INTRODUCTION.
CHAPITRE I.
— LES HARMONIES DE LA BIBLE
ET DE L'ÉGYPTOLOGIE.
CHAPITRE II.
— LES PRÉTENTIONS DU RATIONALISME.
CHAPITRE III.
— SUPÉRIORITÉ DE LA BIBLE.
CONCLUSION.
INTRODUCTION.
Personne ne conteste plus aujourd'hui l'importance de
l'Égyptologie par rapport à la
Bible. On pouvait, autrefois, négliger jusqu'à un certain
point les inscriptions égyptiennes, parce qu'on n'en comprenait assez ni la
portée ni la signification. Les découvertes les plus récentes, fruit d'un
long et pénible travail, nous ont montré de la manière la plus nette tout ce
que l'égyptologie peut projeter de lumière sur un grand nombre de questions
bibliques. Le peuple d'Israël a été, surtout à une période de son histoire,
trop souvent en contact avec l'empire des Pharaons, pour qu'il ne se soit
conservé, dans les monuments et les textes, quelques traces de ces relations.
Sous bien des rapports, l'égyptologie sert à confirmer la vérité de certains
récits ou événements bibliques, et, par conséquent, à asseoir, dans une
certaine mesure, l'autorité humaine des saints Livres. — Les textes égyptiens
ne côtoient pas naturellement toute l'Histoire du peuple hébreu. La plupart
se rapportent aux origines mêmes de cette Histoire ; quelques-uns ont trait à
la période des rois. C'est dire que l'égyptologie touche avant tout au
Pentateuque. Elle se trouve engagée dans ce Recueil, qui est le fondement de
toutes les Institutions du peuple hébreu ; elle n'a que très peu de rapports
avec le reste de la Bible.
De grands faits racontés dans le Pentateuque se sont passés
en Égypte. On est, dès lors, en droit de se demander si les textes égyptiens
sont venus corroborer les récits et les affirmations du recueil mosaïque ;
et, s'il en est ainsi, il reste à déterminer autant que possible jusqu'à quel
point les conclusions tirées de l'étude des monuments égyptiens concordent
avec les données bibliques.
Les textes égyptiens, qui embrassent une période d'à peu
près cinquante siècles, remplie par les trente Dynasties pharaoniques, nous
ont été conservé dans trois sortes d'écriture : l'écriture hiéroglyphique, l'écriture hiératique, l'écriture démotique. La première, qui parait être la plus
ancienne, ne s'employait guère que sur les monuments publics ou privés :
c'est l'écriture des Inscriptions gravées sur les statues et les murailles ;
c'est aussi l'écriture des Inscriptions des Pyramides, des hypogées, des
temples de Dendérah, d'Abydos, d'Edfou et de Karnak, des nombreux sarcophages
découverts dans les nécropoles de Thèbes, de Memphis et du Delta, des
statuettes funéraires enfouies dans ces mêmes nécropoles. — L'écriture
hiératique est une simplification de la première on l'employait dans les usages
de la vie courante et journalière ; c'est l'écriture des papyrus ; elle fut
adoptée par les prêtres, les médecins et les personnes privées pour la
rédaction des rites et des cérémonies placés à côté des momies dans les
sarcophages, des formules magiques, des nouvelles, des poèmes, et surtout
pour la correspondance épistolaire. — Entre la XXIe et la XXVe Dynastie, on
simplifia l'écriture hiératique elle-même pour la commodité des transactions
commerciales, les usages domestiques, et aussi pour la rédaction des contrats
à partir du règne de Shabaka et de Tharaqa. C'est de là que sortit l'écriture
démotique, dont le déchiffrement présente le plus de difficultés, à cause de
l'extrême simplicité des signes.
Le véritable initiateur dans le déchiffrement des
hiéroglyphes fut un Français, François Champollion ou Champollion le Jeune,
ainsi appelé pour le distinguer de son frère, Champollion-Figeac. Avant lui
on avait fait, il est vrai, quelques essais ; mais ces essais étaient restés infructueux,
parce qu'on n'avait pas encore trouvé la bonne méthode. Cet honneur était
réservé à Champollion. Avec lui on sortit des tâtonnements et des conjectures
plus ou moins arbitraires pour entrer dans une voie rationnelle et suivie. A
sa mort, arrivée en 1832, Charles Lenormant et Nestor l'Hôte, en France ;
Salvolini, Rosellini et Ungarelli, en Italie ; et bientôt après, Leemans, en
Hollande ; Osburn, Birch et Hincks, en Angleterre ; Lepsius, en Allemagne,
s'appliquèrent à marcher sur ses traces. D'autres ne tardèrent pas à les
suivre et firent faire de notables progrès à l'égyptologie : en France, Em.
de Rougé, de Saulcy, Manette, Chabas, Devéria, de Horrack, Lefébure, Pierrot,
J. de Rougé, Grébaut, Révillout, Bouriant et spécialement G. Maspero ; en
Allemagne, Brugsch, Dümichen, Lauth, Eisenlohr, Ebers, Stern, de Schack,
Erman, Wiedemann ; en Autriche, Rheinisch et de Bergmann ; en Hollande,
Pleyte ; en Norvège, Lieblein ; en Suède, Piehl ; en Russie, Golénischeff et
de Lemm ; en Angleterre, Goodwin, Lepage-Renouf, Budge ; en Italie, R.
Lanzone, Rossi et Ernest Schiaparelli ; en Suisse, Naville. Le progrès ne
fera que s accentuer de plus en plus à l'avenir, et peut-être que l'époque
n'est pas loin où il nous sera donné de lire les œuvre littéraires des
Égyptiens arec autant de certitude, sinon de facilité, que les chefs-d'œuvre
de la Grèse
et de Rome.
Dans ce travail, où l'espace m'est limité par la nature
même de la publication, je viserai surtout à exposer les résultats qu'on peut
regarder comme certains, à l'heure actuelle, ou du moins qui sont très
fondés. Je ne me permettrai que quelques courtes et rares considérations sur
certains points qui intéressent les catholiques, bien que l'égyptologie n'ait
apporté jusqu'ici aucun témoignage concluant en leur faveur.
CHAPITRE PREMIER. — Les harmonies de la Bible et de l'égyptologie.
I. — LE RÉCIT DE LA CRÉATION DE L'HOMME.
La Genèse,
au chapitre II, verset 7, contient une seconde relation de la création de
l'homme. Ce passage nous décrit d'une manière sensible la manière dont Dieu s'y
prit pour former le premier homme. Le texte sacré, dans sa concision,
s'exprime ainsi : Le Seigneur Dieu forma donc
l'homme avec du limon de la terre ; il souffla sur son visage un souffle de
vie, et l'homme devint vivant et animé. — Ce récit à la fois si
expressif et si accessible à l'imagination populaire se rencontre presque
identique dans les monuments égyptiens. Suivant la plus ancienne cosmogonie
de l'Égypte, le dieu Phtah avait modelé l'humanité de ses propres mains.
Aussi Phtah est-il représenté, à Philæ et à Dendérah, entassant sur le tour à
potier la quantité d'argile plastique d'où il va tirer un corps humain. Les
égyptologues, par une habitude invétérée, mais fausse, appellent encore assez
généralement cette masse d'argile l'œuf du monde.
En réalité c'est la masse de terre d'où sortit l'homme sous l'action du dieu
Phtah. Le dieu Khnoumou avait aussi façonné l'humanité sur le tour à potier.
Voilà pourquoi il s'intitule, à Philæ, le potier
façonneur des hommes, le modeleur des dieux. Cette fonction de
Khnoumou fut représentée bien des fois sur les peintures décoratives. Ainsi,
itnilce le dieu pétrit les membres d'Osiris, qui était le mari de l'Isis
locale ; dans un tableau du temple de Louxor, il est représenté assis sur son
siège, achevant de modeler le roi Aménôthès III et son double[1], lesquels sont
figurés par deux enfants, debout devant le dieu, coiffés de la tresse de
cheveux et parés du collier. Le premier enfant, celui qui est le plus près de
Khnoumou, porte le doigt à ses lèvres, tandis que le second a les deux bras
pendants le long du corps ; le dieu pose une main sur la tète de l'un des
deux enfants, et l'autre sur la tète de l'autre enfant. A Ermont, on le voit
occupé à faire le corps d'Harsamtaoui ou, plus exactement, la figure de Ptolémée
Césarion, fils de Jules César et de Cléopâtre, qu'on identifiait à
Harsamtaoui. Il est impossible de ne pas être frappé de la parenté qui existe
entre le récit génésiaque et les monuments égyptiens. La seule différence qui
mérite d'être signalée, c'est que la conception égyptienne parait avoir un
caractère plus anthropomorphique que celle de la Bible.
II. - L'ANTHROPOLOGIE.
Pour certaines données anthropologiques, qu'on pourrait
appeler, sans trop d'inconvénients, des données dogmatiques, l'égyptologie est
d'accord avec la Bible
; on constate une grande ressemblance d'idées et d'images. Nous mentionnerons
les deux points les plus importants : la nature
de l'homme et l'immortalité de l'âme.
1° La nature de l'homme.
— D'après la Bible
— et les passages sont trop nombreux pour qu'il soit nécessaire de faire des
citations — l'homme se compose de deux substances, l'âme et le corps,
lesquelles ne forment qu'un seul être, qu'une seule personne. La distinction
de l'Aine et du corps est une doctrine familière à nos saints Livres. Elle
revient très souvent sous la plume des écrivains sacrés. — Pour les
Égyptiens, l'homme se composait aussi de deux parties, l'âme et le corps. Ce
point est indiscutable. Sans doute les Hébreux eurent de l'âme une conception
plus haute et, pourrions-nous dire, plus philosophique que les Égyptiens ;
sous l'image sensible de souffle et de vent, ils n'en affirmèrent pas moins sans aucune
équivoque la simplicité et la spiritualité de l'âme, de la néfesh et du ruah.
Cette donnée ne présente pas dans les théories égyptiennes le même degré de
clarté. Toutefois on constate, même chez les Égyptiens, un effort constant,
une tendance générale à se représenter l'âme, ka
ou ba, comme un élément subtil, agile
et volage. On peut dire que c'est là
le caractère commun à toutes les représentations qu'ils se formèrent de
l'âme. Tantôt ils concevaient l'âme comme un insecte, un papillon, une
abeille ou mante religieuse ; tantôt ils se la figuraient comme un oiseau,
l'épervier ordinaire, ou l'épervier à tête humaine, comme un héron, une grue,
qui s'appelait en égyptien, bi, ba. L'âme était aussi pour eux l'ombre noire, khaibît, qui s'attache à tous les corps ; elle
était enfin une espèce d'ombre claire, semblable à l'image qu'on aperçoit de
soi-même à la surface d'une eau calme et limpide ou d'un miroir poli, une
projection de la figure humaine, le double enfin, ka,
qui reproduisait dans ses moindres traits l'image de l'individu auquel il
appartenait. Sous ce dernier rapport l'âme nous apparaît comme une espèce de dédoublement, de rayonnement
de la personnalité. On sait que les Hébreux employaient le mot néfesh, âme,
pour le pronom réfléchi soi.
2° L'immortalité de l'âme.
— La survivance de l'âme après la mort est formellement enseignée dans maint
endroit des saintes Écritures. — Les textes et les coutumes funéraires nous
ont appris avec certitude que In Égyptiens connaissaient et professaient
cette vérité capitale. Je me contenterai d'en donner deux preuves. Le Livre
des Morts nous décrit tout au long et dans les moindres détails ce qu'on
a justement appelé la Scène
du Jugement au tribunal d'Osiris : Cette scène est admirablement
reproduite ou représentée sur les cercueils de momies de la XXe à la XXVIe Dynastie.
Après la mort, le double comparaissait devant Osiris, le dieu des morts, pour
y rendre compte de sa vie passée. Une escorte de dieux et de déesses
introduisait le double dans une pièce immense, soutenue par des colonnes en
bois. Osiris était assis au fond dans un naos[2], dont les portes
entr'ouvertes le laissaient voir dans toute sa majesté, paré de tous les
emblèmes divins et orné ses insignes de ses attributs. Le double s'avançait
jusqu'aux pieds du trône d'Osiris, portant dans ses mains l'image de son cœur
ou de ses yeux, symboles des deux principaux agents de la vertu et du vice.
Anubis, le dieu du tombeau, et Thot pesaient son cœur dans la balance de la Vérité, en présence des
déesses qui avaient veillé sur son enfance. Le cœur était placé dans un
plateau de la balance ; dans l'autre se trouvait la Justice ou la Loi. Sur le fléau de la
balance était assis un cynocéphale, chargé de veiller à ce que le fléau
fonctionnât avec exactitude, Près de Thot se tenait un monstre, partie
crocodile, partie lion et partie hippopotame, appelé le Dévorant, prêt à détruire le cœur s'il était trouvé
léger Jans la balance. Lorsque le cœur faisait exactement équilibre à la Loi, le résultat en était
notifié aux dieux par Thot, leur scribe, les dieux déclaraient le défunt justifié, et celui-ci était conduit par Horus, fils
d'Osiris, en présence d'Osiris, auquel il faisait des offrandes. L'épreuve du
jugement étant achevée, le défunt passait dans une vie éternelle. — L'autre
preuve de l'immortalité de l'âme est tirée des sites funéraires. On
considérait le tombeau comme l'habitation du défunt, où l'aime venait de
temps en temps visiter le cadavre, pour s'unir à lui et y vivre d'une vie
semblable à celle qu'elle avait vécue sur la terre. De là, l'usage de
l'embaumement, qui avait pour but de conserver le corps le plus longtemps possible,
afin que Mme pût trouver où s'attacher dans sa visite au sépulcre.
III. — LES MOTS ÉGYPTIENS DANS LA BIBLE.
On trouve dans la
Bible, et tout particulièrement dans le Pentateuque, un
certain nombre de mots, de formules et de locutions égyptiens. C'est ce qu'on
appelle, parmi les égyptologues, des égyptianismes.
On comprendra qu'il m'est impossible de dresser une liste complète de tous
les égyptianismes contenus dans la
Bible, car un pareil travail dépasserait les limites de
cette étude. Je me bornerai aux exemples les plus saillants.
1° Les noms propres.
— C'est d'abord le mot Pharaon, en
égyptien pirou aa, qui signifie la grande maison, la grande
porte. Jadis, dans notre enfance, on nous avait habitués à voir
dans ce mot un nom de roi. On nous avait accoutumés à parler de Pharaon Ier
et Pharaon II, absolument comme nous disons Henri Ier, Henri II. La science
est venue rectifier cet enseignement élémentaire, et nous apprendre que c'est
là un nom commun, qui doit se décomposer comme je viens de le dire. Pourquoi
les Égyptiens appelaient-ils leurs rois la grande
Porte, la grande Maison ?
Il n'y a pas à chercher là un secret de sphinx. C'est tout simplement une de
ces formules emphatiques dont l'Orient est prodigue, et qui sont destinées à
donner une haute idée de la majesté, de la dignité, de la grandeur des
personnages auxquels elles s'appliquent. On dit encore aujourd'hui dans le
même sens la Sublime Porte pour désigner
le gouvernement du sultan. Cette appellation était donc commune à tous les
rois de l'Égypte ; aussi, par la force de l'association, prit-elle peu à peu
le sens de roi. — Après le nom du roi, du prince, celui du pays, de la
contrée. Le mot Égypte est passé dans la Bible d'une manière
symbolique. Mitzraïm, nom hébreu de
l'Égypte, est un duel et signifie proprement les deux Égyptes. Ce mot n'est
ni phonétiquement ni étymologiquement égyptien il ne l'est que
symboliquement. L'idée des deux Égyptes, celle du nord et celle du sud, était
très familière aux Égyptiens. Tous les symboles en double, comme les deux
diadèmes, les deux lotus, désignaient les deux Égyptes. — Le nom du
législateur du peuple hébreu, Moise, peut aussi se ramener à l'égyptien par
la chute d'une lettre, phénomène qui arrive assez souvent dans les vieilles
langues de l'Orient, et conserver sa signification traditionnelle de sauvé de
l'eau : mu = eau, et udj [et] = sauver. — Le Nil, le vrai roi de
l'Égypte, est passé également dans la Bible, mais sous une dénomination commune. Le
nom vulgaire du Nil, en égyptien, est aur
; on le trouve dans l'hébreu biblique sous la forme yeor, qui signifie rivière,
fleuve[3]. — Le nom donné à
Joseph par le Pharaon reconnaissant est aussi égyptien. Ce nom est dans
l'hébreu biblique izafenat paeneah. La Vulgate latine a traduit
par une nuance un peu différente : Sauveur du
monde. En égyptien ce mot signifie littéralement engendrant, donnant
la vie (djfent
paankh). Joseph épousa une femme égyptienne appelée Asenet. Ce nom est égyptien ; il se décompose
de la manière suivante : as, qui signifie
siège, demeure,
et Neith, le nom d'une déesse
égyptienne ; la signification du nom est donc : siège,
demeure de [la déesse] Neith. — L'eunuque du pharaon s'appelle
Putiphar : on reconnaît encore là un nom égyptien ; il se décompose en quatre
mots : p = le,
tu = donner,
pa = le,
Ra = Ré,
le dieu soleil ; dés lors le nom entier signifie probablement le donné à Ré[4]. — La ville de
Thèbes, était appelée aussi en égyptien Noutt
Amon, la ville d'Amon ; ce
nom a passé dans la Bible,
Nô-Amon[5] ou Nô tout court[6].
2° Les noms communs.
— Les bœufs que le Pharaon vit en songe paissaient dans les ahu[7]. Il n'est pas
difficile de reconnaître dans ce mot l'égyptien akha
[kh],
qui veut dire verdoyer, ce qui verdoie et par conséquent prairie. — Le mot sefat,
qui désigne les bords [du Nil][8], est aussi
égyptien ; spet, en égyptien, signifie
lèvre. — Le mot shesh[9] vient de
l'égyptien shes, métathèse de sesh, qui veut dire tisser
: d'où tissu, étoffe. — Lorsque Joseph eut interprété les
songes de Pharaon, celui-ci, pour le récompenser, le combla d'honneurs. Il le
fit monter sur son second char, et les coureurs, qui ouvraient sa marche
triomphante, devaient crier, nous dit l'hébreu de la Bible, abrek[10]. En égyptien abrek se compose de trois mots : ab = gauche,
er = à,
k = toi.
L'exclamation signifie donc : La gauche à toi,
ou simplement à gauche. C'est une
coutume qui existe encore aujourd'hui en Orient, parait-il, quand passe un
grand personnage. — La nacelle, où fut exposé Moise sur les bords du Nil,
s'appelle tébah[11] ; c'est
l'égyptien tep déterminé par la
caisse. — Le roseau, dont se servaient les Hébreux pour confectionner les
briques, quand la paille leur faisait défaut, est appelé qach[12] ; c'est
l'égyptien qech.— L'arbuste. où Moise
vit l'apparition céleste sur le mont Horeb est appelé seneh[13] ; le mot
égyptien citent désigne l'acacia épineux. — Le tambour de la sœur de Moise
est appelé toph[14] ; l'égyptien teb signifie la même chose. — Le vase où l'on déposait
la manne est appelé tzintzenet[15] ; en égyptien,
nous avons sennu, qui signifie vase, et teanu
qui signifie vase ou mesure. — Les pots de viande regrettés par les
Hébreux dans k désert sont appelés sir[16] ; en égyptien, sera et seri
indiquent un vase de grande dimension, une amphore. — Dans le Deutéronome[17], tena désigne la corbeille destinée à contenir
les offrandes des prémices ; en égyptien, le mot tennu
signifie également corbeille. — Enfin
il est infiniment probable que le mot Adon
lui-même, qu'on trouve si souvent dans la Bible, et qui signifie, Seigneur, maître,
est l'égyptien aden qui veut dire, chef, directeur,
celui qui commande.
3° Israël. — Je fais
une place à part au mot Israël, à
cause d'une découverte faite dans ces derniers temps. Le mot Israël (Isiraalou) se trouve sur la stèle de Menephtah,
découverte récemment par l'anglais Flinders Petrie sur l'emplacement de
l'Amenophium, à l'ouest de l'ancienne Thèbes. Cette stèle se compose de 28
lignes. Nous donnons ici la traduction de la partie de l'inscription qui
concerne nos recherches, à partir de la ligne 26e jusqu'à la fin : Les chefs (des
ennemis de l'Égypte), étendus à terre, y font
leur salamalec et nul parmi les nomades ne porte le front haut. Tihanou est
dévasté, Kheta en paix ; Kanaan est la proie de tous les maux. ; Askalon est
emmené ; Ghezer est pris ; Innouaamim est anéanti ; ISIRAALOU
est détruit il n'a plus de graine ; la Syrie est semblable à une veuve d'Égypte. Tous
les pays sont réunis en paix ; tous ceux qui remuent ont été châtiés par le
roi de la haute et de la basse Égypte, Banera Meriamen, fils de Râ Merenphtah
hotep-hermaat, doué de vie, pareil chaque jour au soleil.
IV. — L'ARCHÉOLOGIE.
Sous ce rapport il est impossible de ne pas reconnaître
une large infiltration de coutumes et d'institutions égyptiennes dans la vie
du peuple hébreu. Les apologistes n'ont pas manqué depuis longtemps, et avec
de bonnes raisons, de mettre à profit les découvertes archéologiques dans l'intérêt
de nos saints Livres. On ne saurait trop insister sur ce point. Pour une
masse d'usages et de coutumes, Israël fut tributaire de l'Égypte. Je ne puis
pas rapporter tous les détails, car les proportions de ce petit volume ne me
le permettent guère. Il faut donc se restreindre à des idées générales et aux
traits les plus frappants. — L'arche qui était le centre du culte d'Israël
dans sa vie errante fut construite sur le modèle d'un naos égyptien. Elle en
avait la configuration et toutes les apparences. — Le système des dilues fut
aussi emprunté aux Égyptiens. Cette redevance due au temple et à la caste
lévitique, avait été imposée, bien longtemps auparavant, aux sujets des
Pharaons par les prêtres de Thèbes et d'Héliopolis. Non seulement ils avaient
institué la dîme, mais ils l'auraient, suivant toutes les vraisemblances,
appliquée d'une manière exorbitante, à tel point que les revenus de certains
temples égyptiens devinrent considérables et vraiment excessifs. A travers
les nombreuses et interminables révolutions de l'Égypte, ce fut même là, au
dire de certains historiens, une des causes qui amenèrent la chute de
certains empires. — Longtemps après, le temple lui-même, une des merveilles
de l'antiquité, sera conçu dans ce style dérivé du style égyptien que les
Phéniciens affectionnaient et employaient dans leurs constructions ; l'autel
du temple de Jérusalem, d'après ce que nous en connaissons, était semblable à
celui du temple de Bubaste dont les fouilles de M. Naville nous ont dévoilé
l'existence et la forme. Au surplus ce n'est là qu'un cas particulier, dont
on pourrait facilement multiplier les exemples, car les rares édifices
hébreux dont il nous reste quelques débris nous montrent le système de
construction et de décor usité en Égypte : c'est ainsi que les montants de la
porte de Lakish se terminent par une gorge égyptienne, comme les naos des
temples égyptiens. Il parait du reste démontré que, en fait d'architecture,
le Hébreux ne furent pas inventeurs : ils se contentèrent d'imiter les deux
peuples dont ils eurent tour à tour à subir les invasions et la domination :
les Égyptiens et les Assyriens. — Si nous examinons la plus importante des
institutions sociales, la famille, ce que nous lisons dans la Bible à une certaine
époque, nous le trouvons à peu près exactement pratiqué dans l'ancienne
Égypte, avec cette différence pourtant que l'échelle varie d'un peuple à
l'autre. En Égypte, on réputait dès les temps les plus anciens l'union du
frère et de la sœur juste et naturelle. L'homme avait le privilège de
s'attacher autant d'épouses qu'il voulait ou pouvait en nourrir, quoique
toutes n'eussent pas des droits identiques. A côté des épouses il y avait les
concubines, esclaves achetées ou nées dans la maison, prisonnières de guerre,
égyptiennes de classe inférieure, qui étaient livrées au pouvoir absolu de
l'homme ; celui-ci pouvait en faire ce qu'il voulait. C'est le harem en un
mot, institution permanente en Orient, et dont Constantinople et le Caire
nous offrent encore des exemples. La femme était la maîtresse de la maison, nibit pirou, et l'épouse hîmît ; dans la maison elle se livrait à tous
les devoirs de sa condition, alimentant le feu, broyant le grain, fiant,
tissant, préparant les vêtements et les parfums, allaitant et instruisant ses
enfants. Quiconque aura lu la bible n'aura aucune peine à reconnaître que
l'âge patriarcal d'Israël avait des mœurs analogues[18]. — Les
transactions commerciales se faisaient de la même façon, et le système des
échanges était à peu près identique. — Ajoutons enfin pour terminer que la
forme et le mobilier de la maison, les vêtements et les instruments employés
à la culture des champs étaient presque absolument les mêmes. Ces coutumes
sont du reste communes à la plupart des peuples orientaux.
V. — LES RITES ET LES CÉRÉMONIES DU CULTE[19].
Dans ce champ nous avons aussi beaucoup à glaner. Il est
moralement certain que les Égyptiens connurent et pratiquèrent la
circoncision, un des rites fondamentaux des Hébreux. Hérodote nous l'affirme (II, 101) et la plupart des égyptologues ont
admis le fait. M. Maspero lui-même, qui ne s'incline que devant les textes et
les monuments d'une valeur indiscutable, a reconnu que la circoncision était pratiquée, mais non obligatoire, en
Égypte[20].
Il est vrai que jusqu'ici on n'a pas trouvé de mot absolument précis pour
désigner la circoncision. Lepage-Renouf avait rapproché le mot égyptien naaqer du copte nouker
qui peut signifier circoncision ; malheureusement
ce rapprochement était dû à une fausse lecture ; le mot égyptien, qu'il avait
lu naaqer, doit être lu ââqer. — Si de la circoncision nous passons au
sacrifice, nous constaterons sans peine que la théorie en était presque la
même chez les Hébreux et les Égyptiens. En Égypte, le roi qui à l'origine
était le véritable sacrificateur, allait aux champs lacer le taureau a demi
sauvage, le liait, l'égorgeait, en brûlait une partie à, la face de l'idole,
et distribuait le reste aux assistants avec des gâteaux, des légumes et du
vin[21]. Les mêmes
procédés se retrouvent facilement en Israël. Remarquons aussi que l'Égypte,
pas plus qu'Israël, ne parait avoir jamais connu les sacrifices humaine. —
Chez les Égyptiens le sacrificateur était astreint à une grande propreté
matérielle ; il devait se laver, ouâbou,
le visage, la bouche, les mains, le corps. Cette purification était tellement
essentielle à sa fonction que le prêtre en tirait son nom, ouîbou, le propre ; il devait être propre des
deux mains, outbou totouî. Tout ce
Rituel, assez compliqué, de la purification est contenu dans un papyrus du
Musée de Berlin, dont M. Oscar de Lemm a publié une analyse[22]. — De même les
vêtements des prêtres et des lévites hébreux étaient une reproduction de ceux
des prêtres égyptiens. Les peintures qui nous en restent sont trop claires
pour qu'il y ait le moindre doute à concevoir. L'éphod, le pectoral, la
couronne et le méhil du grand prêtre, les vêtements des lévites, l'étoffe
même des vêtements sacerdotaux, tout était un emprunt fait à l'Égypte[23]. — Les
formalités du sacrifice étaient également semblables. Mêmes détails des deux
côtés ; même formalisme, mêmes minuties dans les cérémonies du culte. Depuis
certaines cérémonies imposantes jusqu'aux prescriptions qui règlent les
moindres actions, on constate beaucoup de ressemblances et parfois la même
signification symbolique. En Égypte comme en Israël tout était prévu,
minutieusement réglé d'avance : l'espèce, le poil, la couleur, l'âge de la
victime, la manière de l'amener au lieu du sacrifice, de lui lier les
membres, tous les détails de l'abatage, du dépeçage. On dirait que les deux
Rituels, à quelques différences près, avaient été conçus et rédigés par le
même auteur. — La hiérarchie sacerdotale elle-même présentait les plus
frappantes analogies. Au sommet de la hiérarchie sacerdotale de l'Égypte on
trouve un grand prêtre, qui prenait différents titres, selon le temple auquel
il était attaché, et le Dieu qu'il servait. Ainsi il s'appelait premier
prophète, hon-noutir-topi, d'Amon à
Thèbes. Le grand prêtre de. Ré, à Héliopolis, se nommait ofrou maou, le maitre des visions, car il
jouissait seul du privilège de pénétrer dans le sanctuaire et d'y contempler
le dieu face à face. En Israël aussi le grand prêtre seul pouvait pénétrer
dans le saint des saints. Au-dessous du grand. prêtre il y avait une
multitude de prêtres de rang inférieur. Toute cette hiérarchie était
appliquée au service des temples. La hiérarchie aaronique et lévitique des
Hébreux nous apparaît presque avec les mêmes cadres et les mêmes
attributions..
VI.- L'HISTOIRE.
A. Période primitive.
1° L'immigration et l'Exode.
— Deux faits d'ordre naturel dominent la période primitive de l'histoire des
Hébreux dans leurs relations avec l'Égypte : l'immigration et l'exode. Or,
l'égyptologie a établi d'une manière indiscutable la réalité de ces deux
faite.
L'immigration. —
Les historiens, même les plus indépendants et les plus éloignés de toute vue
confessionnelle, reconnaissent la réalité de cette descente des Hébreux en Égypte
: Un fait subsiste parmi tant de récits gracieux et
terribles où les Hébreux de l'époque royale se plaisaient à retracer
l'histoire de leurs ancêtres lointains : les Bnè-Israël abandonnèrent la Syrie méridionale et
descendirent aux rives du Nil. Ils avaient séjourné assez longtemps dans ce
qu'on appela par la suite les monts de Juda. Hébron leur servait de
ralliement, les larges ouadys mal arrosés, qui forment la transition entre
les champs de culture et le désert, leur étaient comme un patrimoine qu'ils
partageaient avec les habitants des villes voisines. Chaque année, au
printemps, ils conduisaient leurs troupeaux aux maigres herbages qui
croissent dans le fond des vallons, et ils ne les retiraient d'un canton
qu'après l'avoir épuisé. Les femmes filaient, tissaient, fabriquaient les
vêtements, cuisaient le pain et les viandes, allaitaient longuement et
soignaient les enfants en bas fige. Les hommes traînaient la vie du Bédouin,
avec ses retours presque périodiques d'activité intermittente et d'oisiveté,
avec sa routine de devoirs simples et de travaux peu compliqués, se querelles
sans fin pour la possession d'un pâturage abondant ou d'un puits qui ne tarit
jamais. Une tradition relativement assez vieille raconte qu'ils arrivèrent en
Égypte sous un des rois Hyksos, Aphôbis : c'est l'un des Apôpi, celui-là
peut-être qui restaurait les monuments des Pharaons Thébains et qui gravait son
nom sur les sphynx d'Amenemhaît III ou sur les colosses de Mirmâshâou. Le
terrain qu'il leur concéda est, aujourd'hui encore, un de ceux qui reçoivent
le plus souvent la visite des nomades et qui leur prêtent une hospitalité
capricieuse. Lei tribus de l'isthme flottent sans cesse, en effet, d'un
continent à l'autre, et leurs cantonnements dans un endroit déterminé ne sont
que provisoires. Le maître du sol doit agir à leur égard avec une prudence
méticuleuse, s'il les veut retenir chez lui : dés qu'une mesure de
gouvernement leur déplaît ou semble les gêner dans leur liberté, elles plient
leurs tentes et s'envolent par delà les sables. Le territoire qu'elles
animaient se vide et meurt, pour ainsi dire, du jour au lendemain. Il en
était probablement de même aux temps anciens, et les nomes bordiers du Delta
étaient fréquentés à l'est ou délaissés tour à tour par les Bédouins d'alors
Peu de villes, mais des forts destinés à protéger la frontière ; des bourgs,
perchés au sommet de quelque tertre et ceints en banlieue de terres à blé ;
au delà, des roches dénudées ou des plaines détrempées par le surplus mal réglé
de l'inondation. Le pays de Goshen s'intercalait entre Héliopolis au sud,
Bubastis à l'ouest, Tanis et Mendès au nord ; les troupes enfermées dans
Avaris pouvaient le surveiller aisément et y maintenir l'ordre, tout en le
défendant contre les incursions des Mônatiou et des Hirou-Shàïtou. Les
Bnè-Israël prospérèrent dans ces parages si bien adaptés à leurs goûts
traditionnels : s'ils n'y devinrent pas le grand peuple qu'on imagina par la
suite, ils n'y subirent pas le sort de tant de tribus étrangères qui,
transplantées en Égypte, s'y étiolent et s'éteignent, ou se fondent dans la
masse des indigènes au bout de deux ou trois générations. Ils continuèrent
leur métier de bergers, presque en vue des riches cités du Nil, et ils
n'abandonnèrent point le Dieu de leurs pères pour se prosterner devant les
Triades ou les Ennéades des Égyptiens qu'il s'appelât déjà Jahveh ou qu'il se
contentât du nom collectif d'Élohim, ils l'adorèrent sans trop d'infidélités
en face de Rb et d'Osiris, de Phtah et de Soutkhou[24].
Nous venons d'entendre que les Hébreux descendirent en
Égypte sous les Hyksôs. Il est bon de dire un mot de ces rois. Hyksôs est un mot grécisé. En égyptien, la
véritable expression est hiq qui
signifie chef, et schausou qui signifie pillards, bédouins,
nomades. Le mot hyksôs signifie donc le chef des bédouins, des
nomades, d'où nous avons fait les pasteurs,
parce que les nomades mènent la vie de bergers. Nous ne savons rien de
certain sur l'époque où ils envahirent l'Égypte. On croit généralement que ce
fut à l'époque de la
XIVe Dynastie ; les discordes des princes de cette dynastie
étaient une occasion favorable à l'invasion étrangère. Les pasteurs
apparurent probablement vers le XXIIIe siècle, à la descente dans le Naharaïna
des Khati qui menèrent une lutte acharnée contre la Chaldée et l'Égypte. Les
Égyptiens méprisaient littéralement ces étrangers et avaient pour eux la plus
grande horreur ; les dénominations qu'ils leurs donnaient et que nous ont
conservées les textes nous éclairent singulièrement sur ce sujet ; ils les
appelaient dédaigneusement les étrangers, schemaou
ou schamamou. Le souvenir de leurs
cruautés se conserva vivace ; c'est pour cela qu'on les appela les pestiférés, les fiévreux,
Aiti, Jaît,
Jadîti ; plus tard, à six siècles de
distance, Manéthon les traitera d'hommes de race ignoble.
L'Exode. — C'est là
aussi un fait définitivement historique. Après la mort de Séti II, il y eut
comme une décomposition de la royauté qui jusque-là avait été forte et
admirablement coordonnée. Presque tous les rouages administratifs se relâchèrent.
Les esclaves étrangers, de toute nationalité, qui étaient alors très nombreux
en Égypte, profitèrent de ce moment d'anarchie pour prendre la fuite. Les
Hébreux suivirent naturellement le mouvement général, et ne laissèrent pas
échapper une si belle occasion. Le même historien le reconnaît sans aucune
difficulté : Un fait ressort incontestable de ces
récits : les Hébreux ou, tout au moins, ceux d'entre eux qui habitaient le
Delta s'évadèrent un beau jour et se réfugièrent aux solitudes d'Arabie. L'opinion
la plus accréditée place leur exode sous le règne de Menephfah, et le
témoignage d'une inscription triomphale semble la confirmer, où le souverain
raconte que des gens d'Israîlou sont anéantis et n'ont plus de graine[25]. Le contexte indique assez nettement que ces Israîlou si
mal traités étaient alors au
sud de la Syrie, peut-être au
voisinage d'Ascalon et de Gazer. Si donc c'est bien l'Israël biblique qui S3
révèle pour la première fois sur un monument égyptien, on pourra supposer
qu'il venait à. peine da quitter la terre de servage et de commencer ses
courses errantes. Bien que les peuples de la Mer et les Libyens n'eussent pas pénétré
jusqu'à ses campements au territoire da Goshen, il aurait profité du désarroi
où leur attaque jeta ses maîtres et de la concentration autour de Memphis des
soldats cantonnés à l'orient du Delta pour rompre son ban et pour sa sauver
au delà de la frontière. Si, au contraire, on préfère reconnaître dans les
Israîlou un clan oublié aux monts de Canaan, alors que le gros de la race
avait émigré sur les rives du Nil, on n'aura pas besoin de chercher longtemps
après Menephtah pour assigner à l'exode une date qui lui convienne. Les
années qui suivirent le règne de Séti II présentent les conditions favorables
à une entreprise aussi hasardeuse : décomposition de la monarchie, discorde
des barons, révolte des prisonniers, suprématie d'un Sémite sur les autres
chefs. On comprend aisément qu'au milieu du désordre universel, une tribu
d'étrangers, lasse de son sort, se soit échappée de ses cantonnements, et
qu'elle se soit dirigée vers l'Asie sans être énergiquement combattue par le
Pharaon ; celui-ci se sentant trop accablé de soucis plus pressants pour
prêter attention à la disparition d'une bande d'esclaves[26].
2° Les autres faits naturels.
— Autour de ces deux faits centraux gravite, comme des satellites, une masse
d'autres faits racontés dans la
Bible ; tels sont : l'arrivée d'Abraham en Égypte,
l'histoire de Joseph et de ses frères, la naissance, l'éducation et le rôle
de Moise. Quel est le degré de certitude de ces faits, et quelle est la valeur
de ces récits bibliques ? Trois positions sont possibles à leur égard, et la
critique est obligée de les bien délimiter pour écarter de ces graves débats
toutes les confusions et toutes les équivoques. — Pour nous, catholiques,
nous les croyons vrais, parce que nous avons foi au témoignage de la Bible que nous regardons
comme indiscutable. — L'histoire indépendante enregistre ces faits, mais
uniquement comme des données de la tradition juive. — Enfin il reste à se
mettre en face des textes égyptiens et à les interroger loyalement. Or ici il
faut être sincère : on n'a rien trouvé de précis dans les textes égyptiens
touchant la réalité de ces faits. Sans doute on a trouvé dans les monuments
quelques vagues analogies, qui ne sont pas certainement à dédaigner ; mais
ces analogies, quelque séduisantes qu'elles soient, ne sont pas des données
historiques. L'histoire sérieuse ne vit que de faits et de documents ; ici
les documents seraient les textes, et les textes n'ont pas encore parlé. De
ce silence des textes on ne peut rigoureusement conclure ni à la vérité ni à la fausseté
de ces faits. Une histoire impartiale ne saurait aller à de tels excès sans
se discréditer et en mérite temps trahir sa mission. Tout ce qu'on peut et
doit dire, c'est que ces faits ne sont pas assez documentés dans le domaine
de l'égyptologie pour être regardés, de ce chef, comme des événements
historiques. — Mais, outre leur vérité, il reste leur vraisemblance, et
l'apologiste a le droit de combattre même sur ce terrain. Dans la lutte à
laquelle nous assistons depuis bien longtemps, il est légitime d'employer
toutes les armes, qui ont une certaine utilité, pour repousser les attaques
de l'ennemi. Or, on ne saurait contester que ces faits soient éminemment
vraisemblables. Leur vraisemblance est au-dessus de toute discussion, de tout
doute ; ils s'encadrent admirablement dan ; ce que nous connaissons des mœurs
égyptiennes et sont empreints d'une étonnante couleur locale[27].
3° Faits surnaturels.
— Les faits miraculeux, qui démontrent d'une manière palpable l'intervention
de Dieu dans la période égyptienne de l'histoire des Hébreux, sont les dix
plaies et le passage de la mer Rouge. — Le rationalisme, qui nie la divinité
de la religion mosaïque, a bien senti l'importance de ces faits. C'est
pourquoi il les a attaqués avec acharnement, et s'est efforcé d'en montrer le
caractère légendaire. Employer la vieille méthode consistant à partir d'un
principe philosophique pour proclamer l'impossibilité du miracle et de ce
chef le proscrire de l'histoire, c'eut été purement arbitraire et,
ajouterons-nous, inefficace sur le terrain des sciences positives. Dire : Le miracle est impossible, ou le premier principe de la critique, c'est de nier le surnaturel,
ce sont de ces formules qui peuvent impressionner un certain public, mais qui
n'ont aucune chance d'émouvoir les esprits habitués aux méthodes rigoureuses
et qui demandent en histoire des faits et non des axiomes philosophiques. On
préféra donc se placer sur le terrain même de l'histoire : comment se
fait-il, dit-on, que les textes égyptiens n'aient conservé aucun souvenir des
dix plaies et du passage de la mer Rouge t Si ces faits sont réellement
arrivés, ils durent vivement impressionner les Égyptiens. Dès lors ceux-ci
n'auraient pas manqué d'en parler, d'autant plus qu'ils nous entretiennent
bien souvent de choses absolument insignifiantes. Ce silence est inexplicable
dans l'hypothèse de la réalité de ces faits. Il s'explique, au contraire, tout
naturellement si ces faits ne sont que des légendes.
Nous reconnaissons que cet argument soulève une vraie
difficulté. Nous ne sommes pas de ceux qui trouvent tout facile à expliquer
lorsqu'ils sont engagés dans une voie. Nous nous rendons bien compte des
embarras où se trouve souvent la critique historique. Mais ce silence
prouve-t-il la thèse rationaliste, car tout est là ? — Nullement. Le
rationaliste se berce d'une double illusion. On peut donner à son argument
une double réponse. Premièrement un argument négatif n'est presque jamais
démonstratif en bonne critique. Le silence des textes n'est qu'un argument
négatif. Il ne suffit pas à prouver que ces faits ne sont pas arrivés. Si
l'on a gardé le silence, rien n'empêche de supposer qu'on a eu des raisons,
que nous ignorons, de ne pas parler. C'est donc un premier défaut de vouloir
étayer une thèse sur un argument négatif. — En second lieu, on peut affirmer que
ce silence est explicable jusqu'à un certain point. Les Égyptiens, comme du
reste tous les peuples de l'antiquité, orgueilleux par nature ou préjugé,
n'aimaient guère raconter leurs défaites et leurs désastres, tout ce qui
avait été pour eux un sujet d'humiliation ; ils ont gardé le silence sur
d'autres événements de cette sorte. Or, il est indiscutable que les dix
plaies et le passage de la mer Rouge furent pour les Égyptiens des désastres,
des sujets d'humiliation. Ces Pharaons, qui se donnaient comme les
représentants du dieu Râ, dont les cartouches sont rédigés avec la pompe la
plus solennelle, étaient sévèrement punis par ces esclaves asiatiques, par
ces Shausou, qu'ils méprisaient
profondément. C'était quelque chose de nature à blesser au vif leur
amour-propre, et à leur faire tirer le voile sur ces chutes et ces revers des
grandeurs humaines.
B. Période des Rois.
1° Expédition de Sheshank.
— Le roi Sheshank, que Manéthon appelle Sesônkhis
et la Vulgate
latine Sésac, est le fondateur de la XXIIe Dynastie
égyptienne. La Bible
nous raconte sa campagne contre Juda sous le règne de Roboam. Dans la 5e année du règne de Roboam, Sésac, roi d'Égypte,
monta à Jérusalem ; il s'empara des trésors de la maison du Seigneur, et des
trésors royaux, et il pilla tout, et aussi les boucliers d'or que Salomon
avait faits[28].
La campagne de Sésac contre Juda est racontée plus en
détail dans le IIe Livre des Chroniques[29], XII, 2-10. La
substance du récit est la même dans les deux rédactions. Les Chroniques nous
donnent quelques détails complémentaires, qu'il est bon de noter. Nous lisons
qu'il envahit le royaume de Juda avec 1.200 chariots et 60.000 cavaliers (v. 3) ; qu'il s'empara de beaucoup de villes
fortifiées, et qu'il arriva enfin à Jérusalem (v.
4). — Les découvertes égyptologiques ont pleinement confirmé ce récit.
Le succès de cette campagne s'est perpétué dans les monuments, et c'est par
là qu'il est parvenu jusqu'à noue. L'Égypte tout entière se réjouit des
victoires remportées par son souverain, et fut émerveillée du riche butin
qu'il avait emporté de la
Judée. Aoupouti, grand prêtre, enregistra pour la postérité
et aussi pour la gloire de Sésac le souvenir de ces exploits sur la muraille
sud du temple d'Amon à Karnak, assez près de l'endroit où Ramsès II avait
affiché les tableaux de ses expéditions syriennes. Il envoya son architecte à
Silsilis pour en extraire le grès nécessaire à réparer le monument. Le
tableau de Karnak représente Amon présentant à Sésac la liste des cités
prises en Juda et en Israël. Cette liste est très longue, presque
interminable ; on n'y compte pas moins de 133 noms. Dans cette énumération
des villes conquises, on distingue surtout Rabbat, Tàànak, Hapharalm,
Makhanaïm, Gibéon, Bethhoron, Atalon, Ioud-hammélek, Migdol, Ierza, Shoko,
les villages du Négeb. Il ne faut pas s'étonner de la longueur de cette
liste. Sésac, probablement pour se donner plus d'importance aux yeux de ses
sujets, y inséra les noms des plus obscures bourgades et des moindres
villages, perdus dans les montagnes ou les ouadys. Peut-être voulut-il aussi
s'égaler à son devancier Touthmosis III, dont les expéditions avaient été
plus brillantes et plus riches en résultats. Dans cette liste un nom surtout
mérite quelque attention, parce qu'on n'est pas encore absolument d'accord
sur sa signification. C'est Ioud-hammélek,
qui occupe le numéro 29 de la liste. Longtemps on traduisit ce nom par roi ou
royaume de Juda, et l'on y vit une allusion à Roboam lui-même. Cette
interprétation a été abandonnée comme impossible. Max Müller et Lepage-Renouf
lurent le mot hébreu yad-hammélec et
traduisirent la main [le fort] du roi,
L'opinion la plus communément reçue, c'est qu'il faut rapprocher ce nom de
Iehoud, ville de la tribu de Dan, et traduire par Juda
la royale, c'est-à-dire, la résidence du roi, ce que nous appellerions
aujourd'hui la capitale. La liste de Sésac a
suscité de nombre« travaux. Le texte en a été publié par Champollion, par
Rosellini et par Lepsius. Il a été étudié et commenté par Blau, par Max Müller
et par Maspero. Tous ces travaux n'ont fait que rectifier et préciser des
points de détail. Les traits essentiels n'ont nullement été modifiés.
2° Shahak. —
Shabak, dont les Grecs ont fait Sabacon, fut roi d'Éthiopie et d'Égypte, et
appartient à la XXVe
Dynastie. Nous lisons au IVe Livre des Rois, XVII, 1-6 : La douzième année d'Achaz, roi de Juda, Osée, fils d'Éla,
régna sur Israël, à Samarie, neuf ans. Et il fit le mal devant le Seigneur
mais non comme les rois d'Israël qui avaient été avant lui. Contre lui monta
Salmanazar, roi des Assyriens, et Osée devint son serviteur, et il lui paya
un tribut. Et lorsque le roi d'Assyrie eut découvert qu'Osée, s'efforçant de
se révolter, avait envoyé des messagers à Sua (hébreu Sô, grec Ségôr), roi
d'Égypte, pour ne pas payer le tribut au roi des Assyriens, comme il avait
coutume de le faire toutes les années, il l'assiégea, l'enchaîna et le mit en
prison. Et il parcourut tout le pays et, montant à Samarie, il l'assiégea
pendant trois ans. Et la neuvième année d'Osée, le roi des Assyriens prit
Samarie et transporta Israël parmi les Assyriens. Et il les établit à Hala,
et sur le Habor près du fleuve Gozan, dans les villes des Mèdes. Les
inscriptions de Sargon, racontant ses victoires contre Osée, et la relégation
des habitants de Samarie en Assyrie, mentionnent un personnage du nom de
Shibahi, Shabi, Shabé[30]. On crut tout
d'abord avoir retrouvé dans les textes assyriens la confirmation du récit
biblique. M. Oppert le premier identifia le Shibahi des inscriptions de
Sargon avec le roi égyptien Shabak, et lut shiltanôn
= sultan, le titre qui accompagne le
nom de Shabi dans le texte assyrien[31]. Hincks et Henry
Rawlinson maintinrent l'identification proposée par M. Oppert, mais lurent le
titre tourtanou, comme celui du
général en chef des armées assyriennes[32]. H. Rawlinson
pourtant, tout en pensant qu'il s'agissait de Shabak, soutint que le texte de
Sargon désignait Shabak non encore roi, mais simple général de l'armée
d'Égypte. Dans ces derniers temps on a renoncé à cette identification, et
l'on ne voit dans le Sô de la
Bible, et le Shabi des inscriptions de Sargon qu'un des
roitelets de la frontière orientale du Delta[33]. Dans cette
hypothèse le Sô de la Bible,
qui se serait entendu avec Osée, pour combattre les Assyriens, ne serait pas
le roi égyptien Shabak de la
XXVe Dynastie, mais un de ces nombreux roitelets qui
pullulaient dans le Delta. Le vrai roi de l'Égypte, contemporain de ces
événements, serait Bocchoris, dont nous parlerons un peu plus loin. — Si ce
point est douteux et problématique, une chose cependant est certaine, mais
qui n'aurait présentement pour nous aucune importance si Shabak n'était pas
le même que Sô du IVe Livre des Rois : c'est que Shabak, à une époque de sa
vie, entretint les meilleurs rapports avec Sargon II : ils échangèrent des
présents, ce qui donna probablement occasion à Shabak de faire graver à Karnak
le tableau qui nous le représente comme victorieux des Asiatiques et des
Africains[34].
Le Pharaon égyptien avait correspondu avec le monarque assyrien. On a trouvé
un sceau de Shabak dans le palais que Sargon avait fait construire à Kalakh
pour son usage. Le roi est représenté dans une attitude martiale. Il
s'incline, et saisit probablement de la main gauche la chevelure d'un ennemi
qu'il s'apprête à frapper avec une espèce de hache qu'il tient dans la main
droite. Au-dessus et au-devant de lui on lit ces hiéroglyphes : nouter noufir neb ar khet Shabak tu tooui neb, le Dieu bon, le maure qui fait les choses, Shabak, donnant
les deux terres toutes, ou, à toi.
Derrière lui on lit : sa ankh ha, soufflant la vie. Ce cachet est donc une preuve
certaine des rapports qui existèrent entre le Pharaon de la XXVe Dynastie et
Sargon II roi d'Assyrie.
3° Tirhakah. —
Tirhakah est le troisième Pharaon de la XXVe Dynastie. Il
est fait mention de ce personnage, comme roi d'Éthiopie, au IVe Livre des
Rois, XIX, 9, 10, en ces termes : Et lorsqu'il eut
entendu [Sennachérib] ceux qui lui dirent de Tharaca, roi d'Éthiopie : Voilà
qu'il s'est mis en marche pour combattre contre toi, et lorsqu'il alla vers
lui, il envoya des messagers à Ézéchias, et leur dit : Dites ceci à Ézéchias, roi de Juda : Que ton Dieu, en qui
tu as confiance, ne te séduise pas ; ne dis pas : Jérusalem ne sera pas
livrée aux mains du roi des Assyriens. On voit, d'après ce
passage, que Tirhakah, de connivence avec Ézéchias, eut des démêlés avec le
roi d'Assour, qui était ;lors Sennachérib. Les monuments ont-ils conservé quelque
souvenir de ces démêlés ? Oui. Les monuments égyptiens et assyriens nous
parlent de Tirhakah et de ses luttes contre Assour. Ce qui importe, c'est de
se rendre bien compte de la portée de ces monuments car les auteurs ne sont
pas d'accord sur le crédit qu'il faut leur accorder. Tirhakah fit graver sur
la base de sa statue une liste de nations et de villes qu'il aurait conquises
dans sa guerre contre Sennachérib. M. de Rougé appréciait ainsi cette liste :
La statuette de Tahraka, que possède le musée du
Caire, est couverte à sa base par les cartouches des peuples qu'il avait
vaincus... Ce sont les Shosu, Arabes, les Héta, ou Syriens du
nord, Aratu, Aradus la phénicienne, et même Naharaïn ou la Mésopotamie. Il
n'est pas dans l'habitude des Égyptiens de consigner sur leurs monuments des
victoires imaginaires ; ils se contentent de taire leurs défaites. On a donc
ici la preuve certaine des victoires de Tahraka contre les Assyriens...
Le campagne où il délivra Ézéchias, en faisant
reculer précipitamment le foi d'Assyrie, parait avoir précédé son
intronisation comme roi d'Égypte, car le comput officiel de ses années ne
commence, dans te pays, qu'en 692 avant Jésus-Christ, d'après le témoignage
très certain de la chronologie des Apis. A ce moment, le Livre des Rois ne le
nomme pas Pharaon ; il le qualifie simplement de Mélek Kush, roi de
Coush[35].
En affirmant que les Égyptiens n'avaient pas l'habitude de s'attribuer des victoires imaginaires, M. de Rougé parait leur
avoir prêté une modestie exagérée[36]. D'autres
historiens ne voient dans cette liste qu'une simple fanfaronnade : Il [Sennachérib] échoua, et Taharqou s'enorgueillit hardiment d'être sorti
de l'épreuve à son honneur. Comme son ennemi prévalait dans la plupart des contrées
où ses ancêtres thébains avaient dominé autrefois, il fit graver sur la base
de sa statue une liste de nations et de villes copiée sur l'un des monuments
de Ramsès II : les Khati, Carchémis, le Mitânou, les Arad, une dizaine de
peuples éteints ou déchus, mais dont le protocole de sa chancellerie perpétuait
les noms, s'y alignèrent parmi les prisonniers à côté d'Assour. C'était une
fanfaronnade et, même triomphant, il ne posa jamais le pied en terre
syrienne, mais le succès était déjà beau d'avoir contraint l'invasion à
reculer, et le bruit de l'événement, courant par l'Asie, y souleva une
certaine émotion[37]. — Si Tirhakah
ne fut jamais 16 fameux conquérant, tel qu'il se décrit sur la base de sa
statue, une chose est hors de doute, et elle suffit amplement à démontrer
l'exactitude et la véracité de la relation biblique : c'est qu'il arrêta
Sennachérib dans sa première campagne contre l'Égypte et l'empêcha de
paraître sur les bords du Nil[38].
4° Néchao. — Les
Livres saints mentionnent la campagne de ce roi contre l'Assyrie, et la
bataille de Mageddo, dans laquelle Josias, tributaire du roi des Assyriens,
trouva la mort : Pendant les jours de ce roi (Josias), le Pharaon
Néchao, roi d'Égypte, monta contre le roi des Assyriens au fleuve de
l'Euphrate. Et le roi Josias alla à sa rencontre et il fut tué à Mageddo,
lorsqu'il l'eut vu. Et ses serviteurs le portèrent mort de Mageddo et
l'ensevelirent dans son sépulcre. Et le peuple du pays prit Joachaz, fils de
Josias, et ils l'oignirent et ils l'établirent roi à la place de son père[39]. Ce Pharaon est
Néchao II. La campagne dont il est fait mention dans la Bible eut lieu au
printemps de l'année 608. La défaite de Mageddo fut un vrai désastre pour la Judée. Sur ce même
champ de bataille un des prédécesseurs de Néchao, Thoutmosis, avait écrasé,
près de dix siècles auparavant, les Syriens confédérés contre lui,
L'historien Hérodote nous a très probablement conservé le souvenir de cette
victoire. Il nous dit, en effet, que Néchao battit les Syriens à Magdôlos[40]. Tous les historiens,
à l'exception de Gutschmid[41] et de Th.
Reinach[42],
admettent l'identité de Magdôlos et de Mageddo. On peut donc regarder comme
moralement certain que l'historien grec fait allusion à la bataille de
Mageddo.
Dans les monuments égyptiens, on n'a jusqu'ici rien trouvé
qui relate la victoire de Néchao II sur Josias. Cependant même de ce côté
tout n'est pas ténèbres. Il nous reste un monument qui fait allusion, d'une
manière générale, aux victoires de Néchao : c'est un scarabée, conservé au
Musée de Gizeh[43].
En haut du scarabée, on voit le roi debout entre Nit et Isis, en bas des
vaincus étendus sur le sol ; le champ du milieu contient le cartouche et le
protocole du Pharaon. Les hiéroglyphes sont un peu détériorés. J'ai pu lire
les mots suivants... Hor nubi... Nekao sa Râ... tu
ankh ma djet... ra n k setou neb,
Horus d'or... Néchao,
fils de Râ, donner la vie pareillement pour l'éternité, donner à toi tous les
pays [étrangers].
5° Apriès. — Ce roi
est appelé en égyptien Ouahibrt ; il
succéda à Psammétique II. On peut voir encore aujourd'hui au Musée du Louvre
sa tête couchée sur un beau sphinx[44]. Le prophète
Ézéchiel nous apprend que le roi Sédécias, pour combattre Naboukodonosor, fit
appel au secoure d'Apriès[45]. Le Pharaon
égyptien accourut à l'appel de Sédécias C'est du côté de Gaza que purent se
rencontrer les deux armées. Mais on ne sait pas exactement ce qui arriva.
Selon l'historien Josèphe[46], Apriès accepta
la bataille et fut vaincu ; selon d'autres il refusa la bataille et retourna
chez lui. C'est ce que semble insinuer le prophète Jérémie, ibid., v.
6, lorsqu'il dit : Voici, l'armée de Pharaon qui est
sortie à votre secours, retournera dans son pays d'Égypte. Il n'y a
dans ces paroles aucune indication de défaite : la bataille elle-même n'est
pas relatée. Ce premier événement n'a pas encore été découvert sur les
monuments. Apriès fit une campagne plus heureuse contre les Phéniciens : sa
flotte battit la leur ; il s'empara de Sidon qu'il pilla, les autres villes de
la côte phénicienne se rendirent. Ce roi laissa plusieurs monuments, entre
autres l'obélisque qui repose sur le dos d'un éléphant, dressé sur la place
de la Minerve,
à Rome. — Nous savons, par d'autres sources, que Naboukodonosor envahit l'Égypte
sous le règne d'Apriès ou plus exactement, d'après les dernières recherches,
sous le règne de son successeur, l'usurpateur Ahmasis, qui avait vaincu
Apriès à Momenphis (569) et l'avait
livré à la populace de Saïs pour être étranglé[47]. Il existe au
Louvre un monument d'une grande importance : c'est la Statue A 90[48]. Les
égyptologues et les historiens ne s'entendent pas sur la signification de ce
monument. Wiedemann[49], Tiele[50], Winckler[51], pensent qu'il
s'agit dans cette inscription d'une campagne chaldéenne contre l'Égypte ;
d'autres croient qu'il ne s'agit pas dans l'inscription égyptienne d'une
guerre chaldéenne, mais d'une rébellion des garnisons du Sud de l'Égypte,
comprenant des auxiliaires grecs et sémites[52]. A cause de ce
désaccord des savants, la prudence nous fait un devoir de nous tenir dans la
réserve.
6° Le Jugement de Salomon.
— Tout le monde tonnait le jugement porté par Salomon dans la discussion qui
s'éleva entre deux femmes à propos d'un enfant[53]. Le souvenir de
cette sentence dut passer dans la tradition égyptienne. Car nous savons
aujourd'hui qu'un roi égyptien de la XXIVe Dynastie Saïte,
Bocchoris, était regardé comme ayant rendu un jugement identique. Une
fresque, publiée dans les comptes rendus de l'Academia dei Lincei à
Rome, par M. Lumbroso[54], représente le
roi Bocchoris portant sa sentence dans le litige surgi entre deux femmes. D'après
toutes les vraisemblances, c'est la renommée même de Salomon et de sa sagesse
qui se serait attachée au Pharaon égyptien. Ce roi, en effet, était connu
pour l'intégrité de sa vie et la prudence de ses sentences. Outre celle que
nous venons de mentionner et qui rappelle évidemment le jugement de Salomon,
il en aurait porté d'autres, toutes remplies du même esprit de sagesse. A
l'époque gréco-romaine il existait même un recueil des arrêts qu'il aurait
prononcés. C'est ainsi qu'il fut encore représenté décidant entre deux
mendiants qui se disputaient un manteau, entre trois hommes dont chacun
réclamait une besace remplie de provisions[55].
VII. — LA
GÉOGRAPHIE.
Je comprends sous ce titre un certain nombre de localités
égyptiennes, mentionnées dans la Bible. Ces villes et ces localités sont : ON (Héliopolis
des Grecs), Genèse, XLI, 45 ; XLVI, 20 ; Ézéchiel, XXX,
17 ; — SAN (Tanis
des Grecs), Nombres, XIII, 23 ; Psaume LXVIII (LXXVII), 12 ; Isaïe, XIX, 11, 13 ; XXX,
4 ; Ézéchiel, XXX, 14 (texte hébreu)
; — PÉLUSE, Ézéchiel, xxx, 15,
16 ; — RAMESSÈS, Genèse, XLVII,
11 ; Exode, I, 11 ; XII, 37 ; Nombres, XXXIII, 3 ; — PITHOM, Exode, I, 11 ; — SOCATH, Exode, XII, 27 ; XIII, 20 ; Nombres,
XXXIII, 5, 6 ; — ETHAM, Exode, XXIII, 20 ; Nombres, XXXIII, 6,
8 ; PHIHABIROTH, Exode,
XIV, 2 ; Nombres, XXXIII, 7, 8 ; BUBASTE,
Ézéchiel, XXX, 17 ; — MEMPHIS, Isaïe,
XIX, 13 ; Jérémie, II, 16 ; XLIV, 1 ; XLVI, 14, 19 ; Ézéchiel, XXX,
13, 16 ; Osée, IX, 6 ; — TAPHNÈS, Jérémie,
II, 16 ; XLIII, 7, 8, 9 ; XLIV, 1 ; XLVI, 14 ; Ézéchiel, XXX, 18 ; — NO-AMON (Thèbes) dont nous avons déjà parlé ; — PATHURÈS, Jérémie, XLIV, 1 ; Ézéchiel,
XXIX, 14 ; XXX, 14 ; — SYÈNE, Ézéchiel,
XXIX, 10 ; XXX, 6.
CHAPITRE II. — Les prétentions du rationalisme.
I. — THÉORIE RATIONALISTE.
Le rationalisme, du moins dans sa nuance la plus avancée,
n'a pas manqué de s'appuyer sur les nombreuses concordances que nous venons
de constater entre la Bible
et l'égyptologie pour attaquer l'origine divine de la religion mosaïque. On
s'acharne depuis longtemps à nier le rôle tout à fait particulier joué par Israël
dans le cours des temps, et à faire rentrer son histoire dans le cadre
général de l'histoire de l'humanité. Rien de transcendant et de supérieur à
la vie des autres nations ne distinguerait ce peuple. Son existence ne serait
qu'une phase de la grande évolution historique, ses destinées qu'une nouvelle
application des lois naturelles qui régissent la marche des peuples. L'étude
des religions comparées devait exercer une part d'influence sur les idées du
rationalisme ; elle devait tout naturellement porter l'esprit humain à se
poser cette question : Le mosaïsme, tel qu'il apparaît dans la Bible, présente-t-il un
caractère original et transcendant, est-il une création divine, ou bien se
rattache-t-il à des institutions antérieures, dont il serait tout au plus un
simple perfectionnement, une épuration ? Pour résoudre ce problème la
critique rationaliste a eu surtout recours à l'égyptologie, et ses
conclusions ont été, comme il était permis de s'y attendre, contraires à
l'originalité et à la transcendance de la religion mosaïque. Les apologistes
chrétiens avaient dit : Le Pentateuque répond très bien à ce que nous
connaissons de l'Égypte ancienne ; donc il est authentique. Le rationalisme a
dit : Le Pentateuque contient beaucoup d'emprunts à l'Égypte ancienne ; donc
son auteur n'a fait qu'imiter, copier les institutions de l'Égypte ; donc la
religion mosaïque n'est qu'un décalque, un plagiat de celle de l'Égypte.
Comme on le voit le mosaïsme ne serait en définitive que la religion
égyptienne transplantée, implantée sur les bords du Jourdain et pratiquée sur
une terre étrangère. Il ne faudrait plus regarder le mosaïsme comme descendu
du ciel : ce ne serait que le produit d'un certain travail de la raison
humaine sur des matériaux d'importation égyptienne. Les dogmes les plus
élevés, les idées les plus hautes et les plus belles ne trouvent pas grâce
devant cette farouche critique ; tout doit rentrer dans un moule antérieur,
et tout aussi doit dériver d'un noyau primitif. Ce n'est plus au Sinaï qu'il
faut chercher l'origine du mosaïsme, mais à Héliopolis ; ce n'est pas Moise
qui aurait été le premier propagateur de la nouvelle religion ; tout le
mérite en reviendrait aux prêtres d'Héliopolis ou d'Hermopolis. Israël
perdrait sa place privilégiée dans l'histoire du monde, et la céderait à
l'Égypte. C'est ainsi que raisonne le rationalisme.
II. — CRITIQUE DE CETTE THÉORIE.
La thèse de la réductibilité du mosaïsme aux institutions
égyptiennes n'est pas soutenable dans l'état actuel de la science. Le
dépouillement des textes n'a pas accrédité une pareille conception. On peut
débusquer le rationalisme de sa position de deux manières, c'est-à-dire qu'on
peut démolir sa thèse par deux arguments. Premièrement en renversant le point
d'appui sur lequel elle repose, qui est sans doute une vérité, mais une
vérité exagérée. S'il existe beaucoup de similitudes entre les institutions
mosaïques et les égyptiennes, il n'y a pas pourtant conformité absolue, et de
plus il y a des divergences très nombreuses. Dès lors le fait, sur lequel on
prétend asseoir la théorie, est démesurément grossi. La linguistique nous a
révélé bien des détails. Mais qu'est-ce que ces quelques mots par rapport à
un recueil aussi étendu que le Pentateuque, et qui est écrit en un hébreu pur
et correct ! Ce sont des éclairs. Le rédacteur racontant des faits qui se
seraient passés en Égypte, a dû nécessairement se servir de ces mots. Les
détails archéologiques et cultuels ne sont pas non plus assez nombreux ni
assez significatifs pour ramener tout le mosaïsme, si complexe et si
étonnant, aux systèmes égyptiens. On ne peut pas construire et faire reposer
un si vaste édifice sur des bases si étroites. Il faut donc forcément en
rabattre de ce côté. Quelques faits, quelques par. celles, quelques
fragments, quelques échos ne suffisent pas à donner au tout l'estampille
égyptienne. Ce serait à l'encontre de toutes les méthodes légitimes. C'est le
défaut d'Ebers, animé d'ailleurs d'excellentes intentions, et de ceux qui se
sont attachés à sa fortune, d'avoir trop insisté sur ce que nous appelons
aujourd'hui la couleur locale pour
nous conduire à des conclusions que le déchiffrement des textes n'a pas
toujours confirmées et dont le rationalisme se fait aisément accommodé. Car
si ces conclusions tendaient à prouver, presque avec le seul secours de
l'égyptologie, l'authenticité intégrale du Pentateuque, elles aboutissaient
du même coup à en faire, conformément aux visées rationalistes, à peu près un
recueil égyptien écrit en langue hébraïque. Le Pentateuque, même en s'en
tenant à ses éléments purement humains, respire sans doute un grand parfum
égyptien, mais la fleur a aussi des racines ailleurs.
En second lieu, admettons pour un moment, comme le veut le
rationalisme, que tout soit absolument identique sous le rapport de
l'archéologie et des cérémonies religieuses, que les institutions d'Israël
soient une fidèle reproduction de celles de l'Égypte, car c'est à cela qu'en
appellent surtout nos adversaires pour donner à leur théorie un fondement
historique, serions-nous battus et forcés de capituler ? Pas le moins du
monde. Il nous resterait toujours un autre terrain sur lequel nous sommes
inexpugnables, sur lequel aussi il est de plus en plus prudent que l'apologétique
biblique se place dans l'incertitude des découvertes que peut nous ménager
l'avenir. Mieux vaut prendre une attitude franche et loyale qu'être obligée
surpris par l'impérieuse nécessité des faits, de recourir à des distinctions
et à des explications plus ou moins cabalistiques et qui n'ont rien de la
dignité de la science. Ce terrain privilégié, il me reste à l'indiquer.
CHAPITRE III. — Supériorité de la Bible.
I. — LA
COSMOGONIE.
La Bible
s'ouvre par un enseignement clair et précis sur les origines des choses : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. —
Ces quelques mots donnent la solution du problème dans lequel avait sombré
toute la pensa antique. Le monde a commencé par cet acte de la
toute-puissance de Dieu que nous appelons création.
Et cette création doit être prise dans le sens propre et rigoureux, dans le
sens de la théologie catholique, c'est-à-dire comme une extraction du néant.
Le monde a été tiré du néant par la puissance de Dieu : telle est l'affirmation
contenue dans le premier verset de la Bible, entendu comme la Bible l'interprète
elle-même (II Livre des Macchabées, VII,
28). — Les Égyptiens, comme tous les autres peuples, se livrèrent à
bien des spéculations sur l'origine du monde, mais jamais ils ne purent
dégager l'idée de création ; jamais ils ne purent entrevoir cette solution.
Sans doute leur théologie nous parle assez fréquemment du commencement du
monde ; mais ce commencement n'est que l'élaboration d'une matière
préexistante, la mise en œuvre de matériaux que le dieu avait trouvés tout
préparés et dont personne ne connaissait la provenance. — Comment donc la
théologie égyptienne expliquait-elle l'origine des choses ? Elle enseignait
que les germes de toutes choses avaient dormi pendant de longs siècles dans
le sein de l'eau ténébreuse, de Nou,
qu'il faut peut-être rattacher à Nouît,
la déesse du ciel. Au temps voulu, le dieu de chaque cité réveilla ces
éléments endormis, et opéra sur eux selon son génie propre.
Dans cette disposition des éléments préexistants, chaque
dieu obéit à ses attributs propres, et au rôle que lui avait assigné la
vieille théologie. Voilà pour. quoi on peut dire qu'il y eut autant de
coordinations, d'agencements de ces matériaux qu'il y avait de dieux locaux,
de dieux maîtres et rois des cités particulières. La déesse Nit de Sais, qui
était tissandière de sa profession, avait tramé, tissé le monde, comme la
mère de famille trame et tisse les vêtements de ses enfants. Khnoumou, le Nil
de la cataracte, avait amassé le bienfaisant limon de ses eaux et en avait
modelé les êtres sur le tour à potier. C'est pour cela que ce dieu est appelé
à Philæ Khnoumou... le
père des dieux, qui est lui-même, qui pétrit[56] les humains et modèle[57] tes dieux. Les théologiens du Delta avaient
compliqué l'opération. La terre (le dieu
Sibou) et le ciel (la déesse Nouît)
étaient perdus dans Nou et se tenaient
étroitement unis. Au jour marqué, le dieu Schou sortit des eaux éternelles,
se glissa entre les deux et, saisissant Nouît à pleines mains, la haussa
par-dessus sa tête. Le buste étoilé de la déesse s'allongea dans l'espace et
devint le ciel, ses pieds et ses mains retombèrent sur notre sol et formèrent
les quatre piliers du firmament. Quant à Sibou, il avait opposé de la
résistance à Shou ; il avait engagé une lutte contre lui. Il est représenté
couché et faisant des effort, pour se mettre debout. Une de ses jambes est
étendue horizontalement, l'autre s'arc-boute afin que le corps puisse prendre
son élan, le bras droit se porte déjà vers le ciel. Cet effort n'eut pas de
résultat. Sibou fut frappé d'immobilité par Shou, et demeura éternellement
dans cette position. Il souffre toujours de la séparation d'avec Nouît, et sa
plainte ne cesse de monter vers le ciel[58]. Toutes ces
conceptions cosmogoniques ne ressemblent en rien à la création du néant
formulée si clairement dans les saints Livres. Par cet enseignement révélé, la Bible plane bien
au-dessus, non seulement des théories de la théologie égyptienne, mais aussi
de tous les systèmes de l'antiquité. Cette conclusion s'impose à nous avec
une certitude absolue. Toutes nos recherches nous ont conduit à ce résultat.
II. — LE MONOTHÉISME.
1° La religion première de
l'Égypte. — On ne sait rien de certain sur la religion primitive
dei Égyptiens. Outre que les textes les plus anciens pré. sentent d'assez
grandes difficultés, les images, les formules et les conceptions elles-mêmes
sont flottantes, ondoyantes et d'une désespérante flexibilité. Toute cette
perspective religieuse se perd pour nous dans une espèce de nuage où il n'est
pas facile de distinguer les lignes et les contours, ni même parfois les
objets qui s'y meuvent. Les égyptologues de la première heure étaient portés
à croire que la plus ancienne religion qui avait régné aux bords du Nil avait
été le monothéisme, et, en effet, au milieu de l'encombrement des textes et
des formules cultuels, on semble bien entrevoir des échappées de monothéisme.
La pensée égyptienne parait faire d'énergiques et puissants efforts pour se
fixer sur un être unique et supérieur à tous les autres. — Les égyptologues
d'à présent sont plutôt enclins pour la plupart à une opinion opposée.
L'Égypte n'aurait jamais connu le monothéisme, et même son berceau aurait été
plongé dans le polythéisme. Sans pouvoir préciser d'une manière exacte ce que
fut la religion primitive des Égyptiens, on est généralement disposé à penser
qu'elle fut une espèce de panthéisme cosmique.
Chaque Dieu prend des formes variées et multiples ; mais ordinairement les
apparences sous lesquelles il se manifeste et les formes qu'il revêt sont des
êtres de la création, de la nature visible et matérielle : le soleil, le ciel,
la terre, le Nil, son limon bienfaisant et fécondant. Tout ce qui est de
nature à impressionner fortement l'imagination ou à gagner le cœur est une
manifestation d'un dieu quelconque. On ne parvient pas à distinguer Dieu de
la nature, le Créateur des créatures ; l'esprit égyptien reste réfractaire à
l'idée d'un Dieu transcendant et personnel, supérieur à la nature tout
entière et maitre absolu de la création. — La conclusion qui se dégage
inéluctablement de cette divergence d'opinions, c'est qu'il est impossible de
se prononcer avec certitude sur la religion primitive de l'Égypte. Le voile
n'est pas encore tiré, et, dans ces conditions, on aurait tort d'être trop
affirmatif dans un sens ou dans l'autre.
2° Le polythéisme.
— Quoi qu'il en soit des origines, le polythéisme ne tarda pas à faire son
apparition sur les bords du Nil et à conquérir promptement l'Égypte. Ce
mouvement polythéiste prit une prodigieuse extension. Les sujets des Pharaons
connurent une masse de formes religieuses tellement compliquées, tellement
enchevêtrées, que l'histoire et la philologie n'ont pas encore réussi à se
débrouiller complètement au milieu de ce chaos et à dessiner des lignes
précises.
Les dieux se croisent et se multiplient avec une
extraordinaire facilité. On dirait une luxuriante végétation dans le ciel des
divinités. Chaque nome, chaque ville importante avait le sien. Et, chose
étonnante, ces dieux se métamorphosaient et prenaient toutes les formes
possibles et imaginables ; ils se montraient sous toutes les faces à leurs
adorateurs. Il y avait les dieux-fonctions, tels que Naprit, l'épi mûr, et
Maskhonit qui apparaissait près du berceau de l'enfant au moment de sa
naissance ; les dieux-génies, tels que Donit et Nokit ; les dieux-étrangers,
tels que Hâthor, la dame de Pouanit, Bîson, Shehahidi, d'origine libyenne,
Baàlou, d'origine sémite ; les dieux-astres, tels qu'Horus, le ciel dont les
deux yeux étaient le soleil et la lune, Sibou et Nouît, la terre et le ciel
mariés, Râ, le disque solaire ; les dieux représentés par le soleil dans sa
course, tels que Saktit, la première barque, Mazît, la seconde barque, Apôpi,
le serpent gigantesque qui se dressait sur le chemin du soleil ; les dieux
qui accompagnent le soleil dans sa course, tels que Jàouhou, Akhimou-Sokou,
Akhimou-Ourdou ; les dieux-constellations, tels que Ouapshetatooui, Jupiter, Kahni, Saturne,
Sobkou, Mercure, Bonou, Venus, Sahou, Orion,
Sopdit, Sirius ; les dieux-Nils, tels
qu'Osiris du Delta, Khnoumou de la cataracte, Harshàfitou d'Héracléopolis ;
les dieux-terre, tels qu'Isis de Bouto, Phtah de Memphis, Amon de Thèbes,
Minou de Coptos ; les dieux-ciel, tels qu'Hâthor de Dendérah, Nît de Saïs,
Anhouri-Schou de Sébennythos, Harmerati de Pharbœthos, Har-Sapdi de l'ouady
Toumilat, Harhouditi d'Edfou, pour ne nommer que les plus importants. — Autre
complication : ces dieux, ou du moins plusieurs d'entre eux, apparaissaient,
comme nous l'avons déjà dit, sous des formes multiples et changeantes ; à
proprement parler, ce sont de vrais caméléons. C'est ainsi qu'Horus-soleil,
identifié avec Râ, devient Harmakouiti, Horus des
deux horizons, Hartima, Horus-piquier,
Anhouri, Horus de Thinis. Quelquefois
les dieux s'incarnent dans des animaux : ainsi Osiris à Mendès, Harshafltou à
Héracléopolis, Khnoumou à Éléphantine, s'incarnent dans des béliers ; Râ à
Héliopolis, Phtah Memphis, Mînou à Thèbes, Montou à Hermonthis, s'incarnent
dans des taureaux. D'autres fois ils se contentent de changer de nom : Phtah
de Memphis devient Sokaris, Ouapouaîtou devient Anubis, Anhouri devient
Khontamentît.
On voit d'après ce court exposé que les ramifications de
l'arbre polythéiste étaient à la fois très nombreuses et très flexibles.
3° Divers essais de
simplification. — L'historien toutefois est obligé de constater,
pour l'honneur de la pensée humaine, que trois tentatives furent faites pour
mettre un peu d'ordre et de systématisation dans ce Panthéon.
Le premier effort dans ce sens aboutit à ce qu'on appelle
les triades locales : un dieu s'unit
avec deux déesses, ou une déesse avec deux dieux. Le dieu Thot d'Hermopolis
s'unit aux déesses Seshaît-Sapkhitoboui et Nahmaouît, le dieu Toumou d'Héliopolis
aux déesses Nebthôtpît et Iousasît, le dieu Khnoumou aux fées Anoukît et Sâtit
; la déesse Nît de Saïs s'unit au dieu Osiris de Mendès et enfante
Ari-hos-nofri un lionceau au regard bienfaisant, pour compléter la triade ;
la déesse Hâthor de Dendérah s'unit aux dieux Herœris et Ahi. Nonobstant
cette mise en triade, l'encombrement des dieux et des déesses n'en persista
pas moins dans les temples égyptiens.
Le deuxième essai de simplification et de coordination fut
l'œuvre des théologiens d'Héliopolis. On disposa les dieux en Ennéades, paouît noutirou, des triades de triades. Mais
la complication s'introduisit aussi dans cette classification en Ennéades. On
distingua principalement l'Ennéade créatrice, qui avait , pour chef Schou, la
petite Ennéade, dont le cher était Harsieris, et la grande Ennéade, où
dominait Anubis. — A Hermopolis on inventa un conseil créateur, composé de
cinq dieux, et une Ogdoade, quatre couple de dieux et de déesses. Cette
coordination qui pouvait sourire aux spéculations des collèges sacerdotaux
d'Héliopolis et d'Hermopolis, ne parvint nullement à briser le cercle du
polythéisme ; elle eut simplement le mérite de ranger en bataillons la
cohorte confuse des dieux égyptiens.
Enfin la dernière tentative, la plus méritoire entre
toutes, fut de réduire le Panthéon égyptien et d'introduire une certaine
unité ou plutôt une subordination entre les hôtes qui l'habitaient. Déjà dès
les temps les plus anciens on constate une pareille tendance. Le dieu local,
le dieu de la cité avait aux yeux de ses adorateurs et de ses fidèles la
suprématie sur les autres dieux de l'Égypte et ni me sur les dieux étrangers.
Ces dieux locaux portent dans les inscriptions les titres de Dieu unique, Noutir ouâ,
de Roi des dieux, Souton
noutirou, de dieu Grand maitre du ciel,
Noutir âa nib pit. Mais la suprématie
et la prééminence d'un dieu local ne parvenaient pas à supplanter la
suprématie et la prééminence d'un autre dieu local dans son propre domaine.
Chaque Dieu local trônait et était maitre dans son district à peu près comme
les chefs féodaux du moyen âge. Au fond ces dieux ne constituaient pas une
monarchie mais une simple féodalité. Nulle part n'apparaît le maitre unique
et absolument souverain. — Sous la XVIIIe Dynastie, on voit aussi se dessiner un
mouvement dans ce sens. Le dieu Amon-Râ, seigneur de Thèbes, tend à accaparer
le rôle suprême au détriment des autres, et à devenir un dieu général par
toute l'Égypte. Il faut applaudir à ces aspirations de l'esprit humain.
Toutefois de pareilles tentatives et de pareilles visées n'ont rien
d'analogue au iahvéisme mosaïque. Celui-ci est un dogme absolument
transcendant. Cette espèce de Suprématie qu'on accordait en Égypte à un dieu
suivait, pour ainsi dire, les évolutions politiques de la nation et les
révolutions de l'histoire ; elle était liée à l'élévation et à la décadence
des empires et des pouvoirs humains. Lorsque Thèbes était souveraine, c'était
le dieu local de Thèbes qui avait le premier pas ; lorsque Memphis prenait le
dessus, son dieu détrônait, dans le cœur et la vénération des Égyptiens,
celui de sa rivale. On attachait une idée symbolique à ce déplacement du
centre de la religion.
Quand une ville l'emportait sur une autre, c'était,
croyait-on, parce que son Dieu était plus puissant ; de sorte qu'en Égypte la
religion du plus fort était toujours la meilleure et exerçait un semblant de
domination sur les sujets des Pharaons. Ajoutons aussi, pour sauvegarder les
droits de l'histoire, que les différents collèges sacerdotaux doivent être
pour quelque chose dans la fortune des dieux locaux. On comprend aisément que
les prêtres attachés au service d'un temple fussent portés à mettre leur dieu
au-dessus des autres. Il n'y a là qu'un phénomène psychologique parfaitement
normal. Les coteries et les intrigues ont toujours joué dans l'histoire un
rôle plus ou moins considérable.
Ce qu'il faut surtout retenir c'est que, au milieu de
toutes ces tentatives, l'esprit égyptien n'arriva jamais à ce monothéisme
admirable qui suffirait à lui seul à placer le peuple d'Israël au-dessus de
tous les peuples de l'antiquité, et à faire son incomparable grandeur. On me
permettra de terminer par les paroles d'un éminent égyptologue, que j'ai déjà
cité au cours de cette étude, et dont le témoignage est d'autant plus
précieux qu'il ne s'inspire que de convictions scientifiques : En raisonnant de la sorte, les Égyptiens s'acheminaient
naturellement vers le concept de l'unité divine où les menait déjà la théorie
de l'Ogdoade hermopolitaine. Ils y touchèrent en effet, et les monuments nous
montrent d'assez bonne heure les théologiens occupés A réunir en un seul être
les attributions que leurs ancêtres avaient dispersées sur mille âtres
divers. Mais ce dieu vers lequel ils tendent n'a rien de commun avec le Dieu
de nos religions et de nos philosophes modernes. Il n'était pas comme le
nôtre est pour nous, Dieu tout court : il était Toumou, le dieu unique et
solitaire — noutir ouâou ouâîti
— à Héliopolis, Anhouri-Shou, le dieu unique et
solitaire, à Sibennytos et à Thinis. L'unité d'Atoumou n'excluait pas celle
d'Anhouri-Shou, mais chacun de ces dieux, unique dans son domaine, cessait de
l'être dans le domaine de l'autre. L'esprit féodal, toujours vivace et
jaloux, s'opposa à ce quo le dogme entrevu dans les temples y triomphât des
religions locales et s'étendit au pays entier. L'Égypte connut autant de
dieux uniques qu'elle avait de grandes cités et même de temples importants :
elle n'accepta jamais le dieu unique, Dieu[59]. — On nous
permettra d'ajouter quelques mots en forme de conclusion : Par le dogme du
monothéisme inscrit en lettres éclatantes, en lettres d'or au frontispice même
de la Genèse,
et qui est le centre de toute la religion mosaïque, Israël s'élève à une
hauteur infinie au-dessus de tous les systèmes religieux de l'Égypte.
III. — LA
MORALE.
Pour la morale nous avons le Décalogue. Par le
Décalogue Israël est à une distance incommensurable au-dessus de l'Égypte.
Rien de si beau, de si pur, et de si précis dans la religion égyptienne,
quoiqu'elle contienne certains préceptes de morale d'une beauté
incontestable. Il existe en effet dans le Livre des morts des
Égyptiens un admirable morceau de morale, désigné sous le nom de Confession
négative ; c'est l'accusation du défunt au tribunal d'Osiris. Il y a dans
ce document des maximes capables de faire rougir nos modernes civilisations et
dont on ne saurait méconnaître, sans être injuste, ni la pureté, ni
l'élévation. Il est nécessaire de nous occuper de ce morceau soit pour mettre
bien en relief le mérite de la morale égyptienne, soit pour qu'on puisse la
comparer en pleine connaissance de cause, avec la morale biblique, et tirer
de là les conclusions qui en découlent naturellement. C'est en mettant sous
les yeux du lecteur tous les éléments du débat, qu'on fait œuvre de critique
loyal et impartial, et qu'on s'accrédite même aux yeux de ceux qui ne
partagent pas nos croyances. Le mort donc, ayant comparu au tribunal d'Osiris
et ayant fait les cérémonies nécessaires, s'exprimait ainsi : Salut à vous, maure de Vérité, salut à toi, dieu grand, maitre
de Vérité et de Justice ! Je suis venu sous toi, mon maître, je suis amené
pour voir tes beautés ! Car je te connais, je connais ton nom, je connais te
nom de tes quarante-deux divinités, se gorgeant de leur sang, en ce jour où
l'on rend ses comptes devant Onnophris, le juste de voix. Ton nom à toi,
c'est le Dieu, dont les deux jumelles sont les dames des deux Vérités
: or, moi, je vous connais, seigneurs des deux Vérités, et je vous apporte la Vérité, j'ai détruit pour
vous les péchés. — Je n'ai point commis
d'iniquités contre les hommes ! Je n'ai point opprimé les petites gens ! Je
n'ai pas opéré de détournements dans la nécropole ! Je n'ai jamais imposé du
travail à homme libre quelconque, en plus de celui qu'il faisait pour lui-même
! Je n'ai point transgressé, je n'ai point faibli, je n'ai point défailli, je
n'ai point accompli ce qui est abominable aux dieux ! Je n'ai pas fait maltraiter
un esclave par son maitre ! Je n'ai affamé personne, je n'ai point fait
pleurer, je n'ai pas assassiné, je n'ai point fait assassiner traîtreusement,
et je n'ai commis de trahison envers personne ! Je n'ai rien retranché aux
provisions des temples ! Je n'ai point gâté les pains de proposition des dieux
! Je n'ai pas enlevé les gâteaux et le maillot des morts ! Je n'ai point fait
œuvre de chair dans l'enceinte sacrée des temples ! Je n'ai pas juré ! Je
n'ai rien retranché aux redevances sacrées ! Je n'ai pas tiré sur le peson de
la balance ! Je n'ai pas faussé le fléau de la balance ! Je n'ai pas enlevé
le lait de la bouche des nourrissons ! Je n'ai point lacé les bestiaux sur
leurs herbages ! Je n'ai pas pris au filet les oiseaux des dieux ! Je n'ai
pas péché les poissons de leurs étangs ! Je n'ai pas repoussé l'eau en sa
saison ! Je n'ai pas coupé une rigole sur son passage ! Je n'ai pas éteint le
feu en son heure ! Je n'ai pas fraudé la Neuvaine des dieux des morceaux choisis des
victimes ! Je n'ai pas repoussé les bœufs des liens des dieux ! Je n'ai pas
repoussé le dieu en sa sortie ! — Je suis pur
! Je suis pur ! Je suis pur ! Pur comme est pur ce grand Bonou d'Héracléopolis
!... Il n'y a aucun crime contre moi en cette
terre de la Double
Vérité ! Comme je connais le nom des dieux qui sont avec
toi dans la Salle
de la Double Vérité,
sauve-moi d'eux ! — Après s'être tourné vers les dieux assesseurs et
avoir plaidé sa cause auprès d'eux, il revenait à Osiris et continuait ainsi
: Salut à vous, dieux qui êtes dans la grande Salle
de la Double Vérité,
qui n'avez point le mensonge en votre sein, mais qui vivez de Vérité dans
Aounou et en nourrissez votre cœur par-devant le Seigneur dieu qui habite en
son disque solaire. Délivrez-moi du Typhon qui se nourrit d'entrailles, ô
chefs, en ce jour du jugement suprême ; donnez au défunt de venir à vous, lui
qui n'a point péché., qui n'a ni menti, ni fait le mal, qui n'a commis nul
crime, qui n'a point rendu de faux témoignage, qui n'a rien fait contre
lui-même, mais qui vit de vérité. Il a répandu partout la joie ; ce qu'il a
fait, les hommes en parlent et les dieux s'en réjouissent. Il s'est concilié
le dieu par son amour ; il a donné du pain à l'affamé, de l'eau à l'altéré,
des vêtements au nu ; il a donné une barque au naufragé, il a offert des
sacrifices aux dieux, des repas funéraires aux mânes. Délivrez-le de
lui-même, ne parlez point contre lui par-devant le Seigneur des Morts, car sa
bouche est pure et ses deux mains sont pures ![60]
Évidemment le peuple qui s'éleva à de pareilles maximes
était animé d'un grand idéal moral. Il serait difficile de trouver dans toute
l'antiquité profane un morceau de cette valeur. Mais si cette Confession
mérite notre louange et notre admiration, est-elle comparable à la morale de la Bible contenue et
condensée dans le Décalogue ? Pas le moins du monde. Cette morale osirienne
est à côté du Décalogue comme les vagues aspirations, les beaux mouvements de
l'âme du stoïcisme gréco-romain par rapport à l'Évangile. Deux considérations
suffiront à nous en convaincre :
En premier lieu la morale de la Confession
négative n'est pas aussi complète que celle du Décalogue. Les devoirs
envers Dieu sont presque passés sous silence. On n'y trouve rien d'analogue
au premier précepte du Décalogue : Je suis le
Seigneur, ton Dieu ; tu n'adoreras pas de dieux étrangers. Sans doute,
il y règne une grande préoccupation des intérêts des dieux et du temple ;
mais ce ne sont que des intérêts d'ordre matériel, ayant pour objet les
offrandes que l'on doit faire aux dieux. Le culte intérieur de l'adoration,
les intérêts spirituels à l'égard de la divinité en sont absents. — Nul mot
non plus des devoirs à l'égard des parents. On y chercherait en vain le : Tu honoreras ton père et ta mère. La Confession
négative contient une belle déontologie, mais une déontologie incomplète.
En second lieu, pour la partie qui se rapproche du
Décalogue, il n'y a pas sujet à étonnement. Il ne faut pas, en effet, se
laisser tromper par ce mirage extérieur, et oublier la nature et la portée de
ces maximes. Au fond, ce morceau ne contient que la morale naturelle ; il n'y
a rien qui dépasse les devoirs que la nature elle-même nous impose. Or, au
point de vue de la morale naturelle, tous les peuples se ressemblent et se
rencontrent ; elle est aussi universelle que l'humanité. La Bible elle-même, dans la
partie naturelle de sa morale, ne contient que ce qu'on peut trouver et l'on
trouve ailleurs A des degrés différents. On s'est parfois imaginé un peu trop
facilement que tout, absolument tout, devait être nouveau
et inédit dans la Bible. Erreur
dangereuse. L'Esprit-Saint, l'Inspirateur divin, tout en apportant à
l'humanité des vérités nouvelles, a promulgué tout un ensemble d'autres
vérités, qui étaient déjà inscrites dans le cœur l'homme, et qui sont
précisément l'objet de la loi naturelle, expression de la loi éternelle. Ces
vérités, nous devons forcément les trouver plus ou moins ailleurs, partout où
le cœur de l'homme a conservé ses tendances primitives et naturelles, et n'a
pas effacé ou obscurci l'empreinte sublime que le Créateur y a gravée.
Mettons-nous donc en garde contre ces jugements absolus, quand il s'agit de
vérités morales. Autant il est dangereux de dire que la Bible n'a rien de commun
avec les morales des autres peuples, autant il serait ridicule de soutenir
qu'on ne trouve rien dans la
Bible qui ne soit déjà contenu dans les morales des autres
peuples. Ces conclusions extrêmes sont toujours fausses parce qu'elles ne tiennent
pas compte de la réalité des faits.
CONCLUSION.
L'Égyptologie peut rendre sans contredit les Plus grands
services aux études bibliques. Ceux qui s occupent d'apologétique biblique,
besoin qui se fait de plus en plus sentir, doivent avoir constamment l'esprit
éveillé et attentif, être pour ainsi dire toujours en vedette et tirer parti
de toutes les découvertes faites dans ce domaine pour la défense de la cause
qu'ils ont embrassée. La plupart du temps on trouvera dans l'Égyptologie des
armes précieuses pour une sérieuse et prudente défense. La Bible n'a rien à redouter
des études égyptologiques ; bien plus, elle peut en espérer beaucoup de
profit. Contre les espérances de ceux qui voudraient faire des Livres saints
un recueil de légendes écloses on ne sait où ni comment, les textes égyptiens
viendront attester assez souvent la réalité d`tin grand nombre de faits
racontés dans l'Écriture. Ce sera là un premier service. —D'autre part il
faut se mettre en garde contre un engouement irréfléchi et excessif. On ne
doit pas s'attendre à trouver toute la Bible dans les monuments égyptiens. N'ayons pas
l'ingéniosité de voire qu'il ne restera plus aucune difficulté, et que
l'apologétique biblique n'aura plus qu'à marcher dans une voie triomphale
sans rencontrer aucun obstacle devant elle. Ce sera là un deuxième service
que nous rendra l'Égyptologie. Elle nous fera sentir combien le recueil
biblique est compliqué, qu'il embrasse des éléments très nombreux et très
disparates et que dès lors ce ne sera pas trop de la mise en œuvre de toutes
nos connaissances positives pour construire l'édifice de la science biblique.
— Enfin, l'Égyptologie rendra à la
Bible un troisième service. Elle prouvera que le recueil
sacré contient un élément transcendant et divin, irréductible à toutes les
données de l'esprit humain. Tout en confirmant un certain nombre de faits
purement naturels, l'Égyptologie viendra tomber impuissante devant la
religion mosaïque et affirmer par son silence que cette religion ne vient pas
des hommes, mais de Dieu seul.
FIN DU TOME PREMIER
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