Comme
un dieu tonnant, enveloppe du tourbillon des grands cris tragiques, des
haines, des majestés, des violences, Talma domine le théâtre du Consulat.
C'est lui qui, au lendemain de la scission des Comédiens Français de la rue
de Richelieu, en 1791, a reconstitué le théâtre avec ses camarades Dugazon,
Grandmesnil, Vestris, Desgarcins, Candeille et Lange. Grâce à lui une scène a
été conservée à la tragédie civique pour l'enseignement du peuple. La gloire
contemporaine de M. de Max ou de M. Mounet-Sully, est assez comparable à
celle qui sacra Talma dès les premiers jours de la Révolution. Certes, au
début, il avait déconcerté les amateurs et la critique, dédaignant toute
tradition, négligeant toute convention, faisant à sa guise, évoquant les
héros à sa manière. « Il faisait comme il l'entendait, et il entendait tout
avec génie, » dit George. C'était bien l'acteur représentatif de son
époque, celui dont Chateaubriand pouvait écrire « Qu'était-il donc Talma ?
Lui, son siècle et le temps antique[1]. » Jamais Oreste, Achille, les
rois, les héros et les dieux, n'avaient été évoqués avec un plus saisissant
réalisme, avec une puissance plus surprenante. Hamlet et Othello annonçaient
par lui le Romantisme. Le voyant dans Iphigénie en Tauride, George
s'écrie : Voilà
de la belle tragédie que d'émotions quelle figure, mon Dieu quelle fatalité
sur cette tête, quel talent qui vient vous remuer dans les entrailles, que de
terreurs, que de véritables larmes mélancoliques et déchirantes Toute cette
figure se décompose, toutes les libres tremblent. Il pâlit, et c'est une
pâleur livide et suante. Où va-t-il chercher ses effets terribles ? C'est du
génie, et c'est vrai On voit Oreste, on s'identifie avec lui, on éprouve tout
ce qu'il éprouve. Ah ce n'est pas de la diction. est-ce que la passion peut
avoir de la diction ? est-ce que les hallucinations d'Oreste peuvent avoir de
la diction ? Non. Talma, c'est le sublime. C'est toutes les passions
poétiques et humaines incarnées dans cet homme[2]. Ah !
Talma, si tu pouvais sortir de ton linceul, on viendrait des quatre coins du
monde pour t'entendre, même de l'Amérique où l'on n'aime pas, dit-on, la
tragédie. Pauvre tragédie, ou es-tu ? Qu'es-tu devenue ? Il parlait la
tragédie, lui il ne causait pas, ce qui est bien différent. Ce n'était pas du
Marivaux, c'était bien Corneille, Racine. Je sortis malade après cette ineffable
soirée. Ce
témoignage nous est donné par une femme qui, sortant du théâtre après la
comédie, dit « J'étais en sortant de cette soirée folle de la comédie. La
tragédie ah ! j'en voulais peu, je vous proteste ! » George,
on l'a vu, comme la plupart des contemporains, fut frappée par cette
puissance tragique. « Quelle fatalité sur cette tête » s'écrie-t-elle.
Un vieillard qui connut Talma a dit à M. Mounet-Sully : « Tous les nuages de
la fatalité étaient sur son front ![3] » Mme de Staël donne ce
témoignage : « La terreur saisissait à deux pas de lui[4]. » On peut
dire de Talma que ce fut l'acteur héroïque par excellence. La vérité qu'il
mit dans ses costumes, ses attitudes qui rappelaient les belles statues de
l'antiquité[5], le réalisme enfin de ses
évocations, tout cela collabora à la puissance des spectacles. Désormais,
avec lui, la tragédie devenait un enseignement civique auquel Napoléon allait
convier sa cour et ses guerriers. En Talma, il reconnaissait le plus puissant
professeur d'héroïsme, et de là, sans doute, vint cette amitié entre les deux
hommes. Sur ces lauriers, si noblement cueillis, le tragédien se reposait
quand Lafon débuta. Le succès de « l'Orosmane du Midi fut à ce point éclatant
que Talma s'en inquiéta. — Je ne
suis pas fâché, mon cher, lui dit le Premier Consul, des petits ennuis que
vous cause le beau Lafon. C'est un stimulant dont vous aviez z besoin. Vous
dormiez, il va vous réveiller[6]. Il
s'était réveillé, et magnifiquement. Colonne et soutien du Théâtre-Français
de Ia République[7], il était le véritable chef de
cette troupe illustre où Fleury, Vanhove, Saint-Phal, Saint-Prix et Molé
reculaient vers le passé, tandis qu'il marchait vers l'avenir. C'est autour
de lui que gravitaient ces comédiennes et ces tragédiennes avec lesquelles
George allait avoir à se mesurer. Parmi ces dernières, la plus redoutable
était Marie-Anne-Florence Bernardy Nones, dite Fleury. Sociétaire depuis onze
ans, elle remplaçait souvent Raucourt dans ses principaux rôles, sans
toutefois atteindre à la puissance de son jeu. Les portraits qui sont demeurés
d'elle sont loin d'être flatteurs. Maigre, sèche, jalouse, elle était la plus
mauvaise langue du théâtre. Quoique acharnée à se perfectionner, elle ne put
jamais égaler Raucourt et l'entrée de' George à la Comédie fut le signal
définitif de sa décadence. Elle se retira cinq ans plus tard[8]. C'était la seule, avec
Duchesnois, sur laquelle nous reviendrons, que le répertoire tragique pouvait
donner comme rivale à l'élève de Raucourt. Des autres actrices elle avait peu
à craindre, leur emploi différant essentiellement de celui qu'elle devait occuper. Mlle
Vanhove, la seconde femme de Talma[9], ne fit jamais grand effet dans
la tragédie, « le drame convenant mieux à son talent mélancolique[10] ». Iphigénie et Zaïre furent
pourtant parmi les rôles qu'elle joua avec succès et un poète de l'époque
crut pouvoir la comparer, en un mauvais quatrain, à la Champmeslé et à
Gaussin[11] : Des
talens de la science, autrefois si vantés, Nous
admirons en vous la gloire héréditaire La
nature est votre art et vous ressuscitez Champmelé
pour Racine, et Gaussin pour Voltaire[12]. Quant
au reste, avec une voix touchante et monotone, dit George, elle était jolie,
fraîche et agréable. En charmes, Thérèse-Étiennette Bourgoin, les pouvait
disputer à Charlotte Vanhove. « Sa tête ronde, son air ingénu, son sourire
malin, ses beaux yeux clairs et qu'on eût dit chastes, son verbe haut, ses
plaisanteries épicées, )) telle la décrit M. Frédéric Masson[13]. Et c'est vrai. Qu'on regarde
ce portrait que nous possédons d'elle, c'est tout cela, et plus encore. C'est
sur les planches de la Gaieté, et en qualité de danseuse qu'elle avait débuté
: ses pirouettes et ses jetés-battus la menèrent à la Comédie-Française. Ses
belles relations, puissantes et efficaces, y étaient pour beaucoup. Le
ministre Chaptal « s'affichait avec la demoiselle, mettait les journaux
à ses ordres, et se donnait en spectacle à Paris[14] ». Véron a raconté les
origines de cette liaison d'une manière piquante : « Dans
sa jeunesse le baron Capelle était simple employé au ministère de
l'Intérieur, sous le comte Chaptal. Il rencontra, un jour, dans l'antichambre
du chef de bureau des théâtres, une jeune personne, dont les beaux yeux
étaient mouillés de larmes, et dont les vêtements avaient subi un certain
désordre. Il s'approche, il s'enquiert, et reconnaît Mlle Bourgoin. Elle
venait de débuter au Théâtre-Français[15]. — Que
vous est-il arrivé ? — Je
sors du bureau de M. Esménard[16], qui vient de se conduire
envers moi avec la plus effrayante brutalité. A
mesure qu'elle racontait, ses larmes cessaient de couler, et elle regardait
avec émotion son inattendu protecteur. — Encore,
ajoutait-elle d'une voix douce, si cet Esménard était moins laid ! Le
jeune Capelle raconta l'anecdote au comte Chaptal, et le ministre de
l'Intérieur se laissa entraîner à faire de la science et de la chimie pendant
plusieurs années avec cette séduisante actrice. En peu de temps, elle devint sociétaire[17]. » Elle ne
le devint, en réalité, que trois ans plus tard, en mars 1802. Mais si le
prologue de l'aventure est amusant, l'épilogue ne l'est pas moins. Soit
caprice amoureux, soit désir de ramener le vieux Chaptal à une plus saine
conception de sa dignité ministérielle, Napoléon se chargea de mettre fin à
la liaison. Un soir, tandis qu'il travaillait avec Chaptal, on annonça Mlle
Bourgoin, Mieux que personne Chaptal savait ce que pareille annonce, à cette
heure de la nuit, pouvait signifier. Il prit son portefeuille, quitta la
place et envoya sa démission. Le lendemain, Lucien Bonaparte était ministre
de l'Intérieur. En
réalité, Napoléon n'usa point de la complaisance de celle qui appelait
Chaptal « papa clystère[18] ». On peut donc croire que ce
fut une façon ironique et cavalière de demander au ministre sa démission.
L'autre fut pipé au jeu et l'empereur eut en Mlle Bourgoin, la plus
rancunière, la plus vindicative et la plus jolie de ses ennemies. Comme
elle prétendait mener de front la comédie et la tragédie, jouer Iphigénie
et les Femmes savantes, elle fournit aux poètes et aux rimailleurs du
temps le sujet de faciles antithèses. Le plus curieux et le plus déplorable
des exemples qu'on en peut citer, est celui de cet Armand Ragueneau, qui
opéra en son honneur, dans l'Annuaire dramatique de 1807 : Ces
vers prouveront moins mon talent que mon zèle, disait-il
avec raison, et il continuait ; Et
tu mérites mieux. Mais quelle Déité Ici-bas
eut jamais hommage digne d'elle Dans
plus d'un chef-d'œuvre vanté, Du
vrai beau vainement je cherche le modèle ; Rien
n'est parfait hors ta beauté Pardonne
donc si ma lyre rebelle Mêle
de durs accords aux durs sons de ma voix, Lorsque
l'art impuissant célèbre une immortelle, Et
qu'en toi seule j'en vois trois Oui,
trois... deux Muses, une grâce. D'abord
c'est Melpomène en pleurs, A
l'aspect d'un poignard sa bouche qui se glace, Exhale
en longs soupirs de plaintives douleurs. Mais
pour nous séduire et nous plaire, Exciter
la gaieté ; subjuguer tous les cœurs C'est
Thalie au Parnasse, Euphrosine à Cythère[19]. Ce
n'était donc point cette jolie fille rieuse, sensuelle, évaporée et grivoise[20], qui, jusqu'à sa mort[21], demeura l'amie de George et
qu'elle rejoignit en Russie, qui pouvait constituer une dangereuse rivale
pour elle. Ce
n'était point davantage Mlle Mars, sociétaire depuis 1799, l'incarnation la
plus radieuse de la Comédie, et que George salue en des lignes enflammées : « Ah !
Mademoiselle Mars comme je vous sentis tout de suite ! Quelle ingénuité
Que je fus émue Qu'elle me parut ravissante Des yeux si expressifs, si
veloutés, le sourire envahissant, cette vraie ingénuité qui ne baissait pas
les yeux, qui ne faisait pas la modeste, elle ne comprenait pas Cette salle
tout entière attaché : sur elle, ces rires qu'elle excitait par cette naïveté
honnête et séduisante. Ah ma chère Mars, jamais on n'atteindra cette
perfection, vous en avez emporté le secret dans la tombe[22], elle restera bien scellée,
vous avez eu vos détracteurs, admirable actrice, mais en quittant cette
'terre vous avez dû dire « Cherchez, vous ne trouverez pas. » Et Mite
Mars laissait loin derrière elle Mlles Volnais et Devienne. La première était
une ingénue larmoyante[23], « jolie personne, des yeux
noirs magnifiques, un peu courte de sa personne, une tournure un peu empâtée,
mais sa tête était théâtrale ». C'est là l'avis de George. Le critique
Geoffroy traduisait plus brièvement ses sentiments « Bouquet prêt à s'épanouir
» s'écrie-t-il. Au surplus, elle avait à l'époque des débuts de George, seize
ans. De ses origines modestes (son père était danseur de corde), elle
conservait une sorte de timidité naturelle. A la veille de ses débuts, dans
un souper galant, l'acteur Dazincourt lui avait donné ce nom de Volnais
qu'elle devait illustrer. Aussi
simple, aussi timide, était Jeanne-Françoise-Sophie Thévenin, dite Devienne. Devienne
qui fait disparaître L'art
qu'elle cache sous des fleurs ! s'exclame
un poète admirateur. Elle excellait dans les soubrettes, et ce n'était point
cet emploi-là qui pouvait porter ombrage à George. Aussi la loue-t-elle sans
réserve, presque à l'égal de Mlle Mars : Mlle
Devienne, femme de chambre véritablement ; cette chatte si maligne, si
familière avec sa maîtresse, mais toujours parfumée et mesurée la mise
d'alors était très charmante et très simple et coquette pour les soubrettes
toujours de jolis bonnets jamais en cheveux, des manches longues, à coude, la
poitrine couverte de mouchoirs garnis et qui laissaient deviner tout, mais
qu'on ne voyait pas, ce qui ne manquait pas de charme, de charmants tabliers
garnis toujours des gants tout cet ensemble était fort élégant, je vous
assure. Aussi
ne manquait-elle pas d'adorateurs. Parmi eux, au premier rang, avait brillé
pendant la Terreur, ce Beffroy de Reigny, que Nicomède dans la lune ou la
Révolution Pacifique, avait rendu célèbre, en 1790, sous le pseudonyme de
Cousin Jacques. Son admiration et sa tendresse pour Mlle Devienne s'étaient
exprimées d'une manière pour le moins plaisante. Sur un imprimé de certificat
de secours, il lui avait décerné un amoureux brevet où 'la galanterie cédait
aimablement le pas à la politique ! « Nous,
Membres du Comité civil de la section du(l)[24] Mail certifions que la
citoyenne Jeanne Françoise Thévenin, dite Devienne, actrice du Théâtre-Français,
réfugiée de Cythère, district des Grâces, Département
des plaisirs est domiciliée à l'arrondissement de la section du cœur
du Cousin Jacques, qui l'aime à la folie, et que, par ces motifs, il a
droit aux secours décrétés par l'article 3129 de la Loi du 27 Vendémiaire
troisième année de l. République cythérienne, en vertu de laquelle loi
toute réfugiée doit paiés (sic) tribut à celui qui la reçoit. Fait
au Comité Civil
des amours à Paris, le 25 nivôse an IV. » Tels
étaient les compliments dont les poètes régalaient à cette époque heureuse
les comédiennes qui les écoutaient. C'étaient
là encore les temps où brillaient les derniers feux de Louise Contat. Nulle
carrière dramatique fut plus heureuse, nulle carrière amoureuse plus
mouvementée. Le comte d'Artois, au témoignage de Montgaillard[25], fut longtemps le plus heureux
et le plus exploité de ses favoris. A l'appui de ses dires, il cite cette
libertine et scandaleuse anecdote « Le
comte d'Artois arrive un soir chez Mlle Contat, haletant de désirs, et veut
jouir à l'instant de ses droits « C'est impossible, lui dit la double sirène,
il y a des obstacles dérimants, et Votre Altesse ne me touchera point
aujourd'hui. » Aussitôt les larmes de couler, et le désespoir de Mlle
Contat d'éclater en sanglots. « Qu'est-ce donc, cher ange, qu'avez-vous, et
quel malheur est arrivé ? Calmez-vous, je vous en conjure vos peines sont les
miennes, il n'est rien au monde que je ne fasse pour votre bonheur. mais
aussi, pourquoi vous opposer à mes empressements, lors que votre tendresse
pour moi les cause et les excuse )) et en disant ces mots, le petit-fils de
Henri IV redoublait d'efforts pour vaincre la résistance qu'on lui opposait.
Enfin, après quelques minutes d'une attaque et d'une défense également vives,
Mlle Contat relève ses cotillons et dit au prince avec l'accent le plus
théâtral ; « Voilà, monseigneur, l'état nu me réduisent mes créanciers
délivrez les prisonniers, qu'ils soient satisfaits, et la place est toute aux
amours. » S. A. R. s'arme de ciseaux et fait tomber la fine enveloppe qui
ferme le tendre asile des plaisirs, des bordereaux s'en échappent et tombent
sur le tapis, le comte y jette les yeux et s'écrie « Quoi, ce n'est que cela
? Soyez tranquille, demain toutes vos inquiétudes auront cessé. » « Il y
avait 80.000 francs de dettes sur les bordereaux enfermés dans ce secrétaire
d'une nouvelle espèce, et pour les faire payer, la Contat s'était avisée d'un
expédient qu'elle jugeait infaillible. Il ne fut plus question que des
amours, tant le prince avait promis de les mettre à l'abri des créanciers
effectivement, il envoya dans les vingt-quatre heures, à l'inimitable, à la
fine courtisane. un arrêt de surséance dans la meilleure forme possible. Le
fait est à citer, car le comte d'Artois n'était pas généreux, il donnait par
accès et par petites sommes, quoique d'une prodigalité inouïe à certains
égards[26]. » Parmi
les autres amants de la créatrice du Mariage de Figaro, Montgaillard
cite le duc de L***, le vicomte Louis de Narb*** et le chevalier de Bar***. Il
omet de joindre à la liste René-Auguste-Augustin, marquis de Maupeou, dont
elle eut un fils, tout comme elle en eut trois enfants de ses autres amants[27]. La Révolution la priva de ceux
dont elle aimait les manières aristocratiques, et comme ses mœurs ses amours
s'encanaillèrent. Au comte d'Artois succéda le boucher Legendre, ce cordelier
fougueux, démagogue de la rue et du club, qui cacha l'Ami du Peuple, traqué
par le Châtelet de Paris, dans sa cave. Au prince et au boucher avaient
succédé de moins fameux amants, mais quand George la vit, elle était demeurée
cependant « cette grande dame de la cour » et elle lui trouvait, ce qui était
alors le secret de sa vogue : « cette magnifique insolence, ces grandes
manières, 'ce ton leste, cette aisance sans façon, ce laisser-aller sans
minauderie, cette comédie si spirituelle, le sourire enchanteur, cette gaieté
franche du grand monde[28]. » Sept ans après les débuts de
George, elle quittait la Comédie-Française, pour épouser, le 26 janvier 1809,
Paul-Marie Claude de Forges Parny, qui, à son titre de ci-devant capitaine de
cavalerie, alliait celui de frère du poète Parny. Elle devait peu de temps
jouir de sa retraite. En 1813, le 9 mars, elle mourait au n° 56 de la rue de
Provence, d'une mort affreuse pour cette coquette de haut ton, rongée,
dévorée par un effroyable cancer. Telle était la troupe féminine de la Comédie-Française à la veille des débuts de George. Est-ce à dire que rien ne venait déparer cette admirable compagnie ? « Il y avait des acteurs bien ridicules, » dit George. Et elle les cite. A quoi bon répéter ici leurs noms ? Il s'agit simplement de voir avec quelles qualités allaient avoir à lutter les qualités de George. A bien considérer, dans cette troupe pauvre en tragédiennes, pas de tragédienne à redouter, si ce n'est celle qui, en amour comme au théâtre, allait demeurer la rivale de George et que George, dès qu'elle apparut, ne vainquit peut-être pas, mais qu'elle fit reculer, et qui recula vers l'oubli où gît aujourd'hui sa vaine mémoire. |
[1]
CHATEAUBRIAND, Mémoires
d'outre-tombe.
[2]
Lors de la vente de George, en 1903, on mit aux enchères un sachet contenant
des cheveux de Talma, accompagné d'une note autographe de la tragédienne : «
Talma ne fut point un acteur, il fut un poète. » Autographe et cheveux furent
vendus 23 francs. Ils étaient portés sous le n° 92 au Catalogue, p. 11.
[3]
MOUNET-SULLY, Talma et le
théâtre au temps de l'Empire ; Conférence prononcée à la Société des
Conférences, le vendredi 21 février 1908 ; Revue Hebdomadaire, n° 10, 7
mars 1908, p. 100.
[4]
MME DE STAËL, De
l'Allemagne.
[5]
MME DE STAËL, De
l'Allemagne.
[6]
« C'est Talma qui m'a raconté cette anecdote. » Manuscrit de Mile George.
[7]
C'est le titre que conserva la Comédie, de ]799 à 1804, après avoir pris
successivement ceux de Théâtre-Français de la rue de Richelieu, Théâtre de la
Liberté et de l'Égalité, et Théâtre de la République, de 1792 à 1798.
[8]
George qui la vit jouer dans Andromaque, dit d'elle ; « Mlle Fleury dans
Hermione. Physique ingrat, pas de moyens, mauvaise tenue, quelque chose de
pauvre dans toute sa personne, mais une voix agréable, beaucoup de cœur et de
chaleur, disant admirablement bien ; avec toutes ses qualités elle avait plus a
lutter qu'aucune autre la première apparition lui était défavorable ; mais, à
mesure qu'elle parlait, on ne pouvait rester froid ; elle entrainait, elle ne
larmoyait pas, elle pleurait bien. Hermione ne s'harmonisait pas avec ces
qualités. Elle pouvait être victime, mais ne pas en faire. »
[9]
Femme divorcée du musicien Petit, dont elle se sépara Je 26 août 1791,
Charlotte Vanhove épousa le 16 juin 1802, à la mairie du Xe arrondissement,
Talma, divorce lui aussi avec Louise-Julie Careau. Charlotte avait alors trente
et un ans, étant née à La Haye le 10 septembre 1771. Son père était
Chartes-Joseph Vanhove, sociétaire de la Comédie. Elle mourut, mariée en
troisièmes noces au comte de Châlot, le 11 avril 1860, et fut inhumée au
cimetière du Montparnasse.
[10]
Manuscrit de Mlle George.
[11]
C'est de Gaussin qu'un critique écrivait : « Peu d'intelligence, peu d'art,
mais une voix et une figure célestes. Le parterre était plein de ses amants. »
GEOFFROY, Cours de littérature. Parmi ses amants était Bouret, ce fameux
fermier général, qui se ruina splendidement et mourut d'une façon mystérieuse
le 10 avril 1777.
[12]
Monument littéraire ou Étrennes d'Apollon, recueil de productions en vers ;
faisant suite aux Étrennes d'Apollon, qu'a rédigées pendant vingt ans Daquin de
Château-Lion, par C. J. B. Lucas-Rochemont, membre de la société libre des
Belles-Lettres de Paris. A Paris, de l'Imprimerie de Suret, rue Hyacinthe,
n° 522 ; an IX, 1801, p. 137.
[13]
FRÉDÉRIC MASSON, Napoléon et
les Femmes (l'Amour). Paris, 1897, p. 132.
[14]
FRÉDÉRIC MASSON, Napoléon et
les Femmes (l'Amour). Paris, 1897, p. 132.
[15]
Thérèse Bourgoin débuta le 13 septembre 1799. C'est la date que donne M. GEORGES MONVAL, dans sa Liste
alphabétique des sociétaires, p. 14.
[16]
L'auteur du Poème de la Navigation.
[17]
VÉRON, Mémoires
d'un bourgeois de Paris, t. I, p. 129.
[18]
BARRAS, ouvr.
cit., t. III, p. 175.
[19]
Annuaire dramatique ou Étrennes théâtrales, 3e année, contenant l'indication
des diverses agences des spectacles pour tous les théâtres de la France et de
l'étranger ; les noms et demeures de tous les directeurs, acteurs, danseurs,
musiciens et employés quelconques de tous les théâtres de Paris ; les
répertoires de tous les théâtres ; la date de la représentation de toutes les
pièces restées au répertoire des principaux, et leur travail pendant l’année
1806 ; les noms des auteurs de toutes les pièces, morts ou vivants, les noms et
résidences des Correspondants des deux agences de Paris chargées de percevoir
les droits des auteurs dans les villes de France. Avec le portrait de Mlle
Bourgoin, qui n’avait jamais été publié. Ouvrage dédié et présenté à elle par
les éditeurs ; 3e année, à Paris, chez Mme Cavanagh, libraire, passage des
Panoramas, n° 6, 1807. Sur cet annuaire (p. 78), Mlle Bourgoin est indiquée
comme habitant rue de Belle-Chasse, n° 22.
[20]
« ... Célèbre par ses bons mots grivois, un peu à la façon de Mlle Arnould. » TH. IUNG, Lucien
Bonaparte et ses Mémoires, t. II, p. 262.
[21]
Elle mourut à Paris le 11 août 1833, âgée de 52 ans, et fut inhumée au
cimetière du Père-La-Chaise.
[22]
Retraitée le 31 mars 1841, Anne-Françoise-Hippolyte Boutet, dite Mlle Mars
(cadette), mourut six ans plus tard, le 20 mars, au n° 13 de la rue Lavoisier.
Son tombeau est au Père-La-Chaise.
[23]
« Elle pleurait beaucoup ; à cette époque toutes nos premières étaient par trop
sensibles : c'était le désespoir de Talma, il avait bien raison. » Manuscrit de
Mlle George.
[24]
Les parties en italiques sont imprimées dans l'original. Cette pièce fut
publiée pour la première fois dans la Revue des documents historiques
d'Étienne Charavay. 2e série, t. I, 1879, pp. 98, 99. Nous en avons donné un
fac-simile dans notre ouvrage sur les Filles publiques sous la Terreur,
d'après les rapports de la police secrète, p. 256.
[25]
Souvenirs du comte de Montgaillard, agent de la diplomatie secrète pendant
la Révolution, l'Empire el la Restauration ; publiés d'après des documents
inédits par Clément de Lacroix. Paris, 1895, pp. 134, 135, 136.
[26]
C'est encore Montgaillard qui conte, en ces termes, la rupture de la comédienne
et du prince ; « Mlle Contat se dégoûtait visiblement de son royal amant,
lorsqu'il la surprit, au milieu d'une nuit qu'elle lui avait refusée, entre les
bras d'un de ses valets de pied. Vous n'êtes qu'une c....., dit le comte
d'Artois à la « mère des amours » (surnom dont il l'avait gratifiée) ; on doit
rougir de vous avoir connue ; toute liaison fut rompue et quant au valet de
pied, on n'entendit plus parler de lui dans le monde. Dix ans après son
invention de ses bordereaux d'en bas, Mlle Contat ne se pardonnait point encore
d'avoir été jouée de la sorte, mais cette aventure lui avait donné une prudence
dont rien au monde n'était capable de la faire dévier. » Vol. cit., p. 335.
[27]
Contat eut du comte d'Artois une fille, Amalric Contat, née à Paris en 1788,
croit-on. Elle débuta à la Comédie-Française le 4 février 1805, fut, la même
année, reçue sociétaire à quart de part, et, quitta le théâtre le 1er avril
180S, pour épouser M. J.-F. Abbema. Elle mourut très âgée, à Rimini, en Italie,
en 1865. Sa tante, Marie-Emilie Contat, sœur cadette de Louise, fit partie elle
aussi de la Comédie-Française où elle débuta le 5 octobre 1784. L'année
suivante, le 1er mars, elle fut reçue à l'essai et nommée sociétaire la même
année le 20 novembre. Elle quitta le théâtre le 1er avril 1815 pour se retirer
dans le Loiret, à Nogent-sur-Vernisson, où elle mourut le 26 avril 1846, âgée
de soixante-quinze ans.
[28]
Les Concourt écrivent d'elle, ce qui confirme le dire de George : « Œil qui
parte, regard qui mord, la voix séductrice, la dignité aimable, l'aisance, la
facilite du maintien, la science des riens, l'admirable convenance du ton, le
jeu parfait, l'habitude du salon, l'air et le geste, et le dire et le parfum de
la grande dame et ce sel et cet enjouement et ces changements, l’épigramme, le
papillotage, le sentiment ; une diction d'impromptu, et toute cette âme tirée
de l'esprit, et cet art enfin qui cache l'art Contat devenue belle et restée
jolie Contat que les années ont faite majestueuse et laissée charmante
l'héritière, )'exemple, le souvenir, le unique du goût, de la délicatesse, de
)a décence mondaine qui suivait tout l'ancien monde dans sa vie et le détail de
sa vie, dans la causerie et dans le salut, dans ta révérence et la comédie de
l'éventail. » Histoire de la société française sous le Directoire.