LA VIE ET LA MORT DE CLÉOPÂTRE

 

IX. — ACTIUM.

 

 

Ainsi qu'il lui arrivait souvent, Octave était venu rendre visite à sa sœur. Quoiqu'une affectueuse familiarité n'eût pas cessé de régner entre eux, leurs voix s'élevaient, par instants, à un diapason qui n'était pas celui de l'entente parfaite. Un sujet, toujours le même, ramenait la discussion. Tandis que l'un accablait Antoine, l'autre prenait sa défense.

— Antoine n'est pas si coupable que tu le prétends. Je connais, moi, ses sentiments véritables. Il m'écrit. Je sais que Rome lui est toujours chère, qu'il adore ses enfants. D'ailleurs, nous allons bientôt le revoir.

— Que d'illusions tu te fais, reprit Octave. Oublies-tu, ma sœur, de quelle manière indigne il s'est conduit envers toi ? Oublies-tu que, d'Athènes, il te renvoya comme une servante sans honneur, sans escorte, sans même les remerciements que méritaient, tout au moins, tes générosités envers lui ?

Non, Octavie n'oubliait rien ; mais elle avait au cœur l'indulgence qui porte à tout excuser, plutôt que de perdre ce qu'on aime.

Octave était cependant venu, ce jour-là résolu à la délivrer d'un sentiment qui, personnellement, le gênait. A la veille de dénoncer publiquement Antoine, il croyait devoir d'abord détacher de lui sa femme, et par des dénonciations, faire d'elle une alliée contre le rival qu'il voulait perdre. La malheureuse ignore-t-elle jusqu'à quelle honte Antoine est soumis à la domination de l'Égyptienne ? Par le récit documenté des scandales d'Alexandrie, son bourreau va le lui apprendre. Ah ! Comment eut-il l'affreux courage ? Comment ne fut-il pas désarmé devant le sensible visage qui, sous la pointe aiguë des détails, rougissait, se détournait, semblait la proie d'un essaim venimeux ? Non, jusqu'aux racines du cœur il va chercher les places les plus vulnérables. Sans pitié il raconte : Sur le Champ de Mars, un jour, officiers et soldats sont sous les armes pour une revue. La hampe surmontée de l'aigle d'or en main, l'imperator assiste au défilé. Un messager, soudain, l'aborde et lui dit quelques mots. Aussitôt, sans souci de la pompe militaire mise en mouvement par ses ordres, il quitte tout et va rejoindre Cléopâtre qui l'appelle, sans motif, pour le seul caprice d'être obéie de celui qui commande à tant d'hommes. Une autre fois, c'est au prétoire. Le tétrarque de Judée expose de graves questions en litige. Seul, Antoine a qualité pour les juger ; mais il entend passer la litière royale et c'est comme un vent de folie. Sans écouter un mot de plus, il abandonne l'audience, on ne le revoit plus ce jour-là

Octave aurait pu continuer ainsi, indéfiniment, car la liste était longue des méfaits plus ou moins véridiques dont s'illustrait le roman égyptien.

Sa sœur l'arrêta. Assez ! Elle n'en avait que trop entendu. Certes Antoine avait de grands torts, mais il était son époux. Elle ne reconnaissait qu'à lui le droit de rompre le lien qui les unissait l'un à l'autre. Tant que subsisterait ce lien, elle s'en tiendrait à la résolution d'attendre, d'espérer, qui était la loi de sa vie. Et en même temps que sa voix avait un tremblement de verre fêlé, la fermeté de son regard la révélait inébranlable.

Quelques jours plus tard, la vertueuse femme apprenait que l'amant de Cléopâtre l'avait répudiée. Ainsi rien, ni sa généreuse bonté, ni la patience qu'elle avait opposée aux injures, ni cet espoir qui est comme un bouclier où notre cœur s'abrite contre les menaces du destin, rien n'avait empêché le coup fatal. Pauvre Octavie ! La maison que le mariage avait faite sienne, la chambre où, dans les embrassements d'Antoine, elle avait connu le bonheur, la table qu'il avait égayée de son rire sonore, le jardin où, côte à côte, ils avaient respiré le parfum succulent de l'été, il fallait dire adieu à tout cela, s'en séparer pour toujours. La douleur la laissait inerte, pareil à un instrument dont on a cassé le ressort.

Octave qui ne négligeait aucun des avantages de son jeu, et pour qui chaque affront infligé à sa sœur était un capital qui devait rapporter de gros intérêts, avait convoqué la foule. Avertie par ses soins du jour et de l'heure où Octavie quitterait le palais, cette foule en encombrait les abords. Quand, au milieu de tous ses enfants, de ceux qui étaient les siens propres, aussi bien que du fils et de la fille de Fulvie qui lui avaient été confiés, on la vit paraître, il y eut une rumeur, Son infortune soulevait les consciences. On entendait des mots injurieux à l'adresse du libertin qui, pour la Sorcière égyptienne, abandonnait une épouse de sang illustre et de mœurs irréprochables.

Octavie fit taire ces propos. Elle ne voulait pas, à cause d'elle, que le nom d'Antoine fût maudit. Désireuse même de lui rallier des suffrages, elle montra son plus jeune enfant qui en était la vivante image. La malheureuse espérait qu'en voyant l'innocent si beau, on aimerait encore le père.

Le divorce signifié à la sœur d'Octave équivalait à une déclaration de guerre. Personne ne s'y méprit. Malgré l'antipathie de leurs natures, les rivalités, les déceptions, les tromperies dont ils s'étaient abreuvés l'un l'autre, la douce femme avait été entre les deux hommes un lien puissant. Avec elle, par elle, on avait pu espérer les maintenir en équilibre. A présent, tout était à craindre. Dans la violence du choc, les masques étaient tombés ; l'on voyait à nu les visages. Lequel serait celui du maître ? Une grande incertitude régnait à cet égard. Quoique l'accès au pouvoir suprême fût l'objet unique de la querelle, on feignait de croire à une lutte d'idées. Les mots retentissants d'honneur, de patriotisme, de retour aux institutions républicaines étaient dans toutes les bouches. L'embarras de choisir était grand entre deux compétiteurs qui prétendaient, chacun, livrer bataille au nom de la patrie. Octave mentait-il lorsqu'il se déclarait prêt à déposer ses pouvoirs extra-légaux ? Antoine était-il sincère en se donnant pour le champion de la liberté ?

Comme au temps des grandes luttes entre César et Pompée, le public se divisait, choisissait pour chef celui qu'il pensait avoir le plus d'intérêt à servir. L'effervescence était telle que les enfants, eux-mêmes, en venaient à prendre parti : Athénodorus en rencontre deux, un jour, qui se battent à coups de poing. — Quel motif avez-vous, leur demande-t-il, pour vous maltraiter de la sorte ? — Nous jouons. Je suis Octave, dit l'un, qui avait sournoisement amené son camarade au bord d'un fossé. — Et moi, Antoine ! réplique l'autre, en levant un petit menton orgueilleux.

Quoique la répudiation eût produit une impression fâcheuse et enlevé beaucoup de partisans à Antoine, il n'avait pas encore toute l'opinion contre lui. Son passé de gloire, sa force, ses richesses le laissaient un de ces adversaires avec lesquels il faut toujours compter, et qu'on ne doit combattre que sur des terrains où leur défense n'a pas été préparée. Ruiner son crédit et, par des diffamations, le montrer l'esclave de la reine d'Égypte était, nous l'avons vu, la tactique adoptée par Octave. Si patient qu'il se fût juré d'être, il en était à se demander combien de temps allait ainsi durer son travail de taupe, lorsque les dieux qui, décidément, se tournaient de son côté, lui envoyèrent un collaborateur inattendu. Munatius Plancus, ce même Plancus qui, lors de la Vie Inimitable, dans un maillot de soie verte et couronné de roseaux, avait tenu le rôle de Glaukos : l'homme à tout faire ainsi que, méprisante, le désignait Cléopâtre, venait d'arriver à Rome.

Soit blessure d'amour-propre à venger, soit habileté à reconnaître de quel côté tournait le vent, ce pitoyable individu, subitement séparé de ses compagnons de la veille, rapportait sur leur compte des anecdotes qui lui valurent dans les salons un accueil empressé. Mais ces succès mondains ne devaient pas longtemps suffire à un homme aussi besogneux qu'il était vil. Jugeant qu'une trahison vaut d'être lucrative, il alla trouver Octave et, contre promesses, lui révéla l'existence d'un document de grande importance. Il s'agissait du testament qu'Antoine avait rédigé au moment de partir pour l'expédition de Perse, testament par lequel il instituait Cléopâtre sa légataire universelle, disposant en faveur d'elle et de ses enfants de tout l'empire oriental et, amoureux jusque dans la mort, exigeait qu'en quelque lieu qu'il décédât, son corps fût transporté auprès de sa bien-aimée. Si Plancus ne possédait pas le testament lui-même car, fidèle à la mission qui lui avait été confiée trois ans plus tôt, il l'avait remis entre les mains des Vestales, sa mémoire n'en avait rien laissé perdre : mot à mot, pour ainsi dire, il put le reconstituer.

La sépulture était une grosse affaire chez les Romains. Chacun avait à cœur de reposer près des siens, dans la terre qu'avaient sanctifiée les ancêtres et où l'on serait rejoint, un jour, par ses enfants. La pensée, s'ils venaient à y mourir, d'être abandonnés sur un sol étranger, emplissait les guerriers d'épouvante, et ceux qui appartenaient à des familles aisées, ne manquaient pas de recommander que leur dépouille fût rapportée en Italie. De toutes les folies que l'amour avait fait commettre à Antoine, celle de vouloir être enseveli en Égypte était certainement la plus grave, celle, en tout cas, qui frapperait le plus désavantageusement l'esprit public. Avec la pièce sacrilège, Octave était certain de provoquer la réprobation du Sénat et d'emporter un vote contre celui qui en était l'auteur. Le difficile était de se le procurer.

Délicieusement imité de celui de Delphes, le temple de Vesta était situé sur la limite du Forum, au pied du mont Palatin. Pour s'y rendre, le dictateur n'avait qu'à traverser la Voie Sacrée. Il se mit en route, accompagné d'une escorte, et précédé des licteurs qui, autour de lui, faisaient resplendir les insignes de l'autorité. Devant la porte, il fit signe à tous de l'attendre et seul, imposant, drapé dans les plis de la pourpre, franchit les marches vénérées.

Les prêtresses de Vesta vivaient à l'ombre des autels. C'étaient des filles de haute naissance qui, entrées là toutes jeunes, vêtues de blanc comme des lys, et les cheveux couverts d'un voile, se faisaient de leur charge une idée stricte et fière. Non seulement le feu de la déesse devait, par leurs soins, ne jamais s'éteindre, non seulement elles avaient la responsabilité du Palladium, cette relique sauvée des flammes de Troie, mais la considération qui s'attachait à leur personne était telle que des généraux, des proconsuls, des pontifes avaient pris l'habitude, lorsque leurs fonctions les appelaient hors de Borne, de confier à ces pieuses sentinelles des dépôts trop précieux pour être livrés aux hasards des voyages. Où ces trésors auraient-ils été, en effet, plus en sûreté que là où s'inscrivait au fond des cœurs cette devise : Plutôt mourir que de manquer à son serment.

Dès qu'elles surent ce qu'Octave attendait d'elles, une noble indignation s'empara de ces vierges fortes. Quoi ? livrer un dépôt confié ! Tromper la foi qu'on avait mise en leur parole ! Et leur honneur, qu'en faisait-on ?

L'astucieux visiteur fit valoir que la patrie était en cause et, qu'en pareil cas, les scrupules deviennent vains. Mais, indifférentes à tout ce qui n'était pas leur saint ministère, les Vestales restèrent inflexibles. La force seule leur arracherait ce qu'elles avaient juré de garder.

Octave était soucieux. Son caractère ne le portait pas à employer la manière forte, et il craignait, d'ailleurs, que cet abus de pouvoir lui fut sévèrement reproché. A certaines heures, cependant, la nécessité commande et, fût-ce un crime, le prix, cette fois, en valait la peine. Les licteurs laissés à la porte du temple reçurent des ordres. Il y eut des coups de hache, et le coffre où reposait la confiance du guerrier livra son secret.

Lu au Sénat, le testament produisit l'effet qu'Octave avait escompté. Dans son clan, ce fut un triomphe. Les amis d'Antoine, au contraire, se regardaient consternés. Renier sa patrie au point de ne vouloir même pas lui laisser ses os ! Avait-il donc, véritablement, cessé d'être Romain ?

Le procédé qu'avait employé Octave restait, toutefois, inadmissible. Caïus Sossius en démontra l'indignité. Un testament était sacré. Nul n'avait le droit de demander compte à un vivant de ce qui serait exécuté après sa mort, ou pas du tout, car une rétractation demeurait toujours possible.

Quelques sénateurs respectueux des traditions se rangèrent à cet avis, et blâmèrent la violence qui avait été faite aux Vestales. Le fait n'en était pas moins acquis, et beaucoup restaient sous le coup de ce qu'ils venaient d'apprendre.

C'était le moment de charger à fond. Octave rappela les anciens griefs. Il insista sur la preuve indéniable qu'on venait d'avoir. D'autres agissements n'avaient pas encore été exploités. Un des moyens les plus sûrs de transformer en juges impitoyables les riches patriciens qui siégeaient à la Curie,' était de susciter une concurrence au goût passionné qu'ils avaient pour les choses d'art. Il leur montra un Antoine collectionneur pour le compte de la reine d'Égypte, s'emparant, afin de les lui offrir, des plus rares trésors de la Grèce, de l'Asie. La fameuse statue en or de Diane Artémis qui faisait la gloire d'Éphèse, n'ornait-elle pas, aujourd'hui, les portiques du Bruchium ? Les deux cent mille volumes de la Bibliothèque de Pergame, destinés à enrichir celle de Rome, n'avaient-ils pas été transportés à Alexandrie ?

Une rumeur gagna les rangs de l'hémicycle. Les visages prirent une expression courroucée. Chacun de ces hommes, dont la demeure regorgeait de livres, de meubles précieux, de beaux marbres dérobés au cours de leurs voyages ou des magistratures qu'ils avaient exercées au pays de la beauté, s'indignaient comme devant une licence qui n'aurait pas eu de précédents.

Dans une ardeur hypocrite, ils réclamèrent qu'on passât immédiatement au vote. Les urnes circulèrent et conspué, déclaré indigne, Antoine fut dépouillé de toutes les fonctions que lui avait confiées la République.

Si complète que fût cette victoire, elle ne suffisait pas à Octave. Les assemblées, il le savait, ont parfois de prompts, de complets revirements. Ce que voulait ce tacticien supérieur, c'était d'asséner à son collègue un de ces coups sous lesquels on reste à jamais hors de combat. Une défaite militaire était la seule dont on pourrait être certain que le vainqueur des Parthes ne se relèverait jamais. Mais, comment amener ses compatriotes à s'armer contre lui ? Ils étaient las des guerres civiles, et celle-là serait la plus impopulaire de toutes qui aurait pour adversaire Marc Antoine, le seul grand citoyen qui, depuis César, avait fait voler les aigles romaines sur de nouveaux territoires.

Le même subterfuge qui avait déjà réussi allait, une fois encore, adroitement manié, servir Octave. Peu de jours plus tard, il fit un discours où, tenant Antoine perfidement en dehors du débat, évitant même de prononcer son nom toujours susceptible de réveiller des sympathies, il désigna l'ennemie indiscutable, celle contre qui le sentiment public était toujours prêt à s'échauffer. La rengaine des ambitions de Cléopâtre, de l'intention qu'elle nourrissait de venir attaquer Rome, n'avait rien perdu de son pouvoir. L'énoncer était un moyen toujours sûr de tendre les ressorts du patriotisme, de les porter à l'extrême. En un instant, l'assemblée entière fut debout, jetant contre l'Égyptienne d'impérieuses malédictions.

La guerre était enfin déclarée. Fidèle à l'usage consacré par la pratique constante des ancêtres, Octave se rendit sur la place, au delà du Pomerium, où s'élevait le temple de Bellone. Antique, auguste, radieux, le granit s'en découpait en plein azur. Aux acclamations d'une foule enivrée, le dictateur lança un javelot d'or dont la pointe alla s'enfoncer dans le socle où posaient les pieds de la déesse. Le cérémonial qui mettait l'armée sous sa divine protection, proclamait en même temps le bon droit de la campagne qu'on allait entreprendre.

En apparence, oui, la guerre était dirigée contre des forces étrangères, mais qui pouvait s'y méprendre ? Antoine se ferait le bouclier de Cléopâtre et, des deux côtés, le sang romain rougirait' les champs de bataille.

Antoine, cependant, n'avait pas attendu la provocation de Rome. En bon capitaine, il avait résolu de devancer l'ennemi et de prendre l'offensive. Sous les ordres de Canidius, seize légions furent dirigées sur le littoral de l'Asie Mineure et, lui-même, se disposait à les rejoindre.

Un moyen s'offrait à lui de démentir les allégations d'Octave et de rétablir sa popularité. C'était d'écarter sa maîtresse et de se montrer seul à la tête de ses troupes. On verrait bien, alors, qui l'on avait à combattre.

Présentée à Cléopâtre, cette nécessité la trouva rebelle. Le souvenir toujours présent de ce qui, jadis, dans des circonstances analogues, s'était tramé, exécuté contre elle, lui interdisait de l'admettre. Elle était trop avertie pour jeter une seconde fois son amant dans le réseau des combinaisons romaines. Avec le caractère versatile dont il avait donné tant de preuves, Antoine était un homme qu'il fallait, pour ainsi dire, garder à vue, tenir sous une incantation continuelle. Non, elle ne le quitterait pas. En quelque lieu qu'il se rendit, elle s'attacherait à ses pas, ne lui permettrait aucune entreprise, aucune négociation dont elle n'eût la surveillance.

Vainement, l'imperator fit valoir l'embarras que serait une présence de femme dans les camps. Vainement, Ænobarbus s'emporta, déclara avec sa rudesse habituelle que, si l'on devait s'encombrer des impedimenta d'une cour, il préférait se retirer. Envers et contre tous, Cléopâtre maintint sa résolution :

— S'en aille qui veut, répond-elle aux mécontents, rien ne me séparera d'Antoine.

Une convention secrète entre eux l'autorisait, probablement, à parler de la sorte. En tout cas, elle agissait avec l'indiscutable autorité de qui possède et fournit le ressort principal. N'était-ce pas, en effet, son inépuisable trésor qui allait subvenir aux frais de la guerre ? N'était-ce pas sa flotte, deux cents forts navires bien armés, bien montés qui, dans les eaux méditerranéennes, barreraient la route à l'ennemi ?

Quoi qu'il en fût, sa décision l'emporta, et, dès les premiers jours de printemps, sur la galère Antoniade décorée, parée comme .pour une fête, le couple énamouré faisait route vers les dernières étapes de son destin.

Jamais la mer, cette trompeuse, n :avait été plus calme, plus limpide. Le ciel, d'un azur léger, se confondait avec elle dans une suavité bleuâtre. A l'heure ci,ù, le soleil se couche, des frissons d'ambre y passaient 'mêlés à de larges nappes roses. Le bruit du vent dans les voiles s'harmonisait avec celui dos flûtes et des lyres. Des chants suaves résonnaient. Les nuits d'amour succédaient aux joyeux festins, et personne ne soupçonnait vers quels éléments déchaînés s'avançait le fragile esquif.

Cela n'était qu'un prélude. A Samos où ils abordèrent, à Éphèse où ils établirent leur résidence, les amants firent renaître les fastes d'Alexandrie. L'antique ville asiatique, accoutumée au luxe cependant, n'en avait jamais vu un pareil déploiement. Des cortèges de rois coiffés de tiares et vêtus de broderies, apportaient chaque jour à Antoine, en soldats, chevaux, vivres, le tribut qui pouvait contribuer au succès de ses armes. Voulant, quand ils retourneraient dans leurs provinces, que ces vassaux emportassent une haute idée de leurs suzerains, Cléopâtre s'efforçait de les éblouir. L'arrivée de chacun d'eux servait de prétexte à de somptueuses mises en scène. Les spectacles se succédaient, en sorte que ces princes, Venus de loin pour se battre, avaient la surprise, à côté de torses bardés de fer, de chars en airain, d'engins meurtriers dont la masse encombrait le camp, de côtoyer des troupes de comédiens, de funambules, de bateleurs, qu'on ne se serait guère attendu à rencontrer en pareil lieu.

Ainsi, à l'heure où le monde entier craquait sous l'effort des armements, lorsque des masses humaines allaient succomber, que le sort des empires était en jeu, telle était la manière d'affirmer sa foi dans la victoire, et de se déclarer supérieure aux événements qu'avait adoptée la maîtresse d'Antoine.

Lui, était loin de partager cette sécurité. Il avait cinquante ans. Le temps des folles entreprises était passé. Il n'ignorait aucune des difficultés de sa situation. Entre ses compagnons d'armes qui le poussaient vers l'Italie, le pressaient d'y livrer bataille avant qu'Octave .ait eu le temps d'y concentrer ses troupes, et la belle enjôleuse qui lui conseillait d'atermoyer,' il ne savait auquel entendre. La partie était immense et douteuse. Pour la bien jouer, il aurait fallu du sang-froid ; il n'en avait jamais eu beaucoup. Par les excitations au milieu desquelles elle le faisait vivre, par ses exigences d'amoureuse et son despotisme jaloux, Cléopâtre lui ôta le peu qu'il en possédait.

Ses généraux firent le reste. Persuadés que leur imperator ne les mènerait jamais à leur but tant qu'il subirait une autre influence que la leur, ils se liguèrent pour évincer la femme funeste. Comme toujours, ce fut Ænobarbus, le plus courageux et celui qui, n'ayant jamais rien sollicité de Cléopâtre, se trouvait le plus libre vis-à-vis d'elle, qui eut l'initiative. En homme qui connaît assez la valeur des services qu'il peut rendre pour n'avoir pas le souci de plaire, il déclara nettement que le désordre amené par la présence d'une cour à proximité des armées dépassait ses prévisions et que, d'ailleurs, la place de la reine était à Alexandrie où ses ministres la réclamaient.

Antoine n'était peut-être pas loin de partager cette opinion. Mais que faire contre une amante qui, à toute parole sérieuse, répond par un enroulement de bras autour de votre cou ? par des baisers ? par des larmes ?

Moins que jamais, Cléopâtre était disposée à s'éloigner, à exposer Antoine aux objurgations de ces Romains aux visages sombres qu'elle voyait monter la garde autour de lui. Harcelé par leurs instances, saurait-il toujours se refuser à une réconciliation avec Octave que plusieurs, elle l'avait pressenti, désiraient ? Pour rester, pour continuer à jouer son rôle d'Égérie guerrière, un appui lui était utile. A force de faveurs et de promesses, elle l'obtint de Canidius, celui de ses généraux qui avait le plus d'action sur l'esprit d'Antoine.

Sommé de se prononcer publiquement, Canidius se rangea de l'avis opposé à celui d'Ænobarbus. Selon lui, point n'était juste ni habile d'éloigner une alliée qui, en argent aussi bien qu'en soldats et en vaisseaux, fournissait un contingent considérable. Et, courtisan, il ajouta qu'il ne voyait d'ailleurs pas en quoi les conseils d'une grande souveraine, noble et vaillante autant que belle, pouvaient nuire à une armée dont elle exaltait le courage.

Ceux dont l'avis était contraire ne se tinrent pas pour battus. Parmi eux, et des plus ardents, car plus que tout autre il s'était compromis dans le parti d'Antoine, il y avait Quintus Dellius. Ce vieux routier de la politique n'avait pas tardé à voir clair dans le jeu de l'Égyptienne et à s'alarmer qu'il fût en complet désaccord avec le sien et celui de ses compatriotes.

Décidé à tirer son chef du mauvais pas où il le voyait s'engager, il l'aborda, et sans plus d'ambages, osa cette déclaration :

— Cléopâtre nous mène à un désastre.

Suffoqué qu'on se permit d'accuser celle qui avait toute sa foi et dont il admirait la sagacité, Antoine se récria :

— Que prétends-tu ? Quels faits t'autorisent à t'exprimer de la sorte ?

Les explications étaient prêtes. Elles jaillirent pêle-mêle pour aboutir à celle-ci qui les résumait toutes :

— Je prétends que la fille des Lagides n'apporte pas, ne peut pas apporter à cette guerre la même âme que nous, Romains.

— Les intérêts de Cléopâtre sont les miens, répliqua fièrement Antoine.

Erreur qu'il fallait combattre.

— Détrompe-toi, dit Dellius ; Cléopâtre est reine d'Égypte. Pourvu que sa couronne soit sauve, pourvu qu'elle conserve l'hégémonie orientale et le commerce qui emplit ses coffres d'or...

Un geste d'Antoine lui ayant coupé la parole, l'avisé personnage songea qu'en même temps qu'inquiéter l'impera.tor, il n'était pas inutile de rassurer l'amant.

— Cléopâtre t'aime, affirma-t-il. Plus que tout au monde ta personne lui est chère ; mais, peut-elle, autant que nous, tes amis, les défenseurs de ta cause, nous qui avons tout quitté pour te suivre, avoir le souci de ta grandeur ? Si tu renonces au pouvoir souverain, quel sera notre sort à nous ? Ruinés, pourchassés, contraints de fuir les représailles d'Octave, quel refuge aurons-nous sinon l'exil ?

L'imperator arpentait sa tente à grands pas. Il respirait bruyamment comme lorsqu'un émoi plus fort que nos organes les surmène. Sans se les être jamais formulées, peut-être avait-il entrevu déjà quelques-unes des vérités qui venaient de lui être dites. Maintenant, de les avoir entendues, toutes palpitantes, naissait en lui le désir de voir clair jusqu'au fond.

— Parle (lit-il. Quels motifs as-tu de penser que la Reine ait renoncé à l'ambition de gravir à nies eûtes le Capitole ?

— Les conseils qu'elle te donne.

— Les connais-tu donc ?

Sans se laisser démonter, Dellius rappela combien de fois la reine s'était opposée à ce qu'on livrât bataille. Récemment encore, à Corcyre, à Leucade, partout où les circonstances auraient pu être favorables, elle avait invoqué des prétextes pour que l'action fût différée.

— On croirait, conclut-il, que Cléopâtre, plus encore qu'une défaite, redoute une victoire qui te ferait maître de Rome.

Antoine fit signe à son lieutenant de sortir.

II avait besoin d'être seul. Mal éclairée par une lampe fumante, sa tente était dans une demi-obscurité. Il se laissa tomber sur le lit que recouvrait une peau de lion. Le temps était à l'orage. Il lui sembla que la terre tremblait, que des bruits insolites remplissaient l'atmosphère. C'était comme si toutes les choses auxquelles son esprit était le plus solidement attaché, subitement, venaient de recevoir un choc et tourbillonnaient autour de lui. Est-ce que, réellement, se demandait-il, Cléopâtre ne souhaiterait plus pour moi le rang suprême ?

En réalité, Cléopâtre n'avait pas cessé de vouloir son amant victorieux ; mais, d'une manière qui, comme l'avait fort bien démêlé Dellius, n'était pas celle des Romains. Pendant que ceux-ci, pressés de retrouver leurs pénates et de jouir des situations lucratives qu'ils pensaient s'être méritées, poussaient l'imperator vers une guerre à outrance, elle s'appliquait à le retenir. Soit qu'elle eût perdu confiance dans des vertus belliqueuses qu'elle-même avait contribué à affaiblir et qu'elle envisageât la possibilité, en jouant le tout pour le tout, de perdre jusqu'à l'héritage de ses pères ; soit qu'elle redoutât le triomphe complet qui aurait ramené Antoine à Borne, elle avait renoncé aux ambitions sans mesure, et se bornait maintenant à une politique de partage. Que l'empire d'Orient, avec Antoine, lui fût assuré, et elle abandonnerait de grand cœur l'Italie avec les provinces barbares, la Gaule, l'Espagne, la Mauritanie à Octave, à la République, à qui les voudrait. En somme, on assistait à cette volte-face imprévue que celle qui avait déchaîné la guerre s'efforçât de l'arrêter à mi-chemin. Caprice ? Inconséquence ?

Afin de s'expliquer les oscillations de Cléopâtre, il faut la suivre pas à pas, la voir, dès le début de sa vie, aux prises avec les grands souffles qui agitent son âme mobile. Maitresse adolescente de César quinquagénaire, elle ne songe qu'à mettre ce puissant protecteur à profit, à obtenir de lui la restitution, d'abord de son trône, et plus tard l'accession souveraine. La rencontre de Tarse a fait d'elle une autre femme. Avec le hardi descendant d'Hercule, la volupté est entrée en elle, et l'axe de sa vie s'est trouvé déplacé. De tendres exigences se sont substituées à l'âpre poursuite ambitieuse. La jalousie, la haine, ont dirigé ses actions et la paix du monde en a dépendu.

Si auprès d'Antoine, elle avait gardé la tête solide de ses jeunes années, elle aurait laissé le vainqueur des Parthes à ses entreprises grandioses, et, peut-être, leurs noms enlacés s'inscriraient-ils au Panthéon de l'histoire, à la place de celui d'Octave. Mais, nous l'avons vu, c'est l'amour aujourd'hui qui commande. Cet éternel inquiet suscite dans l'âme de l'amante de troublantes réflexions. Si Antoine rentre à Rome eu triomphateur, qu'adviendra-t-il de moi ? se demande-t-elle. Comme il y a seize ans, me faudra-t-il lutter avec ce peuple, cette aristocratie qui me haïssent ? Ce que César n'a pas eu le temps d'accomplir, l'osera-t-il, lui, l'amant vieilli dont j'ai expérimenté la faiblesse ? Le pourra-t-il d'ailleurs ? Au milieu de tant d'intérêts liés au sien, s'appartiendra-t-il ? Aura-t-il l'autorité d'imposer l'épouse choisie de son cœur ? l'étrangère que toutes les voix des dieux et de la patrie repoussent ?

Sa conduite est tracée dès lors : Elle éloignera Antoine systématiquement de l'Italie, elle s'opposera à toute action décisive et, peu à peu, le poussera vers une bataille navale où, en cas de désastre, on aurait toujours la ressource de se réfugier en Égypte.

Conscients des incertitudes, des discussions qui troublaient la stratégie de l'imperator, les esprits, autour de lui, devenaient soucieux. Ils n'avaient plus cette confiance qui, à la veille des combats, est comme un breuvage dont s'enivrent ceux qui sont exposés à mourir.

A le voir si totalement soumis aux artifices de l'Égyptienne, ses généraux en vinrent à douter de lui-même, à se demander s'il ne s'entendait pas avec elle pour les trahir. L'idée d'un complot contre lui se forma. Puisque leur chef se refusait à soulever la poussière exaltante de Pharsale, de Philippes, puisqu'il se laissait détourner du but pour lequel ils avaient tout risqué, qu'un autre alors prît sa place ; qu'un véritable Romain s'emparât du commandement.

D'un commun accord, ils l'offrirent à Ænobarbus.

A force d'inquiétude, de dégoût, ce grand soldat était tombé malade. Lorsque ses camarades vinrent à lui, ils le trouvèrent étendu sur la dure couche en feuilles de palmiers qui lui servait de lit. La fièvre le faisait claquer des dents. Aux premiers mots de leur proposition, il détourna la tète.

— Je ne veux pas vous entendre.

— N'as-tu donc plus foi dans la victoire ? lui demanda Dellius.

Si, son vieux cœur guerrier tenait bon encore. Il savait que les légions, excédées des ordres qui retenaient leur élan, ne demandaient qu'à tirer le glaive. Entraînés par lui, quels prodiges n'accompliraient pas ces braves ? Mais, pour se mettre à leur tête, il fallait trahir Antoine, son frère d'armes, l'ami cher de sa jeunesse, l'imperator à qui s'était engagée sa foi.

Assis auprès de son lit, Dellius cherchait à le persuader :

— Si tu refuses, que deviendrons-nous ? l'Égyptienne nous perdra. Ne nous laisse pas périr !

D'une main brûlante que secouaient les battements de son artère, Ænobarbus prit la main du visiteur.

— Laisse -moi dormir. Je rendrai réponse demain.

Le lendemain, avant l'aube, une embarcation faisait voile pour le Péloponnèse. Par une lettre laissée sur sa table, Ænobarbus expliquait les motifs de son départ. Tout ce que ses yeux voyaient était trop irritant et trop triste. A demeurer inactif ou à prendre la place d'Antoine, il préférait se retirer.

Cette défection fut cruellement ressentie des compagnons qui avaient mis en lui leur espoir. Tout le jour, ils l'attendirent, pensant qu'il regretterait sa décision. Quand vint le soir, leurs prunelles le cherchaient encore à l'horizon.

Le lendemain, certains que le plus digne d'entre eux ne reviendrait plus, Dellius et Amyntas se décidèrent à le rejoindre.

En apprenant que trois de ses généraux l'avaient abandonné, Antoine eut une sueur aux tempes. Ses jambes chancelèrent. Il dut s'appuyer au mur afin de ne pas tomber.

— Les meilleurs ! fit-il, et deux larmes jaillirent de ses yeux.

Devant les autres, il sut se dominer cependant et, afin que l'exemple restât sans imitateurs, il fit répandre une fable qui flétrissait les transfuges. Selon lui, tous trois étaient des débauchés qui n'avaient pas pu, plus longtemps, se passer de leurs maîtresses et étaient allés les rejoindre.

De nouveaux cas de désertion se produisirent néanmoins. Ce fut comme une épidémie dont le poison se propageait.

Après une scène où Cléopâtre lui reprocha d'être de ceux qui la desservaient auprès d'Antoine, Fortunius, lui aussi, résolut de quitter le lieu de haine et d'intrigues qu'était devenu le quartier général. Une embarcation, les bagages, tout était préparé pour la nuit suivante, lorsque dénoncé avant d'avoir mis le pied sur la rive, le sénateur fut saisi et, incontinent, mis à mort.

Sur de simples indices, d'autres exécutions suivirent celle-là qui jetèrent la terreur dans les tentes.

Antoine n'était plus le même. Il avait complètement perdu cette jovialité qui est comme le signe d'un pacte fait avec la chance. Le moindre mécompte aujourd'hui suffisait à le bouleverser. Un orage ayant éclaté sur mer, il crut perdus les navires qui l'avaient précédé dans le golfe d'Ambracie. En proie à une sorte de vertige, il en venait à soupçonner les dévouements les plus sûrs. Jusqu'à Caïus Sossius, cet ami qui avait fourni tant de preuves, fut accusé d'avoir volontairement livré, dans les défilés de l'Épire, un détachement de troupes à l'ennemi.

Comme tous ses contemporains, Antoine accordait foi aux présages. Ils faisaient même sur son esprit une impression considérable. La volonté des dieux semblait pour lui s'y révéler. Jamais il n'eût manqué de chausser son pied droit avant l'autre. Dans les ténèbres, il se taisait. Il quittait aussitôt une réunion si le bruit d'une souris s'y faisait entendre. Avant de rien entreprendre, il consultait les aruspices et ne se décidait qu'autant que ceux-ci avaient prononcé la parole encourageante : Va, le sang des victimes parle en ta faveur.

Pendant le dernier été qu'il passa à Athènes, cet été de l'an 31 où les esprits bouillonnaient comme dans le fond d'une cuve, la foudre renversa une statue que la population lui avait élevée. Sa peur fut telle que, pour le ranimer, il fallut que son fidèle Éros, en attendant les médecins, lui frictionnât le corps avec un mélange astringent d'huile chaude et de cinamonne.

Les derniers jours du mois d'août redoublèrent cet état de mélancolie dépressive. En même temps que se rapprochait l'échéance inévitable, au lieu de la surexcitation qui, autrefois, le faisait, la veille des batailles, ressembler à une sorte de dieu fulgurant, il était triste, abattu. On eût dit que toute la musculature de son être s'était subitement effondrée. Pendant des heures, on le voyait immobile comme si la plus légère action lui était devenue accablante.

Un matin, cependant, il sortit de sa torpeur pour aller sur l'Antoniade passer en revue la flotte embossée au fond de la baie d'Actium. C'était là - qu'avec ses deux cent cinquante trirèmes à éperon, ses cent liburnes rapides, Octave l'attendait. Les forces d'Antoine étaient beaucoup plus considérables. Bien monté, pourvu - d'engins formidables, il aurait dû être confiant. Il le fut un instant lorsque son lieutenant Alexas lui fit observer, présage excellent, que des hirondelles avaient fait leur nid dans les cordages. Son visage devint joyeux. Il plaisanta.

— Avant la fin de la lune, fit-il, les minces galères d'Octave auront, devant les nôtres, déguerpi comme une meute de lévriers.

Ses soldats enfin reconnaissaient leur imperator. Ils lui firent une ovation. Mais, le lendemain, d'autres hirondelles survinrent qui tuèrent les premières et massacrèrent leurs petits. Aucun signe n'était plus mal famé que celui-là

Cléopâtre qui, en véritable grecque, avait l'esprit pénétré de philosophie, ne partageait pas les superstitions de son amant. Assurer la réussite de ses actes par d'humaines mesures lui semblait plus important que de considérer le sang des victimes. Elle avait, en outre, dans la destinée, la confiance des femmes belles à qui il semble qu'elles n'ont qu'à vouloir pour que les forces supérieures viennent se ranger, comme les hommes, sous leurs lois. Toutes les mesures, en conséquence, furent prises pour que le plan qu'elle avait conçu s'exécutât.

Depuis plusieurs jours, les armées étaient en présence. Des deux côtés, on hésitait. Confiant dans l'excellence de ses équipages exercés par Agrippa, Octave s'efforçait d'amener son ennemi à un combat naval. Troublé, indécis, Antoine ne pouvait se décider. La mer était pour son génie guerrier un terrain nouveau, qui, jamais encore, ne lui avait donné de victoire, et ses officiers insistaient pour qu'il lui préférât la terre ferme, la terre macédonique où revivaient tant de glorieux souvenirs.

L autre parti, cependant, l'emporta, car Cléopâtre l'avait choisi. Elle savait que, sur mer, les résultats d'une bataille sont rarement décisifs et que, en tout cas, la retraite y serait plus aisée. On ne saurait soutenir que cette retraite, elle la souhaitât, qu'elle la préférât à la victoire : les résultats en étaient trop hasardeux ; mais les précautions prises prouvent que la reine l'envisageait comme probable. Sans cette prévision, pourquoi, entre la Grèce et l'Égypte, aurait-elle échelonné ces relais propres à en assurer la sécurité ? Pourquoi aurait-elle, d'avance, expédié à l'abri les vaisseaux chargés d'or monnayé, de lingots, de pierres précieuses dont elle ne se séparait jamais ? Pourquoi surtout aurait-elle, la veille même de la bataille, fait rouler au pied des mâts les grandes voiles, pareilles à des sorcières -endormies, qui sauraient se réveiller lorsque sonnerait l'ordre de fuir ?

Ainsi, tout avait été prévu, préparé, tout était prêt. Il ne restait à s'assurer que de cette chose incertaine et fragile entre toutes : le cœur d'un homme.

Le lien, certes, qui attachait Antoine à sa mat-tresse, lien de chair que l'habitude avait, jour à jour, rendu plus résistant, était de ceux qui ne rompent guère. Maintes fois, elle avait eu l'occasion d'en expérimenter la force. Dans les derniers temps surtout, le besoin d'avoir sans cesse auprès de lui l'adorable présence s'était accru jusqu'à devenir obsédant. Plus il se sentait inquiet, menacé, plus elle -lui était nécessaire. Cléopâtre s'alarmait, cependant. Sait-on jamais jusqu'où l'enivrement du triomphe, ou le désespoir d'une partie perdue peut entraîner un chef ? Sa volonté est parfois si fléchissante, songeait-elle, que le colosse ressemble à un enfant.

La veille du jour décisif, de ce dernier jour d'août qui semblait, dans sa splendeur, avoir concentré tous les rayonnements de l'été, les amants passèrent la soirée à bord de l'Antoniade. Autour d'eux, bardés d'airain, pareils, avec leurs tours de pierre, à des citadelles flottantes, les vaisseaux de l'escadre égyptienne se balançaient sur leurs ancres. Un ciel profond, `troué de scintillements innombrables, assistait impassible à ce qui se préparait. Pendant un long moment, ils demeurèrent à la même place, sans parler. Le clapotement de l'eau montait jusqu'à eux. C'était un bruit continu qui se prolongeait à l'infini et semblait emporter leurs pensées avant qu'ils aient eu le temps de les formuler en paroles.

Antoine eut enfin un soupir.

— Que sera la journée de demain ?

Tournée vers lui, Cléopâtre montra un visage illuminé.

— Quoi qu'il arrive, ne possédons-nous pas cette force invincible d'être deux ?

D'un mouvement simultané, leurs mains se cherchèrent dans la nuit, et l'émotion qu'ils avaient se communiqua de l'un à l'autre.

— Oui, dit-il, nos destins sont irrévocablement liés. Puis, après une hésitation : Si, cependant, un malheur... La guerre dispose de plus d'un. Les projectiles vont pleuvoir...

Elle avait _envisagé bien des conjonctures, mais pas celle-là pas celle d'un coup de hasard qui lui tuerait son amant.

A cette idée de le perdre, elle frémit. Son regard passionné l'enveloppa.

— Antoine ! Mon bien-aimé ! Ne sais-tu pas que je suis prémunie contre l'horreur de survivre à ce que je n'aurais pas consenti ? Si tu mourais, le poignard que je cache à l'envers de ma ceinture aurait vite fait de terminer mon existence.

Une exaltation éperdue le fit vaciller. Dans un transport, il la serra contre son cœur. Il lui baisait les cheveux, la bouche.

— Je t'aime ! Je t'aime, répétait-il comme pour la préserver.

Appuyée à son épaule, elle lui dit avec une douceur calme :

— Et moi, si j'étais frappée, que ferais-tu ?

— Frappée ? Toi ? Mais cela est impossible. N'est-il pas convenu que sur l'Antoniade, tu seras en dehors et à l'abri du combat ?

Elle restait rêveuse.

— Sait-on jamais ? Nous pouvons être séparés.

Lui, n'imaginait pas entre eux d'autre séparation que la mort. Sans son aimée pourrait-il vivre ? sans sa voix ? sans son regard ? Non ! non ! jamais ! Si elle cachait son poignard, lui, possédait sa grande épée.

Doucement, elle le ramena vers des réalités moins tragiques :

— II n'y a pas que la mort. Des événements, on ne sait quelles circonstances peuvent nous éloigner fun de l'autre.

Les cimes de la passion s'étaient allumées dans l'âme d'Antoine ; il n'en devait plus redescendre.

— Où que tu sois, déclara-t-il, je trouverai moyen de te rejoindre.

— Tu le jures ?

— C'est juré.

Enfin, elle l'avait obtenu l'engagement souhaité de tout son être. Le pire pouvait arriver maintenant. Elle savait qu'à son signal l'amant soumis obéirait. Leurs paroles étaient échangées. Il n'y avait plus qu'à jeter les dés du destin. Ils écoutèrent, en silence, comme pour surprendre un indice. Rien, toujours, que la musique monotone du flot claquant contre les carènes.

Les étoiles bientôt pâlirent. Une teinte rose commençait à dorer le sommet découpé de l'Othrys. Agités par la première brise de septembre qui venait de se lever, les grands mâts, de leurs pointes effilées, semblaient tracer sur le ciel des signes mystérieux. C'était l'aube. Il fallait se séparer.

— Adieu mon amour ! Adieu ! A ce soir, se dirent-ils.

Et chacun se dirigea du côté où l'appelait les ultimes préparatifs.

Une heure plus tard, comme il côtoyait la digue, Antoine fut abordé par un centurion tout couturé de cicatrices.

— Que me veux-tu ? lui demanda-t-il avec bonté.

— Ô mon Imperator, te défies-tu donc de nous ? de nos épées ? de nos lances ? que tu mets ton espérance dans ces planches pourries, répondit l'homme en désignant les navires. De grâce, laisse les Égyptiens, les Phéniciens barboter, puisque telle est leur vocation, et ne confie ta fortune qu'à nous, tes vieux soldats, qui, sur terre, saurons vaincre ou mourir.

Ému plus qu'il ne voulait le laisser voir, Antoine frappa amicalement de la main l'épaule de ce brave, et poursuivit son chemin sans répondre.

On raconte qu'à la même heure, Octave accostait un ânier et lui demandait son nom.

— Fortuné, répondit, joyeux, celui-ci ; et ma bête s'appelle Victoire.

La coïncidence est au moins singulière.

Tout a été dit, suggéré, contesté et redit au sujet de la bataille d'Actium. Quelque explication qu'on adopte, cette journée fameuse demeurera une énigme, et la psychologie de celle qui en provoqua la déroute défiera toujours l'entendement.

Il était trois heures environ. Depuis le matin, une mêlée farouche mettait les deux flottes aux prises. En même temps que les trompettes de bronze ébranlaient la rade, les galères, comme de monstrueux animaux, se ruaient les unes sur les autres. Le plomb, les flèches, les boules de résine brûlantes sillonnaient l'air. Avec leurs éperons acérés, les bâtiments d'Octave fondaient sur les mastodontes égyptiens. Ceux-ci répondaient du haut de leurs tours, en jetant des grappins de fer qui mordaient l'ennemi à pleines dents. Des deux côtés, la fureur était égale, les coups portaient efficacement. On voyait sauter des membres, et des visages, en un instant, n'être plus qu'un masque saignant. Qui aurait pu dire, alors, lequel prendrait l'avantage, de ces puissantes machines dont Virgile a dit qu'elles semblaient les Cyclades, elles-mêmes, voguant à la surface des eaux, ou de l'essaim rapide qui piquait, harcelait, reculait et revenait à la charge ?

Soudain, un mouvement se dessine. Une brusque poussée fend le centre. C'est l'Antoniade qui, suivie de l'escadre royale, gagne la 'pleine mer à toutes voiles.

Par quelle incompréhensible initiative la reine agit-elle ainsi ? Pourquoi, avant que rien soit perdu, ni même compromis, abandonne-t-elle le combat ? Plusieurs ont voulu voir là l'exécution d'un plan concerté avec Antoine. Mais quel intérêt auraient-ils eu à s'avouer vaincus sans l'être ? Non, Antoine ne fut pour rien dans cette retraite prématurée. Le premier, il en fut surpris ; cela n'est pas assez dire : confondu. Qu'y eut-il alors ? Trahison de Cléopâtre ? Pas précisément. Si, pour les motifs que nous avons cru démêler, elle ne souhaitait pas la victoire totale d'Antoine ; si elle se conduisit de manière à la rendre impossible, celle d'Octave ne pouvait lui sembler préférable. N'était-il pas son ennemi personnel ? le vengeur d'Octavie' ? le représentant du peuple romain dont elle avait tout à craindre ? En face de si singulières contradictions, il faut avouer que les actions humaines ne correspondent pas toujours à une logique inflexible, celle des femmes surtout.

Depuis le matin, Cléopâtre assistait à un spectacle épuisant. De rudes alternatives avaient surmené ses nerfs. Sous ses yeux, s'étaient exécutées d'inexprimables horreurs. A un moment, l'aile qui la protégeait s'éclaircit. Le danger d'être enveloppée, prise, séparée d'Antoine la menace. Elle a peur. Les assaillants sont tout près d'elle. Son esprit, soudain, s'affole. Elle se voit perdue, captive, aux mains de son redoutable ennemi. Debout sur la passerelle, pareille à un grand oiseau qui s'effraie, elle regarde, cherche sa direction. Le vent souffle du nord, il est favorable. Elle prend son vol. Songe-t-elle à Antoine ? Se dit-elle : En fuyant, je le condamne. Non ; elle sait qu'il lui a promis de la suivre et cela suffit à son cœur.

Pour lui, hélas ! elle n'a que trop bien présagé. Après un premier moment où, voyant les galères prendre le large, il ne comprend pas, croit à un malentendu, se dit : Qu'est-ce ? une feinte ? un simulacre ? Les proues vont se retourner et le combat reprendra plus acharné qu'auparavant ; tout à coup, la vérité éclate. C'est sa bien-aimée qui s'en va... Une stupeur, alors, lui fait perdre la raison. Toute pensée disparaît de son cerveau. Cléopâtre seule l'occupe, le fascine. Et ses mouvements ne dépendent plus de lui-même. Perdant de vue à la fois ce qu'il est et ce qu'on attend de lui ; sans songer à ceux qui, pour sa cause, vont continuer à bravement mourir, il abandonne son poste. Une trirème est là toute préparée, dirait-on. Il s'y jette et poursuit celle qui le mène à sa perte.

C'est le soir, maintenant. Un grand silence étouffé pèse sur les vagues sanglotantes. L'Antoniade s'est arrêtée. A la poupe, Cléopâtre guette avec un cœur battant comme lorsque c'est la vie ou la mort qui se décide.

Un falot paraît enfin et une embarcation aborde. Antoine en descend ; mais, tel, qu'on hésite à le reconnaître. Il a le front bas et ses épaules semblent porter le poids d'un monde. Sans avoir levé les yeux, il traverse le pont, accompagné du seul Éros, et gagne l'extrémité du navire. Il se laisse tomber sur un banc, et, la tête entre les mains, perdu comme au fond d'un abîme, il songe. Qu'a-t-il fait ? quelle force plus forte que sa volonté l'a amené là ? De la part d'un soldat tel que lui, l'action qu'il vient de commettre est tellement étrange, qu'il doute : Est-ce moi, vraiment ? Et, par instants, il se demande s'il est un héros ou un lâche. Ah I comme il souffre ! Avoir été l'homme de tous les triomphes et, être là priant la nuit de le cacher. Quelle infortune a, jamais, égalé la sienne ?

Appuyée au bras d'Iras et de Charmion qui l'empêchent de défaillir, Cléopâtre observe le malheureux. L'aspect qu'il a est si farouche qu'elle n'ose pas l'approcher. C'est donc à cela qu'ont abouti ses manœuvres ! Et, brusquement, elle découvre l'erreur énorme, irréparable que l'amour lui a fait commettre. Si elle avait moins, ou mieux aimé Antoine ; si, dès le début de cette malheureuse campagne, elle l'avait laissé agir selon son génie belliqueux, il ne serait pas aujourd'hui désespéré, la tête roulante au creux des mains. Qu'a-t-elle fait ? Pourquoi l'avoir amené à ce combat que tous, autour d'eux, déconseillaient ? Pourquoi, surtout, cette fuite ?... cette fuite qu'elle-même ne réussit pas à s'expliquer, tant l'exécution en a été rapide, irrésistible. Elle s'interroge. Dans cet asile intérieur où le mensonge n'entre pas, elle cherche à voir clair. Sa conscience lui répond : Si tu avais douté d'Antoine, serais-tu partie ? Non, elle se l'avoue, sans l'engagement que, la veille, ils avaient échangé, sans cette certitude que, partout, en quelque lieu que le sort l'entraînât, son amant la rejoindrait, elle aurait eu plus de courage en face du danger, plus de constance à prolonger la lutte. Elle n'a lâché pied que parce qu'une certitude l'y poussait, l'égoïste certitude de se dire : là-bas, en Égypte, je l'aurai reconquis pour toujours. Et maintenant, devant cet homme effondré, qui n'a plus de regard pour elle, sa démence lui apparaît. Oh ! avoir cru qu'un Antoine pourrait vivre sans honneur.

Les joues couvertes de larmes, elle se retourne vers Charmion :

— Crois-tu qu'il me pardonnera ?

Épouvantée de tout ce qu'elle avait vu depuis le matin, l'Athénienne tremblait encore. Le carnage avait glacé son sang. Au moment où la reine s'était enfuie, quoique sa peur en fût soulagée, elle avait senti qu'un malheur, le plus grand de tous, était en train de s'accomplir. Elle ne sut que répondre :

— Antoine est un homme perdu !

Plus jeune, plus confiante dans les forces de l'amour, Iras trouva des encouragements.

— Approchez-vous de lui, Madame, voyez comme il souffre. Votre présence lui fera du bien.

Cléopâtre fit quelques pas. Mais Éros avertit son maître. Et celui-ci, attaché à son désespoir comme à une rédemption, fit signe de la tète que non ; il voulait être laissé seul.

Pendant trois nuits et trois jours, il resta là sans perdre la force de souffrir. Tous ses membres lui semblaient morts. Il refusait la nourriture, ne sentait pas la soif qui lui desséchait la langue ; mais son esprit veillait pour le torturer.

Son esclave qui n'ignore pas à quelle douleur humiliée il succombe, lui dit :

— Voulez-vous donc détruire votre vie qui nous est si chère ?

— Ma vie, répondit Antoine, ne vaut plus la peine d'être continuée. La gloire en faisait tout le prix. Je suis maintenant comme un homme dépouillé, et laissé nu sur la route.

— Tout n'est pas perdu, cependant. Vos amis...

— Je n'ai plus d'amis. Dans l'adversité, lesquels garde-t-on ? Prévoyant, sans doute, ma défaite, ceux sur qui je comptais le plus solidement ont déserté avant l'heure.

Accroupi devant celui qu'il avait toujours considéré comme un demi-dieu, Éros lui embrassait les genoux.

— D'autres vous seront fidèles. J'en connais qui, pour vous sauver, verseraient, sans hésiter, jusqu'à la dernière goutte de leur sang.

— Toi, mon pauvre Éros, je le sais. Mais ce n'est pas de ton sang que j'ai besoin. Il me faut une promesse.

Un regard chaud et soumis l'interrogeait.

— Jure-moi qu'a l'instant où je te l'ordonnerai, tu me délivreras de l'existence.

Remis debout par la secousse de ce qu'il venait d'entendre, l'esclave eut une rébellion.

— Je ne jurerai jamais cela. Antoine se détourna de lui.

— Va ; et ne me parle plus de ton dévouement.

L'offense était cruelle à qui venait d'offrir sa vie et l'eût donnée sans regret. Dans un sanglot étouffé, une protestation s'éleva.

— Mon épée, mes mains, ma vie, tout vous appartient, Maitre. Mais le serment que vous exigez, voudrais-je le tenir, la main que voici faillirait, l'arme que j'aurais saisie, malgré moi, chercherait mon cœur plutôt que de percer le vôtre.

Tenue toujours à l'écart, tantôt brûlante, tantôt glacée par la fièvre, Cléopâtre se lamentait. Antoine allait-il se laisser mourir ? Ne l'aimait-il plus ? Elle songeait au temps où, sur un simple appel, il accourait et la serrait éperdument contre son cœur. Combien de tablettes depuis ces trois jours ne lui avait-elle pas fait porter sans que, même, il prit la peine de les ouvrir ! Et elle sentait l'affreux regret d'avoir elle-même détruit la beauté de son destin.

Souffrir, pourtant, a des limites. Une heure arrive, nécessaire, où le fond du mal est atteint. Si honteux, si criminel qu'on soit, la passion est la plus forte. Il faut que les bouches se cherchent et que les pleurs cessent de couler.

Les amants rejoints restèrent longtemps côte à côte, sans oser se regarder. be silence leur servait de langage. Ils s'y disaient plus de choses qu'aucune parole n'en aurait pu exprimer. Qu'avaient-ils besoin de parler pour savoir que tous leurs rêves étaient anéantis ? qu'une minute fatale avait suffi pour faire d'eux des vaincus ?

Plus haute cependant que leur angoisse, et dépassant les déboires d'un orgueil qui n'avait pas eu de limites, l'ivresse de se retrouver ensemble, peu à peu, les envahit. Toute-puissante, elle les jeta l'un vers l'autre. Avec cette frénésie des sens qui, parfois, abolit l'âme, et, plus souvent, l'exalte, l'emporte jusqu'aux paroxysmes, ils s'étreignent :

— Pardonne-moi ! Je t'aime ! implorait, suffocante, la coupable.

Antoine la tenait dans ses bras. Délivré, pour un instant, du remords qui allait empoisonner le reste de ses jours, il appuya son ardent visage sur le beau sein où il avait tout abdiqué. Un baiser de sa Cléopâtre ne valait-il pas des royaumes ?