INTRODUCTION.
CHAPITRE I.
— La religion.
CHAPITRE II.
— La cosmogonie.
CHAPITRE III.
- L'anthropologie.
CHAPITRE IV.
- L'ethnographie.
CHAPITRE V.
- La géographie.
CONCLUSION.
INTRODUCTION.
On peut dire que la Syrie est le pays biblique par excellence ; ce
coin du monde antique, point de contact entre l'Asie, l'Afrique et l'Europe,
aboutissant inévitable de tous les grands mouvements ethnographiques, théâtre
classique des luttes et des invasions de l'Égypte et de l'Assyrie, est le
milieu où s'est écoulée la vie d'Israël, et où s'est déroulé le plus
important de son histoire[1] ; c'est là que se
sont accomplies ses destinées historiques et son rôle sur l'avenir de
l'humanité, et c'est là aussi que la très grande partie des livres saints a
vu le jour. On ne saurait donc se dispenser de replacer la Bible dans ce cadre
originel, et d'en étudier les principaux linéaments.
Le XIXe siècle, qui a tant travaillé dans le domaine du
passé, a contribué dans une assez large mesure à nous faire connaître
l'Archéologie de la Syrie
; des savants de toute nationalité ont exploré cette région ; les résultats
de leurs efforts sont déjà considérables ; aussi l' heure est-elle,
croyons-nous, venue de condenser en quelques pages toutes les contributions à
la science biblique sorties de cette œuvre longue et difficile ; la Bible ne pourra qu'en être
éclairée, et son côté purement humain en recevoir de nouvelles garanties.
Contrairement à l'usage reçu, j'emploie le mot SYRIE ; d'ordinaire on préfère celui de PALESTINE ; mais ce terme n'est exact ni
ethnographiquement ni historiquement : il n'est pas exact ethnographiquement,
car les Philistins, d'où il tire son origine, ne sont qu'une des nombreuses
populations qui ont habité cette région ; il ne l'est pas non plus
historiquement, car l'histoire très complexe de cette contrée ne saurait se
réduire aux vicissitudes de la race philistine. Ce n'est pas non plus que le
mot SYRIE soit adéquat, Mais, au point de vue où nous nous plaçons dans cette
étude, il est incontestablement le plus juste.
Le cadre de ce travail est trop vaste pour être
complètement rempli ; la chose n'est du reste pas nécessaire, parce qu'une masse
de détails ne présentent pas beaucoup d'intérêt pour les études bibliques ;
nous nous bornerons donc à enregistrer les données les plus importantes, mais
aussi les plus fondées. Ce sont, pour ainsi dire, des notes isolées, qui
pourront néanmoins avoir leur utilité, car ce n'est pas par des vues
générales mais par des détails nombreux et variés qu'il faut aspirer à
éclaircir la Bible. Pour
cette même raison il nous a été impossible de faire abstraction de certaines
données égyptologiques et assyriologiques, bien que nous ayons déjà traité ce
sujet.
CHAPITRE PREMIER. — LA
RELIGION.
I. — Les divinités.
1° Les dieux. — ADON. — Ce mot signifie maître et avec le suffixe ai mon maître.
On sait fort bien que ce nom est foncièrement biblique, GEN., XV, 2 ; XVIII, 27 ; XX, 4 ; EXOD., XXIII, 17 ; DEUT., x, 17 ; JOS., III, 13 ; PS., 2 ; XXXV, 23 (hebr.) ; IS., X, 16, 33 ; XIX, 4. Il désigne tout
particulièrement Dieu en tant que Maître,
vis-à-vis duquel l'homme n'est qu'un serviteur
; certains auteurs pensent cependant que c'est là une épithète commune applicable
à n'importe quel dieu[2]. L'archéologie
biblique a conservé des traces manifestes de ce nom ; à l'époque israélite,
il entre dans la composition de beaucoup de noms chananéens : ADONI-sedec, JOS., x, 1 ; ADONI-bezec,
JUG., I, 5-7 ; ou juifs :
ADON-ias, II ROIS, III, 4 ; II CHRON., XVII, 8 ; ADONI-ram, III ROIS,
IV, 6 ; V, 1.4 ; ADONI-Cam, I ESD., II, 13 ; VIII, 13 ; II ESD., VII, 18. On voit donc que le nom par
lequel on désignait le Maître des hommes
s'est conservé dans l'onomastique.
BAAL. — Cette
divinité est assez souvent mentionnée dans la Bible, tantôt d'une
manière purement narrative, II ROIS,
v, 20, tantôt d'une manière répréhensive, OS., II, 16. Certains auteurs, entre autres Mövers[3], De Vogué[4], écho de Mövers
en France, ont prétendu qu'il a existé un Dieu particulier du nom de Baal.
Cette idée est aujourd'hui abandonnée ; on pense en effet communément avec
Münter[5] que Baal est une épithète commune qui pourrait
s'appliquer à tous les dieux ; la preuve s'en trouve dans la Bible elle-même qui parle
parfois de baalîm dans le sens
d'idoles en général, par exemple : JUG.,
II, 11 ; III, 7 ; VIII, 33 ; I ROIS,
VII, 3-4 ; OS., II, 17.
Ce nom se trouve dans BEEL-zebub, adoré
à Accaron, IV ROIS, I, 2,
au temps de la domination philistine ; jadis on traduisait communément par dieu des mouches ; depuis que M. Halévy[6] a signalé la
ville de Zebub sur l'une des tablettes d'El-Amarna, cette traduction doit
être abandonnée ; BEEL-Zebub est en
réalité le dieu de [la ville de] Zebub.
Il se trouve aussi dans BAAL-Hermon, JUG., III, 3 ; cf. I CHRON., v, 23 ; dans BAAL-Gad, JOS., XI, 17 ; XII, 17 ; XIII, 5, qui paraît être une
simple variante ; le baal de Sichem portait le nom de BAAL-berith, maître
de l'alliance, JUG.,
VIII, 33 ; IX, 4 ; v. 46 variante : EL-berith.
Il entre également dans la composition de certains noms propres : ES-BAAL,
I CHRON., VIII, 33 ; IX,
39 ; Merib-BAAL, ibid., IX, 40 ;
Iero-BAAL, JUG., VI, 32 ; VII, 1, etc. ; enfin il
apparaît dans le nom de certains rois de Tyr, Itho-BAAL[7].
CHAMOS. — Dieu des
Moabites mentionné dans la
Bible, NOMB.,
XXI, 29 ; JUG., XI, 24 ;
III ROIS, XI, 7, 33 ; IV ROIS, XXIII, 13 ; JÉR., XLVIII, 7, 13, 46. Les livres des ROIS
nomment aussi à côté de Chamos, MOLOCH
ou MELCHOM, roi des Ammonites ; quelques
savants avaient cru reconnaître sous ce vocable un dieu spécial ; cette idée
n'est plus soutenue à l'heure actuelle ; un dieu
spécial du nom de Moloch, dit Tiele, n'existe
guère que dans l'imagination des savants[8] ; en réalité
Moloch, déformation de melek, roi, est une épithète commune qu'on donnait au dieu
le plus élevé, à celui qu'on regardait comme le moteur de l'univers. Dans le
langage biblique MELCHOM paraît
signifier leur roi, et n'être qu'une
corruption volontaire ou non de MILKON notre roi, dont se servaient les Chananéens en
s'adressant au dieu ; c'est ainsi que l'a interprété le texte grec de I CHRON., XX, 2 : Μολχόμ,
ό βασιλεύς
αύτών, Molchom leur
roi[9].
Quoi qu'il en soit, ce nom se trouve souvent dans la Bible, par exemple : MELCHI-zedek, Abi-MELEK, Achi-MELECH. Les
Phéniciens s'en servaient couramment pour désigner le dieu de Tyr, MELEK-KARTA
= Melkart, et dans beaucoup de noms propres : MELEK-iathon,
Baal-MELEK, Bod-MALEK.
DAGON. — Suivant la Bible, JUG., XVI, 23 ; I ROIS, V, 2 ; I CHRON., X, 10, ce dieu était adoré chez
les Philistins ; à proprement parler, il était le patron des habitants de
cette partie de la côte qui s'étend entre Ascalon et la forêt du Carmel ; un
épisode de sa statue nous est connu par les livres saints, I ROIS, v, 3-5 ; ce dieu entre dans le nom
de villes, Beth-DAGON, JOS., XV, 41 ; XIX, 27. L'érudition
moderne a confirmé sur ce point l'exactitude de la Bible on a découvert dans
la correspondance d'El-Amarna un personnage du nom de DAGAN-takala, ce qui prouve évidemment que ce
dieu était connu des Chananéens[10]. On a fait sur
la nature et les attributions de ce dieu beaucoup de recherches qu'il serait
superflu d'exposer ici, attendu qu'elles ne rentrent pas dans notre cadre ;
qu'il nous suffise de dire que la majorité des savants y voit une répétition
du dieu-poisson de Babylone[11].
HADAD et RIMMON. — En assyrien ces deux noms ont le
même idéogramme qui peut se lire : DADDA-HADAD ou RAMMANOU[12]. Hadad se trouve
dans la Bible,
I CHRON., I, 30 ;
différents roi de Damas portèrent ce nom ; cf. III ROIS, XI, 21, 25 ; ces rois auraient été
au nombre de dix, d'après Nicolas de Damas[13]. — Quant à
Rimmon, la Bible
nous apprend, IV ROIS, y,
18, qu'il avait un temple à Damas ; même un des rois de cette ville
s'appelle, III ROIS, XV,
18, TAB-REMMON,
Remmon [est] bon ; on pourrait
voir aussi une autre mention dans Geth-REMMON,
JOS., XXI, 25.
RASHAPH. — Les
Syriens connaissaient un dieu de ce nom, qui incarnait l'éclair ou la foudre
; dans les textes égyptiens il porte le nom de RASHOUPOU
: les érudits ont signalé l'existence de ce dieu[14]. Ce nom se
trouve dans la Bible,
mais appliqué à un individu, I CHRON.,
VII, 25 ; on estime communément que comme dieu il n'y est nullement
mentionné. Me sera-t-il cependant permis de hasarder une hypothèse ? Le texte
grec d'Amos, V, 25, nous parle d'un astre appelé RAIPHAN, 'Ραιφάν,
passé dans ACT., VII, 43,
sous la forme de REMPHAN. Ne serait-ce
pas le dieu syrien RASHAPH ? Dans les
deux cas il s'agit d'une divinité sidérale ; de plus, l'hébreu rabbinique a
conservé le nom de cette divinité ; il emploie le pluriel de rashaph dans le
sens de démons[15].
SHAMASH. — Ce mot
signifie soleil et désigne par conséquent le
dieu-soleil ; il apparaît dans les noms de certaines villes chananéennes,
telles que Beth-SAMES maison du soleil, JOS., XV, 10 : XXI, 16 ; I ROIS, VI, 12 ; I CHRON., VI, 59 ; Hir-SEMES ville du soleil,
JOS., XIX, 41. Les textes
d'El-Amarna sont venus corroborer les renseignements bibliques ; ils
mentionnent en effet très souvent ce dieu, mais en l'adaptant aux coutumes
égyptiennes, c'est-à-dire par imitation du protocole des Pharaons, qui :
s'intitulaient pompeusement : Ra sâ fils du soleil ; au VIIIe siècle avant notre ère,
on trouve le dieu SHAMAS dans les
inscriptions de Samalla dans la
Syrie septentrionale[16].
2° Les déesses. —
Il faudrait tout un volume pour décrire la nature, les attributs et les
caprices des déesses syriennes ; c'est tout un monde qui s'offre à nous, et
ce monde évolue et se transforme au fur et à mesure que l'historien essaye de
le fixer et d'en dessiner les contours. Les déesses syriennes s'appelaient
toutes d'un nom général : maîtresses
ou reines ; ce phénomène se constate
surtout dans les inscriptions phéniciennes où leur nom est souvent précédé de
rabbat maîtresse
; c'est ainsi que la déesse de Byblos est qualifiée de ha-rabbat Baalat Gebal la
maîtresse de Gebal[17]. A partir du
moment où les Égyptiens accueillirent dans leur Panthéon les déesses
chananéennes, ils leur conservèrent leur titre : nibît
pit dame, maîtresse du ciel ;
c'est la qualification qu'on lit dans les textes égyptiens[18]. C'était là
comme leur titre extérieur, celui qui faisait allusion à leur puissance et à
leur domaine.
Leur nom général, qui a une signification propre, est
celui d'Astartés ; les livres saints
parlent bien souvent de ces Astartés , tantôt au singulier, comme dans III ROIS, XI, 5, 33, où elle [la déesse] nous est présentée, détail à
retenir, comme la déesse des Sidoniens, tantôt et plus habituellement au
pluriel Astaroth, comme dans JUG., II, 13 ; III, 7 ; x, 6 ; I ROIS, VII, 3, 4 ; XII, 10 ; XXXI, 10 ; IV ROIS, XXIII, 13. Elles avaient même donné
leur nom à une localité, DEUT.,
I, 4 ; JOS., IX, 10 ; XII,
4 ; XIII, 12, 31 ; I CHRON.,
VI, 71[19]. Un personnage
d'origine syrienne, RABRABINA, qui nous
est connu par l'inscription d'une amulette égyptienne du Louvre, vers la XXe Dynastie,
s'intitulait fastueusement : Honnoutir Astiratou
Prophète des Astartés[20].
La déesse Astarté n'était nullement modeste : elle prenait
différentes épithètes dont chacune traduisait une de ses qualités ou de ses
fonctions, de ses vertus ou de ses vices ; cette titulataire est assez longue
et expressive ; elle nous représente dans une certaine mesure les idées
théologiques de ceux qui l'avaient fixée. Astarté s'intitulait donc : Astoreth naamah, la bonne
Astarté ; sous cette forme, elle est la déesse mentionnée par
Damascius sous le nom d'Astronoé, qui
doit être sûrement corrigée en Astronomè
(Άστρόνομη)[21]. Elle était
aussi connue sous la dénomination de : Asthoreth-Carnaïm
Astarté cornue, à cause du croissant lunaire
qui s'échancrait sur son front en guise de coiffure ; elle communiqua cette
dénomination à une ville d'au-delà du Jourdain, GEN., XIV, 5, dont elle était probablement
la déesse éponyme ; sous cette forme, elle paraît avoir été parfois
identifiée par les Égyptiens avec leur Hathor. Elle s'appelait également :
Gad, la fortune ; sous ce nom elle était
surtout connue chez les Araméens, et se trouve mentionnée dans la Bible, IS., LXV, 11 ; ce nom s'est même conservé
dans certaines localités, telles que Baal-GAD,
JOS., XI, 17 ; Magdal-GAD, ibid., XV, 37, ce qui prouve à
l'évidence qu'elle était à cette époque adorée dans les pays chananéens. Elle
se plaisait encore à s'appeler : Anath,
la modeste, nom découvert par M. De Voguë sur
une inscription phénicienne[22] ; on constate
par la lecture des saints livres que son culte était très répandu à l'époque
chananéenne, comme le démontrent les noms de certaines localités, soit au
singulier : Beth-ANATH maison d'Anath, JOS., XIX, 38 ; soit au pluriel : Beth-ANOTH maison des
Anôth, ibid., XV, 59 ; à ce moment ce nom était sans doute un
titre général servant à désigner toutes les déesses ; une de ces villes, Bît-Anîti, est mentionnée dans les listes
géographiques égyptiennes[23]. Parfois elle
devenait combattive et s'appelait : Asîti,
la belliqueuse ; sous cette forme elle est
figurée à Radésieh sur une stèle du temps de Séti Ier[24].
Cette déesse majestueuse n'était au fond que la déesse de
la volupté, et, sous ce rapport, elle s'appelait, sans doute par contraste ou
ironie : Qadishat, la sainte. La ville de QODSHOU,
capitale des Amorrhéens, lui était consacrée ; elle en était donc la déesse
éponyme et présidait à ses destinées[25].
Nous avons déjà appris par la Bible, cf. aussi IV ROIS, XXIII, 13, qu'Astarté était la
déesse des Sidoniens ; ce détail s'est retrouvé sur les inscriptions
sidoniennes, où elle est invoquée comme la divinité
maîtresse[26], comme celle
dont les rois locaux étaient les prêtres et les reines les prêtresses[27].
Dans la
Bible, EZECH.,
VIII, 14, il est question d'une autre déesse : l'amante d'ADONIS. Cette déesse était la patronne de la Phénicie ; on a
été pendant quelque temps porté à croire que c'était une déesse particulière
; en réalité, elle n'est autre qu'ASTARTÉ
; Jérémie, VII, 18 ; XLIV, 18-29, la qualifie de reine des cieux ; il en est de même chez les
classiques ; Hérodien, V, 610, nous dit : Les PHÉNICIENS
appellent Uranie la reine des astres, car ils veulent qu'elle soit la lune.
Le prophète Ézéchiel nous affirme, ibid., que des femmes assises
pleuraient Adonis ; nous verrons plus loin combien ce détail cultuel est
exact.
II. — Leurs demeures.
Ces nombreuses divinités, dont nous venons d'esquisser les
traits, étaient censées habiter principalement sur les sommets des montagnes
et des collines, sur les bamoth, hauts lieux, dont il est question dans la Bible[28] ; il est permis
de supposer qu'on dut attacher une idée symbolique à. ce choix des résidences
divines : les hauteurs de la nature ont été toujours plus ou moins regardées
comme l'expression, l'image de la puissance. C'est surtout au pays de Moab
qu'on trouve les hauts lieux la stèle de Mésa,
lig. 3, les mentionne explicitement ; et la Bible en évoque bien des fois le souvenir ;
nous connaissons déjà le Baal-HERMON,
divinité qui avait élu résidence sur la montagne de ce nom ; nous pouvons
ajouter bamoth-Baal hauts lieux de Baal, NOMB., XXII, 41 ; JOS., XIII, 17 (hébr.). La mention de ces hauts
lieux s'est conservée d'une manière assez transparente dans les textes
égyptiens ; sous Tothmès III, la ville de Haipha, d'après toutes les
probabilités, ou, en tout cas, une autre ville de la région montagneuse du
Carmel porte le nom de : Rosh qodshou cap sacré, naturellement à cause de la résidence de
quelque divinité[29]. — On sait aussi
que les divinités étaient censées habiter dans les troncs d'arbres, les asherim, asherôth[30] ; or, la Bible fait certainement
allusion à cette superstition, EXOD.,
XXXIV, 13 : coupe leurs bois sacrés ; DEUT., XVI, 21 : tu
ne planteras pas de bois sacré ni d'arbre à côté de l'autel de ton Dieu
; IV ROIS, XVII, 10 ils se dressèrent des statues et des idoles sur toute
colline élevée et sous tout arbre vert ; II CHRON., XXXIII, 3 : ... il construisit des autels aux Baals et planta des bois
sacrés et adora, toute l'armée des cieux et la servit. — On croyait
enfin qu'elles habitaient les stèles, matzebah,
netzib, ou les Betyles, maison des dieux[31] ; la Bible mentionne à maintes
reprises ces habitations ; cf., entre autres endroits, IV ROIS, X, 26, 27 ; XVII, 10.
III. — Les temples.
Au point de vue de l'art, les temples des divinités
syriennes n'avaient rien des zikurat
assyriennes, ni des temples égyptiens ; la Syrie n'a jamais été un pays d'artistes ; le
plus souvent elle se contentait de plagier ; si parfois elle s'aventurait à
se diriger toute seule, elle ne produisait que des œuvres vulgaires : ses
temples étaient de simples édifices en pierre, divisés en plusieurs
compartiments servant à des besoins multiples ; outre la cour affectée aux
rites, aux sacrifices et aux diverses cérémonies religieuses, ils comprenaient
des pièces réservées aux prêtres et aux provisions[32]. Il faut aussi
noter un autre détail, qui a son importance au point de vue biblique : c'est
que la forme de ces temples leur permettait de servir au besoin de
forteresses et de résister aux assauts de l'ennemi en temps de guerre ; de
cet usage nous avons un exemple frappant dans l'histoire d'Abimelech, JUG., IX, 27, 46-49 ; cet épisode nous
donne fort bien l'idée de ce qu'était le temple chananéen, le Beth-Élohim, le Beth-Elberith,
de Sichem ; les découvertes archéologiques n'ont fait que confirmer ces
renseignements ;dans les chaudes alertes on se retirait dans les temples pour
se défendre sous la protection des dieux contre les attaques de l'ennemi.
IV. — Le culte.
Le culte de cette armée de divinités était d'une assez
grande complication et comportait bien des variétés. La nature de la religion
aurait eu de la peine à s'accommoder d'un culte à la fois grave et simple.
Les cadres de ce culte sont cependant à peu près les mêmes que ceux de tous
les cultes de tous les temps et de tous les lieux. Tout d'abord le personnel
affecté au culte, prêtres, chanteurs, chanteuses, portiers, bouchers,
esclaves, artisans, était très nombreux ; les textes nous ont livré toutes les grandes lignes de l'organisation du
culte régulier[33].
La Bible
connaît ce personnel, et, si elle ne le décrit pas en détail, elle nous en
laisse entrevoir assez pour nous rassurer sur la valeur de ses renseignements
: JUG., . m, 20, Aod se
donne comme un messager de Dieu au roi de Moab ; III ROIS, XVIII, 19, 22-29, il est question
des 450 prophètes de Baal ; on pourrait aussi rattacher à cet ordre de faits
l'épisode de Balaam, NOMB.,
XXII-XXIV. A proprement parler, le prophétisme vrai n'appartient qu'à la
religion d'Israël, bien que le prophétisme en lui-même soit une fonction de
toutes les religions sémitiques. — A côté du personnel, les fêtes : elles
rappelaient surtout des scènes de la vie agricole et pastorale : semailles,
récoltes, vendanges, tonte des brebis ; JUG., IX, 27, nous raconte un curieux épisode qui se passa
à Sichem ; XXI, 19-23, épisode de Silo ; ce sont là des indices qui nous
représentent le caractère général des fêtes des religions syriennes ; ces
fêtes revêtaient parfois un caractère d'étrange bizarrerie ; on peut citer
comme modèle du genre celles de la déesse de Byblos ; elles avaient lieu dans
le temple d'Astarté : durant sept jours, des troupes de jeunes filles,
éplorées et meurtries, couraient par monts et par vaux, cherchant leur idole
qui avait disparu : Au solstice, dans le temps que
le sanglier avait éventré le chasseur divin et que l'été a déjà blessé le
printemps, les prêtres fabriquaient une statue en bois peint qui représentait
un cadavre préparé pour la sépulture, puis ils le cachaient dans ce qu'on
nommait les jardins d'Adonis. C'étaient des cuves en poterie remplies de
terre et plantées de blé ou d'orge, de laitues et de fenouil : on les
exposait à la porte de chaque maison ou sur les parois du temple, où leurs
touffes enduraient les ardeurs du soleil et se flétrissaient. Sept jours
durant, des troupes de femmes et de jeunes filles, échevelées ou la tête
rase, les habits en lambeaux, le visage labouré à coups d'ongles, la poitrine
et les bras meurtris ou déchiquetés au couteau, cherchaient leur idole par
champs et par monts, avec des hurlements de désespoir et des appels sans fin
: Hélas, Seigneur ! Hélas, Seigneur qu'est devenue ta beauté ? Dès
qu'elles l'avaient découverte, elles la rapportaient aux pieds de la déesse,
elles la lavaient en se montrant sa blessure, elles l'oignaient de parfums et
l'ensevelissaient dans des linceuls de laine et de toile, puis elles la
couchaient sur un catafalque, et, après s'être désolées autour d'elle selon
le rite usité aux funérailles, elles la descendaient solennellement dans la
tombe[34].
Cette suite ininterrompue de chants funèbres constituait ce qu'on appelle les
Nénies[35]. La Bible a-t-elle conservé
des traces de cette manière de célébrer des funérailles ? Lorsque le prophète
Jérémie annonce, XXII, 18, au roi Joakim, qu'on ne le pleurera pas après sa
mort, il paraît viser cet usage[36].
Aux époques de calamités et de fléaux, les prêtres se
rendaient sur les « hauts lieux » pour implorer la pitié de leur dieu ; III ROIS, 20-40 retrace la scène où les
prophètes de Baal montent au sommet du Carmel avec Elie pour obtenir de leur
dieu la fin d'une sécheresse qui désolait la contrée. A ces divinités on dressait
des menhirs, des dolmens, des cromlechs[37] ; cet usage,
expurgé, bien entendu, de sa signification idolâtrique, et réservé uniquement
à perpétuer la mémoire d'un grand événement, s'est conservé dans la Bible, GEN., XII, 6-7 ; XXVI, 23-25 ; XXVIII, 10-22
; XXXI, 45-54 ; 20 ; XXXV, 1-15, 20 ; il faut en dire autant d'autres rites
analogues ; tels que : onction d'huile, GEN., XXVIII, 18 ; XXXI, 13 ; XXXV, 14 ; immolation de
victimes, ibid., XXXI, 54.
V. — Les sacrifices.
Toutes ces divinités étaient assez portées à la cruauté ;
elles exigeaient des sacrifices sanglants, non seulement d'animaux, mais
aussi d'hommes, et cela pour apaiser leur courroux ou pour marquer leur
souverain domaine. Chez plusieurs peuplades syriennes, le premier-né de la
famille leur appartenait de droit[38]. Les traces de
ce rite se retrouvent dans la
Bible, EXOD.,
XXII, 29 ; XXXIV, 20 ; EZECH.,
XX, 26 ; MICH., VI, 7. Le
premier-né devait être racheté à prix d'argent, NOMB., XVIII, 15-16 ; parfois il pouvait
l'être soit par la substitution d'un animal, GEN., XXII, 1-13 (sacrifice d'Abraham), soit par la circoncision, EXOD., IV, 24-26 ; tous ces détails
rituels étaient communs aux populations syriennes ; Hérodote, II, 104, nous est
témoin de la pratique de la circoncision chez les Syriens de son époque[39]. — Les divinités
allaient parfois jusqu'à exiger le sang de leurs prophètes ; III ROIS, XVIII, 28, les prophètes de Baal,
voyant que leurs offrandes n'avaient pas eu de succès, se firent des incisions avec des épées et des piques
jusqu'à être aspergés de sang. Les ASTARTÉS
se distinguaient par leur férocité ; elles ne craignaient pas d'infliger à
leurs dévots des flagellations et même des mutilations ; la plupart d'entre
elles s'entouraient d'un cortège libidineux, aux titres les plus variés et
les plus significatifs : Kedeshim les saints, et par contraste hommes de plaisirs, Kedeshôt
les saintes, et par contraste courtisanes, Kelabim
chiens. Le Deutéronome, XXIII, 17-18,
paraît contenir une allusion à ces chiens ;
une inscription de Chypre a perpétué ce même titre de chien[40].
CHAPITRE II. — LA
COSMOGONIE.
De toutes les populations de l'ancienne Syrie, les
Phéniciens sont les seuls dont nous connaissions, du moins dans ses lignes
générales, la cosmogonie. Le lecteur n'aura aucune peine à reconnaître dans
cette cosmogonie un mélange d'idées chaldéo-égyptiennes et de' données
bibliques : on voit que la cosmogonie phénicienne se ressent de la situation
géographique du pays, qui était le centre où aboutissaient toutes les
expansions des empires de l'antiquité[41]. Remarquons au
préalable que cette cosmogonie n'est pas uniforme ; on admettait généralement
que Baal, le dieu suprême, est l'ouvrier de tout ce qui existe, mais son mode
d'action était diversement interprété : les uns le regardaient comme le juste,
Sîdîk, qu'une huitaine de Cabires
avaient aidé dans son œuvre[42] ; les autres
croyaient que le monde est l'œuvre d'une famille divine, dont les générations
successives ont produit les divers éléments. Colpias, le vent d'orage[43], uni au Chaos,
avait enfanté deux mortels : Oulom le temps et Kedmôn
le premier-né ; ceux-ci engendrèrent Qen et Qénath[44] qui habitèrent (possédèrent, qânâh ?) la Phénicie ; comme
une sécheresse en désolait le pays, ils levèrent les mains vers le soleil, Baal-shamîn, le maître
des cieux, pour obtenir la fin de ce fléau. A Tyr, on entrait dans
plus de détails : au commencement existait le Chaos, mais un chaos troublé et
ténébreux[45]
; un souffle, rûach[46], flottait dans
le chaos. De l'union du chaos et du souffle sortit Môt, le limon[47], qui avait la
forme d'un œuf, et qui donna naissance à toutes choses[48]. — Le soleil, la
lune, les étoiles, les grands [luminaires]
firent leur apparition et brillèrent[49]. Il y eut
ensuite des êtres vivants, mais privés d'intelligence[50], desquels
naquirent des êtres intelligents, appelés Tzôphêshamîn
contemplateurs des cieux[51]. La lutte
enfantée par la séparation des éléments suscita les éclats du tonnerre,
lesquels éveillèrent de leur sommeil ces êtres intelligents ; aussitôt les
mâles et les femelles commencèrent à se mouvoir, à se chercher, soit sur la
terre, soit dans la mer ; leur accouplement donna naissance aux phénomènes de
la génération. A partir de là les spéculations cosmogoniques de la Phénicie ne
présentent plus rien de singulier.
CHAPITRE III. — L'ANTHROPOLOGIE.
L'archéologie syrienne ne nous a livré sur ce terrain que
les données communes à tous les peuples de race sémitique. Nous n'avons qu'à
synthétiser ces données et le lecteur n'aura aucune peine à s'y reconnaître :
1° Conditions de l'âme en général.
— Les doctrines phéniciennes sur ce sujet, résumées avec beaucoup de netteté
par Perrot-Chipiez[52] et Pietschmann[53], sont absolument
analogues à celles de la Bible
; ces antiques populations étaient pénétrées des mêmes idées ; elles se
représentaient l'âme sous les mêmes couleurs, sous les mêmes aspects : les
êtres vivants, sans exception, sont animés par un souffle qui coule dans
leurs veines avec le sang ; voilà pourquoi quiconque mangeait de la chair
sanglante ou buvait du sang, absorbait par là même cette âme ; il est aisé de
reconnaître là la nephesh des Hébreux
; cf. DEUT., XII, 23 ; I ROIS, XIV, 32-34. En fait de psychologie
humaine, les peuples sémites se sont, il est vrai, élevés à des conceptions
plus hautes, niais ils les ont formulées d'une manière sensible.
2° Les tombeaux. —
Les populations syriennes enterraient les morts dans les cavernes ; les
explorations modernes ont mis ce point en lumière : c'est ainsi que dans les
tombes d'Amrît on a trouvé des débris d'étoffes, servant évidemment à envelopper
les cadavres[54]
; cela est en parfait accord avec la
Bible, qui nous atteste des pratiques de ce genre, GEN., XXIII, 3-20 ; XXV, 9-10 ; L, 13. Le
cadavre était de plus oint de par, films et enveloppé de linges, qui en
retardaient la décomposition ; les livres saints connaissent, eux aussi,
l'embaumement, II CHRON.,
XVI, 14. Lorsque la caverne était bouchée, on dressait un cype qui en
marquait la place, ou un autre monument de ce genre[55] ; cela nous
ramène aussi à la Bible,
GEN., XXXV, 20.
3° Les mânes. —
Après la mort, les mânes, rephaïm, allaient habiter une région lointaine,
un royaume quelque peu mélancolique et ténébreux. Le mot : rephaïm a dans la Bible diverses
significations ; néanmoins il indique quelquefois les morts, PS. LXXXVIII, 11 (hébr.). Il est permis de voir dans IS., XIV, 9-20, et dans EZECH., XXXII, 17-32, une description de
ce royaume des morts tel qu'on le concevait à cette époque ; et cette
conception était plus ou moins celle de toutes les races sémites ; dans
l'eschatologie syrienne, l'âme était livrée à des divinités inflexibles ; en
Phénicie, la principale de ces divinités était Maoût,
la mort ; le Psaume XLIX, 14 (hébr.), XLVIII, 15 (Vulgate), enseigne quelque chose d'analogue ; on y voit que
la mort se repaît des morts comme de brebis.
4° Le vêtement. —Je
rattache à l'anthropologie quelques détails sur le vêtement. Les monuments
nous attestent clairement qu'il était à peu près le même pour toutes les
populations de l'ancienne Syrie. La classe inférieure se contentait le plus
souvent d'une chemise jaune ou blanche, à manches courtes, flottant jusqu'à
mi-jambe ; c'est la Kethoneth des Hébreux, GEN., XXXVIII, 3, 23,31 ; EXOD., XXVIII, 40 ; LEV., X, 5, et des Phéniciens, la χιτών des Grecs ; le
dessin s'en est conservé sur les monuments[56]. Quant à la
haute classe, elle ajustait par dessus le vêtement une bande assez longue
qui, après avoir fait le tour de la poitrine, s'évasait sur les épaules en
guise de pèlerine[57]. Tout porte à
croire que cette bande est la simelah
des Hébreux, GEN., XLIV,
13 ; XLV, 22 ; DEUT.,
VIII, 4 ; XXII, 5 ; IS.,
III, 7[58].
CHAPITRE IV. — L'ETHNOGRAPHIE.
L'ancienne Syrie fut habitée, simultanément ou
successivement, par une masse de populations dont il est la plupart du temps
difficile de fixer l'origine, le caractère et l'identité. La Bible elle-même mentionne
un très grand nombre de ces populations, mais ici encore les difficultés ne
manquent pas ; si la science a pu se prononcer en toute sûreté sur certains
de ces groupes ethnographiques, pour beaucoup d'autres elle n'a pu encore
percer le mystère. La grande difficulté sous ce rapport c'est de concilier la
science et la Bible,
ou plutôt de déterminer à quelles données scientifiques correspondent les
indications bibliques. Nous essayerons de dégager les certitudes en laissant
de côté toutes les hypothèses plus ou moins fantaisistes qu'on a faites dans
certains milieux, et dont une apologétique plus enthousiaste que réfléchie a
voulu tirer trop bruyamment parti.
AMORRHÉENS. — Ce
peuple robuste occupe une très grande place dans la Bible ; son habitat est,
dans une certaine mesure ; facile à déterminer. Les
Amorrhéens avaient leur quartier général dans la Syrie Creuse autour
de Qodshou, mais une portion d'entre eux était descendue en Galilée, aux
bords du lac de Tibériade ; une autre campait non loin de la Méditerranée,
à portée de Joppé ; d'autres s'étaient fixées auprès des Hittites
méridionaux, en nombre suffisant pour que les livres hébreux appelassent parfois
d'après eux les montagnes qui surplombent vers l'Occident la mer Morte et le
val du Jourdain. On les signalait même par les plateaux qui bordent le désert
de Damas, dans les districts fréquentés des Bédouins de la souche Térachite,
Ammon et Moab, sur le Yarmouk, sur le Jabbok, à Edréi, à Hesbôn[59]. Cela concorde
avec la Bible
qui affirme la présence-des Amorrhéens près de la Méditerranée,
dans la partie montagneuse, autour de Joppé d'où les Danites ne purent les
chasser, JOS., XI, 3 ; JUG., I, 34, et dans la partie méridionale
de la Syrie, GEN., XIV, 7, 13 ; NOMB., XIII, 30 ; DEUT., I, 7, 19, 27, 44 ; JOS., x, 5-6, 12 ; leur frontière
méridionale coïncidait exactement avec la montée des scorpions au sud-ouest
de la mer Morte, JUG., I,
36. Consultons maintenant les textes étudiés par l'érudition moderne ; la
liste de Tothmès III mentionne AMAOUROU
; les savants n'ont nullement hésité à reconnaître l'identité d'Amaounou et
des Amorrhéens[60].
Ce terme : Amorrhéens, aurait une
signification assez étendue ; suivant Ed. Meyer, il indiquerait,
parallèlement à celui de Chananéens ,
les habitants de la
Palestine antérieurs à l'établissement des Hébreux ; les
monuments égyptiens signalent bien la force d'expansion et la diffusion de
cette race ; mais aucune conclusion certaine ne peut être dégagée. On peut
aussi interroger les inscriptions cunéiformes : elles désignent, par MARTOU, AKHARROU,
l'ensemble des marches méditerranéennes ; la différence entre ces deux
qualifications c'est que MARTOU serait
la forme sumérienne et AKHAROU la forme
sémitique[61].
Depuis la découverte des tablettes d'El-Amarna on a conçu des doutes sur la
lecture du mot Akharou : certains
savants pensent qu'il faut la conserver[62] ; d'autres
estiment qu'il faut la remplacer par Amourrou,
le pays des Amorrhéens[63] ; Sayce croit
que la lecture Amourrou des anciennes
époques a été remplacée par Akharrou
dans les textes de basse époque[64] ; enfin Hommel a
émis l'idée que MARTOU serait une
abréviation pour AMARTOU, c'est-à-dire
AMAR Amorrhéens
avec la terminaison féminine tou des
noms dans les idiomes chananéens[65].
Ce peuple vigoureux, les Hébreux le rencontrèrent en
pénétrant, après l'Exode, dans le pays de Chanaan : Les
Amorrhéens, ébranlés par le choc des hordes asiatiques, harcelés constamment
par les Araméens, avaient évacué les positions qu'ils avaient sur l'Oronte et
sur le Litany : ils étaient descendus vers le sud en refoulant les
Chananéens, et leur déplacement s'était accéléré à mesure que la résistance
opposée à leurs masses mollissait sous les successeurs de Ramsès III et se
réduisait à néant. Ils avaient submergé les alentours du lac de Génésareth,
les monts au sud du Thabor, le bassin moyen du Jourdain, et, s'écoulant à
travers les plateaux ondulés qui s'étendent à l'est du fleuve, ils en avaient
assailli les cités[66]. Ce sont eux
probablement qui ont légué un monument original, le seul qu'on ait encore
trouvé dans ces parages : c'est un bas-relief taillé dans un bloc de basalte
noir et représentant l'Astarté aux deux cornes, et un roi en adoration devant
elle[67] : ce roi c'est
Ramsès II ; la légende en hiéroglyphes ne se prête guère au déchiffrement ;
on croit cependant pouvoir lire le nom d'une déesse AGANA-ZAPHON, qui serait
à rapprocher de BEEL-SEPHON, EXOD., XIV, 2. Ce monument, connu sous le nom de Pierre de Job, fut découvert par Schuhmacher[68].
ARAD. — La Bible nous apprend, NOMB., XXI, 1, min, 40, qu'un Chananéen
était roi d'Arad ; elle fait aussi mention de ce pays dans JUG., I, 16. Ce nom a été découvert dans
les textes égyptiens par Birch[69] et sur les
tablettes d'El-Amarna sous la forme AROUADA,
ARADA[70].
ARAMÉENS. — Inutile
de rappeler tous les endroits de la
Bible où il est fait mention d'Aram. On avait cru jadis que
ce peuple est mentionné dans le Papyrus Anastasi III, pl. V verso, lig. 5 ; mais on ne tarda pas à
s'apercevoir qu'il y a à cet endroit une faute de scribe, qui fut corrigée sans
doute possible par Chabas[71] ; la cause ne
fut cependant pas perdue car, comme le fait justement remarquer Max Müller[72], la faute même
est une preuve de l'existence de ce peuple et de la connaissance qu'on en
avait en Égypte ; on peut donc tenir pour certain que ce peuple a sa place
dans l'archéologie.
CHANANÉENS. — Ce
peuple est familier aux lecteurs de la Bible ; il se trouve dans les textes égyptiens[73] ; on le trouve
aussi, à plusieurs reprises, sous la forme KINAKHKHI,
KOUNAKHAIOU, sur les tablettes d'El-AMARNA[74].
CAPHTORIM. — Les
textes égyptiens parlent d'un peuple nommé KEPHATIOU.
Tout laisse supposer que ces KEPHATIOU
sont identiques aux CAPHTORIM de la Bible, GEN., X, 14 ; I CHRON., I, 12. La chose est d'autant plus
vraisemblable que la grande partie des exégètes pensent que les CAPHTORIM sont les anciens habitants de l'île
de Crète et que, d'autre part, beaucoup de savants ont identifié les KEPHATIOU des textes égyptiens aux habitants
de Crète. Remarquons pourtant que le décret de Canope, lig. 9 hiérogl., lig. 17 grec, place les
KEPHATIOU en Phénicie. On pourrait néanmoins supposer que des Crétois avaient
émigré en Phénicie, ou que le décret de Canope ne donne qu'une indication
vague.
CHUS. - Recueillons
dans la Bible
les indications qui se rapportent à ce pays ; nous y voyons que Chus est à
l'est de la Palestine,
puisque Nemrod, fondateur de l'empire de Babylone, GEN., X, 10, est un chushite, ibid.,
8 ; de plus le fleuve Gehon entoure Chush, ibid., 13 (hebr.) ; le pays s'étend vers le sud ; Moïse
en effet, épouse Sephora, fille d'un prêtre madianite, EXOD., II, 21, laquelle est dite Chushite,
NOMB., XII, 1 (hebr.) ; les Chushites sont limitrophes des
Arabes, II CHRON., XXI,
16 ; enfin les Chushites sont situés au sud de l'Égypte, IV ROIS, XIX, 9 ; IS. ; XVIII, 1 ; XX, 3, 5 ; XXXVII, 9 (hébr.). Nous voyons d'autre part que, dans
tous ces passages, les Septante et la Vulgate identifient CHUSH à l'ÉTHIOPIE. — Les
monuments égyptiens s'accordent avec la Bible ; le mot khaisît
humiliée, prosternée
est l'épithète officielle de l'Éthiopie, dans les inscriptions égyptiennes ;
le pays lui-même de Kaoushou, Koush, n'est autre que l'Éthiopie : Le pays d'au-delà Semneh était une terre vierge que les
guerres antérieures avaient effleurée à peine sans jamais l'entamer et dont
le nom parait alors (sous la XIIIe Dynastie) pour la première fois sur les monuments, celui de
Kaoushou, — Kaoush l'humiliée. Il comprenait
les cantons situés au Midi, dans le coude immense que le fleuve [le Nil]
décrit entre Dongolah et Khartoum, les vastes plaines où le Nil Blanc et le
Nil Bleu promènent leur lit, les régions du Kordofan et du Darfour : il
confinait aux monts d'Abyssinie, aux marais du lac Nou, à toutes les contrées
demi-fabuleuses, où l'on reléguait les Iles des Mânes et les Terres
des esprits. Le Pouanît le séparait de la Mer Rouge, le Timihou
s'interposait, à l'Ouest, entre lui et les limites du monde. Cent tribus aux
noms étranges, blanches, cuivrées, noires, se disputaient cet espace mal
défini, les unes encore barbares ou policées à peine, les autres parvenues à
un certain degré de civilisation matérielle presque comparable à celui de l'Égypte[75].
Les textes assyriens concordent aussi avec les données
bibliques : Chus, y apparaît sous la forme KUSHU[76], il est situé au
Sud de l'Égypte : les inscriptions d'Assarhaddon (VIIIe
siècle avant notre ère) portent : Mat
Mutzur mat Kushi pays de l'Égypte et pays
de Chus[77].
Ces deux points sont certains ; une autre question connexe
avec la précédente demeure encore problématique : les textes mentionnent un
autre peuple : KASHSHOU en égyptien, KASHI, mat
KASHI en assyrien. Quel est ce peuple ?
On a fait bien des hypothèses que nous ne pouvons qu'indiquer sommairement :
les Kashshou ont été identifiés avec les Cosséens par Sayce[78], Schrader[79], Fr. Delitzsch[80], Tièle[81], Jensen[82], Halévy[83], Hommel[84]. Oppert[85]
et Lehmann[86]
soutiennent qu'ils répondent aux KISSIENS
d'Hérodote (III, 91, VII, 62) et de
Strabon (XV, 32, p. 728), c'est-à-dire
aux habitants de la région dont Suse était la capitale. Winckler[87] ne se prononce
pas. Enfin Kiepert[88] et d'autres
savants pensent que les KISSIENS des
auteurs classiques sont les mêmes que les COSSÉENS.
HÉTHÉENS. — Ce
peuple, sur les origines duquel il règne tant de mystères, est bien souvent
mentionné dans la Bible,
GEN., XXIII, 3-20 ; XXV,
9-10 ; XXXVI, 34 ; XLIX, 29-30 ; NOMB.,
XIII, 30 ; JOS., XI, 3 ;
son histoire a soulevé parmi les savants bien des discussions dont on peut
voir les traces dans Stade[89]. Les Héthéens
sont mentionnés dans la liste de Tothmès III, qui les rencontra, vers le XVIe
siècle, établis entre l'Afrîn et l'Euphrate ; la vocalisation égyptienne de
leur nom est KHÎTI ; la vocalisation
assyrienne des textes d'El-Amarna est KHATI,
KHATÈ.
HORIM, HORITHES. — Il est question de ce peuple dans GEN., XIV, 6, sous la forme CHORRÉENS ; XXXVI, 22 ; DEUT. , II, 1.2, 22. Les textes égyptiens
mentionnent les KHAROU. Haigh et Stern
ont identifié, contre Max Müller, ces KHAROU,
KHAOURI avec les HORIM de la Bible[90].
LOTANS. — Clan
édomite, mentionné dans GEN.,
XXXVI, 20. Les textes égyptiens parlent d'un peuple appelé LOTANOU ou, par changement de l en r,
ROUTANOU. F. de Saulcy[91], Haigh[92] et Renan[93] ont rapproché
les LOTANOU des textes égyptiens des LOTANS de la Bible.
PHILISTINS. — On
sait que ce peuple a une importance capitale dans la Bible ; aux temps
historiques, il est presque continuellement aux prises avec Israël. Sur
l'origine de ce peuple commençons par recueillir les indications contenues
dans les livres saints : on constate qu'ils sont originaires de Caphtor [= île de Crète] ; Jérémie, XLVII, 4 (hébr.), les appelle : le reste de l'île de Caphtor ; d'après Amos,
IX, 7 (hébr.), Iahveh
les avait fait monter de Caphtor ; sans être aussi explicite, le Deutéronome
affirme, II, 23 (hébr.), que les CAPHTORIMS, issus de Capthor, chassèrent les AVVIM, qui habitaient dans des hameaux jusqu'à
Gaza, les détruisirent et habitèrent en leur place[94]. La tradition
classique coïncide exactement avec les données bibliques ; les savants
modernes sont unanimes à admettre que les Philistins sont originaires de
l'île de Crète, mais ils ne s'entendent pas sur leur souche ethnographique,
vu que l'île de Crète fut occupée par des races diverses : Stade[95] pense qu'ils
descendaient des colons sémitiques établis en Crète à l'époque préhellénique
et éliminés peu à peu par les invasions achéennes ; il paraît cependant plus
probable qu'ils appartenaient à l'une dés tribus non sémitiques établies dans
l'île et qu'ils étaient alliés à la Grèce insulaire et continentale[96]. Renan[97] est même allé
plus loin ; il pense qu'un certain nombre de mots grecs qu'on rencontre dans
l'hébreu, tels que : prbr, I CHRON., XXVI, 18 περίβολος
; mikr, SOPH., II, 9, μάκαιρα
; pilgesh, GEN., XXV, 6 etc., πάλλαξ, proviennent de leur
langage. ACHIS, roi de Geth, I ROIS, XXI, 10 ; XXVII, 2 ; XXVIII, 1 ;
XXIX, 6 ; III ROIS, II,
39, doit être un philistin ; ce nom apparaît déjà dans les monuments
égyptiens, dès la XIXe Dynastie[98], et dans les textes
assyriens sous Sargon[99].
Les historiens contemporains décrivent ce peuple sous des
couleurs où il est aisé de reconnaître les traits de la Bible : Un décret de Pharaon avait assigné une patrie nouvelle aux
débris des nations de la Mer
: aux Philistins proprement dits, les villes les plus rapprochées de l'Égypte,
entre Raphia et Joppé ; aux Zakkala, la forêt et la côte au nord des
Philistins, jusque vers les comptoirs phéniciens de Dor et du Carmel. Ce fut
une colonie militaire, dont la population se concentra presque entière dans
les cinq forteresses qui commandaient la Shéphélah. Gaza
et Ashdod, séparées de la Méditerranée par l'épaisseur des dunes, n'y
possédaient qu'un maiourna [=
port], une simple marine, quelques maisons et
quelques magasins rangés à l'orée d'une plage ouverte, sur laquelle il
fallait tirer les navires au sec. Ascalon était bâtie à la terre même, près
d'un havre où la moindre de nos frégates modernes n'aurait pu entrer, mais où
les vaisseaux mesquins des Anciens se carraient à l'aise : les Philistins en
firent leur arsenal maritime, le port où leurs flottes s'armaient pour
exercer la police des eaux égyptiennes ou pour pratiquer la piraterie à leur
compte dans les parages de la Phénicie. Ekron et Gath surveillent la lisière
orientale de la plaine, aux points où elle était le plus sérieusement menacée
par les gens de la montagne, par les Chananéens d'abord et bientôt par les
Hébreux. Les soudards étrangers se -modifièrent vite au contact des indigènes
: les rapports journaliers, puis les mariages avec les filles du pays,
substituèrent la langue, la religion, les mœurs de la race ambiante à celles
de leur contrée première. Les Zakkala, moins nombreux sans doute, perdirent
bientôt jusqu'à leur nom, et ce fut tout au plus si les Philistins gardèrent
le leur : au bout d'une ou deux générations, les poulains de Palestine
ne parlèrent plus que l'idiome de Chanaan, où quelques mots du patois
hellénique surnageaient à peine. Leurs dieux furent désormais ceux des villes
où ils résidaient, Marna et Dagon à Gaza, Dagon à Ashdod, Baalzeboub à Ekron,
Derketo dans Ascalon ; leurs cultes furent les cultes locaux avec leur mélange
de cérémonies obscènes et de rites sanglants. Deux choses seulement leur restèrent
de leur passé, le souvenir très net d'une origine lointaine, et le
tempérament batailleur qui les avait guidés par mainte aventure des rivages
de la mer Égée aux frontières de l'Égypte. Ils se rappelèrent leur île de
Caphtor, et leurs voisins les désignèrent encore longtemps par l'épithète de
Crétois dont ils se glorifiaient eux-mêmes[100]. Gaza jouissait d'une sorte d'hégémonie que justifiait
l'importance de sa situation pour la guerre et pour le trafic, mais cette
suprématie était un peu précaire et ne lui valait en aucune sorte le droit de
s'immiscer dans les affaires intérieures des autres confédérés. Chacun de
ceux-ci obéissait à un chef militaire, à un Serén : à Gath, où la proportion
d'éléments chananéens était plus considérable que partout ailleurs, le Seréa
était héréditaire et recevait le titre de roi, melek. Les cinq Sarnîm
se réunissaient en conseil pour délibérer des affaires et pour offrir les
sacrifices au nom de la
Pentapole. Ils étaient libres de contracter des alliances
ou de se mettre en campagne chacun de son côté, mais, dans les occasions
décisives, ils opéraient en commun à la tête de tous leurs contingents
coalisés. Leurs armées comprenaient des archers très adroits, une grosse
infanterie munie de piques, un corps de chars où les princes et l'élite de la
nation servaient. Tout ce monde portait la chemise d'écailles imbriquées et
le casque d'airain, la rondache, l'arc, la lance, l'épée large et solide en
bronze ou en fer. La tactique était probablement celle des bandes
égyptiennes, l'une des plus savantes qu'il y eût alors en Orient. Bien
conduits et rangés dans des positions convenables aux manœuvres de leur
charrerie, les Philistins n'avaient rien à redouter des milices que leurs
adversaires pouvaient aligner contre eux. Il est certain qu'aux premiers
temps du moins de leur séjour en Syrie, ils continuèrent à écumer les mers
avec succès, ainsi qu'ils l'avaient accoutumé avant leur capture par Ramsès
III, mais la mémoire d'une seule de leurs expéditions a survécu ; une escadre
sortie d'Ascalon détruisit la flotte sidonienne et saccagea Sidon, pendant
les dernières années du XIIe siècle. Si intense que l'activité de leurs
corsaires dût être au début, elle paraît s'être ralentie assez promptement :
c'est comme soldats qu'ils sont célèbres, c'est sur terre qu'ils frappèrent
leurs grands coups. La place géographique de leur pays le rendait en effet un
lieu de passage obligé pour les caravanes qui faisaient la navette entre
l'Afrique et l'Asie. Le nombre en était considérable, car l'Égypte, trop
faible désormais pour conquérir, demeurait encore l'un des foyers de
production industrielle, et l'un des marchés les plus animés qu'il y eût en
Orient. Une part énorme de son commerce avec l'extérieur s'écoulait par les
bouches du fleuve, et les Phéniciens l'accaparaient presque entière ; l'autre
suivait les routes de terre, et c'était celle qui circulait sans discontinuer
à travers les marches philistines. Celles-ci s'allongeaient entre la Méditerranée
et les derniers ressauts du désert méridional, comme un couloir étroit où
toutes les voies qui menaient des royaumes du Nil à ceux de l'Euphrate
aboutissaient nécessairement. La principale était encore celle qui franchit
le Carmel vers Mageddo et qui s'élève par la double vallée du Litany et de
l'Oronte : elle ralliait d'espace en espace les routes secondaires, celle qui
arrive de Damas vers le Thabor et vers la plaine de Jezréel, celles qui
débouchent du plateau de Galaad vers Ekron et vers Gath par les gués du bas
Jourdain. Les Philistins se chargèrent, à l'exemple et à l'instigation des Égyptiens,
d'entretenir le tronçon qui était entre leurs mains et même d'assurer la tranquillité
des voyageurs qui se confiaient à leurs soins, aussi loin qu'ils pouvaient
atteindre avec ce dont ils disposaient de soldats : ils exigèrent en échange
de leurs bons offices les mêmes droits de transit que les Chananéens avaient
perçus avant eux[101].
SAMARÈENS. — GEN., X, 18, parle de ce peuple ; E. de
Rougé[102]
découvrit la mention de ce même peuple dans les Annales de Tothmès III.
CHAPITRE V. — LA
GÉOGRAPHIE.
ACCAÏN. — Cette
ville est mentionnée dans JOS.,
XV, 57. La liste de Tothmès III parle d'une ville du nom d'AKON[103] ; est-ce la
même que l'Accaïn de la Bible
? Les savants n'osent se prononcer avec pleine assurance.
ACHZIB. — JOS., XV, 44. La liste de Tothmès III
mentionne une ville du nom d'AKSAPOU,
dont Brugsch a reconnu le premier le site[104]. Tout semble
insinuer qu'il s'agit là d'une seule et même ville, bien que la chose ne soit
pas certaine.
AÏALON. — JOS., X, 10 ; 42, etc. Cette ville est
mentionnée sur les tablettes d'El-Amarna[105].
ANAHARAT. — JOS., XIX, 19. La liste de Tothmès III
mentionne une ville du nom d'ANOUKA-ROUTOU, découverte par E. de Rougé[106].
APHECA. — JOS., XIII, 4 ; XV, 53. Sur la liste de
Tothmès III (n° 66), on trouve une
ville du nom d'APHOUKIM ; il y avait
aussi en Phénicie un bourg du nom d'APHAKA,
où l'Adonis prend sa source[107] ; au temps de
l'empereur Julien, on voyait encore à Aphaka un temple d'Aphrodite et
d'Adonis[108].
Il est presque certain que dans le premier cas nous avons affaire à l'Apheca
biblique.
ARAC. — GEN., X, 17. Cette localité figure
peut-être, sous la forme IRKATA, IRKAT, sur les tablettes d'El-Amarna[109] ; elle figure
sûrement :dans les textes assyriens[110] ; elle a repris
de nos joues son vieux nom phénicien de TELL-ARKA[111].
ASCALON. — JUG., I, 18 ; XIV, 19 ; I ROIS, VI, 17, etc. Cette ville a été
découverte dans les textes égyptiens sous la forme ASKALOUNA[112].
BEROTH. — JOS., IX, 17. La liste de Tothmès III
mentionne une ville du nom de BEEROT[113].
BETHORON.
— JOS., X, 10. Cette
localité est mentionnée sur la liste de Sheshonq[114].
BÎTANÎTI. — La liste
de Tothmès III mentionne sous le n° 111, une ville de ce nom : BÎT-ANÎTI,
avec variante BÎT-BANÎTI. Le nom doit probablement venir de ce
qu'il y avait, dans cette localité, un temple consacré à Anat. G. Maspero a
identifié cette ville à l'ANATHOT de la
Bible[115].
BÎTZÎTTI. — Les
textes assyriens parlent d'une localité de 'ce nom située sur les côtes
phéniciennes. Les savants ne sont pas d'accord sur son identification. Dans la BETHSETTA de la Bible, JUG., vil, 23, nous avons le même nom,
mais le sens ne correspond pas.
BOSRA. — GEN., XXXVI, 33 ; AM., I, 1.2, etc. Les
tablettes d'El-Amarna mentionnent une ville du nom de BOZROUNA[116].
CANA. — JOS., xix, 28. Cette ville a été découverte
sur la liste de Tothmès III par E. de Rougé[117].
CART-NIZANOU [= la
cité fleurie]. — La liste de Tothmès III mentionne une ville de ce nom
; c'est probablement la CARTHA de Zabulon, JOS., XXI, 34.
CEDÈS. — Deux villes
de ce nom méritent d'être signalées au point de vue de nos études ; la
première est une ville chananéenne mentionnée dans la Bible, sous la forme CADIS ; JOS., XII, 32 ; XIX, 37 ; JUG., IV, 11 ; IV ROIS, XV, 29, etc., c'est très
probablement cette ville qui est nommée dans le Papyrus Anastasi I,
pl. 19, lig. 1, sous la forme KADSHÊ, QODSHOU[118]. La seconde
ville de ce nom était la capitale des Héthéens, ou des Amorrhéens, car on n'a
pas pu toujours distinguer exactement ces deux peuples ;, on suppose que
cette ville n'est pas mentionnée dans la Bible ; c'est une erreur ; pour l'y retrouver,
il suffit de corriger une fuite de copiste : II ROIS, xxiv, 6, les officiers de Joab,
après avoir fait le recensement du pays à l'est du Jourdain, se rendent, en
remontant vers le nord, dans la terre [des]
inférieurs de Chodshi » (hébr. massor.)
; la terre inférieure de Hodsi (Vulg.) ; il est évident que cette leçon n'a
aucun sens ; il faut donc corriger le texte hébreu et lire : érétz ha-Chîthim, Qadeshah, dans la terre des Héthéens, à Cédés. Cette ville,
située sur l'Oronte, et qui revient assez souvent dans les textes égyptiens,
est signalée dans la Bible.
CEILA, CEILAM. — JOS., XV, 44 ; I ROIS,
XXIII, 1. C'est probablement la
KEILAT des textes assyriens[119].
CHARCAMIS. — II CHRON. , XXXV, 20 ; IS., X, 9 ; JER., XLVI, 2. Cette ville a été
découverte sur la liste de Tothmès HI, sous la forme GARGAMÎSH, KARKAMÎSHA[120].
DORAM. — I MACH., xv, 19, 13, 25 ; mentionnée sur la
liste de Tothmès III, n° 39, sous la forme ADORA[121].
DOTHAÏN. — GEN., XXX cm, 17 ; JUD., IV, 5 ; VII, 3 ; c'est DOUTINA des textes égyptiens[122].
ELISA. — EZECH. , XXVII, 7 ; identifiée avec ALASIA de la liste de Tothmès III par Conder[123].
EMATH. — NOMB., XXXIV, 8 ; JOS., XIII, 5 ; IV ROIS, XIV, 28, etc. ; mentionnée sur la liste
de Tothmès III, sous le n° 122[124].
GABAA. — Ville de la
tribu de Benjamin ; mentionnée sur la liste de Tothmès III (n° 114), sous la forme GABA.
GABAON. — JOS., IX, 3, etc. ; cette localité est
mentionnée sur la liste de Sheshonq.
GAZA. — Cette ville,
qui est souvent mentionnée dans la
Bible, l'est aussi dans les textes égyptiens.
GAZER. — JOS., X, 33, etc. ; cette localité est
mentionnée dans la liste de Tothmès III, sous le n° 104[125].
HAPHARAÏM. — JOS., XIX, 19 ; elle est mentionnée sur la
liste de Sheshonq.
HARAN. — GEN., XI, 31-32, XII, 5. Les savants ne sont
pas d'accord sur l'identification de cette ville : Finzi[126] et Schrader[127] l'ont
identifiée avec KHARRANOU des textes
assyriens, la ville du dieu Sin en Mésopotamie ; Halévy[128] et Renan[129] y voient le HAURAN de Syrie.
JEBLAAM. — JOS., XVII, 11 ; cette localité est
mentionnée sur la liste de Tothmès III (n° 43),
sous la forme IABLAAMOU[130].
JOPPÉ. — II CHRON., II, 16 ; JON. , 1, 3 ; cette ville est mentionnée
sous la forme JAPOU, JAPHOU, avec les jardins qui l'entourent, dans le Papyrus
Anastasi I, pl. XXV, lig. 2-5.
JOURDAIN. — Ce
fleuve est mentionné, sous la forme de JOURDOUNA,
dans le Papyrus Anastasi I, pl. XXIII,
lig. 1.
LACHIS. — JOS., X, 3, 31 ; XII, 11 ; IV ROIS, XIV, 19 ; mentionnée sur les
tablettes d'El-Amarna[131].
LAÏS. — JUG., XVIII, 16 ; I ROIS, XXV, 44 ; identifiée avec LAISA de la liste de Tothmès III, par E. de
Rougé[132].
LIBAN et ANTELIBAN. — Le mot sémitique est LEBANON, en assyrien Lebnana ; la signification est, pense-t-on
communément, [montagne] blanche. Les Amorrhéens appelaient l'Anté-Liban SANIR, DEUT.,
III, 9 ; I CHRON., V, 23
; dans les textes assyriens il a la forme SANIROU[133].
MAGDAL-GAD — JOS.,
XV, 37 ; identifiée avec MIGDOL de la
liste de Tothmès III (n° 71) par Mariette
; Les listes géographiques, p. 34.
MAGEDDO. — La Bible parle bien souvent
de cette ville ; elle est aussi mentionnée dans les textes égyptiens, car
elle fut le théâtre d'une grande bataille sous Tothmès III[134].
MAGETH. — I MACH., V, 26, 36 ; cette ville a été
identifiée avec MAQATO de la liste de Tothmès
III (n° 30) par E. de Rougé[135].
MAHANAÏM. — GEN., XXXII, 2 ; mentionnée sur la liste
de Seshonq.
MARETH. — JOS., XV, 59 ; cette localité est
probablement MARATH des anciens textes,
aujourd'hui AMRIT, dont Renan[136] a décrit les
ruines.
MEROM. — JOS., XI, 5, 7, ou mieux MÉROMÉ, JUG., V, 18 ; cette localité a été identifiée avec MAROMA de la liste de Tothmès III par Brugsch[137].
ONO. — Ville de la
tribu de Benjamin, I CHRON.,
VIII, 12, etc. ; elle est mentionnée sur la liste de Tothmès III (n° 65).
RABBATH. — DEUT., III, 11 ; variante RABBA, JOS.,
XIII, 25, etc. ; cette ville est mentionnée sur la liste de Sheshonq.
RAPHAÏM. — GEN., XV, 20 ; JOS., XII, 4, etc. ; le Papyrus
Anastasi I, pl. XXVII, lig. 7-8,
mentionne une ville du nom de RAPIHOUI[138] ; d'autre part,
les inscriptions assyriennes du temps de Sargon II mentionnent cette même
ville sous la forme RAPIKI[139]. Aurait-elle
des rapports avec les Raphaïm bibliques ?
SAREPHTA. — III ROIS, XVII, 9, 10 ; ABD., 20 ; cette localité sidonie.nne fut
reconnue pour la première fois dans les textes égyptiens par Hincks[140].
SHEPHELA. — Ce mot
signifie plaine basse ; il est appliqué par la Bible, JOS., XI, 16 ; JER., XXXII, 44 ; XXXIII, 13 (hébr.) à toute la plaine côtière, qui
s'étend de Gaza à Joppé ; les expéditions égyptiennes connaissaient fort bien
cette bande de terrain.
SICHEM. — Cette
ville est trop connue pour que l'on s'y arrête longtemps.
SINÉE. — GEN., X, 17 ; se trouve mentionnée dans
les textes assyriens[141].
SOCHO. — Ville de la
tribu de Juda, III ROIS, IV,
10 ; elle a été identifiée avec SAOUKA
de la liste de Tothmès III (n° 67) par
Mariette[142].
SUNEM. — JOS., XIX, 18 ; I ROIS, XXVIII, 4 ; IV ROIS, IV, 8 ; cette localité a été
reconnue dans les listes égyptiennes par E. DE
ROUGÉ[143].
THANACH. — JOS., XXI, 25 ; cette ville a été reconnue
sur la liste égyptienne de Sheshonq par Osburn[144].
TYR. — Cette ville
est familière aux lecteurs de la
Bible ; elle est mentionnée dans les textes d'El-Amarna,
sous la forme ZOUROU, ZOURRI[145] et dans les
textes égyptiens avec la prononciation ZAOURA,
ZAOUROU[146]. La légende
rattachait sa fondation à Ousôos, le chasseur, qui soutint une lutte terrible
avec son frère jumeau SAMEMROUN, adonné
à l'agriculture ; il fonda la vins en pleine mer et l'appela Tyr, Rocher[147]. Ousôos, tel
qu'il apparaît dans la légende, ressemble fortement à l'Hercule grec ; c'est
un terrible lutteur et un puissant chasseur[148]. Dans la suite
des temps, Tyr, par suite de sa situation géographique, acquit une importance
commerciale de premier ordre ; elle devint la reine de la Méditerranée,
et ses habitants furent les plus hardis navigateurs de l'antiquité ; cet état
de prospérité répond exactement à la description que fait de Tyr le prophète Ézéchiel
(XVIII).
CONCLUSION.
La Bible
se reflète donc dans une masse de détails archéologiques de l'ancienne Syrie
; les renseignements qu'elle nous fournit, bien que fragmentaires, sont d'une
exactitude incontestable. La
Syrie fut, dans l'antiquité, le théâtre de grands
bouleversements ; les événements historiques, qui se produisirent sur son sol,
amenèrent fatalement une fusion ou un syncrétisme complexe de races, d'idées
et de religions ; toute son archéologie porte l'empreinte de cet état de
choses ; loin d'être simple, rudimentaire et, pour ainsi dire, uniforme comme
celle de beaucoup d'autres peuples ; elle revêt un caractère de confusion ;
les éléments les plus disparates s'y combinent et s'y entrecroisent, et c'est
ce qui rend difficile la tâche du savant, qui veut s'orienter sur ce terrain.
On est obligé de reconstruire avec des matériaux dispersés, et voilà pourquoi
l'édifice manque d'unité et de symétrie. Ce qu'il faut avant tout retenir,
c'est que la Bible,
dans ce qu'elle dit, montre qu'elle connaît bien les conditions de la Syrie antique : si
l'archéologie syrienne nous donne une intelligence rationnelle et objective
de certaines données des livres saints, la Bible à son tour est une précieuse source pour
l'histoire des populations syriennes ; des choses qui paraissaient jadis
incompréhensibles, ou dans lesquelles on se plaisait à ne voir que des
symboles et des allégories purement imaginaires, sont en réalité très
naturelles et très ordinaires ; à mesure que ces études progresseront, on
constatera de plus en plus que la
Bible, loin d'être un recueil de légendes et de récits
enfantins, est pénétrée d'une puissante réalité historique ; et pour la bien
comprendre on n'aura qu'à interroger les diverses sciences qui ont laissé sur
son contenu des traces ineffaçables.
FIN DU TROISIÈME ET DERNIER TOME
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