LES SOURCES DE TACITE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LES ANNALES.

CHAPITRE PREMIER. — TACITE ET LES SOURCES PREMIÈRES.

 

 

Dans la composition des Histoires, Tacite n'a pris pour base de son travail les sources premières qu'à partir du moment où il s'y est vu contraint. Quand, arrivé à l'époque tout à fait contemporaine, il a été abandonné par le récit de Pline l'Ancien, quand il n'a plus trouvé d'ouvrage historique qu'il pût refondre, il a travaillé directement sur les matériaux réunis par lui-même. Les événements que contiennent les Annales appartenant, comme ceux qui sont racontés dans la partie conservée des Histoires, au passé, aux temps déjà traités avant Tacite par d'autres historiens, il est naturel de penser que Tacite a composé les Annales et les premiers livres des Histoires d'après la même méthode ; que, pour les règnes de Tibère, de Caligula, de Claude et de Néron, il s'est borné à refondre ses devanciers. Il est d'autant plus naturel de le penser, que telle était la coutume des anciens, que l'ami le plus intime de Tacite, Pline le Jeune, formule cette méthode sans avoir l'air de la trouver discutable le moins du monde, sans avoir l'air de soupçonner qu'il puisse en exister une autre[1]. On ne refait pas les recherches déjà faites, on en profite ; s'il y a plusieurs ouvrages historiques sur la même époque, on les compare, on les contrôle l'un par l'autre, mais on ne remonte pas aux sources premières. Non seulement nous n'avons aucun motif de croire que Tacite ait été d'un avis différent, mais encore nous sommes en mesure de démontrer pour les Annales, comme nous l'avons fait pour les Histoires, qu'il a donné parmi ses sources aux sources premières une place insignifiante.

 

I

1. La plus importante des sources premières était, sans contredit, les Acta senatus[2]. Le recueil des comptes rendus du sénat contenait, en effet, pour toutes les affaires politiques, judiciaires ou autres, traitées dans cette assemblée, avec l'énoncé officiel de la question mise en délibération par le président et de la décision prise par l'assemblée, une analyse des opinions développées par les divers membres qui avaient profité de leur tour de parole[3], les discours ou lettres des empereurs, les acclamations dont ils avaient été l'objet. Ce n'était pas tout à fait, on le voit, l'équivalent de notre compte rendu sténographique des débats parlementaires, mais c'était plus que notre compte rendu analytique.

Tacite a-t-il pu se servir des Acta senatus pour composer les Annales ? Il atteste lui-même une fois qu'il les a consultés (XV, 74). Il s'agit d'une séance du règne de Néron. Il n'y a pas la moindre raison de croire à une impossibilité pour les règnes précédents. Mais en a-t-il fait un usage considérable[4] ? Non, il les a seulement feuilletés, s'arrêtant aux séances les plus intéressantes ou à celles sur lesquelles il ne trouvait pas dans sa source des détails satisfaisants. Ce qu'il leur a directement emprunté est, sans nul doute, fort peu de chose. Le seul endroit où l'emploi de ces documents soit prouvé est celui dont nous venons de parier, et que voici : Reperio in commentariis senatus Cerialem Anicium, consulem designatum, pro sententia dixisse ut templum divo Neroni quam maturrime pubfica pecunia poneretur. Cette proposition fut faite à la séance du sénat qui suivit la répression sanglante du complot de Pison. Tacite la mentionne en dernier lieu et l'introduit par une formule de citation. Elle ne fait pas corps avec le reste du récit : c'est une simple addition. Il est manifeste que l'emprunt se borne au détail ainsi annoncé et que la séance a été racontée d'après une autre source.

Tous les autres endroits d'où l'on a voulu tirer la preuve que pour les séances du sénat, c'est-à-dire pour une bonne partie de l'histoire intérieure, les Acta senatus ont servi à Tacite de source principale, ou bien ne prouvent rien, ou bien même prouvent plutôt le contraire. — A propos d'une séance (III, 64) où les sénateurs ont décrété des cérémonies solennelles pour la guérison de Livie, Tacite fait cette déclaration générale (65) : Exequi sententias baud institui, nisi insignes per honestum aut notabili dedecore. Il n'a pu, dit-on[5], opérer ce triage et distinguer l'important de l'insignifiant que s'il a eu le tout sous les yeux, et le tout ne se trouvait pas dans une autre source que les Acta senatus. Cette dernière affirmation est exacte, la première est exagérée. Tout ce qu'on est en droit de conclure des paroles de Tacite, c'est qu'il a travaillé d'après une source qui donnait, sinon toutes les opinions émises dans le sénat, au moins un très grand nombre de ces opinions, parmi lesquelles beaucoup ont paru à Tacite assez insignifiantes pour qu'il ait pris sur lui de les élaguer. L'emploi direct des Acta senatus n'est donc pas ici plus vraisemblable que l'emploi d'un ouvrage historique très détaillé.

Racontant les procès qui suivirent la chute de Séjan, Tacite s'exprime ainsi (VI, 7) : Tractique sunt in casum eundem Julius Africanus e Santonis, Gallica civitate, Seius Quadratus : originem non repperi. Neque sum ignarus a plerisque scriptoribus omissa multorum pericula et pœnas, dum copia fatiscunt, out quæ ipsis nimia et mæsta fuerant, ne pari tædio lecturos adficerent, verentur. Nobis pleraque digna cognitu obvenere, quamquam ab aliis incelebrata. Ce que Tacite n'a pas trouvé dans ces nombreux écrivains dont il parle, il l'a pris, dit-on[6], dans les Acta senatus. Si Tacite avait écrit a scriptoribus omissa, au lieu de a plerisque scriptoribus omissa, et a ceteris incelebrata, au lieu de ab aliis incelebrata, cette conclusion serait légitime. Mais des expressions dont il se sert on doit conclure seulement que, trouvant la narration de certains écrivains trop peu détaillée, il s'est adressé à d'autres écrivains qui avaient pensé, comme lui, que d'autres détails valaient la peine d'être mentionnés. Sans doute on fait remarquer qu'ils étaient tout au long dans les actes du sénat, puisqu'il s'agit de procès jugés par le sénat. Mais ne pouvaient-ils pas tout aussi bien être ailleurs, dans un ouvrage historique ? Ce passage démontre, au contraire, que Tacite n'a pas eu recours aux comptes rendus officiels. Il n'a pas trouvé, nous dit-il, la patrie de Seius Quadratus : Originem non repperi. Il l'a donc cherchée ; il l'a cherchée dans tous les documents qu'il avait sous la main. Or, à propos du procès de Quadratus, ce détail devait figurer dans les actes du sénat, comme il figure aujourd'hui dans nos comptes rendus des débats judiciaires. Puisque Tacite ne l'a pas trouvé, c'est que les actes du sénat n'étaient pas ici au nombre de ses sources[7].

Un peu plus loin (VI, 47), Tacite raconte que le sénat reçoit communication d'une enquête contre Arruntius et deux autres accusés : Sed testium interrogationi, tormentis servorum Macronem præsedisse commentarii ad senatum missi ferebant, nullæque in eos (contre les trois accusés) imperatoris litteræ suspicionem dabant invalido ac fortasse ignaro ficta pleraque ob inimicitias Macronis notas in Arruntium. Sans doute, le rapport en question avait été inséré dans les actes du sénat et il était facile de constater dans ces mêmes actes l'absence d'une lettre de l'empereur sur l'affaire pendante. Mais, dans le passage de Tacite, pas un mot ne prouve qu'il ait eu connaissance du rapport et du silence de Tibère par les actes du sénat. Bien plus, rien ne prouve qu'il ait puisé ici dans une source dérivée des Acta senatus. Car si l'auteur du récit qu'il a employé n'était pas lui-même sénateur, il avait pu être renseigné par le témoignage oral des sénateurs présents[8].

Nos adversaires s'appuient enfin sur un passage de II, 88, ainsi restitué par Mommsen : Reperio apud scriptores senatoriieque eorundem temporum ad, Gandestrii, principis Chattorum, lectas in senatu lutteras, quibus mortel] Arminii promittebat... responsumque esse... S'il était certain que cette correction nous rendit bien le texte de Tacite, il résulterait de ce passage, comme de celui (XV, 74) que nous avons cité tout à l'heure, la preuve d'une consultation toute locale. Mais ce n'est là qu'une conjecture très discutable. Les manuscrits donnent : Reperio apud scriptores senatoresque eorundem temporum Adgandestrii, etc. C'est surtout à cause de la liaison scriptores senatoresque, des écrivains qui étaient sénateurs, qu'on a tenté de modifier la leçon traditionnelle. Or Nipperdey[9] a trouvé dans les Annales (XVI, 12) un exemple de liaison tout à fait semblable : liberto et accusatori, l'affranchi qui était en même temps accusateur. De plus, il a fait valoir contre la correction de Berzenberger, senatusque eorundem temporum actis, et la tentative analogue de Mommsen, une excellente raison : il va de soi que, si Tacite a consulté les comptes rendus, il a consulté les comptes rendus contemporains, et non d'autres. Ses correcteurs lui imputent donc une affirmation bien superflue, un grossier pléonasme. S'il est vrai que le texte de la vulgate est le bon, il faut, avec Nipperdey, voir dans ce passage la preuve qu'au contraire Tacite n'a pas décrit les séances du sénat d'après les documents originaux. Il est clair, en effet, que Tacite a produit ici le témoignage d'écrivains qui étaient sénateurs à cette époque, parce qu'il n'avait pas sous les yeux le compte rendu officiel de la séance.

D'un autre côté, le passage de I, 81, invoqué par Nipperdey[10] contre l'hypothèse d'un emploi considérable des Acta senatus, n'est pas aussi démonstratif qu'il le croit : De comitiis consularibus, quæ tum primum illo principe ac deinceps fuere, vix quicquam firmare ausim : adeo diversa, non modo apud auctores, sed in ipsius orationibus reperiuntur. Cette incertitude d'où ni les écrivains ni les discours de Tibère n'ont pu tirer Tacite, il lui était facile, dit Nipperdey, d'en sortir en consultant sur chaque élection consulaire les Acta senatus. Mais il semble[11] que Nipperdey n'a pas vu nettement sur quel point porte l'incertitude de Tacite : elle porte sur les noms des candidats, comme l'indique la suite : Modo, subtractis candidatorum nominibus, originem cujusque et vitam et stipendia descripsit, ut, qui forent, intellegeretur ; aliquando, ea quoque significatione subtracta, candidates hortatus ne ambitu comitia turbarent, suam ad id curam pollicitus est ; plerumque eos tantum apud se professos disseruit, quorum nomina consulibus edidisset ; posse et alios profiteri, si gratiæ aut meritis confiderent. n De ce que Tacite avoue qu'il n'est pas suffisamment renseigné, il ne faut donc pas conclure qu'il n'a pas lu les Acta senatus. Les candidats faisaient leur déclaration à l'empereur, sinon en droit, au moins en fait : cette liberté que Tibère laisse aux candidatures de se produire directement dans le sénat est illusoire. Speciosa verbis, dit Tacite, re inania aut subdola. Si l'empereur ne nommait pas devant le sénat tous les candidats dont il avait reçu la déclaration, les noms seuls de ceux qu'il avait nommés figuraient dans les documents officiels, dans le compte rendu de la séance comme dans le texte de son discours. Même si Tacite avait lu les Acta senatus, il aurait dû s'abstenir de toute affirmation. Quant aux historiens contemporains, ils avaient pu compléter les listes officielles par des renseignements oraux, mais souvent peu sirs ou en désaccord : l'un avait mentionné telle candidature pour telle année, un autre telle autre. De là les divergences signalées par Tacite. Enfin des discours de Tibère, avec leurs artifices variés et hypocrites, on ne pouvait rien tirer de certain. D'ailleurs, le passage ne prouve pas non plus que Tacite ait lu les Acta senatus. Les discours de Tibère, qu'il cite ici et ailleurs, étaient insérés dans ce recueil, mais formaient sans doute aussi une collection à part, au temps de Tacite ; nous y reviendrons tout à l'heure.

Ce qui donne un air spécieux à l'opinion que nous combattons, c'est que, dans le récit de Tacite, les comptes rendus des séances du sénat sont très détaillés, souvent même jusqu'au point de relater des choses qui nous semblent, à nous, d'une importance très secondaire. Mais le développement donné à cette partie s'explique aisément sans qu'il soit besoin d'admettre l'emploi des Acta senatus. Tacite a eu pour sources un ou plusieurs écrivains contemporains qui, eux, traitant une matière neuve, avaient consulté les documents officiels, comme le fit Tacite pour les livres perdus des Histoires ; qui, de plus, ou bien en leur qualité de sénateurs avaient fait appel à leurs souvenirs personnels, ou bien s'étaient renseignés auprès des témoins oculaires. Beaucoup de faits que la postérité, même immédiate, jugera insignifiants, ont plus d'importance aux yeux des contemporains : sous l'influence d'une telle illusion, les devanciers de Tacite devaient avoir composé des récits très circonstanciés. Tacite les mit à contribution aussi largement et avec aussi peu de scrupule que celui de Pline pour l'année des quatre empereurs.

Non seulement l'étendue qu'ont prise dans les Annales les séances du sénat[12] n'est pas une raison de conclure à l'emploi des Acta senatus, mais encore un grand nombre de traits, dans les récits de ce genre, démontrent qu'ils proviennent d'une autre source[13]. Avec les propositions votées, les arguments pour et contre, les marques d'approbation ou de désapprobation données aux divers orateurs, toutes choses qu'il aurait trouvées dans le compte rendu officiel, Tacite en mentionne souvent d'autres qui n'y étaient certainement pas. Prenons, par exemple, le récit de la première séance du sénat sous Tibère. Tibère[14] prétend qu'il ne peut porter tout le fardeau de l'État, mais qu'il se chargera de la part qui lui sera confiée. Alors Gallus lui demande quelle part de l'État il désire qu'on lui confie. Perculsus inprovisa interrogations paulum reticuit, dein collecto animo respondit... Cette surprise et ce silence de Tibère n'avaient évidemment pas été notés dans le compte rendu officiel. Il n'y était pas dit non plus que Gallus put lire sur le visage du nouveau prince son mécontentement : Etenim vultu offensionem conjectaverat, ni qu'un peu après Arruntius[15] encourut le même mécontentement : Post quæ L. Arruntius, haud multum discrepans a Galli oratione, perinde offendit ; ni que deux autres sénateurs irritèrent l'Ame soupçonneuse de Tibère, suspicacem animum perstrinxere. Des détails de ce genre sont, d'un autre côté, trop précis pour qu'on les attribue à Tacite. Sans doute il a pu mêler, et il a souvent mêlé au récit ses réflexions personnelles. Mais supposer qu'il a imaginé de lui-même les attitudes, les gestes, les jeux de physionomie, qui trahissent tel ou tel sentiment, ce serait mettre gratuitement en doute sa véracité historique. Ce serait aussi, pour les partisans de l'emploi des Acta senatus, qui sont les défenseurs zélés de l'opinion traditionnelle sur l'originalité de Tacite, plaider contre la cause qu'ils se sont donné pour mission de faire triompher. Si Tacite n'a pas inventé ces détails et s'il ne les a pas trouvés dans les comptes rendus officiels, il les a empruntés à quelque écrivain contemporain, témoin oculaire lui-même ou renseigné par des témoins oculaires, qui avait raconté avant lui les mêmes séances du sénat. Dans ces conditions, lequel des deux est le plus vraisemblable, que Tacite lui a emprunté seulement les détails de ce genre et les a fondus dans un récit directement tiré par lui-même des Acta senatus, ou bien qu'il lui a emprunté toute la matière du récit, avec lequel on remarquera, d'ailleurs, qu'ils font intimement corps ?

Il n'y a pas lieu de s'étonner que Tacite n'ait point pris les documents officiels pour source principale dans les parties des Annales qui sont relatives aux séances du sénat. Ces matériaux avaient été exploités par ses devanciers. Les recherches étaient faites, il eût été superflu de les refaire, selon la doctrine des anciens : il n'y avait qu'à contrôler l'un par l'autre, s'il en existait plusieurs, les récits des débats sénatoriaux dérivés de la source première. Mais on peut se demander pourquoi, sans en faire sa source principale, Tacite n'a pas eu plus souvent recours aux Acta senatus. Ses devanciers les avaient-ils complètement épuisés ? Non, sans doute : Tacite y aurait trouvé, par exemple, le lieu de naissance de Quadratus, renseignement qu'il jugeait intéressant, puisqu'il s'est donné la peine de le chercher dans ses sources[16]. Sa conduite s'explique par le peu de confiance que lui inspirait ce recueil, qui avait un caractère officiel, dont le rédacteur était choisi par l'empereur et prenait soin d'arranger les choses au goût du maitre. Nous savons par Tacite le nom d'un de ces rédacteurs : Junius Rusticus componendis patrum actis delectus a Cæsare (par Tibère), et les soupçons dont ce personnage était l'objet : eoque meditationes ejus introspicere creditus[17]. En somme, directement les Annales ne doivent à peu près rien aux Acta senatus. Mais de cette source première proviennent, par l'intermédiaire des devanciers de Tacite, la plupart des renseignements qu'elles nous donnent sur les séances du sénat. Voilà un point sur lequel nous aurons à insister quand nous parlerons des devanciers de Tacite.

2. C'est à partir du premier consulat de César (695-59) que furent rédigés les Acta senatus ; il institua aussi à la même date la coutume de publier les Acta diurna populi[18], qui devinrent également une source historique très importante. A l'époque impériale, le contenu de ce recueil se divisait en trois parties[19] : d'abord les actes du gouvernement : décisions prises par l'empereur, les magistrats, le sénat ; puis les faits et gestes de la famille impériale ; enfin les nouvelles diverses de la ville : mariages et divorces, naissances et décès, construction et dédicace de monuments, publication d'œuvres littéraires, etc. Pas plus que celle des comptes rendus du sénat, la rédaction du journal de la ville n'était une entreprise privée : il avait un caractère officiel. Seulement, des particuliers pouvaient prendre copie du texte exposé en public et le distribuer à leurs abonnés, comme on fait de nos jours pour les numéros d'un journal. L'original passait aux archives de l'État, où il était à la disposition des écrivains, ainsi que, sous certaines conditions, les actes du sénat, qui, à partir d'Auguste, ne furent pas livrés à la publicité[20].

Tacite parle trois fois des Acta populi. Au chapitre 22 du livre XVI, Cossutianus Capito surexcite par les plus malignes insinuations la haine de Néron contre Thraséa ; entre autres choses il prétend que : Diurna populi Romani per provincias, per exercitus curatius leguntur, ut noscatur quid Thrasea non fecerit. Dans un passage de XIII, 31, Tacite indique nettement quelle différence il doit y avoir, à ses yeux, au point de vue du contenu, entre une histoire et ce journal : Nerone iterum, L. Pisone consulibus, pauca memoria digna evenere, nisi cui libeat laudandis fundamentis et trabibus, quis molem amphitheatri apud campum Martis Cæsar extruxerat, volumina implere, cum ex dignitate populi Romani repertum sit res inlustres annalibus, talia diurnis urbis actis mandare. Enfin Tacite atteste (III, 3) qu'il a consulté ce recueil pour les funérailles de Germanicus : Matrem Antoniam non apud auctores rerum, non diurne actorum scriptura reperio ullo insigni officio functam.

Voilà donc bien démontrée une consultation locale des Acta populi, une consultation dont le résultat, d'ailleurs, a été négatif. Y a-t-il eu consultation générale, y a-t-il eu au moins une série nombreuse de consultations locales ? Personne n'a soutenu, à ma connaissance, que Tacite ait dépouillé d'un bout à l'autre la collection du journal de la villa pour les quatre règnes racontés dans les Annales. D'abord, les raisons qui l'empêchèrent de chercher ses matériaux dans les Acta senatus le détournaient aussi des Acta populi : ses devanciers avaient déjà exploité ce recueil pour leur époque, comme il l'exploita lui-même pour la sienne dans les Histoires ; c'était un recueil officiel, dont les assertions avaient souvent peu d'autorité. De plus, c'était un ensemble très considérable et un véritable fouillis, où les événements dignes de l'histoire se perdaient parmi ceux qui n'avaient eu qu'un intérêt d'actualité. Nous avons entendu tout à l'heure Tacite[21] en parler d'un ton assez dédaigneux. Enfin, il n'avait assurément pas sous les yeux le journal de la ville quand il a dit (I, 41)  que le futur empereur Caligula était né en Germanie, dans le camp des légions commandées par son père : les Actes, au témoignage de Suétone (Calig., 8), donnaient comme lieu de sa naissance Antium.

Il est même fort douteux que Tacite ait eu fréquemment recours aux Acta populi pour un renseignement de détail. Comme il affirme (VI, 7) qu'il raconte bien des choses que d'autres ont passées sous silence, nobis pleraque digna cognitu obvenere, quamquam ab aliis incelebrata, Nipperdey conjecture que ces compléments pourraient provenir des Acta populi, qui contenaient un sommaire des séances du sénat ; en particulier des procès : or Tacite fait cette déclaration à propos de procès. Mais les raisons que nous avons fait valoir, à propos de ce passage, contre l'emploi des Acta smalas, s'appliquent aux Acta populi : l'opinion risquée par Nipperdey ne serait admissible que si Tacite annonçait qu'il complétera le récit des autres historiens, et non celui d'autres historiens. C'est également faire une vaine conjecture[22] que d'attribuer à une consultation directe des Acta populi des passages comme ceux de II, 41 et 49, où il est parlé de réfection ou de consécration d'édifices religieux. Il est vrai que le journal de la ville avait mentionné à leur date ces travaux et ces cérémonies. Mais puisque Tacite, qui est pourtant assez difficile sur ce point[23], les juge dignes de figurer dans ses Annales, ses devanciers avaient bien pu leur faire le même honneur. En somme, l'emploi des Acta populi n'est établi qu'en un seul endroit, au chapitre 3 du livre III : absence d'Antonia, mère de Germanicus, aux funérailles de son fils. Ici nous voyons très bien pourquoi Tacite a dérogé à ses habitudes. Cet effacement d'Antonia lui a paru très extraordinaire. Ce qui le prouve clairement, c'est qu'il s'efforce de s'en rendre compte par plusieurs hypothèses. Ne trouvant rien dans les sources littéraires et voulant en avoir le cœur net, il a lu dans les Acta populi le récit des funérailles de Germanicus[24].

3. Il y a encore, au chapitre 24 du livre XII, une citation d'Acta publica qui ne sont ni les Acta senatus ni les Acta populi. Tacite constate que Claude agrandit l'enceinte de la ville, sans préciser davantage (ch. 23). Après une assez longue digression, il s'excuse ainsi de ne pas dire en quoi consista au juste cet agrandissement : Et quos tum Claudius terminos posuerit, facile cognitu et publicis actis perscriptum. Les Acta senatus n'étaient pas à la disposition de tout le monde ; la collection des Acta populi, outre qu'elle ne se trouvait sans doute pas dans toutes les bibliothèques, était très volumineuse et difficile à manier. Tacite n'aurait renvoyé ses lecteurs ni à l'un ni à l'autre de ces recueils : il en aurait fait ici un extrait à leur usage. II s'agit, selon toute vraisemblance, d'une inscription commémorative du fait, gravée sur quelque monument public, et trop connue au temps de Tacite pour qu'il ait cru devoir entrer dans plus de détails[25].

Il va sans dire qu'à l'époque où Tacite écrivait les Annales un grand nombre d'autres inscriptions du même genre existaient à Rome et pouvaient être lues de tout le monde. Pour le règne de Claude, Tacite l'atteste formellement. Claude, dit-il, enrichit l'alphabet de trois lettres, qui furent en usage de son vivant, mais tombèrent après lui en désuétude. Aspiciuntur etiam nunc in ære publico... per fora ac temple fixo (XI, 14). L'une de ces inscriptions reproduisait un sénatus-consulte en l'honneur de l'affranchi Pallas. Et fixum est ære publico senatus consultum, ajoute Tacite après l'avoir analysé (XII, 53). Pline le Jeune nous apprend en quel endroit elle avait été placée : Ad statuam loricatam divi Julii (Ep., VIII, 6, 13). Est-ce là qu'il a lu le sénatus-consulte dont il nous a conservé dans cette lettre des extraits considérables, ou bien est-ce dans les Acta unaus ? Il ne le dit pas. Quant à l'historien lui-même, qu'il ait lu l'inscription, cela ne parait pas douteux, puisqu'il la signale et que, d'après Pline, elle se trouvait dans un endroit très fréquenté de Rome — Delectus est celeberrimus locus... Incisa et insculpta sunt publicis æternisque monumentis... ibid., 14 —. Il la connaissait ; mais est-il allé la relire avant de composer le récit de cette affaire et lui a-t-elle servi de source, ou bien s'est-il borné à y faire allusion et a-t-il parlé du sénatus-consulte en question seulement d'après l'analyse qu'en donnait sa source dérivée ? Sans doute, dans la plupart des extraits reproduits par Pline, il n'y a rien, malgré leur étendue, que Tacite ne dise en son bref récit : c'est la phraséologie prolixe, emphatique, insipide de l'adulation. Nous y trouvons cependant un détail précis qui n'est pas dans Tacite : Censent non exhortandum modo, verum etiam compellendum ad usum aureorum anulorum. L'omission de ce détail, qui a son importance, nous porterait à croire que Tacite n'avait pas le texte sous les yeux, c'est-à-dire qu'il ne s'est servi ni de l'inscription elle-même ni des Acta senatus, où le sénatus-consulte figurait naturellement aussi. D'une façon générale, les documents officiels de ce genre, comme ceux dont nous avons parlé plus haut, et pour les mêmes raisons, n'ont pas dû être utilisés par Tacite.

4. En dehors des archives de l'État, dont les éléments essentiels étaient les deux collections des Acta senatus et des Acta populi, il y avait les archives des empereurs[26] : correspondance des gouverneurs de provinces impériales et des procurateurs, requêtes de diverse nature, etc. L'importance de ces archives est attestée par un passage bien connu de Dion. Arrivé, dans son récit, à l'époque impériale, il déclare qu'il lui sera très difficile désormais de savoir la vérité : Πρτερον μν γρ ς τε τν βουλν κα ς τν δμον πντα, κα ε πρρω που συμβαη, σεφρετο· κα δι τοτο πντες τε ατ μνθανον...... Έκ δ δ το χρνου κενου τ μν πλεω κρφα κα δι´ πορρτων γγνεσθαι ρξατο, ε δ πο τινα κα δημοσιευθεη, λλ νεξλεγκτ γε ντα πιστεται. (LIII, 19, 2 sq.). Le secret que Dion oppose ici à la publicité de l'époque républicaine, c'est celui du cabinet des empereurs. Dans deux passages de Tacite il est question de documents de ce genre. Le premier se rapporte au règne de Claude. Suillius, à qui on reproche, sous Néron, d'avoir, pendant le dernier règne, causé par ses accusations la perte d'un grand nombre de citoyens, allègue pour sa défense qu'il agissait à l'instigation de Claude lui-même (XIII, 43), donec eam orationem Cæsar cohibuit, compertum sibi referens ex commentariis patris sui nullam cujusquam accusationem ab eo coactam n. Les commentaires dont il s'agit ici ne sont évidemment pas les Mémoires de Claude, dont nous parlerons tout à l'heure : ce sont des notes, connues de Néron seul, rédigées par Claude ou par ses secrétaires, pour son usage personnel et non pour la publicité[27]. Si l'on était tenté d'identifier les deux ouvrages et de prétendre que Néron fait tout simplement allusion aux Mémoires de Claude encore inédits, on en serait empêché par le second passage de Tacite (Hist., IV, 40). C'est au commencement du règne de Vespasien. L'empereur, encore absent de Rome, y est représenté par soir fils Domitien. Quo die senatum ingressus est Domitianus... petit a Cæsare Junius Mauricus ut commentariorum principalium potestatem senatui faceret, per quos nosceret quem quisque accusandum poposcisset. Ce passage ne petit pas s'entendre d'ouvrages proprement dits, de Mémoires, tels que ceux de Claude, composés par les divers empereurs. Il ne peut être question ici, et par conséquent dans l'autre texte où est employé le même mot commentarii, que des archives du cabinet des empereurs[28].

Le second passage de Tacite ne nous apprend pas seulement que les archives des règnes précédents existaient encore en 70 ; il nous apprend aussi qu'à cette époque personne n'était admis à les consulter. A la demande de Junius Mauricus Domitien répondit qu'il ne pouvait prendre la responsabilité d'une telle communication : Consulendum tali super re principem respondit. Dans la partie conservée des Histoires, il n'est plus question de cette affaire. Il est bien probable qu'elle en resta là, que Vespasien et ses successeurs jugèrent imprudent de livrer, même à la publicité restreinte du sénat, des documents qui contenaient tant de révélations : s'ils avaient cru que tout le danger serait pour la réputation de leurs devanciers ou de certains particuliers, ils auraient peut-être passé outre ; mais, pour le pouvoir impérial lui-même, il valait mieux que les mystères des règnes précédents ne fussent pas divulgués. Rien, dans les Annales, ne prouve qu'une exception ait été faite en faveur de Tacite, malgré ses relations avec les empereurs Nerva et Trajan. S'il avait eu la faculté de compulser les pièces des archives secrètes, il en aurait certainement usé : car c'étaient là des matériaux dont, sans doute, aucun de ses devanciers pour l'époque racontée dans les Annales, dont, à coup sûr, aucun de ses devanciers pour le règne de Tibère, contemporains, nous le verrons, de la dynastie julienne, n'avait pu se servir. Et s'il avait usé de cette faculté extraordinaire, il n'aurait pas manqué de le dire, lui qui prend soin de nous avertir qu'il a trouvé dans des sources d'un accès beaucoup moins difficile, les Actes du sénat, les Mémoires d'Agrippine, des renseignements que ne donnaient pas les histoires antérieures.

5. Le Dialogue des Orateur[29] nous apprend que, sous le règne de Vespasien, Mucien avait entrepris, au moyen des Actes et peut-être aussi d'autres sources, une collection de discours et de lettres des grands personnages du passé. Les noms propres cités dans ce passage appartiennent tous à l'époque républicaine ; mais Mucien dut pousser plus loin. Quoi qu'il en soit, l'existence d'un recueil des discours et lettres de Tibère, par Mucien ou par un autre, n'est pas douteuse. Nous avons vu que Tacite avoue (I, 81) l'impossibilité où il est de donner aucune indication précise sur les comices consulaires du règne de Tibère, parce que les discours de cet empereur, aussi bien que les récits des historiens, sont remplis de divergences et le laissent, en somme, dans l'incertitude. La forme de la citation montre que Tacite a consulté lui-même les discours dont il parle : Vix quicquam firmare ausim, adeo diverse, non modo apud auctores, sed in ipsius orationibus reperiuntur. Il est clair que, ne trouvant pas les historiens d'accord, il a eu recours ici à la source première. De même, il mentionne le discours de Tibère relatif au roi germain Maroboduus (II, 63) en termes qui ne permettent guère de mettre en doute la consultation directe : Extat oratio, qua magnitudinem viri extufit. Il s'agit, dans les deux passages, de discours prononcés devant le sénat, insérés, par conséquent, dans les Actes du sénat. Il semble que, si Tacite avait lu ces textes dans le recueil officiel des comptes rendus du sénat, il n'aurait pas manqué de le dire : c'était une garantie de plus. Mais ce qu'il y a surtout de frappant, c'est que dans le second passage, où il est question d'abord d'une lettre de Maroboduus à Tibère, puis de la réponse de Tibère à Maroboduus, enfin du discours de Tibère au sujet de ces négociations, toutes pièces insérées dans les Actes du Sénat, Tacite constate que le discours de Tibère existe encore, et non que les trois pièces existent encore. Il a eu sous les yeux un recueil où il n'y avait, de ces trois pièces, que le discours de Tibère, c'est-à-dire une collection des discours et lettres de Tibère. Le reste de ses informations sur cette affaire provient des sources dérivées.

Il est donc établi qu'il existait une collection de discours et lettres de Tibère et que Tacite s'en est servi. Il faudrait pourtant bien se garder de croire que, partout où l'historien fait parler l'empereur, il reproduit les paroles réellement prononcées ou écrites. Nous savons que, même quand ils ont à leur disposition les discours réels, les historiens de l'antiquité se chargent de composer ceux qu'ils mettent dans la bouche de leurs personnages, surtout afin que l'unité de leur style ne soit pas gâtée par des morceaux disparates. Tacite a si bien observé cette règle, que l'on retrouve dans tous ses discours, que l'orateur s'appelle Tibère, Claude, Néron, Galba ou d'un autre nom quelconque, les particularités les plus caractéristiques de sa langue et de sa syntaxe[30]. Quand il rapporte les paroles mêmes qui ont été dites, il nous en avertit[31] : ce fait seul prouverait que son habitude n'est pas de les rapporter exactement. Partout ailleurs, c'est son éloquence qu'il substitue à celle du personnage, et parfois cela résulte de la formule Même par laquelle il introduit le discours ou la lettre ; tel est le cas de III, 52 : Litteras ad senatum composuit, quarum sententia in hunc modum fuit[32]. Tacite a sans doute lu les discours et lettres de Tibère ; tantôt il y a cherché des renseignements sur les faits eux-mêmes ; tantôt, ayant à faire parler l'empereur, il s'en est inspiré : jamais il ne les a reproduits textuellement.

Il faut faire à cette règle une seule exception. Tacite a transcrit (VI, 6) les premières lignes d'une lettre de Tibère au sénat : Insigne visum est earum Cæsaris litterarum initium ; nam his verbis exorsus est : Quid scribam vobis, patres conscripti, aut quo modo scribam, aut quid omnino non scribam hoc tempore, dii me deæque pejus perdant, quam perire me cotidie sentio, si scio. La formule d'introduction, sans parler de la bizarrerie de cette phrase, est une garantie d'authenticité. Une autre garantie est fournie par Suétone, qui, indépendant de Tacite, comme nous le démontrerons bientôt, dans ses vies des empereurs juliens aussi bien que dans ses dernières biographies impériales, cite exactement[33] la même phrase (Tib., 67). Mais de ce rapprochement nous devons déduire une autre conséquence. Quoique la phrase citée par Suétone et par Tacite soit très caractéristique, il n'est guère possible de croire que la double citation soit l'effet d'une rencontre fortuite et qu'il n'y ait aucune parenté entre les deux passages ; cela est d'autant moins possible, que les deux auteurs accompagnent la phrase de Tibère des mêmes réflexions. Suétone l'introduit par ces mots : Postremo semetipse pertæsus, tali epistulæ principio tantum non summam malorum suorum professus est. Tacite la commente ainsi : Adeo facinora atque flagitia sua ipsi quoque in supplicium verterant. Ce n'est donc pas dans le texte original qu'ils l'ont prise l'un et l'autre, mais dans une source dérivée commune. Remarquons que dans la formule de citation de Tacite il n'y a rien qui indique une consultation directe. Il dit : le début de cette lettre a paru digne d'être remarqué, visum est, et non mihi visum est, ou videtur. De sorte qu'au seul endroit où notre auteur cite textuellement Tibère, il ne le cite pas directement. Cet exemple nous avertit qu'à moins de raisons solides, nous ne devons jamais croire à l'emploi des sources premières par Tacite.

Nous ne savons pas si les discours de Claude et de Néron avaient été réunis en recueils, comme ceux de Tibère. Mais cela est assez vraisemblable. Les discours et lettres de Néron avaient pour la postérité un intérêt tout particulier, puisque l'opinion publique les attribuait à Sénèque[34]. C'était une raison pour les éditeurs de les publier à part et pour les lettrés, comme Tacite, de les lire. Quintilien cite un fragment de la lettre écrite par Néron au sénat après le meurtre d'Agrippine (VIII, 5, 18), et l'attribue sans la moindre hésitation à Sénèque ; serait-il aussi affirmatif s'il avait puisé directement à cette source officielle, où il va sans dire qu'elle était donnée comme étant de Néron[35] ?

Quant à Claude, nous savons au moins que son discours en faveur des Gaulois, qui sollicitaient le jus honorum, avait été gravé, très peu de temps sans doute après que le sénat eut fait droit dans une certaine mesure à leur demande, sur des tables d'airain dont des fragments considérables sont conservés au musée de Lyon[36].

Si Tacite a lu les discours de Claude et de Néron, ceux qu'il leur a prêtés n'en sont pas moins de sa façon ; nous avons dit tout à l'heure pour quels motifs nous en sommes sûrs. L'inscription de Lyon nous fournit une preuve spéciale et très intéressante. Nous pouvons comparer le discours authentique de Claude avec celui que Tacite lui fait prononcer (XI, 24). La ressemblance des deux morceaux n'est même pas telle, que l'on puisse affirmer absolument que Tacite a eu l'original sous les yeux : à la rigueur, il pourrait ne l'avoir connu qu'indirectement, par un résumé ou une reproduction de sa source littéraire. S'il l'a eu sous les yeux, il a pris les plus grondes libertés. Les tables de Lyon étant mutilées à leur partie supérieure, nous n'affirmerons pas qu'il a beaucoup ajouté. Mais il a beaucoup supprimé, il a changé l'ordre du développement, il a substitué son style concis et frappant aux phrases enchevêtrées et aux tirades emphatiques de Claude. Il nous a livré, en somme, une copie très infidèle et très embellie de l'original.

 

II

1. Tibère et Claude nous fournissent une transition toute naturelle pour passer des sources officielles à un autre groupe de sources premières, les Mémoires. Ces deux empereurs avaient écrit des Mémoires. Ceux de Tibère nous sont connus par deux témoignages de Suétone. Commentario quem de vita sua summatim breviterque composuit, dit-il au chapitre 61 du Tibère, ausus est scribere Sejanum se puniisse quod comperisset facere adversus liberos Germanici filii sui. Le verbe composuit indique clairement qu'il s'agit ici d'un ouvrage, et non de simples notes, comme celles dont nous avons parlé plus haut[37]. Le second passage de Suétone nous apprend (Dom., 20) que ces Mémoires étaient la lecture favorite de Domitien. Il n'y en a aucune citation dans Tacite, et nous n'en sommes pas étonnés : un ouvrage où le mensonge s'étalait aussi impudemment, et que Domitien prisait si fort, ne pouvait être considéré par Tacite comme une source historique. C'est égaiement par Suétone que l'existence des Mémoires de Claude nous est attestée (Claude, 41) : Composuit et de vita sua octo volumina, magis inepte quam ineleganter. Tacite n'en dit pas un mot dans la partie des Annales relative à Claude qui nous est parvenue. C'était là encore une source très suspecte, et, d'ailleurs, Tacite n'avait pas une haute opinion du bon sens de Claude.

2. Sans sortir de la famille impériale, nous avons aussi à mentionner les Mémoires de la seconde Agrippine[38], fille de Germanicus et mère de Néron, née en 14 et morte en 59. A propos d'un fait raconté au chapitre 53 du livre IV, Tacite remarque : Id ego a scriptoribus annalium non traditum repperi in commentariis Agrippinæ filiæ, quæ, Neronis principis mater, vitam suam et casus suorum posteris memoravit. De ce témoignage on peut déduire, me semble-t-il, la date de la composition des Mémoires : ils furent écrits — quæ Neronis principis mater... memoravit — sous le principat de Néron[39], par conséquent entre 54 et 59, un peu tard pour que les deux principaux historiens des règnes de Tibère, de Caligula et de Claude, Aufidius Bassus et Servilius Nonianus, qui furent certainement, nous le verrons, parmi les sources de Tacite, aient pu s'en servir. Du même témoignage il ressort qu'Agrippine s'était bornée à raconter des événements de famille, ne touchant aux événements politiques qu'autant qu'il était nécessaire — vitam suam et casus suorum... memoravit —. Le fait que Tacite lui emprunte se rapporte à la première Agrippine : un jour que Tibère rendait visite à la veuve de Germanicus, celle-ci lui demanda un nouveau mari ; Tibère ne répondit pas. Les commentaires d'Agrippine sont cités aussi par Pline (Hist. Nat., VII, 46) pour un détail sur la naissance de Néron : ... scribit parens ejus Agrippina[40]. La partie la plus intéressante de l'ouvrage était sans nul doute celle où Agrippine racontait la mort de son père et la conduite de Tibère à l'égard de sa mère et de ses frères.

Mais ce serait une erreur de croire que Tacite en a fait sa source principale pour toute la partie de son récit qui est relative à Germanicus et à sa famille[41]. D'abord, il devait se défier des affirmations d'une femme pour laquelle il a si peu d'estime[42]. Ensuite, rien, dans les passages en question, ne dénote l'emploi d'une telle source, bien au contraire. Par exemple, Tacite ne donne jamais comme certaine la culpabilité de Pison : Agrippine s'était évidemment montrée beaucoup moins réservée. Au premier abord, on serait tenté de voir dans le récit du voyage de Germanicus (II, 53), si détaillé et si saisissant, un extrait des mémoires de sa tille. Mais quand Tacite dit : Et ferebatur Germanico per ambages, ut mos oraculis, maturum exitium cecinisse, on ne peut guère admettre que cette réponse d'oracle lui ait été connue par Agrippine, qui avait dei s'exprimer à ce sujet beaucoup plus affirmativement ; ce n'est pas le témoignage d'une personne si bien placée pour savoir avec certitude, c'est un simple bruit que Tacite a l'air de rapporter.

Mais la meilleure preuve qu'il n'a pas fait grand usage des Mémoires d'Agrippine résulte de la façon même dont il les cite (IV, 53) : Ces instances d'Agrippine auprès de Tibère pour obtenir un second mari, les historiens n'en parlent pas, dit Tacite ; j'ai emprunté le renseignement aux Mémoires de sa fille. N'est-ce pas là reconnaître implicitement que les historiens ont été les sources principales du récit ? Ce détail ne se trouve pas dans les historiens : donc le reste s'y trouve et c'est là que Tacite le prend. Nous avons affaire à une simple intercalation de quelques lignes dans le récit des sources ordinaires. Un rapprochement entre Suétone et Tacite confirmera cette conclusion. L'anecdote que Tacite certifie avoir empruntée aux mémoires d'Agrippine vient immédiatement après le récit du procès intenté à Claudia Pulchra, parente de la première Agrippine, par Domitius Afer. A propos de ce procès la veuve de Germanicus fit une scène violente à Tibère, qui lui répondit par un vers grec, allusion mordante à ses instincts dominateurs : correptamque græco versu admonuit non ideo lædi, quia non regnaret (IV, 54). Elle est immédiatement suivie d'une autre anecdote, celle du repas où Agrippine, étant à table auprès de Tibère, refusa de toucher à aucun aliment, de peur d'être empoisonnée (IV, 54). Or Suétone (Tib., 53) rapporte d'abord la réprimande grecque, sans dire dans quelle occasion elle fut adressée à Agrippine, mais en donnant la traduction du vers cité par Tibère, ce qui suffirait à prouver qu'ici les deux auteurs sont indépendants : Manu apprehendit græcoque versa, si non dominaris, inquit, filiola, injuriam te accipere existimas. Aussitôt après, il raconte l'anecdote du repas. Il n'aurait Arment pas omis celle de la démarche d'Agrippine et du silence de Tibère, si elle lui avait été connue. D'où la conclusion qu'il n'a pas eu sous les yeux les Mémoires de la seconde Agrippine et que Tacite a intercalé l'anecdote en question dans le récit d'une source commune. Tacite a-t-il emprunté aux Mémoires d'Agrippine autre chose que la matière de ce chapitre 53 du livre IV ? L'empressement qu'il met à faire remarquer qu'il enrichit d'un renseignement complémentaire le récit des historiens antérieurs nous autorise à affirmer que, s'il avait fait la même chose en d'autres endroits, il ne l'aurait pas faite sans le dire. C'est, d'ailleurs, là une observation dont la portée est générale : il est prudent de ne pas admettre que Tacite s'écarte de sa source ordinaire, à moins d'avis contraire de sa part.

3. Comme ouvrages contemporains, en dehors des Mémoires d'Agrippine, il ne cite que les Mémoires de Corbulon. Cn. Domitius Corbulo[43], consul sufectus en 39, sous le règne de Caligula, fut mis à mort par ordre de Néron, en 67. Depuis 54, il était légat en Arménie et en Syrie ; c'est de 55 à 63 qu'il s'y distingua par ses exploits[44]. Nous savons qu'il les avait racontés, par Tacite et par Pline l'Ancien. Celui-ci lui emprunte à deux reprises[45] des renseignements géographiques : V, 24, 83 (sur l'Euphrate) : Ut prodidere ex iis, qui proxime viderunt, Domitius Corbulo... ; II, 70, 180 : Corbulo, dux in Armenia, prodidit... (une éclipse de soleil). La citation de Tacite (XV, 16) se rapporte à la capitulation honteuse de Pætus assiégé par le roi Vologèse : aCeterum obsessis adeo suppeditavisse rem frumentariam constitit, ut horreis ignem injicerent, contraque prodiderit Corbulo Parthos, inopes copiarum et pabulo attrito, relicturos oppugnationem, neque se plus tridui itinere afuisse. Adjicit jurejurando Pæti cautum apud signa, adstantibus lis, quos testificando rex misisset, neminem Romanum Armeniam ingressurum, donec referrentur litteræ Neronis, an paci adnueret.

Ce que Tacite signale donc lui-même comme emprunté directement au récit de Corbulon, ce sont ces trois faits : 1° la nécessité où la disette aurait bientôt mis les Parthes d'abandonner le siège ; 2° la proximité des secours au moment de la capitulation ; 3° l'engagement pris par Pætus devant les envoyés du roi. Ces trois renseignements, la formule de citation démontre que Tacite les doit au seul témoignage de Corbulon. Mais elle démontre également que pour ce passage Corbulon n'a pas été l'unique source de Tacite. Avant les trois renseignements fournis par Corbulon seul, il eu donne un autre sur lequel tout le monde fut d'accord : l'abondance des approvisionnements du côté des assiégés. Et, après, il introduit par cette formule, qui dénote évidemment qu'elle est empruntée aussi à la tradition générale, une description de la retraite de Pætus : Quæ (le serment de Pætus) ut augendæ infamiæ composita, sic reliqua non in obscuro habentur, una die quadraginta milium spatium emensum esse Pætum, etc. On voit aussi que dans cette dernière phrase Tacite met en suspicion la véracité de Corbulon. De tout cela on peut sûrement conclure que Corbulon n'est pas la source principale. Tacite n'a fait que contrôler et compléter en cet endroit le récit de sa source ordinaire par celui de Corbulon. Il l'a complété par le détail du serment, qu'il regarde, d'ailleurs, comme une invention de Corbulon, par ceux de la disette des Parthes et de la proximité de Corbulon. Il l'a contrôlé pour savoir, d'abord s'il est bien vrai que Pætus capitula sans y être absolument obligé par la famine, ensuite, que sa retraite ressembla à une déroute. Cette citation de Corbulon est unique. Il y a tout lieu de croire que Tacite ne lui doit rien de plus. En effet, dans les diverses séries de chapitres qui sont consacrés aux affaires de Syrie et d'Arménie[46], aucun indice ne révèle l'emploi direct d'une telle source, et, par contre, certains passages prouvent clairement que Tacite en a suivi une autre : ce portrait de Corbulon, par exemple : Corpore ingens, verbis magnificis, et super experientiam sapientiamque etiam specie inanium validus (XIII, 8) ; ce jugement sur son éloquence avec analyse d'une.de ses harangues : Exercitum ad contionem vocat orditurque magnifica de auspiciis imperatoriis rebusque a se gestis, adversa in inscitiam Pæti declinans, mulla auctoritate quæ viro militari pro facundia erat (XV, 96) ; et, surtout, ce passage relatif à la demande de secours adressée par Pætus et à la conduite de Corbulon dans cette circonstance : Aegre compulsum ferunt ut instantem (hostem) Corbuloni fateretur ; nec a Corbulone properatum, quo, gliscentibus periculis, etiam subsidii taus augeretur (XV, 10).

Si Tacite n'a pas pris pour source principale les Mémoires de Corbulon, c'est d'abord qu'il le soupçonnait de n'avoir pas toujours dit la vérité. Nous l'avons entendu tout à l'heure qualifier le serment de Pætus d'invention destinée à aggraver son infamie et, par conséquent, à mieux faire valoir la gloire de Corbulon. Nous venons de voir qu'il rapporte, sans un mot de réfutation, un bruit d'après lequel Corbulon ne se serait pas pressé de porter secours à Pætus afin de recueillir plus de gloire en le tirant d'un péril plus grand. Certes, Tacite rend pleine justice aux talents militaires de Corbulon ; mais il signale plus d'une fois sa vanité et son ambition : il nous raconte que ce général parle à ses soldats en termes pompeux de ses exploits[47] ; il constate qu'il ne pouvait pas supporter un rival : sed neque Corbulo æmuli patiens (XV, 6). Cependant cette défiance ne fut pas la principale raison pour laquelle Tacite emprunta si peu à Corbulon. Composés avant 67, les Mémoires de celui-ci avaient pu être consultés par Pline l'Ancien pour sa continuation d'Aufidius Bassus, ouvrage qui est certainement, nous le verrons[48], parmi les sources des livres XIII à XV, où Tacite raconte les exploits de Corbulon. Le soin scrupuleux de Pline à se bien informer et le fait qu'il a utilisé ces mémoires pour son Histoire naturelle nous garantissent qu'en effet il les avait consultés pour ses Histoires. D'une part, il ne devait pas y avoir laissé grand'chose à prendre pour ceux qui viendraient après lui ; d'autre part, ils n'étaient plus aux veux de Tacite que des matériaux déjà exploités et, partant, d'une valeur pratique très secondaire. Cluvius Rufus et Fabius Rusticus, deux autres historiens du règne de Néron, dont nous sommes également sûrs[49] que Tacite s'est servi dans cette partie des Annales, purent aussi consulter, et consultèrent[50], selon toute probabilité, les mémoires de Corbulon.

4. Un autre général du même temps, dont l'opinion publique faisait le rival de Corbulon, et qui méritait par ses talents militaires de lui être comparé[51], C. Suetonius Paulinus, avait aussi écrit des mémoires. Il se signala d'abord en 42, comme légat prétorien, dans la Maurétanie, où il poussa jusqu'au mont Atlas[52] ; plus tard, comme légat consulaire, en Bretagne, où il réprima la grande révolte de 61[53]. Dans l'intervalle de ces deux commandements il avait été, mais on ignore à quelle date, consul suffectus[54] : car la Bretagne était une province proconsulaire. Il fut consul ordinaire en 66[55]. Plus heureux que Corbulon, il survécut à Néron. Nous l'avons trouvé dans les Histoires[56] parmi les généraux d'Othon. Après la défaite de Bedriacum et le suicide de l'empereur, il rentra en grâce avec Vitellius[57].

Suetonius avait raconté son expédition de Maurétanie. Pline l'Ancien le cite pour un renseignement géographique (H. N., V, 1, 14) : Suetonius Paulinus, quem consulem vidimus, primus Romanorum ducum trangressus quoque Adantem, prodidit... Comme la partie des Annales qui contenait les événements de 42 est perdue, nous ne savons pas quel parti Tacite avait tiré de cette relation, ni s'il en avait tiré un parti quelconque. Sûrement, il ne lui avait pas fait jouer un rôle plus important qu'aux Mémoires de Corbulon, si toutefois Suetonius avait raconté son expédition aussitôt après son retour, assez tôt pour que les historiens du règne de Caligula, tels que Servilius Nonianus et Aufidius Bassus, qui écrivirent sous Claude et dans les premiers temps de Néron[58], aient pu le mettre à contribution. S'ils ont pu le faire, ils l'ont certainement fait : car ce récit du témoin oculaire et de l'acteur principal s'imposait à tout historien sérieux de l'année 42. Comme ces deux auteurs sont au nombre des sources de Tacite, il se sera, dans ce cas, dispensé d'utiliser à fond les Mémoires de Paulinus, pour la même raison qui lui avait fait négliger, en tant que source principale, les Mémoires de Corbulon. Et il est bien probable que Paulinus raconta le plus tôt possible son expédition de l'Atlas, alors que l'impression produite par cette pointe poussée en pays inconnu était dans toute sa force et que, par suite, le hardi général devait être instamment sollicité d'en donner par écrit une relation détaillée.

Si Paulinus avait raconté aussi son expédition de Bretagne, il l'avait racontée, pour la même raison, sous le règne de Néron, aussitôt après son retour, et les trois historiens de ce règne que Tacite désigne comme lui ayant servi de sources, Cluvius, Fabius et Pline, avaient été en mesure de le consulter, l'avaient consulté. C'étaient donc encore là pour Tacite des matériaux déjà exploités, comme les Mémoires de Corbulon. Ils ne pouvaient servir que de source complémentaire et de moyen de contrôle. Dans les chapitres du livre XIV (29-39) consacrés aux exploits de Paulinus en Bretagne, rien absolument ne fait songer à l'emploi, même accessoire, de Paulinus. Au contraire, il y a dans le chapitre 37, à propos du nombre des Bretons qui périrent dans la grande bataille, une formule de citation indéterminée : sunt qui... tradant, qui ne dénote pas du tout un témoin oculaire tel que Paulinus. Tacite n'aurait-il pas pris soin de nommer Paulinus, s'il l'avait eu sous les yeux, comme il a nommé Corbulon ? D'ailleurs, il est bien probable qu'un récit de l'expédition de Bretagne n'a jamais été écrit par Paulinus, pas plus qu'un récit de la campagne des Othoniens contre les Vitelliens. D'un côté, Paulinus n'est jamais cité par les auteurs qui parlent de la Bretagne ; d'un autre côté, ce n'est pas une raison, parce qu'il avait écrit la relation de ses exploits en Maurétanie, de croire qu'il avait raconté aussi ceux de Bretagne : il n'avait pas été en Bretagne, comme en Maurétanie, le premier explorateur d'une région inconnue. N'oublions pas non plus que son gouvernement de Bretagne se termina par un petit échec et, malgré l'importance des services rendus, par une demi-disgrâce[59]. La fin de sa relation lui aurait donc offert d'assez grandes difficultés et, s'il eut l'idée de l'écrire, cette considération put suffire à l'en détourner.

5. On suppose que L. Antistius Vetus, consul avec Néron en 55[60], légat consulaire de la Germanie supérieure en 58[61], proconsul d'Asie peu avant sa mort, qui arriva en 65[62], avait écrit un ouvrage sur la Germanie. Il est cité par Pline l'Ancien parmi les sources des livres III à VI de l'Histoire naturelle. Étaient-ce des mémoires proprement dits ou bien une description géographique de la contrée ? Nous l'ignorons et peu nous importe : car ce que Tacite dit du gouvernement de Vetus dans la Germanie tient en quelques lignes (XIII, 53) et le seul acte de ce légat dont il y soit parlé est un projet de canal entre la Moselle et la Saône. Même si Tacite s'était servi de Vetus, il n'aurait-donc pas pu lui emprunter grand'chose. Encore est-il bien improbable qu'il s'en soit servi, puisqu'il ne le cite pas et que son ouvrage rentrait, comme ceux de Corbulon et de Paulinus, dans la catégorie des matériaux exploités, si nous en jugeons par la date de la composition[63] et par les citations de l'Histoire naturelle.

6. Les empereurs n'étaient pas les seuls dont les discours, en dehors même des registres officiels où ils avaient été insérés, se fussent conservés jusqu'à l'époque de Tacite. L'historien put certainement, s'il le voulut, lire an moins quelques-uns des discours prononcés par les principaux orateurs des règnes de Tibère, Caligula, Claude et Néron[64]. Or ces documents n'étaient pas sans intérêt. Nous savons, par exemple, que le réquisitoire de Vitellius contre Pison, dans le procès qui suivit la mort de Germanicus, existait encore au temps où Pline écrivait l'Histoire naturel : Negatur cremari posse (cor) in iis qui cardiaco morbo obierint, negatur et veneno interemptis. Certe exstat oratio Vitellii qua Gnæum Pisonem ejus sceleris coarguit hoc usus argumento palamque testatur non potuisse ob venenum cor Germanici Cæsaris cremari ; contra genere morbi defensus est Piso (XI, 37, 187). Tacite s'en est-il servi dans son récit de cet important événement ? II semble bien que non : il ne fait pas une analyse à part du discours de Vitellius : Post quem Servæus et Veranius et Vitellius consimili studio, et multa eloquentia Vitellius, objecere... (III, 13). Quand il vient, dans cette analyse collective, au grief d'empoisonnement, il ne mentionne pas l'argument que Pline a trouvé développé dans le discours de Vitellius ; il dit seulement : Postremo ipsum devotionibus et veneno peremisse. Il ne le mentionne pas non plus dans l'analyse qu'il donne un peu plus loin du plaidoyer pour Pison, et il en mentionne un autre : Solum veneni crimen visus est diluisse, quod ne accusatores quidem satis firmabant, in convivio Germanici, cum super eum Piso discumberet, infectos manibus ejus cibos arguentes (III, 14). Il a donc, selon toute vraisemblance, écrit le compte rendu des débats seulement d'après sa source dérivée. Que Tacite n'ait pas cru devoir rechercher et lire, ou relire, quand il les connaissait déjà, les discours des contemporains, cela est très probable et n'a rien d'extraordinaire : lui qui négligeait des sources premières autrement importantes, comme les Acta senatus, ne devait nullement se faire scrupule de négliger des documents très peu considérables en comparaison. Il est démontré, nous l'avons vu, qu'il a lu les discours et lettres de Tibère ; il peut se faire qu'il ait lu aussi ceux de Claude et de Néron ; mais c'étaient les empereurs, les principaux personnages de son récit historique : l'historien pouvait se croire obligé d'accorder cette attention à leurs discours, sans aller, pour cela, jusqu'à se donner la même peine quand il s'agissait de simples particuliers.

7. Les témoignages seuls de Tacite suffiraient à prouver qu'il exista contre les empereurs juliens toute une littérature de pamphlets, les uns anonymes, comme ces vers (I, 72) où l'on reprochait à Tibère sa cruauté et ses dissentiments avec sa mère[65] ; les autres, d'auteurs connus et rigoureusement punis, comme l'orateur Cassius Severus (I, 72 et IV, 21), le préteur Antistius (XIV, 48), Fabricius Veiento (XIV, 50). — Mais il n'y a pas lieu de croire que Tacite ait fait le moindre usage des sources de cette espèce. Il constate que les écrits de Veiento, recherchés et lus tant qu'on n'avait pu se les procurer sans danger, étaient tombés dans l'oubli dès qu'ils avaient cessé d'être prohibés. Il parle avec le plus grand mépris de Cassius et de ses libelles diffamatoires ; il mentionne sa double condamnation sans un mot de pitié.

8. Ne négligeons pas de remarquer que les historiens tels que Velléius Paterculus, Aufidius Bassus, Servilius Nonianus, Sénèque le Rhéteur, Cluvius Rufus, Fabius Rusticus, Pline l'Ancien, contemporains, ainsi que nous le verrons bientôt[66], des événements qu'ils racontèrent, étaient jusqu'à un certain point des sources premières. Ils avaient été, en effet, souvent spectateurs, parfois même acteurs, de ce qu'ils racontaient. Tacite s'est sûrement servi de la plupart d'entre eux. Il s'est informé, non pas aux sources premières pures, mais à ce que l'on pourrait appeler les sources premières mixtes. Il a travaillé d'après des auteurs qui avaient trouvé de précieuses ressources dans leurs connaissances directes et personnelles, mais qui avaient pris la plus importante partie de leurs matériaux dans les documents publics ou autres et dans les témoignages oraux, et n'étaient, à ce point de vue, que des sources dérivées.

 

III

1. Pour Tacite, qui est né vers le milieu du Ier siècle, l'époque racontée dans les Annales est presque de l'histoire contemporaine. Il a sous les yeux Rome, telle qu'elle a été reconstruite par Néron et qu'il la décrit (XV, 43). Le même Néron avait conçu le projet d'unir par un canal le lac Averne à l'embouchure du Tibre, et ce projet avait reçu un commencement d'exécution : Tacite a pu le constater directement : Manentque vestigia inritæ spei (XV, 42). Il a pu voir sur les monuments publics du temps de Claude les trois lettres ajoutées par cet empereur à l'alphabet et tombées en désuétude après lui : Aspiciuntur etiam nunc in ære public. (XI, 14). Il a pu constater que, parmi les honneurs décrétés à Germanicus après sa mort, beaucoup subsistaient encore au commencement du siècle : Pleraque manent (II, 83). Il a très probablement vu l'île de Caprée, dont il donne une description assez détaillée (IV, 67), en ayant soin de noter que la grande éruption du Vésuve a bouleversé le golfe sur lequel elle a vue : Prospectabatque puicherrimum sinum, antequam Vesuvius mons ardescens faciem loci verteret. Mais, en somme, dans tous ces cas et d'autres que nous pourrions citer, ses connaissances directes ne lui ont rien fourni de nouveau : il n'y a trouvé que la confirmation des renseignements donnés par ses sources. Les historiens de Tibère n'avaient pas manqué de décrire Caprée, le séjour préféré de l'empereur pendant plusieurs années, le roc mystérieux et terrible d'où partirent tant d'arrêts de mort, où le tyran se souilla de tant d'infamies. Les historiens de Néron avaient forcément décrit la ville nouvelle, si différente de l'ancienne, qui fut édifiée après l'incendie. Tacite trouvait de même dans ses devanciers l'énumération des honneurs rendus à Germanicus avec le récit de ses funérailles, la mention de la réforme de l'alphabet par Claude avec celle des autres réformes qu'il entreprit à la même époque (cf. XI, 13-15). Les faits dont Tacite a pu enrichir, grâce à ses propres connaissances, la matière fournie par les sources, appartiennent non à l'époque racontée dans les Annales, mais à l'époque postérieure : ils se trouvent dans des digressions sur l'avenir dont nous parlerons plus tard[67].

2. Tacite a connu un grand nombre de contemporains de Néron et même de Tibère, et a pu se renseigner directement au moyen de témoignages oraux sur toute l'époque racontée dans les Annales ; mais il l'a pu surtout sous la dynastie flavienne, à un moment où il ne songeait pas encore à être historien. Quand, les Histoires achevées, il se mit à composer les Annales, vers 110, les vieillards qui avaient connu Tibère, mort en 37, devaient être fort rares. Pour les premiers livres des Annales, il ne lui fut donc guère possible de recueillir des témoignages contemporains, il se trouva presque réduit à rechercher dans ses souvenirs ce qu'il avait entendu raconter auparavant, ou à consulter la tradition anonyme[68]. A mesure qu'il approchait du terme où les Annales rejoindraient les Histoires, l'information directe par témoignages oraux devenait plus facile. Nous ignorons à quelle date l'ouvrage fut terminé ; mais en 120 les survivants du règne de Néron étaient encore, sans aucun doute, assez nombreux.

Après avoir raconté la conjuration de Pison contre Néron, Tacite (XV, 73) produit un témoignage contemporain relatif à cet événement : Ceterum cœptam adultamque et revictam conjurationem neque turc dubitavere, quibus verum noscendi cura erat, et fatentur, qui post interitum Neronis in urbem regressi sunt. Les termes de la citation prouvent que cet aveu des exilés rentrés à Rome après la mort de Néron, c'est bien Tacite et non sa source qui l'a reçu, et même qu'il l'a reçu, non dans sa jeunesse, mais au moment où il composait les Annales : si tel n'était point le cas, il aurait employé au lieu du présent ce fatentur un imparfait ou un parfait. Ce passage des Annales est le seul qui présente la trace certaine d'une information orale contemporaine de la composition. Remarquons qu'il appartient à un des derniers livres de l'ouvrage. Puisqu'il nous donne la certitude qu'à propos de la conjuration de Pison Tacite a interrogé des vieillards condamnés jadis à l'exil comme complices de cette conjuration, nous pouvons attribuer à une information du même genre un autre passage relatif au même événement, les dernières paroles du tribun Subrius Flavus (XV, 67), quoique rien dans la formule de citation ne dénote une consultation toute récente des témoins oculaires. Voici cette formule : Ipsa rettuli verba, quia non, ut Senecæ, vulgata erant, nec minus nosci decebat militaris viri sensus incomptos et validos. Ce qu'il y a d'absolument certain, c'est que nous avons bien affaire ici à un témoignage oral : si Tacite avait emprunté les paroles de Su-brins à une source écrite, il n'aurait pas pu dire qu'elles n'étaient pas généralement connues. Le texte des paroles de Subrius, la confirmation du récit des sources ordinaires par le témoignage même des complices, dans l'affaire de la conjuration, voilà tout ce que Tacite semble avoir emprunté, pour le règne de Néron, à des témoignages oraux. C'est bien peu de chose ; mais il ne faut pas s'en étonner : l'information orale était encore bien plus facile, sous Vespasien et sous Titus, pour les sources de Tacite, Fabius, Cluvius et Pline, qu'au temps de Trajan et d'Hadrien, pour Tacite. Les recherches de cette nature auxquelles il put se livrer ne lui apprirent presque rien de nouveau. Là où elles confirmèrent, sans y rien ajouter, les renseignements des sources, écrites, il se dispensa de constater cet accord, sauf dans un cas très important. Le bruit ayant couru que Néron se débarrassait, sous prétexte de complot, de personnages illustres et innocents qu'il haïssait ou qu'il redoutait, l'empereur, pour prouver que la conjuration de Pison n'était pas une chimère, adressa au peuple un édit auquel il joignit les révélations et les aveux des condamnés. Non content du récit de ses sources écrites, Tacite a voulu mieux encore s'assurer que la conjuration avait bien existé, et il a constaté formellement que les condamnés survivants reconnaissaient avoir conspiré[69].

Dans la partie des Annales qui correspond au règne de Tibère, il y a une seule citation de témoins contemporains. Elle se rapporte à ce Pison qui passa pour avoir fait empoisonner Germanicus. La voici (III, 16) : Audire me memini ex senioribus visum sæpius inter manus Pisonis libellum, quem ipse non vulgaverit ; sed amicos ejus dictitavisse litteras Tiberii et mandata in Germanicum continere, ac destinatum promere apud patres principemque arguere, ni elusus a Sejano per vana promissa foret ; nec ilium sponte exstinctum, verum immisso percussore. Ainsi, les vieillards dont Tacite a recueilli le témoignage racontaient deux choses : d'abord, qu'on avait vu souvent entre les mains de Pison des papiers que lui-même n'avait pas divulgués, mais dont ses amis avaient fait connaître le contenu, accablant pour Tibère ; que Pison se serait servi de ces papiers devant le sénat pour sa défense, si les artifices de Séjan ne l'en avaient empêché ; en second lieu, que Pison ne s'était pas suicidé, mais qu'il avait été mis à mort dans sa maison par ordre de l'empereur. Tacite poursuit : Quorum neutrum adseverarim ; neque tamen occulere debui narratum ab lis, qui nostram ad juventam duraverunt. Il n'accorde donc pas, tant s'en faut, à cette source orale très secondaire la même autorité qu'à ses sources ordinaires. Nous avons affaire, non plus, comme tout à l'heure, à des renseignements pris au moment même de la composition des Annales, mais au souvenir de récits entendus par Tacite pendant sa jeunesse. Enfin nous sommes fondés à croire que c'est là, pour la première partie des Annales, tout ce que Tacite doit aux sources de ce genre : puisqu'il a jugé nécessaire de s'excuser en quelque sorte de leur avoir fait appel, il est à présumer qu'il aurait pris les mêmes précautions si le cas s'était reproduit à d'autres endroits.

3. Il faut distinguer des témoignages oraux recueillis auprès de personnes qui, ou bien avaient vu ou entendu elles-mêmes, ou bien avaient entendu raconter sur-le-champ par les spectateurs ou les acteurs, — personnes que l'historien qui les interroge conne et dont il est en mesure d'apprécier l'autorité, — la tradition anonyme[70], ces récits dont l'origine est incertaine, qui se transmettent de génération en génération, et que chacun répète sans que personne en prenne la responsabilité. Tacite lui a emprunté une version sur la mort de Drusus : In tradenda morte Drusi, quæ plurimis maximæque fidei auctoribus memorata sunt, rettuli ; sed non omiserim eorundem temporum rumorem, validum adeo, ut nondum exolescat (IV, 10). D'après cette version, l'eunuque Lygdus, suborné par Séjan, aurait accepté d'empoisonner son maître. Toutes les mesures prises, Séjan aurait, accusant Drusus de méditer un parricide, averti l'empereur d'éviter la première coupe qui lui serait présentée à la table de sou fils. Tibère, dupe de cet artifice, aurait remis cette première coupe à Drusus, et le jeune homme sans défiance l'aurait vidée d'un trait, fortifiant les soupçons par cet empressement, car on crut que, dans son effroi et dans sa honte, il s'était condamné lui-même à la mort qu'il avait préparée pour son père.

Tacite mentionne cette version, mais la réfute (IV, 11) : Hæc vulgo jactata, super id quod nullo auctore certo firmantur, prompte refutaveris. Quis enim mediocri prudentia, nedum Tiberi us taltiis rebus exercitus, inaudito filio exitium offerret, idque sua manu et nullo ad pænitendum regressu ? Quin potins ministrum veneni excruciaret, auctorem exquireret ; insita de-nique etiam in extraneos cunetatione et more adversum unicum et nullius ante flagitii compertum uteretur ? La version a donc contre elle deus choses : elle est invraisemblable, elle est anonyme. Aux yeux de Tacite une tradition anonyme est, par cela même, suspecte. Nous pouvons être assurés qu'en dehors de ce passage les Annales ne doivent rien à une pareille source : si Tacite l'avait utilisée en d'autres endroits, il aurait pris soin, comme il le fait ici, d'en avertir ses lecteurs.

Après avoir réfuté la version anonyme, Tacite en explique l'origine et, dans cette explication, non seulement il affirme une fois de plus son incrédulité à l'égard de ce récit monstrueux, mais encore il en donne une nouvelle cause : Sed quia Sejanus facinorum omnium repertor habebatur, ex nimia caritate in éum Cæsaris et ceterorum in utrumque odio, quamvis fabulosa et immania credebantur, atrociore semper fama erga dominantium exitus. Tacite sait que la renommée se pie à entourer la mort des princes de tragiques circonstances. Il insiste encore, pour ôter définitivement à ces calomnies tout crédit dans l'esprit de ses lecteurs : la femme de Séjan, Apicata, les esclaves Eudémus et Lygdus, mis à la torture, ont fait connaître point par point la vérité sur ce crime : aucun écrivain n'a mis en cause Tibère, et cependant ils ont recherché, ils ont même grossi tous ses torts.

Mais puisque tant d'excellentes raisons démontraient à l'historien que la version anonyme était fausse, pourquoi l'a-t-il mentionnée ? Il répond lui-même à cette question : Mihi tradendi arguendique rumoris causa fuit, ut, claro sub exemplo, falsas auditiones depellerem peteremque ab iis, quorum in manias cura nostra venerit, ne divulgata atque incredibilia avide accepta veris neque in miraculum corruptis antehabeant. Cette déclaration nous prouve que, du temps de Tacite, il courait dans le public, au sujet des règnes précédents, une foule d'anecdotes qui étaient accueillies avec faveur, malgré leur invraisemblance, grâce à leur caractère sensationnel. Tacite, non seulement n'a pas la naïveté d'y croire, mais encore ne leur fait pas l'honneur de les mentionner pour les réfuter. Mais il tient à informer ses lecteurs qu'il ne les ignore pas, qu'il les laisse de côté, parce qu'il se préoccupe d'être vrai et non de flatter ce goût du public pour le tragique, qu'ils doivent eux-mêmes repousser toutes ces grossières légendes. Et s'il choisit pour faire cette déclaration l'occasion qui lui est offerte par la version anonyme sur la mort de Drusus, plutôt qu'une autre, c'est que l'exemple lui pare saisissant.

Quand la tradition anonyme se trouvait en désaccord avec ses sources écrites, Tacite l'a donc, sauf dans ce cas, négligée sans le dire[71]. Si la tradition et les diverses sources étaient d'accord, comme il n'y avait pas lieu à doute, il n'y avait pas lieu non plus à citation. Il en était autrement si la tradition était d'accord avec une partie des sources écrites, tandis que l'autre partie de ces sources représentait une version divergente. Alors l'appoint de la tradition n'était pas négligeable et Tacite devait la citer. C'est ce qu'il a fait au chapitre 2 du livre XIV. L'inceste faillit être commis par Néron sur Agrippine. D'après Fabius Rusticus, c'est Néron qui aurait eu la pensée et le désir de ce crime. D'après Cluvius, Agrippine, aveuglée par l'ambition, aurait imaginé ce moyen infâme de conserver son ascendant sur Néron et aurait provoqué son fils. Oti est la vérité ? Du côté de Cluvius : car les autres sources écrites et la tradition donnent la même version que lui : Sed quæ Cluvius, eadem ceteri quoque auctores prodidere et fama huc inclinat. Et, pour estimer exactement de quel poids la tradition a pesé dans la détermination de Tacite, notons bien que ce n'est pas une source écrite, appuyée seulement de la tradition, qu'il préfère à une autre source écrite, mais une source écrite d'accord avec toutes les autres sources écrites, sauf une, et appuyée par surcroît de la tradition.

Le résultat de nos recherches sur l'emploi des sources premières dans les Annales est donc que toutes celles qui nous sont connues, documents officiels, mémoires, témoignages oraux et tradition anonyme, n'y ont joué qu'un rôle insignifiant. Il est possible qu'il en ait existé d'autres qui nous soient inconnues, que, par exemple, en dehors de Corbulon, de Paulinus, de Vetus et des personnes de la famille impériale, d'autres personnes encore aient écrit des mémoires. N'importe ; ce que nous avons dit suffit à prouver que Tacite n'avait pas pour méthode de travailler d'après les sources premières.

 

 

 



[1] Cf. 1re partie, chap. I, § VII, n° 4.

[2] Cf., sur ce recueil, surtout Hübner, De senatus populique romani actis, et Mommsen, Römisches Staatsrecht, t. II, p. 863 sqq.

[3] Sur ce point, l'opinion de Hübner est confirmée par une inscription que cite Hoffmann (p. 2), et qui est empruntée à Ephem. epig., t. II (1875), p. 273 sq.

[4] L'affirmative a été soutenue par Prutz, Karsten, Reichau, et surtout Weidemann, prog. de 1869 ; — la négative par Nipperdey-Andresen, introd., p. 23 ; Clason, Tac. u. Suet, 105 sqq. ; Hoffmann ; Thamm, 31 sqq. ; Horstmann, 45 aqq.

[5] Weidemann, p. 7.

[6] Weidemann, p. 7.

[7] Cf. Clason, p. 107 sqq.

[8] Cf. Clason, p. 110 sqq.

[9] Cf. le commentaire à II, 88, et Introd., 24.

[10] Introd., 24.

[11] Cf. Clason, p. 106.

[12] Elles remplissent à peu près la moitié des six premiers livres. Cf. le tableau dressé par Clason, Tac. u. Suet., p. 76. Dans les derniers livres leur étendue est moindre.

[13] Cf. la deuxième partie du travail de Hoffmann.

[14] I, 12.

[15] I, 13.

[16] Cf. VI, 7.

[17] Annales, V, 4.

[18] Cf., sur cette double institution, Suétone, Cæsar, 20.

[19] Cf. Hübner, op. cit. — Voir aussi J.-V. Leclerc, Des journaux chez les Romains, Paris, 1838.

[20] Cf. Suétone, Auguste, 36.

[21] Annales, XIII, 31.

[22] La conjecture est de Horstmann, qui traite la question p. 48 sqq.

[23] Cf. Annales, XIII, 31.

[24] Pour prouver que Tacite n'a pas fait un usage considérable des Acta senatus, Hoffmann (26 sqq. et 35) prétend qu'il mentionne presque toujours les décès des personnages illustres comme étant arrivés à la fin de l'année ; or il est bien invraisemblable qu'il en ait été réellement ainsi ; tout s'explique si Tacite s'est servi d'un historien qui avait placé les décès notables à la fin du récit des événements de chaque année pour ne pas interrompre ce récit : Tacite a pris cet artifice de composition pour une indication chronologique. Une telle méprise ne se serait pas produite s'il avait consulté les Actes. — L'affirmation de Hoffmann n'est pas juste : Tacite ne mentionne les décès comme étant arrivés à la fin de l'année que quatre fois (III, 30 ; IV, 61 ; VI, 27, 39). Une cinquième fois (VI, 14), il ne s'agit pas d'une mort naturelle. Plus souvent, il enregistre les décès à la fin de l'année, mais sans dire qu'ils eurent lieu à ce moment. D'ailleurs, si cet argument avait quelque valeur, ce serait contre les Acta populi qu'il faudrait l'invoquer, et non contre les Acta senatus, où n'étaient mentionnées que les morts des personnages dont les funérailles avaient eu un caractère officiel et, par conséquent, avaient fait l'objet d'une délibération du sénat. Au contraire, les Acta populi mentionnaient tous les décès de quelque importance.

[25] Cf. Nipperdey-Andresen, à XII, 96.

[26] Cf. Mommsen, Römisches Staatsrecht, t. II, p. 867 sqq.

[27] Cf. Nipperdey-Andresen, à XIII, 43.

[28] C'est dans ces archives que Vitellius retrouva les placets de ceux qui sollicitaient d'Othon une récompense pour avoir pris part au meurtre de Galba (Tacite, Hist., 44 ; Suétone, Vit., 10 ; Plutarque, Galba, 27). — Il est question des commentarii principis dans la correspondance de Pline avec Trajan, Ep., 105.

[29] Chap. 37.

[30] Cf. Clason, Tac. u. Suet., p. 114 sqq.

[31] Cf. XIV, 59 ; XV, 67.

[32] Cf. 1re partie, chap. V, § I, n° 1.

[33] Avec une légère variante : Cotidie perire sentio, au lieu de perire me cotidie sentio, si toutefois l'omission de me remonte bien jusqu'à Suétone. Suétone, Tib., 67, cite textuellement un passage d'un discours de Tibère. Cf. la reproduction libre de ce discours dans Tacite, IV, 37 sq.

[34] Tacite, Ann., XIII, 3 ; XIX, 11. Dion, LXI, 3. Quintilien, VIII, 5, 18.

[35] Les poésies de Néron existaient aussi au temps de Tacite et il les a lues (XIV, 16) ; mais ceci n'a aucune importance.

[36] Cf. ce texte épigraphique à la fin du deuxième volume de l'édition Nipperdey-Andresen. Comparaison détaillée par Rud. Schmidtmayer, Zeitschrift f. d. œsterreickischen Gymnasien, 1890, p. 869 sqq.

[37] Cf. § I, n° 2.

[38] Sur ces mémoires on peut lire l'intéressante mais peu scientifique monographie de Raffay.

[39] C'est aussi l'opinion de Raffay, p. 45. De ce que ces mémoires ne sont pas cités pour le règne de Néron, Lehmann, p. 5 sq., conclut qu'Agrippine les a composés et publiés avant l'avènement de son fils. L'argument est loin d'être décisif ; nous n'avons en tout que deux citations de l'ouvrage d'Agrippine et le règne de Néron, si elle en parlait, ne pouvait y tenir qu'une place très secondaire (vitam suam et carus suorum... memoravit). — D'après Raffay, p. 45, les mémoires d'Agrippine n'auraient point paru avant 55. Nous ne croyons pas pouvoir préciser autant que lui.

[40] Cf. aussi l'index des sources du livre VII : Agrippina Claudi.

[41] C'est l'erreur des apologistes de Tibère (cf. plus bas, chap. IV, § II), de Freytag et Stahr surtout. Elle est partagée par Knabe, p. 18. — Sans aller aussi loin qu'eux, Ranke, p. 299 ; Ziegler, prog. de 1885, p. 55 sq., et Bellezia, p. 316, exagèrent encore, selon moi, l'importance des mémoires d'Agrippine comme source de Tacite. Cf. Weidemann, prog. de 1873, p. 17, et Horstmann, p. 43 sqq.

[42] Cf. surtout le jugement si sévère de XIV, 2.

[43] Nipperdey-Andresen, à XI, 18, et Teuffel-Schwabe, n° 291, renvoi 3.

[44] Ils sont racontés par Tacite, XIII, 6-9, 34-41 ; XIV, 23-26 ; XV, 1-27, 24-31.

[45] Cf. aussi l'index des livres V et VI, et VI, 8, 23 : In quo multa aliter ac veteris proditurum me non eo infitias, anxia perquisita cura, rebus nuper in eo situ gestis a Domitio Corbulone... Corbulon est bien ici la source, quoiqu'il n'y ait pas citation formelle.

[46] Elles sont énumérées dans l'avant-dernière note.

[47] XV, 26 ; cf. XIII, 8 : Verbis magnificis.

[48] Cf. chap. II, § III, et chap. III, §§ III et IV.

[49] Cf. chap. II, § III, et chap. III, §§ III et IV.

[50] Cf. H. Schiller, p. 14 sq.

[51] Tacite, Ann., XIV, 29.

[52] Dion, LX, 9 ; Pline, H. N., V, 1, 14 ; Mommsen, Hist. rom., XI, p. 276.

[53] Tacite, Ann., XIV, 29 sqq. ; Agricola, 14.

[54] Cf. Nipperdey-Andresen, à XVI, 14.

[55] Tacite, XVI, 14, et la note de Nipperdey-Andresen.

[56] I, 17, et II, passim.

[57] II, 60.

[58] Cf. chap. II, § II.

[59] Tacite, XIV, 39.

[60] Tacite, XIII, 11 ; cf. Nipperdey-Andresen à cet endroit.

[61] Tacite, XIII, 53 ; cf. la note de Nipperdey-Andresen.

[62] Tacite XVI, 10 sqq. ; cf. la note de Nipperdey-Andresen.

[63] Vetus est mort en 65 ; cf. plus haut.

[64] Cf. Teuffel-Schwabe, n° 276 et 297. Nous songeons aussi à des compilations comme celle de Mucien ; cf. plus haut, § I, n° 5.

[65] Cf. ceux que cite Suétone, Tibère, 59. — Lire G. Boissier, L'opposition sous les Césars, p. 78 sqq.

[66] Cf. le chapitre II. Pour Pline l'Ancien, nous l'avons déjà montré au chapitre III de la 1re partie.

[67] Cf. chap. IV, § I.

[68] Karsten attribue un rôle important à la tradition orale. Nous allons voir à quoi se réduit ce rôle.

[69] XV, 73.

[70] Fama, Tacite, XIV, 2 ; rumor, IV, 10.

[71] Cependant il ne peut pas s'empêcher de constater que des bruits très défavorables courent sur le compte de L. Vitellius, dont il n'a pour le moment que du bien à dire (VI, 32).