CONQUÊTE DES GAULES

 

LIVRE SEPTIÈME. — SEPTIÈME CAMPAGNE.

 

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

CÉSAR COMBAT VERCINGÉTORIX. — SIÈGE D'ALÉSIA. — PRISE DU CHEF GAULOIS. — SOUMISSION DE TOUTE LA GAULE.

(Avant J.-C. 52. — An de Rome 602)

 

Les campements de César, à son retour de Gergovie, sont évidemment le point de départ de la question d'Alesia, puisqu'ils devaient exister à portée de la voie romaine conduisant à cette place sans toucher au pays des Éduens. Nous aborderons immédiatement cette difficulté pendant l'instant de trêve qui va subsister entre les deux armées, et tâcherons de découvrir successivement où furent Alésia, le pays des Mandubiens et les derniers campements des légions. Nous commencerons par le célèbre oppidum.

La position d'Alésia divise aujourd'hui la science en deux camps : quelques-uns, par suite d'une croyance remontant à plusieurs siècles, la voient à Alise-Sainte-Reine, sur le mont Aulxois, dans la Bourgogne ; les autres pensent l'avoir récemment découverte sur le plateau d'Alaise, village de la Franche-Comté, voisin de Salins.

Le nom d'Alesia était alors assez commun dans la Gaule et même en Germanie, sauf une légère variante d'orthographe tenant soit à la prononciation, soit aux différents idiomes des peuples chez lesquels on le rencontrait. Nous avons Aisey et Alizay sur la basse Seine. Le même mot se retrouve dans Falaise, Falize, Alaise et Mais. Le cours d'eau passant par Luxembourg s'appelle Alisontia dans le poème d'Ausone sur la Moselle ; Essen, en Westphalie, était nommée Alison.

Que nous décomposions le mot Alésia, le moyen âge nous apprendra que al était synonyme du mot latin ille ou de le dans Almaneir[1] [le Manoir], et l'époque gauloise que is signifiait cours d'eau dans Isara (l'Oise), le Lison et la Lys. D'un autre côté, d'anciennes chartes ont rendu les noms d'Aisey et d'Alizay que nous venons de citer par ceux d'Aisiacum[2] et d'Alisiacum[3]. Or, acos ou acum signifiant habitation, oppidum ou lieu, il en résulte que le nom Alesia, diminutif d'Alesiacum, voudra dire : forteresse placée près d'une rivière, et ne dérivera pas des mots Campi Elysii comme le pensent quelques savants dont nous partageons d'ailleurs l'opinion touchant Alésia[4].

Ceci posé, on ne devra pas être surpris de trouver Alise-Sainte-Reine en Bourgogne et Alaise en Franche-Comté. Nous n'aurons à nous occuper que de ces deux places rivales, situées chacune sur une haute montagne entourée de vallées profondes dans lesquelles coulent deux rivières.

L'oppidum bourguignon se nommait Alisiia sur la célèbre inscription trouvée à Alise-Sainte-Reine[5].

Les habitants de la place se nommaient Alisiens, diminutif d'Alisienses, d'après la légende circulaire d'une médaille en plomb récemment découverte à Alise-Sainte-Reine et achetée par M. Philibert Beaune, maire de Yesvre[6].

L'appellation Alisienses a dû s'étendre sur tout le territoire de la cité devenu bientôt, par contraction, Pagus Alsiensis, d'où est venu le nom moderne Aulxois.

Ainsi, le nom actuel d'Alise-Sainte-Reine et tous ceux que nous venons de citer dériveront évidemment de celui d'Alisiia.

Que nous passions maintenant à sa rivale de la Franche-Comté, nous voyons qu'elle se nommait Alesia, d'après l'estampille d'un précieux fond de vase gallo-romain recueilli dans un des nombreux tumuli du massif d'Alaise[7] ; que plusieurs chartes du moyen âge citées par M. Delacroix, de Besançon, l'appellent Alesia, enfin qu'elle porte maintenant le nom d'Alaise, dénominations parfaitement identiques.

L'Alesia des Commentaires devra donc être plutôt l'Alesia ou l'Alaise de la Franche-Comté que l'Alisiia ou l'Alise de la Bourgogne.

Disons maintenant que trois auteurs latins, postérieurs de quelques siècles à César : Velléius-Paterculus, Florus et Pline, sont venus, sans qu'on sache pourquoi, défigurer le nom d'Alesia et le changer en celui d'Alexia. Il n'y a pas à se tromper sur l'identité de la ville qu'ils ont voulu citer, puisque les deux premiers historiens rappellent les événements militaires qui ont eu lieu devant la place.

Pline dit seulement que ce fut dans Alexia que l'on inventa d'argenter au moyen du feu les ornements des chevaux et le joug des bêtes attelées aux chariots : deinde ad argentum incoquere simili modo cœpere, equorum maxime ornamentis jumentorumque jugis Alexia oppido[8]. Quoiqu'il ne fasse nulle mention du fameux siège, il n'y a pas lieu de croire que son Alexia diffère de celle de Velléius-Paterculus et de Florus, d'autant mieux que la Séquanie a possédé des mines de plomb et d'étain, et que l'argenture dont parle notre auteur, seulement appliquée à de grossiers objets, peut très-bien n'avoir été qu'un simple étamage plus ou moins allié.

On remarquera d'un autre côté que le nom Alexia dérive plutôt du mot Alesia que de celui d'Alisiia, autrement on aurait écrit Alixia.

Alise-Sainte-Reine n'a pas été sans importance sous l'Empire. Il en a été de même d'Alaise, si l'on en juge par les restes de constructions, les tumuli et les débris de vases romains trouvés sur son territoire et les coteaux voisins.

Il n'y aurait aucun doute sur l'identité de la véritable Alésia, et la science ne serait pas maintenant aux prises, si un moine ignorant, Herric d'Auxerre[9], n'était venu, après huit siècles, nous jeter dans une confusion dont il serait bientôt temps de sortir. Il savait que le nom d'Alesia rappelait un fait d'armes passé entre les Gaulois et les Romains, mais il en connaissait si peu les résultats qu'il s'avisa d'écrire que César y avait été battu par les Gaulois : Te quoque Cœsaris fatalis Alesia castris ; puis, comme il y avait une ville nommée Alisiia non loin de son monastère, ville alors couverte de débris romains, il en fit Alesia de son autorité privée. La conséquence de cette erreur fut d'attribuer, ni plus ni moins, à la place bourguignonne tout ce qui concernait celle des Commentaires.

Cette fausse appréciation était abandonnée depuis plus de huit siècles lorsque d'Anville s'avisa de la faire revivre en l'appuyant de l'autorité de son savoir. Il confesse néanmoins : qu'avant lui cette opinion n'avait pas acquis le degré de certitude que la comparaison plus exacte du local avec les faits lui a procuré. Or, comme les éléments topographiques s'opposent à la reconstruction du siège devant Alise-Sainte-Reine, il ne restera donc plus de son travail que le peu d'évidence et de certitude qui existaient avant lui.

Passons maintenant au pays des Mandubiens dont Alésia était peut-être le principal oppidum. Quelques-uns placent cette contrée dans la Bourgogne, et ils auraient raison si Alise-Sainte-Reine était l'Alésia des Commentaires ; mais pour ceux qui la voient dans la Franche-Comté, le Pagus Mandubiorum devra suivre la même fortune et se trouver en Séquanie. Le mot Mandubii ne rappelle-t-il pas, en effet, les peuples voisins du Doubs, et ne trouve-t-on pas dans le même canton Mandeure possédant un pont sur cette rivière et ayant porté le nom gaulois d'Epamanduodurum ? Que l'on décompose ce mot, on trouvera d'abord Epa dont nous n'osons indiquer la signification, ensuite Manduo, contraction évidente et abréviation de Mandubio ou de Mandubiorum ; enfin, durum, apprenant qu'il y avait en ce lieu même soit un pont soit un bac pour traverser la rivière. Donc l'ensemble du nom signifiera : passage existant ou conduisant dans le pays des Mandubiens.

Ne voit-on pas aussi dans les mêmes parages Doulaize, Mandeure et Amondans, noms qui ne manquent pas d'une certaine analogie avec ceux du Doubs et de Mandeure ?

On a dit qu'il ne fallait pas attacher d'importance à tous ces noms ; car, sur la rive droite de la Saône, existait une station romaine nommée Vidubia, tout à fait en dehors du canton que nous assignons aux Mandubiens. Ceci est vrai, mais comme ce lieu était placé à la bifurcation de la voie tendant d'un côté à cette rivière, et de l'autre à 6 kilomètres de son embouchure, on peut croire que le nom Vidubia, évidemment latinisé, signifiait : voie menant au Doubs ou chez les Mandubiens. Cette objection, qui émane de M. de Saulcy, tombant d'elle-même, nous croyons qu'il fera bien d'y renoncer.

Il est remarquable, d'un autre côté, que le canton où existe Alise-Sainte-Reine ne présente aucun nom rappelant celui des Mandubiens. Herric ne les cite pas une seule fois dans son poème. Le même silence existe dans la chronique de Flavigny, pourtant écrite sur les pentes du mont Aulxois. Les Mandubiens resteront donc Séquanes et ne consentiront jamais à devenir Éduens pour complaire à ceux qui se sont fourvoyés en les plaçant dans la Bourgogne.

Nous ne sommes pas, toutefois, d'accord avec quelques amis d'Alaise qui, après avoir transféré les Mandubiens en Séquanie, les ont remplacés dans l'Aulxois par les Brannovii, rattachant ce dernier nom à celui de la Brenne qui coule dans la même contrée. Nous étions d'abord de leur avis, mais nous en avons changé depuis la découverte de la médaille Alisienses sur le plateau d'Alise-Sainte-Reine.

Cette peuplade, qui n'est pas citée parmi les clients des Éduens, était, il est vrai, peu considérable et ne parait même pas s'être étendue dans les âges suivants, puisque Herric semble ne la considérer que comme faisant partie intégrante de l'État éduen dont Alise défendait l'extrême frontière : Te [Alesia] fines ceduos et limina somma tuentem.

Nous arrivons maintenant à la question de savoir en quel lieu César dut aller s'établir après avoir fait sa jonction avec Labienus. Les amis d'Alise-Sainte-Reine ont besoin de le faire camper près d'Auxerre, ceux d'Alaise chez les Rhèmes, chez les Lingons et sur la frontière des Médiomatrices. César n'a pu s'établir du côté d'Auxerre ni de Troyes, car ses dix légions y auraient au moins laissé cinq à six camps qui ne s'y trouvent pas. Les plus rapprochés de ces deux villes sont ceux qui furent élevés l'hiver précédent chez les Sénons, et personne ne soutiendra que, venant de Gergovie, César se soit arrêté si près de la frontière éduenne où ses troupes, ayant besoin de repos, auraient été constamment inquiétées par celles des confédérés.

Le pays des Rhèmes et celui des Lingons offrent, au contraire, beaucoup de camps dans lesquels les légions purent être réparties. Nous citerons ceux de Maquenoise, du Vieux-Reims, près de Condé, au confluent de l'Aisne et de la Suippe ; du Châtelet, près de la route de Rethel à Reims ; d'Attila, au-dessus de Châlons-sur-Marne, et de Saint-Mihiel, touchant à la Meuse. Ainsi campés, ces différents corps se donnaient la main et couvraient la grande voie qui traversait le pays des Trévires et permettait de communiquer avec la Germanie.

Pendant que César s'établissait dans ses nouveaux quartiers, les Éduens avaient appelé Vercingétorix pour s'entendre avec lui sur les moyens de continuer la guerre. Ce chef, devenu le héros de la Gaule, vint seul à Bibracte, où les états assemblés lui conférèrent le commandement général de toutes les armées. Quelques chefs éduens furent molestés de ne pas l'avoir obtenu, et le mécontentement de Virdumare et d'Éporédix exercera peut-être une influence funeste sur les événements qui vont suivre : Inviti summe spei adolescentes, Eporedix et Virdumarus, Vercingetorigi parent. Les Rhèmes, les Lingons et les Trévires ne députèrent pas à cette assemblée : les deux premiers peuples, vu leur attachement à César ; les Trévires, parce que, se trouvant trop éloignés et ayant à se défendre contre les entreprises des Germains, ils ne voulaient ni s'engager ni fournir des auxiliaires à l'un ou à l'autre parti : quare toto abessent bello et neutris auxilia mitterent. L'amitié des Rhèmes et des Lingons ne s'expliquerait-elle pas par la présence de César chez eux ; car sa nombreuse armée devait nécessairement peser sur les décisions des pays qu'elle occupait ?

Vercingétorix, exerçant la dictature sur la Gaule, demande à toutes les nations d'envoyer promptement des otages à Bibracte et quinze mille hommes de cavalerie : Huc omnes equites, XV millia numero, celeriter convenire jubet. Il ne veut pas d'autre infanterie que la sienne : peditatu quem ante habuerit se fore contentum dicit ; car son projet n'est pas d'attendre les légions en bataille rangée. Il désire seulement leur couper les vivres et faire tout ravager autour d'elles. Son armée ne se composera donc que des troupes qui ont combattu à Gergovie, recrutées d'Arvernes et de contingents méridionaux. Cependant il ordonne à un corps de dix mille Éduens et Ségusiaves, commandé par le frère d'Éporédix, d'aller attaquer la Province, seulement gardée par vingt-deux cohortes levées dans le pays et obligées de faire face partout.

Les Allobroges, fidèles aux Romains, défendirent les passages du Rhône. Les Helvii, soutenant la même cause, attaquèrent leurs voisins, probablement les Vellavi (de Puy-en-Velay), clients des Arvernes. Les Helvii furent repoussés et perdirent Valérius Donotaurus, fils de leur roi Caburus. Donotaurus devait être frère de V. Procillus, jeune homme très-estimé de César, auquel il avait servi d'interprète lors de sa première campagne contre les Helvètes et Arioviste.

César s'occupait alors de la réorganisation de son armée. Sachant que les Gaulois lui étaient supérieurs en cavalerie, que tous les chemins étaient interceptés et que la Province ne pouvait lui fournir aucun secours, il envoya des messagers aux nations d'outre-Rhin qu'il avait pacifiées les années précédentes : trans Rhenum in Germaniam mittit, pour leur demander de la cavalerie et des troupes légères habituées à combattre parmi les escadrons. Ce renfort ne tarda pas à lui arriver ; mais, comme la plupart des cavaliers manquaient de chevaux, il fut obligé de les remonter avec ceux de ses tribuns militaires et des chevaliers romains.

Ceci prouve encore une fois qu'il était chez les Rhèmes et peut-être un peu sur la frontière des Médiomatrices, puisque ses messagers et la cavalerie germaine purent suivre avec sécurité la route qui reliait les camps romains aux nations germaniques et traversait le pays des Trévires, resté neutre. Ils auraient couru quelques dangers s'il leur eût fallu partir d'Auxerre et y revenir en passant sur le territoire des peuples insoumis.

Alors se réunissaient à Bibracte l'ancienne armée de Vercingétorix et la cavalerie qu'il avait demandée à toute la Gaule : Interea, dum hœc geruntur, hostium copiœ ex Arvernis equitesque qui toti Galliœ erant imperati conveniunt.

A peine César a-t-il parlé de leur arrivée chez les Éduens qu'il dit sans aucune transition qu'il se dirigeait sur le pays des Séquanes par l'extrême frontière des Lingons pour aller porter plus facilement du secours à la Province, lorsque Vercingétorix vint camper dans trois positions différentes, à 10 milles (15 kilomètres) de l'armée romaine : Magno horum coacto numero, quum Cœsar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret, quo facilius subsidium Provincice ferri posset, circiter millia passuum X ab Romanis, trinis castris Vercingetorix consedit. Ce texte est interprété de deux manières ; nous y reviendrons quand il en sera temps.

Vercingétorix, connaissant la marche des légions, harangua les siens et leur dit que les Romains s'enfuyaient dans leur Province et abandonnaient les Gaules : fugere in Provinciam Romanos, Galliaque excedere ; qu'il était d'avis de les attaquer et de les détruire dans l'embarras de leur marche ; car autrement ils reparaîtraient les années suivantes avec plus de forces. Afin d'inspirer plus de terreur à l'ennemi et plus de courage à ses troupes, il les fait toutes sortir et ranger en bataille devant ses quartiers : copias se omnes pro castris habiturum. Tous s'écrient qu'ils combattront vaillamment, et jurent de ne rentrer chez eux qu'après avoir passé deux fois à travers l'armée romaine.

Il n'y eut pas d'affaire le même jour, car on ne dut être en présence que le soir. Le lendemain, Vercingétorix partage sa cavalerie en trois corps : postero die in tres partes distributo equitatu. Deux se présentent sur les ailes de l'armée romaine, tandis que le troisième en attaque le front dont il arrête la marche. César fait aussi trois divisions de sa cavalerie et les lance contre l'ennemi. On se bat partout en même temps : les légions restent immobiles et l'on place le bagage entre elles. Si la cavalerie romaine se trouve trop pressée sur quelques points, César y envoie de l'infanterie pour la soutenir. Enfin, les Germains gagnent le haut d'une colline située sur la droite, en chassent les ennemis et les poursuivent jusqu'à la rivière où Vercingétorix était en bataille avec son infanterie : fugientes usque ad flumen, ubi Vercingetorix cum pedestribus copiis consederat.

Ce n'est partout que carnage. Trois principaux chefs éduens : Cotus, préfet de la cavalerie, Cavarillus, chef de l'infanterie, et Éporédix, ancien premier magistrat de Bibracte, sont faits prisonniers et amenés à César ; les Éduens avaient donc fourni leur contingent de cavalerie et d'infanterie à l'armée gauloise, bien que le chef arverne eût déclaré qu'il ne voulait pas d'autre infanterie que la sienne.

Après la déroute de sa cavalerie, Vercingétorix fit rentrer ses troupes dans leurs camps et prit aussitôt le chemin d'Alésia, oppidum des Mandubiens : Vercingetorix copias suas, ut pro castris collocaverat, reduxit ; protinusque Alesiam, quod est oppidum Mandubiorum, iter facere cœpit. César le suivit tant que le jour dura et lui tua trois mille hommes environ de son arrière-garde. Le lendemain il campait devant le même oppidum : circiter in millibus hostium ex novissimo agmine inter fectis, altero die ad Alesiam castra fecit.

Nous voici donc devant Alésia dont l'emplacement est si contesté. Voyons si la marche de César n'apportera pas son contingent au faisceau de preuves qui militent en faveur de la place franc-comtoise.

Il est naturel d'admettre que les légions, venant du pays des Rhèmes et se portant sur la Province par les terres des Séquanes, durent se réunir en un seul lieu, qui peut avoir été Bar-sur-Aube, pour aller ensuite à Langres, puis à Gray, où elles passèrent la Saône, située à la limite orientale des Lingons.

Cette direction admise, l'armée romaine, forte de soixante mille hommes, y compris les auxiliaires de ses deux alliés, traversait donc la frontière lingonne et avait même ses têtes de colonnes à 5 ou 6 kilomètres plus loin, dans la Séquanie, lorsque ses éclaireurs annoncèrent la présence de Vercingétorix.

Puisque César se mit en route quand toute l'armée gauloise était réunie : magne horum coacto numero, le chef arverne était donc, dès le moment du départ des légions, en mesure de se porter sur tous les points qu'il croirait menacés. Ayant compris d'après leur marche qu'elles se dirigeaient sur le pays des Séquanes, il dut converger sur sa droite, du côté de Vidubia et de Pontailler, et aller s'établir sur l'Oignon, pour leur intercepter le chemin de la Province.

Le savant M. Quicherat[10] place la défaite de la cavalerie gauloise près du mont Colombin, où existe un emplacement nommé Champ-de-Bataille ou Camp-des-Avant-Gardes. On remarquera que tous les amis d'Alaise sont unanimes au sujet de la marche des légions, du lieu où les deux cavaleries se rencontrèrent et de la rivière près de laquelle se déploya l'infanterie arverne, tandis que ceux de l'opinion contraire n'ont encore pu s'entendre sur aucun de tous ces points.

Il est clair que César poursuivit, le second jour, qui était celui de la bataille, l'armée ennemie jusqu'au Doubs ; qu'il y eut encombrement au passage de la rivière, et que trois mille hommes de l'arrière-garde gauloise y furent tués. Cette nouvelle défaite aurait eu lieu, d'après M. Quicherat, à Routelle, où il a existé un gué se rattachant à une voie antique qui traversait le bois d'Ambre, dans lequel on a trouvé un grand nombre de fers de chevaux.

Les partisans d'Alise-Sainte-Reine prétendent à leur tour que les légions sont venues des environs d'Auxerre, et que les mots : quum in Sequanos per extremos Linqonum fines iter faceret ne signifient pas que César franchissait la frontière des Lingons, mais qu'il la côtoyait lorsqu'il fut arrêté du côté de Montbard par l'armée des Arvernes.

Nous leur objecterons que, dans ce cas, César se serait servi du mot fines sans y ajouter extremos ; nous en trouvons la preuve tirée d'un autre texte. En effet, lorsqu'il va de Vienne à Langres, au commencement de la même campagne, il côtoie nécessairement la rive droite de la Saône, placée à l'extrême frontière des Éduens. Cette marche est analogue à celle que nos contradicteurs lui font exécuter chez les Lingons ; cependant il dit simplement qu'il alla chez ces derniers par les terres des Éduens : per fines Æduorum in Lingons contendit. Il n'est pas question ici du mot extremos, mais il devait être employé pour la marche qui nous occupe, car, ayant à faire connaître l'apparition de Vercingétorix à quelques lieues de ses colonnes, il fallait que César précisât le point où il se trouvait lui-même, pour que l'on pût se rendre compte approximativement du lieu où il rencontra l'armée gauloise. Rien ne serait aussi vague que son texte s'il se fût seulement servi du mot fines, signifiant territoire. La rencontre aurait pu se supposer n'importe où dans le pays lingon : nos adversaires auraient beau jeu ; c'est justement cette planche de salut que César leur a ôtée en ajoutant le mot extremos.

Comment admettre, d'un autre côté, que le général romain, quittant Auxerre pour aller porter plus facilement des secours à la Province : quo facilius subsidium Provinciœ ferri posset, ait mieux aimé faire le long détour qui le conduisait chez les Séquanes que de reprendre le chemin direct qui l'avait amené de Gergovie ? En le suivant, il évitait l'armée arverne cantonnée à Bibracte, et gagnait aisément le pays qu'il voulait défendre.

Si, d'ailleurs, les légions se fussent présentées du côté de Montbard, comment Vercingétorix, haranguant ses troupes, aurait-il pu leur dire que les Romains quittaient la Gaule et s'enfuyaient dans leur Province ? Ce résultat ne pouvait être prévu qu'au moment où ces derniers traversaient la Saône. Toutes les opinions contraires à la marche sur Gray ne peuvent donc se soutenir ; elles forceraient les légions d'aller combattre dans le pays éduen, qu'elles voulaient éviter, et nous obligeraient, dit M. Em. Desjardins, d'entendre César autrement que Plutarque, que Dion Cassius et Planude[11], lesquels ont compris qu'il ne côtoyait pas le pays lingon, mais qu'après l'avoir traversé il en franchissait la limite et se trouvait, par conséquent, en Séquanie lorsqu'il rencontra Vercingétorix et lui livra sa première bataille. D'ailleurs, le titre : de Bello Sequanico, cité par M. Delacroix et donné à un poème perdu qu'on attribue à Varro Atacinus, prouve qu'il y a eu une grande guerre chez les Séquanes. Nos adversaires prétendent, il est vrai, que ce titre se rapporte à des faits plus anciens que les campagnes de César, et n'en fournissent aucune preuve.

Avant d'aborder les opérations militaires, il convient de rechercher quelle pouvait être l'importance du célèbre oppidum qui va nous occuper. Il y avait dans la Gaule des oppida-villes constamment habités, tels que : Avaricum, Genabum, Agendicum et Lutetia. Il en existait d'autres qui n'étaient que de hautes montagnes aux pentes abruptes, sur lesquelles se portaient, seulement en temps de guerre, les populations voisines, avec les biens des campagnes et ce qu'elles possédaient de plus précieux. Nous rangerons ceux des Vénètes dans cette classe.

Mais il se voyait, en outre, des oppida mixtes, qui avaient quelque chose de la ville et de la place forte, c'est-à-dire dont les habitants occupaient une petite portion du plateau sur lequel ils séjournaient, tenant le reste en réserve pour ceux de la contrée qui venaient s'y réfugier en présence de l'ennemi. Telle devait être l'Alesia des Mandubiens, dont les habitants se trouvèrent tellement effacés pendant le blocus par ceux du dehors et par l'armée des Arvernes que César ne les appellera jamais oppidani, mais toujours Mandubii ou interiores. S'il nomme cette place une fois urbs, c'est évidemment parce qu'elle possédait une certaine population en temps de paix.

Nous avons laissé le général romain sous les murs de l'oppidum. Après l'avoir reconnu : pers pecto urbis situ, et avoir vu que les Gaulois étaient consternés depuis la perte de leur cavalerie, il exhorta ses troupes au travail et commença ses lignes de contrevallation : Alesiam circumvallare instituit.

Cette place était située sur un coteau fort élevé, de sorte qu'elle lui parut ne pouvoir être attaquée qu'après un investissement en forme : Ipsum erat oppidum in colle summo, admodum edito loco, ut, nisi obsidione, expugnari non posse videretur. Au pied du coteau coulaient deux rivières. Devant la ville existait une plaine de trois mille pas de longueur (4,500 kilomètres) : Ante oppidum planifies circiter millia passuum III in longitudinem patebat.

Cet espace ne peut convenir à la plaine des Laumes, située devant Alise-Sainte-Reine, puisqu'elle a, dit-on, plus de 10 lieues de long sur une simple largeur de cinq cents mètres. Nos adversaires, il est vrai, tournent cette difficulté en prenant la longueur sur la largeur, depuis le mont Rhéa jusqu'au mont Druaux. Il serait surprenant que César en eût jugé de même.

Dans toutes les autres parties de l'oppidum, une chaîne de montagnes de même hauteur l'étreignait à une distance très-médiocre : reliquis ex omnibus partibus colles, mediocri interjecto spatio, pari altitudinis fastigio oppidum cingebant. Cette description convient à Alaise et non à Alise ayant autour de son massif une ceinture de coteaux trop éloignée pour qu'on ait pu dire : mediocri interjecto spatio.

Les Gaulois, campés au pied des murs vers le point qui regarde l'orient, occupaient tout le coteau et avaient devant eux un fossé et une muraille sèche haute de six pieds.

La ligne de contrevallation comptait plus de 4 lieues de tour : circuitus XI millia passuum tenebat. Des camps furent placés dans des lieux convenables : lotis opportunis, ainsi que des forts, au nombre de vingt-trois, entre lesquels on établit des postes pendant le jour, craignant une attaque subite de la part des assiégés : ibique castella XXIII facta, in quibus interdiu stationes disponebantur, ne qua subito irruptio fieret. On redoublait de précautions pour la nuit.

Telle était donc la ligne de contrevallation : autour de la place trois ou quatre camps ; dans la plaine et dans les lieux élevés, des forts à sept cents mètres l'un de l'autre et des postes entre ces forts. On devait nécessairement relier ces ouvrages entre eux par un vallum et un fossé.

On s'est demandé pourquoi César s'est servi de l'expression locis opportunis, qui aurait été inutile devant Alise-Sainte-Reine, puisque dans la plaine qui l'entoure il n'y avait pas de lieux plus opportuns à fortifier les uns que les autres. On a ajouté qu'il n'en aurait pas été de même devant Alaise car la contrevallation aurait bientôt couru sur les hauteurs, et, par conséquent, posé ses forts devant certaines gorges plus ou moins accessibles aux oppidani.

Ces ouvrages terminés : opere instituto, il se donna un combat de cavalerie dans la plaine dont nous avons parlé et qui se trouvait entre les collines : quam intermissam collibus. César répète qu'elle avait trois mille pas de longueur, donc il ne la réduit pas de l'espace occupé par les travaux de la contrevallation. Les escadrons gaulois avaient dû passer entre les postes et les castella.

César, voyant les siens très-pressés, les fit soutenir par les Germains et mit ses légions en bataille devant son camp : legiones pro castris constituit, afin d'arrêter l'infanterie de la place dans le cas où elle viendrait à descendre pour appuyer sa propre cavalerie.

La présence des légionnaires ranima l'ardeur des escadrons germains. Ceux-ci mettent en fuite leurs adversaires et les poursuivent jusqu'aux portes du camp gaulois où il y en eut beaucoup d'égorgés : fit magna cœdes. Ce fait est constaté par les tas d'ossements humains trouvés sur ce point devant Alaise. César fit alors avancer ses légions. Les Arvernes, croyant qu'ils allaient être attaqués, crient aux armes ou cherchent à se jeter dans la forteresse. Vercingétorix ordonne d'en fermer les portes afin que le camp ne soit pas déserté : Vercingetorix jubet portas claudi, ne castra nudentur. Cette ville, possédant des portes, était donc autre chose qu'un simple refuge dont les issues n'auraient été protégées que par des quartiers de roches et des palissades. Les Germains se retirent après avoir tué beaucoup de cavaliers ennemis et s'être emparés d'un grand nombre de chevaux.

Ce combat prouve que le camp de César n'était pas éloigné de la petite plaine où l'on se battait, ni des quartiers gaulois, puisque la présence de quelques légions devant le rempart romain suffit pour ranimer l'ardeur des escadrons germains et jeter la terreur parmi les troupes de Vercingétorix placées sur les pentes du massif. Ainsi, petite plaine, camp romain et camp gaulois étaient donc assez rapprochés l'un de l'autre. Comment alors les amis d'Alise-Sainte-Reine, qui placent l'armée arverne à 4 kilomètres de la plaine des Laumes, vers le mont Plevenel, d'où elle n'aurait pu voir ce qui se passait dans cette plaine, peuvent-ils concilier la nécessité où l'on est de grouper ces trois positions dans certaines limites assez rapprochées ?

Avant l'achèvement des fortifications : priusquam munitions ab Romanis perficiantur, c'est-à-dire avant que les camps et les forts fussent reliés entre eux par un vallum, ce qui devait bientôt arriver, Vercingétorix, pensant que sa cavalerie allait lui devenir inutile, prit aussitôt le parti de la renvoyer.

Il chargea ceux qui la commandaient de représenter à leurs concitoyens qu'il n'avait que pour trente jours de vivres : ratione inita, frumentum se exigue dierum trigenta habere, et qu'ils eussent à venir le plus tôt possible à son secours, s'ils ne voulaient pas voir périr quatre-vingt mille hommes d'élite : hominum octoginta delecta, et un chef qui avait tout fait pour délivrer la Gaule du joug odieux des Romains.

Après le départ de cette cavalerie, il ordonna qu'on lui apportât tout le blé qui était dans la ville et décréta la peine de mort contre ceux qui ne se présenteraient pas : Frumentum omne ad se ferri jubet ; capitis pœnamiis qui non paruerint constituit. Il distribua ensuite, par tête, le bétail que les Mandubiens avaient réuni en grande quantité dans la place : Pecus, cujus magna erat ab Mandubiis compulsa copia, viritim distribuit.

On remarquera que cette grande quantité de blés et de bestiaux ne pouvait être le simple approvisionnement d'une petite bourgade celtique, aussi César dit-il qu'on la devait aux Mandubiens, c'est-à-dire aux gens des campagnes réfugiés dans la place, et non aux oppidani, qui n'auraient pas eu le temps de ramasser tant de denrées dans l'espace compris entre le passage de la Saône par les légions et leur arrivée devant Alésia. Vercingétorix y avait pourvu en prescrivant d'avance de détruire tous les blés qui se trouveraient autour des Romains : sua ipsi frumenta corrumpant, ordre qui impliquait nécessairement celui d'approvisionner les oppida, car ce chef ne se serait pas jeté sans hésitation, avec quatre-vingts mille hommes, dans une place qu'il n'aurait pas su abondamment pourvue de vivres.

Si ces dispositions eussent concerné l'Alise bourguignonne, César en aurait été instruit par ses amis les Lingons, voisins de l'oppidum, et il n'aurait pas été surpris de rencontrer Vercingétorix à 12 lieues au nord de cette place.

Après avoir mis ordre aux vivres, le général gaulois fit rentrer ses troupes dans la ville, c'est-à-dire celles qui occupaient la pente de la montagne : copias omnes quas pro oppido collocaverat in oppidum recipit, et il résolut d'attendre les secours de la Gaule.

César, instruit de ces détails par les transfuges et les prisonniers, dut pourvoir à se retrancher sérieusement et contre ceux de la place et contre les auxiliaires attendus du dehors. Il prescrivit à cet effet les fortifications suivantes, dans lesquelles il ne sera pas plus question des premières que si elles n'eussent jamais existé. Ce silence a embarrassé beaucoup de commentateurs. Il s'explique pourtant aisément.

Jusqu'ici nous n'avons vu que des castra, des castella et de simples postes ; c'est ce que nous appellerions maintenant des forts détachés. Ces ouvrages n'empêchèrent pas César de tracer de grandes et nouvelles lignes dans lesquelles les anciens travaux furent utilisés. On les reconnaîtra par le rôle qu'ils joueront dans les diverses attaques qui vont suivre.

Il fit d'abord creuser un fossé de vingt pieds, à fond de cuve et à bords escarpés : fossam pedum XX directis lateribus duxit, et alla établir le reste de ses fortifications à quatre cents pieds (cent dix-huit mètres environ) de ce premier fossé : reliquasque munitiones ab ea fossa pedibus CD reduxit, distance qu'il jugea convenable pour qu'on ne pût l'attaquer, s'avancer contre lui en bataille, ni lancer à tout moment des traits sur ses travailleurs : aut interdiu tela in nostros operi destinatos conjicere possent.

Ces travaux consistaient en deux fossés de quinze pieds de large sur autant de profondeur : Hoc intermisso spatio, duas fossas, XV pedes latas, eadem altitudine perduxit. Les mots deux fossés sont synonymes ici de double fossé : duplex fossa ; en effet, César dit qu'ils étaient à quatre cents pas de son premier travail ; or, pour que cette mesure fût commune à tous les deux, il y avait nécessité qu'ils se trouvassent voisins l'un de l'autre.

On remplit de l'eau de la rivière le fossé intérieur là où il courait dans la plaine et dans les endroits les plus bas : quarum interiorem fossam campestribus ac demissis locis aqua ex flumine derivata complevit. Ce fossé intérieur devait être l'un des deux juxtaposés, celui qui se trouvait le plus rapproché de l'oppidum. S'il n'est rempli d'eau que dans la plaine et dans les lieux bas, c'est que partout ailleurs il courait évidemment sur les collines.

On plaça ensuite le long de ces fossés une terrasse et un parapet de douze pieds de haut : Post eas aggerem et vallum XII pedum exstruxit. On dut y employer les terres provenant de toutes les tranchées, puisqu'il n'est question que de ce seul boulevard.

On le garnit de palissades pour en rendre l'accès plus difficile, et on le flanqua de tours placées à quatre-vingts pieds de distance l'une de l'autre : et turres toto opere circurdedit, que pedes LXXX inter se distarent.

César, voyant que les Gaulois faisaient de fréquentes sorties par plusieurs portes : pluribus portis, pour empêcher ses travaux, fit encore ajouter quelque chose à ces ouvrages afin qu'il fallût moins de monde pour les défendre. On remarque d'abord des fossés continus : perpetuœ fossœ, de cinq pieds de profondeur, qu'on remplit de troncs fourchus dont les branches aiguës devaient blesser ceux qui s'y engageraient. Il y en avait cinq rangs liés ensemble, les soldats les nommaient des cippes : cippos appellabant, voulant probablement exprimer qu'ils seraient une cause de mort pour les assiégés.

Du moment où César se sert de l'expression de fossœ au lieu de fossa, il y en avait donc plusieurs. S'il n'en cite pas le nombre, ne peut-on pas croire qu'il consistait en cinq tranchées, nombre égal à celui des rangs de troncs qu'il y fit planter ? Quant au mot perpetuœ, il indique seulement que ces tranchées n'étaient pas de simples fosses : scrobes, placées à la suite l'une de l'autre. S'il se fût servi de l'expression perpetuœ dans tout autre but que de faire éviter cette méprise, pourquoi ne l'aurait-il pas employée de même en parlant de ses grands et doubles fossés ?

Au-devant de ces travaux on eut soin de creuser des fosses de trois pieds de profondeur, rangées en quinconces : scrobes trium in altitudinem pedum fodiebantur. On y planta des pieux ronds, gros comme la cuisse, ne sortant du sol que de quatre doigts, et on les couvrit de broussailles pour cacher le piège. Il y eut huit rangs de ces fosses disposées à trois pieds de distance l'une de l'autre. Les troupes les appelaient des lis, parce qu'ils y ressemblaient : id, ex similitudine floris, lilium appellabant.

Pour ajouter encore à la difficulté de l'approche, César fit placer au-devant de ces ouvrages et cacher dans la terre des billes de bois d'un pied de long garnies de pointes en fer. Les soldats leur donnaient le nom d'aiguillons : Ante hœc, taleœ pedem longœ, ferreis hamis infixis, totœ in terram infodiebantur.... quos stimulos nominabant.

Après ce travail, on fit courir dans les terrains les mieux nivelés (donc on n'était pas dans une plaine entièrement unie), et sur une longueur d'un peu plus de 5 lieues kilométriques, une pareille ligne pour servir de circonvallation, c'est-à-dire ayant son vallum, ses tours, ses doubles fossés, ses abattis, ses pieux pointus et ses aiguillons pour se mettre à couvert des ennemis du dehors : Bis rebus perfectis, regiones secutus, quam potuit œquissimas, pro loci natura, XIV millia passuum complexus, pares ejusdem generis munitiones diversas, ab his, contra exteriorem hostem per fecit.

Il est bon de résumer ici tous ces travaux, et de voir quel espace ils occupaient devant le massif.

1° Le premier fossé, à fond de cuve, était positivement à portée des traits des assiégés, puisque César s'en éloigne de quatre cents pieds (cent dix-huit mètres) pour obvier à cet inconvénient. Ce fossé n'était donc pas à plus de cinquante mètres du mont ; alors ceux de la contrevallation et le vallum ne devaient s'en trouver qu'à cent soixante-huit mètres.

2° Si l'on suppose maintenant qu'il y avait un intervalle de trois cent trente mètres entre la contrevallation et la circonvallation, car il fallait que les soldats pussent y manœuvrer à l'aise, se porter facilement de l'un à l'autre boulevard, et que cet intervalle fût en rapport proportionnel entre le rayon d'une circonférence de 4 lieues et celui d'une autre circonférence de 5 lieues, on trouvera que la circonvallation commençait à quatre cent quatre-vingt-dix-huit ou cinq cents mètres de l'oppidum.

3° Si l'on admet ensuite que les obstacles secondaires de tout genre placés devant le vallum occupaient moitié de l'espace laissé libre entre cette ligne et le fossé à bords directs, on obtiendra cinquante-neuf à soixante mètres, lesquels, ajoutés aux cinq cents précédents, donneront, pour tous les travaux d'investissement, une épaisseur ou étendue de cinq cent cinquante-neuf à cinq cent soixante mètres.

Il faut s'attacher à ces données, à moins que César ne nous ait trompés. Tout partisan d'Alise-Sainte-Reine qui s'en écartera bâtira sur le sable, et ses raisonnements pécheront depuis le commencement jusqu'à la fin. Nous lui demanderons, par exemple, s'il eût été nécessaire de faire passer une circonvallation établie à cinq cent soixante mètres de l'oppidum, sur le mont Rhéa, qui en est à deux mille deux cents, et de placer le camp de Réginus et de Rébilus dans ce lieu désavantageux dominé par des crêtes, quand on avait encore seize cent quarante mètres de plaines derrière soi.

Quelques-uns ont cru voir sur le plateau de Plevenel des restes de travaux militaires qu'ils ont attribués à César. M. le capitaine Bial, qui les a étudiés, n'admet pas qu'ils aient appartenu à la contrevallation, car tous leurs accessoires de défense sont tournés vers la plaine. Il ne faut y voir, dit-il, qu'un castellum ou burgus pareil à ceux du IIIe et du IVe siècle. C'était donc comme un fort détaché d'Alisiia, gardant le passage du col et les routes qui, de ce côté, arrivaient à l'oppidum.

Devant Alaise, au contraire, la circonvallation n'aurait emprunté la vallée que dans la petite plaine, et aurait de suite gagné les prœrupta loca de César.

Cette ligne, de 5 lieues de tour, aurait eu, d'ailleurs, trop d'étendue pour le massif d'Alise-Sainte-Reine n'ayant guère plus de 7 kilomètres de circonférence ; et puisqu'elle n'avait été exécutée qu'à cinq cent soixante mètres de l'oppidum, elle n'aurait dû avoir que 9 à 10 kilomètres, et non les quatorze mille pas romains (21 kilomètres) que César lui attribue.

En appliquant le même calcul à l'Alesia franc-comtoise ayant près de 16 kilomètres de circonférence à la base, on obtiendra une mesure en rapport satisfaisant entre la contrevallation et la ceinture de la montagne.

Au moment où l'on exécutait ces travaux, le nombre des soldats était diminué par l'absence de ceux qui étaient obligés d'aller chercher des vivres et des bois assez loin du camp. Alors pourquoi ceux de l'oppidum n'attaquaient-ils pas les travailleurs romains répandus sur une ligne de 4 lieues de circonférence ? Il leur eût été facile, devant Alise-Sainte-Reine, de descendre du massif, à moins qu'ils n'aient préféré se laisser enfermer comme des moutons dans un parc, ce qui donnerait une triste opinion de leur intelligence et de leur valeur.

Autour d'Alaise c'est été plus difficile, puisque, les travaux se faisant sur les monts voisins ; il aurait fallu commencer par les gravir.

Dans le même temps, les états de la Gaule assemblés réglaient entre eux le nombre de soldats que chaque nation fournirait pour secourir la place assiégée. Les Éduens avec leurs clients : Ségusiaves, Ambivarites, Aulerces Brannovices (Brannovii), furent taxés à trente-cinq mille hommes : imperant Æduis, atque eorum clientibus Segusianis, Ambivaretis, Aulercis Brannovicibus [Brannoviis] millia XXXV.

Les Arvernes et les cités voisines de leur dépendance en fournirent un pareil nombre ; les Sénons, les Séquanes, les Bituriges, les Santons, les Butènes et les Carnutes, chacun douze mille.

On remarquera que si les Mandubiens ne sont cités ni parmi les clients des Éduens, ni parmi ceux des Séquanes, c'est que toute leur population militaire, montant peut-être à dix mille hommes, était allée se renfermer dans Alésia.

Si l'on admet maintenant, avec les amis d'Alise-Sainte-Reine, que les Mandubiens aient été Éduens, le contingent de ces derniers sera donc de trente-cinq mille hommes d'une part, de dix mille Mandubiens de l'autre, du petit corps montant, selon nous, à cinq mille hommes, que nous avons vu combattre avec Vercingétorix sur l'Oignon, et de dix mille autres envoyés contre la Province au commencement de la campagne. Le tout formera le chiffre énorme de soixante mille soldats, tandis que les Séquanes, presque aussi puissants que les Éduens et voisins d'Alise, n'en auraient envoyé que douze mille, c'est-à-dire pas plus que ceux de Saintes et de Rodez, ayant, pour s'y rendre, à traverser toute la Gaule. On rétablira un tant soit peu l'équilibre en attribuant les dix mille Mandubiens aux Séquanes, qui auraient alors fourni vingt-deux mille hommes, nombre encore très-faible, comparé à celui des cinquante mille qui resteront au compte des Éduens et des peuples de leur clientèle.

Les autres nations contribuèrent dans les proportions suivantes : on taxa les Bellovaces à dix mille hommes ; les Lémovices à autant ; les Pictons, les Turons, les Parisii, les Suessions chacun à huit mille ; les Ambiani, les Médiomatrices, les Petrocorii, les Nervii, les Morini, les Nitiobriges, chacun à cinq mille ; les Aulerces-Cénomani à autant ; les Atrébates à quatre mille ; les Vélocasses, les Lexovii, les Aulerces Éburovices, chacun à trois mille, les Rauraci et les Boïens, chacun à deux mille ; et toutes les nations des bords de l'Océan ensemble à six mille.

Enfin, de toutes les cités de la Gaule, les Bellovaces seuls refusèrent leur contingent, disant qu'ils étaient assez forts pour faire la guerre à César sans le secours de leurs voisins ; cependant, à la prière de Comius, avec lequel ils étaient alliés, ils consentirent à envoyer seulement deux mille hommes : Rogati tamen a Comio, pro ejus hospitio bina millia miserunt. L'armée des coalisés se montait à huit mille cavaliers et à deux cent quarante mille fantassins environ : coactis equitum octonis millibus, et peditum circiter quadragenis et ducenis.

Ils étaient commandés par Comius, Atrébate, Virdumare et Éporédix, Éduens, et par Vergasillaunus, Arverne. Tous, après avoir été passés en revue sur le territoire éduen, partent pleins d'allégresse pour Alésia, croyant que les Romains ne pourront soutenir l'attaque d'une si prodigieuse armée. Les Gaulois possédaient donc presque autant de voies que nous en avons de nos jours pour aller d'un grand centre de population à un autre, puisque les confédérés, venant des contrées les plus lointaines, purent facilement se rendre à Bibracte avec leurs bagages.

Cependant les assiégés d'Alésia, n'ayant presque plus de vivres et ignorant ce qui se passait chez les Éduens, délibérèrent sur le parti qu'ils devaient prendre : consumpto omni frumento, inscii quid in Æduis gereretur, concilio coacto de exitu fortunarum suarum consultabant. Il semble que l'expression : quid in Æduis gereretur indique que les assiégés n'étaient pas dans une contrée appartenant aux Éduens, autrement César aurait dit qu'ils ignoraient ce qui se passait à Bibracte.

Après un discours de Critognat, seigneur arverne, discours que l'historien trouve remarquable par son raffinement de cruauté, on décida de renvoyer de la ville les vieillards, les femmes et les enfants. Ainsi les Mandubiens, qui les avaient reçus dans leur oppidum, étaient obligés d'en partir avec leurs familles : Mandubii quos eo oppido receperant cum liberis atque uxoribus exire coguntur. Les Romains mirent des gardes sur le rempart pour les refouler dans la ville. On voit encore une fois le nom des Mandubiens servant à désigner ceux de l'oppidum. César, devant Alise-Sainte-Reine, se serait servi de l'expression Alisienses.

Alors les troupes confédérées arrivent devant la place et s'établissent sur une colline, à cinq cents pas (sept cent cinquante mètres) de la circonvallation : non longius D passibus a nostris munitionibus considunt. Les amis d'Alise-Sainte-Reine, qui ont placé cette colline sur les territoires de Grignon et de Lantilly, se sont-ils rappelés cette distance, en même temps que celle de cinq cent soixante mètres qui devait exister entre l'oppidum et les derniers travaux de circonvallation ? Il leur sera difficile d'arriver à un résultat certain s'ils ne parviennent pas à coordonner ces deux mesures.

Le lendemain, dit César, toute leur cavalerie couvre entièrement la plaine de trois mille pas dont nous avons parlé : Omnem eam planitiem quam in longitudinem III millia passuum patere demonstravimus complent, c'est-à-dire toute la plaine réduite des cinq cents mètres occupés par les travaux d'investissement. César ne se préoccupe pas de cette réduction et donne encore une fois à cette petite plaine la même mesure qu'il lui a donnée lors du précédent combat de cavalerie qui eut lieu après la confection des premiers ouvrages : opere instituto.

En se servant de l'expression : omnem eam planitiem, il entend que les escadrons de l'armée de secours étaient alors assez nombreux pour couvrir la plaine tonte entière, tandis qu'il n'en avait pas été de même lorsque les cavaliers de Vercingétorix engagèrent le premier combat.

L'infanterie gauloise se tint cachée à peu de distance sur les hauteurs : pedestresque copias, paulum ab eo loco, abditas in lods superioribus constituant. Comme du plateau d'Alésia on découvrait la campagne : erat despectus in campum, les assiégés, ayant aperçu le secours qui leur était arrivé, sortent avec empressement et s'excitent par de mutuelles félicitations. Ils se rangent en bataille sous leurs murs et, après avoir jeté des fascines dans le premier fossé et lavoir rempli des terres du boulevard, ils se mettent à le traverser : proximam fossam cratibus integunt, atque aggere expient. Ce premier obstacle vaincu, ils se préparent à une sortie et à tout événement.

César, se voyant attaqué, fait border ses deux remparts et envoie sa cavalerie escarmoucher contre celle des Gaulois, qui avait des archers et des troupes légères dans ses rangs.

On voyait alors de tous les camps placés sur les hauteurs : quœ summum undique jugum tenebant, ce qui se passait dans la plaine. Ceux qui les occupaient étaient attentifs pour deviner quelle serait l'issue du combat. On pourrait donc reconnaître de la plaine les sommets où ces camps furent établis, saufs ceux qui étaient au revers de l'oppidum. Nous pensons aussi que parmi ces hauteurs on doit comprendre celle qu'occupaient les Arvernes, puisque César dit que les assiégés contenus par la contrevallation : qui munitionibus continebantur, et ceux de l'armée de secours poussaient de grands cris pour encourager leurs combattants.

Les Gaulois eurent d'abord quelques avantages, mais la cavalerie germaine, s'étant formée en un gros corps, brisa leurs escadrons, les mit en fuite et massacra les gens de trait qui combattaient dans leurs rangs. Les cavaliers romains, envoyés sur d'autres points, se mirent eux-mêmes à la poursuite des fuyards jusqu'à leur camp et ne leur donnèrent pas le temps de se rallier : Item ex reliquis partibus nostri, cedentes usque ad castra insecuti, sui colligendi facultatem non dederunt.

Ceci se passait devant deux cent quarante mille Gaulois postés tout près de là : paulum ab eo loco. On ne conçoit pas que ni Comics ni les autres chefs n'aient pas fait avancer un corps quelconque pour soutenir leurs escadrons. Ils restent, au contraire, immobiles et n'assistent les combattants que par leurs cris, comme de simples spectateurs d'un tournoi ou d'un combat singulier.

Ceux qui étaient sortis d'Alésia, affligés de cette défaite et ne comptant presque plus sur la victoire, allèrent tristement se renfermer dans leurs murailles.

Le début n'était pas brillant pour les Gaulois, aussi ne bougent-ils pas le jour suivant. Ceux de l'extérieur préparent pendant ce temps-là quantité de claies, d'échelles, de crocs et sortent en silence de leur camp vers minuit. Ils se glissent jusqu'aux retranchements de la plaine : ad campestres munitiones accedunt, puis, poussant de grands cris pour avertir les assiégés de leur présence, ils se mettent à jeter leurs claies et, à coups de frondes, de flèches et de pierres, travaillent à chasser les Romains du rempart. Le bruit qu'ils font avertit Vercingétorix, qui sort lui-même de l'oppidum. Les légionnaires, auxquels on avait assigné d'avance les lieux qu'ils devaient occuper, garnissent le vallum et, avec des frondes, des fléaux, des leviers et des balles de plomb dont ils s'étaient approvisionnés, ils jettent la terreur parmi les assaillants que les machines accablent de traits. Comme l'action se passait dans la nuit, il y eut, des deux côtés, beaucoup de blessés.

Antoine et Trébonius, chargés de la défense de ces quartiers, tiraient des soldats des forts éloignés et les envoyaient au secours des légionnaires partout où ils les voyaient pressés. Tant qu'on ne se battit que de loin, les dards que lançaient les Gaulois firent beaucoup de mal aux Romains à cause de leur quantité ; mais, en approchant, les confédérés s'enferraient eux-mêmes sur les aiguillons, ou ils tombaient dans les fossés munis de pieux pointus, ou ils périssaient sous la grêle de javelots qu'on lançait contre eux.

Enfin, le jour parut sans que les retranchements eussent été forcés. Les Gaulois se retirèrent, craignant d'être enveloppés ou qu'on ne vînt les assaillir des camps supérieurs : verni ne ab latere aperto ex superioribus castris eruptione circumvenirentur, se ad suos receperunt. On chercherait vainement les traces de ces camps sur les monts qui enceignent Alise-Sainte-Reine.

A leur tour, ceux de la ville, employant tout ce que Vercingétorix avait fait préparer pour l'attaque, comblèrent les premiers fossés, c'est-à-dire ceux qui cachaient des pièges et celui qui avait été rempli d'eau. Cette manœuvre les ayant occupés trop longtemps, ils s'aperçurent, avant d'avoir pu pénétrer dans les retranchements, que leurs auxiliaires s'étaient retirés. Alors, sans rien faire de plus, ils rentrèrent dans l'oppidum.

Se voyant repoussés deux fois avec perte, ils délibèrent sur le parti qu'ils doivent prendre et s'informent près de ceux qui connaissent le pays de la situation des camps placés sur les hauteurs et des autres fortifications : ab his superiorum castrorum situs munitionesque cognoscunt. La circonvallation se composait donc de plusieurs sortes d'ouvrages militaires.

Il y avait du côté du septentrion une colline qui, à cause de sa vaste étendue, n'avait pu être renfermée dans les lignes : propter magnitudinem circuitus opere complecti non potuerant ; de sorte que les Romains avaient été obligés d'établir leur camp dans un lieu peu convenable et légèrement incliné : nostri, necessario pene, iniquo loco et leniter declivi castra fecerunt. Réginus et C. Rébilus le gardaient avec deux légions.

Si cette montagne n'a pu être renfermée dans les lignes, la circonvallation passait donc sur la déclivité du plateau et se trouvait dominée par une élévation qui rendait ce lieu désavantageux.

M. Quicherat place ce quartier sur le mont d'Amancey, où existent de nombreuses sépultures antiques, des vestiges de castramétation, un lieu dit Camp-Cassar et deux ruisseaux qui portent encore les noms de Régile et de Rébile[12].

Les partisans d'Alise-Sainte-Reine contestent cette position. Peut-être n'ont-ils pas tort : ce qui ne veut pas dire qu'on ne pourra la trouver sur tout autre point des travaux d'investissement. Les études archéologiques sont loin d'être complètes autour d'Alaise, puisque la haute commission de la carte des Gaules ne s'est encore occupée que de sa rivale.

Les chefs gaulois, ayant fait reconnaître ce camp, y envoyèrent cinquante-cinq mille hommes choisis parmi les nations qui passaient pour les plus braves. Ils étaient commandés par l'Arverne Vergasillaunus, parent de Vercingétorix.

Il partit vers six heures du soir avec les siens, et au point du jour il ne se trouvait plus qu'à peu de distance des retranchements romains : Ille ex castris prima vigilia egressus, prope confecto sub lucem itinere. Il resta caché derrière la montagne, ordonnant à ses soldats de se- reposer après les longues fatigues de la nuit, car il n'avait pas l'intention d'attaquer avant midi.

Ce texte ne manque pas de contrarier les amis d'Alise-Sainte-Reine qui établissent l'armée de secours sur la montagne de Grignon et les deux généraux romains sur celle de Rhéa. Ces deux points n'étant pas à plus de 6 à 7 kilomètres l'un de l'autre, on se demande comment une si faible distance, qui pouvait être parcourue en deux heures, aurait nécessité la marche de toute une nuit et tant de fatigues aux troupes du chef gaulois.

A midi, Vergasillaunus s'élance sur le camp romain, et, à la même heure, comme on en était convenu, la cavalerie gauloise s'approche des travaux de la plaine : ad campestres munitiones accedere... cœpit. Le reste des troupes confédérées, devant se monter à cent quatre-vingt-dix mille hommes, déduction faite des cinquante-cinq mille de Vergasillaunus, commence à se faire voir en bataille devant le camp gaulois : et reliquœ copiœ sese pro castris ostendere cœperunt.

Vercingétorix, ayant aperçu ce mouvement des hauteurs d'Alésia, sort avec tout l'attirail qu'il avait fait préparer pour un assaut. Le combat commence en même temps sur tous les points. On tente tous les moyens, et les légionnaires courent aux endroits qui leur paraissent les plus faibles : Pugnatur uno tempore omnibus lods, atque omnia tentantur. Quœ minime visa pars firma esse, huc concurritur.

César s'était porté sur une hauteur d'où il pouvait voir ce qui se passait dans chaque quartier : Cœsar, idoneum locum nactus, quid quaque in parte geratur cognoscit. Il envoyait des secours à tous ceux qui en avaient besoin.

Les Gaulois ne négligent rien pour enlever les retranchements. Il y va de leur salut. Le poste contre lequel ils obtenaient le plus de succès était celui que Vergasillaunus attaquait, car il était dominé par la montagne d'où l'on pouvait lancer des traits aux Romains. Beaucoup de Gaulois montaient même à l'assaut couverts de leurs boucliers et se faisaient relever par des troupes fraîches. La terre qu'ils jettent dans les fossés leur donne la facilité de les franchir et les garantit de tous les pièges (donc il existait des pièges en dehors de la circonvallation) : et quœ in terram occultaverant Romani contegit. A cette vue, César envoie Labienus avec six cohortes, lui recommandant de faire une sortie s'il le juge à propos, mais seulement à la dernière extrémité ; puis il va lui-même encourager les autres combattants et les exhorte à tenir bon.

Pendant ce temps-là Vercingétorix, désespérant d'enlever les retranchements de la plaine, à cause de la grandeur des travaux, tente de monter pour attaquer ceux des collines : Interiores, desperatis campestribus locis, propter magnitudinem munitionum, loca prœrupta ex adscensu tentant. Ceux-ci, étant protégés par des pentes plus ou moins abruptes, avaient été moins fortifiés que ceux de la plaine : aussi, après avoir délogé, à force de traits, ceux qui combattaient dans les tours, le général gaulois arrive-t-il d'abord au fossé, et fait-il détruire à coups de faux le vallum, sans qu'il soit question de chausse-trapes, de pièges, ni de doubles fossés.

Le même texte est, d'ailleurs, précieux pour les amis d'Alaise : Vercingétorix attaquait nécessairement la contrevallation, premier travail qui se voyait en sortant du massif. Pourquoi, après avoir échoué contre elle dans la plaine, va-t-il la chercher sur les hauteurs ? C'est qu'elle y passait évidemment. Or, nous ne cesserons de le dire, autour d'Alise-Sainte-Reine, la contrevallation établie à cent soixante-huit mètres des racines du mont aurait pu courir entièrement dans la vallée, même du côté du mont Plévenel. Nous défions nos adversaires de répondre à cette argumentation.

Le général romain, voyant les progrès de Vergasillaunus, envoie contre lui le jeune Brutus avec six cohortes, ensuite Fabius avec sept autres. Labienus, de son côté, jugeant la partie mal engagée, tire trente-neuf cohortes des forts voisins (appartenant aux premiers travaux) et en informe César. Celui-ci s'y rend avec quatre cohortes prises dans le poste le plus rapproché et une partie des escadrons, ordonnant à l'autre de sortir du retranchement et d'exécuter une évolution derrière les Gaulois : partem circumire exteriores munitions et ab tergo hostes adoriri jubet. Il est clair que le camp de Réginus et de Rébilus était compris dans les lignes, autrement tous ces détachements n'auraient pu se rendre à leur destination à travers l'armée ennemie et se seraient vus obligés de combattre dans la plaine. Les pièges mêmes, qui se trouvent devant les remparts du camp et que les Gaulois couvrent de terre, indiquent qu'il était clos d'un côté par la ligne de circonvallation.

César, arrivant à la tête de son escorte, est bientôt reconnu à la couleur des vêtements dont il avait coutume de se parer un jour de bataille. Un grand cri s'élève des deux côtés. Les Romains mettent l'épée à la main aussitôt que leurs escadrons paraissent derrière les Gaulois. Ceux-ci lâchent pied, s'enfuient et rencontrent cette cavalerie qui les taille en pièces. Sédulius, général et prince des Lémovices, est tué. Vergasillaunus est fait prisonnier en fuyant ; soixante-quatorze drapeaux sont apportés à César. De ce grand nombre d'ennemis, peu rentrent sains et saufs dans leur camp : pauci ex tanto numero se incolumes in castra recipiunt.

Ceux de l'oppidum, ayant aperçu la déroute de leurs auxiliaires et désespérant de leur salut, abandonnent l'attaque des ouvrages romains et se retirent dans leurs murs. Quant aux Gaulois du camp, ils prennent la fuite après avoir appris la défaite de leur armée : Fit protinus, hac re audita, ex castris Gallorum fuga.

Ces derniers ne peuvent être ceux qui s'étaient échappés, en petit nombre, du champ de bataille pour regagner leurs quartiers ; car ils auraient su les événements qui venaient de se passer. Ce texte se rapporte donc seulement à ceux qui appartenaient aux corps d'armée de Comius, d'Éporédix et de Virdumare, qui n'avaient pas donné.

En effet, si on lit attentivement les circonstances de cette bataille, on ne voit rien de sérieux que les attaques de Vercingétorix et de Vergasillaunus. Aucune réserve ne vient appuyer ce dernier. Il est attaqué en arrière par les escadrons romains qui décident de l'action, tandis que la cavalerie gauloise reste immobile près des fortifications de la plaine : ad campestres munitiones ; il en est de même des cent quatre-vingt-dix mille fantassins déployés en bataille devant leur camp.

Cependant le succès a été un moment douteux. Vergasillaunus et Vercingétorix ont pénétré dans les ouvrages romains, et César est venu à point avec plusieurs cohortes pour les repousser. Que fût-il arrivé si ces chefs eussent reçu des renforts de l'immense réserve dont on pouvait disposer ? On l'ignore. Le contraire a été évidemment cause de la fuite des combattants. En un mot, César n'eut réellement affaire qu'à cent trente-cinq mille confédérés divisés en deux fractions, et avec ses soixante mille hommes, auxiliaires compris, protégés par leurs immenses retranchements, sa position était plus belle que celle des Gaulois.

Disons donc que les trois chefs, Comius, Éporédix et Virdumare, montrèrent peu de génie et de résolution pour la défense de la cause nationale, et qu'ils paraissent s'être rappelés dans ce moment suprême leurs anciennes liaisons avec César, le dépit qu'ils avaient éprouvé en voyant Vercingétorix à la tête des armées gauloises. Les bons traitements que reçurent les Éduens après la bataille ne seraient-ils pas dus à la trahison et à la condescendance de leurs chefs ?

Le jour de sa victoire, César envoya vers minuit sa cavalerie à la poursuite des fuyards. Elle atteignit leur arrière-garde, en prit et tua un grand nombre ; les autres se retirèrent dans leurs cantons. Il ressort de ceci que l'armée de secours fut complètement dispersée et qu'on s'empara seulement de quelques traînards des derniers corps. La cavalerie romaine ne dut pas dépasser le Doubs. Les monnaies des Santons, trouvées en grand nombre dans cette rivière, prouvent que ceux-ci furent probablement plus maltraités sur ce point que tous les autres peuples.

Le lendemain, Vercingétorix assembla son conseil et lui dit qu'il n'avait pas entrepris cette guerre pour ses propres intérêts, et que, puisqu'il fallait céder au sort, il s'offrait comme victime à César, soit que leur intention fût de le lui livrer vivant ou de l'apaiser par sa mort. Le général romain ordonna qu'on lui remit les chefs, les armes, et se tint pour les recevoir devant son camp, où parut Vercingétorix qui, selon Dion Cassius, fut conduit à Rome et mis à mort sans avoir pu se dérober aux ignominies du triomphe du conquérant.

Ce dernier rendit aux Éduens et aux Arvernes, pour regagner leur affection, vingt mille des leurs faits captifs, et donna un prisonnier à chacun de ses soldats, c'est dire que ces captifs furent aussitôt vendus et qu'on en distribua le prix aux légionnaires.

On a remarqué que les plateaux d'Alaise et des monts voisins sont couverts de plus de dix mille tumuli. Ceux qui ont été fouillés contenaient des squelettes d'hommes et d'animaux, des armes et des colliers militaires à l'usage des Gaulois.

M. Quicherat, qui a d'abord exploré le massif, dit M. Ern. Desjardins, en a fait ensuite le tour, et, partout où les travaux de circonvallation avaient été jugés nécessaires pour suppléer à la nature, il en a trouvé des vestiges encore visibles ou rencontré des dénominations qui en ont conservé la mémoire. Là sont deux fossés parallèles, ici des bourrelets de terre en ligne droite avec trois rédans espacés de vingt-quatre à vingt-six pas ordinaires ou de seize pas de cinq pieds romains, ce qui fait quatre-vingts pieds. Or, César dit que des tours distantes entre elles de quatre-vingts pieds avaient été élevées sur la circonvallation.

Que nous passions maintenant aux lieux dits, ils abondent sur le plateau d'Alaise et aux environs. Nous ne citerons que les principaux : Alaise (Alesia), les Mouniots (Munitiones), le Marot (fossés et murs), les Rhètes (Rhedœ), les Chateleys (Castella), le Chateillon (id.), et les Vallières (Vallum).

La planities où se livrèrent les combats de cavalerie se nomme section de Plan. Elle contient des pièces de terre portant les noms de Champ-du-Soldat, Ile-de-Bataille et Camp-de-la-Cavalerie.

M. Quicherat ajoute que le plateau de Sainte-Reine, n'ayant pas plus de 2 kilomètres de long sur huit cents mètres de large, n'aurait jamais pu contenir quatre-vingts mille fantassins, dix mille cavaliers, l'immense quantité de chars, de bestiaux, de fourrages et la foule des Mandubiens qui s'y étaient réfugiés.

M. de Saulcy a répondu que quatre-vingts mille soldats ont pu tenir sur le plateau du mont Aulxois, puisque celui de Jérusalem, qui était un peu plus petit, a vu périr pendant le siège au moins six cents mille hommes, en s'arrêtant à l'estimation la moins élevée. Nous ne voyons pas trop l'opportunité de cette citation ; car, si plus de six cents mille hommes ont péri dans Jérusalem, cela ne prouve pas qu'ils y aient été fort à l'aise ; du reste, M. de Saulcy oublie de nous dire s'ils y étaient ensemble ou s'ils n'y sont entrés que successivement.

Que nous arrivions maintenant aux médailles trouvées sur les plateaux d'Alaise et sur la route suivie par les confédérés chez les Mandubiens, nous placerons en première ligne une monnaie d'or anépigraphe présentant, d'après M. de Saulcy lui-même, les types bien connus des statères nominaux de Vercingétorix.

Viendront ensuite une foule d'autres monnaies épigraphes des Santons au type de Q. Doci-Sant, ramassées autour de l'oppidum franc-comtois et dans le Doubs. On nie, à la vérité, qu'elles soient des Santons. On devine pourquoi, puisque nos contradicteurs prétendent que les confédérés ne sont pas venus dans ces quartiers. M. de Barthélemy les avait d'abord attribuées aux Santons, dit M. de Saulcy, mais il a depuis dit très-galamment son confiteor, en confessant qu'il a habité assez longtemps la Bourgogne, la Franche-Comté et la Saintonge, que dans cette dernière province il n'a trouvé aucune médaille au nom de Q. Doci, qu'en Bourgogne il en a vu quelques-unes, que le Nivernais en fournit certains exemplaires, qu'elles sont enfin très-communes en Franche-Comté, et qu'on en a trouvé énormément dans le Doubs, d'où il conclut que Docirix était un chef de la Séquanie septentrionale. (Rev. num., t. X.)

Peut-on admettre, de ce que M. de Barthélemy n'a pas trouvé de ces médailles dans la Saintonge, qu'il n'y en existe pas ? N'en a-t-on pas déjà recueilli portant les légendes : Ariovos Santonos et Q. Doci-Sant, à Bonneuil, arrondissement de Montmorillon, et dans le Nivernais, contrées voisines de la Saintonge ? On les y rencontre, à la vérité, avec mesure, comme il en est partout des médailles gauloises. Celles ramassées dans le Doubs ne peuvent indiquer qu'une grande catastrophe essuyée par les Santons en Séquanie, car, jamais, dans aucune rivière de France on n'a recueilli tant de médailles au type des peuples qui en habitaient les bords. Il était donc permis de se tromper au temps où M. de Barthélemy écrivait, et si la question d'Alésia eût alors été posée il n'aurait pas dit si galamment son confiteor, ni placé M. de Saulcy dans la nécessité de dire bientôt le sien.

Après avoir rappelé tout ce qui est en faveur d'Alaise, à savoir : les textes de César, qui s'accordent mieux avec la topographie de cette localité qu'avec celle d'Alise-Sainte-Reine, les lieux dits, les médailles, les tumuli et les vestiges de retranchements que l'on rencontre autour de son massif, il est juste que nous produisions ce qui peut être mis dans la balance en faveur de sa rivale. M. de Saulcy, qui, selon M. Ern. Desjardins, penchait pour Alaise, est allé visiter Alise, et, après y avoir acheté plus de cent médailles gauloises chez un marchand d'antiquités qui en fournit depuis plus de quarante ans à tous ceux qui visitent la place bourguignonne, il est rentré à Paris, bien convaincu que cette place était Alésia et que les médailles qu'il venait d'acquérir appartenaient aux peuples qui avaient défendu l'oppidum ou qui étaient venus au secours des assiégés.

En examinant de près la nature de ces médailles, on remarquera qu'aucune n'est contemporaine du fameux siège. Que signifient, en outre, dans cette collection, deux monnaies des Tolosates, une des Allobroges de la Savoie, et une foule d'autres trouvées, prétend M. de Saulcy, sur le mont Aulxois, et portant le type de nations qui n'y ont jamais mis le pied ?

Mais ce qui devrait embarrasser le savant académicien, c'est que son fournisseur de Sainte-Reine a vendu des médailles gauloises à foison depuis quarante ans, et que les fouilles dirigées par la commission de la carte des Gaules ne sont pas encore parvenues à en exhumer une seule.

Que nous passions à d'autres découvertes, nous dirons que, dans le mois de décembre de l'année dernière, on a recueilli des pointes de javelots, des haches, des anneaux et une épingle, tous objets en bronze, provenant du dragage de la fausse rivière qui traverse la plaine des baumes.

Bien qu'il paraisse extraordinaire que des haches et quinze pointes de javelots se soient trouvées réunies dans le même lieu, et qu'on ait pu retirer de l'eau des pointes placées à la tète d'une hampe et des sabots qui étaient à l'autre extrémité, nous ne contesterons pas la certitude de ce fait. On a dit, sur les lieux, que ces objets avaient été recueillis enveloppés dans une feuille de plomb : erreur, croyons-nous, qui rendrait la découverte fort piquante ; aussi ces messieurs de la commission l'ont-ils rectifiée en disant que près des piques se trouvaient des fragments de feuilles de bronze provenant probablement d'un bouclier.

Eh bien ! que nous passions ces objets en revue, nous trouverons que ces pointes de javelots appartiennent à un genre d'armement dont les Gaulois ne faisaient plus usage à l'époque de la conquête. Jamais leurs fantassins n'ont combattu les Romains avec le javelot (pilum), et César ne met toujours dans leurs mains que le trait (telum) lancé par leurs nombreux archers.

Le javelot ne se trouve, en effet, que du côté des légionnaires ; il est cité quatre fois dans le cours de la guerre des Gaules : devant les Relvétiens, en face d'Arioviste, contre les Nerviens, et enfin devant Alésia.

Dira-t-on que ce sont des pointes de lances ? Nous avouons que Comius perce avec la sienne, de part en part, la cuisse de Volusiénus : lanceaque infesta femur ejus magnis viribus transjicit (lib. VIII). Les chefs gaulois à cheval en étaient donc pourvus, mais ce n'est pas une raison pour croire qu'ils soient venus les jeter en paquet dans l'Ozerain, précisément au centre des prétendus travaux d'investissement de l'oppidum.

Les haches en bronze sont aussi d'une époque bien antérieure à la conquête ; aucun passage de César n'autorise à penser que les Gaulois en aient usé contre ses troupes.

Quant à l'épingle en bronze, elle est évidemment gallo-romaine ; 'on expliquerait si difficilement sa présence au milieu d'armes celtiques qu'on a préféré la passer sous silence dans la planche et la notice intitulées : des Armes et objets divers provenant des fouilles exécutées à Alise-Sainte-Reine[13]. Ces objets n'ont donc pas plus de valeur à nos yeux que les médailles.

Nous demanderons maintenant si ce n'est pas dans le but de grossir le faisceau de leurs découvertes que ces messieurs de la commission y ont ajouté une épée gauloise en bronze, trouvée il y a plus de quatre-vingts ans dans les fouilles du canal de Bourgogne.

Nous arrivons enfin aux travaux que la même commission fait exécuter depuis cinq mois dans la plaine des Laumes. M. le capitaine Bial, professeur à l'école d'artillerie de Besançon, ayant passé plusieurs jours à Alise-Sainte-Reine, a étudié la topographie du pays et les fouilles qui venaient d'y être faites ; puis il a consigné le résultat de ses observations dans une remarquable notice portant ce titre : la Vérité sur Alise-Sainte-Reine.

La direction du fossé qui vient d'être découvert, dit-il, tend d'un côté vers l'Ozerain ou le pied des pentes du mont Druaux, et fait un angle de 25 degrés avec la route des Laumes à Semur. Sa section est un trapèze ; ses talus, assez apparents dans le sous-sol de gravier seulement, sont inclinés à 45 degrés ; sa largeur au fond est d'un mètre ; sa pénétration dans la couche de gravier de quatre-vingts centimètres ; la distance verticale du fond, à la surface du sol, de deux mètres dix centimètres.

En un point situé à trente pas environ de la route de Semur et à quarante-cinq du chemin d'Alise, il s'arrondit pour prendre une direction nouvelle vers le nord-ouest ; mais il est à remarquer qu'ici le fossé se trouve doublé par un second fossé de section triangulaire, plus profond de cinquante centimètres environ.

Si l'on admet à présent, avec M. le colonel de Coinart[14], que la plaine des Laumes a maintenant un mètre de plus qu'à l'époque où les chaussées qui la traversent ont été construites, par l'action des eaux qui élèvent d'une manière incessante le fond des vallées et abaissent le sol des points culminants, le fossé découvert par la commission de la carte des Gaules n'aura donc pas eu, dans l'origine, plus de quatre pieds de profondeur ; or, ceux de la contrevallation devaient avoir quinze pieds romains de largeur (quatre mètres quarante-deux centimètres) sur autant de profondeur.

Puisque vous n'admettez pas cet exhaussement, nous vous combattrons avec vos propres armes, et ces armes seront l'épée en fer que vous avez recueillie dans une de vos tranchées de la plaine des Laumes. Vous n'avez pas prévu l'argumentation suivante : si cette arme avait été trouvée au fond d'un ancien fossé, nous dirions : elle y est tombée ; si elle eût été recueillie dans un sarcophage, nous dirions : elle y a été renfermée, mais on la rencontre au-dessous du sol, dans un terrain qui n'a jamais été remué. Dites-nous alors comment elle y est venue ? C'est évidemment parce que la plaine des Laumes s'est élevée insensiblement au-dessus de cette arme oubliée soit dans les herbes, soit dans les roseaux. Or, vous devez diminuer dans la même proportion la profondeur actuelle de votre fossé.

Ajoutons que les talus taillés dans le sol de gravier, n'ayant que 45 degrés d'inclinaison, présentaient une grande facilité pour descendre dans la tranchée et la gravir ensuite ; qu'ils ne répondent pas aux moyens de défense que César multiplia pour renforcer sa contrevallation.

Pour être juste envers nos adversaires, nous devons dire qu'ils ne reconnaissent pas que ce fossé ait jamais eu les proportions exigées par le texte de César. M. Maury, l'un des membres influents de la commission, l'avoue lui-même, mais il tourne la difficulté en ces termes : Nous convenons que la profondeur des fossés n'est pas conforme au texte, mais tous les hommes du métier savent que les travaux exécutés à la hâte répondent rarement aux ordres donnés[15].

Cet aperçu égarera nécessairement les personnes qui jugeront la question d'une manière superficielle, car il ne s'agit pas ici d'ordres donnés, mais de travaux que César institua lui-même : hœc genera munitiones instituit, duas fossas, XV pedes latas eadem altitudine perduxit. Or, à la fin de la campagne, il n'a pu décrire que ce qui avait été réellement exécuté sous ses yeux.

M. Maury passe donc condamnation sur la profondeur du fossé ; voyons ce qu'il dira de la largeur : Il faudrait d'ailleurs, pour répondre d'une manière définitive, que les fouilles eussent été assez complètes pour fournir la largeur des fossés dans tout leur parcours. Pourquoi la commission n'a-t-elle pas complété ces fouilles avant de nous imposer des idées auxquelles ses membres font eux-mêmes de si sérieuses objections ?

M. A. Bertrand, secrétaire de la commission, jeune savant fort distingué, au lieu de s'exécuter comme le fait M. Maury, préfère changer le sens du texte qui va suivre, pour lui donner toute autre signification que la plus naturelle : intermisso spatio, duas fossas XV pedes latas eadem altitudine perduxit. Il prétend que ces trois derniers mots forment une phrase de latinité suspecte, car l'historien n'aura pas voulu dire que la hauteur des fossés était égale à celle de la largeur, mais qu'ils avaient l'un et l'autre la même profondeur[16]. Il y a là, ajoute-t-il, une petite difficulté, mais assurément il n'y a pas de quoi arrêter un instant au point de vue de la solution générale. On doit évidemment avoir toujours raison quand on tourne si facilement les petites difficultés.

Enfin, d'après le même savant, nous nions la lumière ; mais il n'en est pas de même de la commission de la carte des Gaules : elle n'affirme rien qu'après mûre réflexion, et ne publiera rien que quand les fouilles seront achevées. Nous approuvons cette dernière résolution ; elle démontre que la commission a encore besoin de s'instruire, d'attendre le résultat des études tant promises de M. le général Creuly, et de faire exécuter des fouilles devant Alaise. Alors pourquoi s'est-elle prononcée si tôt en faveur de la place bourguignonne, justement à l'époque où son président a acheté les médailles gauloises du spéculateur de Sainte-Reine ?

Enfin, M. de Saulcy, dans une communication faite à l'Institut, persiste à dire que le fossé découvert est un des deux qui furent juxtaposés autour de la place assiégée. Nous nous permettrons de lui demander où est l'autre, car les tranchées ne l'ont pas mis au jour. Cependant nous ne nous contenterons pas d'un seul fossé, il nous en faut deux, tels que les décrit César ; il nous faut tous les ouvrages avancés et tous ceux de la circonvallation. Nous serons exigeants, puisque l'on a voulu emporter la question de haute lutte, et puisque tous les efforts de nos adversaires n'ont d'autre but que de faire prévaloir leur opinion.

M. de Saulcy, comme on voit, se contente de peu. Vient-il à parler du fossé à fond de cuve ou à bords directs : directis lateribus, qui étreignait la base du massif, il n'en trouve nulle trace, parce que, dit-il, ce fossé avait une hauteur très-médiocre et qu'il a dû s'oblitérer[17]. Nous ignorons d'où peut naître une pareille affirmation. Le texte ne dit-il pas : fossam pedum XX directis lateribus duxit ? Or, tout esprit non prévenu attribuera ces vingt pieds aux parties directes et latérales du fossé. Ce serait faire un fameux accroc au sens grammatical que de penser autrement.

Voulez-vous un texte prouvant que quand César n'indique qu'une seule mesure pour son fossé il l'applique toujours à

la hauteur ? Nous le trouvons au sujet du camp qu'il fit élever sur les bords de l'Aisne : Castra in altitudinem pedum XII vallo fossaque duodevigenti pedum munire jubet. C'est-à-dire qu'il ordonne de munir son camp d'un vallum et d'un fossé ayant en hauteur : le vallum, douze pieds, le fossé, vingt-deux pieds. Évidemment, le mot altitudinem se rapporte tant à la hauteur du vallum qu'à celle du fossé.

Voici un autre passage où les noms de hauteur et de largeur ne sont pas même cités. Lorsque César parle de la contrevallation établie par les Nerviens autour du camp de Cicéron, il dit simplement : vallo pedum la et fossa pedum XV hiberna cingunt. Un écolier de cinquième, selon l'expression de M. de Saulcy, qui serait consulté répondrait que les onze pieds évidemment attribués à la hauteur du vallum comportent la nécessité d'appliquer les quinze autres à la hauteur de la tranchée.

Un fossé eût-il, en effet, cent pieds de large, serait sans importance sans une profondeur satisfaisante. Celui à fond de cuve d'Alésia devait avoir ses vingt pieds de haut, puisque les assiégés furent obligés de le remplir de fascines et des terres du boulevard, afin de pouvoir arriver jusqu'aux autres travaux d'investissement : et proximam fossam cratibus integunt atque aggere expient.

M. de Saulcy penserait comme nous s'il tenait moins à son fossé oblitéré. Pourquoi ? Parce qu'il n'en a trouvé aucune trace sur une ligne de quatre lieues de long autour d'Alise-Sainte-Reine, ce qui sera pour tout le monde la preuve qu'il n'y a jamais existé.

Enfin, le même savant ajoute : Restait à trouver la circonvallation destinée à faire tète à l'armée extérieure ou de secours. A cent quatre-vingt et un mètres des fossés accouplés a été retrouvé ce fossé de circonvallation. Il est plus large et plus profond que les deux autres. On l'explore en ce moment, et il apprendra certainement beaucoup de choses importantes[18]. Nous le désirons ; en attendant, nous nous permettrons les réflexions suivantes :

Qu'entendez-vous par un fossé plus large et plus profond que les deux autres ? Toujours des réticences. Aurait-il quelques centimètres de plus, peu nous importerait ; il faut qu'il ait quinze pieds romains (quatre mètres quarante-deux centimètres) de profondeur. Il ne les a pas ; autrement nos adversaires nous auraient assourdi de leurs sarcasmes et de leurs chants de triomphe. Peut-on croire, d'un autre côté, que le général romain aurait emprisonné son armée dans un boyau de cent quatre-vingt-un mètres de largeur, mesure qui serait d'ailleurs sans rapport proportionnel entre les rayons des deux circonférences ?

M. de Saulcy ajoute, en terminant sa communication, qu'après avoir mis au jour les ouvrages romains dans la planities d'Alise-Sainte-Reine il se propose d'aller en quête d'ouvrages semblables dans la planities de l'Alésia franc-comtoise, et que s'il ne trouve rien de pareil la conséquence sera facile à tirer pour tous les juges non prévenus.

Il n'y a pas de juges prévenus. Il n'y a que des hommes désireux de la vérité, qui veulent la faire connaître au monde savant et au prince auguste qui honore leurs travaux en y prenant part, qui marche à la tête de tout progrès que sa merveilleuse intelligence sait faire éclore et diriger. Il n'y a parmi nous que des hommes consciencieux qui seraient peu flattés de vous voir faire autour d'Alaise des découvertes semblables à celles que vous avez mises au jour devant Alise-Sainte-Reine. Vous y rencontrez, en effet, ce que vous ne cherchez pas ; ce que vous cherchez pourrait donc s'y trouver s'il y eût jamais existé.

Vous nous demanderez peut-être ce que nous pensons de vos fossés, prenant une direction angulaire vers le nord-est quand aucun coude ne devrait exister sur une ligne qui courait circulairement. Nous répondrons volontiers qu'ils peuvent avoir été soit des canaux de desséchement, soit la clôture du parc d'une villa dans lequel on tenait des animaux domestiques, soit enfin un petit camp.

S'il y a eu un camp en ce lieu, il datait de l'époque impériale. Nous en trouvons la preuve dans ce fait archéologique qui nous paraît concluant. On a trouvé, dites-vous, dans le remblai du fossé des tessons de poteries antiques et des fragments de briques grossières[19]. Ce résultat ne comporte pas d'autre explication que la suivante : lorsqu'on creusa cette tranchée, on dut jeter les terres qui en étaient extraites sur l'un des bords pour former le vallum, puis faire une opération contraire lorsque l'agriculture jugea à propos de la combler. Or, pour qu'il se soit trouvé des débris de poteries antiques dans le remblai du fossé, il faut d'abord qu'ils aient existé sur le sol, et qu'ils aient ensuite pris place dans le vallum lorsque l'on exécuta ce premier travail, à l'époque gallo-romaine.

Veuillez maintenant nous dire comment votre fossé de quatre pieds de profondeur aurait pu fournir assez de terres pour former l'énorme vallum de la contrevallation ? En attendant votre réponse, nous passerons à des découvertes d'un autre ordre.

L'épée en fer trouvée au fond d'une tranchée ouverte dans la plaine des Laumes, que l'on présente comme étant romaine, même du temps de César, nous paraît seulement gallo-romaine. C'est à M. Bertrand que nous en devons la description[20]. Si ce savant, qui vient de nous entretenir du musée de Namur et qui promet une série d'articles non moins intéressants sur d'autres collections archéologiques, avait d'abord visité le musée de Rouen, il y aurait reconnu son épée parmi plusieurs trouvées en Normandie dans des tombeaux du r et du vie siècle. Il y en a même une qui a conservé, comme celle de la plaine des Laumes, une partie de son fourreau. On en voit le dessin dans la Revue de Rouen, au mois de février 1848. Il pourrait encore se faire que ces épées à dos droit fussent franques ; car nous venons d'en présenter à l'Institut plusieurs récemment retirées de la Seine, devant Épinay, en même temps que des lances de framées gisant dans le même endroit.

On nous passera le rappel de toutes ces découvertes, qui n'auraient pas dû nous arrêter si longtemps ; mais, patience, nous terminons par la pièce la plus curieuse : C'est une pointe hameçonnée en fer, dit M. de Saulcy, recueillie dans les tranchées faites en avant du fossé, du côté de la ville, pointe fort curieuse en ce qu'elle représente exactement les hami ferrei de César.

Ne pouvant en offrir le dessin, nous y suppléerons par une description que nous tâcherons de rendre aussi claire que possible. Cette pointe hameçonnée est tout bonnement un clou de huit à neuf pouces de long, coudé vers le milieu, représentant assez bien le profil d'une chaise sans pied de derrière. Sa tête n'est pas acérée et ressemble à un as de pique coupé perpendiculairement et dont l'aile évidée formerait avec la tige un angle de vingt-cinq degrés. Ce crochet ne se voit que sur une des quatre faces latérales du clou.

On prétend que le coude était destiné à recevoir les coups de maillet qui devaient enfoncer la pointe dans une bille de bois.

M. le capitaine de génie Prevost et M. François Lenormant ont aussi présenté leurs stimuli, mais ces derniers sont de simples broches. Il eût été à désirer que M. de Saulcy se fût d'abord entendu avec ces messieurs, qui sont dans le même camp que lui, afin de ne pas élever la question des stimuli à la hauteur de celle d'Alésia.

Le prétendu stimulus de la commission nous semble avoir appartenu à un usage domestique, puisqu'il en a été trouvé trois pareils dans les ruines d'une maison gallo-romaine du plateau d'Alise. A la vérité, M. de Saulcy prétend qu'ils y ont été apportés avec les pieux sur lesquels on les avait enfoncés : car ils ne pouvaient, dit-il, manquer d'être recueillis par les habitants du plateau dans un pays où, comme le constate le récit de César lui-même, on ne pouvait que difficilement se procurer du bois.

Cette déduction ne dérive pas du récit de l'historien. Ses soldats vont, à la vérité, chercher au loin l'immense quantité de bois dont ils ont besoin pour leurs fortifications ; cela ne veut pas dire que les habitants du plateau en manquassent pour leurs besoins journaliers.

M. de Saulcy, connaissant l'expression hami ferrei du texte de César, trouve en terre un clou à crochet ; de suite il estime que c'est un des stimuli que les soldats romains nommaient aiguillons, sans se rappeler que le mot hamus ne signifie pas seulement hameçon, mais encore tout instrument droit ou crochu qui retient une chose quelconque : le filet est un hamus, les fils de fer agencés sur une cotte de mailles sont des hami, un seran avec lequel on peigne le lin est appelé par Columelle hamus ferreus. C'est justement l'expression de César ; donc les instruments qu'il fit exécuter étaient des espèces de peignes armés de broches en fer ou de chausse-trapes qui n'ont jamais eu de pointes hameçonnées.

Nous ne croyons pas, d'ailleurs, que dans le terrain marécageux de la plaine des baumes un tel objet en fer ait pu se conserver si intact et se présenter, après dix-neuf siècles, autrement que sous l'apparence d'une traînée de poudre ferrugineuse.

Nous sommes obligé de mettre immédiatement sous presse par suite d'engagements contractés sans pouvoir attendre le résultat des fouilles promises devant Alésia, lesquelles produiront l'un ou l'autre des résultats suivants :

1° Si l'on y trouve les ouvrages militaires de César, nous regretterons pour notre travail que la découverte en ait été si tardive. Mais aurait-elle lieu maintenant que nous n'en supprimerions pas pour cela la plus petite partie de notre dissertation, car elle enseignera à ceux qui viendront après nous combien il a fallu de persistance et de labeurs pour lutter contre tant d'infaillibilités académiques et tant d'amours-propres engagés par des publications modernes.

2° Si les fouilles ne produisent rien, devra-t-on adopter la place bourguignonne ? Non. Mieux vaudrait, selon nous, confesser que ni Alise ni Alaise ne sont la véritable Alésia[21].

3° Concluons pourtant que s'il venait à être établi d'une manière imprévue que ce titre appartient à Alise-Sainte-Reine, alors, devant les minces résultats obtenus jusqu'à ce jour dans la plaine des Laumes, il faudrait avouer que César, en décrivant le siège et ses ouvrages militaires autour de l'oppidum, n'aurait fait qu'une narration fictive à l'usage des ignorants de Rome, ce dont ses contemporains l'ont indirectement accusé en parlant de l'inexactitude de ses récits[22]. Revenons maintenant aux choses qui finiront cette mémorable campagne.

César, voyant la guerre terminée, partit pour le pays des Éduens, qui se soumit aussitôt : in Æduos proficiscitur, civitatem recepit. Les amis d'Alaise disent que, s'il alla chez les Éduens, c'est qu'il n'y était pas durant le siège ; que sa phrase est exacte s'il se trouvait en Séquanie, qu'elle présente un non-sens s'il était devant Mise-Sainte-Reine appartenant à l'État éduen dont elle gardait les dernières limites : summa limina tuentem.

Il reste dans ce pays jusqu'à ce qu'il ait reçu les otages des Arvernes, puis il assigne des quartiers d'hiver à ses troupes. Deux légions et la cavalerie furent envoyées chez les Séquanes sous le commandement de Labienus, auquel fut adjoint Sempronius. Elles durent rester réunies et occuper la grande enceinte d'Orchamps, car Sempronius n'est désigné que comme lieutenant de Labienus et non comme devant hiverner à part avec sa légion.

Deux autres, sous les ordres de Fabius et de Basilus, allèrent chez les Rhemi, qui craignaient l'hostilité des Bellovaces. Puisque leur mission était de protéger la cité rémoise contre les attaques du Belgium, elles durent être placées sur la gauche de Durocortorum.

Comme il n'existe pas de retranchements antiques entre Reims et Braine, on doit envoyer ces deux légions, l'une dans celui que César fit élever à Pontaver, l'autre à trois lieues plus au nord, sur la hauteur de Saint-Thomas, où se voit un camp romain. Nous n'hésiterons pas à faire ce choix, bien que nous ayons attribué le Laonnois aux Suessions, car nous savons par Hirtius que l'État des Suesseii fut annexé par le conquérant à celui des Rhèmes : Rhemis erant attributi [Suesseii] (lib. VIII), probablement pour les punir de s'être alliés aux Belges lors de sa campagne sur l'Aisne ou d'avoir envoyé des troupes au secours d'Alésia. Ces deux légions se trouvaient donc, par le fait, chez les Rhèmes et très-convenablement placées pour tenir en respect les Bellovaces et les Ambiani.

Réginus partit pour le pays des Ambivarètes : Reginum in Ambivaretos... mittit, peuples de Nevers, verrons-nous par les faits de la huitième campagne. Comme on ne connaît pas de camp romain sur la Loire, aux environs de cette ville, Réginus, au lieu de s'avancer jusqu'au fleuve, dut s'arrêter sur la frontière du pays éduen, où il fonda le camp de Bou, près de la route d'Autun à Bourges, laquelle passait par Decize et Sancoins, l'antique Tinconnium.

Sextius fut envoyé chez les Bituriges. Les antiquaires du pays ne sont pas d'accord sur le lieu où il établit son camp. Les uns le placent à Sancoins, sur la limite du Berry et du Bourbonnais ; d'autres à Saint-Satur, dans le voisinage de Sancerre (Sincerra), devenue station importante sous l'Empire. On verra plus tard les motifs qui nous font opter pour Sancoins.

C. Rébilus partit pour la contrée des Rutènes, c'est-à-dire qu'il alla de Bibracte à Rodez par l'antique voie de la rive droite de la Loire qui passait par Pocrinium (Perrigny) : Aquœ Segestœ (Brienne), Aissumin, Icidmarus (Yssengeaux), Revessio (le Puy en Velay) et Anderitum (Mende), d'où il gagna Laissac pour aller s'établir près de l'Aveyron, sur la hauteur de Montbat, où existe encore le camp dit de César, dans lequel il se retrancha.

Cicéron et Sulpicius furent envoyés, l'un à Cabilloni (Châlons-sur-Saône), l'autre à Matiscone (Mâcon), oppida des Éduens, pour assurer le transport des vivres sur la rivière. Il n'existe aucun camp romain dans le voisinage de ces deux villes, sur les bords de la Saône, ce qui fait conjecturer que les légions hivernèrent dans les deux oppida et que de simples détachements, échelonnés sur les bords de la rivière, y occupèrent des fortins tels que celui de Marnay, situé à deux lieues au sud de Châlons. Cette opinion s'accorderait avec le passage de Celse, disant que ces deux légions stationnèrent le long du fleuve : secus Ararim flumen. Le huitième livre des Commentaires nous apprend que Cicéron et Sulpicius avaient sous leurs ordres la sixième et la quatorzième légions. Ainsi, le pays des Séquanes se trouvait comprimé entre les deux corps placés sur la Saône, ceux de Labienus et la cavalerie romaine ; ceci n'indique-t-il pas les agitations dont il venait d'être le théâtre, et peut-être le besoin de faire rentrer dans l'ordre des bandes errantes, débris de l'armée vaincue, qui n'avaient pas encore déposé les armes ?

Il faut, pour retrouver les dix légions que César avait au commencement de la campagne, supposer qu'il en garda une aux environs de Bibracte, laquelle fonda le camp des buttes de Saint-Martin, à une lieue et demie au nord de l'oppidum, et que, rassuré sur le compte des Éduens, il n'entra dans leur ville qu'avec ses principaux officiers et une garde de quelques cohortes.

La conquête de la Gaule étant regardée comme définitive, on s'en réjouit à Rome, et le sénat prescrivit quinze jours de prières publiques.

 

 

 



[1] Charte de Raoul d'Yvri, pour Saint-Ouen de Rouen, 1011.

[2] Cartulaire de Saint-Père de Chartres.

[3] Charte de Mathilde de Boulogne, 1210.

[4] Paul Bial, La Vérité sur Alise-Sainte-Reine. — A. Delacroix, Alaise et Séquanie.

[5] MARTIALIS DANNOTALI... IN ALISIIA.

[6] Revue archéologique, p. 69.

[7] Les tombelles et les ruines du massif et du pourtour d'Alaise, p. 3, par A. Castan, Besançon, 1864.

[8] Lib. XXXIV, cap. XVII.

[9] In Vita sancti Germani Antiss.

[10] Conclusion pour Alaise.

[11] On attribue à cet auteur, qui vivait dans le XIIIe siècle, une paraphrase grecque du texte des Commentaires, dans laquelle il s'exprime ainsi, touchant le passage qui nous occupe : Ensuite César marcha sur la Province à travers le pays des Séquanes, voulant porter plus facilement du secours à la Province.

[12] Émile Desjardins, Résumé du débat.

[13] Revue archéologique, juillet 1861.

[14] Le Siège d'Alésia. (Spectateur militaire, février 1857, page 315.)

[15] Journal général de l'instruction publique, 28 août 1861.

[16] Revue archéologique, octobre 1861.

[17] Journal général de l'Instruction publique, 28 août 1861.

[18] Journal général de l'Instruction publique, 28 août 1861.

[19] Revue archéologique, juin 1861.

[20] Revue archéologique, août 1821.

[21] Dans un intéressant mémoire touchant la géographie ancienne des bords de la Saône, lu par M. Mayssiat à l'Académie des Inscriptions, ce savant place Alesia à Izernore, village situé à 7 lieues à l'est de Bourg. Nous pensons à priori que cette localité est bien éloignée de la frontière lingonne pour que le texte relatif à la marche de César puisse lui être applicable. Il ressort, toutefois, de l'opinion de M. Mayssiat que ce savant, avec lequel on doit compter, est un nouvel adversaire sérieux d'Alise-Sainte-Reine.

[22] M. J. Quicherat vient d'avoir l'obligeance de nous adresser la note suivante concernant Alesia :

Des fouilles qui s'exécutent devant le massif d'Alaise, depuis deux mois, ont mis à découvert, sur tous les points attaqués, un fond de terre remuée anciennement, mêlée avec de la cendre, des charbons très-menus comme ceux qui proviendraient de fascines bridées, des débris de poterie romaine et gauloise. Sur un point s'est montré le profil très-nettement accusé du fossé à bords perpendiculaires avec sa largeur d'environ sept mètres ; au fond repose une multitude d'objets de fer détruits par l'oxydation, et dont l'empreinte reste marquée dans la marne où ils sont engagés. On a trouvé aussi plusieurs pieux de bois carbonisés.

On voit que les antiquaires de Besançon, fatigués du parti pris da la commission de la carte des Gaules envers leur oppidum, se sont mis à l'œuvre, et que leur première découverte a été celle du fossé que M. de Saulcy regarde comme s'étant oblitéré devant Alise.