à Reims, cf. Lot, op. cit., p. 63 et suiv.

[193] Lot, op. cit., p. 62, n. 2.

[194] Lot, op. cit., p. 34 et suiv., et aussi appendice VIII, p. 346-357.

[195] Lot, op. cit., p. 46-47.

[196] Lot, op. cit., p. 79, n. 3.

[197] Lot, op. cit., p. 83, n. 3, prouve fort bien, contre Giesebrecht (Jahrbücher des deutschen Reichs unter Otto II, p. 30) que le résultat de ce combat a été défavorable à Arnoul et à Godefroy, bien que ce dernier seigneur ait pu rentrer dans Mons, grièvement blessé.

[198] Lot, op. cit., p. 82 et suiv. — Sur l'étendue du duché de Charles, cf. ibid., p. 91, n. 4.

[199] On trouvera tous les textes relatifs à cette expédition qui a beaucoup frappé l'imagination des contemporains dans les notes de Lot, op. cit., p. 92 et suiv.

[200] Lot, op. cit., p. 98 et suiv. Cf. surtout p. 106, n. 3, où l'on trouvera une appréciation très juste des événements.

[201] M. Lot, op. cit., p. 118, pense que l'archevêque de Reims, Adalbéron, a dû servir d'intermédiaire, parce que l'Historia Francorum Senonensis fait conclure la paix à Reims. Cet argument ne nous paraît pas péremptoire : la chronique sénonaise est tellement constellée d'erreurs qu'il semble impossible de bâtir sur elle une hypothèse quelconque,

[202] Lot, op. cit., p. 118-119.

[203] Sur la date, cf. Lot, op. cit., p. 109, n. 5.

[204] Lot, op. cit., p. 127.

[205] Sur les mariages d'Adélaïde, voir Lot, op. cit., appendice XX, p. 358-369.

[206] Lot, op. cit., p. 120-124.

[207] Sur la durée de la discorde, voir Lot, op. cit., p. 126, n. 2.

[208] Uhlirz, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Otto II und Otto III, p. 206, n. 57.

[209] Cf. Lot, op. cit., p. 131 et suiv. Voir aussi infra, Deuxième partie, chapitre I.

[210] Lot, op. cit., p. 140 et suiv..

[211] Gerbert, epist. 48.

[212] Lot, op. cit., p. 148 et suiv.

[213] Lot, op. cit., p. 164, n. 1.

[214] Lot, op. cit., p. 190 et suiv.

[215] Richer, IV, 11. Cf. Lot, op. cit.. p. 201 et suiv.

[216] Sur les sentiments de ce dernier personnage, voir : Lot, op. cit., p. 210, n. 2 et appendice IX.

[217] Lot, op. cit., p. 212, n. 1. Cf. aussi Havet, Les couronnements des rois Hugue et Robert dans la Revue historique, t. XLV, 1891, p. 290.

[218] Voir en particulier, dans Lavisse, Histoire de France, t. II, Ire p., p. 412-413, les pages très fortes où M. Pfister démontre que l'avènement de Hugue Capet n'est ni une victoire de la nationalité française ni une victoire de la féodalité, comme on l'a cru trop longtemps.

[219] On trouvera une carte précise et détaillée du domaine carolingien dans Lot, op. cit., p. 181 et suiv.

[220] Cf. Lot, Fidèles ou vassaux ?, p. 192. On notera également que, depuis 964, le Lyonnais et le Viennois, qui ont reconnu la suzeraineté de Louis IV sont réunis au royaume de Bourgogne.

[221] Lot, Les derniers Carolingiens, p. 293.

[222] La reine Emma écrit à l'impératrice Adélaïde (Cf. Gerbert, epist. 74).