Antoine était le seul des triumvirs qui osait encore imaginer et exécuter de grandes choses. Au mois de mars de l'an 36, il se dirigea, avec son armée et avec Cléopâtre vers Zeugma[1] ; là il se sépara de la reine, il fit mine de vouloir forcer le passage du fleuve qui était gardé[2] ; il laissa peut-être quelques légions sur l'Euphrate, et avec dix légions et 40.000 cavaliers[3], il se mit en marche vers le milieu d'avril. Il avait à faire près de dix-neuf cents kilomètres[4], ce qui allait demander cinq mois. Après avoir franchi le Taurus, il arriva dans les premiers jours de mai à Mélitène, et se dirigea vers Satala où il était dans les premiers jours de juin ; de là il reprit sa longue route vers le haut plateau d'Erzerum, où en juin il trouvait déjà rassemblée toute sa grande armée, les six légions de Canidius qui étaient revenues du Caucase, le nouveau roi du Pont Polémou, le roi d'Arménie Artabaze (ou Artavasde) qui était venu à sa rencontre avec une partie de son contingent (6.000 cavaliers et 7.000 fantassins), les petits contingents orientaux, le grand parc de siège, et tous les hommes de peine, toutes les bêtes de somme[5]. Il semble que le reste du contingent arménien était déjà à la frontière du royaume, et prêt à entrer en Médie[6]. Les seize légions devaient compter environ cinquante mille hommes, auxquels il faut ajouter la cavalerie d'Antoine, les contingents des alliés qui s'élevaient à environ 30.000 hommes[7], celui du roi d'Arménie qui comptait 16.000 cavaliers, en tout environ 100.000 hommes, c'est-à-dire une des plus grandes armées de l'antiquité. Avant d'entrer en campagne, Antoine la passa tout entière en revue ; puis il se mit définitivement en marche vers la frontière de la Médie, accompagné d'un brillant état-major de grands personnages romains, parmi lesquels Domitius Ænobarbus et Quintus Dellius, un ancien officier de Cassius, qui était passé au service d'Antoine. A ce même moment le gouvernement des triumvirs regagnait en Italie, dans la lutte contre l'opinion publique, une partie du terrain perdu en l'an 39. Octave recommençait la guerre contre Sextus Pompée, sans que l'Italie fit, comme on le craignait, aucune tentative pour l'en empêcher. Le plan soigneusement étudié fut exécuté avec précision : le même jour, le 1er juillet de l'an 36, Lépide partit d'Afrique avec soixante-dix vaisseaux de guerre, douze légions et 5.000 cavaliers numides montés sur mille vaisseaux de transport ; Taurus quitta Tarente avec cent deux vaisseaux ; Octave sortit avec Agrippa de Pouzzoles, avec le reste de la flotte, après avoir fait sur le vaisseau amiral une libation solennelle à Neptune, aux dieux des vents et du temps calme, en les conjurant de lui venir en aide pour qu'il pût venger son père[8]. Mais Neptune s'obstinait à favoriser le fils de Pompée, et il dérangea aussitôt l'exécution d'un plan si bien concerté en déchaînant un grand vent et un grand orage. Taurus, après avoir en vain tenté de tenir tête au vent contraire, fut obligé de retourner à Tarente ; Octave, qui voulut continuer la traversée, perdit au cap Palinure vingt-six gros vaisseaux, et un grand nombre de vaisseaux légers et il dut se réfugier dans une rade[9] ; Lépide seul, après avoir perdu quelques navires, arriva à la fin du troisième jour en vue de la Sicile, mais le 4 juillet, quand il voulut débarquer à Lilybée (Marsala), il se trouva tout seul aux prises avec l'ennemi. Cependant il put débarquer sans difficulté. Sextus, qui ne possédait que huit légions et environ deux cents vaisseaux, ne pouvait faire face aux trois attaques à la fois ; il avait donc envoyé des troupes à Pantellaria et aux îles Ægades, fortifié de nombreux points de la côte, et laissé une légion à Lilybée ; mais il avait réuni ses forces les plus considérables dans le triangle formé par Milæ (Milazzo), le cap Faro et Messine, où était toute sa flotte[10], c'est-à-dire contre Octave qui devait l'attaquer de ce côté et qui était son ennemi le mieux armé et le plus redoutable. S'il réussissait à vaincre Octave, il ne lui serait pas difficile d'arriver à une entente avec Lépide. Celui-ci eut donc facilement raison de la légion qui était à Lilybée. Mais à peine débarqué, Lépide dut s'arrêter lui aussi. Dès qu'il fut informé de ce qui était arrivé à Octave, Sextus Pompée envoya un certain Papias avec une partie de la flotte contre Lépide ; et si Papias n'arriva pas à temps pour empêcher Lépide de débarquer[11], il put encore rencontrer les quatre dernières légions de Lépide, qui étaient parties plus tard, détruire dans un sanglant combat naval deux de ces légions, couler un grand nombre de vaisseaux de transport, chargés de vivres et de matériel de guerre[12]. Intimidé par cette attaque sur ses derrières et informé de ce qui était arrivé à Taurus et à Octave, Lépide s'enferma dans Lilybée. Ainsi quelques jours après la bruyante ouverture de la campagne, tout le monde était tranquille de nouveau et comme en pleine paix. Sextus n'osait pas profiter du moment pour attaquer Octave ; il savait que ses forces étaient trop inférieures pour risquer un tel coup qui, s'il réussissait, aurait pu changer la situation ; il préférait attendre, s'imaginant que les pertes subies par Octave étaient très considérables, et espérant qu'il ne recommencerait la campagne que l'année suivante[13]. Or tant de choses pouvaient arriver en une année ! Aussi il restait sur ses gardes à Messine. En même temps Statilius Taurus ne quittait pas Tarente ; Octave et Agrippa réparaient leur flotte auprès du cap Palinure, et Lépide lui-même attendait sans rien faire, à Lilybée, que ses alliés fussent prêts à reprendre la mer[14]. Mais Sextus se trompait en espérant que Neptune allait lui faire gagner une autre année. Octave comprit qu'en renvoyant à l'année suivante la guerre, sa grande campagne, annoncée avec tant de solennité, tournerait au ridicule. L'Italie, indifférente jusque-là avait commencé à s'agiter de nouveau, quand elle avait su que la grande expédition préparée avec tant de soin, échouait avant de commencer ; on avait fait à Rome de grandes démonstrations contre Octave et des désordres avaient éclaté[15]. Il fallait donc en finir cette année même. Aidé par Agrippa, Octave s'occupa de réparer autant qu'il était possible les avaries de sa flotte ; il envoya à Tarente les matelots survivants des vaisseaux coulés pour qu'ils prissent place sur les vingt-huit vaisseaux d'Antoine qui étaient restés vides dans le port ; il envoya Mécène à Rome pour y rétablir l'ordre[16] ; il écrivit à Lépide de se diriger sur la route qui allait de Lilybée à Messine, en longeant la côte méridionale et la côte orientale de l'île, et en passant par Agrigente, Catania et Taormina, où il s'arrêterait pour attendre le débarquement de troupes qui seraient portées là par la flotte de Tarente[17]. Quant à lui, de son côté, il tâcherait de s'emparer avec Agrippa des îles Lipari, de Milazzo et de Tyndaris, de façon à pouvoir débarquer une autre armée sur la côte septentrionale, et à enfermer Sextus Pompée dans la pointe extrême de l'île. Au milieu de ces préparatifs Ménodore vint avec quelques navires proposer de nouveau ses services à Octave, pour se venger de la défiance assez légitime de Sextus, qui lui avait préféré l'obscur Papias pour l'expédition contre Lépide. Octave lui fit encore bon accueil, mais ne lui donna plus aucune charge de confiance[18] et ce fut là le seul châtiment qu'eut à subir cet affranchi pour avoir trahi trois fois, dans un État où la sévérité implacable envers les affranchis ingrats avait été, pendant des siècles, considérée comme un devoir social des classes supérieures. Ce fait suffirait à lui seul pour montrer combien la discipline et l'autorité s'étaient relâchées pendant les guerres civiles. Une telle indulgence aurait semblé un crime ou une folie, deux siècles auparavant. Vers la fin de juillet, Octave partit de nouveau avec ses vaisseaux réparés tant bien que mal ; Taurus alla jeter l'ancre dans le golfe de Squillace, et les troupes se concentrèrent à la pointe extrême de l'Italie[19]. Mais ces mouvements convergents furent encore une fois contrariés, non plus par le vent et par la mer, mais par la mauvaise foi de Lépide. Mécontent du peu d'égards que ses deux collègues avaient pour lui, il en voulait surtout à Octave, qui, plus jeune que lui, le traitait d'une façon si hautaine ; il lui prit donc fantaisie de montrer qu'il était son égal et qu'il pouvait n'en faire qu'à sa tète : il se dirigea bien sur Messine, mais au lieu de suivre la route que lui indiquait Octave, il prit l'autre, celle qui longe la côte septentrionale de l'île et passe par Trapani, Partinico, Palerme et Cefalù. Le plan qui avait été conçu devenait donc impossible. Arrivé à Vibo (Bivona), Octave fut obligé d'en imaginer un nouveau : Agrippa ferait à lui seul ce qu'ils avaient pensé faire ensemble, c'est-à-dire qu'il s'emparerait des îles Lipari et que, de Milazzo à Tyndaris, il s'efforcerait de harceler toute la flotte ennemie, en empêchant Sextus de protéger la côte jusqu'à Taormina ; de cette façon, la mer se trouvant libre, Octave en profiterait pour débarquer à Taormina les cinq ou six légions (nous ne savons pas exactement leur nombre), qui étaient sur le bord du golfe de Squillace et exécuter l'attaque sur Messine dont on avait voulu charger Lépide et Messala[20]. Ce plan était beau, mais son exécution demandait une grande énergie, une grande rapidité, une grande présence d'esprit de la part d'Octave et d'Agrippa. Sextus était à Messine avec le gros de sa flotte, Démocarès à Milazzo avec trente vaisseaux[21]. Octave se rendit à Squillace et prit le commandement de la flotte, tandis qu'Agrippa s'emparait facilement des îles Lipari[22], et pour empêcher Sextus de tourner son attention de l'autre côté, il se mit à inquiéter l'ennemi par des reconnaissances, des feintes et des escarmouches[23]. A la fin, un matin, il sortit avec la moitié de sa flotte de file Vulcano, comptant surprendre Démocarès dans les eaux de Milazzo. Mais, à sa grande surprise, il s'aperçut que Démocarès avait déjà reçu un premier renfort de 40 vaisseaux, et un second de 70, sous les ordres de Sextus lui-même[24]. Sextus commettait donc spontanément l'erreur à laquelle il aurait voulu le contraindre, et il abandonnait Messine ? En voyant cela, Agrippa envoya aussitôt un petit vaisseau à Octave pour l'avertir que Sextus avait évacué Messine ; il fit venir le reste de sa flotte et, décidé à occuper le plus qu'il pourrait l'amiral ennemi, pour donner à Octave le temps de débarquer, il attaqua résolument l'ennemi[25]. Les vaisseaux d'Agrippa, construits tout exprès pour la guerre, étaient presque tous de gros bâtiments pesants, garnis de grandes tours et munis d'un puissant matériel de balistique ; c'étaient les cuirassés de l'époque. La flotte de Sextus était au contraire une flotte de bâtiments correspondant à nos croiseurs ; presque tous étaient d'anciens bateaux marchands, dont on avait fait des vaisseaux de guerre, c'est-à-dire plus courts, moins protégés et moins armés, mais plus agiles et plus rapides. Ces vaisseaux de Sextus Pompée se jetèrent donc au travers des très longues rames des vaisseaux ennemis, cherchèrent à en briser les gouvernails et à les atteindre à l'avant et à l'arrière, tandis que les vaisseaux d'Agrippa s'efforçaient de saisir avec des harpons ces furieux lévriers de la mer, ou de les chasser en faisant pleuvoir des pierres sur eux[26]. Ce fut un long duel entre la force et la légèreté. Le soir, Sextus Pompée, qui avait perdu une trentaine de ses petits bâtiments, se retira en bon ordre vers les ports de Milazzo. La victoire était donc restée indécise. Mais Octave, qui avait reçu le message d'Agrippa, n'avait pas su agir avec la rapidité nécessaire. Pendant la journée il avait embarqué sur ses vaisseaux trois légions comprenant 1.000 hommes d'infanterie légère, 500 cavaliers, 2.000 vétérans déjà congédiés, à qui on avait promis des terres en Sicile[27], mais il n'était arrivé que dans la soirée[28] à Leucopetra (Capo dell' armi) ; et là il s'était arrêté inquiet et indécis, comme il lui arrivait souvent quand il avait à exécuter un plan bien conçu dans ses grandes lignes. Fallait-il continuer à se diriger sur Taormina et débarquer pendant la nuit, ou attendre au jour suivant ? Tandis qu'Octave était ainsi hésitant à Leucopetra, Agrippa, qui avait perdu cinq gros vaisseaux, ne se sentait nullement rassuré par l'étrange tactique de l'ennemi, qui lui avait si facilement abandonné Messine ; il se demandait si, en se déclarant vaincu tout à coup, Sextus ne lui tendait pas un piège ; il voulait donc se lancer immédiatement à sa poursuite, et ne lui laisser aucun répit, même s'il fallait passer la nuit à l'ancre en pleine mer ou continuer pendant la nuit la bataille de la journée[29]. Malheureusement, ses amis lui représentèrent que les hommes étaient très fatigués, et qu'il était dangereux de passer la nuit en pleine mer. Agrippa dut à la fin reconnaître la justesse de ces observations et retourner à l'île Vulcano[30], avec l'intention de revenir le lendemain menacer Milazzo et Tyndaris et empêcher Sextus Pompée de s'éloigner. Il pensait peut-être qu'Octave avait déjà débarqué ses troupes. Agrippa avait eu raison de se défier : Octave avait remis le débarquement au lendemain[31] et l'apparition de Sextus Pompée dans les eaux de Milazzo, la bataille, sa retraite, n'étaient que des feintes pour attirer le rival dans un piège. Sextus voulait faire croire à Octave qu'il était occupé ailleurs, pour l'attaquer par surprise, à peine débarqué à Taormina, avec la flotte et l'armée et s'emparer de sa personne. Octave disparu, Sextus comptait toujours pouvoir, aidé par sa popularité, s'entendre avec Antoine et avec les autres. Il avait donc déjà dirigé d'importantes troupes d'infanterie et de cavalerie sur Taormina ; et le soir de la bataille navale, il s'était retiré, feignant d'être vaincu, mais pour aller guetter Octave et se tenir prêt à fondre sur lui à l'improviste le lendemain à Taormina, au milieu des opérations du débarquement[32]. Et tout dans la nuit marcha à souhait pour Sextus. Agrippa se laissa dissuader de sa première idée qui était la bonne ; Octave, informé probablement pendant la nuit de la bataille navale qui avait eu lieu, crut à une victoire d'Agrippa, et se décida à faire voile le matin vers Taormina, tandis qu'Agrippa tentait de s'emparer de Tyndaris ; l'infanterie et la cavalerie dirigées par Sextus sur Taormina eurent le temps d'arriver à proximité de la ville et d'y attendre Octave et ses soldats. Aussi l'après-midi, comme les soldats d'Octave, enfin débarqués, commençaient à construire leur camp, ils virent soudain apparaître au large la flotte de Sextus, et autour de la ville, de tous les côtés, sortir des corps de cavalerie et d'infanterie[33]. Tout le monde comprit immédiatement qu'on était tombé dans un piège ; mais comme toujours dans de telles circonstances, Octave perdit la tête, il ne sut rien faire pour organiser la défense ; il aurait peut-être laissé massacrer toute son armée, si l'ennemi avait attaqué plus hardiment et si la journée eût été plus longue. Par bonheur la nuit survint et interrompit la mêlée confuse qui s'était engagée autour de la ville ; mais elle ne porta pas conseil au craintif général. Se croyant cerné, ne sachant ce qu'il était advenu d'Agrippa, comprenant que Sextus ne visait pas tant à détruire son armée qu'à s'emparer de sa personne, au lieu de prendre les dispositions nécessaires pour la lutte du jour suivant, il ne songea plus qu'à se sauver en abandonnant son armée. C'est tout ce que signifie le parti désespéré qu'il prit de livrer bataille à la flotte ennemie dès le lendemain, pour se faire un chemin du côté de la mer. Pendant la nuit, tandis que les soldats achevaient les travaux du camp, Octave céda le commandement de l'armée à un officier du nom de Cornificius, et il ordonna à la flotte de se préparer à lever l'ancre ; avant le jour, ayant dressé sur son vaisseau les enseignes du commandement, il fondit sur la flotte de Sextus[34]. Celle-ci était beaucoup moins nombreuse, mais mieux commandée ; le choc ne l'ébranla pas et la déroute fut au contraire pour la flotte d'Octave. Une soixantaine de vaisseaux furent pris[35], et les autres s'enfuirent à la débandade. Cependant Octave réussit encore une fois à s'échapper ; il arriva le soir avec un seul vaisseau dans un petit golfe solitaire où il fut recueilli et secouru par Messala qui gardait les côtes[36] ; et bien qu'il eût de nouveau échoué honteusement dans ses plans, il parvint, lui aussi, à faire échouer Sextus dans les siens. Seule la mort d'Octave pouvait sauver le fils de Pompée, qui dans une guerre régulière devait succomber, malgré toutes les fautes de ses adversaires, parce que ses forces étaient trop inférieures. Agrippa, dans les deux jours pendant lesquels Pompée combattait à Taormina, avait pu s'emparer, non de Milazzo, mais de Tyndaris[37], et il commençait sous les yeux des Pompéiens le transport des soldats en Sicile, tandis que Lépide, très lentement, il est vrai, s'approchait de Tyndaris avec son armée, et que Cornificius, pour ne pas mourir de faim dans son camp près de Taormina, se mettait hardiment en route pour Milazzo, qu'il croyait au pouvoir d'Agrippa. Octave fut bientôt remis de sa frayeur ; il comprit que si l'on pouvait sauver Cornificius, la peur aurait été plus grande que le danger ; et il envoya à Agrippa l'ordre d'expédier de Tyndaris des troupes de secours' au-devant de Cornificius. Pendant quatre jours, Cornificius marcha, combattant sans trêve, souffrant du manque de vivres, ignorant que l'on s'efforçait de le secourir, poursuivi avec acharnement par l'ennemi ; si bien que le quatrième jour, se sentant véritablement à bout, il était sur le point de succomber, quand soudain l'ennemi se mit à fuir. Les trois légions envoyées par Agrippa étaient arrivées, sous les ordres d'un certain Laronius, qui est encore un de ces hommes obscurs qui, dans le désordre d'alors, arrivaient brusquement aux plus hauts commandements[38]. Ainsi, malgré les malheurs et les fautes, si Octave avait échoué dans son projet d'attaquer Sextus Pompée de deux côtés à la fois, il avait réussi à débarquer une armée en Sicile. A partir de ce moment la force du nombre reprit ses droits. Tous les jours de nouveaux soldats débarquaient à Tyndaris et l'armée grossissait. Sextus Pompée, ayant réuni toutes ses forces de terre, fit tout ce qu'il put pour entraver les débarquements et les opérations de l'ennemi[39] ; mais il s'aperçut bientôt, surtout quand Lépide eut rejoint avec son armée les troupes débarquées à Tyndaris, qu'il pourrait de cette façon retarder de quelques jours la défaite, mais non l'éviter. Il ne pouvait empêcher ce débarquement continuel de légionnaires en Sicile que s'il réussissait à détruire ou à capturer la flotte ennemie ; il prit donc ce parti désespéré, le seul qui lui restait, et il sortit dans les derniers jours d'août[40] avec environ 180 vaisseaux pour livrer bataille dans les eaux de Nauloque à un ennemi dont les forces étaient beaucoup plus considérables, et qui se sentait sûr de la victoire. Sextus fut vaincu ; 160 de ses vaisseaux furent détruits ou capturés ; il ne lui en resta que dix-sept avec lesquels il s'enfuit à Messine ; et de là ayant pris avec lui ses trésors et sa fille, il fit voile vers l'Orient. Démocarès périt dans la bataille ; Apollophane se rendit[41]. C'est ainsi qu'avec beaucoup de peine et peu de gloire, Octave avait fini par vaincre Sextus Pompée. Tandis que ces batailles se livraient en Sicile, Antoine passait en revue ses troupes sur le haut plateau d'Erzerum, et il les dirigeait sur les frontières de la Médie par deux routes différentes[42] ; le matériel de siège, dans lequel figuraient des engins énormes, et dont le transport exigeait des efforts inouïs[43], les contingents de l'Arménie et du Pont, et deux légions, sous le commandement d'Oppius Statianus, prirent la route plus facile, mais plus longue, de la vallée de l'Arax ; Antoine avec le reste de l'armée prit un chemin plus direct mais plus accidenté. II arriva ainsi vers la fin de juillet à la frontière de la Médie. Les événements qui suivirent nous montrent qu'Antoine aurait dû attendre là l'autre corps d'armée, pour envahir le pays ennemi avec toutes ses forces réunies, au lieu de marcher aussitôt sur Phraaspa, la capitale de la Médie Atropatène, en devançant de quelques jours son matériel de siège et son arrière-garde. Fut-il amené par des renseignements faux, à croire que le roi des Mèdes et le roi des Parthes étaient encore loin, et qu'il serait ainsi facile de prendre la capitale par surprise ? Ou, préoccupé par la situation intérieure de l'empire, voulait-il finir la guerre le plus vite possible, pour rentrer victorieux ? Quoi qu'il en soit, il commit alors une lourde faute. Il arriva bien à la métropole vers la fin d'août, sans avoir rencontré l'ennemi ; mais si, dans les collines de Médie, il était malaisé aux Parthes d'employer leur cavalerie, il leur était d'autre part facile de cacher une grosse armée pour guetter un ennemi qui ne pouvait guère se fier aux renseignements que lui donnaient les habitants. En effet, tandis qu'Antoine traçait autour de Phraaspa ses lignes de circonvallation, le roi Phraatès passait à son insu tout auprès de lui avec de grosses troupes de cavalerie, et il allait attaquer à Gazaca la seconde armée qui escortait le matériel de siège. Ce qui se passa alors n'est pas très clair. Le roi d'Arménie jouait-il un double jeu, comme l'avaient fait tant de fois dans ces guerres les rois d'Orient ? L'armée formée tant bien que mal par le roi du Pont avait-elle peu de valeur ? Toujours est-il que le parc de siège fut pris et détruit, que les troupes d'Oppius furent écrasées, et que Polémon fut fait prisonnier ; quant au roi d'Arménie, soit qu'il fût vraiment pris de panique, ou qu'il feignit d'avoir peur, il retourna dans son pays, emmenant avec lui la meilleure partie de la cavalerie et celle qui était le mieux exercée à la tactique de l'ennemi[44]. Antoine cependant ne perdit pas courage, et il résolut de continuer le siège, même sans les machines, espérant pouvoir livrer bataille à l'armée des Parthes, qui, revenue maintenant vers Phraaspa, réussit continuellement autour de ses lignes, toujours présente, toujours gênante et toujours insaisissable. La légion était un instrument de guerre puissant comme une massue ; mais pouvait-on avec une massue écraser des essaims de guêpes' ? Antoine fit différentes tentatives pour amener l'ennemi à livrer bataille ; une fois même il s'éloigna avec toute sa cavalerie, dix légions et trois cohortes prétoriennes jusqu'à un jour de marche de la ville ; il recueillit d'énormes quantités de vivres, il pilla et incendia ; il feignit même à un certain moment, à l'occasion d'une escarmouche, d'avoir été saisi de panique. Les Parthes s'y laissèrent prendre, et ils attaquèrent, espérant une nouvelle bataille de Carrhes. Mais dès qu'ils s'aperçurent que les légions tenaient bon et qu'elles exécutaient des contre-attaques, ils tournèrent bride et s'enfuirent. Ce fut en vain que l'infanterie romaine les poursuivit environ dix kilomètres et la cavalerie environ trente ; on ne put en tuer ou en capturer qu'un petit nombre[45]. Il fallut revenir au siège, dans l'espoir que la ville, étant réduite à la dernière extrémité par la famine, les Parthes attaqueraient les troupes romaines pour la délivrer. Le mois de septembre passa cependant[46] ; les assiégés faisaient de fréquentes sorties[47], prouvant ainsi qu'ils avaient bon courage et ne manquaient pas de provisions ; les opérations du siège étaient rendues plus difficiles par la perte du matériel ; les pluies et les brouillards d'octobre commençaient ; comme on avait tout pris dans les régions avoisinantes, il fallait envoyer des détachements plus loin pour se ravitailler[48] ; tenue dans une alerte continuelle, soumise aux plus lourds travaux, l'armée s'exténuait de fatigue et de disette. Mais Antoine tenait bon ; il maintenait la discipline avec beaucoup d'énergie[49], résolu à bien mettre à l'épreuve la patience d'ennemis, qui étaient certes agiles et vaillants, mais n'étaient pas habitués à faire campagne pendant l'hiver. Si l'armée romaine se fatiguait, Phraatès aussi était inquiet, en voyant que les jours diminuaient et qu'Antoine n'avait nullement l'air de vouloir lever le siège[50]. A la fin, comme Phraatès ne voulait pas risquer une bataille, il eut recours encore une fois à la ruse perfide qui avait réussi au Suréna, et il fit répandre dans les légions fatiguées le bruit que le roi des Parthes était disposé à conclure une paix honorable, si Antoine ne s'obstinait pas à prolonger la guerre. Les détachements qui sortaient pour aller fourrager ne rencontraient plus de bandes d'ennemis prêts à se jeter sur eux, mais de simples groupes de cavaliers qui s'approchaient d'eux amicalement, et dont les officiers cherchaient à lier conversation avec eux, leur disant que les Parthes voulaient la paix. La nouvelle que l'ennemi, désirait la paix se répandit parmi les soldats fatigués, qui manifestèrent une très vive joie ; Antoine lui-même en fut ébranlé un instant ; ne sachant s'il pouvait se fier à ces avances, il fit une enquête pour s'assurer de ce qu'il y avait de vrai dans ces bruits qui couraient, et il finit par offrir à Phraatès de faire la paix, s'il lui restituait les étendards et les prisonniers de Crassus. Ne pouvant conquérir la Perse, ne voulant pas rentrer dans l'empire les mains vides, il réclamait au moins ces pauvres symboles de l'honneur militaire ! Mais Phraatès refusa et répondit que, si Antoine voulait se retirer immédiatement, il consentirait à ne pas inquiéter sa retraite ; qu'il ne pouvait lui accorder davantage[51]. La ville faisait une résistance opiniâtre, les soldats étaient épuisés, l'hiver approchait et le ravitaillement de l'armée devenait de plus en plus difficile. S'il ne consentait pas à se retirer, Antoine n'avait devant lui que deux perspectives : ou camper sous la neige, devant la ville, tout l'hiver, ou tenter quelque coup d'audace, aller chercher plus loin encore des vivres, un abri, un champ de bataille[52]. Antoine regarda autour de lui son armée fatiguée et découragée ; peut-être aussi il pensa à l'empire en dissolution qui réclamait là-bas sa présence et qui l'aurait cru perdu s'il eût subi même un petit échec. Dans les derniers jours d'octobre il accepta les propositions de Phraatès et il ordonna la retraite. Mais Phraatès voulait imiter jusqu'au bout la perfidie du Suréna en poursuivant sans pitié l'ennemi dans sa retraite, et il aurait peut-être réussi, si Antoine, avant de partir, ne se fût douté, nous ne savons trop comment, des intentions de l'ennemi. Il résolut alors de prendre une autre route que celle qu'il avait suivie pour venir, et de passer par un chemin encore plus escarpé et par suite peu praticable pour la cavalerie. C'est peut-être la route qui, à notre époque, passe par Tabriz et vient tomber sur l'Arax à Julfa. Cependant Phraatès ne renonça pas entièrement à son projet, et dès le troisième jour il vint tourmenter l'armée romaine pendant sa retraite périlleuse qui dura vingt-quatre jours. Mais dans le danger et la souffrance Antoine retrouva, pour la dernière fois, toutes ses grandes qualités de chef. Infatigable, toujours prêt à accourir à l'endroit où l'armée était menacée par l'ennemi mobile qui tantôt l'attaquait par devant, tantôt en queue, sachant encourager les soldats par les paroles et par l'exemple, prenant gaîment sa part de tous les dangers et de toutes les privations, il soutint si bien le courage de l'armée que, tout en épuisant ses provisions, en se nourrissant à certains moments de racines et en buvant de l'eau croupie, elle ne résista pas seulement aux attaques continuelles, mais — ce qui était plus difficile—aux propositions de paix captieuses qui avaient perdu l'armée de Crassus. Ce fut en vain que l'ennemi promit à l'armée romaine de ne plus l'inquiéter si elle quittait la route aride et fatigante qu'elle suivait dans la montagne pour descendre dans la plaine où l'eau était en abondance. Sourde à ces promesses fallacieuses, bien unie combattant toujours, osant même de temps en temps, bien qu'elle battît en retraite, se jeter sur l'ennemi et l'attaquer à son tour, l'armée romaine porta de l'autre côté de l'Arax les aigles des légions. Vingt mille légionnaires ou auxiliaires et quatre mille cavaliers avaient péri au cours de l'expédition. Antoine n'avait pas réussi à faire la conquête de la Médie, mais Phraatès n'avait pas non plus pu répéter les massacres de Carrhes[53]. Antoine, se souvenant là encore des leçons de César, envoya au sénat un compte rendu de son expédition, dans lequel il ne manquait pas de dire que tout avait réussi à merveille[54]. Il mentait, sans doute, avec l'audace dont les politiciens de l'époque était coutumiers ; mais il est juste de dire que si Antoine faisait alors un récit mensonger, le jugement des anciens et des modernes sur cette expédition a été trop sévère[55]. Antoine ne commit en réalité qu'une faute véritable, celle de laisser Phraatès s'emparer de son parc de siège. En dehors de cela, il faut reconnaître que le plan stratégique était grandiose et excellent (et la chose n'est pas surprenante, puisque César en était l'auteur) ; qu'Antoine fit preuve d'audace en voulant le mettre à exécution ; qu'il prépara son expédition avec grand soin, et qu'il sut ensuite diriger avec beaucoup de vigueur et d'activité une armée aussi nombreuse. Il fit en effet, avec rapidité et sans être arrêté, une marche vraiment gigantesque, et il réussit ensuite à mettre son armée en sûreté après une retraite très difficile de près de 500 kilomètres. Il est vrai qu'Antoine ne réussit pas à prendre Phraaspa ni à obliger l'armée des Parthes à lui livrer une bataille qu'il aurait gagnée ; mais d'autres que lui, et César lui-même, auraient-ils réussi ? Si on ne peut pas le nier avec certitude, on peut aussi hésiter à l'affirmer. César ne faillit-il pas échouer, lui aussi, dans sa guerre contre Vercingétorix, parce qu'il ne parvenait pas, par des sièges, à obliger l'ennemi à livrer bataille ? Ne triompha-t-il pas à la fin, simplement parce que l'ennemi fut contraint, non par lui, mais par la situation politique de la Gaule, à en venir aux mains ? De toute façon il n'est pas douteux que si Antoine commit des fautes, il faut rechercher la raison principale de l'insuccès dans la situation politique de l'empire romain et dans les difficultés de l'entreprise qu'il était impossible de prévoir. L'armée des Parthes était beaucoup plus forte que toutes les autres armées d'Orient, dont avaient eu raison Lucullus et Pompée ; le grand éloignement ajoutait encore aux difficultés ; la conquête de la Perse était donc une tout autre entreprise que n'avaient été la conquête du Pont ou celle de la Syrie. Rome ne pouvait guère mener à bien une telle expédition dans l'état de désordre politique et social où elle se trouvait alors. Sans doute on peut affirmer avec vraisemblance que l'armée réunie par Antoine, une des plus grandes armées mises sui pied par Rome, aurait dû suffire, au moins dans des conditions normales, à faire une marche victorieuse à travers la Perse jusqu'à la capitale, sinon à conquérir définitivement tout le grand empire. Mais il ne faut pas oublier qu'Antoine tenta cette entreprise au milieu d'une révolution, avec très peu d'argent et avec une armée recrutée pour la guerre civile, dont le patriotisme et la discipline ne pouvaient pas être bien vigoureux. La situation d'Antoine était absolument l'opposé de ce que fut celle de Bonaparte. Bonaparte fit un coup d'État après de brillantes victoires remportées sur les étrangers : Antoine dut aller chercher des victoires pour justifier un coup d'État déjà accompli, le triumvirat, et avec l'armée même du coup d'État, démoralisée et dépourvue de patriotisme. Il est probable qu'il eût réussi, s'il avait eu plus d'argent et de temps ; s'il avait pu, cette année-là laisser ses troupes se reposer en Arménie, faire la conquête de la Médie au printemps suivant, et attendre une année pour envahir la Perse. Il échoua au contraire, parce qu'il précipita les choses, l'invasion d'abord et la retraite ensuite ; et il commit cette erreur, non pas, comme aimaient à le dire les anciens, parce qu'il avait hâte de retourner auprès de Cléopâtre, mais parce que la situation créée par la révolution et les guerres civiles lui imposait de vaincre à bref délai. Maître peu sûr d'un pouvoir acquis révolutionnairement, dépourvu d'instruments solides de domination, obligé de s'occuper à la fois des affaires d'Italie et des affaires d'Orient, réduit au périlleux expédient de son mariage égyptien pour se procurer l'argent nécessaire à la guerre, Antoine n'aurait pu rester en Perse les trois ou quatre ans qui étaient absolument nécessaires pour accomplir avec succès une entreprise aussi compliquée et aussi difficile. La dépense aurait été trop au-dessus de ses moyens ; les soldats, maîtres de tout en temps de guerre civile, se seraient difficilement soumis à un effort si long ; personne n'aurait pu prévoir ce qui pouvait arriver dans tout l'empire, pendant une si .longue absence. Ce n'est pas dans le manque d'aptitudes stratégiques d'Antoine qu'il faut chercher la cause principale de son échec, mais dans les conditions politiques du monde romain. Le programme de César, réalisable peut-être encore au mois de mars de l'an 44, n'était plus réalisable dix ans plus tard. Les ravages de la révolution avaient plus affaibli la puissance de Rome. |
[1] Voy. JOSÈPHE, Antiquités judaïques, XV, IV, 2 ; Guerre des Juifs, I, XVIII, 5. STRABON, XI, XIII, 4 (524).
[2] DION, XLIX, 25 ; mais il s'agit évidemment d'une feinte. Voy. KROMAYER, dans Hermes, XXXI, p. 101.
[3] C'est une supposition que fait KROMAYER, dans Hermes, XXXI, p. 71.
[4] STRABON, XI, XIII, 4 (524) et PLUTARQUE, Antoine, 38, comptent 8.000 stades, c'est-à-dire 1.440 kilomètres de Zeugma à la frontière de Médie : TITE-LIVE, Per., 130 milles, c'est-à-dire 443 kilomètres de la capitale de la Médie à la frontière.
[5] PLUTARQUE, Antoine, 37. Voy. KROMAYER, Hermes, XXXI, p. 82.
[6] Voy. KROMAYER, Hermes, XXXI, p. 83 et suiv.
[7] PLUTARQUE, Antoine, 37.
[8] APPIEN, B. C., V, 98.
[9] DION, XLIX, 1 ; APPIEN, B. C., V, 98.
[10] DION, XLIX, 2 ; APPIEN, B. C., V, 97, V, 405. Ces renseignements détachés, donnés à différents moments de la guerre, nous démontrent que la disposition stratégique des forces de Pompée était celle que nous avons indiquée dans notre récit.
[11] Appien ne raconte pas avec beaucoup de clarté ce que Sextus a fait pour se défendre contre Lépide. V, 97, il dit qu'il lui opposa un certain Plennius ; V, 104, il fait entrer tout à coup en scène l'amiral Papias, qui détruit une partie de la flotte de Lépide, après que celui-ci a débarqué ; il ajoute que par terre Lilybée fut attaquée non par Plennius mais par Tisiénus. Ce Tisiénus est sans doute le général que Dion appelle Gallus, parce que Dion, dans un endroit (XLIX, 8), nous donne son nom en entier : Tisiénus Gallus. Tisiénus et Plennius formeraient-ils un seul et même personnage ? Quant à Papias, il est évident que son intervention dans la lutte a été improvisée, parce qu'au chapitre XCVII, Appien dit clairement que Sextus voulait garder toute sa flotte à Messine et lutter contre Lépide seulement par terre. Il me semble donc très probable qu'au commencement de la campagne Papias était à Messine sous les ordres de Sextus, et que celui-ci le détacha contre Lépide quand il sut que Sextilius Taurus et Octave étaient immobilisés à cause des dommages subis pendant la tempête. Ainsi s'explique que Papias n'ait pu attaquer Lépide, qui était déjà débarqué, mais seulement la partie de sa flotte qui formait la seconde expédition.
[12] APPIEN, B. C., V, 104.
[13] APPIEN, B. C., V, 100.
[14] C'est une supposition vraisemblable, qui nous explique aussi pourquoi on n'a aucun renseignement sur son action, à ce moment.
[15] APPIEN, B. C., V, 99. Voy. APPIEN, V, 112.
[16] APPIEN, B. C., V, 99.
[17] APPIEN, B. C., V, 103, dit qu'Octave étant allé à Vibon ordonna à Messala de passer en Sicile avec deux légions, de se joindre à l'armée de Lépide et de s'établir dans un golfe près de Taormina. Il est donc évident qu'au début de la guerre Octave voulait que Lépide, avec son armée, vint occuper Taormina, où il recevrait les renforts envoyés d'Italie, pour attaquer de ce côté-là Sextus ; ce qu'il ne pouvait faire qu'en parcourant la route indiquée dans notre récit, par Agrigente et Catania. Mais Lépide n'a pas exécuté ce mouvement, puisqu'il ne sera pas question de lui ni dans les combats qui se livreront autour de Taormina ni dans toute la suite de la guerre, jusqu'à sa dernière phase. Dans celle-ci il fera sa jonction avec Octave, selon Dion, à Artémisium, très près de Milazzo (XLIX, 8). Appien donne une autre indication peu claire et fixe comme lieu de la jonction le territoire des Παλαιστηνοί (?) — B. C., V, 117 : mais il confirme le récit de Dion en nous disant que la jonction des deux généraux s'est effectuée tandis qu'Octave opérait entre Tyndaris et Milazzo, c'est-à-dire sur la côte septentrionale de la Sicile. Ceci revient à dire que Lépide était venu de Lilybée en prenant l'autre route, la plus courte, qui par Palerme longe la côte septentrionale de l'ile. Si Lépide a suivi cette route, nous nous expliquons pourquoi le plan conçu par Octave au commencement de la campagne n'a pas été exécuté : mais il reste à expliquer pourquoi Lépide n'a pas voulu se rendre, par l'autre chemin, à Taormina et venir attaquer Sextus sur l'autre flanc. DION, XLIX, 8 nous donne une explication qui nous fournit en même temps un argument très fort à l'appui de notre hypothèse. Lépide... eut des dissensions avec César. Lépide prétendait avoir, comme collègue, une part égale à la sienne dans la direction de toutes les affaires ; César se servait constamment de lui comme d'un lieutenant. Aussi pencha-t-il pour Sextus et entretint-il secrètement des rapports avec lui. Lépide se refusa à exécuter le plan d'Octave pour montrer qu'il n'était pas son subordonné et aussi pour lui rendre plus difficile son succès.
[18] DION, XLIX, 1 ; APPIEN, B. C., V, 100-102 ; OROSE, VI, XVIII, 25.
[19] APPIEN, B. C., V, 103.
[20] APPIEN (B. C., V, 103) dit avec une grande précision que le campement à Taormina menaçant Messine devait être fait par Lépide et Messala, mais il ne nous explique point pourquoi, deux chapitres plus loin, c'est Octave qui se décide à aller lui-même à Taormina, à la tête d'une petite armée. Le refus de Lépide, que nous avons supposé en nous appuyant sur un texte de Dion (XLIX, 8) nous explique très bien le changement de plan, qui n'a pu être imposé que par des raisons très graves. En effet, il était très dangereux de tenter un débarquement dans ces conditions ; et Agrippa et Octave auraient commis une véritable folie en risquant cette aventure, quand ils avaient déjà une armée en Sicile, celle de Lépide, si Lépide avait consenti à marcher. La mauvaise foi ou l'entêtement de Lépide les obligea au contraire à se partager les rôles et à tenter ce coup d'audace, qui faillit finir par un désastre irréparable. En somme le refus de Lépide, apportait un trouble profond dans toute la campagne ; et l'histoire de cette guerre est peu claire dans Dion et dans Appien, parce qu'ils ont négligé ce fait d'une importance capitale. On ne comprend rien au rôle ambigu de Lépide.
[21] DION, XLIX, 2 ; APPIEN, B. C., V, 105, donne plus de détails.
[22] APPIEN, B. C., V, 105, dit seulement qu'Agrippa prit Stromboli et l'île Vulcano, probablement parce que ces deux îles seules étaient occupées militairement.
[23] DION, XLIX, 2.
[24] APPIEN, B. C., V, 105.
[25] APPIEN, B. C., V, 106.
[26] APPIEN, B. C., V, 106 ; DION, XLIX, 3, est moins précis.
[27] APPIEN, B. C., V, 110.
[28] APPIEN, B. C., V, 109.
[29] APPIEN, B. C., V, 108.
[30] APPIEN, B. C., V, 108 ; DION, XLIX, 4, donne une autre version.
[31] APPIEN, B. C., V, 109.
[32] APPIEN, B. C., V, 109.
[33] APPIEN, B. C., V, 109-110 ; DION, XLIX, 5.
[34] APPIEN, B. C., V, 111 et DION, XLIX, 5, donnent deux descriptions très brèves. Mais tout porte à croire qu'Octave se comporta en chef incapable et peureux, sans quoi il n'aurait pas perdu tant de vaisseaux, lui qui avait la flotte la plus considérable.
[35] Quand Octave restitua sa flotte à Antoine, il y manquait soixante vaisseaux (APPIEN, B. C., V, 139 : 70 sur 130) ; le plus grand nombre de ces vaisseaux furent perdus dans cette bataille, la seule que cette flotte ait livrée.
[36] APPIEN, B. C., V, 112.
[37] APPIEN, B. C., V, 109 décrit les premières tentatives qui furent faites pour prendre Tyndaris ; au chap. CXV il semble qu'Agrippa soit déjà maitre de Milazzo ; le chap. CXVI fait voir au contraire que Milazzo était encore au pouvoir de Sextus Pompée, alors que Tyndaris servait au débarquement des troupes d'Octave. Elle était donc déjà prise, comme Appien le dit B. C., V, 116.
[38] APPIEN, B. C., V, 113-115 ; DION, XLIX, 6-7.
[39] APPIEN, B. C., V, 116-118 ; DION, XLIX, 8.
[40] Le C. I. L., X, 8375 nous apprend que le 3 septembre l'armée de Pompée se rendit à Lépide.
[41] APPIEN, B. C., V, 119-122 ; DION, XLVIII, 8-11.
[42] Voy. KROMAYER, Hermes, XXXI, p. 84.
[43] BOUCHÉ-LECLERCQ, Histoire des Lagides, II, Paris, 1904, p. 259.
[44] PLUTARQUE, Antoine, 38-39 ; DION, XLIX, 25.
[45] PLUTARQUE, Antoine, 39.
[46] PLUTARQUE, Antoine, 40. Voy. KROMAYER, dans Hermes, XXXI, p. 92.
[47] PLUTARQUE, Antoine, 39 ; DION, XLIX, 36.
[48] PLUTARQUE, Antoine, 40 ; DION, XLIX, 26.
[49] DION, XLIX, 26-27.
[50] PLUTARQUE, Antoine, 40 ; DION, XLIX, 27.
[51] PLUTARQUE, Antoine, 40.
[52] BOUCHÉ-LECLERCQ, Histoire des Lagides, II, Paris, 1904, p. 200.
[53] PLUTARQUE, Antoine, 41-50 ; DION, XLIX, 28-31.
[54] DION, XLIX, 32.
[55] Voy. la belle réfutation de KROMAYER, dans Hermes, XXXI, p. 90 et suiv. M. Bouché-Leclercq, dans son Histoire des Lagides, s'éloigne un peu moins de la tradition. Il dit (II, p. 259) qu'Antoine commit une faute initiale en quittant trop tard la Syrie ; et que cette faute aggrava l'autre, plus lourde encore, qu'il avait commise en se laissant entraîner dans une aventure dont il n'avait pas su peser les risques. Un Alexandre se fût tiré d'affaire en ne regardant pas derrière lui, en corrigeant un acte d'imprévoyance par un coup d'audace. Oui ; mais il ne faut pas oublier qu'Alexandre pouvait ne pas regarder derrière lui, car il n'avait derrière lui ni un épouvantable coup d'État comme le triumvirat, ni les proscriptions. Il faut considérer qu'Antoine n'avait qu'une armée révolutionnaire pour faire cette guerre.