Cependant, au mois de juillet de l'an 37, à ce qu'il semble, Jérusalem était tombée au pouvoir d'Hérode et de Sossius[1], et la fin de cette guerre changeait la situation, au point de rendre en partie inutiles les laborieux arrangements de Tarente. L'armée qui avait fait le siège de la ville se trouvait libre, et Antoine, qui s'était déjà déchargé sur son collègue d'une partie des dépenses pour la flotte, fut heureux de pouvoir économiser la solde et la nourriture des vingt et un mille soldats d'Octave, dont il n'avait plus besoin pour réaliser le plan de César, qui était une application en grand du conseil donné inutilement à Crassus par le roi d'Arménie, en l'an 55. Pour faire la conquête de la Perse, il était nécessaire de détruire l'armée des Parthes, et en particulier leur fameuse cavalerie si merveilleusement dressée à entraîner l'ennemi loin des bases des opérations, à le tourner, à l'attaquer sur le front, à le harceler sur les flancs, en évitant les rencontres décisives. Comment échapper à cette tactique ? Comment obliger les Parthes à livrer une bataille rangée, à peu de distance des bases des opérations, dans un lieu et à un moment favorables ? Fallait-il reprendre la route suivie par Crassus et menacer Séleucie ? C'était peu de chose pour les Parthes que de perdre pendant quelque temps les villes de la Mésopotamie ; quant à menacer Séleucie, elle était si loin de l'Euphrate, que pendant sa marche l'armée romaine aurait offert à l'ennemi toutes les occasions les plus favorables pour appliquer avec succès sa tactique, comme le désastre de Crassus le prouvait. César avait donc décidé d'envahir la Perse en suivant une route plus longue mais plus sûre, non par l'est, mais par le nord ; de réunir dans la petite Arménie, sur le plateau que l'on appelle aujourd'hui le plateau d'Erzerum, environ 100.000 hommes, tant légionnaires qu'auxiliaires orientaux, de grandes provisions et un immense parc de siège ; partant de là de traverser des pays riches, peuplés, et amis des Romains pour arriver jusqu'à l'Araxe, qui formait la frontière d'un grand État vassal des Parthes, la Médie Atropatène ; de marcher sur la métropole de la Médie, qui n'était guère qu'à 400 kilomètres de la frontière[2]. Si les Parthes accouraient au secours du roi vassal, l'armée romaine livrerait les batailles décisives dans un endroit favorable, en ayant ses derrières à couvert ; si les Parthes l'abandonnaient à son destin, la Médie serait la première étape de la conquête, la base des opérations d'où l'armée romaine repartirait ensuite pour envahir la Perse. Pour qu'Antoine se sentit le courage d'exécuter une aussi grande entreprise, il fallait qu'il ne fût pas aussi amolli par les plaisirs que ses biographes se sont plu à le dire ; mais pour tant de soldats que l'on mettait sous les armes, pour les approvisionnements que l'on faisait, pour les nombreuses machines que l'on construisait, il fallait des sommes énormes. Antoine devait à la fin se convaincre que tous les moyens employés par lui pour se les procurer, étaient insuffisants. Ni les nouveaux souverains qu'Antoine avait créés en Orient en l'an 39, ni ses questeurs qui mélangeaient des quantités toujours plus grandes de cuivre et de fer avec l'argent pour frapper les denarii destinés aux légions[3], ni les petites expéditions ou razzias qu'il faisait faire tantôt par une partie de l'armée, tantôt par une autre, ne suffisaient à lui fournir ce dont il avait besoin. Aussi vers ce moment-là Antoine chargeait Canidius de conduire six légions dans le Caucase pour faire la guerre aux Ibères et aux Albans, pour faire vivre ces légions aux frais de ces barbares, et leur faire passer l'hiver non loin du plateau d'Erzerum, où l'armée se réunirait au printemps[4]. En somme, ce n'étaient pas les hommes, mais l'argent qui manquait à Antoine, pour exécuter le grand projet de César, qui devait faire de lui le maître de l'empire. Octave, qui avait encore moins d'argent que lui, ne pouvait donc plus être d'aucune utilité à Antoine, et celui-ci devait s'indigner d'autant plus de la défiance et de la duplicité que son collègue avait apportées dans leur marché, et souffrir de l'affront que son beau-frère lui avait fait subir à Tarente, en l'obligeant à implorer un accord qui était beaucoup plus avantageux pour Octave que pour lui. C'est pour cela que dans son court voyage de Tarente à Corfou, Antoine jugea que le moment était enfin venu d'accepter l'offre que lui avait faite Cléopâtre et de devenir, par un mariage, roi d'Égypte[5]. L'homme que les historiens anciens représentent comme le héros d'un long roman d'amour, venait de passer trois années loin de Cléopâtre, sans dépérir ; et il revenait à elle, qui était la reine du seul pays d'Orient que les guerres civiles n'eussent pas encore ruiné, au moment où il avait pour son entreprise un si grand besoin d'argent qu'il était obligé de céder une partie de sa flotte à son collègue. Cette seule considération nous autorise à nous demander si ce fameux roman n'a pas été inventé pour cacher une lutte beaucoup plus sérieuse d'intérêts politiques. En épousant Cléopâtre, Antoine ne voulait pas satisfaire sa passion romantique pour la reine d'Égypte, mais seulement joindre l'Égypte aux autres pays qu'il gouvernait, et puiser à pleines mains dans le trésor des Lagides pour entretenir son armée et exécuter la grande idée héritée de César. C'est, en somme, la conquête de la Perse qui explique cet acte comme toute la politique d'Antoine. Malheureusement l'expédient d'un mariage dynastique, auquel Antoine avait recours cette fois, ne pouvait pas se concilier avec la constitution romaine et l'autorité proconsulaire, si altérées qu'elles fussent l'une et l'autre, après un siècle de convulsions politiques. Épouser Cléopâtre, à ce moment-là signifiait pour Antoine accomplir un acte révolutionnaire très grave, même pour cette époque de désordre, un acte qui bouleversait les traditions les plus anciennes de la politique romaine ; et l'accomplir subitement, sans l'avoir préparé, comme s'il s'agissait d'une chose sans importance, en bravant les préjugés des masses et les traditions, en affrontant l'inconnu avec une témérité que seul le succès le plus éclatant aurait pu justifier. Des hommes plus grands qu'Antoine, César lui-même peut-être, auraient hésité. Antoine au contraire, arrivé à Corfou, renvoya en Italie Octavie et ses enfants[6] et il manda Fonteius Capiton à Alexandrie pour inviter Cléopâtre à venir au-devant de lui en Syrie[7]. Son tempérament d'homme supérieur mais peu pondéré, la fortune extraordinaire qui lui avait souri ces dernières années, l'immense désordre de cette époque où il était si facile de confondre l'impossible et le réel, l'extravagance et la sagesse, lui avaient fait prendre avec une si grande rapidité la décision de laquelle devait dépendre le sort de La vie. En Italie cependant, pendant ces derniers mois de l'an 37, Octave mettait à exécution l'accord de Tarente ; il faisait approuver par les comices une loi qui prolongeait les pouvoirs des triumvirs jusqu'au 1er janvier de l'an 32 av. J.-C., et il continuait activement ses préparatifs pour la guerre contre Sextus, qui était tout à fait décidée pour l'année suivante. Assurément l'opinion publique se montrait toujours défavorable à ce projet ; on continuait malgré tout à admirer le vieux Pompée ; on aimait à considérer les désastres de l'an 38 comme une vengeance des dieux, et comme un signe de la protection qu'ils accordaient au dernier descendant de la noble et malheureuse famille. Octave, dont l'intelligence et la volonté prenaient de la vigueur avec les années et l'expérience, et qui commençait à être moins violent et plus équilibré à mesure qu'il subissait davantage l'influence bienfaisante de Livie, de son maître Didymus Aréus, des plus avisés de ses amis, craignait de trop irriter l'opinion publique, et peut-être, s'il l'avait pu, il lui aurait donné satisfaction. Mais comment aurait-il réussi à détruire la popularité du nom de Pompée, si dangereuse pour le fils de César, sans anéantir Sextus ? Malgré son désir si vif de gagner les sympathies des masses, il était obligé de braver encore une fois, avec cette guerre impopulaire, l'opinion publique. Mais l'importance des préparatifs qu'il fit montre qu'il voulait, cette fois, justifier son obstination si contraire aux vœux de la nation, par un succès éclatant, rapide, définitif ; il comprenait trop bien qu'un tel succès était le seul moyen de regagner la faveur du public, tandis qu'un nouvel insuccès pouvait être fatal. Il tâchait en effet d'amener Lépide à venir à son aide avec ses vaisseaux et les seize légions dont il disposait ; il faisait achever la flotte et le port dont Agrippa dirigeait les travaux ; il étudiait peut-être l'histoire de la première guerre punique, pendant laquelle on avait attaqué la Sicile par terre et par mer, et il préparait un plan de guerre, qui ne pouvait manquer d'avoir raison des nouveaux Carthaginois. Le plus grand nombre possible de légions seraient dirigées sur la pointe extrême de l'Italie, pour passer en Sicile ; puis le même jour, Lépide partirait d'Afrique ; Agrippa avec sa nouvelle flotte partirait de Pouzzoles, Statilius Taurus partirait de Tarente avec les vaisseaux d'Antoine. Ce Statilius Taurus était un homo novus, un de ces nombreux jeunes gens d'origine obscure qui avaient réussi à s'introduire dans la clientèle d'Antoine ; il s'était distingué au point d'être placé par lui à la tète de la flotte qu'il avait laissée en Italie. C'est ainsi que, vers la fin de l'automne de l'an 37, quand la navigation et l'échange des nouvelles se trouvèrent suspendues entre les deux parties du monde romain, Antoine en Syrie et Octave en Italie étaient tous les deux très affairés. Antoine, tout en attendant Cléopâtre, préparait activement son expédition pour l'année suivante ; il envoyait aux souverains d'Asie l'ordre de diriger sur le haut plateau de l'Arménie les hommes, le matériel, les provisions pour l'hiver suivant ; il remplaçait, nous ne savons pour quelles raisons, sur le trône du Pont, Polémon par Darius ; il nouait à la hâte une intrigue diplomatique dont le hasard lui avait mis les fils entre les mains, pour se faire des partisans jusque dans l'aristocratie des Parthes, mécontente du nouveau roi Phraatès qui avait succédé à Orodès, celui-ci ayant abdiqué, accablé par le chagrin que lui avait causé la mort de Pacorus[8]. Octave de son côté réussissait, nous ne savons par quelles promesses, à obtenir de Lépide ce qu'il lui demandait ; il préparait son expédition avec beaucoup d'activité et de soin, essayait de soulever l'Afrique et l'Europe contre la Sicile, s'efforçait de remonter les soldats découragés par les désastres précédents et par la réprobation universelle, en leur persuadant que cette guerre était nécessaire pour que César fût enfin bien vengé, pour qu'il pût accomplir ce qu'il considérait depuis huit ans comme un devoir sacré pour un fils[9]. Mais une malchance singulière semblait s'acharner contre lui. Cet hiver-là une épidémie décima les équipages de la flotte qu'Antoine avait laissée à Tarente, si bien qu'il y eut vingt-huit vaisseaux manquant d'hommes et qu'on ne pouvait plus utiliser[10]. En outre Ménodore, qui à Rome avait retrouvé ses anciens compagnons de servitude dans la maison du grand Pompée, parmi les nombreux affranchis qui étaient tous restés fidèles à la mémoire de leur illustre bienfaiteur, s'était vu reprocher si durement sa trahison, qu'il avait trahi une seconde fois, et s'était enfui en Sicile pour y retrouver son ancien maitre[11]. Absorbé par de tels soucis, Octave ne se doutait guère qu'après tant de révolutions survenues en Italie, une autre révolution se faisait en Orient, cet hiver de la fin de l'an 37 et du commencement de l'an 36, et d'un caractère tout aussi grave, bien qu'elle se fit sans guerre et sans tuerie, par un simple mariage. Au commencement de l'an 36 Cléopâtre et Antoine avaient célébré avec de grandes fêtes leur mariage à Antioche[12]. Antoine avait donné à la reine, comme présent nuptial et pour compenser ce qu'il prendrait dans le trésor d'Alexandrie, quelques parcelles de l'ancien royaume d'Égypte, qu'il prenait sur le domaine de souverains vassaux et à des provinces romaines : Chypre, une partie de la côte de la Phénicie, les riches plantations de palmiers de Jéricho, certaines régions de la Cilicie et de la Crète très productives, parce qu'elles étaient couvertes de forêts[13]. De son côté Cléopâtre, selon la coutume suivie par les rois d'Égypte quand ils contractaient un nouveau mariage, avait inauguré une ère nouvelle, et commencé à compter les années de son règne en partant du 1er septembre de l'an 37[14]. En somme, le mariage avait été célébré avec toutes les cérémonies habituelles des mariages dynastiques de l'Égypte, sans que toutefois le nouveau couple royal pût être absolument comparé à ceux qui l'avaient précédé sur le trône. En effet, si Antoine en contractant ce mariage dynastique avait consenti à confondre son titre de mari de la reine avec son autorité proconsulaire, il n'entendait pas renoncer à l'avantage qu'il y avait pour lui à pouvoir se présenter partout comme proconsul romain, ce qui était un titre beaucoup plus redoutable que celui de roi d'Égypte. Aussi sans prendre garde aux contradictions dans lesquelles il s'enfonçait, il fit mettre, sur les pièces de monnaie d'Égypte, son effigie et celle de Cléopâtre, mais il y prit le titre de triumvir et d'αύτοκράτωρ, ce qui est la traduction grecque d'imperator, et non le titre de roi d'Égypte[15] ; il n'informa pas le sénat romain de son mariage, il ne répudia pas Octavie, la matrone qu'il avait épousée selon les rites sacrés de la monogamie latine et qui élevait avec tendresse ses enfants à Rome ; il voulut en somme, comme un roi d'Orient[16], s'arroger le droit d'Avoir plusieurs femmes légitimes, droit que César avait songé, disait-on, lui aussi, à se faire donner. En réalité Antoine et Cléopâtre avaient désiré l'un et l'autre cet étrange mariage pour des motifs personnels et chacun avec l'intention de se servir de l'autre pour arriver à ses fins, et en lui donnant en échange le moins possible : Cléopâtre, pour agrandir le royaume d'Égypte et pour écraser plus facilement à l'intérieur l'opposition faite à son gouvernement ; Antoine, pour avoir ce qu'il lui fallait pour son expédition contre les Parthes. C'était le commencement entre Antoine et Cléopâtre d'une alliance et en même temps d'une lutte, car il s'agissait de savoir lequel des deux serait l'instrument et la victime de l'autre. Cléopâtre qui, dès le début certainement, désirait le divorce d'Octavie, et qui était opposée à l'expédition de Perse, fit d'abord mine de se plier aux désirs d'Antoine, mais aussitôt après le mariage elle avança de nouvelles prétentions ; elle lui demanda de lui faire présent, de nouvelles possessions et se mit à intriguer contre Hérode qu'elle voulait faire déposer pour avoir la Judée[17] ; elle convoitait l'Arabie, Tyr et Sidon[18]. Mais Antoine, qui savait encore résister aux charmes de la rusée Égyptienne, ne lui accorda rien ; il lui conseilla même de ne pas trop s'entremettre dans les affaires des États tributaires[19]. Et il hâta ses préparatifs. Il n'est point douteux qu'Octave dut être très mécontent de cet étrange mariage politique, quand il l'apprit au commencement de l'an 36. Ce n'était pas l'outrage fait à sa sœur qui le préoccupait, mais l'augmentation de puissance que ce mariage pourrait apporter à son beau-frère. Antoine, après avoir ajouté la riche Égypte à ses provinces, n'allait-il pas, s'il réussissait aussi dans l'expédition de Perse, devenir incomparablement plus puissant que lui et que tout le monde ? Mais pour le moment, il n'y avait pour lui rien à faire, sinon à se hâter de faire la guerre de Sicile, de façon à ce qu'elle fût terminée avant qu'Antoine ne revint de Perse. L'Italie au contraire ne s'émut guère de ce mariage, bien que ce fût un nouveau pas vers la séparation des provinces d'Orient d'avec les provinces d'Occident, qui devait ruiner la métropole. La nation demeurait à la fois mécontente et abattue ; l'accès de fureur qui avait soulevé Rome en l'an 39 ne pouvait guère se renouveler ; l'égoïsme dissolvant ne cessait de faire des progrès ; en dehors des coteries politiques dominantes, le public, c'est-à-dire ce qui restait des anciennes classes et les classes nouvelles qui se formaient, était envahi par un mécontentement chronique, mais peu précis, contre tout ce qui existait alors, par une sympathie vague et irraisonnée pour le lointain Sextus, par un regret de l'ancien temps, dont, pensait-on, non seulement les mœurs, mais les institutions politiques étaient meilleures. Suffisants pour rétablir une certaine entente et une certaine union morale dans la majorité exclue du pouvoir, ces sentiments n'étaient pas assez forts pour &imposer aux chefs des coteries politiques, qui ne redoutaient encore que les émeutes et les explosions violentes de la fureur populaire. Octave pouvait ainsi préparer sa revanche définitive sur Sextus, malgré l'impopularité de cette guerre, et Antoine pouvait diviser l'empire par son étrange mariage, contre lequel personne ne protesta à Rome, ni dans le sénat, ni dans les comices. L'Italie tout entière était dans une sorte d'énervement stérile qui nous est représenté avec une grande évidence par les débuts incertains et presque mesquins d'Horace. Tandis que Virgile, fils de paysans, courageux et patient devant son travail de poète comme ses ancêtres l'avaient été devant leurs labours, continuait ses Géorgiques, lisant et consultant beaucoup d'ouvrages, faisant et défaisant un grand nombre de vers pour n'en conserver que quelques-uns de parfaits[20], Horace, toujours incertain, toujours timide, toujours embarrassé, se risquait alors à tenter certains mètres d'Archiloque, les iambes, dont on ne s'était pas encore servi à Rome, mais simplement pour traduire en vers certains souvenirs de la guerre civile[21], pour injurier un ennemi de Virgile[22], pour raconter une petite intrigue galante qui datait déjà de trois ans[23], ou encore pour traiter certains sujets obscènes et comiques, comme par exemple les amours des vieilles femmes, qui plaisaient tant à la grossièreté des anciens. Il composa même sur ce sujet deux épodes[24], d'une obscénité telle que l'on n'en trouve guère de pire dans toute l'histoire littéraire ; il s'attribuait, pour les rendre plus intéressantes, des turpitudes qui n'étaient pas rares à cette époque, mais qu'il n'a pas nécessairement commises lui-même, bien qu'il l'affirme. La forme concise et vigoureuse est d'une grande beauté, et témoigne déjà de cet art consommé à manier la langue et le style, à tout dire et à tout peindre en quelques mots, dans lequel Horace surpassera tous les poètes de l'antiquité. Mais le fond de toutes ces poésies était encore bien pauvre, comme celui des nouvelles satires qu'il composait alors, et où il rapportait un autre souvenir, comique cette fois, de la guerre civile[25], ou racontait une aventure malpropre arrivée à la fameuse sorcière Canidie[26], ou se plaisait à montrer combien il était jalousé et importuné à cause de son amitié pour Mécène[27]. Enfin il composait une nouvelle défense de ses satires, où il répondait à ceux qui l'accusaient de s'attaquer aux personnes, en faisant savoir qu'il avait l'approbation de Virgile, de Plotius, de Varius, de Mécène, de Pollion, de Messala[28]. Même s'il eût attaqué, au lieu d'hommes humbles et obscurs, tous les hommes puissants du parti d'Octave, on se demande si un autre que lui aurait éprouvé le besoin de tant se justifier devant le public. Une seule fois il fit une petite incursion dans la politique, en lançant ses iambes contre un affranchi devenu tribun militaire dans l'armée d'Octave[29] ; il oubliait qu'il avait lui-même, peu de temps auparavant, écrit une satire où il se glorifiait d'être le fils d'un affranchi. En réalité, Horace ne savait pas encore s'orienter dans cette grande incertitude des esprits, dans ce doute universel, qui laissaient ceux qui avaient le pouvoir libres de tout oser, mais à leurs risques et périls. On pouvait entreprendre les choses les plus hardies, mais malheur à celui qui ne réussirait pas ! |
[1]
C'est là l'opinion de KROMAYER,
Hermes, XXIX, p. 563 et suiv. Mais cette date est très discutée et il me
parait difficile d'arriver à des conclusions définitives. Voy. VAN DER CHIJS, de Herode Magno, p. 38. GARDTHAUSEN, Augustus
und Seine Zeit, II, p. 118, n. 12.
[2] SUÉTONE, César, 44 : Parthis inferre bellum per Armeniam minorem. Pour cet exposé de la guerre d'Antoine je suis presque partout la magistrale reconstitution de KROMAYER, dans Hermes, XXXI, p. 70 et suiv., qui me semble avoir tiré des anciens textes tout ce qu'ils apportent de véridique et tout ce qu'ils permettent de conjecturer.
[3]
Voy. PLINE, N.
H., XXXIII, IX,
132 ; MOMMSEN, Rom.
Munzw., p. 743.
[4] DION, XLIX, 24 ; PLUTARQUE, Antoine, 34 (qui place l'événement à une date différente).
[5] Voir l'appendice.
[6] DION, XLVIII, 54 ; PLUTARQUE, Antoine, 35.
[7] PLUTARQUE, Antoine, 36.
[8] Voy. DION, XLIX, 23-24 ; PLUTARQUE, Antoine, 37 ; JUSTIN, XLII, IV, 11.
[9] Voy. APPIEN, B. C., V, 98.
[10] APPIEN, B. C., V, 98.
[11] APPIEN, B. C., V, 93 ; DION, XLVIII, 54.
[12] En Syrie, selon PLUTARQUE, Antoine, 36. — KROMAYER, Hermes, XXIX, p. 571, qui corrige l'erreur de l'historien Josèphe, semble avoir établi d'une façon définitive que la donation fut faite cet hiver-là.
[13] Pour ce qui est des erreurs contenues dans Plutarque, Dion et Josèphe au sujet de ces donations, voy. KROMAYER, dans Hermes, XXIX, p. 580 et suiv.
[14] Porphyrii Tyrii, dans MÜLLER, F. H. G., III, p. 724. LETRONNE, Recueil des inscriptions grecques et latines de l'Égypte, Paris, 1842-1848, II, p. 90 et suiv., à l'aide des pièces de monnaie a éclairci le passage de Porphyre et expliqué cet événement, d'Antioche, qui reste obscur dans Plutarque, en démontrant que ce fut alors qu'Antoine épousa Cléopâtre. KROMAYER, Hermes, XXIX, p. 584, développant la théorie de Letronne, a démontré que les donations faites à Cléopâtre se rapportaient au mariage et constituaient un présent nuptial. L'explication de Letronne me parait décisive, et c'est une des plus importantes découvertes concernant l'histoire de cette époque. Elle seule nous permet d'expliquer la grande énigme qu'est la bataille d'Actium. L'objection de Strack qu'Antoine n'a jamais été roi d'Égypte n'a aucune valeur ; et elle ne sert qu'à démontrer encore une fois quel danger il y a à apporter, sur l'exemple de Mommsen, des conceptions juridiques trop rigides dans l'étude des époques révolutionnaires. Comme l'a dit si bien M. Bouché-Leclercq, dans une note très importante de son admirable Histoire des Lagides (vol. II, t, 257, n. 1) qu'Antoine n'ait jamais été roi d'Égypte et n'en ait jamais porté le titre... cela est certain ; que, juridiquement parlant, compter ses années de règne eût été une anomalie, cela est incontestable. Mais nous sommes dans une époque de révolution, où les chefs des partis sont toujours obligés d'avoir recours à des expédients contradictoires, et de reculer à chaque instant devant les conséquences, des actes qu'ils ont accomplis. Antoine voulait donner une satisfaction à Cléopâtre sans trop froisser l'opinion publique de, l'Italie : il n'a donc pas avoué son mariage. L'hypothèse de M. Bouché-Leclercq, que Cléopâtre ait frappé cette monnaie pour donner à son peuple l'attestation visible de l'avènement d'Antoine comme protecteur et souverain de l'Égypte qu'Antoine se soit borné à ne pas le désavouer, est très ingénieuse et très possible. Toute cette politique flotte dans l'équivoque.
[15] Voy. LETRONNE, R. I. G. L., II, 90 et suiv.
[16] PLUTARQUE, Antoine, 36.
[17] JOSÈPHE, Guerre des Juifs, VII, VIII, 4 ; Antiquités judaïques, XV, III, 5 et 8.
[18] JOSÈPHE, Antiquités judaïques, XV, IV, 1.
[19] JOSÈPHE, Antiquités judaïques, XV, III, 8.
[20] DONATUS, p. 59 R. ; AULU-GELLE, N. A., XVII, 10 ; QUINTILIEN, X, III, 8.
[21] Épodes, 13.
[22] Épodes, 10.
[23] Épodes, 11.
[24] Épodes, 8 et 12.
[25] Sat., I, 7.
[26] Sat., I, 8.
[27] Sat., I, 9.
[28] Sat., I, 10.
[29] Épodes, 4.