ENTRÉE DES VENDÉENS À ANCENIS

JUIN 1797

 

PAR BENJAMIN FILLON

FONTENAY - IMPRIMERIE DE ROBUCHON - 1847.

 

 

La prise de Saumur avait jeté l'épouvante dans tous les départements de l'Ouest, et l'on ne savait plus où s'arrêteraient les Vendéens, qui, de leur nouvelle conquête, menaçaient les villes du Centre et Paris même. Heureusement pour la République que des rivalités survenues entre les chefs entravèrent tout-à-coup le cours de leurs succès, et empêchèrent l'armée catholique de se diriger sur la capitale ; car il lui eût été difficile de résister dans un moment où les trahisons de la Gironde venaient de lui créer de nouveaux ennemis.

Le conseil de guerre, tenu le 12 juin, élut, comme on le sait, Cathelineau généralissime, et décida que l'armée se porterait sur Nantes. Le choix tout politique du premier héros de l'insurrection était une mesure propre à gagner la confiance des paysans ; mais il ne faut pas non plus se méprendre sur les motifs qui décidèrent les autres généraux. Jusque là d'Elbée avait eu la haute main dans les opérations, influence que ses collègues se montraient peu disposés à subir plus long-temps, et ce défaut d'ensemble amenait nécessairement la désorganisation. Le seul moyen de remédier à cet inconvénient était de nommer un général en chef dont tous les autres prendraient les ordres. Des intrigues sans nombre précédèrent cette élection, et enfin, faute de s'entendre, les nobles préférèrent donner leur voix à un homme du peuple qu'ils espéraient diriger à leur gré, que d'élever un des leurs. Aussi le titre de Cathelineau ne fut-il que fictif. Dans les rares pièces[1] émanées de lui, qui nous restent, il prend simplement la qualification de commandant[2], et son nom ne se trouve même pas au bas des actes importants sortis du conseil de l'armée jusqu'à sa mort. D'Elbée signe toujours le premier.

Les Vendéens continuèrent leur marche sur Angers, où ils entrèrent sans résistance. Là ils perdirent encore plusieurs jours à discuter, et se contentèrent d'envoyer de nombreuses patrouilles ouvrir la route de Nantes. Dès le lundi 17, des bandes envahirent Ancenis. C'est à cette date que nous commencerons notre récit.

Le 13, Canclaux fut appelé dans cette ville par le représentant Coustard, qui y était accouru pour empêcher la garnison d'évacuer la place. La terreur des habitants était à son comble, et déjà la panique générale s'emparait des soldats, lorsqu'ils reçurent, le 15, l'ordre de se replier sur le chef-lieu du département. Le général Gillibert, les bataillons d'Angoulême, de l'Orne, de la Mayenne et de Seine-et-Oise se retirèrent le 16, emmenant avec eux presque tous les membres des corps administratifs et un grand nombre de citoyens. On n'abandonna que quelques fourrages, des effets d'ambulance et trois pièces de quatre en fer sur une chaloupe canonnière qui, n'ayant pu descendre la Loire, fut brûlée sur le rivage[3]. Aussitôt après le départ des troupes, certains royalistes, jusque là cachés, parcoururent Ancenis et tâchèrent d'engager la population à proclamer Louis XVII, lui représentèrent qu'elle avait tout intérêt à se rallier à une cause qui allait, selon eux, bientôt dominer en France, et travaillèrent si bien les esprits qu'on se réunit sur la place des Halles, et de là dans l'église de Saint-Pierre, afin de délibérer sur les moyens de préserver la ville. Tout d'abord on nomma un comité composé des vingt citoyens dont les noms suivent : Luneau-Grafferie père, président, Bodinier, Pantin de La Guère, Moreau, Fleuriot-d'Omblepied, Huchet, de Rostaing, Bertrand, Brossaud de Juigné, F. Chéguillaume père, aîné, Santo-Domingue aîné, P. Thoinnet aîné, J.-B. Lefebvre, médecin, Lagrange, Robert, Leclerc, Durozier, Marin Chéguillaume, Despois, et Papin, secrétaire. La majorité était formée de partisans des Vendéens ou de gens tièdes disposés à adopter le parti du vainqueur. Un fait, bien simple en apparence, dévoile leur arrière-pensée : tous les procès-verbaux, rédigés par Papin, sont datés ainsi : Le ..... juin 1795 ; vient ensuite un espace laissé en blanc qui ne fut rempli qu'après la défaite de l'armée catholique devant Nantes, et où une autre main ajouta ces mots : L'an deuxième de la République. Exemple singulier d'adresse, ou tout au moins de politique, à l'usage des consciences faciles.

La nomination à peine terminée, des citoyens vinrent le prévenir que des bandes armées de gens de l'Anjou et de Varades suivaient la Loire et se dirigeaient vers la ville. Quelques membres allèrent aussitôt à leur rencontre, et les supplièrent de les traiter en amis et de ne se livrer à aucun acte de désordre. Le chef Blondin d'Esigny fils[4] leur promit en effet de respecter les personnes et les propriétés, et se contenta de faire enlever de vieux fusils et une cloche de dix-huit livres déposés aux Cordeliers, de faire abattre, sur la place Saint-Pierre, les arbres de la liberté et de la fraternité, et d'abandonner à ses soldats une barrique de vin, qui fut portée au château. Les insurgés étaient alors 1.200, et de l'autre côté du fleuve on voyait une troupe de 900 hommes prête à le traverser au moindre signal. On assurait également que, le jour précédent, le commandant de Varades avait empêché 1.500 individus de la paroisse de Nort d'aller attaquer Ancenis.

Du 18 au 21, des patrouilles traversèrent plusieurs fois la ville, sans s'y arrêter. Le 22, un courrier apporta au conseil provisoire des exemplaires de l'arrêté pris la veille à Angers, et une lettre des chefs de l'armée catholique. Voici ces deux pièces[5] :

DE PAR LE ROI, MONSIEUR, régent du royaume, et MM. les généraux des armées catholiques et royales.

Il est très-expressément enjoint et ordonné à tout particulier, de quelque, état et condition qu'il soit, de ne reconnaître d'autre autorité que celle de Sa Majesté Très-Chrétienne Louis XVII, roi de France et de Navarre, et de n'obéir qu'aux seules réquisitions émanées de ses officiers, sous peine d'être considéré et traité comme criminel de lèse-majesté.

Fait au quartier général, à Angers, le 21 juin 1793, l'an premier du règne de Louis XVII.

Signé: D'Elbée, chevalier d'Autichamp, chevalier de Fleuriot, de Boissy, Stofflet, Dehargues, Defesque, chevalier de Fesque.

Par Messieurs du conseil de guerre :

Biret, secrétaire.

A Angers, de l'imprimerie de Pavie, 1793[6].

 

DE PAR LE ROY et de MONSIEUR, régent du royaume, et de MM. les généraux des armées catholiques et royales.

Il est enjoint au conseil provisoire d'Ancenis :

1° De faire cuire sur-le-champ, et autant qu'il sera possible, du pain pour l'approvisionnement de l'armée, et de pourvoir à tout ce qui sera nécessaire pour le logement d'environ quarante mille hommes.

2° Prendre des précautions convenables pour la conservation des effets séquestrés, et de s'entendre pour le transport des effets et approvisionnements ci-devant nationaux avec M. Rigault, qui en a reçu l'ordre.

Fait au quartier général d'Angers, ce 22 juin 1793, l'an 1er du règne de Louis XVII.

Signé : D'Elbée, cher de Fleuriot, de Boissy, de Fesque.

 

Cette lettre fait connaitre le chiffre, resté incertain jusqu'à aujourd'hui, des Vendéens qui marchaient sur Nantes.

Le 24 et le 25, les troupes arrivèrent à Ancenis, et, le 26, d'Elbée fit le recensement des forces dont il pouvait disposer. Ce même jour il écrivit au comité :

A Ancenis, le 26 juin 1793.

Messieurs du conseil provisoire feront distribuër à l'armée catholique roïaliste le via appartenant à la nation, et, en cas d'insuffisance, à en achetter chés un particulier au quel je signerai un bon; observant dans la distribution de ne donner qu'une bouteille par homme.

Signé : D'Elbée.

 

DE PAR LE ROI et MONSIEUR, régent du royaume.

Nous, commandants des armées catholiques et royales, ordonnons aux habitants de la ville de faire la déclaration de leurs armes de quelque espèce que ce soit, et de les apporter à la chambre du conseil, s'ils ne veulent s'exposer à une visite très-exacte, après laquelle, si on en découvre quelqu'une chez eux, on s'emparera de leurs personnes, et ils seront conduits à la tête de l'armée[7].

A Ancenis, 26 juin 1793.

Signé : D'Elbée, Donnissan.

 

La ville fournit, du 17 au 27, 37.989 livres de farine, savoir : 25.000 jusqu'au 25, et 12.989, le 26. Le jour du départ des Vendéens, le conseil demanda aux généraux, d'après la promesse de Duhoux-d'Hauterive et de Donnissan, d'être remboursé de ses frais, et La Bouère, d'Aumaillé et le chevalier de Martel, commissaires aux vivres, présentèrent à d'Elbée un état qui fut approuvé.

Le 28, l'arrière-garde défila en chantant des cantiques, et alla rejoindre l'armée catholique rendue à Oudon de la veille. Le 29, Nantes était attaqué. Tout le monde connaît l'issue de cette entreprise, qui tua irrévocablement la contre-révolution royaliste. Dès le 30, une grande partie des Vendéens, sous les ordres de d'Autichamp[8], rentra dans Ancenis, précédée d'un brancard sur lequel gisait Cathelineau, blessé mortellement au moment où il croyait la ville prise[9]. La perte de cet homme extraordinaire, type admirable de courage et de vertus chrétiennes, remplissait de douleur ces masses fanatisées qui avaient une foi aveugle en lui, et qui étaient persuadées que sa mort entraînerait la ruine de toutes leurs espérances.

Le drapeau blanc flotta encore quelques jours à Ancenis, et le conseil provisoire continua à agir au nom de S. M. Louis XVII. Le 4 juillet, il fit conduire à Chantoceau des bateaux, d'après la réquisition suivante de Bonchamps :

DE PAR LE ROY et de MM. les comandans de l'armée catolique et royale.

Il est ordoné au conseil provisoire d'Ancenis de faire besser à Chantoceau de suite tous les grans bateaux qui sont à la rade de cette ville, chargé ou non chargé.

A Saint-Florant, le 4 juillet 1793.

Signé : De Bonchamps.

 

Mais les républicains avançaient, et les choses allaient changer de face. Peu rassurés sur leur position vis-à-vis des autorités constituées, les citoyens Moreau, Santo-Domingue, Thoinnet et de Rostaing, membres du conseil, se sauvèrent, et le dernier devint un des chefs des insurgés. Leurs collègues s'empressèrent d'adresser une justification aux administrateurs du département, et, cette fois, datèrent franchement leur lettre du 7 juillet 1795, l'an II de la République française. Cette précaution ne put néanmoins les sauver de quelques poursuites. Le lendemain, les représentants du peuple Merlin (de Douai) et Gillet, les généraux Canclaux et Desdorides, et le commissaire des guerres Petiet, les firent comparaître devant eux, leur firent rendre compte de leur conduite, et les placèrent sous la garde de Blaust, capitaine de grenadiers au 109e de ligne, et commandant de la place. Conduits à Nantes, ils furent traduits, le 25, devant le tribunal criminel, qui les renvoya absous. Le citoyen Lefebvre fut jugé le 1er août, et fut aussi heureux que ses complices.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] On ne connaît que deux pièces de Cathelineau signées de lui depuis sa nomination.

[2] Tous les chefs prenaient au commencement de l'insurrection le titre de commandant.

[3] Lettre de Canclaux au ministre. (V. Savary, T. 1, p. 296).

[4] Il était fils de Gabriel-Isidore-Blondin d'Esigny, ancien gendarme du roi, retiré du service en 1787, demeurant au château de la Varanne, paroisse de Mésangé, chef du Loroul. Après la destruction de l'armée vendéenne, avec laquelle il avait passé la Loire, il rentra chez lui. Il fut arrêté le 26 frimaire, conduit à Nantes, et fusillé.

[5] Tous les documents contenus dans cet article sont textuellement reproduits d'après les originaux.

[6] L'original est sur une feuille de papier gris in-f°. Pavie tut poursuivi pour avoir imprimé cette pièce.

[7] Les malheureux qui étaient conduits à la tête de l'armée devaient marcher les premiers au combat, et étaient nécessairement tués par les républicains. Ce genre de supplice fut très-souvent employé par les chefs royalistes, par exemple à la première attaque de Montaigu.

[8] D'Autichamp donna ce jour là l'ordre suivant : Il faut que messieurs du comité fasse transporté une barique de vin dans l'endroit où est la charoier (sic).

A Ancenis, ce 30 juin 1793, 1er du règne de Louis XVII.

Signé : Le Cher d'Autichamp.

[9] Cathelineau, à la tête des gens de son pays, venait de faire une trouée au milieu des républicains jusqu'à la place Viarmes. Persuadé que la ville était prise, il ôte son chapeau, se met à genoux, et, tirant du chapelet, se prépare à remercier Dieu de la victoire. Il fut blessé dans ce moment par un cordonnier.