Des
créations de George à la Porte-Saint-Martin, il faut retenir deux dates qui
lui assurent, avec l'amour de Bonaparte, une large part de gloire et un
souvenir indéfectible dans la mémoire humaine. C'est, avec le 2 février 1833,
celle de la première de Lucrèce Borgia ; avec le 6 novembre de la même
année, celle de la première de Marie Tudor. Toutes deux sacrèrent à jamais
George la Reine du Romantisme, et la rendirent inséparable, dans la louange
comme dans la haine, des héroïnes que le moment le plus tragique et le plus
somptueux de son génie incarna. Harel avait accueilli Lucrèce Borgia à
la Porte-Saint-Martin avec un enthousiasme non déguisé. On sait que les
événements politiques seuls l'avaient empêché de monter Marion de Lorme
à l'Odéon, malgré qu'il se fût emparé de vive force du manuscrit, pour y
apposer son visa de réception. Avec Lucrèce Borgia il comptait prendre
une éclatante revanche. Sans
contestation, comme une chose toute naturelle, et ne l'était-elle point, en
effet, le rôle principal fut décerné à George. Il ne restait plus qu'à
distribuer celui de la princesse Negroni. L'auteur ne le trouvait pas digne
d'être offert à Mlle Drouet, nous a-t-on dit[1]. Nous avons vu que Mlle Drouet,
Juliette au théâtre, avait été engagée par Harel à son arrivée à la
Porte-Saint-Martin. Suivant Richard Lesclide, Harel lui exposa les scrupules
de l'auteur. Elle prit une voiture, se rendit chez l'auteur, demanda le rôle
et l'obtint. Le soir même, elle en avisait son directeur par ce petit billet
: Quoique
je sois engagée, Monsieur, à un autre théâtre pour ne jouer que les premiers
rôles, je jouerai avec empressement la Princesse Negroni dans Lucrèce Borgia.
Il n'y a pas de petits rôles dans une pièce de M. Victor Hugo. JULIETTE, 5
janvier 1833. Suivant
M. Ginisty, Mlle Juliette ne fut que jolie. Au dire de Victor Hugo, elle
avait été la plus belle personne du siècle[2]. Mais Victor Hugo avait des
raisons pour être partial. Cependant, au témoignage de l'éditeur
Poulet-Malassis, « qui n'était pas des amis de la dame », elle avait encore,
à cinquante ans, les plus belles épaules de Paris. Mais des épaules, c'est
peu dans l'harmonie générale d'une belle femme. Nous avons mieux pour la
juger. La statue de la Ville de Lille, sur la place de la Concorde, fut
sculptée d'après elle, et il semble bien que l'artiste ait assez fidèlement
reproduit ses traits. L'image qu'elle nous donne de Juliette est celle d'une
beauté un peu froide, un peu trop régulière, à la mode de 1830. C'était, on
peut croire, une jolie femme, mais non point à la manière dont le veut M.
Ginisty. Son
éducation première ne semblait guère la destiner à jouer des rôles sur la
scène avant de jouer celui qu'on sait dans la vie du poète. Orpheline de
bonne heure, Mlle Gauvain, — car c'était là son vrai nom, nom que Victor Hugo
a donné à un de ses plus tragiques et plus purs héros de Quatre-vingt-treize
— avait été recueillie par un de ses oncles, le général Drouet. Ne voulant ou
ne pouvant s'embarrasser de la jeune fille, le guerrier la mit en pension au
couvent de Picpus. C'est cette circonstance qui nous a valu, dans les
Misérables, toute l'idyllique et ardente partie consacrée à ce vieux couvent.
Des souvenirs de jeune fille de celle qui fut sa maîtresse, Victor Hugo a
tiré ce délicieux chapitre sur les jeunes pensionnaires se livrant à des jeux
d'une déconcertante naïveté. Ce ne fut que par pur hasard que Mlle Gauvain
échappa à une prise de voile. Elle sortit d'un couvent pour entrer dans un
théâtre. Ces destinées ironiques-là ne se rencontrent pas toujours dans les
romans. 1833
fut donc une date décisive dans la vie de Juliette. De sa première rencontre
avec Victor Hugo devait naître une amoureuse et fidèle amitié que la mort
seule vint interrompre. Elle mourut, en effet, avant le poète et celui-ci la
suivit à trois ans de distance, le 22 mai 1885, jour de la sainte Julie, « le
jour, remarque Richard Lesclide, où l'on célébrait la fête de Mme Juliette
Drouet ». Les incidents piquants de cette liaison, on les connaît, et nous
n'avons point besoin de les rappeler ici. Une anecdote suffira à démontrer
comment le poète acceptait le joug amoureux de la princesse Negroni. —
N'oubliez pas, Monsieur, lui dit-elle un jour dans son salon, que vous avez
filé à mes pieds. Et lui
de répondre avec cette bonhomie humiliée dont il aimait à parer sa grandeur : — C'est
vrai, Madame, mais vous oubliez de dire que de temps à autre je vous prenais
la jambe[3]. Nulles
répétitions ne furent plus charmantes que celles de Lucrèce Borgia. Au cours
de l'une d'elles, le poète adopta ce titre nouveau, renonçant à celui du
Souper du Ferrare, sous lequel Harel avait reçu la pièce. Des frais
considérables avaient été faits pour la monter avec un rare éclat. La presse
entretenait soigneusement la curiosité du public par des révélations, des
on-dit, qui feraient aujourd'hui, par leur ingénuité, sourire dédaigneusement
le moindre de nos interviewers. Après quelques remaniements, la distribution
suivante fut adoptée :
Le soir
de la première, avant le lever du rideau, eut lieu un incident amusant, créé
par la minutie exigée par Victor Hugo dans les décors. On plantait le décor
du second acte, et brusquement il s'aperçut qu'une porte, indiquée comme «
dérobée » sur le manuscrit, avait été transformée par les décorateurs en
porte monumentale. On peut se demander comment il ne s'en était pas aperçu
plus tôt, mais c'est là un négligeable détail en l'affaire. Hugo bondit vers
Harel : — Cela
ne peut pas rester ainsi ! — Que
voulez-vous faire ? — M.
Séchan est-il ici ? — Non,
il est allé dans la salle juger de l'effet de ses décors. —
Avez-vous de la couleur, des pinceaux ? — Oui,
les peintres ont travaillé toute la journée. Mais vous n'allez toucher à
rien, je suppose ? — Vous
allez voir. Quatre
coups de pinceau effacèrent dorures et encadrements, la porte redevint « dérobée
», et s'inclinant devant Juliette un peu stupéfaite, le poète dit galamment : —
Madame, prenez garde à la peinture[5]. Réelle
ou non, l'anecdote importe peu, mais il semble bien que Victor Hugo avait d'autres soucis en cet instant. En effet, le premier
acte n'avait pas été sans quelques sifflets. Ils
avaient commencé aux scènes du début. —
Comment, on siffle ? avait dit Harel ; qu'est-ce que cela signifie ? — Cela
signifie que la pièce est bien de moi, ripostait Victor Hugo[6]. Les
applaudissements étaient cependant venus couvrir le cri aigu des sifflets. «
Il y eut une frénésie d'applaudissements, » dit Mirecourt[7]. Et il ajoute que, succombant
sous le poids de l'émotion, George, se jetant dans les bras de Hugo, lui dit
: -- Ah !
mon ami, je n'aurai jamais la force de continuer. Elle
continua cependant, se soutenant à la hauteur de l'émotion produite, au
premier acte, par « son cri terrible de lionne blessée : Assez ! Assez ![8] » Le rôle
semblait fait à merveille pour elle, alliant la douceur maternelle à la
fureur amoureuse ; la douleur à la haine, portant au summum
l'exaspération des sentiments. « Le drame moderne n'a jamais eu d'effet plus
terrible[9], » dit un contemporain.
Cependant, au dire de George Sand, George n'émouvait qu'autant que la
situation le lui permettait[10]. C'est là une distinction
subtile. La
critique fut plus que favorable au drame. Il n'y avait point à nier le succès
qui était éclatant., unanime. C'était une manière de mélodrame sublime,
carcasse peut-être un peu vulgaire, mais recouverte du plus éclatant manteau
lyrique. George s'y était surpassée, incarnant véritablement toute la
grandeur barbare de la tragique héroïne. Le plus bel éloge lui arriva avec la
première édition de la pièce, et c'était le poète lui-même qui déclarait : «
Mlle George réunit également au degré le plus rare les qualités diverses et
quelquefois même opposées que son rôle exige. Elle prend superbement, et en
reine, toutes les attitudes du personnage qu'elle représente. Mère au premier
acte, femme au second, grande tragédienne dans cette scène de ménage avec le
duc de Ferrare où elle est si bien secondée par M. Lockroy, grande
tragédienne pendant l'insulte, grande tragédienne pendant la vengeance,
grande tragédienne pendant le châtiment, elle passe comme elle veut, et sans
effort, du pathétique tendre au pathétique terrible. Elle fait applaudir et
elle fait pleurer. Elle est sublime comme Hécube et touchante comme Desdémone[11]. » L'éloge
est difficilement contestable, là, étant données les louanges de la critique.
Il le semble moins pour Mile Juliette, dont le rôle de quelques lignes fut
apprécié en ces termes par l'auteur qui n'oubliait point son rôle d'amant : « ...
le public a vivement distingué Mlle Juliette. On ne peut guère dire que la
princesse Negroni soit un rôle, c'est en quelque sorte une apparition. C'est
une figure, jeune, belle et fatale, qui passe, soulevant aussi son coin du
voile sombre qui couvre l'Italie du seizième siècle. Mlle Juliette a jeté sur
cette figure un éclat extraordinaire. Elle n'avait que peu de mots à dire,
elle y a mis beaucoup de pensée. Il ne faut à cette jeune actrice qu'une
occasion pour révéler puissamment au public un talent plein d'âme, de passion
et de vérité[12]. » La
vérité n'était représentée, dans ces lignes, que par une seule affirmation :
celle du petit rôle de Juliette. Le public ne l'avait en aucune manière
distinguée, si ce n'est par le manque de cette pensée et l'absence de cet
éclat extraordinaire dont Hugo lui attribuait si bénévolement le mérite.
Quant à cette occasion où elle pourrait « révéler puissamment au public un
talent plein d'âme, de passion et de vérité », que souhaitait le poète, elle
allait bientôt s'offrir à Juliette. On va voir ce que lui réservait Marie
Tudor[13]. * * * Victor
Hugo, enhardi par ce premier succès, présenta la même année à Harel son
nouveau drame. Lucrèce
Borgia, sombre,
violente, passionnée, était surpassée encore par Marie Tudor. Cette
fois, les répétitions n'avaient pas eu cette charmante familiarité, cette
atmosphère de Confiance dans le succès, qui avait signalé celles de Lucrèce
Borgia. Harel et Hugo, après avoir failli se battre en duel, s'étaient
contentés d'échanger des mots aigres-doux, moins inoffensifs pour leur
épiderme délicat que les deux balles réglementairement sans résultat d'une rencontre
de ce genre. Hugo assure que Harel avait fait le serment de faire tomber sa
pièce. —
Faites tomber ma pièce, avait-il répliqué, je ferai tomber votre théâtre. Le
serment attribué à Harel semble bien improbable. Ayant, comme pour Lucrèce
Borgia, fait des frais considérables, allait-il les perdre pour le
bénéfice d'une rancune ? Dix
mois après la première de Lucrèce, le. 6 novembre, eut lieu celle de Marie
Tudor avec cette distribution :
On le
voit, ici encore tout le bénéfice de l'interprétation féminie était réservé à
George et à Juliette. La
bataille de la première surpassa de beaucoup en violence, celle du 2 février
précédent. C'est dans les journaux, hostiles à Hugo et à son école, qu'il
faut en chercher l'écho, car la presse amie de l'auteur masqua d'un triomphe
absolu, ce qui, en somme, n'était qu'une victoire fort contestée sinon une
défaite honorable. « Le
public des représentations gratis aux dernières fêtes de juillet s'est montré
plus calme, plus décent, plus poli, plus littéraire que les amis de M. Victor
Hugo, écrit le Constitutionnel. Ces amis garnissaient la salle, depuis
le parterre jusqu'au paradis. Les uns se distinguaient par les cheveux et une
barbe moyen âge, les autres par leurs gants blancs ou jaunes, quelques-uns
par un gilet de satin rouge. Quand un coup de sifflet se faisait entendre,
c'était une explosion de vociférations. On criait : « A la porte le siffleur
! Assommez le siffleur ! » Le petit nombre des spectateurs impartiaux et
indépendants ont fait leur devoir, en dépit des bravos forcenés et des
applaudissements frénétiques. On peut donc dire à bon droit que Marie Tudor
est tombée[15]. » Ce bon
droit apparaît, pour le moins, contestable sous une plume franchement
ennemie. Mais ce n'est, point là un avis isolé ; et la Gazelle de France
écrit : « C'est
la terreur qui a régné dans la salle pendant tout le cours de la
représentation, et cette terreur avait été précédée de la Marseillaise,
hymne que l'on invoque toujours à présent comme prologue des œuvres
théâtrales de M. Victor Hugo. Vainement les murmures, les sifflets, les rires
satiriques, cherchaient-ils à se faire jour, rien n'a pu prévaloir contre le
succès juré d'avance que l'on, voulait faire à cet ouvrage insensé. Mais il a
percé suffisamment encore des témoignages de dégoût, d'impatience et d'ennui,
pour que le public, le théâtre et l'auteur, sachent à quoi s'en tenir sur ce
succès[16]. » Ici se
devine trop aisément la rancune politique pour qu'on puisse s'y tromper.
Cependant, de ces deux dénigrements assurément systématiques, il importe de
retenir ce fait de la bataille qui se livra dans la salle et du succès que
remportèrent les amis de Hugo sur ses détracteurs. Mais on sait ce que valent
ordinairement ces succès d'un premier et seul soir. La carrière de Marie
Tudor devait donner tort à celui-ci. A quoi
attribuer cette chute ? A l'absence de Frédérick Lemaître ? A la manière dont
Juliette se tira de son rôle ? Sans doute Ces raisons entrèrent-elles pour
quelque chose dans le désastre, mais il semble difficile de lui donner une
explication satisfaisante. Les bonnes pièces ont-elles toujours du succès et
les mauvaises sont-elles nécessairement des défaites ? Mais l'interprétation
subit d'autres assauts. George,
portée aux nues par les uns, fut violemment dénigrée par les autres. Au cours
de la pièce elle avait été, à plusieurs reprises, sifflée, manifestations
auxquelles elle n'était guère habituée[17]. « Mlle George charge trop par
ses cris le rôle de Marie, » dit le Constitutionnel[18]. C'est le plus grave des
reproches qui lui sont adressés. Mais ce
qui fut surtout pénible, ce fut l'effondrement total, absolu, de Mlle
Juliette. Elle « a été tellement au-dessous de son petit rôle qu'elle a été
remplacée par Mlle Ida à la deuxième représentation[19] ». C'était vrai. Harel, au
lendemain de la première, avait été forcé de faire relâche pour confier son
rôle à Mlle Ida — Mlle Marguerite-Joséphine Ferrand — qui devait épouser
Dumas sept ans plus tard, et qui remplaça Juliette « avec des qualités remarquables
d'énergie et de vivacité », dit lui-même Hugo[20]. Harel,
par une note que nous trouvons dans la Gazette de France, du 10
novembre 1833, et qui est incontestablement de lui, annonçait et excusait la
chose assez galamment. « Mlle Juliette étant gravement indisposée, disait la
note, le rôle qu'elle remplissait dans Marie Tudor a été confié à Mlle Ida.
La seconde représentation de cet ouvrage se trouve ainsi remise à demain
samedi[21]. » Les
notes de la première édition de Marie Tudor se chargèrent de panser les
doubles blessures des interprètes. « Mlle
George, écrivait Victor Hugo, il n'en faudrait dire qu'un mot : sublime. Le
public a retrouvé dans Marie la grande comédienne et la grande tragédienne de
Lucrèce. Depuis le sourire exquis par lequel elle ouvre le second acte,
jusqu'au cri déchirant par lequel elle clôt la pièce, il n'y a pas une des
nuances de son talent qu'elle ne mette admirablement en lumière dans tout le
cours de son rôle. Elle crée dans la création même du poète quelque chose qui
étonne et qui ravit l'auteur lui-même. Elle caresse, elle effraye, elle
attendrit, et c'est un miracle de son talent que la même femme qui vient de
vous faire tant frémir vous fasse tant pleurer[22]. » La
maîtresse aimée eut sa large part de consolation, elle aussi. C'était, repris
et à peine modifié, le leitmotiv de Lucrèce Borgia : « Mlle
Juliette, quoique atteinte à la première représentation d'une indisposition
si grave qu'elle n'a pu continuer de jouer le rôle de Jane les jours
suivants, a montré dans le rôle un talent plein d'avenir, un talent souple,
gracieux, vrai, tout à la fois pathétique et charmant, intelligent et naïf.
L'auteur croit devoir lui exprimer ici sa reconnaissance[23]... » Et par
la légende de « l'indisposition », Victor Hugo espérait donner le change,
ruse ingénue à laquelle on ne se laissa point prendre. L'indisposition dura
au point que Juliette ne reparut plus sur les planches. Marie
Tudor eut pour George une conséquence plus grave. Cette bataille livrée avec
toutes les garanties du succès, et presque perdue, il faut le confesser, lui
prouva qu'elle n'était plus, pour une certaine partie du public, la
tragédienne à la gloire et au talent incontestés. Sans doute, depuis
longtemps l'écho des rivalités de Consulat, à la Comédie-Française, était
éteint, mais les mêmes critiques réapparaissaient et blessaient cruellement
une vanité qu'elle estimait juste après une carrière de trente années. Déjà
l'âge mettait sa rude et froide main sur elle. Cet embonpoint qui devait la
rendre difforme commençait déjà à la marquer. « Elle était fort belle encore,
dit M. Cain, mais un terrible embonpoint l'avait envahie. Elle régnait de
toutes façons à la Porte-Saint-Martin et dirigeait à sa fantaisie le
spirituel directeur Harel. Le régisseur Moëssard[24] — qui obtint plus tard le prix
Monthyon — l'attendait à la sortie de sa loge et la précédait, marchant à
reculons, tout en frappant le plancher de son bâton d'avertisseur. Les bonnes
camarades assuraient que cet hommage exagéré avait une cause tout autre et
que le « vertueux Moëssard » tenait surtout à s'assurer que le parquet
n'allait pas s'effondrer sous le poids de l'opulente directrice[25]. » On peut
dire que Marie Tudor fut la dernière grande et éclatante création de George.
La légion sacrée du romantisme, qui l'avait applaudie deux fois en cette même
année 1833, ne devait plus, considérer en elle que l'actrice ayant mené les
deux pièces à la victoire. Grâce au reconnaissant et enthousiaste souvenir de
ces jeunes gens, sa chute ne devait point avoir la sinistre mélancolie de
celle où sombra Frédérick Lemaître, par exemple. Elle avait, en outre, à
leurs yeux, le prestige napoléonien. Cette femme témoignait de la grandeur de
l'épopée révolue. Sur ces lèvres l'Empereur avait baisé la Muse tragique
elle-même. Dans cette France, livrée aux cuistreries d'un Louis-Philippe,
elle demeurait debout comme une ruine antique, comme une colonne demeurée intacte
encore au portique d'un temple écroulé. Mais aujourd'hui que plus rien ne demeure d'elle que son nom dans l'innombrable écho des victoires passées, il faut saluer et aimer la pieuse pensée qui, dans le Musée Victor-Hugo, plaça au milieu des souvenirs du poète déifié, la couronne royale avec los fausses pierreries, que porta George «au soir de la bataille de Marie Tudor[26]. |
[1]
RICHARD LESCLIDE, vol. cit.,
p. 67.
[2]
RICHARD LESCLIDE, vol. cit.,
p. 64.
[3]
RICHARD LESCLIDE, vol. cit.,
p. 68.
[4]
Quand la direction Raphaël Félix reprit la pièce à la Porte-Saint-Martin, le 2
février 1870, les rôles étaient joués par : Mme Marie Laurent ; MM. Mélingue,
Taillade, Brésil, Ch. Lemaitre, Monval, Paul Clèves, Lenibar, Jouanni,
Latouche, Scipion, et Mlle Bonheur. — Le 26 février 1881, la Gaieté, sous la
direction Larochelle et Debruyère, remonta le drame avec, comme interprètes :
Mlle Favart ; MM. Dumaine, Volny, Clément-Just, Rosambeau, Fournier, Marcel
Robert, Vernon, Trousseau, Guimier, Jourdain, et Mlle Nancy Martel.
[5]
RICHARD LESCLIDE, vol. cit.,
pp. 194, 195.
[6]
Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Paris, 1862.
[7]
E. DE MIRECOURT, vol. cit.,
p. 77, note.
[8]
Lettre de George Sand à Victor Hugo, 2 février 1870 (reprise de Lucrèce
Borgia) ; Actes et Paroles : Pendant l'exil, 1862-1870 ; t. II, p.
'202.
[9]
E. DE MIRECOURT, vol. cit.,
p. 77, note.
[10]
E. DE MIRECOURT, vol. cit.,
p. 77, note.
[11]
VICTOR HUGO, Notes de la
première édition de « Lucrèce Borgia ».
[12]
VICTOR HUGO, Notes de la
première édition de « Lucrèce Borgia ».
[13]
A propos des représentations de Lucrèce Borgia, RICHARD LESCLIDE, vol. cit., pp. 213. 214,
conte cette amusante anecdote : « Victor Hugo parle toujours avec admiration de
Frederick Lemaitre, qu'il regarde comme le plus grand acteur des temps
modernes. L'artiste lui témoignait beaucoup de respect et de soumission. Mais
il avait quelquefois des lubies. Ainsi, il prenait un plaisir singulier, au
dernier acte de Lucrèce Borgia, au souper funèbre du dénouement, à émietter du
pain sur les épaules d'une des dames admises à la table de la princesse
Negroni. Cela agaçait l'actrice qui l'avait plusieurs fois prié de la laisser
tranquille. Par un caprice au moins bizarre, Frederick persistait dans cet
amusement. Cela se prolongea si bien que la pauvre fille, nerveuse et
larmoyante, alla se plaindre à Victor Hugo des façons de Gemaro. Elle lui fit
partager son mécontentement.
— Monsieur Frederick, dit le poète à son comédien,
croyez-vous qu'en jouant Harald Shakespeare tourmentât ses acteurs et s'occupât
d'autre chose que de son rôle ?
— Vous avez raison, dit Frederick, et je vous réponds
que la chose ne m'arrivera plus.
Cette indulgente réprimande, faite d'une voix grave,
avait fait monter les larmes aux yeux du grand artiste. »
[14]
La direction Ritt et Larochelle reprit au même théâtre, le 27 septembre 1873,
la pièce, avec cette interprétation : Mmes Marie Laurent et Dica Petit ; MM.
Dumaine, Reynier, Taillade, Mangin, Frederick Lemaitre, Laray, Perrier, Renot,
Machanette, Bouyer et Néraut.
[15]
Le Constitutionnel, n° du 11 novembre 1833.
[16]
La Gazette de France, n° du 10 novembre 1833.
[17]
« Mlle George elle-même ne fut pas ménagée ; son imprécation contre Londres fut
bourrasquée ; la grande scène finale entre les deux femmes fut sifflée d'un
bout à l'autre. » Victor Hugo raconté par un témoin... déjà cité.
[18]
Le Constitutionnel, n° du 11 novembre 1833.
[19]
Le Constitutionnel, n° du 11 novembre 1833.
[20]
VICTOR HUGO, Notes de la
première édition de « Marie Tudor ».
[21]
La Revue de Paris s'empara de la note pour la railler non sans esprit :
« La pièce a d'ailleurs gagné A un changement d'actrice. Celle qui remplissait
le rôle de Jane l'a cédé, ce qui l'a beaucoup indisposée, dit-on, à Mlle Ida,
dont le talent à la fois énergique et gracieux, rendrait Roméo lui-même
infidèle à Juliette. » Revue de Paris, t. LVI, p. 204.
[22]
VICTOR HUGO, Notes de la
première édition de « Marie Tudor ».
[23]
VICTOR HUGO, Notes de la
première édition de « Marie Tudor ».
[24]
« Moëssard qui avait fait naguère partie de la troupe de Murat à Naples. » PAUL GINISTY, art. cit.,
p. 34.
[25]
G. CAIN, vol.
cit., pp. 203, 204.
[26]
La couronne de Marie-Tudor, faisant partie de la vente Tom Haret, fut
achetée 82 francs par le conservateur du Musée Victor-Hugo. Un conseiller
municipal de 13ayeux acheta, pour l'offrir au musée de celte ville, la couronne
de Sémiramis (40 francs). Celles de Mérope (30 francs), de la Tour de Nesle (85
francs) et de Rodogune (100 francs), portée par George à sa dernière
représentation à bénéfice donnée à la Comédie-Française, en 1853, furent
acquises pour le Musée de la Comédie-Française où elles se trouvent,
actuellement. Le lot de ces couronnes était inscrit au n° 71, p. 9, du Catalogue.