I 1. Parmi les biographies impériales de Suétone, il y en a trois, le Galba, l'Othon et le Vitellius, avec une bonne partie du Vespasien et quelques passages du Titus et du Domitien, qui correspondent à ce que nous possédons des Histoires de Tacite. Soit dans le récit, soit dans l'appréciation, soit même dans l'expression, les deux écrivains se rencontrent fréquemment. Sans doute, entre Tacite et Suétone, la ressemblance n'est pas aussi complète qu'entre Tacite et Plutarque. Mais elle est trop grande pour s'expliquer simplement par le fait que les deux auteurs parlent des mêmes choses et sont à peu près contemporains. Il faut qu'il y ait entre eux une parenté beaucoup plus étroite. Et l'on peut en dire autant du Galba et de l'Othon de Plutarque, comparés aux biographies correspondantes de Suétone. Il nous importe d'étudier de près ces rapports. Si, en effet, nous pouvons démontrer que Tacite et Plutarque sont indépendants de Suétone, que Suétone est indépendant de Tacite et de Plutarque, et que la ressemblance a pour cause l'usage d'une source commune, nous aurons d'abord la confirmation des résultats essentiels auxquels nous a déjà conduits le parallèle de Tacite et de Plutarque ; nous verrons ensuite que les conclusions acquises pour la partie des Histoires qui correspond à Plutarque doivent être appliquées à tout ce qui nous reste de l'ouvrage ; c'est-à-dire que, là où nous avons Plutarque comme terme de comparaison, Suétone nous est encore d'un utile secours, et là où Plutarque nous manque, il le remplace et joue à son tour le premier rôle dans cette recherche des sources de Tacite au moyen d'études comparatives[1]. 2. Nous savons à quelle époque Suétone fit paraître les Vies des Césars. Elles sont dédiées à Septicius Clarus, préfet du prétoire, qui exerça ces fonctions de 119 à 121[2]. Donc, à coup sûr, Tacite ne s'est servi de Suétone ni pour les Histoires ni pour les Annales. S'il était certain que Plutarque a écrit les Vies des Césars avant les Vies parallèles, il faudrait, pour la même raison chronologique, conclure à son indépendance par rapport à Suétone, puisque le Sylla est de 114, ou à peu près. A défaut de cette certitude, la comparaison de Plutarque et de Suétone conduit à la même conclusion. Il arrive souvent que les deux écrivains donnent du même fait des récits très semblables, mais avec quelque différence qui assure à Plutarque l'avantage au point de vue de la précision et de l'exactitude. — Suétone (Galba, 5) et Plutarque (Galba, 3) mentionnent la protection que Livie, femme d'Auguste, accorde à Galba ; mais Plutarque dit seul que Galba obtint le consulat grâce à Livie[3]. — Suétone (Galba, 15) raconte que Galba gourmanda, par un édit, le peuple qui réclamait le supplice de Tigellin ; Plutarque dit la même chose (Galba, 17), mais analyse l'édit. — Suétone (Galba, 20) et Plutarque (Galba, 27) racontent qu'un soldat trancha la tête de Galba et, ne pouvant la prendre par les cheveux, la mit dans les plis de son vêtement ; Plutarque nomme seul ce soldat : Fabius Fabulus[4]. — Parmi les motifs qui poussèrent Othon au crime, Suétone (Othon, 5) cite l'énormité de ses dettes ; Plutarque (Galba, 21) en donne le chiffre. — Suétone dit (Othon, 7) que, ut quidam tradiderunt, des pièces officielles où Othon prenait le surnom de Néron furent envoyées à certains gouverneurs de provinces ; Plutarque parle du même fait en termes précis (Othon, 3) : Cluvius Rufus rapporte, dit-il, que des pièces de ce genre parvinrent en Espagne. — Dans tous ces cas, la différence est de telle nature qu'on ne peut pas dire : Plutarque a eu Suétone pour source principale et l'a complété au moyen d'une source secondaire. Le dernier exemple surtout démontre d'une manière saisissante l'indépendance de Plutarque. D'ailleurs, quand on lit, en les comparant, les deux récits, on s'aperçoit tout de suite que celui de Suétone est, en général, beaucoup moins détaillé et moins riche. Parfois on serait presque tenté de le prendre pour un résumé de Plutarque. Cependant Suétone n'a pas eu Plutarque pour source. Même aux endroits où il s'accorde de très près avec Plutarque, il a fréquemment quelque détail de plus, ou bien il est plus exact. — Tous deux racontent, comme un trait d'avarice de Galba, qu'il fit un présent minime au célèbre musicien Canus ; mais Plutarque dit simplement (Galba, 16) qu'il lui donna quelques écus ; Suétone (Galba, 12) précise : quinque denarios. — Galba ordonna la restitution des libéralités de Néron à part la dixième partie, et, comme ceux qui en avaient profité étaient à peu près insolvables, il poursuivit ceux à qui ils avaient vendu. Plutarque (Galba, 6) et Suétone (Galba, 5) sont d'accord sur tous ces points, mais Suétone dit seul que Galba confia l'exécution de cette mesure à une commission de cinquante chevaliers. — Plutarque dit inexactement (Galba, 18) que les légions de Germanie ne retiraient aucun avantage de leur victoire sur Vindex ; Suétone dit qu'elles prétendaient qu'on les frustrait du prix de leur victoire, ce qui est bien différent (Galba, 16). — Suétone (Galba, 20) décrit comme Plutarque les outrages infligés à la tête de Galba, mais avec quelques détails de plus ; par exemple, Plutarque (Galba, 27) ne dit pas qu'après avoir porté la tête dans son manteau, le soldat la tint en passant son pouce dans la bouche[5]. — A propos de la rivalité d'Othon et de Néron, Plutarque (Galba, 19) raconte qu'un jour, Othon étant absent, Poppée refusa de laisser entrer Néron. Suétone (Othon, 3) parle en termes semblables de la jalousie d'Othon, mais il attribue à Othon lui-même l'exclusion de l'empereur. Cette version explique mieux le péril de mort que, d'après Plutarque lui-même, Othon courut à la suite de cette aventure[6]. — Suétone (Othon, 7) mentionne seul la raison par laquelle Othon essaya de justifier son crime, à la séance du sénat qui eut lieu le soir même du meurtre de Galba ; (cf. Plut., Galba, 28). — Ces exemples, qu'il serait facile de multiplier, démontrent que, si Suétone ressemble souvent à Plutarque, il n'en est pas moins indépendant de Plutarque. Il est indépendant aussi de Tacite. Tacite n'était pas du tout la source qui convenait à Suétone. Dans les Histoires encore plus que dans les Annales, il fait de l'histoire politique et générale, non individuelle et anecdotique. La personne des empereurs n'a pas, dans ce récit de l'année 69, un très grand relief. De plus, pour Galba, Suétone ne pouvait guère songer à Tacite, qui a raconté seulement les qui e derniers jours de sa vie. Suétone a le goût des détails réalistes, des anecdotes scandaleuses ; Tacite en est, au contraire, aussi sobre que possible[7]. Sans doute Suétone a dû se servir plus d'une fois d'ouvrages annalistiques, comme ceux de Tacite ; mais il en a choisi qui fussent mieux appropriés à son dessein. Nous verrons, plus tard, qu'il ne s'est pas servi des Annales. Quelques rapprochements suffisent à nous prouver tout de suite qu'il ne s'est pas servi des Histoires. — Sur les dernières paroles de Galba, Tacite et Suétone rapportent deux versions. Tacite (I, 41) : Alii suppliciter interrogasse quid mali meruisset, et paucos dies exsolvendo donativo deprecatum ; plures obtulisse ultro percussoribus jugulum : agerent ac ferirent, si ita e republica videretur. — Suétone (Galba, 20) : Sunt qui tradant ad primum tumultum proclamasse eum : Quid agitis, commilitones ? Ego vester sum et vos mei ! Donativum etiam pollicitum. Plures autem prodiderunt obtulisse ultro jugulum et, ut hoc agerent ac ferirent, quando ita videretur, hortatum. La ressemblance est saisissante : les deux auteurs constatent que la majorité des témoignages est pour la version favorable ; ils la mentionnent en termes presque identiques. Ils constatent aussi que, d'après la version défavorable, Galba aurait essayé de calmer les séditieux en promettant le donativum. Et cependant il est certain que Tacite n'a pas été la source de Suétone : car les paroles que celui-ci, toujours d'après la version défavorable, prèle à Galba, sont beaucoup plus précises que le passage correspondant de Tacite. — Pas plus que Plutarque (Galba, 18), Tacite (I, 47) ne rapporte, à propos de la séance du sénat, les moyens de justification que, d'après Suétone, Othon essaya de faire valoir (Othon, 7). — Tacite (I, 76) et Suétone (Othon, 8) racontent que, sur la proposition d'Othon, le sénat décida d'envoyer une ambassade aux légions de Germanie. Mais Suétone dit, avec plus de précision, quelles étaient les instructions des députés. — Suétone (Othon, 11) affirme catégoriquement que l'empereur dormit d'un profond sommeil la nuit qui précéda son suicide : Artissimo somno quievit ; Tacite, dont le récit offre, d'ailleurs, dans son ensemble, de frappantes ressemblances avec celui de Suétone, n'a pu lui fournir une telle affirmation. Noctem quietam, dit-il, utque adfirmatur, non insomnem egit (II, 49). — Tacite (I, 37 sq.) fait prononcer à Othon, dans le camp des prétoriens, un long discours. Suétone (Othon, 6) n'a pas eu Tacite pour source, puisqu'il dit au contraire : Ad conciliandos pollicitationibus militum animos nibil magis pro contione testatus est, quam id demum se habitarum, quod sibi ilii reliquissent[8]. Il n'y a rien de tel dans les beaux développements oratoires de Tacite, — Et ce que nous disions plus haut, en démontrant l'indépendance de Plutarque à l'égard de Suétone, nous pouvons encore le dire maintenant qu'il s'agit de l'indépendance de Suétone à l'égard de Tacite et de Plutarque : les rapports sont tels qu'il ne faut pas songer à les expliquer par des intercalations. Quand Suétone dit que Galba donna 5 deniers à Canus, il ne substitue pas ce chiffre précis, emprunté à une source secondaire, au nombre indéterminé de Plutarque ; il a sous les yeux une source qui n'est point Plutarque. Quand il affirme qu'Othon dormit d'un profond sommeil, il n'a pas consulté une source secondaire et constaté ainsi que l'hésitation de Tacite était sans motif ; il a reproduit une source qui affirmait sans hésitation, comme le fait aussi Plutarque. Il ne faut pas songer, en particulier, à expliquer les rapports dont nous parlons par une fusion de Tacite et de Plutarque ; une pareille fusion ne rendrait pas compte, tant s'en faut, de toutes les différences que nous avons notées au profit de Suétone en le rapprochant des deux autres : la somme exacte donnée par Galba à Canus n'est pas plus dans Tacite que dans Plutarque ; ce n'est pas Plutarque qui a pu fournir à Suétone un texte précis des dernières paroles de Galba, d'après la version défavorable, puisqu'il passe complètement sous silence cette version. En un mot, il n'y a qu'une explication acceptable la communauté de source. 3. Les rapprochements que nous venons de faire entre Suétone et Plutarque et entre Suétone et Tacite ont déjà montré, quoique ce ne fût pas encore notre but, que, s'il n'y a pas dépendance, il y a parenté, et, par conséquent, qu'il y a communauté de source. Nous voulons en faire quelques autres, spécialement destinés à mettre cette vérité en lumière. — Les deux récits que Plutarque (Galba, 5) et Suétone (Galba, 10) font de la proclamation de Galba s'accordent de la façon la plus complète ; le prétexte de l'assemblée est le même dans les deux auteurs : les affranchissements. Galba déplore les cruautés de Néron ; il est salué empereur ; il répond en se déclarant lieutenant du sénat et du peuple romains. Le style de Plutarque est plus abondant, mais Suétone donne seul un détail qui trahit son indépendance : la présence sur le tribunal d'un enfant noble exilé par Néron dans les Baléares. — Suétone raconte très sèchement l'adoption de Pison (Galba, 17) ; mais la phrase par laquelle il introduit son récit se retrouve presque textuellement dans Plutarque au même endroit (Galba, 19) : Despectui esse non tain senectam suam quam orbitatem ratus ; Ό δὲ φοβηθεὶς ὡς μὴ μόνον διὰ τὸ γῆρας, ἀλλὰ καὶ διὰ τὴν ἀπαιδίαν καταφρονούμενος. Remarquons aussi que chez les deux auteurs le récit de l'adoption est lié à la mention des troubles de Germanie par ces formules identiques. — Suétone (19) et Plutarque (24) constatent que le sacrifice de Galba eut lieu le matin. — Suétone (Othon, 9) analyse rapidement les motifs qui engagèrent Othon à ordonner la bataille immédiate : ... sive impatiens longioris sollicitudinis speransque ante Vitellii adventum profligari plurimum posse, sive imper militum ardori pugnam deposcentium. Le premier motif et le troisième sont développés par Plutarque (Othon, 9), qui rapporte à ce sujet le témoignage de Secundus, secrétaire d'Othon ; le second est indiqué dans le récit du conseil de guerre (Othon, 8). Suétone pourrait donc passer ici pour l'abréviateur de Plutarque. — Il constate nettement (Othon, 9), comme Plutarque (Othon, 5), qu'Othon resta en arrière à Brixellum. — Comparons encore ces deux jugements sur Othon : Suétone, Othon, 12 : Denique magna para hominum, incolumem gravissime detestata, mortuum laudibus tulit ; — Plutarque, Othon, 18 : ἀπολιπὼν δὲ μὴ χείρονας μηδ' ἐλάττους τῶν τὸν βίον αὐτοῦ ψεγόντων τοὺς ἐπαινοῦντας τὸν θάνατον. Ces rapprochements mettent en évidence la parenté de Suétone avec Plutarque. Dans d'autres cas, la ressemblance est surtout ou même est uniquement entre Suétone et Tacite. Ce jugement de Suétone sur Galba (Galba, 14) : Majore adeo et favore et auctoritate adeptus est quam gessit imperium, se rapproche singulièrement de celui de Tacite (I, 49) : Major privato visus, dum privatus fuit, et omnium consensu capax imperii niai imperasset. — Regebatur trium arbitrio, dit Suétone, au même endroit, en parlant de Vinius, de Lacon et d'Icelus. Potentia principatus divisa in Titum Vinium... Cornelium Laconem... nec minor gratia Icelo..., dit Tacite (I, 13), et les qualifications qu'il ajoute au nom des trois personnages répondent tout à fait à celles de Suétone. — A propos de la restitution des libéralités de Néron, Tacite (I, 20) et Suétone (Galba, 15) mentionnent une commission de chevaliers[9], dont Plutarque (Galba, 16) ne dit rien. — Suétone (Galba, 16) constate que Galba effraya et irrita les prétoriens, parce qu'il en licencia beaucoup, comme suspects et complices de Nymphidius. Tacite (I, 70) parle aussi de ces licenciements et du mauvais effet qu'ils produisirent : plus précis. il nomme les officiers qui reçurent leur congé. — Tacite (I, 18) et Suétone (Galba, 17) remarquent qu'en présentant Pison aux soldats Galba ne dit pas un mot du donativum. — Seuls d'entre les soldats, les Germains étaient bien disposés pour Galba ; quod se ægros et invalidos magnopere fovisset, dit Suétone (Galba, 20) ; Tacite (I, 31) dit la mime chose avec plus de détails : ... invalidis adhuc corporibus et placatis animis, quod eos a Nerone Alexandriam præmissos asque inde reversos longa navigatione ægros inpensiore cura Galba refovebat[10]. — Ils signalent tous deux et en termes semblables les espérances d'Othon ; Suétone, Othon, 5 : Speraverat... fore ut adoptaretur a Galba idque in dies exspectabat ; Tacite, I, 13 : ... Spem adoptionis statim conceptam acrius in dies rapiebat. — Tous deux ils rapportent que les funérailles d'Othon furent bâtées, parce qu'il l'avait demandé : Suétone, Othon, 11 : Celeriter (nam ita præceperat) funeratus ; Tacite, II, 49 : Funus maturatum : ambitiosis id precibus petierat. Tacite ajoute seul qu'Othon redoutait pour son corps des outrages semblables à ceux qu'avait subis Galba. Enfin voici quelques passages où l'accord est frappant entre les trois auteurs. La célèbre parole de Galba, que Tacite rapporte en ces termes : legi a se militem, non emi (I, 5), se retrouve dans Suétone (Galba, 16) : Legere se militem, non emere consuesse, et dans Plutarque (Galba, 18) : ... εἰωθέναι καταλέγειν στρατιώτας, οὐκ ἀγοράζειν : et tous les trois constatent à mauvais effet qu'elle fit sur les soldats. — L'accord est à peu près textuel relativement à l'envoi d'Othon en Espagne ; Suétone, Othon, 3 : Sepositus est per causam legationis in Hispaniam ; Tacite, I, 13 : ... in provinciam Lusitaniam specie legationis seposuit (Nero) ; Plutarque, Galba, 20 : ... ἐξεπέμφθη Λυσιτανῶν στρατηγὸς.... καὶ.... εἰδὼς φυγῆς ὑποκόρισμα καὶ παρακάλυμμα τὴν ἀρχὴν αὐτῷ δεδομένην. — Il en est de même, quand les trois auteurs racontent qu'Othon se déclara pour Galba ; Suétone, Othon, 4 : ... Conatibus Galbæ primus accessit ; Tacite, I, 13 : ... primus in partes transgressus... ; Plutarque, Galba, 20 : Άποστάντος δὲ Γάλβα πρῶτος αὐτῷ προσεχώρησε τῶν ἡγεμόνων. — Les trois auteurs remarquent qu'il y avait contraste entre le corps d'Othon et son âme[11] ; Tacite, I, 22 : Non erat Othonis mollis et corpori similis animus ; Suétone, Othon, 12 : Tanto Othonis animo nequaquam corpus aut habitus competit ; Plutarque, Galba, 20 : ... καίπερ οὐ κατὰ τὴν τοῦ σώματος μαλακίαν καὶ θηλύτητα τῇ ψυχῇ διατεθρυμμένος... — Tous les trois, ils décrivent de même les marques d'affection que les soldats prodiguèrent au cadavre d'Othon ; Suétone, Othon, 12 : Multi præsentium militum, cum plurimo fletu manus ac pedes jacentis exosculati... ibidem statim nec procul a rogo vim suæ vitæ attulerunt ; Tacite, II, 49 : Tulere corpus prætoriæ cohortes cum laudibus et lacrimis, vulnus manusque ejus exosculantes. Quidam militum juxta rogum interfecere se... ; Plutarque, Othon, 17 : κοσμήσαντες τὸ σῶμα καὶ πυρὰν κατασκευάσαντες ἐξεκόμιζον ἐν τοῖς ὅπλοις οἱ φθάσαντες.... Τῶν δὲ ἄλλων οἱ μὲν τὸ τραῦμα τοῦ νεκροῦ κατεφίλουν προσπίπτοντες, οἱ δὲ ἥπτοντο τῶν χειρῶν, οἱ δὲ προσεκύνουν πόρρωθεν. ἔνιοι δὲ τῇ πυρᾷ λαμπάδας ὑφέντες ἑαυτοὺς ἀπέσφαξαν... — La plupart du temps, les trois récits du même fait se complètent sans se contredire ; ou bien, s'il y a quelque légère contradiction, on peut facilement l'expliquer[12]. Tels sont les trois récits de la mort d'Othon[13]. — Othon s'occupe d'abord de ses amis. Il les presse, dit Suétone, de songer à leur salut, les embrasse et les congédie tous. Tacite décrit la scène plus longuement et plus éloquemment, mais avec un seul détail essentiel de plus : Othon leur fait donner des voitures et des navires. Plutarque ajoute seul que, dans l'intérêt de ceux qui étaient absents, il écrivit aux villes de les bien traiter. — Parmi ceux à qui Othon fait ses adieux se trouvent, d'après Suétone, son frère et le fils de son frère. Il n'est pas du tout question de ce frère dans Tacite ni dans Plutarque. Suétone, dont les inexactitudes sont fréquentes[14] dans ces deux vies, a commis une erreur : Titianus était, avec l'armée de Bedriacum, entre les mains des vainqueurs, qui n'avaient pas dû le relâcher avant de savoir à quel parti se résoudrait Othon[15]. Quant à Cocceianus, le neveu d'Othon, Plutarque et Tacite racontent en détail comment son oncle se sépara de lui. Plutarque seul fait dire à Othon qu'il avait l'intention d'adopter ce jeune homme. Othon, d'après Tacite, avant les adieux à Cocceianus, d'après Suétone, quand il eut congédié tous ses amis, détruisit tous les papiers qui auraient pu être compromettants pour ses partisans. Il est très probable que Suétone, inexact à force de résumer sa source, a déplacé cet incident, afin de réunir en une seule phrase la mention de tous les adieux. Plutarque n'a rien qui corresponde à cet endroit de Tacite et de Suétone. — Suétone dit seul que l'empereur écrivit deux lettres, l'une à sa sœur, pour la consoler, l'autre à Messaline, qu'il s'était proposé d'épouser, pour lui recommander ses restes et sa mémoire. Ce projet de mariage ne s'accorde pas très bien avec le projet d'adoption dont parle Plutarque. La source commune, très détaillée, relatait sans doute les deux versions. Plutarque a choisi la première, parce qu'elle a quelque chose de plus noble, de plus favorable à Othon : c'est là une tendance à laquelle le biographe grec cède souvent ; nous avons vu, par exemple, que, des deux versions sur les dernières paroles de Galba, il n'a rapporté que la plus favorable[16]. Suétone, étranger à de telles préoccupations, sachant peut-être aussi par ailleurs[17] que ce projet d'adoption n'avait jamais existé, n'a mentionné que le projet de mariage. Tacite a supprimé ces deux détails, probablement parce que le second lui a fait suspecter la vraisemblance du premier et lui a paru peu propre au but qu'il poursuit dans tout ce récit : faire ressortir la noblesse d'âme et le courage d'Othon, émouvoir le lecteur en faveur d'Othon. — C'est également avant les adieux à Cocceianus que Tacite place la distribution d'argent ; Suétone la place après cette scène, comme la destruction des papiers compromettants[18], et Plutarque, le moins vraisemblable des trois, après l'essai des poignards, beaucoup trop tard[19]. — Les amis que vient de congédier Othon et qui veulent quitter la ville, sont arrêtés par les soldats, qui les traitent de déserteurs. Les trois auteurs sont ici d'accord, mais Tacite complète les deux autres quand il dit que les soldats s'en prenaient surtout à Verginius. — A ce moment Othon ne songeait plus qu'à mourir — Suétone : paratus intentusque jam morti ; Tacite : supremas jam curas animo volutantem ; Plutarque n'a rien d'exactement semblable —. Informé de ce qui arrivait, il défendit que l'on maltraitât personne. Tacite et Plutarque, plus précis que Suétone, disent qu'il prit à l'égard des soldats mutinés une attitude menaçante ; Suétone rapporte seul et textuellement ces paroles que prononça alors Othon : Adjiciamus vitæ et hanc noctem. Les a-t-il trouvées dans la source commune ? Je croirais plutôt qu'il les doit au témoignage de son père, qu'il cite un peu plus haut[20] : c'est pour cela qu'il les garantit si catégoriquement (his ipsis totidemque verbis). — Tacite ajoute que, rentré chez lui, Othon reçut les visites de ceux qui partaient, jusqu'à ce que tous se fussent éloignés sains et saufs. Suétone, un peu moins exact, dit que sa porte resta ouverte à tous ceux qui voulaient le visiter. Plutarque n'a pas de passage analogue, mais il complète les deux autres en disant qu'à l'aube, avant de mourir, Othon s'assura que tout le monde était parti. — Sur le soir, Othon eut soif et but de l'eau fraîche — Suétone : sedata siti gelidæ aquæ potion ; Tacite : Sitim baustu gelidæ aquæ sedavit ; Plutarque dit la même chose, mais l'expression est un peu différente. — Il essaya ensuite ses deux poignards ; longuement, dit Plutarque seul ; il est vrai que Tacite emploie le verbe pertemptare, qui indique sinon la durée, au moins l'attention, deux choses qui se tiennent. Il plaça celui des deux qu'il choisit dans ses bras, dit Plutarque ; sous sa tête, dit Tacite, plus vraisemblable ; sous son oreiller, dit Suétone, le plus exact et le plus clair. — Avant de s'endormir, ajoute Tacite, il s'assura que ses amis étaient partis ; il s'en assura, d'après Plutarque, à son réveil, au moment de se donner la mort. Suétone ne mentionne pas ce dernier scrupule d'Othon. — Il dormit d'un profond sommeil ; Plutarque et Suétone sont d'accord sur ce point ; Suétone ajoute que la porte de la chambre resta ouverte ; Plutarque dit que les valets de chambre s'aperçurent que leur maitre dormait profondément ; les deux détails vont parfaitement ensemble. Tacite révoque en doute la version de la source commune : Noctem quietam, utque adfirmatur, non insomnem egit. — Au point du jour — ici Plutarque place les derniers scrupules d'Othon touchant le sort de ses amis et sa dernière recommandation à son affranchi, deux détails très vraisemblables[21] —, il se perça la poitrine de son poignard, dit Tacite ; il se porta un seul coup, au-dessous du sein gauche, dit Suétone, plus précis ; Plutarque le complète en indiquant de quelle manière Othon maintint son épée : cette description détaillée est tout à fait d'accord avec les mots de Tacite in ferrum incubuit. — On n'entendit de lui qu'un seul gémissement, dit Plutarque. Son gémissement, dit Tacite, son premier gémissement, dit Suétone, attira les gens de la maison ; Tacite nomme en particulier le préfet du prétoire Plotius Firmus. Ils ne trouvèrent, ajoute-t-il d'accord avec Suétone — uno ictu se trajecit —, qu'une seule blessure. Suétone dit seul que, tantôt cachant, tantôt découvrant la plaie, il expira[22]. 4. Suétone a donc puisé lui aussi à la source commune de Tacite et de Plutarque. Il y a puisé moins largement, parce que, voulant faire des biographies et non de l'histoire, il a passé très vite sur les grands événements historiques[23], il a même laissé complètement de côté ceux qui ne touchaient pas de très près à la personne de l'empereur[24], et il a multiplié les détails relatifs à la famille, à la carrière, aux mœurs de ses héros[25]. Ces détails il les a trouvés dans d'autres sources qu'il n'indique pas ordinairement. Cependant on voit qu'il a consulté les archives particulières des familles Sulpicia et Salvia[26]. Il cite aussi le témoignage oral de son père[27]. Il est manifeste qu'il a eu une source particulière pour les prodiges, qu'il rapporte en bien plus grand nombre que Tacite et Plutarque[28]. Nous ne pouvons dire, comme pour les deux autres, que la source commune a été sa source presque unique. Mais la comparaison prouve qu'elle a été sa source principale et presque unique pour toute la partie du Galba qui s'étend depuis la proclamation en Espagne du nouvel empereur jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pour les chapitres 9 à 20, et pour toute la partie de l'Othon qui s'étend de la proclamation de Galba à la mort d'Othon, c'est-à-dire pour les chapitres 4 à 11, ainsi que pour une bonne partie du chapitre 3 (relations d'Othon et de Néron) et du chapitre 12 (funérailles d'Othon et désespoir des soldats)[29]. Suétone a reproduit la source commune avec beaucoup de légèreté et d'inexactitude, le plus souvent de mémoire, probablement, et sans la relire. Nous l'avons pris plusieurs fois en défaut. Voici une erreur qui montre bien toute sa négligence. Il prétend qu'Othon offrit un banquet à Néron et à Agrippine le jour même où Néron la fit assassiner. Mais Othon était alors en Lusitanie ! Il en revint à la suite de Galba en 68, et, d'après Suétone lui-même, il gouverna sa province pendant dix ans[30]. Or Agrippine mourut en mars 59. D'ailleurs il résulte clairement du récit des Annales que l'exil d'Othon est antérieur à l'assassinat d'Agrippine[31]. Les erreurs de Suétone viennent aussi assez fréquemment de ce qu'il a voulu résumer en quelques mots une narration développée de la source. Malgré toutes ces imperfections, il lui arrive parfois de la reproduire avec plus de fidélité que Plutarque et que Tacite[32]. II 1. Maintenant que l'indépendance de Suétone par rapport à Tacite et à Plutarque est un fait démontré, et que nous avons le droit de considérer Suétone comme un troisième représentant de la source commune[33], la connaissance que nous avions déjà de cette source devient encore plus complète et plus sûre. Là où Tacite et Plutarque sont en désaccord, il nous est possible, grâce à Suétone, de décider, le plus souvent avec une absolue certitude, lequel des deux a reproduit fidèlement la version originale. Ainsi Plutarque dit (Galba, 27) que Galba fut vaillamment défendu par le centurion Sempronius Densus, et Tacite (I, 43), que ce centurion essaya de sauver non pas Galba, mais Pison. Plutarque a commis une erreur, puisque Suétone (Galba, 20) affirme que personne ne porta secours à l'empereur[34]. Ici, comme d'ailleurs en général, la reproduction de Tacite est supérieure à celle de Plutarque. Mais les cas les plus intéressants à notre point de vue sont ceux où Suétone nous met en mesure de prouver que Tacite est inférieur à Plutarque. Tacite ne dit pas à quel moment de la journée eut lieu ce sacrifice que suivit de près l'assassinat de Galba (I, 27). Plutarque (Galba, 24) indique qu'il eut lieu έωθεν. A-t-il ajouté ce détail de lui-même ? Non : car Suétone le donne également (Galba, 19). Si on lit seulement le récit de Tacite, on peut croire qu'Othon se retira à Brixellum, sur la rive droite du Pô, après le conseil de guerre (II, 33), et que jusque-là il était avec le gros de ses troupes sur la rive gauche. Plutarque dit nettement que Brixellum fut le quartier impérial dès le commencement de la guerre (Othon, 5). Il n'y a rien dans Tacite qui empêche de tenir cette version pour vraisemblable ; la comparaison avec Suétone (Othon, 9) prouve qu'elle est vraie. Plutarque raconte (Othon, 15) que, pendant la manifestation qui se produisit à Brixellum après le désastre, un soldat d'Othon se perça de son épée devant l'empereur. Tacite (II, 46) ne parle pas de ce suicide. Mais il en est question dans Suétone (Othon, 10). Ce n'est donc ni une invention de Plutarque ni un emprunt fait par lui à une source secondaire[35]. Tacite place la restitution des libéralités de Néron après l'adoption de Pison (I, 20). L'erreur chronologique est manifeste. Plutarque raconte le même fait beaucoup plus tôt (Galba, 16). A-t-il vu et corrigé la faute de Tacite ? Non, puisque Suétone est d'accord avec lui (Galba, 15). C'est donc Tacite qui a altéré la source commune. Ainsi nous avons eu raison de voir dans les différences de ce genre entre Plutarque et Tacite, non des inventions plus ou moins heureuses de Plutarque, ou bien des intercalations dans la source principale, mais des arguments en faveur de la communauté de source. L'étude des passages correspondants de Suétone confirme notre opinion. 2. Nous avons écarté comme invraisemblables les systèmes qui tentent d'expliquer le rapport de Tacite et de Plutarque par la dépendance de Plutarque, qui aurait adjoint à une source principale, Tacite, des sources secondaires[36]. La comparaison de Suétone avec les deux autres démontre qu'il est tout à fait impossible d'accepter une telle explication. Souvent, là où Plutarque est plus riche que Tacite, Suétone l'est aussi ; certains détails par lesquels le récit de Plutarque complète celui de Tacite se retrouvent dans le texte de Suétone. Par exemple, Suétone (Galba, 5) et Plutarque (Galba, 16) racontent seuls, à propos de la restitution des largesses de Néron, que Galba mit en cause même ceux à qui les favoris du défunt empereur avaient vendu ou donné. Suétone (Galba, 20) et Plutarque (Galba, 27) décrivent seuls en détail les outrages subis par la tête de Galba. Si les trois auteurs ont eu la même source, il n'y a là aucune difficulté. Plutarque et Suétone l'ont reproduite plus exactement que Tacite. Si Tacite est la source de Plutarque, comment nous tirer d'embarras ? Plutarque est indépendant de Suétone. Il ne reste donc que cette hypothèse : Plutarque a complété Tacite au moyen d'une source secondaire qui fut aussi la source de Suétone. Mais n'est-il pas merveilleux que Plutarque ait enrichi Tacite précisément à des endroits où Suétone est plus riche que Tacite, qu'il l'ait enrichi précisément de détails qui ne sont autres que ceux par lesquels Suétone l'emporte sur Tacite ? Nous avons signalé des passages où la ressemblance des trois auteurs est presque textuelle. Parmi ces passages il y en a où Plutarque se rapproche plus encore de Suétone que de Tacite. Relativement à la parole de Galba sur les soldats, le grec de Plutarque (Galba, 18) est la traduction littérale du latin de Suétone. Tacite (I, 5), plus concis, n'a pas l'équivalent du verbe consuesse : είωθέναι. De même, Tacite (I, 13) signale avec plus de concision que les deux autres l'empressement d'Othon à se déclarer pour Galba : Primus in partes (sans ajouter Galbæ) transgressus. Le nom de Galba est exprimé dans les passages correspondants de Suétone (Othon, 4) : Conatibus Galbæ primus, et de Plutarque (Galba, 20) : ἀποστάντος δὲ Γάλβα πρῶτος... — Dira-t-on que ces rencontres, et d'autres semblables, sont purement fortuites, c'est-à-dire que, par hasard, en traduisant Tacite, Plutarque s'est rapproché davantage de Suétone ? Ce serait encore là un hasard prodigieux. Il serait absurde de prétendre qu'en ces endroits Plutarque a reproduit non pas sa source principale, Tacite, mais une source secondaire qui était aussi la source de Suétone. En un mot, le rapport de Suétone et de Plutarque ne peut s'expliquer que si l'on admet pour Tacite, Plutarque et Suétone, une source principale commune. 3. Nous avons pu démontrer[37], par la seule comparaison de Tacite avec Plutarque, que les citations de versions différentes, quand elles sont faites sous la forme indéterminée, ne doivent pas être regardées comme un indice de l'emploi et dé la fusion de plusieurs sources, du moins en ce qui concerne Plutarque. Mais il y a dans l'Othon de Plutarque deux citations avec noms propres. Prouvent-elles que Plutarque a consulté directement, comme sources secondaires, puisque d'après nos adversaires sa source principale est Tacite, les autorités qu'il produit ainsi ? L'une des deux, celle de Cluvius (Othon, 3), se retrouve dans Suétone (Othon, 7), très reconnaissable, quoique le nom propre y ait été remplacé par une formule indéterminée. L'autre, celle de Secundus (Othon, 9) serait donc par cela seul très suspecte, et nous avons remarqué plus haut qu'il y a d'autres motifs de croire que Plutarque l'a tout simplement prise dans sa source. Ainsi est réfuté un argument que font valoir ceux qui soutiennent qu'il faut voir dans le récit de Plutarque une reproduction du récit de Tacite corrigé ou enrichi sur certains points au moyen de sources secondaires. Une autre conséquence du parallèle de Suétone avec Tacite et Plutarque, c'est que les scrupules de ceux à qui il répugne d'admettre que, chez Tacite non plus, les formules de citation n'indiquent pas sûrement des recherches personnelles, sont sans fondement. Suétone est indépendant de Tacite. Or ils citent l'un et l'autre deux versions opposées sur les dernières paroles de Galba, et ils les introduisent par des formules tout à fait équivalentes. Suétone (Galba, 20) dit : Sunt qui tradant..., pour la version défavorable, et : Plures autem prodiderunt, pour la version favorable ; Tacite (I, 41) : ... varie prodidere. Alii... (version défavorable) ; plures... (version favorable). Nous avons donc le droit d'affirmer que les nombreuses citations de versions ou d'opinions[38] dont les Histoires sont parsemées ne prouvent nullement que Tacite ait fondu ensemble plusieurs sources pour composer cet ouvrage. On ne peut pas en tirer une objection sérieuse contre la communauté de source[39]. 4. Enfin le parallèle de Suétone avec Tacite et Plutarque nous a mis en mesure de relever, tantôt entre Tacite et Suétone, tantôt entre Plutarque et Suétone, tantôt entre les trois auteurs, des ressemblances verbales ou à peu près, comme celles que nous avions déjà observées entre Tacite et Plutarque. Cette constatation est particulièrement intéressante. Elle prouve d'une façon péremptoire que des ressemblances verbales il ne faut pas conclure à la dépendance, que celles de Plutarque avec Tacite ne sont pas un argument contre la communauté de source. Peut-on hésiter à le reconnaître, quand on trouve entre Tacite et Suétone des concordances presque littérales comme celles-ci ? Suétone (Galba, 20) : Plures autem prodiderunt optulisse ultro jugulum et ut hoc agerent, ac ferirent, quando ita videretur, hortatum ; Tacite (I, 41) : Plures (prodidere) obtulisse ultro percussoribus jugulum : agerent ac ferirent, si ita e republica videretur ; Suétone (Othon, 4) : quotiens cæna principem acciperet, aureos excubanti cohorti dividebat ; Tacite (I, 26) : ... quotiens Galba apud Othonem epularetur, cohorti excubias agenti viritim centenos nummos divideret... Le goût des antithèses, la recherche des expressions à effet, dont nous avons remarqué des traces nombreuses chez Tacite et chez Plutarque, étant aussi l'un des caractères frappants du style de Suétone dans le Galba et l'Othon, on est bien obligé d'avouer que la présence de ces antithèses, de ces expressions à effet, dans le grec de Plutarque, peut s'expliquer autrement que par l'imitation de Tacite. Par exemple, Tacite et Suétone opposent en une phrase antithétique l'opinion qu'on avait de Galba avant son élévation à l'empire avec la façon dont il régna ; Tacite (I, 49) : Major privato visus, dum privatus fuit, et omnium consensu capai imperii, nisi imperasset ; Suétone (Galba, 14) : Majore adeo et favore et auctoritate adeptus est quam gessit imperium. Suétone étant indépendant de Tacite, peut-on nier que Plutarque le soit aussi, parce que, au mot de Tacite : Cum limeret Otho, timebatur, correspond un mot identique de Plutarque (Othon, 3) : Φοβούμενος γὰρ ὑπὲρ τῶν ἀνδρῶν αὐτὸς ἦν φοβερὸς ἐκείνοις... ? Que des rapports comme celui-ci ne condamnent pas l'hypothèse de la communauté de source, la présence dans Plutarque de prétendus mots à la Tacite, dont nous n'avons pas trouvé l'équivalent dans Tacite, nous l'a déjà prouvé. Les rapprochements du même genre que l'on peut faire entre Tacite et Suétone confirment notre démonstration. Ils doivent aussi achever de convaincre les plus incrédules que Tacite a fort bien pu emprunter les réflexions, les appréciations de sa source ; nous l'entendions tout à l'heure émettre le même jugement que Suétone sur la déception infligée par le gouvernement de Galba aux espérances que sa vie antérieure avait fait concevoir de lui. III 1. Le récit de Plutarque s'arrête à la mort d'Othon. Celui de Tacite contient en outre tout le règne de Vitellius et les premiers événements du règne de Vespasien. En comparant avec Tacite le Vitellius de Suétone et les parties du Vespasien, du Titus et du Domitien qui se prêtent au parallèle, nous allons voir qu'ici encore les deux écrivains ont eu la même source principale. Pour que la communauté de source soit établie, il nous suffira, les Histoires étant sûrement antérieures aux Vies des Césars, de montrer que la ressemblance continue et souvent très frappante des deux récits ne peut s'expliquer par la dépendance de Suétone complétant Tacite, source principale, au moyen de sources secondaires. Du reste, et avant toute démonstration, il est on ne peut plus vraisemblable que la parenté des deux écrivains ne change pas de nature après la mort d'Othon. Puisque Suétone ne s'est pas servi de Tacite pour les règnes de Galba et d'Othon, selon toute probabilité il ne s'en est pas servi non plus pour les règnes de Vitellius et de Vespasien, qui font si étroitement corps, celui de Vitellius surtout, avec les deux autres. Il serait bien extraordinaire qu'il eût abandonné la source commune en quelque endroit de cette année 69 dont tous les événements se tiennent. Mais cela serait possible à la rigueur et le parallèle n'est pas superflu. Il est évident que Suétone ne s'est pas adressé à la
source commune, à un historien de l'année 69, pour avoir les détails très
abondants qu'il donne, dans les six premiers chapitres du Vitellius, sur la
famille du futur empereur et sur sa carrière jusqu'au moment où, nommé par
Galba gouverneur de la Germanie inférieure, il commence à jouer un rôle
historique[40].
Le biographe cite deux de ses sources : Q. Elogius et Cassius Severus, et il
en a eu d'autres. Il n'est pas surprenant que dans Tacite, qui n'est pas un
biographe, nous ne trouvions à peu près rien qui corresponde à toute cette
partie de Suétone. Notons pourtant deux jugements très semblables sur
Sextilia, mère de Vitellius. Suétone (3)
l'appelle probatissima femina, et
Tacite (II, 64) loue la probitas de cette femme antiqui moris. Tacite et Suétone sont également
d'accord dans leur appréciation sur le proconsulat de Vitellius en Afrique. In provincia singularem innocentiam præstitit,
dit Suétone (5). Integrum illic ac favorabilem proconsulatum Vitellius...
egerat, dit Tacite (II, 97). La source commune, s'il y a
vraiment communauté de source, ne peut avoir fourni à Suétone beaucoup de
matériaux pour cette partie, mais il n'est pas impossible que ces
concordances remontent jusqu'à elle. Les événements que Suétone raconte dans les chapitres 7 à 9, c'est-à-dire la révolte des légions de Germanie, la proclamation de Vitellius et ses préparatifs de guerre, se sont passés sous les règnes de Galba et d'Othon ; aussi est-ce là que Tacite[41] et même Plutarque[42] les racontent. Nous pourrions faire, pour cette partie, des rapprochements entre les trois auteurs, surtout entre Tacite et Suétone. Mais puisque la communauté de source est déjà démontrée pour les règnes de Galba et d'Othon, ils seraient inutiles : la source commune, qui était un historien et non un biographe, racontait évidemment la révolte des légions de Germanie avant la mort d'Othon[43]. Nous arrivons donc tout de suite à des rapprochements qui puissent nous éclairer sur cet autre point : pour le règne de Vitellius et les premiers temps de Vespasien, Tacite et Suétone ont-ils eu la même source principale ? 2. Pour établir d'abord que d'un bout à l'autre il y a parenté entre les deux récits, nous citerons une série de passages où la ressemblance est manifeste, mais où rien ne dénote l'indépendance de Suétone : car il n'y est pas plus complet ou plus exact que Tacite. — Vitellius est encore en Gaule, quand il apprend la victoire de Bedriacum et la mort d'Othon[44] ; Suétone, Vit., 10 : De Bedriacensi victoria et Othonis exitu... audiit ; Tacite, II, 57 : Prosperas apud Bedriacum res ac morte Othonis considisse bellum accepit. — Un des premiers soins de Vitellius fut de licencier les cohortes prétoriennes ; Suétone, 10 ... jussas tribunis tradere arma ; Tacite, II, 67 : ... arma ad tribunes suos deferebant. — Vitellius prend possession du pontificat suprême le jour anniversaire du désastre de l'Allia ; Suétone, 11 : ... Omni divine humanoque jure neglecto... ; Tacite, II, 91 : Adeo omnis humani divinique juris expers. — Au milieu du Champ de Mars, avec le concours des collèges de prêtres, il offre un sacrifice aux mânes de Néron (Suét., 11 ; Tac., II, 95). — Il accorde à son affranchi Asiaticus l'anneau des chevaliers pendant un festin, après avoir, quelques heures plus tôt, repoussé la demande que toute son armée lui faisait de cet honneur pour le favori (Suét., 12[45] ; Tac., II, 57). — Vitellius, d'accord avec le sénat, envoie aux généraux fia-viens des députés, et même les Vestales, pour essayer d'obtenir la paix ou au moins un délai ; Suétone, 16 : Suasitque senatui ut legatos cum virginibus Vestalibus mitterent, pacem aut certe tempus ad consultandum petituros ; Tacite, III, 80 : Mox vocato senatu deliguntur legati ad exercitus, ut... concordiam pacemque suaderent... ; 81 : Obvias fuere et virgines Vestales cum epistulis Vitellii ad Antonium scriptis : eximi supremo certamini unum diem postulabat. La grandeur future de Vespasien a été annoncée par les
dieux. Dans un de ses domaines un cyprès fut soudain renversé ; le lendemain
il était plus beau qu'auparavant (Suét., Vesp.,
5, Tac., II, 78). — Plus tard, l'oracle du Carmel lui répondit que
l'entreprise à laquelle il songeait, quelle qu'elle fût, réussirait (ibid.). — Le préfet d'Égypte,
Tiberius Alexander, fait prêter par ses légions le serment de fidélité à
Vespasien le jour des calendes de juillet — Suétone, 6 : Tiberius Alexander, præfectus Aegypti, primus in verba
Vespasiani legiones adegit, kalendis juliis, qui principatus dies in posterum
observatus est ; Tacite, II, 79 : Initium
ferendi ad Vespasianum imperii Alexandriæ cœptum, festinante Tiberio
Alexandro [Tacite lui donne un peu
plus haut, II, 74, son titre de préfet d'Égypte], qui kalendis juliis sacramento ejus legiones adegit. Isque
primus principatus dies in posterum celebratus —. L'armée de Judée
prêta le serment en présence de Vespasien lui-même le cinquième jour avant
les ides, d'après Suétone[46], avant les
nones, d'après Tacite — Suétone : Judaicus
exercitus quinto idus julias apud ipsum juravit ; Tacite : ... Quamvis Judaicus exercitus quinto nonas julias apud ipsum
jurasset. — Le bruit avait été répandu que Vitellius voulait faire
permuter les légions de Germanie avec celles d'Orient — Suétone, 6 : simul rumor dissipatus destinasse victorem Vitellium permu
tare hiberna legionum et Germanicas transferre in Orientem ad securiorem
mollioremque militiamn ; Tacite, II, 80 : ... adseverabat Mucianus statuisse Vitellium, ut Germanicas
legiones in Suriam ad militiam opulentam quietamque transferret, contra
Suriacis legionibus Germanica hiberna... mutarentur. — Le roi des
Parthes, Vologèse, promit à Vespasien un secours de 40.000 hommes (Suét., 6 ; Tac., IV, 51)[47]. — Vespasien se
rend à Alexandrie pour être maître des portes de l'Égypte — Suétone, 7 : Ut claustra Aegypti obtineret ; Tacite, II, 82
: Vespasianum obtinere claustra Aegypti placuit
—. Là, il va au temple de Sérapis — Suétone : De
firmitate imperii capturus auspicium ; Tacite, IV, 82 : Ut super rebut ; imperii consuleret. — Suétone
: Summotis omnibus solus ; Tacite : Arceri temple cunctos jubet —. Après avoir
prié, il se retourne et voit un certain Basilides[48]. Or ce Basilides
était alors retenu par la maladie très loin d'Alexandrie (ibid.). Ce que dit Suétone (Tit., 3) de l'extérieur de Titus : Forma egregia et cui non minus auctoritatis inesset quam gratiæ s'accorde tout à fait avec la description plus concise de Tacite (II, 1) : Decor oris cum quadam majestate — Titus, du vivant de Galba, partit pour Rome, chargé par son père d'aller féliciter le nouvel empereur ; mais tout le monde croyait que Galba l'avait mandé pour l'adopter — Suétone, 5 : ... quasi adoptionis gratis arcesseretur ; Tacite, II, 1 : accitum in adoptionem. — Quand il apprit la mort de Galba, il rebroussa chemin et visita en passant le temple de Vénus Paphienne (Suét., 5 ; Tac., II, 2). — Il consulte l'oracle sur sa navigation et sur son avenir ; la réponse est favorable (Suét., 5 ; Tac., II, 4). — Vespasien le charge d'achever la guerre de Judée — Suétone, 5 : ad perdomandam Judæam relictus ; Tacite, V, 1 : perdomandæ Judææ delectus a patre ; cf. II, 82, et IV, 51. Après l'entrée victorieuse de l'armée flavienne dans Rome, Domitien se montre et il est salué César — Suétone, Dom., 1 : Post victoriam demum progressus et Cæsar consalutatus... ; Tacite, III, 86 : Domitianum, postquam nihil hostile metuebatur, ad duces partium progressum et Cæsarem consalutatum... — N'étant encore que fils d'empereur, il se signale bientôt par ses débauches adultères (Suét., 1 ; Tac., IV, 2). — On lui décerne la préture avec le pouvoir consulaire (Suét., 1 ; Tac., IV, 3). — Il cachait ses vices sous une modestie hypocrite et une apparente passion pour la poésie — Suétone, 2 : Simulavit et ipse mire modestiam in primisque pœticæ studium ; Tacite, IV, 86 : Simplicitatis ac modestiæ imagine in altitudinem conditus studiumque litterarum et amorem carminum simulans.... 3. Si le rapport de Suétone et de Tacite était constamment le même que dans les passages dont nous venons de faire l'énumération, on pourrait croire qu'il s'est servi de Tacite, quelquefois en le copiant textuellement, le plus souvent en le résumant. Mais il y a aussi un peu partout des passages où Suétone, ressemblant encore de très près à Tacite, lui est supérieur en abondance ou en précision, et de telle sorte qu'il ne faut pas songer à expliquer cette supériorité par l'adjonction à Tacite d'une source auxiliaire. — A propos de la visite de Vitellius au champ de bataille de Bedriacum, Tacite dit simplement que Vitellius ne détourna pas les yeux devant ces milliers de cadavres de citoyens privés de sépulture (II, 70). Suétone, plus précis et plus réaliste, raconte qu'il prononça cette horrible parole : Optime olere occisum hostem et melius civem, et qu'il fit apporter du vin pour combattre l'effet de la mauvaise odeur (10). — Au même chapitre, il dit que Vitellius célébra un pervigilium en plein Apennin ; Tacite n'avait-il pas ce détail précis sous les yeux, quand il a écrit (II, 68) : Apud Vitellium omnia... pervigiliis ac bacchanalibusquam disciplinas et castris propior ? — Vitellius avait désigné les consuls pour plusieurs années, dit Tacite (III, 55), pour dix ans, dit Suétone (11). Il chassa d'Italie les astrologues, dit Tacite (II, 62). Il leur ordonna de quitter Rome et l'Italie avant les calendes d'octobre, dit Suétone (14). — Vitellius essaye d'abdiquer. Suétone (15) raconte trois tentatives d'abdication ; Tacite (III, 68), une seule qui correspond à la troisième de Suétone. Dans la scène que décrivent les deux auteurs, Vitellius tend son poignard au consul, qui le refuse ; d'après Tacite, il s'éloigne alors pour aller le déposer au temple de la Concorde ; d'après Suétone, il présente auparavant son poignarda chaque magistrat, à chaque sénateur, et tous le refusent. Ces différences démontrent l'indépendance de Suétone. Mais, d'autre part, les ressemblances sont trop frappantes pour qu'on puisse nier la parenté des deux récits : Vitellius veut abdiquer dans l'intérêt de la paix publique — Suétone : Juravit... nihil sibi antiquius quiete publica fore ; Tacite : ... cedere se paris et rei publicæ causa —. Il tend son poignard au consul — Suétone : Solutum a latere pugionem consuli... porrigens ; Tacite : Consuli... exsolutum a latere pugionem... reddebat —. Comme on n'accepte pas, il se retire pour aller déposer le poignard au temple de la Concorde — Suétone : Quasi in æde Concordiæ positurus abscessit ; Tacite : ut in æde Concordiæ positurus... discessit[49]. Nous avons vu que Tacite raconte comme Suétone, ou avec plus de détails, le prodige du cyprès et la réponse de l'oracle du Carmel (Tac., II, 78 ; Suét., Vesp., 5). Mais Suétone ajoute d'autres prodiges ou présages. Ne les a-t-il pas trouvés, au moins en partie, dans la source même de Tacite, qui les aurait omis volontairement ? Tacite ne raconte évidemment pas tout ce qu'il sait : les expressions générales responsa vatum et siderum motus le prouvent. — Tacite raconte avec plus de détails comment les légions de Mésie et de Pannonie se déclarèrent pour Vespasien (II, 85 sq.). Cependant Suétone (6) lui est supérieur en un point : il fait beaucoup mieux ressortir le rôle joué par la 3e légion. Tacite dit seulement : Tertia legio exemplum ceteris Mœsiæ legionibus præbuit. Il avait dit un peu plus haut (74) que Vespasien comptait comme sienne la 3e légion parce qu'elle avait fait partie de l'armée de Svrie avant de passer en Mésie. D'après Suétone, comme les soldats de Mésie, voulant élire un empereur, passent en revue les noms de tous les gouverneurs de province, des soldats de la 3e légion, qui, vers l'époque de la mort de Néron, avait été transportée de Syrie, se mettent à vanter Vespasien, et tout le monde approuve alors le choix de Vespasien. 4. Il y a donc communauté de source et parfois la reproduction de la source commune est plus fidèle dans Suétone que dans Tacite ; cependant c'est l'exception. D'abord Suétone, étant biographe et non historien, résume d'une façon très succincte beaucoup d'événements que Tacite raconte en détail : la guerre entre les généraux de Vitellius et ceux de Vespasien, pour ne citer que cet exemple, occupe la plus grande partie du troisième livre des Histoires, elle tient en quelques lignes dans le Vitellius et le Vespasien (Vit., 15 ; Vesp., 7). Il y a même des événements que Suétone passe tout à fait sous silence, parce qu'ils ne touchent pas à la personne de l'empereur : la révolte de Civilis est de ce nombre[50]. Enfin, très souvent, soit parce qu'il résume mal, soit parce qu'il reproduit sa source de mémoire et compose sans réflexion, Suétone commet des inexactitudes[51]. La plupart de ses divergences avec Tacite n'ont pas d'autre cause[52]. En voici une, des plus frappantes, qui me semble devoir être imputée à la négligence de Suétone. Tacite compare en ces termes (II, 97) les proconsulats de Vitellius et de Vespasien en Afrique : Integrum illic ac favorabilern proconsulatum Vitellius, famosum invisumque Vespasianus egerat. Suétone est d'accord avec lui en ce qui concerne Vitellius (Vit., 5) : In provincia singularem innocentiam præstitit. Mais, en ce qui concerne Vespasien, il dit au contraire (Vesp., 4) : Integerrime nec sine magna dignatione administravit. La source commune, de même que Tacite, pour expliquer la conduite des provinciaux d'Afrique, établissait un rapprochement entre Vitellius et Vespasien, gouverneurs de cette province. Suétone a tiré de ce passage d'abord un jugement sur l'administration de Vitellius, placé dans la biographie de celui-ci, plus tard un jugement sur l'administration de Vespasien. Mais à cette seconde fois, lecteur superficiel, il a pris pour Vespasien ce que la source disait de Vitellius. L'erreur n'est sûrement pas de Tacite : les préférences des provinciaux pour Vitellius ne s'expliqueraient plus s'ils n'avaient gardé un mauvais souvenir du proconsulat de Vespasien. Il ne faut pas non plus songer û une source secondaire pour Suétone : il est impossible que deux traditions aussi opposées sur le proconsulat de Vespasien aient eu cours[53]. Au reste, tout ce que nous avons dit à propos du Galba et de l'Othon, sur la façon dont Suétone s'est conduit û l'égard de la source commune, s'applique au Vitellus et aux biographies flaviennes[54]. 5. Ainsi donc, ce qui est vrai pour le premier livre des Histoires et la première moitié du second l'est aussi, nous sommes en mesure de l'affirmer grâce à Suétone, pour le reste de l'ouvrage tel que nous le possédons. Il faut cependant faire une restriction. Le parallèle de Tacite et de Plutarque démontre que, pour les règnes de Galba et d'Othon, Tacite a suivi une source, non seulement principale, mais presque unique. Le parallèle de Tacite et de Suétone démontre simplement que, pour le règne de Vitellius et les premiers temps de Vespasien, il a suivi une source principale. Suétone est trop incomplet et, le plus souvent, trop sommaire, pour fournir un terme de comparaison aussi sûr et aussi précis que Plutarque. Mais, en somme, dans ce qu'elle a d'essentiel, la conclusion acquise pour la première partie des Histoires s'applique à la seconde. Nous examinerons plus tard si, en effet, dans celle-ci les sources accessoires ont joué un plus grand rôle que dans celle-là[55]. Les affirmations de Tacite relativement à ses recherches personnelles, dans la partie des Histoires qui nous occupe maintenant, se concilient avec l'hypothèse de la communauté de source aussi aisément que celles de la partie qui correspond aux deux biographies de Plutarque. Voici la liste de toutes les citations que nous rencontrons dans la seconde moitié du livre deuxième et dans les suivants : II, 93. Unde primum creditur Cæcinæ fides fluitasse. 95. (Vitellius) noviens miliens sestertium paucissimis mensibus intervertisse creditur sagina. 99. Credidere plerique Flavii Sabini consiliis concussam Cæcinæ mentem... II, 100. Nec sciri potest... (l'initiative de la trahison doit-elle être imputée à Lucain, Bassus ou à Cécina ?) 101. Scriptores temporum, qui, potiente rerum Flavia domo, monimenta belli hujusce composuerunt... tradidere (causes de la trahison). III, 11. Nec deerant qui crederent utramque seditionem fraude Antonii cœptam... 29. Ordinem agminis disjecti per iram ac tenebras adseverare non ausim, quamquam alii tradiderint. 25. Rem nominaque auctore Vipaiano Messalla tradam (meurtre d'un père par son fils à la bataille de Crémone). 28. Hormine id ingenium, ut Messalla tradit, an potion auctor ait C. Plinius, qui Antonium incusat, baud facile discreverim. 29. Primum inrupisse (dans Crémone) C. Volusium... inter omnes auctores constat. 37. Adnotabant periti (un fait sans précédent). 38. De qua sic accepimus (mort de Junius Blæsus). 51. Celeberrimos auctores habeo (pour un fait monstrueux)[56]. 54. Quidam jussu Vitellii interfectum (le centurion Agrestis), de fide constantiaque eadem tradidere. 59. Flavio quoque Sabino ac Domitiano paluisse effugium multi tradidere. 65. ... credebatur... Melior interpretatio. (motifs de la conduite de Flavius Sabinus). ib.... ut fama fuit (convention secrète entre Vitellius et Sabinus). 69. Quorum nomina tradere (des sénateurs et des chevaliers qui se réfugièrent avec Flavius Sabinus au Capitole) haud promptum est... 71. Hic ambigitur, ignem tectis oppugnatores injecerint, an obsessi, quæ crebrior fama... (incendie du Capitole). 75. Id unum... calumniatus est rumor. In fine vitæ alii segnem, multi moderatum... credidere. Quod inter omnes constiterit... (sur Flavius Sabinus)... Cædem ejus lætam fuisse Muciano accepimus. Ferebant plerique... 77. Fuere qui uxorem L. Vitellii Triariam incesserent. 78. Nec defuere qui Antonium suspicionibus arguerent... Alii ficta hæc... ; quidam omnium id ducum consilium fuisse... III, 84. ... in incerto fuit (le soldat germain qui rencontra Vitellius marchant au supplice essaya-t-il de le tuer ou de tuer le tribun ?). IV, 39. Et ferebatur Antonius (ses projets révolutionnaires). 49. ... incertum... Nec ambigitur... (tentative de révolution en Afrique). 52. Titum... ferunt (Il s'efforce d'apaiser son père irrité contre Domitien). 60. Simulata ea fuerint, an..., parum adfirmatur (massacre des prisonniers, malgré la parole donnée par Civilis). 61. Et ferebatur (trait de cruauté de Civilis). 67. Illic voluntaria morte interiisse creditus (Julius Sabinus). 75. Plerique culpabant Cerialem... 81. Utrumque qui interfuere nunc quoque memorant (les miracles de Vespasien). 83. Origo dei nondum nostris auctoribus celebrata : Aegyptiorum antistites sic memorant... (digression sur Sérapis). 84. Major hinc fama tradidit... Nec sum ignarus esse quoadam, qui... ; alii... perhibent... Deum ipsum multi Aesculapium... quidam Osirin... ; plerique Jovem... plurimi Ditem patrem... conjectant (même digression). 86. ... creditur
Domitianus... ; bellum adversus patrem
agitaverit, an... in incerto fuit. V, 2. Judæos... memorant... Quidam... ; plerique... Sent qui tradant... Clara alii Judæorum initia... 3. Plurimi auctores consentiunt (suite de la digression sur les Juifs). 4. Septimo die otium placuisse ferunt, quia... Alii... Idæis quos cum Saturno pulses... accepimus (même digression). 5. Liberum patrem soli... quidam arbitral ; sunt (id.). 6. ... sic veterea auctores, sed gnari locorum tradunt… (id.). 7. Haud procul inde campi, quosferunt... (id.). 13. Multitudinem... sexcenta milia fuisse accepimus (siège de Jérusalem). 22. Cerialis alibi noctem egerat, ut plerique credidere, ob stuprum... Dans la plupart de ces citations, il n'y a rien qui dénote le travail personnel de Tacite et, en vertu des observations faites plus haut[57], nous avons le droit de les considérer comme indirectes. Quant à celles qu'il y a lieu de considérer comme directes, soit parce que Tacite atteste qu'il a fait lui-même les recherches, soit parce qu'elles ne sont pas indéterminées, elles prouvent seulement que Tacite a eu des sources secondaires. Il ne cite par leur nom que deux autorités, Pline (III, 28) et Messalla (III, 25 et 28). Nous verrons[58] que Messalla, dont les deux citations sont dans le récit du même événement, la bataille de Crémone, ne peut avoir été que source secondaire. La citation (IV, 83) : Origo dei nondum nostris auctoribus celebrata : Aegyptiorum antistites sic memoranta, nous oblige à admettre que Tacite eut recours aussi à un ouvrage grec sur l'Orient ; mais cet ouvrage ne put guère être utilisé que pour la digression sur Sérapis[59]. A propos des miracles de Vespasien, il produit (IV, 81) l'autorité des témoins oculaires ; elle ne sert qu'à confirmer celle de la source principale : ces miracles sont racontés aussi par Suétone (Vesp., 7). Les citations de III, 22, 29 et 51, ne nous obligent pas à supposer d'autres sources que Pline et Messalla[60]. La même remarque s'applique à celle de II, 101 ; encore n'est-il pas absolument sûr que ce pluriel indéterminé ne dissimule pas simplement le nom propre de la source principale[61]. Quant à celle de IV, 84, ce soupçon est presque une certitude[62]. 6. Il est démontré par tout ce qui précède non seulement que, dans toute la partie conservée des Histoires, Tacite a suivi une source principale, mais encore qu'il a suivi d'un bout à l'autre la même source principale : là où il avait puisé ses renseignements sur les règnes de Galba et d'Othon, il a pris aussi ses matériaux pour le règne de Vitellius et les commencements de Vespasien. Il serait déjà très extraordinaire que Tacite eût changé de source principale à un moment quelconque de l'année 69, de cette année des quatre empereurs, dont tous les événements sont si étroitement enchaînés, Vitellius et Vespasien entrant en scène sous Othon et même sous Galba, le grand événement du règne d'Othon étant sa guerre avec Vitellius, le grand événement du règne de Vitellius sa guerre avec Vespasien, un empereur étant toujours proclamé avant que le précédent empereur ait disparu. Une telle conduite ne se concevrait que si la source d'abord suivie par Tacite s'était arrêtée brusquement avant d'avoir raconté comment Vespasien, par la défaite et la mort de Vitellius, prit possession de l'empire[63]. Or un historien romain, sauf le cas d'absolue nécessité, ne pouvait avoir pris pour terme de son ouvrage un événement antérieur à celui-ci, la mort d'Othon par exemple, qui ne marque ni la fin d'une année ni la fin d'une période. Et si cette nécessité s'était produite pour un historien, Tacite en aurait-il fait sa source principale, ayant sous la main au moins un autre historien qui avait conduit le récit jusqu'au bout, Pline l'Ancien[64] ? Mais combien plus extraordinaire serait-il que Tacite et Suétone eussent à la fois, aussitôt après la mort d'Othon ou quelque part au cours de l'année 69, abandonné leur source principale et se fussent rencontrés dans le choix d'une nouvelle source ! Car, la communauté de source entre Tacite et Suétone étant établie pour toute l'année 69 et le commencement de 70, ou bien les choses se sont passées de la sorte, ce qui n'est pas croyable, ou bien ils n'ont pas changé, pendant cette période, de source principale. Démontrer la communauté de source entre Tacite et Suétone, c'est donc démontrer aussi l'unité de la source commune. IV Une quatrième source pour l'époque racontée dans ce qui nous reste des Histoires est Dion Cassius[65], dont l'ouvrage nous est parvenu fort endommagé par le temps. Les livres LXIV, LXV et LXVI, qui nous intéressent ici, sont parmi ceux qui ne nous ont pas été conservés intégralement. Ils ne nous sont guère connus que par les épitomateurs Xiphilin et Zonaras. Ce que fait Xiphilin, ce n'est pas précisément un abrégé de Dion, c'est une série d'extraits où, le plus souvent, avec le sens sont reproduits les termes mêmes : il choisit dans le texte de Dion ce qui, à son goût, est le plus important[66]. Quant à Zonaras[67], il a composé son histoire en se servant de Dion et parfois ii nous l'a transmis avec plus d'exactitude que Xiphilin. Mais il ne s'est pas servi seulement de Dion ; de même, tout n'est pas de Dion dans les extraits de Xiphilin : il atteste lui-même[68] qu'il a consulté Plutarque. En sorte qu'il nous est très difficile, n'ayant Dion ni complet ni pur, de savoir au juste dans quel rapport de parenté il est avec nos trois autres auteurs. Son récit ressemble fréquemment, et quelquefois jusque dans les plus petits détails, tantôt à l'un, tantôt à l'autre des trois récits déjà étudiés. Mais Dion est-il indépendant de Tacite, de Plutarque et de Suétone ? Rien ne prouve qu'il se soit servi de Tacite : leur ressemblance s'expliquerait fort bien par la communauté de source. On ne saurait affirmer qu'il n'a pas eu Plutarque parmi ses sources. Quant à Suétone, il l'a connu certainement. Il parle comme Suétone de l'horreur d'Othon pour la guerre civile[69] ; il raconte comme Suétone le suicide du soldat qui se perça de son épée aux pieds d'Othon parce qu'on le traitait de menteur et de lâche[70]. Or ni le premier de ces détails, qui manque dans Tacite et dans Plutarque, ni le second, que donne Plutarque[71], mais avec une différence notable, Suétone ne les a empruntés à la source commune : il les doit, dit-il lui-même (Othon, 10), au témoignage de son père. Donc, directement ou indirectement, Suétone a été, ici et probablement ailleurs, la source de Dion. Il semble pourtant que sa source principale n'a été ni Suétone ni Plutarque, mais la source commune de Suétone, de Plutarque et de Tacite. En effet, il y a dans les fragments de Dion plus d'un passage comme ceux dont, en comparant Tacite avec Plutarque et Suétone, nous avons tiré des arguments en faveur de la communauté de source. Dion, alors, raconte ou juge de la même manière que les autres, se rapprochant davantage tantôt de l'un, tantôt de l'autre, mais avec un détail précis qui manque dans les trois autres et qui n'a nullement l'air d'une intercalation[72]. La fusion des trois autres auteurs, avec adjonction d'une ou de plusieurs sources secondaires, n'est donc pas l'explication la plus naturelle de ce rapport. Il est plus probable que Dion s'est servi de la source commune, avec Plutarque, Suétone et d'autres encore comme sources secondaires. Il atteste lui-même qu'il a fait beaucoup de recherches[73] et sa bonne volonté n'est pas douteuse. Ce qui contribuerait à nous faire croire qu'il a suivi la source commune, c'est qu'il rejette sur les Vitelliens la plus grande part de responsabilité dans le pillage de Crémone (LXV, 15). Suétone n'en parle pas, et Tacite, qui décrit longuement cette scène (III, 32), attribue tout le mal aux Flaviens vainqueurs. L'excuse que fait valoir Dion peut très bien avoir été invoquée par la source commune, à qui Tacite reproche sa partialité en faveur des Flaviens (II, 101). Mais, on le voit, la question est complexe ; les matériaux ne sont pas suffisants pour que l'on puisse la résoudre avec certitude. D'ailleurs, pour nous, dont le seul but est de rechercher les sources et de mesurer l'originalité de Tacite, elle n'a pas, tant s'en faut, la même importance que pour ceux qui voudraient étudier et apprécier toutes les sources de l'histoire de cette époque. Même si le problème était résolu, il ne s'ajouterait rien d'essentiel aux résultats que nous possédons déjà. La richesse de la source commune serait une fois de plus mise en lumière ; mais n'est-elle pas suffisamment attestée par le fait que cette source a pu fournir trois dérivations indépendantes, comme les récits de Tacite, de Plutarque et de Suétone ? |
[1] La ressemblance de Suétone, pour la partie de son œuvre qui nous occupe, avec Tacite et Plutarque, a été expliquée de différentes manières. — Krauss, p. 5 sq., pense que Suétone a suivi Plutarque ; — Lehmann, p. 40 sqq., qu'il a suivi Tacite. C'est aussi l'avis de Cornelius, p. 5 sqq. Nous allons voir que ces deux opinions sont inacceptables. — Wiedemann, p. 44 sqq. ; H. Peler, p. 28 sqq. ; Mommsen, Hermes, t. 4, p. 322 sqq. ; Beckurts, p. 3 sqq., 91 sqq., soutiennent que les trois auteurs (d'après L. von Ranke, p. 287, Tacite et Suétone seulement) ont eu une source commune. Wiedemann croit que, pour le Galba, Suétone et Plutarque ont eu deux sources communes, dont l'une a été la source de Tacite, hypothèse que nous réfuterons au chapitre III. — Clason, Plat. u. Tac., p. 10 sqq., et Tac. u. Suet., p. 99 sqq., admet pour Tacite et Suétone la communauté de source, qu'il nie pour Tacite et Plutarque — Lange, p. 31, note, a repris l'opinion de Clason. Il admet entre Tacite et Suétone la communauté de source qui explique, d'après lui, les ressemblances, non seulement de Tacite et de Suétone, mais encore de Plutarque avec Tacite et Suétone, partout où ces deux derniers sont d'accord, puisque, toujours d'après lui, Plutarque est dérivé de Tacite. Quant aux passages où Plutarque est d'accord avec Suétone seul, il les explique par l'emploi d'une même source secondaire. Nous alloue faire ressortir l'invraisemblance de cette dernière partie de l'hypothèse. — Krauss, 17 sqq., ne donne rien de nouveau. Ou bien Suétone a employé, parmi ses sources multiples, les Histoires de Tacite, ou bien il y a entre eux communauté de source principale. Les accords de Plutarque avec Suétone seul ont pour cause soit l'usage des mêmes sources secondaires, soit l'usage d'auteurs différents, mais donnant des récits très analogues.
[2] Cf. Roth., préface du Suétone de Teubner, p. IX. Les objections de Reichau, p. 7 sqq., ne détruisent pas cette argumentation. D'ailleurs, il reconnaît que les Histoires de Tacite sont antérieures aux Césars de Suétone.
[3] Plutarque se trompe quand il dit que Galba était parent de Livie, femme d'Auguste. Il a confondu cette Livie avec une autre Livie, marâtre de Galba (cf. Suétone, Galba, 4). Suétone dit formellement (Galba, 2) de Galba : nullo gradu contingens Cæsarum domum.
[4] Il se trompe sans doute en l'ajoutant à la liste de ceux qui passèrent pour avoir égorgé Galba. Tacite (I, 41) ne nomme que trois individus, les trois premiers de Plutarque ; et le gregarius miles a frumentatione rediens de Suétone, qui correspond au Fabius de Plutarque, n'est accusé que d'avoir tranché et outragé la tête de Galba déjà mort et abandonné par ses meurtriers.
[5] Par contre, Plutarque rapporte seul les paroles que prononça Othon quand cette tête lui fut présentée.
[6] Mommsen, Hermes, 4, 423, note 5, concilie les deux versions : d'après la source commune, Othon et Poppée avaient agi d'intelligence.
[7] Cf. chap. V, § I.
[8] Ce thème était bien plus dans la situation que le beau discours de Tacite. Cf. Victor Duruy, Hist. des Rom., t. 4, p. 569.
[9] Il est vrai qu'ils ne sont pas d'accord sur le nombre des commissaires : Suétone dit 50 et Tacite 30. L'un des deux, Suétone sans doute, le plus négligent, s'est trompé. Il n'est pas besoin de supposer que la commission, formée d'abord de 30 membres, fut ensuite renforcée.
[10] Seulement, d'après Suétone, ces Germains se seraient mis en marche pour porter secours à Galba et se seraient égarés en route. D'après Tacite, ils auraient longtemps hésité : diu nutavere. Cette version parait la plus vraisemblable : il y en avait certainement parmi ces Germains qui savaient le chemin d'endroits de Rome aussi connus que le Palatium et le Forum. Peut-être la source commune donnait-elle les deux versions ; Suétone aurait choisi la première, qui est plus dramatique.
[11] Mais cette remarque n'est pas à la même place dans les trois récits : Tacite la fait à propos de la résolution que prend Othon d'arriver à l'empire par la force ; Plutarque à propos de sa proclamation au Forum ; Suétone après avoir raconté son suicide.
[12] Nous avons déjà relevé quelques-unes de ces contradictions. En voici d'autres. Tacite (I, 34) et Plutarque (Galba, 26) montrent Galba décidé à partir pour le camp. Suétone affirme (Galba, 19) que, malgré l'avis de la plupart de ses amie, il avait résolu de ne pas quitter le Palais. Il a mal lu la source. — Suétone (Galba, 19) affirme que le bruit de la mort des conspirateurs n'était qu'un piège ; Tacite (I, 35) doute. Suétone a simplifié en résumant et commis une inexactitude. — Suétone donne le nom de Seleucus à l'astrologue d'Othon (Othon, 4). Tacite (I, 22) et Plutarque (Galba, 23) l'appellent Ptolémée. Il est question dans Tacite (II, 78) d'un Seleucus astrologue de Vespasien ; Suétone a sans doute confondu ; cf. Krauss, p. 26. Suétone raconte (Othon, 6) que la révolution faillit éclater le soir même de l'adoption ; les conjurés renoncèrent à leur dessein par égard pour la cohorte de garde : c'était la même que le jour du meurtre de Caligula et de l'abandon de Néron ; on ne voulut pas la rendre ainsi odieuse. Tacite parle (I, 26) d'une tentative, ou plutôt d'un projet de tentative, à peu près semblable ; mais il donne comme date le 14 janvier (l'adoption eut lieu le 10) et il dit que les conjurée renoncèrent à ce projet parce que, Othon étant inconnu de la plupart des soldats, il pouvait, à la faveur des ténèbres, se produire de fâcheuses erreurs. La source donnait sans doute les deux raisons : Tacite a trouvé la seconde plus vraisemblable ; le superstitieux Suétone s'est arrêté à la première. La date est donnée par Tacite avec tant de précision qu'il est presque certain que Suétone a exagéré en disant que le projet fut conçu aussitôt après l'adoption. Cf. Krauss, 26 sq. — Quant à la contradiction relative au discours d'Othon dans le camp des prétoriens (Tac., I, 37 sq. ; Suét., Othon, 6), il faut la résoudre eu faveur de Suétone : Tacite e fabriqué le beau discours d'Othon de toutes pièces. — Le récit que fait Suétone (Othon, 8) de la sédition des prétoriens est inintelligible au commencement (Placuerat per classiarios arma transferri remittique navibusa). Il n'a pas compris ce que disait la source ; cf. Krauss, 27 sq. — D'après Tacite (I, 90), Othon quitta Rome le 14 mars, le 14 mars d'après Suétone (Othon, 8). Tillemont (éd. de Paris, 1720), t. I, p. 374 ; K. Peter, Rœmische Gechichte, t. 3, 2e p., p. 22 ; Beckurts, 63 ; Heræus, éd. des Hist. ; Puhl, 5 sqq., tiennent pour Tacite ; Krauss, p. 43, est seul pour Suétone. — D'après Tacite (I, 49), Othon serait mort dans sa trente-septième année, d'après Suétone dans la trente-huitième (Othon, 1). Plutarque dit plus vaguement (Othon, 18) qu'Othon mourut ayant vécu trente-sept ans. Krauss, 44 sq., défend Tacite, ainsi que Puhl, 6, note 1, et Lezius, 170, note 1. Suétone a voulu corriger la source et s'est trompé. — Il s'est trompé aussi quand il a dit qu'Othon régna quatre-vingt-quinze jours. Son règne commença le i6 janvier, lendemain du meurtre de Galba, et il mourut le 17 avril, ce qui fait quatre-vingt-douze jours. Cf. Krauss et Puhl. — Etc.
[13] Tac., II, 68-49 ; Suétone, Othon, 10-11 ; Plut., 16-17.
[14] Dans l'avant-dernière note nous en avons signalé un certain nombre à propos des divergences de Suétone avec les deux autres.
[15] Après la bataille, Titianus est rentré au camp (Tac., 11, 44). Il y était encore au moment de la capitulation (Plut., Othon, 13). Cf. Krauss, 26.
[16] Cf. le parallèle de Plutarque et de Tacite à Plutarque (Galba, 27, 3-6).
[17] Son père était tribun dans l'armée d'Othon (cf. Othon, 10).
[18] Et pour la même raison.
[19] Cf. notre parallèle de Tacite et de Plutarque.
[20] Othon, 10.
[21] Cf. notre parallèle de Tacite et de Plutarque.
[22] On peut comparer de même les trois versions sur le massacre des marins : Tacite, I, 6 et 37 ; Suétone, Galba, 12 ; Plutarque, Galba, 15 ; — sur les funérailles de Galba : Tacite, I, 49 ; Suétone, Galba, 20 ; Plutarque, Galba, 28 ; — sur les largesses d'Othon aux soldats pendant le règne de Galba : Tacite, I, 24 ; Suétone, Othon, 4 ; Plutarque, Galba, 20 ; — sur les sentiments d'Othon à l'égard de Néron : Tacite, I, 78 ; Suétone, Othon, 7 ; Plutarque, Othon, 3 ; — sur la correspondance d'Othon et de Vitellius : Tacite, I, 74 ; Suétone, Othon, 8 ; Plutarque, Othon, 4 ; — sur les funérailles d'Othon : Tacite, II, 49 ; Suétone, Othon, 12 ; Plutarque, Othon, 17.
[23] Exemple : la guerre entre Othon et Vitellius.
[24] Exemple : la mort de Pison et de Vinius.
[25] Cf. les chapitres 2-8, 21-23 du Galba ; les chapitres 1-2 et 12 de l'Othon.
[26] Imagines et elogia universi generis exsequi longum est, dit-il au chapitre 3 du Galba. C'est dans une telle source qu'il a puisé, selon toute apparence, les détails sur la famille de Galba, et, dans une source de même nature, les détails analogues qui sont au début de l'Othon.
[27] Othon, 10.
[28] Cf. Galba, 4, 8, 10, 18 ; Othon, 7, 8. Ce qui prouve bien que pour les prodiges Suétone consultait une autre source, c'est, en dehors de cette abondance dont n'approchent ni Tacite ni Plutarque, un phénomène inverse : certaines omissions. A propos du départ d'Othon pour la guerre, il cite (Othon, 8) des prodiges qui ne sont pas dans les autres, mais il ne cite pas tous ceux qui sont dans les deux antres (cf. Tac., I, 18 ; et Plut., Othon, 4) ; parmi les nombreux présages qui annoncent un malheur à Galba le jour de l'adoption, il ne rapporte pas (Galba, 18) l'orage dont parlent Tacite, I, 18, et Plutarque, Galba, 23. Et cependant il a une prédilection d'homme superstitieux pour les détails de ce genre. Dans ces deux cas, l'habitude de se reporter à sa source particulière, chaque fois qu'il s'agissait de prodiges, a complètement détourné son attention de la source commune, qui lui aurait fourni de quoi allonger la liste.
[29] Clason, Tac. u. Suet., 100 sq., donne un tableau détaillé de tout ce que Suétone a de plus que Tacite pour les règnes de Galba, Othon et Vitellius. Krauss, p. 25, donne la liste des renseignements fournis par Suétone seul sur Othon.
[30] Othon, 4.
[31] Tacite, Ann., XIII, 45, et XIV, 1. — Cf. Krauss, p. 26.
[32] Cf. les parallèles que nous avons faits plus haut.
[33] Nous n'avons pas prétendu, dans le paragraphe précédent, faire une étude critique approfondie du récit de Suétone : car notre but n'est pas d'examiner les sources de l'histoire de cette époque, mais seulement de découvrir les sources de Tacite et de savoir comment il s'en est servi.
[34] Dion (LXIV, 6), ou plutôt l'épitomateur Xiphilin, est d'accord avec Plutarque ; mais il est probable qu'en cet endroit le texte de Dion n'est pas indépendant de Plutarque ; cf. Mommsen, Hermes, 4, 306, note 2.
[35] Il est vrai que Suétone et Plutarque, d'accord sur le fait même et sur les circonstances du suicide, sont en désaccord quant au motif. D'après Plutarque, le soldat veut donner une preuve éclatante du dévouement absolu de l'armée à son empereur ; d'après Suétone, il est accusé tantôt de mensonge et tantôt de poltronnerie, parce qu'il annonce un désastre (celui de Bedriacum), auquel personne ne veut croire, et c'est pour cela qu'il se perce de son épée. Suétone raconte ce suicide d'après le témoignage oral de son père. Mais puisque Plutarque le raconte aussi, il devait être mentionné dans la source commune ; seulement celle-ci donnait le même motif que Plutarque ; Suétone l'a rectifiée avec ses renseignements personnels. On conçoit aisément que plusieurs versions aient eu cours sur un fait comme celui-là. Il ne faut pas songer ici à une source secondaire pour Plutarque : il serait bien étonnant que Plutarque et Suétone eussent, chacun de leur côté, complété au même endroit par le même fait la source principale. Plutarque l'a trouvé dans la source commune et l'a transcrit tel quel, Suétone a été en mesure de le raconter d'une manière un peu différente. — Dion (LXIV, 11) raconte la chose comme Suétone. Mais est-il indépendant de Suétone ? C'est douteux. Christensen, p. 10 sq., dit oui, et Sickel, 19 sq., dit non. — Lezius, 160, note, soutient que la narration de Plutarque dérive d'une source secondaire.
[36] Cf. ch. I, § VII, n° 2.
[37] Cf. ch. I, § VII, n° 3.
[38] Celles du moins qui sont introduites par une formule indéterminée. Quand Tacite nomme sa source ou atteste qu'il l'a lui-même consultée, il faut l'en croire, si l'on n'a pas, comme pour Plutarque, la preuve que l'emprunt est indirect.
[39] Cf. ch. I, § VII, n° 4.
[40] De même les chapitres 1-3 du Vespasien et, sans doute, certains détails du chapitre 4, les chapitres 1, 2 du Titus, une partie du chapitre 1 du Domitien, ne dérivent pas de la source commune.
[41] Cf. I, 51-70.
[42] Cf. Galba, 22.
[43] Et même avant la mort de Galba. Cf. notre parallèle de Plutarque et de Tacite à Plutarque, Galba, 29.
[44] Suétone (Vit., 9) se trompe quand il dit que Vitellius apprit le meurtre de Galba avant le départ de ses lieutenants. Cf. Tacite, I, 64 et 67.
[45] Suétone dit que ce fait se passa primo imperii die ; Tacite, plus clair, le jour où Vitellius apprit la défaite et la mort d'Othon.
[46] Suétone s'est trompé ; cf. Tacite, II, 80 : Id ipsum opperiens (que les légions de Judée eussent prêté serment), Mucianus alacrem militem in verba Vespasiani adegit (les légions de Syrie) ; 81 : Ante idus julias Suria omnis in eodem sacramento fuit. Suétone a confondu les deux armées. — Au contraire, il semble bien qu'il a raison contre Tacite, lorsqu'il place la révolte des troupes de Mésie en faveur de Vespasien avant celle de l'Orient (cf. Beckurts, 58, note 1). Suétone est beaucoup plus précis (ceterum divulgato facto, Tiberius Alexander...) que Tacite (II, 85 : accelerata interim Vespasiani cœpta Illyrici exercitus studios). De plus, il ressort du récit de Tacite lui-même (II, 85 et 96) que les légions de Mésie ont dû se révolter peu de temps après la bataille de Bedriacum.
[47] On pourrait croire, en lisant Suétone, que cette promesse fut faite à Vespasien au moment de sa proclamation. Il n'en est rien. Suétone, abrégeant la source, a voulu réunir dans la même phrase les deux principaux alliés de Vespasien, Mucien et Vologèse. Le fait ne se passa qu'après la mort de Vitellius (Tac., IV, 51).
[48] Suétone dit Basilides libertus ; Tacite : e primoribus Aegyptiorum nomine Basilidem. Il y a divergence, mais sur un détail insignifiant.
[49] Le récit de Suétone est évidemment plus conforme à la vérité. Nous y reviendrons (chap. V, § I), et alors nous comparerons les deux récits de la mort de Vitellius : ils révèlent d'une façon manifeste l'indépendance de Suétone et la communauté de source.
[50] Cf. Tacite, IV, 12-37, 54-79 ; V, 16-26.
[51] Nous en avons signalé quelques-unes dans les notes précédentes. En voici d'autres. Suétone (Vit., 10) dit, comme Plutarque (Galba, 28), que Vitellius trouva 120 placets remis à Othon par des personnes qui réclamaient une récompense pour avoir joué un rôle dans l'assassinat de Galba ; Tacite (I, 44), plus exact, dit : plures quam centum et viginti. — Il ne distingue pas (ibid.), au point de vue de la conduite de Vitellius, les diverses phases de sa marche vers Rome (cf. Tac., II, 59, 71, 73, 83). — De même pour le cortège de Vitellins (cf. Tac., II, 62, 68, 73, 87). — Cependant il donne seul un détail qui atteste son indépendance : Quoscumque libuisset in libertatem asserebant. — Il dit que Vitellius lit son entrée dans Rome paludatus ferroque succintus (11). Tacite (II, 89) dit qu'il eut l'intention de faire son entrée paludatus accinctusque, mais que ses amis l'en dissuadèrent et qu'il prit la toge. — Il se trompe (15) en plaçant L. Vitellius, frère de l'empereur, à la tête de la flotte et d'un corps de gladiateurs (ne seraient-ce pas les gladiateurs d'Othon ? Tacite ne dit pas qu'il y ait eu un corps de gladiateurs dans l'armée de Vitellius). Tacite (III, 55) constate que L. Vitellius commande les cohortes chargées de défendre Rome et (58) qu'il est envoyé en Campanie après la défection de la flotte qui était (57) sous les ordres de Claudius Apollinaris. Ses opérations sont racontées plus loin. D'après Suétone (15), Vitellus négocia avec Flavius Sabinus, frère de Vespasien, et demanda entre autres avantages : miles sestertium. Tacite (III, 63) parle d'offres faites à Vitellius par Antonins et par Mucien, de négociations (III, 65) avec Sabinus. Il est plus exact, mais nulle part il ne fixe le chiffre de la somme demandée. — Suétone dit (18) que Vitellius périt avec son frère et son fils. Son frère mourut un peu plus tard (Tac., IV, 2), et son fils seulement après l'arrivée de Mucien (IV, 80). — Il prétend (Vesp., 7) qu'aussitôt après le miracle du temple de Sérapis, Vespasien reçut des lettres qui lui annonçaient la victoire de Crémone et la mort de Vitellius. Ces deux nouvelles n'ont pu lui parvenir à la fois. Tacite les distingue et les mentionne toutes deux avant le miracle (IV, 51).
[52] Suétone (Vit., 14) dit que Vitellius est accusé d'avoir fait mourir sa mère de faim ; que, d'après une autre version, elle lui demanda du poison et n'eut pas de peine à l'obtenir. Ou Tacite n'a pas trouvé ces accusations dans la source commune, ou il les a passées sous silence comme peu fondées (cf. III, 67). Des deux infirmes que Vespasien guérit miraculeusement, l'un était un aveugle, les deux auteurs sont d'accord sur ce point ; l'autre souffrait de la jambe, d'après Suétone (Vesp., 7), des mains, d'après Tacite (IV, 81). Il est malaisé de savoir lequel des deux s'est trompé.
[53] Cf. cette explication et celle d'Ernesti dans le Tacite d'Orelli-Meiser.
[54] En dehors des premiers chapitres, de l'introduction, du Vitellins et du Vespasien, on ne trouve pas de traces certaines de sources secondaires. On peut conjecturer cependant que Suétone a pris dans quelque pamphlet publié après la mort de Vitellius cette accusation de parricide dont nous parlons dans la note précédente ; les détails (Vit., 12) sur les relations de Vitellius avec Asiaticus, sur la gloutonnerie de Vitellius (Vit., 13 : le bouclier de Minerve, etc.), sur sa cruauté (14) [à ce point de vue, Suétone noircit beaucoup Vitellius. Un mot cruel de Vitellius : pavisse oculos ; Tacite (III, 39) : pascere vello oculos, est rapporté par les deux auteurs à deux faits différents] ; sur la carrière de Vespasien (Vesp., 4) et ses premiers exploits en Judée ; la lettre vraie ou apocryphe d'Othon à Vespasien (6) ; le prodige de Tégée (7) ; les premiers exploits de Titus (Tit., 4) ; le mot de Vespasien sur Domitien (Dom., 1). Encore se peut-il fort bien que, dans la plupart de ces cas, Tacite ait abrégé la source commune. Nous y reviendrons ; cf. chap. V, § II.
[55] Cf. chap. IV.
[56] Dans ce même chapitre, il y a une citation de Sisenna : ut Sisenna memorat. Nous n'en tenons pas compte : elle se rapporte à un fait du temps de Pompée.
[57] Cf. chap. I, § VII, n° 3, et
chap. II, § II, n° 3.
[58] Cf. chap. III, § I, n° 5.
[59] Cf. chap. IV, § III.
[60] Il s'agit, comme à III, 25 et 28, de la campagne des Flaviens contre les Vitelliens. Nous verrons (chap. III, § I) que omnes auctores de III, 99, doit s'entendre seulement des deux sources, Pline et Messalla. D'ailleurs, ce qui fait que nous considérons cette dernière citation comme directe, ce n'est pas la formule elle-même où rien n'atteste positivement l'initiative de Tacite, c'est que nous savons qu'il a eu deux sources pour le récit de cette campagne. Par contre, les citations analogues de V, 3 et 6 (digression sur les Juifs), nous paraissent devoir être considérées comme indirectes (cf. chap. IV, § III). Mais, si on les considérait comme directes, il ne s'agirait évidemment ici que de sources accessoires.
[61] Cf. chap. IV, § I, n° 3.
[62] Elle est presque identique à celle de II, 37, à propos de laquelle nous tuons élevé le même doute (cf. chap. II, § VII, n° 3). Nous avons renvoyé alors, et nous renvoyons encore au chapitre IV, § I, n° 3. D'ailleurs, si la citation était considérée comme désignant plusieurs sources, il ne pourrait s'agir que de sources accessoires : elle se trouve dans la digression sur Sérapis.
[63] Jusqu'à la mort d'Othon, l'unité de la source commune est démontrée par le parallèle de Tacite et de Plutarque.
[64] Cf. chap. III, § II.
[65] Hirzel et Wiedemann n'ont fait dans leur comparaison des quatre auteurs qu'une place très secondaire à Dion. — H. Peter, p. 28, note 2, et Mommsen, Hermes, t. 4, p. 322, ont touché incidemment à la question du rapport de Dion avec les trois autres. — Elle a été étudiée de près par Sickel et Beckurts, qui concluent à la communauté de source. — Cornelius, p. 9 sqq., croit que Dion s'est servi de Tacite. — Cf. aussi Krauss, p. 29 sqq. — Nous aurons à reparler de Dion à propos des Annales ; cf. 2° partie, chap. III, § I.
[66] Cf. Christensen, p. 2 sq.
[67] Cf. W. A. Schmidt, Ueber die Quellen des Zonaras, dans Zeitschrift f. Alterthumwissenschaft, 1839.
[68] XLIV, I, 1 (t. V, p. 31, l. 7).
[69] Dion, LXIV, 10 ; Suétone, Othon,
10.
[70] Dion, LXIV, 11 ; Suétone, Othon,
10.
[71] Othon, 15.
[72] Cf. Sickel et Beckurts.
[73] LIII, 19, 6, il va entamer le récit de l'époque impériale.