Conjuration de Babœuf. — Message du directoire aux conseils. — Causerie à ce sujet avec Barras. — Les conjurés. — Plan de la conspiration par Babœuf. — Suite rapide de cette affaire. — Lettre folle de Babœuf au directoire. — Lettre de Bonaparte. — Sages conseils qu'il donne ou gouvernement. — Espoir de ses amis. — Mauvaise humeur de Carnot.Je devais lire avec Barras un mémoire dont il m'avait confié la rédaction, et le jour où j'arrivais chez lui pour ce travail, lui, d'aussi loin qu'il me vit, se mit à me dire : Nous l'avons cette nuit, madame, échappé belle ; Un monde près de noue a passé tout du long, Et chu tout au travers de notre tourbillon. Qu'est-ce, demandai-je à mon tour, que ce monde vagabond ou plutôt cette conspiration que sans doute vous avez découvert ? — Oh ! reprit Barras en se reculant, comme vous mettez le doigt sur la plaie ! Ne seriez-vous point par hasard un des conjurés ? — Ce n'est pas à moi à vous le dire ; c'est à vous à le savoir, et à prendre vos mesures, en conséquence. Je vous suis obligé d'ailleurs de la bonne opinion que vous me témoignez. — Ne plaisantons pas, reprit Barras, ceci est plus grave que vous ne pouvez le croire. Les conspirateurs n'allaient pas de main morte. Notre sang, celui de tous les citoyens recommandables, devait être versé, et un régime supérieur au régime de 1793 aurait été mis en activité. — Quels sont donc ces tigres enragés qui conçu une pensée pareille ? Nommez-les-moi, car il est bon de den garantir. — Le premier, le chef de l'entreprise, celui qui la dirige, qui en a conçu la pensée affreuse, est Caïus Gracchus Babœuf. — Le tribun du peuple ! Cela ne m'étonne point ; il est de ces gens à qui aucune extravagance ne coûte, et qui se lancent à pleines voiles sur la mer du crime, plutôt que de demeurer les bras croisés. Il n'est pas seul, je présume. — Non, certes ; les complices de cet attentat sont nombreux : l'écume de la terreur le compose. Il y a là tout ce que nous avons oublié d'envoyer à l'échafaud après le 9 thermidor. Voilà la liste. Je la pris et trouvai là les citoyens Morel, Félix, ex-président d'une commission révolutionnaire ; A. Auger, Perrein, ex-général ; Coulon, porcelainier ; Vani, fabricant de bas ; Jarry, ex-adjudant-général ; Madier, ex-membre de la convention ; le général Rossignol et son frère ; Augier Amar, ex-conventionnel ; le cafetier Chrétien, Julien de la Drôme, fils Lefranc, Paris, ex-commissaire des guerres ; l'ancien adjudant-général Mansard Bouclier-Tourneur, Pelletier-Saint-Fargeau frère du conventionnel assassiné par le garde-du-corps Paris ; Didier, ancien juré au tribunal révolutionnaire ; Monquet, tailleur ; Monnier, faiseur de ceinturons ; Durthé-Babœuf, chef du complot ; Germain, ci-devant officier de chasseurs ; Fysoné général destitué ; Reys, sellier ; Ricord Choudieu, ex-membres de la convention ; Reche ex-capitaine dards la légion de police et au troisième bataillon ; l'ex-général Lamy, le Piémontais Buonarotti, Antonnelle, ex-membre de la convention, et Masset, marchand. Parmi tous ces noms il en était quelques-uns de connus ; les conventionnels par exemple puis le général Rossignol ; le reste dans son obscurité hideuse ne pouvait être aperçu. Il en était encore plusieurs destinés à être arrêtés dans le premier moment ; Drouet, membre du conseil des cinq-cents ; Chasles, conventionnel, et Voulland. Celui-ci, avec Antonnelle et Vadier, s'échappèrent ; le reste fut moins heureux. Je lus avec une attention extrême cette liste, et je dis ensuite à Barras : Mais je ne vois là que des hommes que poursuit l'opinion publique, et d'autres dont elle ne soupçonne pas l'existence ; tout cela peut-il être dangereux ? — Sans doute, répondit Barras, ils avaient fait bon marché de nos tètes. Nous devions tous périr en masse ; cela leur paraissait plus expéditif, commode et légal. Tenez, voici le message que nous venons d'expédier au conseil. Citoyens législateurs, Un complot horrible devait éclater demain dès la pointe du jour. Son objet était de renverser la constitution française, d'égorger le corps législatif, tous les membres du gouvernement, l'état-major de l'arme de l'intérieur, toutes les autorités constituées de Paris, et livrer cette grande commune à un pillage général et aux plus affreux massacres. Le directoire exécutif, informé du lieu où les chefs de cet horrible complot étaient assemblés, a donné des ordres pour les faire arrêter. Plusieurs d'entre eux l'ont été en effet, et c'est avec douleur que nous vous apprenons que parmi eux se trouve un de vos collègues, le citoyen Drouet, pris en flagrant délit. Le directoire exécutif vous invite, citoyens législateurs, à vouloir bien lui tracer le plan de la conduite qu'il doit tenir en cette occasion à l'égard de ce représentant. Si vous jugez que le directoire exécutif doive faire mettre le scellé sur ses papiers, il vous prie de manifester votre intention sur cet objet. Signé CARNOT, président. Après que Barras m'eut donné connaissance de ce message, il mit sous mes yeux les papiers saisis sur les conjurés. Je fus épouvanté de cette série d'atrocités, de crimes médités avec froideur, de ces tables de proscription dressées et qu'on aurait mises à exécution. Je fis un retour sur moi-même, et me demandai à quel point d'abaissement nous étions réduits pour que de tels misérables, et à l'aide de pareils moyens, espérassent de parvenir au pouvoir. Je ne dissimulai pas ma pensée à Barras ; elle acheva de le mettre de mauvaise humeur. Il tâcha de justifier le gouvernement et même la nation ; me prouva que nulle autorité, si sage qu'elle puisse être, n'est à l'abri d'un coup de main de la part de fous furieux. Il ajouta : La réussite était impossible la France n'aurait pas reconnu ces brigands pour ses chefs, non plus que les armées. Bonaparte Moreau, Hoche, tous les autres généraux, auraient marché de concert contre les assassins, et pas un n'aurait échappé à un juste supplice. Babœuf est un misérable qui n'est pas à son coup d'essai. — On a voulu le faire ministre des finances. — Il est des temps, reprit Barras avec une gravité comique, l'on prierait le diable de célébrer la grand’messe au jour de Pâques ou de Noël. Qu'est-ce que cela signifie ? que tous nous avions perdu la tête en ce moment. Nous sommes maintenant raisonnables, et au lieu d'un portefeuille il ne faut plus à Babœuf qu'un échafaud. Je vais faire connaître ceci officiellement au général Bonaparte. Écrivez-lui-en les particularités ; faites en sorte qu’il ne se laisse pas prévenir par les frères et amis de cette canaille. Barras montra dans cette circonstance un vif désir d'avoir l'assentiment du jeune général sur les mesures que l'on allait prendre. Il était convenable, en effet, Je se mettre en garde contre ces enragés, dont voici le plan épouvantable, trouvé parmi les papiers de Babœuf, et écrit, je crois, de sa main. Il est à propos de les rappeler aujourd'hui, afin de montrer que ceux qui alors tentaient des révolutions n'y allaient pas de main morte.- Voici ce memento curieux. Tuer les cinq (les directeurs), les sept ministres, le général de l'armée de l’intérieur et son état-major, le commandant temporaire, s'emparer des salles des deux conseils, faire main basse sur tous ceux qui s'y rendraient, s'emparer des partes de la ville, de toutes les portes des établissements publics, etc. Nos braves frères d'armes seront invités à se rendre individuellement et sans chef au milieu de leurs frères et amis ; les cavaliers hussards, dragons, pourront disposer de leurs chevaux ; les fantassins garderont leurs habillements et leurs sacs ; tous, et chacun des braves qui auront combattu seront logés et hébergés chez les citoyens de Paris, comme au 14 juillet 1789. Il sera organisé de petites armées révolutionnaires, qui seront chargées de protéger l'approvisionnement de Paris. Aussitôt que les tyrans seront abattus, il faut soulever tout le peuple ; il faut que l'insurrection soit générale, L'autorité insurrectionnelle, ou plutôt le peuple, prononcera la suppression de toute autorité existante. En conséquence, que tout homme qui voudrait agir en vertu des pouvoirs dont il est maintenant investi soit mis à mort. L'épée une fois tirée, il faut que le fourreau soit jeté au loin ; il faut que le peuple fasse des actes qui le mettent dans l’impossibilité de rétrograder. Si quelque rassemblement de royalistes venait à se former, et qu'ils voulussent faire résistance, qu'une colonne armée de torches enflammées fonde sur eux, et que les flammes, en punissant les perfides, vengent la liberté et la souveraineté du peuple. Que tous les étrangers se rendent au chef-lieu de chaque arrondissement ; ceux qui refuseront de le faire seront mis à mort. Les dépouilles des ennemis du peuple appartiendront aux vainqueurs. Le peuple sera mis incontinent en possession de logements sains et commodes ; assez et trop longtemps il a été relégué dans des caves et dans des galetas. Il sera expédié des hommes sûrs et démocrates à Arras, Béthune, Saint-Omer, Valenciennes, Toulon, Marseille, Dijon, Lyon, Bordeaux etc., et dans toutes les communes où les républicains ont un parti nombreux. Il faut y mettre le peuple en insurrection, et partout y faire briller le glaive de la vengeance populaire. Il faut faire arrêter Hoche. Prendre les armes aux invalides ; exiger que les armuriers et fournisseurs livrent toutes celles qui seront à leur disposition ; elles leur seront payées sur leur propre déclaration. Après le succès du grand mouvement, les boulangers de toutes les sections seront sommés de demeurer dans leurs boutiques, et d’y fabriquer du pain avec toute la farine qu'ils ont chez eux ; ceux qui refuseront seront accrochés à l'instant à la lanterne la plus voisine. Tout citoyen sera sommé d’apporter ce qu'il a de farines, et de déclarer ce qu'il a de grains et de légumes ; ceux qui refuseront seront mis à mort. Pour s'assurer de la véracité des déclarations, il sera fait des visites domiciliaires. Les marchands de vin et d'eau-de-vie seront assujettis aux mêmes déclarations et aux mêmes peines. Il sera déclaré solennellement que tout défenseur de la patrie qui aurait contribué à la délivrance de la patrie sera libre de s'en retourner dans ses foyers ; ce qui ne lui sera accordé que sur le vu d'un certificat de conduite, qui lui sera accordé par le chef de l'expédition, etc. Je ne pouvais contenir mon étonnement et mon horreur à la lecture de ces pièces extravagantes, dont la férocité de ceux qui les avaient rédigées ne pouvait être conçue. Dirai-je l'effet qu'elles produisirent sur moi ? ce fut de me ramener par une pente insensible à des sentiments monarchiques. le compris que, chaque fois qu'un gouvernement n'est pas héréditaire dans une seule famille, il laisse tous ceux qui veulent sien emparer une sorte de droit à le faire ; que cette idée qu'on ne renverse rien en se mettant à la place de ceux qui administrent doit nécessairement multiplier les révolutions à l'infini. Je touchai ceci dans mon épitre du lendemain au général Bonaparte. Je rapporterai sa réponse à ce sujet après que j'en aurai fini avec le citoyen Babœuf. Celui-ci, arrêté, mis en jugement devant la haute cour nationale, n'en finit que longtemps après avec la justice, car son supplice ne fut ordonné qu'en 1797, tant ses amis eurent de l'influence et reculèrent ce fatal instant. On sait que, condamné à mort, il voulut échapper au bourreau en se frappant même d'un coup de stylet ; mais sa main tremblante trompa son désir, et il périt sur l'échafaud, quand déjà il avait à moitié perdu la vie. Peu de jours après son arrestation, et conservant dans les fers la fierté dont il ne se défit jamais, il écrivit au directoire en ces termes : Regarderiez-vous au-dessous de vous, citoyen directeur, de traiter avec moi de puissance à puissance ? Vous avez vu à présent de quelle vaste confiance je suis le centre ; vous avez vu que mon parti peut bien balancer le vôtre ; vous avez vu quelles immenses ramifications y tiennent : j'en suis presque convaincu, cet aperçu vous a fait trembler. Est-il de votre intérêt, est-il de l’intérêt de la patrie de donner de l'éclat à la conjuration que vous avez découverte ? je ne le pense pas. Je motiverai comment mon opinion ne peut être suspecte. Qu'arriverait-il si cette affaire paraissait au grand jour ? que j'y jouerais le plus glorieux de tous les rôles. J'y démontrerais, avec toute la grandeur d'âme, avec l'énergie que vous me connaissez, la sainteté de la conspiration dont je n'ai jamais nié d'être membre. On pourrait me condamner à la déportation, à la mort ; mais mon jugement serait aussitôt réputé prononcé par le crime puissant contre la vertu faible ; mon échafaud figurerait glorieusement à côté de celui de Barnevelt et de Sidney. Veut-on, et dès le lendemain de mon supplice, me préparer des autels, à côté de ceux où l'on révère aujourd'hui comme d'illustres martyrs les Robespierre et les Couthon ? Ce n'est point là la voie qui assure les gouvernements et les gouverneurs. Vous avez vu, citoyens directeurs, que vous ne tenez rien lorsque je suis sous votre main. Je ne suis pas toute la conspiration, il s'en faut bien ; je ne suis même qu'un simple point de la longue chaire dont elle se compose. Vous avez à redouter toutes les autres parties autant que la mienne. Cependant, vous avez la preuve de tout l'intérêt qu'elles prennent à moi ; vous les frapperiez toutes eu me frappant, et vous les irriteriez. Entreprendriez-vous de vous délivrer en total de cette vaste secte sans-culottique qui n'a pas encore voulu se déclarer vaincue ? il faudrait d'abord en supposer la possibilité ; mais où vous trouveriez-vous ensuite ? Vous n'êtes pas tout-à-fait dans la position où était celui qui, après la mort de Cromwell, déporta quelques milliers de républicains anglais. Charles Il était roi, et quoi qu'on en ait dit, vous lie l'êtes pas encore. Mais, direz-vous, les patriotes nous sont aussi dangereux que les royalistes, et peut-être plus. Vous vous trompez. Ili voulaient uniquement vous forcer à convenir vous-mêmes que vous aviez fait du pouvoir un usage oppressif, que vous en aviez écarté toutes les formes, toutes les sauvegardes populaires, et ils voulaient vous les reprendre. Ils n'en seraient point venus là si, comme vous aviez semblé le promettre après vendémiaire vous vous étiez mis en mesure de vouloir gouverner populairement. Moi-même, par mes premiers numéros, j'avais expliqué comment il me paraissait possible que vous fissiez disparaître tout ce que le caractère constitutionnel de votre gouvernement offre de contraste avec les véritables principes républicains. Ne croyez pas intéressée la démarche que je fais. A la manière franche et neuve dont je ne cesse de me déclarer coupable, dans le sens que vous m'accusez, je fais voir que je n'agis point par faiblesse. La mort ou l'exil serait pour moi le chemin de l'immortalité, et j'y marcherais avec un zèle héroïque et religieux ; mais ma proscription, mais celle de tous les démocrates ne vous avanceraient point, et n'assureraient pas le salut de la république. J’ai réfléchi qu'au bout du compte vous ne fûtes pourtant pas constamment les ennemis de cette république. Vous fûtes même républicains de bonne foi. Pourquoi ne le seriez-vous pas encore ? Il ne serait pas si malheureux que l'effet de cette simple lettre fût de pacifier l’intérieur de la France, en prévenant l'éclat de l'affaire dont elle est le sujet. Ne préviendrait-on pas en même temps ce qui s'opposerait au calme de l'Europe ? Signé BABŒUF. Rien qu'à lire cette pièce, chacun demeurait convaincu que la cervelle du tribun parisien était fortement dérangée. Cet homme, qui, dans les fers, avec des complices sans doute, mais abandonné ostensiblement de toutes les parties de la république, prétendait traiter avec le directoire, lui dicter des lois, lui accorder même son pardon, était plaisant au milieu de son atrocité. Tant de jactance avec tant de faiblesse faisait pitié. Le directoire se moqua de lui, et ne conclut ensemble aucun traité d'alliance. La machine du gouvernement ne marcha pas moins, et nous ne nous aperçûmes pas que le parti de Caïus Gracchus Babœuf fût si formidable. Le général Bonaparte me Manda à cette occasion : Mon ami, je tombe de mon haut lorsque je vois de telles extravagances occuper les Parisiens. Si elles les intéressent, que nos victoires doivent leur paraître ridicules ! Votre Babœuf est à un tel degré de déraison, que je le plaindrais si je ne voyais en arrière combien la férocité de tigre de pareils êtres dégoûterait du système républicain, malgré son excellence. Il est naturel de frémir sur le sort de la patrie, lorsque chaque jour elle peut être en butte à de telles attaques. Je crains que la force ne soit seulement stable que là où règne un souverain unique, et dont toute l'autorité du pays repose dans la main. C'est nn blasphème, je le sais ; mais la vérité a une évidence qui frappe les plus aveugles. Je voudrais que le directoire tâchât, par l'énergie de ses mesures, de participer à cette stabilité de la monarchie ; qu'usant des pouvoirs que la constitution lui donne, il réduisît au silence ces péroreurs de gazette ces Dérnosthènes quotidiens, qui font tant de mal à la chose publique, dont au moins ils enraient la marche. Il n'y a jamais abus dans le développement et dans l'extension de l'autorité, lorsque celle-ci agit pour l'avantage de tous. Elle est alors conservatrice, et n'usurpe point. Malheur au gouvernement qui, pour tout consolider, hésitera à dépasser les limites qu'on lui impose ; il se suicide, et il tue la nation. Voyez quelle énergie fut imprimée à la république lorsqu'elle fit de la terreur la première des lois elle demeura invincible. L'est-elle maintenant, même dans l'intérieur ? J'en doute. Les jacobins, les royalistes, les monarchiens, je ne sais qui encore, la tourmentent, l'affaiblissent, la poursuivent de manière à provoquer sa chute. Je crains que les directeurs ne voient pas cela aussi bien que je le vois ; qu'ils ne s'endorment en présence d'un péril d'autant plus réel qu'on Je dissimule. Mes succès, loin de servir la république, nuisent peut-être sa sûreté ; car elle se repose sur mes victoires et se croit invincible en France parce que je triomphe en Italie. Qu'elle rie s'abuse point là-dessus ; mes succès ne préviendraient pas sa chute : elle serait tombée, que je n'en saurais rien encore, et que le temps me manquerait pour venir à son secours. Parlez sérieusement à Barras de tout ceci. Dites-lui que nos ennemis sont infatigables, qu'il y en a de toutes sortes ; mais qu'avec de la fermeté on les fera taire ; que je lui offre mon concours, ainsi qu'aux autres membres du directoire, et que, pour peu qu'on me croie nécessaire, je me hâterai de venir. Je tiens au titre du général de vendémiaire ; ce sera dans l'avenir mon premier titre de gloire ; car ce jour-là je sauvai la république du royalisme. Est-ce du jacobinisme pur qu'il faut la délivrer maintenant ? BUONAPARTE. Cette lettre devint le croira-t-on ? le germe de la journée du 18 fructidor. Barras, à qui je la montrai, d'après l'invitation que j'en avais reçue, parut charmé de l'offre de Bonaparte. Il me dit : Je craignais que le général ne voulût faire son jeu à part. Maintenant je ne puis plus douter de l'excellence de ses opinions. Il peut compter que, s'il faut sauver la république, on aura recours à lui. Ce fut beaucoup nous espérions avantage. Chacun déjà insinuait à madame Bonaparte que, malgré la constitution, qui axait à quarante ans l'âge voulu pour être directeur, il fallait que son mari fût porté à cette place éminente. Elle ne demandait pas mieux, et ne se cachait point pour le dire. Cela se répandit ; le bruit en vint aux oreilles de Carnot qui s'en radia vivement il se laissa aller à des propos injurieux à la gloire du vainqueur de l’Italie. On ne manqua pas d'en faire part à ce dernier, qui en témoigna a son côté une colère motivée. Il y eut de part et d'autre des dits et redits. Les amis du général crièrent à l'injustice, à la calomnie. Carnot demeura seul à peu près de son bord ; et dès ce moment acheva de se décider la haine que ces deux hommes célèbres eurent toujours l'un pour l'autre, et dont ils donnèrent plus d'une preuve depuis lors sans pour cela cesser de s'estimer. |