LA SAINT-BARTHÉLEMY

LA VEILLE - LE JOUR - LE LENDEMAIN

 

APPENDICE.

 

 

I

Lettre de l'ambassadeur de Venise du 15 août 1512 qui relate le désir exprimé par le roi de Navarre que son mariage ait lieu à bref délai.

 

lntendiamo che alla frontiera di Piccardia sono da nuovo ridotti quasi 3000 Francesi Ugonotti per tentare di passare a Mons ; percià il Re di Navarra sollecita le sue nozze, perchè trovandosi qui grandissimo numero di cavalli a questo effetto, molti di essi, stabilito il matrimonio, potranno andar a detta impresa ; e cosi, senza aspettar da Roma la dispensa, Lino a 6 giorni, si farà le nozze. Dicono bene, che il Re Cristianissimo ha proibito, ovvero proibirà alla gente ridotta, che non vada ; ma crediamo che gli sarà prestata l'obbedienza corne altre volte. Gli Inglesi vanno ingrossandosi in Zelandia e tentando occupar terre. Questi giorni l'Ammiraglio ha avuto qui in corte stretrissimo negozio colt' Amb.r di quella Regina e si sforza di farta scoprire contro i Spagnoli. (Archives de Venise.)

 

II

Lettres du comte de Saint Paul, ambassadeur du duc de Savoie, en France, relatives soit à la veille soit au lendemain de la Saint-Barthélemy.

 

PREMIÈRE LETTRE

EXTRAIT DU DESCHIFRÉ DE LA LETTRE DU SIEUR DE SAINT PAUL DU 29 JUILLET 1571.

Par chemin, je m'accompagnai d'ung gendarme de la Compagnie de l'Admirai, lequel s'en revenoit de la monstre d'un petit bourg en Picardie, frontière de Flandres. Il me dict pensoient bien aller à la guerre ; mais que, les choses ne se trouvant prestes, l'on les avoit licentiez jusques au cartier prochain, que, soubz prétexte d'aller en garnison, ilz iroint mettre fin à quelque bonne entreprinse ; que cependant quelques cappitaines vont en marchantz et desguises par les villes où ils ont intelligence, les uns feignant d'acchepter quantité de bottes pour revendre, les aultres, sous aultre couleur ; et que attendant le dict temps en ung chasteau de la frontière, il a veu faire beaucoup d'eschelles. Je ne l'osay presser pour sçauoir quelles villes c'estoint, et quelz cappitaines, de crainte que, luy venant en court, à la suite du mareschal de Mommorancy, comme il me dict qu'il faisoit, luy apportant des lettres, il ne me reconneut, et par là me feit juger trop affectionné scrutateur des affaires concernant le Roy d'Espaigne.

Cependant ie me suis pensé l'en debvoir advertir. Comme ainsi, j'ai fait entendre que le dict mareschal de Mommoranci et toutte sa ligue ont tellement conduict les affaires que Monsieur frère du Roy, tout grand qu'il est et avec tous les respectz qu'on luy doibt avoir, court une grande fortune et, despuis quelques jours en çà, a plus pleuré que bu. Le Roy luy a dict qu'il ne pouvoit avoir en France qu'un Roy à la fois. Il est réduict en ung grand ennuy, et le pis est que les siens ne luy osent presque parler. L'on le veult contraindre à entendre à la Roine d'Angleterre, et il s'en desgoute tousjours plus.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cependant ceulx de la Religion sollicitent le Roy de se resouldre, et commencent à user de menaces, disant qu'ils voient clairement que le roy d'Espaigne, Monsieur frere du Roy et le Duc de Savoye s'entendent, tendantz à leur ruine ; et par ce, si le Roy n'y remédie, ils seront contrainctz se tenir sur leurs gardes et s'armer.

 

   

DEUXIÈME LETTRE

DESCHIFFRÉ DE LA LETTRE DU COMTE DE SAINT PAUL DU 18 DÉCEMBRE 1571.

De Fontainebleau, ce 29 juillet.

Estant le Roy a Borgueil, monsieur de Lignersles fut tué ; et ay esté asseuré que c'estoit par le consentement et ose l'on dire commandement de la Reine mère, parce que lon se doubtoit quil ne descouvrit au roy d'Espaigne des affaires qu'il avait trop conneu par le menu.

Depuis ceste lettre escripte est venu ung bruict en ceste court que la reine de Nauarre ne viendra de quelques jours, et qu'elle a envoyé des lettres pleines de menaces que l'on monstre it chascun, qui m'augmente l'opinion que soient tous stratagèmes pour dissimuler leurs entreprises ; en quoy touttesfois les négotiations du duc de Florence suivent fort eschauffées, traictées par la Reine mère, l'ambassadeur de Florence, le conte de Raiz, Telligni et Frégose.

 

TROISIÈME LETTRE

DESCHIFRÉ DE LA LETTRE DU COMTE DE SAINT PAUL DU 16 FÉVRIER 1572.

Hier la Reine mère revint de Chenonceaulx, où, comme Monsieur Delbene vous aura escript, elle a parlé et traicté avec la reine de Navarre. Touttesfois l'on m'a asseuré que, quoy qu'elles se fissent asses mauvaise mine devant les gens, l'on voit, après que chascun fut retiré, elles s'ensserassent en une chambre seulles, où elles passèrent la plus part de la nuict ; et le lendemain la Reine mère s'en vint avec ung visaige, qui ne pouuoit dissimuler son contentement ; car, à ce que l'on présume, elle désire fort y mettre fin à quel prix que ce soit, pour avoir l'appuy du prince de Nauarre, qui luy servira de contrepoix et soubstien aux traverses qu'elle pourroit attendre sur les maniementz quelle a eus jusques au présent, dont elle se doubte, et de tant plus si  la Reine est ençeinte, comme l'on dit.....

 

QUATRIÈME LETTRE

EXTRAIT DU DESCHIFFRÉ DE LA LETTRE DU 27 FÉVRIER 1572 DU COMTE DE SAINT PAUL, AMBASSADEUR DU DUC DE SAVOIE.

Lesdicts de la religion se plaignent du Roy, disant qu'ilz voient le mariage d'entre le prince de Navarre et Madame seur dudict Roy traîner tant, qu'ilz se doubtent qu'y ait quelque intelligence avec aultres princes, et que l'on les veuille paistre de fumée ; et commencent à gronder. L'Admirai a envoyé icy ung gentilhomme, mais l'on ma asseuré que ce n'estoit que pour la querelledu duc deGuise. et qu'il ne bougeroit de quelques jours de Chastillon, où il est petitement accompaigné. Monsieur de Telligny, Messieurs Descros, et quelques aultres y sont ; l'on ne m'a sçeu dire si le seigneur de Cornaton y est, mais l'on s'en enquerrera. L'ambassadeur d'Angleterre est tousiours poursuivant ses pratiques, mais les Huguenots se plaignent de la froide response que le Roy a faict jusques à présent, laquelle ilz disent tendre plustost à vne longueur qu'à une conclusion. Certainement la Reine mère estant à Chenonceaulx, aux propos qu'elle eut avec la Roine de Nauarre monstra plus de tacher de la retirer de l'amitié qu'elle pourroit avoir à l'Admiral et aultres de la Religion que à mettre fin à ce mariage, duquel elle ne parla que fort froidement. Par ainsy monstrent ou feignent d'avoir des occasions de mescontentement ; toutesfois l'on estime que tout se resouldra à bonne fin entre eulx.

(Archives de Turin.)

 

CINQUIÈME LETTRE

EXTRAIT DU DESCHIFFRÉ DU COMTE DE SAINT PAUL DU 20 SEPTEMBRE 1572.

De Paris, ce 20 septembre 1572.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

De jour à aultre arrivent au camp dudict prince d'Orenge huguenots françois, et y en ira bien davantaige, parce que, nonobstant l'édict dernier, l'on les traicte tousjours mal, et encore ces jours passez tous ceulx desditz Huguenotz qui estoient à Rouan ont estée taillez en pièces. Et estime t'on que il y en ait bien huict cens. A Bourges aussi l'on dict quilz en ont tué quelques ungs.

Le prince de Condé et la princesse sa femme vont tous les jours à la messe, mais non pas encore le prince de Nauarre. lis sont fort mal suiviz et tenuz en peu de compte, tellement que je croy et beaucoup l'estiment aussi qu'ilz désireroient bien se saulver, s'il y avoit moyen ; mais ilz sont tousiours accompagnez de personnes que le Roy leur a mis auprès, qui ne les abandonnent poinct.

Il est arrivé ung courrier de Rome, que l'on dict avoir esté dépeschè du Pape pour se congratuler de la belle exécution faicte sur l'Admirai et ses semblables. »

 

SIXIÈME LETTRE

EXTRAIT DU DESCHIFRÉ D'UNE LETTRE DU COMTE DE SAINT PAUL DU 26 SETTEMBRE 1572.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quant aux affaires de dedans le royaume, il ne se nomme aulcung chef pour s'eslever, et encore que en Languedoc, comme j'ay escript par cy devant, quelques villes se soient prinses d'elles mesmes ; seulement craint-on que le comte de Montgommery ne se vienne jecter à la Rochelle ; ains se craint d'une descente d'Anglois là. Cependant l'on faict toujours mourir lesditz Huguenotz, tant en ceste ville qu'ailleurs ;- notamment ilz en ont faict passer par le fil de l'espée une infinité a Poittiers et despuis à Tours, et estime t'on que par tout se fera ainsi, à peu de bruict, nonobstant l'édict dernier, tellement que la noblesse, qui est aux champs, s'estonne fort ; et dict-on que en Normandie ilz sont la plus part en campagne, mais plus pour se saulver que pour resister ; et sont ainsi sans se sçavoir resoulvre ny prendre parti, voyant mesmement que le prince de Navarre, qui est aujourd'huy allé à la messe avec démonstration de grande dévotion, et le prince de Condé ne se souviennent plus de ceulx qui les ont suivis, moins de leur première religion, s'ilz ne dissimulent trop, que semble estre mal aisé à leur aage. Et par ainsi les Huguenotz demeurent ou sont encore pour le présent fort confus, si la nécessité ne les contrainct à prendre une résolution.

(Archives de Turin.)

 

SEPTIÈME LETTRE

EXTRAIT DU DESCHIFFRÉ DE LA LETTRE DU COMTE DE SAINT PAUL DU 27 OCTOBRE 1572.

De Paris, ce 27e octobre 1572.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . a ce que je ay peu entendre, le seigneur comte de Retz, s'en va à Mets, donner ordre pour la crainte que l'on a de quelque entreprinse sur la France par lesAllemans ; la plus grande partie desquelz, tant d'une que d'aultre Religion, se trouuent en armes et monstrent, veu leur grand appareil, d'avoir quelque notable desseing. A quoy s'aydent certaines lettres que l'on dict auoir trouvé sur vng entrant en ceste ville en habit de paouvre homme, par lesquelles il se veoit que l'on promet à ung grand personnage, qui ne se nomme poinct, mais que l'on soupsonne estre Monsieur le prince de Condé ou Monsieur le mareschal de Montmorency, que, s'il veult se jeter en campagne et venger les oultraiges nouvellement faictz, l'on luy fournira d'ung aussi grand et bon nombre de gens de guerre qu'on aye eu par cy devant, et d'argent aussi, qui a donné à penser, et tellement penser que j'ay entendu que l'on murmure encore de faire une nouvelle matinée de ce que l'on espargna l'aultre fois, affin qu'il n'y demeure rien ; car l'on veoit qu'ilz pourroynt nuyre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les seigneurs de la Noue et de Senarpont sont en ceste ville, venuz (dit-on) par le commandement du Roy, à qui, et à la Reyne sa mère, et à Monsieur son frère ilz vinrent parler au jardin des Tuilleries, où ilz devisèrent longuement, et de là, (a ce que je ay entendu), se sont allez rendre prisonniers.

Mais l'on tient qu'ilz n'auront aulcun mal et qu'il suffira de Briquemault et de Cavagne, qui ont esté pendus, ce soir en Grève, là ou le Roy et Messieurs ses frères, le roy de Nauarre, le prince de Condé, le cardinal de Bourbon, et plusieurs aultres se sont trouvez. Le feu Admirai a esté de rechef executé en effigie, ses biens confisquez, ses maisons rasées. Je espère de envoyer le double de l'arrest par le premier courrier, tellement que je ne m'y estendray plus avant, ains diray, comme ie ay entendu, que l'on ne procédera à aultres confiscations, pour ne esmouvoir dauantage. Il y a quelques jours que ceulx de Sancerre se sont renduz auec condition de vivre catoliquement, faire rebastir leurs esglises, faire ruiner leur fort, et recepvoir Monsieur de Fontaine pour leur gouverneur. De Flandres ne se dict aultre, sinon de la retraitte du prince d'Aurenge et de la mort du conte Ludovic son frère, que l'on dict avoir esté empoysonné, tellement qu'il ne reste plus rien ou peu qui face résistance.

(Archives de Turin.)

 

III

Lettres écrites par Catherine au roi de Pologne son fils, pour lui annoncer la mort du roi son frère, et à M. de Matignon pour lui notifier sa régence.

 

AU ROY MONSIEUR MON FILS

Monsieur mon fils, je vous envoyai ycr en grant diligence Chemerault pour vous aporter une piteuse nouvelle pour moi, pour avoyr veu tant mourir de mes enfants. Je prie à Dieu qu'il m'envoye la mort avant que je en voy plus, car je cuide désespérée de voyr un tel spectacle et l'amitié qu'il m'a monstrée à la fin, ne pouvant me laisser et me prier que vous envoyasse en toute dilligence quérir et, en ce pendent que fussiez arrivé, me prioit que je prinse l'administration du royaume et le pouvoir et que je fisse bonne joustice des prisonniers qu'il sçavoit estre cause de tout le mal du royaume ; qu'il avoit connu que ses frères avoient regrect en lui, qui lui faisoit penser qu'ils me seroient obéissants et à vous, mais que vous fussiez isy et après me dict adieu et me pria de l'embrasser, qui me cuyda fayre crever. Jamais homme ne mourust avec plus d'entendement, parlant à ses frères, à Monsieur le cardinal de Bourbon, au chanselier, au secrétayre, au capitaine des gardes, tant d'archers que de Suisses, leur commandant à tous de m'obéir comme à luy mesure jusques à vostre arrivée et qu'il s'asseuroit que le vouliez ainsy, les prians de vous bien servir et vous estre fidèles, recommandant à tous le royaume et sa conservation, et tousjours disant vostre bonté et que l'avez toujours tant aimé et obéi et ne luy avez jamays donné poyne, mais faict de grans services ; au reste il est mort, ayant receu Dieu le matin, se portant bien, et sur les quatres heures il mourut, le meilleur chrestien qui fust jamays, ayant receu tous les sacrements et la dernière parole qu'il dict ce fut : « Et ma mère. » Cela n'a pu estre sans une extresme douleur pour moy et ne trouve autre consolation que de vous voyr bientost icy et penser que Dieu vous oste de là où désirez estre hors avecques plus d'honneur et de grandeur que l'on auroit pu penser, de mesure que ni la grandeur ni l'ayse que avez de vous revoyr avecque nous de la façon ne vous laissera pour cela que vous ne ressentiez que avez perdu un bon frère et un grand appuy et que le monde est assez grand. et vous et luy ensemble assez puissans pour vous faire grens et contens sans ce désastre ; mais, puisqu'il plait à Dieu que je soys de lui esprouvée et de telle façon visitée si souvent, je le loue et le prie me donner patience et ceste consolation de vous voir icy bien tost comme vostre royaume en a besoin, et en bonne santé ; car, si je vous venois à perdre, je me feroys enterrer avec vous toute en vie ; car je ne pourrois aussi bien porter ce mal, qui me faict vous prier de bien regarder le chemin que tiendrez et si passerez par chez l'Empereur et de là en Italie, que je pense estre le plus seur pour vous ; car par l'Allemagne je ne pense pas qu'il soit sûr pour vous, estant roi de France ; car y sont trop de quereles à denteler avec vous, mais je suis. d'avis que aliez par l'aultre et que envoyiez quelque gentilhomme pour visiter les princes et leur faire vostre excuse que la haste que vous avez eu de venir vous a faict prendre l'aultre chemin ; néantmoins les remerciez du bon traictement que vous avez receu à vostre passage et les priez qu'ils vous veuillent estre amis, comme vous leur voulez estre et que celle là (cette amitié) que vous aviez rnonstrée au passage que avez faict, qu'ils la veuillent continuer et confirmer par plus sure promesse, et advisez s'il seroit bon d'envoyer Monsieur de Bellièvre et qu'il peut faire quelque chose avec eux, qui vous puisse apporter du repos en vostre royaume, et que, à vostre arrivée, il vous vint rapporter ce qu'il sauroit ; vous y penserés. Quant à vostre partement de Pologne, ne le retardez en nulle façon et prenez garde qu'ils ne veuillent vous retenir jusques à ce qu'ils ayent donné ordre à leur faict et ne le faictes pas, car nous avons besoin de vous icy ; avecques cela je meurs d'ennuy de vous revoir, car rien ne me peut faire consoler et oublier ce que j'ay perdeu que vostre présence ; car vous sçavez combien je vous aime et, quant je pense que ne bougerez jamais plus d'avec nous, cela me faict prendre tout en patience. Si vous pouviez laisser quelqu'un où vous estes, qui peult conduire et que ce royaume de Pollongne vous demeurast ou à vostre frère, je le désirerois bien fort et leur dire que ou vostre frère ou le second enfant que vous aurez vous leur envoyrez, et en ce pendant qu'ils se gouvernent entre eux, eslisant tousjours un François pour assister à tout ce qu'ils feroient et croy qu'ils en seroient bien aises ; car ils seroient roys euls mesmes jusques à ce qu'ils esleussent celui que y envoyrez ; et cela est beau, pour pauvres qu'ils soient, d'estre roi de deux grans royaumes, l'un bien riche et l'autre de grande estendue et de noblesse. Voylà ce que je pense, affin de ne rien perdre. Quant à cecy vous veoyez la grace que Dieu vous faict, bénissez-le bien et vous prie que l'expérience, la nécessité et travail que vous avez eus vou serve à vous y gouverner si sagement et si prudemment que le puissiez remectre en son entier et l'honneur de Dieu premièrement ; et ne vous laisser aller aux passions de vos serviteurs, car vous n'estes plus Monsieur qui faille dire je gagneray ceste part, affin d'estre le plus fort. Vous estes le Roy, et tous fault qu'ils vous fassent le plus fort, car tous fault qu'ils vous servent et les fault tous aymer et nul haïr que ceux qui vous haïront, mais les querelles particulières les appoincter et ne vous passionner et que vos serviteurs ne se fassent plus perdre. Aymez-les et leur dictes du bien, mais que leur partialitez ne soient point les vostres, pour l'honneur de Dieu ; aussy je vous prie, ne donnez rien que vous ne soyiez icy, car vous sçaurez ceulx qui vous auront bien servy ou non ; je les vous nommeray et monstreray à vostre veneue, et vous garderay tout ce qui vacquera de bénéfices, d'offices ; nous les metterons à la taxe ; car il n'y a pas ung escu pour fayre ce qui vous est nécessaire pour conserver vostre royaume, et je vous prie en donner poinct, car il y en a de si avaricieux qu'ils ne sont jamais saouls, et contens ensemble ; et aussy il ne les auront point, car puisque le feu Roy vostre frère m'a donné la charge de vous conserver ce royaume, je croy que vous ne le désavouez pas, je mecttray poyne, si je puis, de vous le remettre tout entier et en repos, affin que n'ayiez que à faire ce que connoistrez pour votre grandeur et vous donner un peu de plaisirs après tant d'ennuis et de peine ; et vous prie vous délibérer de ne donner tous les estats à ung seul, comme l'on a faict jusques icy, car cela a mal contenté beaucoup de personnes et l'expérience qu'avez acquise par vostre voyaige est telle que je m'asseure qu'il n'y eut jamays un plus sage roy, ce est que je prie à Dieu de faire la grace et ne me voldrez mal à l'appétit de ceux qui ne sauroient vivre que sur leur fumier, car j'espère que vostre élection et allée en Pologne ne vous aura point apporté de mal ni de diminution de honneur et grandeur et de réputation, et le mal n'aura esté que à moy qui, depuis vostre partement, ay eu ennui sur ennui ; aussy je pense que vostre retour m'apportera joye et contentement sur contentement et que n'auray plus de mal ni de fascherie que je prie à Dieu qu'ainsi soyt pour que je vous puisse voir en bonne santé et bien tost,

Du boys de Vincennes, ce dernier de may 1574.

Vostre bonne et affectionnée mère, s'il y a jamais au monde[1].

 

A MONSIEUR DE MATIGNON

Monsieur de Matignon, vous avez entendu par la lettre que le feu Roy mon filz vous a puis naguère escripte quelle a esté sa dernière volonté sur l'administration des affaires de ceste couronne, ce qu'il a encores voulu confirmer par ses lettres patentes. Depuis il a pieu à Dieu l'appeler à soy et, combien que la perte que j'ay faicte en luy de la personne qui m'estoit naturellement la plus chère et la plus recommandée, m'astriste et aggrave tellement de douleur que je ne désire riens plus que remectre et quitter tous affaires pour chercher quelque tranquilité de vie, néantmoings, vaincue de l'instante prière qu'il m'a faicte par ses derniers propos d'embrasser cet office au bien du roy de Polongne mon filz, son légitime successeur et héritier et au bien de ceste couronne, à laquelle je recongnois estre tenue de tout ce que Dieu m'a départy, j'ay esté contraincte me charger encores de ladicte administration et de la régence qu'il m'a cominse, attendant l'arrivée par décà de mondict filz le roy de Polongne, qui sera, comme j'espère, dedans peu de temps, ayant donné ordre de l'advertir incontinent de ce désastre. Je m'asseure que chascun a peu congnoistre le désir que j'ay tousjours eu au repos de cet Estat, pour à quoy parvenir, je n'ay voulu pardonner à aucune peine, mesures au danger de ma propre personne, comme l'on congnoistra encore mieulx par l'ordre que j'espère donner à toutes choses durant son absence avec telle modération et par le bon conseil de ceulx qui y tiennent les premiers lieux comme vous, que je me veulx promettre que Dieu fera la grace à ce royaume d'y establir quelque bon repos, vous priant, pour la dévotion et affection que vous avez toujours eue au bien et conservation d'icelluy, vouloir tenir la main où vous estes d'obvier à toutes entreprinses, qui se pourroient faire pour troubler la tranquilité publicque, admonestant ceulx de la noblesse et autres estats de continuer et persévérer au debvoir qu'ilz ont tousjours constamment rendu à leurs rovs et souverains, dont ils sont si recommamdables par toutes nations. Vous sçavez que l'intention du Roy mondict sieur et filz a tousjours esté de conserver tous ceulx qui se disposeroient à vivre doucement soubz le bénéfice de ses loix et éditz ; comme je sçay que telle est la volunté de son successeur, ce que je désire que vous faciez observer, afin de convier ung chascun a recercher et procurer ce qui regarde la réunion en son entier de ce royaume, comme aussy vous vous ayderez de la force et auctorité que vous avez en main contre ceulx qui s'oublieroient de tant que décliner l'obéissance dont ilz seront tenus, de manière qu'ilz soient chastiés et pugnis et les bons conservez, comme ilz méritent ; priant Dieu, Monsieur de, Matignon, vous avoir en sa sainte et digne garde.

Escript au bois de Vincennes, le dernier jour de may 1574.

CATERINE.

 

Monsieur de Matignon, je vous prie escripre au Roy monsieur mon filz et luy faire entendre la bonne desvotion et affection qu'avez à son service et de luy garder la mesme fidellité qu'avez faict à ses prédécesseurs, m'envolant vos lettres que je luy feray tenir incontinent.

La malladye du feu Roy monsieur mon fils a esté une grosse fiebvre continue, causée d'une inflammation de polmons que l'on estime luy estre procédée des viollens exercices qu'il a faictz ; et ayant esté ouvert après sa mort, l'on a trouvé toutes les aultres partyes de son corps aussy saines et entières que se puisse veoir en homme bien compozé et est à présuposer que, sans les viollens exercices, il estoit pour vivre fort longuement, dont je vous ay bien voullu advertir, et par mesme moyen vous dire qu'estant ceste fortune si récente et en attendant l'arrivée du Roy monsieur mon filz, il est nécessaire que vous preniez garde et advertissiez incontinant en l'estendue de vostre charge ad ce qu'il n'entre ny ne sorte, sans passeport de moy, personnaige hors du royaulme, ou que ne le congnoissiez ou que ne m'en advertissiez incontinent.

CATERINE.

 

 

 



[1] Bibl. nat., fonds Dupuy, n° 500, f° 83.