La question des ascendances, question dont la simplicité nous paraît aujourd'hui enfantine, a demandé des siècles pour être résolue. Elle l'est. Il est indubitable qu'un enfant hérite, au moins en partie, des phénomènes moraux qui caractérisaient ses ascendants, comme il hérite de leurs maladies organiques. Il est aussi évident qu'un père rachitique donnera le jour à un enfant rachitique, qu'il l'était qu'un nègre mettait au monde un enfant de couleur. Dans ces conditions, le premier devoir d'un historien, pesant les responsabilités de son sujet, est de remonter aux sources de ce sujet. L'homme qui écrira à nouveau l'histoire, en tenant compte des ascendances, et de l'influence non moins reconnue des milieux, la refera complètement, et redressera du même coup celle de l'humanité. Le 21 avril 1808 on lisait dans le Moniteur universel : Aujourd'hui, mercredi 20 avril, à une heure du matin, S. M. la reine de Hollande est heureusement accouchée d'un prince. En conformité de l'article 40 de l'acte des Constitutions du 28 floréal an XII (18 mai 1804) S. A. S. monseigneur le prince archichancelier de l'empire a été présent à la naissance. S. A. a écrit de suite à S. M. l'Empereur et roi, à S. M. l'Impératrice et reine et à S. M. le roi de Hollande, pour leur apprendre cette nouvelle. M. de Villeneuve, chambellan de la reine de Hollande, a été chargé des lettres pour LL. MM. et RR. M. Othon de Bylan, chambellan du roi de Hollande, s'est rendu pour le même effet auprès de S. M. et tous deux sont partis, à cinq heures du matin. S. Em. monseigneur le cardinal Fesch, ayant été averti par un des chambellans de la reine que S. M. était accouchée, s'est rendu sur-le-champ à son palais, où, assisté de l'aumônier de l'Empereur, vicaire général de la grande aumônerie et du maître des cérémonies de la chapelle impériale, elle a ondoyé le prince nouveau-né en présence de S. A. S. madame mère ; de S. A. S. madame la grande-duchesse de Berg ; de LL. AA. SS. les princes archichancelier et architrésorier de l'empire et de S. A. S. le prince de Bénévent, vice-grand-électeur ; les cérémonies du baptême devant être suppléées, suivant l'usage, lorsque le prince aura sept ans. A cinq heures du soir l'acte de naissance a été reçu par S. A. S. le prince archichancelier, assisté de S. Exc. monseigneur Regnault — de Saint-Jean d'Angély —, secrétaire d'Etat de la famille impériale. Attendu l'absence de S. M. l'Empereur et roi, le prince nouveau-né n'a reçu aucun prénom, ce à quoi il sera pourvu par un acte ultérieur et d'après les ordres de S. M. I. et R. Les témoins de l'acte ont été LL. AA. SS. le prince architrésorier et le prince vice-grand-électeur. Ils ont. été désignés par le prince archichancelier, en conformité de l'article 19 des statuts impériaux du 30 mars 1806, attendu l'absence de tous les princes du sang. S. A. I. madame mère, S. M. la reine de Hollande, S. A. I. madame la princesse Caroline, grande-duchesse de Berg ; S. Em. monseigneur le cardinal Fesch et S. Exc. M. l'amiral Verhuel, ambassadeur de S. M. le roi de Hollande, près S. M. l'Empereur et roi, ont été présents à l'acte. Un registre de famille pour la naissance des enfants de la dynastie Napoléonienne avait été déposé au Sénat, comme le grand-livre des droits de successibilité à l'Empire. Le prince Louis y fut inscrit le premier. Lors de cet événement Napoléon était au château de Marsac, attendant Joséphine, alors à Bordeaux. Il lui écrivit aussitôt : Bayonne, 23 avril 1808. Mon amie, Hortense est accouchée d'un fils, j'en ai éprouvé une vive joie. Je ne suis pas surpris que tu n'en dises rien, puisque ta lettre est arrivée du 21, et qu'elle est accouchée le 20 dans la nuit. Tu peux partir le 26, aller coucher à Mont-de-Marsan et arriver ici le 27. Fais partir ton premier service le 25 au soir. Je te fais arranger ici une petite campagne, à côté de celle que j'occupe. Ma santé est bonne. J'attends le roi Charles IV et sa femme. Adieu, mon amie. NAPOLÉON. Joséphine, toute aux apprêts des réceptions, ne trouva pas le temps d'écrire à sa fille. Elle chargea de ce soin Mme Marco de Saint-Hilaire, sa première femme, présentée quelque temps auparavant par Mme Campan. Voici en quels termes Mme de Saint-Hilaire s'acquitta de ce soin : Madame, Sa Majesté l'Impératrice et reine, votre auguste mère, me charge d'avoir l'honneur d'apprendre à Votre Majesté que le courrier Ferrari a apporté ce matin, 24 du courant, au palais de Marsac, où elle réside depuis quatre jours, ainsi que l'Empereur, la nouvelle si impatiemment attendue que Votre Majesté est heureusement accouchée d'un prince le 20 de ce mois. Ce courrier a mis soixante heures à faire la route. Sa Majesté l'Impératrice, ma souveraine et maîtresse, me charge également d'avoir l'honneur de dire à Votre Majesté que ses nombreuses occupations, eu égard à l'arrivée au Palais de LL. MM. le roi et la reine d'Espagne, l'empêchent de vous écrire aujourd'hui, comme elle en avait le plus vif désir. Elle ne saurait non plus fixer à Votre Majesté l'époque de son retour, subordonné qu'il est aux intentions de l'Empereur qu'elle ne connaît pas encore. Vous daignerez m'excuser, madame, si cette lettre ne contient pas pour Votre Majesté l'expression de toute l'effusion du cœur maternel de S. M. l'Impératrice pour sa bien-aimée fille et reine. Je me bornerai donc à lui apprendre que son auguste mère, jusqu'à l'arrivée du courrier, a vécu de jour en jour et de minute en minute dans l'espoir et dans la crainte. Le respect m'empêche de me livrer aux sentiments que je serais heureuse d'exprimer à Votre Majesté dans cette circonstance si flatteuse pour moi. Je ne dois que remplir fidèlement les intentions de S. M. l'Impératrice, ma maîtresse ; mais au moins qu'il me soit permis, madame, de mettre aux pieds de Votre Majesté les sentiments de profond respect et d'inaltérable dévouement avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Madame, De Votre Majesté, La très humble et très obéissante servante. MARCO DE SAINT-HILAIRE, Première femme de S. M. l'Impératrice et reine. Au palais de Marsac, ce dimanche 24 avril 1808. Six heures du soir. La reine accouchait loin de son mari qui régnait en Hollande et loin de Joséphine. Quant à l'Empereur, il ne devait quitter Marsac que le 21 juillet 1808, après la signature du fameux traité de Bayonne, pour entreprendre une tournée sur les côtes de l'Océan. Etudions de près les caractères du roi Louis et de sa femme, la reine Hortense. Né à Ajaccio, en 1778, Louis était de dix années plus jeune que Napoléon. Enfant, il connaît la misère. Il a treize ans lorsque, à Auxonne, son frère le fait venir et se charge de lui, Il s'agissait, raconte M. A. Lévy dans son Napoléon Intime, de vivre à deux sur la très maigre solde de lieutenant en second : neuf cent vingt livres par an, soit, par mois, quatre-vingt-treize livres et quatre deniers, ce qui représente en notre monnaie actuelle quatre-vingt-douze francs quinze centimes. A la caserne, pavillon sud, escalier 1, au numéro 16, deux pièces contiguës, l'une ayant pour tous meubles un, mauvais lit sans rideaux, une table placée dans l'embrasure d'une fenêtre, des livres, des paperasses, une malle, une vieille caisse en bois et deux chaises ; c'était la chambre du futur empereur. A côté, c'était la chambre, plus dénuée encore si c'est possible, où celui qui devait être roi de Hollande couchait sur un mauvais matelas. Ces souvenirs ont été recueillis par M. Pichard, Marie, dans un volume intitulé : Napoléon à Auxonne. Bonaparte, dit M. de Costou, mettait lui-même le pot-au-feu dont son frère et lui se contentaient philosophiquement. (Premières années de Napoléon). En mai 1791, Napoléon, nommé lieutenant en premier au 4e régiment d'artillerie, revient à Valence, accompagné de Louis. Même misère. En 1793, toujours même misère. Napoléon, officier d'artillerie, consacra la plus forte part de ses appointements au soulagement de sa famille. A titre de réfugiés patriotes, nous obtînmes des rations de pain de munition et des secours modiques, mais suffisants pour vivre, à l'aide surtout de l'économie de notre bonne mère. (Jung, Mémoires de Lucien Bonaparte). En 1795, Napoléon s'empare définitivement de son frère Louis, lui impose sa volonté, en fait sa chose. Il l'envoie à l'école de Châlons afin qu'il y subisse l'examen nécessaire pour entrer dans le corps de l'artillerie, métier pour lequel Louis a si peu de vocation qu'il invente aussitôt un prétexte pour retourner auprès de sa mère. Sur ces entrefaites, Napoléon est nommé général. Son premier soin est de faire nommer Louis sous-lieutenant, de l'attacher à sa personne. Louis débute en Piémont, figure à la prise d'Oneille et au combat du Cairo, part en 1796 pour l'Italie, où il se conduit bravement, mais sans zèle. La guerre ne lui apprendra point à revenir sur son antipathie pour le métier militaire, et l'absence lui pèsera, le jeune officier étant amoureux de la fille d'un émigré dont il avait fait la connaissance en allant voir sa sœur Caroline, à Saint-Germain, dans le pensionnat de Mme Campan. Napoléon, au courant de l'intrigue, ordonne à Louis de partir immédiatement pour l'Egypte, dont il ne reviendra que pour réclamer, inutilement d'ailleurs, de nouvelles troupes auprès du gouvernement, et prêter la main au coup d'Etat de Brumaire. Le malheureux Louis n'a qu'une pensée, courir après l'ancienne pensionnaire de Mme Campan. Napoléon, décidé à disposer de son cœur comme de son bras, le sollicite d'épouser Hortense de Beauharnais. Il résiste et part pour Potsdam, sous prétexte d'assister à de grandes manœuvres militaires. A son retour Napoléon revient à la charge. Cette fois il ne le sollicite plus d'épouser Hortense, il l'en prie. Louis invente un second prétexte et, récemment nommé colonel, aime mieux faire comprendre son régiment dans le cadre de l'armée envoyée en Portugal. Au mois d'octobre suivant, Napoléon, chez lequel c'était une idée fixe, lui ordonne d'épouser sa belle-fille. Mme Bonaparte s'en mêle. Il faut céder. Louis a raconté l'incident dans son ouvrage intitulé : Documents historiques sur la Hollande, et publié en 1820. Le jour de la cérémonie fut fixé et le 4 janvier 1802, le contrat, le mariage civil et la cérémonie avaient lieu. Il était âgé de vingt-trois ans. Sa constitution s'était formée de bonne heure, mais son esprit, son caractère ne l'étaient pas. Il avait cette naïveté, cette extrême bonne foi qui appartient exclusivement à l'enfance, résultat d'une éducation privée et du caractère grave et réfléchi d'un homme forcé de s'habituer à vivre en lui-même. Cette fâcheuse situation changea son caractère ; elle altéra aussi sensiblement sa santé, sans qu'il s'en aperçût pour ainsi dire, mais progressivement ; il n'eut plus de repos depuis lors. Il n'y a pas de malheurs plus cuisants et plus réels que les peines domestiques. Ceux de Louis imprimèrent à son esprit, à toute sa vie, une sorte de tristesse profonde, un découragement, un dessèchement, si l'on peut s'exprimer ainsi, auquel rien n'a jamais pu et ne pourra jamais remédier. On ajoutera deux mots sur son mariage. Avant la cérémonie, pendant la bénédiction, et sans cesse, depuis lors, ils sentirent également et constamment qu'ils ne se convenaient point, et cependant ils se laissèrent entraîner à un mariage que leurs parents, et surtout la mère d'Hortense, croyaient essentiellement politique et nécessaire. Depuis le 4 janvier 1802, jusqu'au mois de septembre 1807, qui est l'époque de leur dernière réunion, ils ont demeuré ensemble un espace de temps d'à peine quatre mois, à trois époques séparées par de longs intervalles ; mais ils ont eu trois enfants qu'ils aimèrent avec une égale tendresse. Cette antipathie avouée par Louis est racontée par tous ceux qui ont eu l'occasion de s'occuper de cette union malheureuse. Napoléon réservait à son frère d'autres ennuis que ceux d'être soldat et époux malgré lui. Louis est nommé général de brigade, général de division et conseiller d'Etat attaché à la section de législation. L'Empire fait, il est élevé à la dignité de prince, bientôt au titre de connétable. Il remplace Murat dans le commandement de la place de Paris. Chargé d'organiser une armée destinée à protéger le nord de la France, les chantiers d'Anvers et la Hollande, il y déploie assez d'intelligence pour être mis à l'ordre du jour dans un bulletin de la grande armée. Il va trouver son frère et lui dit : C'est assez de grandeurs et de gloire. Je ne formule plus qu'un vœu : vivre tranquille et retiré. L'Empereur hausse les épaules et, le 5 juin 1806, le fait proclamer à Saint-Cloud, roi de Hollande. Et le roi Louis de renoncer encore à des rêves décidément irréalisables, et d'aller ramer sur la galère. Et quelle galère ! Il sait combien il lui sera difficile de concilier ce que la France — disons l'Empereur — attend de lui, et ce que sa conscience exigerait qu'il fît pour les intérêts de la nation qu'il vient d'adopter. Chacune de ses promesses aux Hollandais sera une protestation contre le grand système continental de l'Empereur. Après quatre ans, à bout de forces, de patience et d'humiliations, il abdique, et chaque terme de cette abdication dévoile les chagrins qu'il nourrit. Je n'ai donc qu'un parti. Mon frère fortement aigri contre moi, ne l'est pas contre mes enfants, et sans doute il ne voudra pas détruire ce qu'il a fait, et leur ôter leur héritage, puisqu'il n'a et n'aura jamais de sujets de plainte contre mon enfant, qui de longtemps encore ne règnera pas par lui-même. Sa mère, à qui la régence appartient par la Constitution, fera tout ce qui sera agréable à l'Empereur mon frère, et y réussira mieux que moi, qui ai eu le malheur de ne pouvoir jamais y réussir, et à la paix maritime ; avant peut-être, mon frère, connaissant l'état des choses dans ce pays, l'estime que méritent ses habitants, combien leur bien-être est d'accord avec l'intérêt bien entendu de son empire, fera pour ce pays tout ce qu'il a droit d'attendre de ses nombreux sacrifices à la France, de sa loyauté, et de l'intérêt qu'il ne peut manquer d'inspirer à ceux qui le jugent sans préventions. Quelques jours après, le roi détrôné prend la route de l'Autriche, sous le nom de comte de Saint-Leu, qu'il conserva jusqu'à sa mort. La volonté de l'Empereur, qui de son frère faisait un roi et une reine de sa belle-fille, ne devait en rien atténuer les relations établies entre les époux. Un homme qui, par ses fonctions, a été placé sur le théâtre des événements qui se sont passés en Hollande, raconte que si, du château de Finkenstein, la reine exerçait un grand empire de bienveillance, elle ne partageait pas le bonheur qu'elle répandait autour de sa personne ; qu'il existait entre elle et le roi une désunion fâcheuse, et dont l'évidence affligeait toute la nation. Ceux, ajoute-t-il, qui étaient dans le secret des antécédents, assuraient que cet éloignement de Louis pour sa femme existait même avant l'époque de leur mariage, qui fut décidé entre Napoléon et Joséphine, sans que ni lui ni Hortense aient été consultés[1]. Dans la Cour de Hollande sous Louis Bonaparte, par un auditeur, nous trouvons une amusante anecdote donnant une idée exacte des rapports existant entre le roi et la reine. Peu de jours après l'arrivée du roi, en 1810, les différents corps de l'Etat furent admis à l'honneur de voir S. M. et de le féliciter sur son retour, mais le roi ne put donner à la nation l'espoir d'un avenir heureux. Les prétentions de la France, l'attitude presque menaçante de ses troupes sur le territoire hollandais, le découragement de quelques hommes d'Etat, tout affligeait le roi, qui pourtant, au milieu de la tempête, résistait avec courage et s'efforçait de conserver le vaisseau de l'Etat. À toutes ces agitations, vint se joindre le malaise que lui causait la présence de la reine, qui après avoir passé quelques jours à Utrecht, vint occuper ses appartements au palais d'Amsterdam. Pendant le peu de jours que Louis avait précédé la reine au palais, il avait donné des. ordres pour que ses appartements, qui précédemment communiquaient avec ceux de la reine, n'offrissent plus aucun moyen de passer les uns dans les autres ; et, pour éviter toute espèce de surprise, cette incommunicabilité fut poussée au point de faire murer les embrasures des portes. Cet éloignement des deux époux, et que le roi semblait affecter de vouloir rendre ostensible, ressemblait presque à une entière séparation de corps, car LL. MM. ne se trouvaient ensemble qu'au déjeuner, où assistait le prince royal, et très rarement le roi et la reine se réunissaient le soir au salon. La reine recevait chez elle, et ce n'était qu'avec la crainte de déplaire au roi qu'on allait lui faire la cour. Mais quelque soin, quelque mystère que l'on mît à allez chez elle, le roi parvenait toujours à savoir quelles étaient les personnes qui lui rendaient des hommages, et comme elle était très aimée, la contrainte était d'autant plus pénible. Quelles raisons avaient contribué à la mésintelligence existant entre la reine Hortense et le roi Louis ? En dehors des pamphlétaires à la solde des Bourbons et dont le métier consistait à traîner les Bonaparte dans la boue, des historiens racontent que le bruit ayant couru que l'Empereur avait eu des relations avec Hortense, le roi Louis n'avait pu s'en consoler. Ces bruits étaient faux ; tout l'indique, le caractère même de Napoléon et celui d'Hortense. M. Alphonse de Beauchamp aurait dû s'en apercevoir avant d'articuler une pareille accusation dans les Mémoires de Fouché. L'Empereur se plaisait à répéter : Ce sont des enfants. Il y a des chances pour qu'ils soient brouillés encore. Il n'y a pas entre eux l'épaisseur d'une feuille de papier. Mais si faux que soient ces bruits, ils ont pu créer entre les époux une froideur persistante. C'est l'histoire de toute calomnie. Le Mémorial de Sainte-Hélène est de cet avis : On avait fait courir les bruits les plus ridicules sur les rapports de Napoléon avec Hortense : on avait voulu que son aîné fût de lui ; mais de pareilles liaisons n'existaient ni dans les idées, ni dans les mœurs ; et, pour peu qu'on connût celles des Tuileries, on sent qu'il a pu s'adresser à beaucoup d'autres, avant d'en être réduit à un choix si peu naturel et si révoltant. Louis savait bien apprécier la nature de ces bruits ; mais son amour-propre, sa bizarrerie, n'en étaient pas moins choqués ; il les mettait souvent en avant comme prétexte. On peut lire encore dans le Mémorial : Hortense, si bonne, si généreuse, si dévouée, n'est pas sans avoir eu quelques torts envers son mari. J'en dois convenir en dehors de toute l'affection que je lui porte et du véritable attachement qu'elle a pour moi. Quelque bizarre, quelque insupportable que fût Louis, il l'aimait ; et, en pareil cas, avec d'aussi grands intérêts, toute femme doit être maîtresse de se vaincre et avoir l'adresse d'aimer à son tour. Si elle eut su se contraindre, elle se serait épargné le chagrin de ses derniers jours ; elle eut eu une vie plus heureuse ; elle eut suivi son mari en Hollande ; Louis n'eut point fui Amsterdam : je ne me serais pas vu contraint de réunir son royaume à l'empire Français, ce qui a contribué à me perdre en Europe, et bien des choses se seraient passées différemment. Enfin nous trouverions encore une réfutation dans cette lettre écrite à la reine Hortense, en date d'Ebersdorf le 28 mai 1809. A la Reine de Hollande. Ebersdorf, 28 mai 1809. Ma Fille, je suis très mécontent que vous soyez sortie de France sans ma permission, et surtout que vous en ayez fait sortir mes neveux. Puisque vous êtes aux eaux de Bade, restez-y ; mais une heure après avoir reçu la présente lettre, renvoyez mes deux neveux à Strasbourg, auprès de l'Impératrice. Ils ne doivent jamais sortir de France. C'est la première fois que j'ai lieu d'être mécontent de vous ; mais vous ne deviez pas disposer de mes neveux sans ma permission ; vous devez sentir le mauvais effet que cela produit. Puisque les eaux de Bade vous font du bien, vous pouvez y rester quelques jours ; mais, je vous le répète, ne perdez pas un moment pour renvoyer mes neveux à Strasbourg. Si l'Impératrice va aux eaux de Plombières, ils l'accompagneront ; mais ils ne doivent jamais passer le pont de Strasbourg. Votre affectionné père, NAPOLÉON. Né d'un père mélancolique de naissance, rendu plus mélancolique encore par un mariage contre son cœur et des obligations contre ses goûts, le nouveau-né devait hériter de cette mélancolie, et les émotions de son existence future ne furent point de nature à l'en débarrasser, Si plus tard, quand il sera un adolescent, puis un homme, à cette mélancolie vient s'ajouter une véritable force de volonté, unie — ce qui tout d'abord peut paraître contradictoire — à une sensibilité indiscutable, c'est la mère qui, chez lui, reprendra de temps en temps le dessus. Hortense avait eu, elle aussi, une existence accidentée, et les événements, quand ils s'amoncellent sur une jeune tête, déploient volontiers de l'impressionnabilité. Née en 1783, fille d'Alexandre de Beauharnais et de Joséphine Tascher de la Pagerie, depuis Impératrice, elle était partie toute jeune de la Martinique pour assister à Paris aux désastres de sa famille : un père guillotiné, une mère prisonnière. A cette époque nous la trouvons sous la surveillance de la princesse de Hohenzollern. A l'âge de treize ans, elle voit sa mère épouser en secondes noces le général Bonaparte et est placée dans le pensionnat de Mme Campan. Elle y apprend les manières du grand monde. Aussi bien pour que le pensionnat eût été choisi par le général, il fallait qu'il offrit des garanties de gravité et surtout de discipline. A dix-sept ans, elle fait son apparition au milieu de la cour consulaire. Elle s'adonne au plaisir. Puis, mariée, dans les conditions que nous avons dites, elle devient mère et un changement s'opère aussitôt en elle. La maternité l'absorbe, au point d'en faire un exemple. Il faut la voir au chevet de son fils aîné, se mourant du croup ; il faut assister à sa douleur quand, plus tard, le roi Louis réclamera son cadet ; il faut la suivre veillant sur le prince Louis avec la tendresse de la plus tendre des mères unie à la raison de la plus raisonnable des tutrices, pour se rendre compte à quel point elle sut pousser l'abnégation et le dévouement. Hortense, née sensible, deviendra courageuse et parfois héroïque. Le prince Louis naissait si faible que sa mère pensa le perdre le jour où il vit le jour : Il fallut, a-t-elle raconté, le baigner dans du vin, l'envelopper dans du coton, pour le rappeler à la vie. La mienne ne m'occupait plus. De sinistres idées n'offraient à mes yeux que la certitude de mourir. Je m'y attendais si bien que je demandai froidement à mon accoucheur si je pouvais encore passer un jour. Le jour du départ de l'Empereur pour les côtes de l'Océan, Joséphine se dirigea sur Saint-Cloud, d'où elle ne fit qu'une traite jusqu'à l'hôtel Cerutti. Marco de Saint-Hilaire a écrit les détails de l'entrevue : — Vous viendrez avec moi, et monterez dans ma voiture, me dit l'Impératrice. Sur l'observation que je lui fis le plus respectueusement qu'il me fût possible, qu'il serait peut-être prudent d'attendre que le jour parût, excédée de fatigue qu'elle devait être et ayant beaucoup souffert, en route, de la chaleur qui avait été excessive, Joséphine ne me répondit pas. — Et puis poursuivis-je, le temps est à l'orage. — Ma chère madame Saint-Hilaire, interrompit l'Impératrice, avec un accent qui n'admettait plus de réplique, faites ce que je vous dis, nous devrions être parties. Un quart d'heure après Joséphine montait en voiture, et je prenais place à côté d'elle. Il pouvait être trois heures et demie du matin. Madame la comtesse d'Arjuzon, dame d'honneur de la reine de Hollande, prévenue de la visite imprévue que faisait l'Impératrice à sa fille, par le courrier Germain qui avait précédé sa voiture, avait annoncé à la reine l'arrivée de sa mère, qui entrait sous le vestibule de l'hôtel Cerutti en même temps que le jour commençait à poindre. Hortense s'était levée à la hâte ; et, en pénétrant dans le premier salon splendidement éclairé, Joséphine rencontra sa fille qui venait au-devant d'elle avec quelques-unes de ses dames. L'Impératrice se précipita dans ses bras en poussant un cri ; la mère et la fille se tinrent un moment embrassées, confondant ainsi leurs larmes sans pouvoir articuler une parole, tant l'émotion qu'elles éprouvaient l'une et l'autre était grande ; celle du petit nombre de personnes présentes à cette scène de tendresse filiale n'était pas moindre ; enfin Joséphine rompit la première ce silence éloquent. — Ton enfant, Hortense, vite ton enfant que je le voie ! A ces mots dits avec un accent qui n'existe que lorsqu'ils partent du cœur d'une mère et malgré le respect imposé par la présence d'une impératrice et d'une reine, les assistants suffoqués, laissèrent un libre cours à leurs larmes, et chacun pleura tout haut. Mais déjà la nourrice du petit prince Louis avait était prévenue ; elle entra dans le salon, portant dans ses bras son jeune nourrisson qui dormait du sommeil des anges. Joséphine le prit avec précaution, le regarda attentivement, le pressa doucement sur son sein, tout en couvrant ses joues de baisers dont l'effusion semblait comprimée par l'appréhension de réveiller le cher poupon. Nous passerons rapidement sur l'enfance du prince, n'ayant pas le temps de nous attarder aux détails oiseux. Nous dirons que la nourrice s'appelait Mme Bure, parce que cette Mme Bure ne devait point quitter le prince auprès duquel elle était encore en 1830. Nous signalerons seulement les événements, trop connus pour qu'on y insiste, du divorce de Napoléon et du départ pour la Malmaison de Joséphine, à laquelle succédait Marie-Louise. Nous ferons observer ce fait que Joséphine en profita pour demander et obtenir de l'Empereur, la faveur de garder près d'elle sa fille que les convenances appelaient en Hollande. Aussi bien, le roi Louis ne devait plus y demeurer longtemps. Son abdication devant suivre de deux ans à peine la naissance de son troisième enfant et précéder de quatre mois le baptême du jeune Louis dans la chapelle du palais de Fontainebleau. Le prince fut baptisé en 1810 et non en 1811 comme nombre de ses biographes le prétendent. La chapelle du palais avait été magnifiquement décorée pour la solennité, durant laquelle l'Empereur devait recevoir le serment de trois évêques nouvellement ordonnés : MM. Le Camus, Costaz et Raillon, nommés, le premier à Aix-la-Chapelle, le second à Nancy, le troisième à Orléans. Un trône avait été élevé, à cet effet, en face du siège que devait occuper le baron de La Roche, évêque de Versailles, officiant ; la messe en musique était de la composition de Lesueur. Le cardinal Fesch ayant ondoyé le jeune prince dans les bras de sa mère, l'Empereur s'adressa à sa belle-fille : — Madame, donnez-moi mon fils. Et comme l'enfant commençait de crier : — Ah çà ! monsieur, voulez-vous venir avec moi ? En sortant de la chapelle, Napoléon dit à ceux des grands dignitaires placés près de lui : — Avant peu, messieurs, nous aurons, je l'espère, un autre enfant à baptiser. Le lendemain, racontent MM. Chopin et Leynadier qui nous ont conservé ces détails, l'Empereur envoya à la reine Hortense un magnifique collier de perles fines, dont les plus petites étaient de la grosseur d'une noisette. Le cadenas de ce collier était monté d'un superbe saphir entouré de brillants. Toutes les personnes de la maison de la reine, qui avaient assisté à la cérémonie, reçurent également un riche présent. Le prince grandit entre sa grand'mère et sa mère. De temps à autre, l'Empereur faisait demander les deux frères[2] et, bien que le dernier ne fût pas d'âge à comprendre, il se plaisait à leur dicter pour l'avenir de véritables règles de conduite. Dans ces circonstances, nous trouverons encore une raison au sentimentalisme et à la volonté qui furent les deux principales originalités du caractère du prince Louis. Si le sentimentalisme de Joséphine ne devait jamais être de longue durée, son indolence et sa légèreté le lui défendant ; si celui de la reine Hortense, veuve d'un mari vivant, mère de fils détrônés par la naissance du roi de Rome, enfin nerveuse comme toute artiste, devait être assez profond pour devenir communicatif ; on admettra bien que les caresses et les paroles d'un homme aussi autoritaire que Napoléon puissent avoir leur influence même sur un enfant de l'âge du prince Louis. Un témoin oculaire m'a raconté autrefois l'impression que fit sur le jeune prince, qui n'avait pourtant que cinq ans à cette époque, l'acte d'autorité de son oncle obligeant Hortense à assister, aux côtés de Marie-Louise, à un Te Deum chanté à Notre-Dame, le jour anniversaire de la naissance du roi de Rome, en réjouissance des victoires de Lutzen et de Bantzen. Une autre fois le prince Louis accompagnera dans une promenade à Saint-Leu, imposée par l'Empereur, sa mère et l'Impératrice. L'excursion terminée, il faudra rire aux farces de Brunet, demandé pour la circonstance. Le prince Louis passa des bras de Mme Bure dans ceux de sa gouvernante Mme de Bombers. dans ceux aussi de Mlle Cochelet, lectrice de l'ex-reine. Un précepteur lui fut donné : l'abbé Bertrand. Son frère Napoléon-Louis étudiait, en même temps, sous la direction de M. Has, qui fût depuis conservateur des manuscrits de la Bibliothèque nationale et membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Cependant les événements vont se précipitant. L'étoile de l'Empereur pâlit de jour en jour. Nous sommes en 1814. Le roi Louis s'arrache à sa mélancolie de roi détrôné, d'époux sans femme et de père sans enfants et accourt à Paris, offrir son bras à son frère, oubliant, devant le danger qui menace la patrie, ses rancunes et ses déboires. — Je suis bien aise que mon mari soit ici, répond Hortense à la personne qui lui en apprend la nouvelle. C'est un homme excellent, et de plus un bon Français, il le prouve en ce moment, plus que jamais. Si nos caractères n'ont pu sympathiser parfaitement, c'est que, sans doute, nous avions l'un et l'autre de ces petits défauts qui ne peuvent s'allier ; mais à présent, nos intérêts sont les mêmes, et c'est digne du caractère généreux du père de mes enfants de venir se joindre aux Français pour les aider, dans leurs moyens de défense, contre l'ennemi commun. C'est ainsi qu'il faut reconnaître tout ce que le peuple français a fait pour notre famille[3]. Le roi Louis embrasse ses enfants. Napoléon se rend à son quartier général de Châlons-sur-Marne. La campagne de France est malheureuse. L'Impératrice se voit dans l'obligation de s'enfuir. Le roi Louis n'a qu'une pensée : sauver ses fils des dangers de l'invasion, et cela malgré l'insistance de leur mère à ne point quitter Paris. Toutes ces allées et venues, tous ces soins, raconte M. E. Marco de Saint-Hilaire, firent que la reine se coucha très tard. Cependant vers les deux heures du matin, il fallut interrompre son sommeil, pour lui remettre une lettre de son mari, à laquelle, au dire du messager : La reine devait répondre sans retard. Louis rendait compte à sa femme de ce qui s'était passé au conseil des ministres, et lui annonçait le départ de Marie-Louise. La reine lui écrivit quelques mots, pour lui dire qu'elle savait tout cela ; puis le messager parti, elle tâcha de se rendormir. Une heure après, second message du roi, qui obligea de la réveiller encore. Cette fois, le roi lui demandait quelles étaient ses intentions, lui disant : Que l'Impératrice s'éloignant de la capitale, elle ne pouvait y rester avec ses enfants et que, tout en blâmant ce départ, elle ne devait pas moins s'y soumettre. Après avoir répondu à son mari, la reine déclara que, fatiguée des émotions de la journée, elle ne voulait plus qu'on la dérangeât. Des ordres furent donnés en conséquence, mais à six heures du matin, troisième message de Louis, qui faisait demander à sa femme de lui envoyer ses enfants pour les voir et les embrasser. À sept heures, les princes conduits par leur gouvernante et leur valet de pied Bro, se rendirent à l'hôtel de Madame Mère, qu'habitait le roi. Une heure et demie après, ils étaient de retour chez la reine. Mme de Bombers ayant dit à Louis, qui l'avait questionnée, que toutes les dispositions se faisaient à l'hôtel de la reine, pour qu'on fût prêt à partir au premier avis — cette dame le croyait du moins — le roi parut rassuré sur le compte des princes. Il se trompait. L'entêtement de la reine devait faire opposition à cette dernière sommation. Cette fois le père fit acte d'autorité. Il réclama ses fils. La reine, effrayée, consentit à partir, à neuf heures du soir, accompagnée de Mme Mailly, la sous-gouvernante, M. et Mme d'Arjuzon, M. de Marmold et Mme Bure, Mlle Cochelet et une femme de chambre. On coucha à Glatigny, chez une Mme Doumerc. Le lendemain, 30 mars 1814 — Mlle Cochelet, dans ses précieux Mémoires, nous a conservé les moindres incidents de l'aventure — avant que le jour n'eût paru, la reine fut réveillée par le bruit du canon. C'était Paris qu'on attaquait. Elle se lève, fait appeler Mme Doumerc, et lui dit : — Je ne peux rester plus longtemps dans une maison particulière. Je ne veux pas non plus m'éloigner de la capitale, sans connaître le sort qu'on lui réserve. Je vais me rendre à Trianon, parce que là je serai plus à portée des nouvelles. — Mais, madame, observe Mme Doumerc, Votre Majesté peut courir des dangers dans un lieu aussi isolé que Trianon ? — Je ne veux pas risquer d'exposer mes enfants, aussi vais-je envoyer prévenir le général Préval qui, je crois, commande à Versailles, de veiller sur nous. Puis la reine ajouta, les yeux remplis de larmes : — Hélas ! jusqu'à présent je n'avais entendu le bruit du canon que pour célébrer le succès de nos armes ; maintenant il faut se résigner aux •conséquences de nos revers. Elle se rendit au Petit-Trianon. Le général Préval vint lui faire une visite dans l'après-midi. Le temps était beau pour la saison, la reine le reçut dans le jardin. Le général lui apprit qu'on ne se battait plus ; et, après avoir cherché à la tranquilliser il se retira. En effet, le bruit du canon avait entièrement cessé. La reine commençait de reprendre courage, lorsque sur les six heures du soir, on vint lui annoncer qu'un officier envoyé par le général Préval demandait à lui parler. Cet officier, ayant respectueusement déclaré à la reine qu'il avait reçu l'ordre de son général de ne parler qu'à elle seule, sur un signe d'Hortense, les personnes qui étaient présentes se tinrent à l'écart. Après quelques minutes d'entretien, celui-ci retourna à Versailles. Alors la reine appela M. d'Arjuzon, et lui dit avec vivacité : — Il me faut quitter Trianon sur-le-champ, le général Préval vient de me faire prévenir que ni moi, ni mes enfants n'y serions en sûreté, et qu'il ne pouvait répondre de rien. Je veux aller à Rambouillet. Elle partit avec ses enfants. En traversant Versailles elle apprit que les troupes françaises avaient déjà évacué cette ville ; que les rois Joseph et Jérôme Bonaparte y avaient passé pour rejoindre l'Impératrice qui se dirigeait sur Blois. La reine arriva à Rambouillet dans la nuit. Les rois qui s'y étaient arrêtés, pour souper, s'apprêtaient à continuer leur voyage. Ils apprirent à leur belle-sœur la capitulation de Paris et lui conseillèrent de ne pas passer le reste de la nuit à Rambouillet, comme elle leur en avait manifesté l'intention : Parce que — lui dirent-ils — les Cosaques pouvaient s'y montrer d'un moment à l'autre. Mais comment partir ? Il n'y avait pas de chevaux disponibles ; tous étaient employés ou retenus d'avance. L'inquiétude de la reine était parvenue à son comble ; ses enfants étaient couchés et déjà endormis ; elle ne voulait pas interrompre leur sommeil. Ses dames, néanmoins, la supplièrent de prendre un peu de repos ; mais de nouveaux tourments l'attendaient. Le roi, craignant toujours pour ses fils, dépêcha à sa femme un de ses officiers porteur d'un ordre signé de la régente qui lui enjoignait de venir au plus tôt à Blois se réunir à elle et à son mari. En lisant cette dépêche la reine s'écria : — Faut-il qu'au milieu de si cruels événements, au lieu de la protection que j'ai droit d'attendre des membres de ma famille, j'aie au contraire à redouter des persécutions de leur part ! Et comme si ce surcroît de chagrin l'eût révoltée. — Je serais allée à Blois volontiers, ajouta-t-elle ; mais puisqu'on veut m'y contraindre, je me rendrai près de ma mère. Elle demanda ce qu'il faut pour écrire, écrivit quatre lettres : une pour son mari, l'autre pour Marie-Louise, la troisième pour l'Empereur et la quatrième pour sa mère, et le lendemain elle se dirigea sur Navarre, où s'était réfugiée Joséphine. C'est à Navarre que la reine devait apprendre le départ de Napoléon pour l'île d'Elbe. Sur ces entrefaites, le bruit court que l'hôtel de la reine Hortense a été envahi par les Suédois. La reine dépêche Mlle Cochelet. A la nouvelle de l'arrivée de cette dernière rue Cerutti, les amis de la famille accourent afin d'être au courant des péripéties de la reine et de ses enfants. Un visiteur inattendu témoigne le même empressement. Dans une lettre en date du 3 avril 1814, et adressée à la reine Hortense, Mlle Cochelet nous tiendra au courant de l'entrevue : Madame, Je viens de voir M. de Nesselrode et je m'empresse de vous conter, mot à mot, tout ce qu'il m'a dit : — Ecrivez à l'instant à la reine pour qu'elle revienne ici ; que peut-elle redouter ? Qui n'est pas rempli d'affection pour elle et pour ses enfants ; pour sa mère, pour son frère ? La voix publique est tout en leur faveur. Qu'elle décide elle-même de son sort. Nous pouvons tout en ce moment. La destinée de l'Europe et de chacun est entre nos mains, et nous tenons à être juste envers la reine Hortense qui a toujours été parfaite pour nous et qui a sans cesse cherché à adoucir les malheurs de tant d'autres !... Que possède-t-elle ? — Ses diamants, ai-je répondu. — Rien de plus ? — Non ! son fils aîné est grand-duc de Berg ; mais l'Empereur est son tuteur et elle jouit de l'apanage institué pour son fils cadet, Louis Napoléon, qui se compose des bois situés autour de Saint-Leu ; je crois que cela peut valoir tout au plus de quatre à cinq cent mille francs. — C'est trop peu pour elle, a-t-il répliqué ; veut-elle quelque chose, ou veut-elle vivre tranquille près de sa mère ? — J'ignore ses désirs, ai-je répondu. — Alors, écrivez-lui qu'elle reste encore où elle est avec ses enfants. Elle fixera elle-même son sort et tout ce qu'elle voudra sera fait. D'après toutes les assurances que je venais de recevoir j'ai repris ma tranquillité, puisque votre avenir, Madame, et celui des chers princes vos enfants, me paraissent assurés, etc. Et la reine répond : Ma chère Louise, tout le monde m'a écrit comme toi pour me dire : Que voulez-vous ? que demandez-vous ? A tous j'ai répondu : Rien ! Que puis-je désirer ? mon sort n'est-il pas fixé ? Lorsqu'on a la force de prendre un grand parti il est inutile de rien demander à personne. Je t'en prie, ne fais aucune démarche que je pourrais désapprouver. J'ai tant souffert au milieu des grandeurs que je vais peut-être trouver une tranquillité bien préférable à tout ce brillant dont je suis encore entourée malgré moi. Le vif intérêt qu'on me montre pourrait, par la suite, donner de l'ombrage, et cette idée est accablante, ne voulant causer d'inquiétude à personne. Mon frère sera heureux ; ma mère doit conserver sa patrie et ses biens ; quant à moi, j'irai loin d'ici avec mes enfants ; et, puisque la vie et la fortune de ceux que j'aime sont assurées, je puis toujours supporter le malheur qui ne touche que mon existence. Je suis encore toute troublée du sort que l'on destine à l'Empereur Napoléon et à sa famille. Est-il vrai que tout soit arrêté déjà ? Donne-moi des détails. J'espère qu'on ne me redemandera plus mes enfants, car c'est alors que je n'aurais plus de courage ! Elevés par mes soins, ils se trouveront heureux dans toutes les positions que la Providence jugera devoir leur assigner. Je leur apprendrai à se montrer dignes de la bonne comme de la mauvaise fortune, et à mettre leur bonheur dans la satisfaction d'eux-mêmes. Cette satisfaction vaut bien une couronne ! Ils se portent bien, voilà mon bonheur à moi. Remercie beaucoup M. de Nesselrode de tout l'intérêt qu'il me porte. Je jouis de l'affection que tu me montre et il me sera toujours doux de t'assurer de toute celle que je t'ai vouée. HORTENSE. Insistance de la part de M. de Nesselrode. Madame, Je suis chargé par l'empereur Alexandre, mon maître, de vous engager à revenir sur-le-champ à la Malmaison où il ira de suite vous voir. Il a le plus grand désir de vous connaître, ainsi que les deux princes, vos charmants enfants. Vous lui devez déjà de la reconnaissance, puisqu'il sert vos intérêts comme s'ils étaient les siens. Je le répète à Votre Majesté : l'avenir de ses enfants dépend de ce retour. L'Empereur Napoléon a signé, à Fontainebleau, un traité[4] qui assure le sort de tous les membres de sa famille : ils pourront rester en France et conserver leurs titres et qualités. Votre Majesté a été comprise, elle et ses enfants, pour quatre cent mille livres de rentes, dans la répartition convenue à cet effet. Votre Majesté a témoigné le désir de choisir la Suisse pour résidence. Peut-être a-t-elle raison d'y penser ; mais il ne faut pourtant pas qu'elle songe à abandonner la France tout à fait, et surtout qu'elle conserve, par devers elle, le droit d'y revenir, etc. La reine Hortense se laissa persuader et rentra à la Malmaison. Ajoutons que le gouvernement des Bourbons ne tînt pas ses engagements, et que les alliés ne se montrèrent pas plus scrupuleux. L'Empereur ne put rien toucher, ni du capital qu'il s'était réservé d'employer en gratifications, ni des deux millions de rentes que l'Etat lui avait garantis. Toutes ses réclamations furent, vaines, même celles relatives à ses effets personnels, à des portraits de famille placés dans les résidences royales, à des manuscrits sur ses campagnes, etc. Les instructions qu'il avait données à M. Ballonhey, intendant de l'Impératrice Joséphine, pour suivre ces diverses réclamations furent inutiles. L'article 6 du traité sauvegardant les biens des princes de la famille impériale et leur assurant le payement de leur dotation fut violé. Ni le douaire qu'il avait réservé à Joséphine, ni même les quatre cent mille francs de revenu annuel, stipulés pour la reine Hortense et ses fils ne furent payés[5]. L'Empereur Alexandre devint l'un des hôtes assidus de la Malmaison. Il avait été curieux de connaître Joséphine ; il prit plaisir à la société de la reine Hortense, auprès de laquelle il s'excusait sans cesse d'avoir été l'un des promoteurs de l'invasion. Etant venu un jour à l'hôtel Cerutti, il se trouva en tête-à-tête avec Mlle Cochelet. — Je veux, lui dit-il, causer avec vous, relativement à ce qui peut convenir à la reine. Je suis persuadé qu'elle pense qu'on peut vivre avec l'air du temps et sans argent ? Mlle Cochelet se mit à sourire. — En effet, Sire, lui répondit-elle, Sa Majesté n'en a jamais senti le prix que pour le donner. — Je n'ai jamais vu de femme aussi intéressante, reprit l'Empereur ; elle mérite d'être heureuse. Mais, dites-moi, ces bois qu'elle possède près de Saint-Leu, ne sont-ils pas à elle comme apanage princier ? Eh bien ! il faut qu'elle les ait en toute propriété, et pour qu'on ne puisse jamais l'en frustrer, je veux qu'on établisse un duché. J'en ai parlé à Nesselrode, il va rédiger un projet que nous forcerons Blacas de faire signer au roi. Vous vous chargerez de le faire accepter à la reine. Quant au prince Eugène, c'est plus facile ainsi que pour sa mère ; leur sort est décidé : leur fortune leur sera rendue ; mais pour la reine, c'est plus difficile à cause de ses enfants. Si nous ne créons pas pour eux quelque chose de stable et de positif, on serait capable de lui enlever tout ce qu'elle possède, tandis qu'en formant un duché, dont je ferai signer la concession au roi, il faudra bien qu'on respecte un engagement pris avec moi et mes alliés, et qu'il ne sera plus au pouvoir de personne d'annuler. — Sire, permettez-moi de vous faire observer que ce que me fait l'honneur de me dire Votre Majesté ne sera peut-être pas aussi facile à faire qu'elle le croit et surtout qu'elle le désire. M. de Nesselrode m'en parlait encore dernièrement. Notre Empereur, m'a-t-il dit, va beaucoup trop à la Malmaison ; la diplomatie s'est inquiétée ainsi que la haute société de Paris. Le faubourg Saint-Germain craint auprès de lui des influences qui ne seraient nullement dans la politique qu'on veut suivre... — Bah ! fit le czar, je reconnais bien là Nesselrode ! il s'inquiète facilement. Eh ! que m'importe le faubourg Saint-Germain ! Tant pis pour ses dames, si elles n'ont pas su faire ma conquête. Je préfère, moi, les nobles qualités de l'âme. Je trouve dans l'Impératrice Joséphine, dans le prince Eugène et chez la reine, sa sœur, tout ce qu'on admire, tout ce qui attache. Il n'est pas jusqu'aux petits princes, le plus jeune surtout, Napoléon Louis... ou Louis Napoléon, je ne sais lequel de ces deux noms... — Sire, interrompit Mlle Cochelet, c'est sans doute du jeune Louis que Votre Majesté veut parler ? — Oui, le plus petit : eh bien ! il m'a gagné le cœur par sa tenue circonspecte et ses manières engageantes. Je me plais beaucoup plus dans une société intime qu'avec des personnes qui sont sans cesse comme des énergumènes. Ainsi, poursuivit Alexandre en souriant, j'ai été dîner hier chez le roi. Là, on mange de bon appétit et le dîner est long. Savez-vous ce qui est arrivé ? Une duchesse, dont je ne me rappelle pas le nom, quoiqu'on me l'ait nommée, a demandé au prince de Bavière, placé à côté d'elle, en lui désignant le grand-duc de Bade : N'est-ce pas là le prince qui a épousé une des princesses de Bonaparte ? Quelle faiblesse de s'être allié à lui ? Le prince de Bavière n'a rien répondu ; mais n'était-ce pas bien maladroit de ne pas savoir que lui-même y était tout aussi allié que le prince de Bade et tous deux encore moins que l'Empereur d'Autriche qui a dû entendre le propos, attendu qu'il n'était pas éloigné et que je l'ai vu faire la grimace. Et se levant pour partir, l'Empereur Alexandre répéta à la lectrice de la reine qu'il allait charger M. de Nesselrode de régler toutes.ces choses et qu'il lui enverrait la copie de la convention faite entre M. de Blacas et lui, pour être soumise à la reine. Lorsque Mlle Cochelet reçut cette pièce, elle s'empressa de la porter à la Malmaison. Il y était dit que Sa Majesté très chrétienne accordait le titre de duchesse à Mademoiselle Hortense de Beauharnais. — Est-ce possible ! s'écria la reine après avoir lu, que M. de Nesselrode ait cru que je consentirais à adopter une semblable formule ! Certes, Louis XVIII, puisqu'il a été reconnu roi de France, a le pouvoir de sanctionner, n'importe par quel acte, la possession de mes biens autour de Saint-Leu ; mais je ne puis consentir à ce qu'il y ajoute, de cette façon, un titre que j'ai le droit de prendre et qui, accepté de cette manière, me donnerait l'air de renier la validité de celui qui m'appartient. Je l'ai reçu sans le désirer, ce titre de reine, il ne m'a pas rendue heureuse et je le perds sans regrets. Puis s'étant levée avec vivacité, la reine se promena avec une agitation toujours croissante en ajoutant : — Le roi vient de signer un de ses premiers actes de la dix-neuvième année de son règne. C'est manifester la volonté de ne pas reconnaître le passé. Il en est bien le maître, si la nation le trouve bon ; mais nous, nous devons aux peuples qui nous ont placés si haut, de ne jamais désavouer ce qu'ils firent pour nous. Ainsi je crois de mon devoir de ne pas permettre qu'on oublie que j'ai été reine, bien que je ne tienne pas à me faire appeler ainsi. Je n'accepterai cette compensation, offerte à tout ce que perdent mes enfants, que de ceux qui reconnaîtront ce qu'ils furent, ainsi que moi. N'a-t-on pas imprimé dans les journaux l'histoire que mon frère s'était fait annoncer, chez le roi, sous le titre de marquis de Beauharnais ! Il a trouvé au-dessous de lui de démentir cet article, et il a eu tort ; mais ceux qui l'ont imaginé savent bien que ce n'est pas vrai. Que les idées changent, que les Bourbons redeviennent souverains de la France, que le pays le trouve bon et nous renvoie, nous n'aurons rien à dire ; mais notre dignité est trop liée à la dignité de la France, pour que je consente, en ce qui me regarde du moins, à la compromettre ainsi. Au moment où la reine achevait de parler, le prince Eugène entra. Sa sœur lui fit lire le projet d'acte et il en fut aussi scandalisé qu'elle. Cette pièce fut rendue à Mlle Cochelet, avec recommandation de dire à M. de Nesselrode, en la lui remettant, ce qu'ils en pensaient, et que la reine renonçait à tout. De retour à Paris, celle-ci alla trouver le ministre de l'Empereur Alexandre, et lui conta tout ce qu'elle avait entendu dire à la reine et à son frère à ce sujet. — Que voulez-vous que j'y fasse ! lui répondit-il, après l'avoir écoutée attentivement, quoique d'un air contraint ; on ne peut rien tirer de ce M. de Blacas. Il semble que tous reviennent de l'autre monde ; je crois même qu'ils sont surpris de retrouver grandis les enfants qu'ils ont laissés à la mamelle en quittant la France. Certainement, Louis XVIII est disposé à ménager le prince Eugène, votre reine et l'Impératrice leur mère ; mais il voudrait, je crois, n'avoir à les traiter que comme il aurait pu le faire en 1789, puisqu'il ne veut entendre parler de rien de nouveau, et que les titres de reine et d'impératrice le choquent. — Mais vous savez bien que ces princesses ont le projet de se faire appeler d'un titre plus modeste, puisque l'Impératrice Joséphine compte prendre celui de duchesse de Navarre, qui est ; comme vous le savez, le nom d'une terre qui lui appartient, et sa fille, celui de duchesse de Saint-Leu. — Pardon, il s'agit ici pour la reine Hortense d'établir un duché qui lui conserve une fortune indépendante qu'elle puisse transmettre à ses enfants. Diable ! ceci est bien différent ; pour obtenir cela, il faut un acte du nouveau souverain. — Ecoutez, monsieur le comte, je ne suis pas en état, moi, de discuter de pareilles questions ; envoyez chercher M. le duc de Vicence, il est l'ami de la reine, arrangez-vous avec lui, puisque c'est lui qui a stipulé les intérêts de la famille de l'Empereur. — Eh bien ! qu'il vienne demain chez moi ; chargez-vous de le prévenir. Et le ministre du czar quitta Mlle Cochelet pour aller discuter de plus graves intérêts que ceux dont il s'agissait. Toutefois ce ne fut que plusieurs jours plus tard que MM. de Nesselrode et de Caulaincourt se réunirent. Ce dernier comprit parfaitement le refus de la reine Hortense et trouva que ce qui pouvait être le plus avantageux pour elle et pour ses enfants pouvait l'être aussi à toute la famille de l'Empereur, en établissant ce duché de Saint-Leu comme résultat du traité de Fontainebleau. — Ainsi donc, dit-il à ce sujet, en mettant Hortense-Eugénie, désignée dans le traité du 11 avril, c'est forcer Louis XVIII à la reconnaître comme reine et ses enfants comme princes, puisqu'il est dit dans ce traité que chacun des membres de la famille impériale conservera ses titres. De cette façon, cette qualification de reine, qui leur paraît si difficile à digérer, ne leur offusquera plus les yeux. L'expédient parut admirable, et ce fut ainsi que la rédaction des lettres patentes de la reine Hortense fut établie ; mais, il faut le dire, si Louis XVIII n'osa pas se refuser ouvertement à ce que le czar lui demandait, son ministre Blacas y mit tant de mauvaise grâce qu'Alexandre donna l'ordre à celui de ses aides de camp chargé de lui apporter ce brevet de duchesse de ne pas quitter les Tuileries et d'y coucher même s'il le fallait jusqu'à ce qu'il l'eût obtenu ; et la veille de son départ de Paris pour Londres, le czar dit à ce sujet au prince Eugène : — Je ne sais si je ne me repentirai pas d'avoir mis les Bourbons sur le trône ; croyez-moi, mon cher Eugène, ce ne sont pas de bonnes gens ; nous les avons eus en Russie, et je sais à quoi m'en tenir sur leur compte[6]. À cette époque, Napoléon-Louis a dix ans et Louis-Napoléon six ans. A ces âges on commence à raisonner les choses. Ils ont eu déjà conscience des divisions entre leur père et leur mère. Ils ont aperçu le premier pour le voir aussitôt repartir, et ils ont médité les explications qu'on a pu leur fournir. Ils ont entendu le bruit retentissant de la chute d'un trône, et ce trône était celui de leur oncle, après celui de leur père. Dans ce château de la Malmaison, jadis témoin de leurs ébats, ils voient défiler des uniformes étrangers. Chaque jour un nom nouveau pour eux ; celui de Louis XVIII est prononcé sur un ton où la haine se mêle à la crainte. Pour amener une diversion, il faudrait une joie inespérée, c'est une mort qui se prépare, celle de Joséphine succombant à une affection de la gorge, et le cercueil de l'Impératrice ne sera suivi que par ces deux enfants en deuil conduits par la duchesse d'Arberg. Bientôt, suprême épreuve, ils vont être séparés de leur mère partie pour Plombières et demeurer seuls à la garde de Mme de Bombers, de M. Deveaux et de l'abbé Bertrand. Tout à coup une nouvelle circule de bouche en bouche : l'Empereur est revenu de l'île d'Elbe. Il est aux Tuileries. Un de ses premiers soins est d'y demander la reine Hortense, qui s'y rend accompagnée de ses deux enfants, Napoléon-Louis, portant l'uniforme de hussard, Louis-Napoléon celui de lancier. L'Empereur les embrasse, songeant peut-être à son fils, puis, entendant les acclamations du peuple par une fenêtre du pavillon de Flore ayant vue sur le pont Royal, il lui montre ses neveux qui connaissent l'enivrement de la popularité. Aux acclamations du peuple succède le fracas des armes, car il s'agit déparer aux décisions du congrès des souverains et de leurs plénipotentiaires réunis à Vienne. Encore la guerre. Napoléon III eut l'intention de publier des Mémoires. La mort ne lui en laissa pas le temps. Quelques fragments manuscrits sont demeurés en possession de l'ex-impératrice, lesquels furent communiqués, il y a quelques années, à M. Blanchard Jerrold, de Londres. Nous sommes heureux de pouvoir donner la primeur aux lecteurs français d'un de ces fragments qui, chronologiquement, prend place à l'époque où nous sommes : Souvenirs de ma vie. Quand, arrivé à un certain âge, on se rappelle les premiers temps de son enfance, on ne se souvient que de scènes séparées qui ont le plus souvent frappé notre imagination. Ce sont de vrais tableaux qui se sont fixés dans notre mémoire et qu'il nous est impossible de coordonner. Le premier de mes souvenirs remonte à mon baptême, et je me hâte de dire que j'ai été baptisé à l'âge de trois ans. Né à Paris le 20 avril 1808, je fus baptisé en 1810 dans la chapelle de Fontainebleau. L'Empereur fut mon parrain et l'impératrice Marie-Louise fut ma marraine. Mon souvenir me reporte ensuite à la Malmaison. Je vois encore l'impératrice Joséphine dans son salon au rez-de-chaussée, m'entourant de ses caresses et flattant déjà mon amour-propre par le soin avec lequel elle faisait valoir mes bons mots. Car ma grand'mère me gâtait dans toute la force du mot, tandis que, au contraire, ma mère, dès ma plus tendre enfance, s'occupait à réprimer mes défauts et à développer mes qualités. Je me souviens qu'arrivés à la Malmaison, mon frère et moi, nous étions les maîtres de tout faire. L'Impératrice, qui aimait passionnément les plantes et les serres chaudes, nous permettait de couper les cannes à sucre pour les sucer, et toujours elle nous disait de demander tout ce que nous voudrions. Un jour qu'elle nous faisait cette même demande, la veille d'une fête, mon frère, plus âgé que moi de trois ans, et par conséquent plus sentimental, demanda une montre avec le portrait de notre mère. Mais moi, lorsque l'Impératrice me dit : Louis, demande tout ce qui te fera le plus de plaisir ; je lui demandai d'aller marcher dans la crotte avec les petits polissons. Qu'on ne trouve pas cette demande ridicule ; car, tant que je fus en France, où je demeurai jusqu'à sept ans, ce fut toujours un de mes plus vifs chagrins que d'aller dans la ville en voiture à quatre ou six chevaux. Lorsqu'en 1815, avant notre départ, notre gouverneur nous conduisit un jour sur le boulevard, cela me fit éprouver la plus vive sensation de bonheur qu'il me soit possible de me rappeler. Comme tous les enfants, mais plus que tous les enfants peut-être, les soldats attiraient mes regards et étaient le sujet de toutes mes pensées. Quant à la Malmaison, je pouvais m'échapper du salon, j'allais bien vite du côté du grand perron, où il y avait toujours deux grenadiers de la garde impériale qui montaient la garde. Le factionnaire, qui savait qui j'étais, me répondait en riant, et avec cordialité. Je lui disais — je m'en souviens — Moi aussi, je sais faire l'exercice ; j'ai un petit fusil. Et le grenadier de me dire de le commander, et alors me voilà lui disant : Présentez armes ! Portez armes ! Armes bas ! Et le grenadier d'exécuter tous les mouvements pour me faire plaisir. On conçoit quel était mon ravissement. Mais voulant lui prouver ma reconnaissance, je cours vers un endroit où l'on nous avait donné des biscuits. J'en prends un et je cours le mettre dans la main du grenadier, qui le prit en riant, tandis que moi j'étais honteux du bonheur, croyant lui en avoir fait un grand. Souvent j'allais avec mon frère, qui avait trois ans de plus que moi, déjeuner chez l'Empereur. On nous faisait entrer dans une chambre dont la fenêtre donnait sur le jardin des Tuileries. Dès que l'Empereur entrait, il venait à nous, nous prenait avec les deux mains par la tête, et nous mettait ainsi debout sur la table. Cette manière toute exceptionnelle de nous porter effrayait beaucoup ma mère, à laquelle Corvisart avait assuré que cette manière de porter un enfant était très dangereuse. En 1815, ma mère avait obtenu la permission de rester à Paris. Lorsqu'on reçut la nouvelle du premier débarquement de l'Empereur, une grande irritation se manifesta parmi les royalistes et les gardes du corps contre ma mère et ses enfants. On répandit le bruit que nous devions être assassinés. Un soir notre gouvernante vint nous prendre, et, suivis d'un valet de chambre, nous fit traverser le jardin de la maison de ma mère, qui était rue Cerutti, n° 8 ; et nous conduisit dans une petite chambre sur le boulevard, où nous devions rester cachés. C'était la première marque des revers de la fortune. Nous fuyions pour la première fois le toit paternel, et cependant notre jeune âge nous empêchait de comprendre la portée des événements ; nous nous réjouissions de ce changement de situation. L'Empereur va partir pour Waterloo. J'ai vu le jeune prince Louis dans son enfance, raconte l'auteur des Lettres de Londres, il y a de longues années, lors d'une circonstance que je ne puis oublier. C'était la veille du départ de Napoléon pour la fatale campagne de Waterloo. Ce jour-là, l'Empereur m'avait fait appeler pour me confier une mission importante. Quand j'arrivai à l'Elysée, l'Empereur, qui avait déjeuné avec sa famille, était encore renfermé avec elle. Entre ses frères et la reine Hortense, il y avait auprès de lui ses deux neveux, fils de cette princesse et de son frère Louis, avec lesquels il se plaisait à jouer, et dont il faisait de véritables enfants gâtés, surtout du plus jeune, le prince Napoléon-Louis actuel, qui, par son âge et sa figure, lui rappelait davantage son fils le roi de Rome, alors prisonnier de l'Autriche. J'avais été introduit dans une pièce voisine de celle où était l'Empereur. Il paraissait triste et soucieux, quoique sa voix fut brève et accentuée, sa pensée claire et précise. J'écoutais avec la plus profonde attention tout ce qu'il me disait, lorsque, détournant les yeux, par hasard, je m'aperçus que la porte par laquelle était entré l'Empereur était restée entr'ouverte. J'allais faire un pas pour la fermer, mais je vis tout à coup un jeune enfant se glisser dans l'appartement et s'approcher de l'Empereur. C'était un charmant garçon de sept à huit ans, à la chevelure blonde et bouclée, aux yeux bleus et expressifs, et revêtu d'un uniforme des lanciers de la garde impériale. Sa figure était empreinte d'un sentiment douloureux : toute sa démarche révélait une émotion profonde qu'il s'efforçait de contenir. L'enfant s'étant approché, s'agenouilla devant l'Empereur, mit sa tête et ses deux mains sur ses genoux, et alors ses larmes coulèrent en abondance. — Qu'as-tu, Louis ? s'écria l'Empereur d'une voix où perçait la contrariété d'avoir été interrompu ; pourquoi viens-tu ici ? pourquoi pleures-tu ? Mais l'enfant intimidé, ne répondait que par des sanglots ; peu à peu cependant il se calma, et, d'une voix douce et triste, il dit enfin : — Sire, ma gouvernante vient de me dire que vous partez pour la guerre. Oh ! ne partez pas ! ne partez pas ! — Mais pourquoi ne veux-tu pas que je parte ? s'écria l'Empereur d'une voix subitement adoucie par la sollicitude de son jeune neveu. Ce n'est pas la première fois que je vais à la guerre. Pourquoi t'affliges-tu ? Ne crains rien. Je reviendrai bientôt. — Oh ! mon cher oncle ! C'est que les méchants alliés veulent vous tuer. Laissez-moi aller, mon oncle ; laissez-moi aller avec vous ! Ici l'Empereur ne répondit rien. La tendresse de cet enfant lui allait au cœur. Il prit le jeune prince sur ses genoux, le serra dans ses bras et l'embrassa avec effusion. En ce moment, remué par cette scène touchante, je ne sais quelle idée me passa par la tête, mais j'eus la sottise de parler du roi de Rome. — Hélas ! s'écria l'Empereur, qui sait quand je le reverrai !... L'Empereur paraissait profondément ému. Bientôt reprenant toute la fermeté de sa parole : Hortense ! Hortense ! appela-t-il ; et comme la reine s'était empressée d'accourir : — Emmenez mon neveu, et réprimandez sévèrement sa gouvernante qui, par des paroles inconsidérées, exalte la sensibilité de cet enfant. Puis, après quelques paroles douces et affectueuses au jeune prince pour le consoler, il allait le rendre à sa mère, quand s'apercevant, sans doute, combien j'étais attendri : — Tenez, me dit-il vivement, embrassez-le. Il aura un bon cœur et une belle âme. Et pendant que je couvrais le jeune prince de mes baisers et de mes larmes : — Eh ! mon cher, ajouta-t-il, c'est peut-être l'espoir de ma race... Le temps passe et vite. Un soir, comme Benjamin Constant lui lisait Adolphe, on annonce à la reine Hortense la visite du duc de Rovigo. L'Empereur a été battu, la France est de nouveau en danger, les alliés marchent sur Paris. La nouvelle du désastre de Waterloo est confirmée. Napoléon rentre à l'Elysée. C'était la dernière étape avant Sainte-Hélène. L'empereur à jamais prisonnier, il s'agissait de prendre une détermination. On avait aperçu la reine à la terrasse de son hôtel et des passants n'avaient pas craint de l'apostropher. La reine Hortense confie ses deux enfants à une marchande du boulevard Montmartre, Mme Terrier, et se cache dans un appartement de la rue Taitbout. Après la rentrée de Louis XVIII, à Paris, le conseil des ministres ayant découvert sa retraite, lui signifie qu'elle ait à quitter la France sur-le-champ. Le lendemain, le général prussien Muffling, commandant de Paris pour les armées alliées, ne lui accorde que deux heures pour elle et les siens. Elle obtient d'être escortée du comte de Voyna, chambellan de l'Empereur d'Autriche, part avec les deux jeunes princes, M. de Marmold, son écuyer, Mme Bure et une femme de chambre. A Dijon, on crie : Vive les Bourbons ! sous ses fenêtres. Un garde national veut l'arrêter, et l'eût arrêtée sans l'intervention de M. de Voyna qui, d'une voix impérative, lui fait observer que la duchesse de Saint-Leu est sous la protection de l'Empereur d'Autriche. Enfin elle arrive à Genève et descend à l'hôtel de Sècheron. Il faudrait ignorer l'opiniâtreté de la race des Bourbons, pour supposer que les fugitifs — une femme et deux enfants — en seront quittes à si bon marché. Le roi Louis XVIII connaissait pourtant les affres d'une vie sans repos, lui qui, naguères errait de Ham — Westphalie — à Turin, de Turin à Vérone, de Vérone aux bords du Rhin, des bords du Rhin à Blackenbourg, dans le duché de Brunswick ; de Blackenbourg à Saint-Pétersbourg, de Saint-Pétersbourg à Mitau, qu'il lui fallait bientôt quitter sous un ciel glacé, au milieu de steppes couverts de neige pour gagner Memel après avoir imploré l'hospitalité d'un paysan lithuanien ; de Memel à Kœnigsberg, de Kœnigsberg à Varsovie, de Varsovie à Mitau, de Mitau à Gottenbourg, de Gottenbourg à Londres, de Londres au château de Gosfield-Hall, du château de Gosfield-Hall à Hartwell, dans le comté de Buckingham, etc. , jusqu'à ce que des baïonnettes étrangères lui frayassent un chemin. A peine la reine fugitive a-t-elle touché terre à Genève, le gouvernement de Genève lui signifie d'avoir à partir. — Pour aller où ? demande-t-elle à M. de Voyna. — Je n'en sais rien, madame, mais il y a ici un baron de Talleyrand, ministre de France en Suisse, qui, ayant appris l'arrivée de Votre Majesté, a monté la tête du gouvernement de Genève, qui ne demande pas mieux que de vous tourmenter. Il faut partir. — Eh bien ! partons ! réplique la reine. Mais où irons-nous ? — Je n'en sais rien, on n'a jamais vu chose semblable. Et se tournant vers M. de Marmold : — Que dois-je faire de la reine ? L'embarras de M. de Marmold fait pitié à la fugitive : — Jetez-moi dans le lac, en ayant l'air de ne pas l'avoir fait exprès. Car, enfin, il faut bien que je sois quelque part[7]. On se décide pour Aix. Cependant, les puissances alliées pour remplir le vœu bien prononcé de Mme la duchesse de Saint-Leu d'aller habiter la Suisse, et, en même temps pour donner une espèce de satisfaction à l'esprit public, décident, dans la séance du 27 août 1815, que Mme la duchesse de Saint-Leu pourra habiter la Suisse, avec les deux princes, ses fils, mais qu'elle y demeurera sous la surveillance des quatre cours étrangères et de Sa Majesté très chrétienne — Louis XVIII. Extrait du procès-verbal des conférences des ministres réunis des cours alliées. SÉANCE DU 27 AOÛT 1815 MM. les membres de la conférence conviennent de faire exiger des personnes auxquelles il serait accordé asile dans les Etats alliés, une soumission conforme au formulaire prescrit. Les ministres réunis des cours alliées ont considéré que la fixation du séjour des personnes de la famille Bonaparte devait être soumise à des restrictions, attendu que le lieu de leur établissement n'est pas indifférent au maintien de la tranquillité publique. Dans le cas où un Bonaparte aurait, ainsi qu'on l'assure, l'intention de s'établir dans les Etats Romains, les cours alliées n'y apporteront aucune difficulté. Pour ce qui est de Mme la duchesse de Saint-Leu et de ses deux enfants, les cours alliées sont disposées à leur laisser continuer leur séjour en Suisse, où ils seront sous la surveillance des ministres des quatre cours et de celle de Sa Majesté très chrétienne, près de la Confédération helvétique. A Aix un des plus grands chagrins de sa vie attendait la reine. Le baron de Zinte vint réclamer de la part du roi Louis, le prince Napoléon, ainsi que l'y autorisait un arrêt de la cour. Il fallut se séparer. La scène fut affreuse. La reine tomba malade. Le prince Louis, dit Mlle Cochelet, était d'un caractère doux, timide et réfléchi. Il parlait peu, mais son esprit à la fois vif et pénétrant, s'exprimait par des mots heureux, pleins de raison et de finesse que j'aimais à recueillir et à répéter. Il fut si affligé du départ de son frère qu'il en tomba malade et eut une jaunisse qui n'eût pas de suites fâcheuses. Aix devenait insupportable. La reine forme le projet de
s'établir à Constance, comptant sur ses relations de parenté avec le grand-duc
de Bade. Elle fait étape à Lausanne, où on la prie de ne point séjourner ; à
Berne, à Bade, à Zurich, à Serawenfeld, capitale du canton de Turgovie. Elle
arrive à Constance, dans une auberge, pour recevoir le baron de Guellengen
chargé de lui exprimer ses regrets de la part de son maître le grand-duc de
Bade, de ne pouvoir lui permettre de se fixer à Constance. Cela est de toute impossibilité, les hautes puissances
ayant décidé que les membres de la famille Bonaparte ne peuvent habiter que
la Prusse, l'Autriche ou la Russie. Elle supplie. On attendra. Prenez patience, lui écrit la grande-duchesse de
Bade, tenez-vous tranquille. Peut-être, au printemps
prochain, les affaires s'arrangeront-elles à la satisfaction de tout le monde
; d'ici-là, les passions seront calmées et bien des choses seront oubliées.
La reine s'établit dans une maison située sur cette langue de terre qui se
rapproche de Constance, à l'endroit où le lac de ce nom, se rétrécissant,
permet au Rhin de reprendre son cours, ce qui forme comme un trait d'union
entre les deux masses d'eau. A cette place est jeté un pont, construit en
bois, qui joint les deux rives et orne l'entrée de la ville du côté du pays
de Bade. Cette maison, que la reine trouva charmante — à cause de sa
position, sans doute — n'était, en résumé, qu'une infâme bicoque, mal
construite, percée de tant de fenêtres que, vue à distance par le gros bout
d'une lorgnette, on eut dit d'une lanterne à facettes. A l'intérieur, on
montait par un escalier de bois, fort étroit, à l'étage supérieur, espèce de
galerie qui donnait entrée à une demi-douzaine de chambres mal closes et
simplement blanchies à la chaux. En examinant cette maison, l'abbé Bertrand
s'était écrié, dans une espèce de ravissement : — Voilà ce qu'il nous faut ! Là, mon auguste élève sera en bon air, et je pourrai l'avoir sans cesse sous les yeux[8]. |
[1] Mémoires sur la Cour de Louis-Napoléon et sur la Hollande, Paris, 1828. (Par Louis Garnier, d'après de Manne.).
[2] Le prince Napoléon-Charles, l'aîné, était mort du croup.
[3] Mademoiselle Cochelet. Mémoires sur la reine Hortense.
[4] Voici les principaux articles de ce traité ayant rapport aux intérêts particuliers, stipulés pour l'Empereur et pour sa famille :
Article VI. — Il sera réservé, dans les pays auxquels Napoléon renonce, pour lui et sa famille, des domaines où il sera inscrit des rentes sur le grand-livre de France, produisant un revenu annuel net, et déduction faite de toutes charges, de deux millions cinq cent mille francs. Ces domaines ou rentes appartiendront en toute propriété et pour en disposer comme bon leur semblera, aux princes et princesses de sa famille, et seront répartis entre eux de manière à ce que le revenu de chacun soit dans la proportion suivante, savoir :
A Madame Mère, trois cent mille francs ;
Au roi Joseph et à la reine sa femme, cinq cent mille francs ;
Au roi Louis, deux cent mille francs ;
A la reine Hortense et. à ses enfants, quatre cent mille francs ;
Au roi Jérôme et à la reine sa femme, cinq cent mille francs ;
A la princesse Élisa, trois cent mille francs ;
A la princesse Pauline, trois cent mille francs.
Les princes et les princesses de la famille de l'Empereur Napoléon conserveront, en outre, tous les biens, meubles et immeubles de quelque nature que ce soit, qu'ils possèdent à titre particulier et notamment les rentes dont ils jouissent actuellement comme particuliers sur le grand livre de France ou sur le Monte de Milan.
Article VII. Le traitement annuel de l'Impératrice Joséphine sera réduit à un million en domaines et en inscriptions sur le grand-livre de France. Elle continuera à jouir, en toute propriété, de tous ses biens, meubles et immeubles particuliers et pourra en disposer conformément aux lois françaises.
Article VIII. — Il sera donné au prince Eugène, vice-roi d'Italie, un établissement convenable hors de France.
Article IX. — Sur les fonds placés par l'Empereur Napoléon soit sur le grand-livre, soit sur la Banque de France, soit sur les actions des canaux, soit de toute autre manière et dont S. M. fait l'abandon à la couronne, il sera réservé un capital qui n'excédera pas deux millions, pour être employé en gratifications, en faveur des personnes qui seront portées sur l'état que signera l'Empereur Napoléon et qui sera remis au gouvernement français.
[5] J.-B. Chopin et Leynadier.
[6] Mademoiselle Cochelet.
[7] Mémoires de Mademoiselle Cochelet.
[8] M. Marco de Saint-Hilaire.