ÉTUDE BIOGRAPHIQUE SUR SULLY

 

CHAPITRE IV. — DEPUIS L'ENTRÉE DE HENRI IV À PARIS JUSQU'À L'ÉDIT DE NANTES ET LE TRAITÉ DE VERVINS.

 

 

1594-1598

 

Après Paris et Rouen, Lyon s'était soumis à Henri IV, et peu à peu la France entière fit sa soumission, ville par ville. Le roi d'Espagne, inquiet des succès de Henri IV, envoya au comte de Mansfeld l'ordre d'entrer en France et de se joindre au duc de Mayenne qui, à l'aide de quelques places importantes (Soissons, Laon), tenait encore une partie de la Picardie. Mansfeld débuta en prenant la petite place du Câtelet, et aussitôt Henri IV alla assiéger Laon, dont le siège compte parmi les événements militaires les plus importants de cette époque.

Pendant ce siège, Rosny donna au Roi une preuve de sa probité. Les gens de Rouen lui avaient fait cadeau d'un service en argent doré, qu'il n'avait accepté qu'avec difficulté, étant résolu à ne jamais tirer aucun profit des charges qu'il avait. Donc, un matin, pendant que le Roi était encore au lit, Rosny fit apporter dans sa chambre deux grandes mannes où se trouvait ledit service. Le Roi demanda ce que c'était, et Rosny le lui ayant dit, déclara qu'il ne voulait jamais rien prendre pour les affaires qu'il manierait que ce qui lui serait donné par son maître, et qu'il avait fait apporter ce service pour que le Roi en disposât selon son bon plaisir.

Henri IV répondit à Rosny qu'il serait bien riche, si tous ceux qui se mêlaient de ses affaires agissaient comme lui ; qu'il lui donnait le service de bon cœur et qu'il lui ferait remettre un brevet pour apprendre à tous autres comme ils devraient agir. Et le lendemain, il envoyait à Rosny 3.000 écus d'or, avec des paroles de louange, qui valaient encore mieux que les écus.

Nous ne pouvons reproduire ici tous les faits relatifs au siège de Laon, que Rosny raconte en détail : nous parlerons cependant de l'activité prodigieuse que montra Henri IV. Absent pendant quelques jours, Rosny, à son retour, trouva le Roi couché[1] :

Soyez le bienvenu, lui dit-il ; je m'assure que vous n'avez pas été peu étonné de me trouver ainsi dans le lit, vous qui me connaissez de longue main et savez assez que ce n'est pas ma coutume de trop dormir en semblables occasions, et encore moins de faire l'accouchée dans un lit lorsqu'il faut travailler et user de diligence ; mais j'ai tant tracassé cette nuit passée par les lieux âpres et précipiteux de cette montagne, pour visiter le travail d'un chacun, que je ne me puis quasi soutenir, et afin que vous ne pensiez pas que je fasse le douillet, je vous veux montrer mes pieds. Lesquels ayant aussitôt tirés hors du lit, je les vis enveloppés de serviettes et quasi tout couverts d'emplâtres qu'il fit lever, me faisant voir plusieurs fentes et crevasses, toutes tantouillées de sang et de grosses cloches en divers lieux.

Rosny se trouva, pendant ce siège, au furieux combat livré par le maréchal de Biron à un convoi envoyé par Mansfeld et destiné à ravitailler Laon. Il fallut l'invincible bravoure de la cavalerie française, alors toute composée de noblesse volontaire, pour venir à bout de la résistance de l'infanterie espagnole. Laon pris, Amiens, Abbeville, Péronne et autres villes se soumirent.

Pendant ce temps, M. de Rosny était bien plus souvent employé à négocier qu'à combattre : on le trouve successivement envoyé vers le cardinal de Bourbon, M. de Bouillon et le duc de Guise, avec lesquels Rosny conclut des accommodements ou traités avantageux au Roi son bon maître.

Sur ces entrefaites, le surintendant des finances, M. d'O, étant mort (24 octobre 1594), M. de Sancy crut qu'il allait le remplacer ; mais Gabrielle d'Estrées[2], qui ne l'aimait pas, empêcha le Roi de lui donner cette charge. Henri IV établit alors un conseil des finances composé du duc de Nevers, qui en était le chef, de M. de Chiverny, chancelier, du duc de Retz, de MM. de Bellièvre, de Sancy, de Schomberg, de Maisses, de Fresne et de la Grange-le-Roi. Henri IV voulait mettre M. de Rosny dans ce conseil ; mais le duc de Nevers et les autres membres, redoutant l'esprit actif, intelligent et courageux de Rosny, s'y opposèrent, et le Roi dut céder, ce dont il fit quelques excuses à Rosny[3].

La déclaration de guerre à l'Espagne, la tentative d'assassinat sur la personne du Roi par Jean Châtel, achevèrent l'année 1594.

L'année suivante (1595), Henri alla faire la guerre aux Espagnols dans la Franche-Comté. Avant de partir, il institua un conseil présidé par le prince de Conty et chargé de la direction des affaires et finances, dont Rosny fit partie. Mais les membres de ce conseil lui étaient tous hostiles.

Ils ne me pouvaient goûter et disaient que j'étais un espion parmi eux, qui leur rendrait incessamment de mauvais offices, afin de m'acquérir créance à leurs dépens, en interprétant sinistrement toutes leurs intentions. Ils me faisaient mille frusques, toutes leurs opinions étant toujours concertées contre les miennes, et toutes les affaires que j'entreprenais et les personnes que je favorisais rebutées ; et en passèrent si avant qu'il ne se tenait plus de conseils en ma présence — principalement où il était question de finances, tant ils appréhendaient tous que j'y misse le nez —, que de choses quasi de néant, et tenaient des conseils secrets à part, où ils disposaient de toutes choses par correspondances avec MM. le chancelier de Chiverny, de Sancy et autres qui maniaient les affaires près du Roi. De quoi m'étant aperçu, je résolus — après leur en avoir parlé assez haut et protesté que, puisqu'ils tenaient des conseils à part, je ne voulais plus être nommé ni trouvé signé dans les résultats du conseil — de me retirer à Moret[4], d'où ils ne purent jamais me faire revenir, quelques semonces qu'ils m'en fissent faire, même par M. le prince de Conty, auquel j'écrivis que, puisque je n'avais pas la puissance d'empêcher le mal, je ne voulais pas lui servir d'ombre.

Rosny resta plusieurs mois à Moret.

Pendant que Henri IV battait les Espagnols à Fontaine-Française, en Bourgogne, une autre armée espagnole envahissait la Picardie et prenait Ham, Cambrai, Doulens et Calais. M. de Villars, devenu le serviteur très dévoué de Henri IV, était tué dans l'un des combats livrés de ce côté. A ces nouvelles le Roi se hâta de quitter la Franche-Comté et de revenir à Paris. En passant à Moret, il vit M. de Rosny et s'entretint avec lui des causes qui l'avaient décidé à ne plus assister au Conseil.

Je vois bien que c'est, dit Henri IV, demi en colère. Ces gens-là ne veulent personne que j'aime particulièrement, ni qui m'affectionne passionnément, de crainte qu'ils ont qu'il apporte trop de lumière dans leurs desseins et n'éclaire leurs actions ; mais ils ont beau faire, car plus ils vous montreront de haine et d'envie de vous reculer, plus ils accroissent mon amitié envers vous, et le désir que j'ai de vous avancer, reconnaissant de plus en plus les mérites de votre grande intelligence et loyauté. Néanmoins, pour l'heure présente, il nous faut tous deux prendre patience, tolérer les mauvais aussi bien que les bons ; car je vois bien que nous n'aurons pas trop de tout, et encore ne sais-je si, me servant des uns et des autres, j'en aurai assez pour réparer les grands désordres et confusions advenues en Picardie par les animosités, je n'ose dire malices et mauvaises intelligences de ces quatre personnes de qualité[5] que j'y avais laissées, auxquels j'avais tant recommandé l'union entre eux et la loyauté envers moi, sur quoi ils m'avaient fait des promesses tant solennelles que j'eusse pensé leur faire tort que de douter de la vérité d'icelles ; mais je crois qu'enfin il se trouvera que le pauvre mort, qui ne faisait que d'entrer en mon service, aura été celui — contre toutes les impressions que les autres essayaient de m'en donner lorsque je leur nommai pour être avec eux — qui s'y sera le plus vaillamment et loyalement comporté.

Le lendemain Henri IV partait pour Paris, emmenant M. de Rosny avec lui.

Aussitôt arrivé, il se prépara à assiéger la Fère, et, pendant les six mois que dura ce siège, l'armée ne manqua jamais de rien, grâce aux soins de Rosny, transformé en intendant en chef, chargé des approvisionnements de toutes sortes.

La ville prise, le Roi envoya Rosny à Paris pour arrêter les comptes avec les marchands fournisseurs, ayant été averti, dit Sully, que aucuns de son conseil s'étaient intéressés en ces marchés, croyant que les états de la dépense en seraient par eux vérifiés.

Pendant que Henri IV, pour mettre sa frontière de Picardie à l'abri des attaques des Espagnols, faisait une attaque sur Arras, qui ne réussit pas, Rosny revenait à Moret, où il reçut du Roi une lettre relative à l'état de ses finances et au dénuement où il se trouvait (15 avril 1596)[6].

Mon ami, vous savez aussi bien que nul autre de mes serviteurs, puisque vous m'avez toujours suivi et servi en mes plus grands dangers et âpres difficultés, par quelles peines, travaux et fatigues il m'a fallu passer, quels périls et hasards j'ai courus, et quels obstacles et oppositions j'ai surmontés, pour garantir ma vie et ma dignité contre tant de sortes d'ennemis, qui se sont en divers temps élevés contre moi pour me dépouiller de l'un et de l'autre ; et néanmoins je vous jure, et ce avec vérité, que toutes ces traverses ne m'ont point tant affligé ni dépité l'esprit, que je me trouve maintenant chagrin et ennuyé de me voir en de continuelles contradictions avec mes plus autorisés serviteurs, officiers et conseillers d'Etat, lorsque je veux entreprendre quelque chose digne d'un généreux courage et de ma naissance et qualité, à dessein d'élever mon honneur, ma gloire (réputation) et ma fortune, et celle de toute la France au suprême degré que je me suis toujours proposé, qui est de rétablir ce royaume en sa plus grande amplitude[7] et magnifique splendeur, soulager mes pauvres peuples que j'aime comme mes chers enfants — Dieu ne m'en ayant point jusqu'à présent donné d'autres —, de tant de tailles, subsides, foules et oppressions, dont ils me font journellement des plaintes, et de pratiquer, lorsque je me verrai dominateur pacifique de ce qui m'appartient, une certaine loi, dont vous m'avez toujours fait tant de cas, introduite parles Grecs, à la fin de leurs grandes guerres et combustions civiles, par laquelle toutes offenses, et publiques et privées, étaient de toutes parts oubliées.

Or, me trouvé-je maintenant dans l'ennui d'une des plus cuisantes contradictions de ceux qui manient mes affaires que j'aie jamais ressentie sur une telle occasion : c'est qu'ayant voulu faire exécuter par pétard une entreprise que j'avais de longue main sur Arras, toutes choses avaient réussi très heureusement, comme vous en avez pu ouïr parler, jusques au quatrième pétard, lequel nous donnait l'entrée absolue dans la ville, que par je ne sais quel malheur qui ne se pouvait imaginer, de certaines grosses pierres ruées (jetées) ou tombées du portail, tant le pétard que le pétardier furent renversés au fond du fossé, lorsque l'on était prêt à mettre le feu ; et par faute d'avoir porté jusques à six pétards, comme je l'avais expressément commandé (mais quelque opiniâtre s'en voulut faire croire), notre entreprise a été non seulement tournée à néant, mais à la retraite avons perdu plusieurs braves gens, auxquels j'ai un extrême regret ; et néanmoins, parmi tous ces désastres, encore nous était-il resté quelque espèce de consolation, en ce que telles approches si près de cette grande ville nous avaient donné le moyen d'y reconnaître des faiblesses et défectuosités qui nous en faisaient tenir la prise infaillible par la vive force, en moins d'un mois ou six semaines, si nous pouvions mettre ensemble une bande de 15 canons, des munitions pour tirer 2.000 coups et assembler une armée capable de n'être point forcée à lever le siège, comme tout cela m'était facile avec de l'argent.

Mais ayant écrit à ceux de mon conseil des finances comme j'avais un dessein d'extrême importance en main — duquel je ne leur mandais point les particularités, parce que toute la vertu de l'exécution consistait au secret —, où j'avais besoin qu'il me fût fait un fond de 800.000 écus (14.400.000 fr.), et partant les priais et conjurais par leurs loyautés et sincères affections envers moi et la France de travailler en diligence au recouvrement certain de cette somme ; mais toutes leurs réponses, après plusieurs remises, excuses et raisons pleines de discours embarrassés, dont les uns détruisaient les autres, n'ont eu finalement autres conclusions que des représentations de difficultés et impossibilités, voire n'ont point craint de me mander que tant s'en fallait qu'ils ne pussent fournir une si notable somme, qu'ils se trouvaient bien empêchés à recouvrer du fonds pour faire rouler ma maison, ce qui m'afflige infiniment, voire me porte quasi au désespoir et m'aigrit de sorte l'esprit contre eux, que cela m'a fait absolument jeter les yeux sur vous, sur les assurances que vous m'avez souvent données, d'avoir le vouloir et le pouvoir de me bien servir en cette charge, et m'a remis en mémoire ce que vous me dîtes à Saint-Quentin, lorsque je vous parlai des desseins de plusieurs Grands, des grands divertissements (détournements) qui avaient été faits depuis la mort de M. d'O, de notables sommes de deniers, provenues de plusieurs aliénations que l'on avait faites de mes aides, gabelles et autres revenus : ce qui m'ayant donné envie de m'en éclaircir davantage, j'en ai bien encore appris d'autres[8] plus que de vous, car l'on m'a donné pour certain, et s'est-on fait fort de le vérifier, que ces huit personnes que j'ai mises en mes finances — pensant bien faire parce que l'on m'avait fait croire que la ruine de mes revenus n'était provenue que de ce qu'un seul en disposait avec autorité absolue — ont bien encore fait pis que leur devancier, et, qu'en l'année dernière et la présente que j'ai eu tant d'affaires sur les bras, faute d'argent, ces messieurs-là et cette effrénée quantité d'intendants, qui se sont fourrés avec eux par compère et par commerce, ont bien augmenté les grivelées, et, mangeant le cochon ensemble, consommé plus de 1.500.000 écus (27 millions de francs), qui était somme suffisante pour chasser l'Espagnol de France, en paiement de vieilles dettes par eux prétendues. Voire m'a-t-on assuré qu'aucuns d'entre eux ont acheté à fort vil prix de celles des Suisses, reîtres et Allemands, et me les ont fait payer entièrement, principal et intérêt, ce que je serais bien aise de pouvoir vérifier.

Mais en quelque sorte que les choses aient passé, je me suis résolu de reconnaître au vrai si les nécessités qui m'accablent proviennent de la malice, mauvais ménage ou ignorance de ceux que j'emploie, ou bien de la diminution de mes revenus et pauvreté de mon peuple, et, pour cet effet, convoquer les trois Ordres[9] de mon royaume pour en avoir avis et secours, et en attendant établir quelque mien confident et loyal serviteur parmi eux, que j'autoriserai[10] peu à peu, afin qu'il me puisse avertir de ce qui se passera dans mon conseil et m'éclaircir de ce que je désire savoir.

Or, comme je vous ai déjà dit, ai-je jeté les yeux sur vous pour m'en servir en cette charge, ne doutant nullement que si vous me voulez donner votre foi et votre parole (car je sais que vous en faites cas) de me servir loyalement, d'être aussi bon ménager de mon bien à mon profit que je vous ai toujours vu l'être du vôtre, et de ne désirer de faire vos affaires que de mon su, et par ma pure libéralité, qui sera assez ample pour un homme de bien et un esprit réglé comme le vôtre, je ne doute point, dis-je, qu'observant toutes ces choses, je ne reçoive utilité et contentement de votre administration.

C'est donc maintenant à vous à prendre résolution de suivre absolument mes intentions, et m'en parler librement ; et afin de vous y porter avec plus de raison, et par conséquent de sincère affection, je vous veux bien dire l'état où je me trouve réduit, qui est tel, que je suis fort proche des ennemis et n'ai quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un harnois complet que je puisse endosser ; mes chemises sont toutes déchirées, mes pourpoints troués au coude ; ma marmite est souvent renversée[11], et, depuis deux jours, je dîne et soupe chez les uns et les autres, mes pourvoyeurs disant n'avoir plus moyen de rien fournir pour ma table, d'autant qu'il y a plus de six mois qu'ils n'ont reçu d'argent.

Partant, jugez si je mérite d'être ainsi traité, et si je dois plus longtemps souffrir que les financiers et trésoriers me fassent mourir de faim, et qu'eux tiennent des tables friandes et bien servies, que ma maison soit pleine de nécessités et les leurs de richesses et d'opulence, et si vous n'êtes pas obligé de me venir assister loyalement, comme je vous en prie... Adieu mon ami que j'aime bien.

Quelque temps après, M. de Rosny fut chargé par le Roi d'une mission assez délicate : marier le duc de Montpensier avec Madame sœur du Roi[12]. Montpensier était à Rouen ; Rosny alla le voir et lui fit la proposition d'épouser Madame, proposition qu'il accepta ; ce dont le Roi fut si enchanté, qu'il résolut d'envoyer Rosny auprès de sa sœur pour la décider à accepter le duc de Montpensier, fort riche et d'humeur douce, qualité dont Madame paraît avoir été à peu près dépourvue.

Quand le Roi parla à Rosny de son projet de l'envoyer auprès de Madame Catherine, celui-ci se gratta la tête ; ce qui fit dire au maître qu'il voyait bien que Rosny se grattait là où il ne lui démangeait pas ; mais qu'il n'y avait pas de remède, et qu'il fallait absolument qu'il allât auprès de Madame, lui seul étant capable de s'acquitter heureusement de cette mission difficile. Rosny résista autant que possible, disant au Roi qu'il était moins capable que personne de lui rendre le service qu'il lui demandait, après avoir été chargé, en 1594, de rompre le mariage projeté entre le comte de Soissons et Madame, et vivement désiré par elle. Henri IV insista, et il fallut obéir.

Rosny alla trouver la princesse à Fontainebleau. Elle crut d'abord qu'il venait la trouver pour reprendre l'affaire de son mariage avec le comte de Soissons ; mais quand elle fut détrompée, quand elle sut que le Roi son frère, trop mécontent du comte de Soissons, ne permettrait jamais qu'il se mariât avec sa sœur, et qu'il s'agissait d'épouser M. de Montpensier, Madame s'emporta, récrimina, blâma la conduite de son frère, et rappela tous les mariages qu'elle avait déjà manqués : avec François duc d'Alençon, avec le roi Henri III, Philippe II roi d'Espagne, le duc de Savoie, le prince de Condé, le roi d'Ecosse, le prince d'Anhalt et le comte de Soissons.

A ce long discours, Rosny répondit encore plus longuement, et se retira, la princesse lui ayant dit qu'elle lui rendrait réponse le lendemain, après avoir pris conseil avec les siens et le chevet de son lit. Le lendemain, elle rabroua M. de Rosny, lui reprochant sa mauvaise foi passée, ses propos impertinents, l'effronterie qu'il avait eue d'attribuer à son frère des pensées qu'il n'avait certes jamais eues, blâmant son frère d'employer à de pareilles négociations entre personnes de si éminente qualité de petits gentilshommes comme lui, qui n'avaient que faire à vouloir mettre les doigts entre le bois et l'écorce.

Une réponse fort digne de M. de Rosny, appuyée sur une lettre du Roi, amena une réplique de Madame, pleine de colère ; et, finalement, elle intima au négociateur l'ordre de se retirer et de ne plus reparaître chez elle.

Après avoir écrit au Roi pour lui rendre compte de sa mission, Rosny revint à Moret, pendant que Madame envoyait son maître d'hôtel, Boësse, se plaindre à son frère de l'impertinence de son ambassadeur. Aussitôt, et trop promptement, le Roi écrivit à Rosny la lettre suivante :

Monsieur de Rosny, je suis en peine et grandement étonné de n'avoir reçu aucunes lettres de vous depuis votre parlement, qui me puissent informer de ce que vous avez avancé touchant les affaires dont je vous avais donné charge vers ma sœur, et principalement parce que j'ai reçu de ses lettres par lesquelles elle se plaint merveilleusement de vous ; disant en avoir été tellement offensée, et en tant de sortes, qu'elle ne vous le saurait jamais pardonner, et partant me prie de lui en vouloir faire raison et justice. Bien est-il vrai que par sa lettre elle ne spécifie aucunes particularités, ce qui me fait estimer qu'il n'y a pas peut-être tant de mal qu'elle en fait de bruit ; mais en général elle dit que vous lui avez tenu tant d'insolents langages que je ne lui en voudrais pas avoir usé de semblables. Vous savez bien qu'une telle procédure serait contre votre devoir, mon désir et la forme que je vous ai ordonnée à votre partement de vous comporter envers elle, lui parlant avec le même honneur, respect et déférence que vous feriez à moi-même, lui donnant des assurances de ma bienveillance, lui remontrant en de certaines choses doucement son devoir, les obligations qu'elle m'a, les avantages que je lui veux faire si elle me sait complaire, et ce qui est de mes intentions sur toutes ces particularités : partant, pensez à ce que vous avez dit et fait, et s'il y a la moindre chose qui l'ait pu justement fâcher, allez la retrouver, lui en faites d'honnêtes excuses, voire la priez de vous pardonner si la chose le mérite, ce qu'elle fera aussitôt et n'y serez pas mal reçu, car j'y ai pourvu comme il faut. Mais, quoi qu'il y ait, donnez-lui satisfaction, car je ne voudrais pas souffrir, étant ce qu'elle m'est, qu'un seul de mes sujets l'offensât sans le châtier, s'il refusait à user des submissions (soumissions) qui lui sont dues. Et sur cela je prierai Dieu, monsieur de Rosny, qu'il vous ait en sa garde.

D'Amiens, ce 15 de mai 1596.

HENRY.

Mécontent, à juste titre, d'une telle lettre, Rosny en devint tout mélancolique, et son médecin, qu'il envoya querir, lui ordonna de prendre plusieurs médecines. Mais, deux jours après, il reçut une nouvelle lettre du Roi, ainsi conçue cette fois :

Mon ami, je ne doute point que cette lettre ne vous trouve en colère du style de ma précédente que Boësse vous aura rendue, laquelle je n'ai faite que par son importunité, pour me délivrer de celles de ma sœur et apaiser un peu les premiers bouillons de son courroux. Vous la connaissez aussi bien que moi : nous sommes tous deux prompts et mutins, mais nous revenons aussitôt. Ne prenez donc pas garde à cette première lettre que je vous ai écrite, mais seulement à cette-ci par laquelle je vous reconfirme les assurances que je vous donnai à votre partement.

Je sais bien que vous n'aurez rien fait que suivant mes intentions, et m'assure que vous n'aurez non plus égaré cette lettre[13] qui vous sert de garant, et que je me doutai bien que vous demandiez à cette fin lors de votre dépêche[14]. N'ayez donc crainte que je vous désavoue ni souffre vous être fait déplaisir. Servez-moi toujours à ma mode ; aimez-moi comme je vous veux aimer ; venez me trouver au plus tôt pour m'informer encore plus particulièrement de tout ce qui s'est passé en votre voyage — que je ne l'ai été par votre courrier, lequel s'étant démis un pied en courant la poste, comme il me l'a dit, n'a pu m'apporter plus tôt vos lettres — et vous assurez d'être aussi bien reçu de moi que vous ayez jamais été, quand je devrais prendre la vieille devise de Bourbon : Qui qu'en grogne. Adieu mon ami.

D'Amiens, ce dix-septième de mai 1596.

Cette lettre remit M. de Rosny en si bonne humeur, qu'elle le dispensa de prendre les médecines qu'on lui avait ordonnées, et, dès le lendemain, il partit pour Amiens où le Roi le reçut fort bien, et auquel il raconta tous les détails de sa mission.

Quelques jours après, Henri IV faisait venir Rosny dans son cabinet et lui disait :

Or sus, mon ami, c'est à ce coup[15] que je me suis résolu de me servir de votre personne aux plus importants conseils de mes affaires, et surtout en celui de mes finances. Ne me promettez-vous pas d'être bon ménager, et que vous et moi couperons bras et jambes à Madame Grivelée[16], comme vous m'avez dit tant de fois que cela se pouvait faire, et par ce moyen me tirer de nécessité, et assembler des armes et des trésors à suffisance pour rendre aux Espagnols ce qu'ils nous ont prêté. Mais afin, comme je vous l'ai toujours dit, que je vous puisse établir doucement, et sans que cela, par le dépit qu'en pourraient prendre ceux du conseil de mes finances, mette aucun désordre ni confusion en mes affaires, je vous veux envoyer vers eux sous prétexte de deux affaires dont je veux être éclairci ; puis, en faisant succéder d'autres à la suite de celles-là, afin de vous faire continuer à demeurer avec eux, vous vous y familiariserez, de sorte qu'en y vivant doucement, les caressant et assurant de votre amitié, ils ne vous dénieront (refuseront) point la leur, et arrivera même qu'en vous donnant quelques louanges sur la forme de votre conduite, lorsque je les mettrai sur ce propos, je prendrai de là occasion de vous mettre avec eux sans qu'ils s'y puissent directement opposer, ni dire que vous ne savez rien aux finances.

Ayant ouï patiemment tout ce discours, je lui dis qu'il répugnait directement à ce qu'il avait témoigné vouloir faire de moi, étant impossible, comme chose contre la raison et mon propre naturel, de faire amitié avec quelqu'un et se sentir obligé à lui, et puis lui rendre de mauvais offices, ou seulement blâmer ses comportements[17] et s'obstiner contre ses opinions ; et, partant, le suppliai-je de m'excuser et me dispenser de cet emploi, aimant mieux demeurer comme j'étais que d'entrer au conseil de ses finances par obligation envers ceux qui en étaient, pour avoir après à m'opposer à ce qu'ils feraient et diraient.

Et que voudriez-vous donc que je fisse ? me répondit lors le Roi : quoi ! que je donnasse des batailles contre tous mes serviteurs, et renversasse toutes mes affaires pour vous en établir seul en leur place, afin que toutes choses dépendissent de vous et de vos fantaisies ? C'est chose à quoi il ne vous faut pas attendre ; vous en avez aussi peu la capacité que moi la volonté. Partant, puisque vous êtes si bizarre et ponctilleux[18], il ne faut plus parler de ce dessein ; je me servirai de vous en quelqu'autre chose, où vous ne me serez pas inutile ni ne demeurerez pas oisif ; car je sais bien que votre esprit dans le repos est travaillé d'impatience, et qu'il est nécessaire de vous occuper.

Et sur cela me quitta comme à demi en colère, et s'en alla chez Madame de Liancourt, que l'on commençait d'appeler marquise de Monceaux, à laquelle apparemment il conta tous ces propos, et eurent sur iceux quelques contestations, d'autant que dès le lendemain matin, comme je fus au lever du Roi, sans plus songer à finances ni financiers, mais bien à le supplier de me donner moyen de m'entretenir auprès de lui, n'étant pas raisonnable que je continuasse à le servir à mes dépens, me faisant faire tant de voyages, dont je ne pouvais après rien tirer des trésoriers, ni quasi même de mes états et pensions, quelques ordonnances qu'il m'en fît délivrer, sitôt qu'il fut habillé, il me prit par la main, me mena vers un coin de la chambre, où il n'y avait personne, et me dit :

Vous ne savez pas ; j'ai conté à madame de Liancourt tous les discours et contestations que nous eûmes hier vous et moi, sur lesquelles nous avons eu de grandes et longues disputes, et enfin m'a mis tant de raisons en avant, qu'elle m'a quasi persuadé que vous aviez raison, et moi tous les torts du monde de vous vouloir établir en des affaires de telle importance et tant chatouilleuses que sont les finances, par l'intervention, agrément et obligation d'aucun autre que de moi seul, comme à la vérité cela n'est pas sans apparence. Partant, je suis résolu, après en voir dit un mot au connétable[19], seulement pour la forme, et afin qu'il ne se puisse joindre aux autres qui s'en plaindront, de commander dès aujourd'hui vos expéditions à Villeroy, lequel, quant à lui, n'a pas le cœur aux finances, et aussi n'y a-t-il jamais rien entendu.

En attendant l'expédition de ses provisions, Rosny alla remercier madame de Monceaux, et assista, au château de Monceaux[20], à l'entrevue du duc de Mayenne avec le Roi. Le récit de cette entrevue, l'un des plus agréables des Mémoires de Sully, doit trouver sa place ici.

M. du Maine[21] vint trouver le Roi..., alors qu'il se promenait en l'étoile du parc, et s'étant avancé[22] vers lui, l'embrassa par trois fois, l'assurant qu'il était le bien venu et embrassé d'aussi bon cœur que si jamais rien ne se fût passé entre eux. M. du Maine mit un genou en terre, lui embrassa la cuisse, l'assura de sa très humble servitude et subjection, disant qu'il se reconnaissait grandement son obligé, tant pour l'avoir remis avec tant de douceur, de bontés et de gratifications particulières dans son devoir, que pour l'avoir délivré de l'arrogance espagnole et des cautelles[23] et ruses italiennes. Puis, le Roi l'ayant fait lever et embrassé encore une fois, lui dit qu'il ne doutait nullement de sa foi ni de sa parole, pour ce qu'un homme de bien et d'un brave courage n'avait rien tant cher que l'observation d'icelle, le prit parla main, se mit à le promener à fort grands pas, lui montrant ses allées et contant tous ses desseins, et les beautés et accommodements de cette maison.

M. du Maine, qui était incommodé d'une sciatique, le suivait au mieux qu'il pouvait, mais d'assez loin, traînant une cuisse après, fort pesamment ; ce que voyant le Roi, et qu'il était grandement rouge, échauffé, et qu'il soufflait à la grosse haleine, il se tourna vers moi, qu'il tenait par l'autre main, et me dit à l'oreille : Si je promène encore longtemps ce gros corps ici, me voilà vengé sans grande peine de tous les maux qu'il nous a faits, car c'est un homme mort. Et là-dessus s'étant arrêté, il lui dit : Dites le vrai, mon cousin, je vais un peu vite pour vous, et vous ai par trop travaillé. — Par ma foi, Sire, répondit M. du Maine, en frappant de sa main sur son ventre, il est vrai, et vous jure que je suis si las et si hors d'haleine, que je n'en puis plus ; que si vous eussiez continué à me promener ainsi vite, car l'honneur et la civilité ne me permettaient pas de vous dire c'est trop, et encore moins de vous quitter, je crois que vous m'eussiez tué sans y penser.

Lors le Roi l'embrassa, lui frappa de la main sur l'épaule, et lui dit avec une face riante, un visage ouvert et lui tendant la main : Allez, touchez-la, mon cousin, car, pardieu, voilà tout le mal et le déplaisir que vous recevrez jamais de moi, et de cela vous en donné-je ma foi et ma parole de bon cœur, lesquelles je ne violai ni violerai jamais. — Pardieu, Sire, répondit M. du Maine, en lui baisant la main et faisant ce qu'il pouvait pour mettre un genou en terre, je le crois ainsi et toutes les autres choses généreuses qui se peuvent espérer du meilleur et du plus brave prince de notre siècle ; aussi m'avez-vous dit cela d'un si franc courage et avec une si bonne grâce, que mes ressentiments et mes obligations en sont redoublés de moitié ; et partant vous juré -je derechef, Sire, par le Dieu vivant, sur ma foi, mon honneur et mon salut, que je vous serai toute ma vie loyal sujet et fidèle serviteur, ne vous manquerai ni abandonnerai jamais, ni n'aurai de vie, ni désirs, ni desseins d'importance qu'ils ne me soient suggérés par Votre Majesté même, ni n'en reconnaîtrai jamais en d'autres, fussent-ils mes propres enfants, que je ne m'y oppose formellement et ne vous en donne avis aussitôt. — Or sus, mon cousin, repartit le Roi, je le crois ; et afin que vous me puissiez aimer et servir longuement, allez vous en reposer, rafraîchir et boire un coup au château, car vous en avez bon besoin ; j'ai du vin d'Arbois en mes offices, dont je vous enverrai deux bouteilles, car je sais bien que vous ne le haïssez pas ; et voilà Rosny que je vous baille pour vous accompagner, faire l'honneur de la maison et vous mener en votre chambre : c'est un de mes plus anciens serviteurs, et l'un de ceux qui a reçu le plus de joie de voir que vous me vouliez aimer et servir de bon cœur.

Et sur cela s'en retourna vers le profond du parc, et je menai M. du Maine dans un cabinet fort couvert, car il faisait grand chaud, où il y avait des sièges, pour reprendre un peu d'haleine ; puis, s'étant fait amener un cheval, il s'en alla peu après avec moi au château. Il me tint plusieurs discours à la louange du Roi.

Les provisions de M. de Rosny enfin expédiées, il alla à Paris prendre place au Conseil des finances. Le chancelier de Chiverny, en madré courtisan, accueillit le nouveau membre avec l'apparence de la cordialité la plus parfaite ; tous les autres lui firent aussi assez bonne réception, mais avec des mines et des souris qui ne témoignaient pas trop d'allégresse. Et ils avaient raison, car leur règne allait bientôt finir.

Pour commencer le sien, M. de Rosny proposa au Roi d'aller inspecter plusieurs généralités[24] et d'y vérifier la gestion des receveurs et autres agents des finances de ces provinces. Il devait être investi d'une autorité absolue, afin de pouvoir destituer les receveurs qui refuseraient de lui rendre des comptes exacts. Il fut décidé que dix généralités seraient inspectées par divers membres du Conseil des finances, et que Rosny en aurait quatre pour sa part. Toute la gent financière, partisans, traitants, membres du Conseil, intendants, receveurs, trésoriers de France, élus, contrôleurs, greffiers d'iceux, se liguèrent contre Rosny ; on chercha même à soulever des émeutes contre lui ; on lui refusa tous renseignements. Rosny cassa ou suspendit les coupables et les remplaça ; il apura leurs comptes et grappilla sur les recettes de ses quatre généralités 500.000 écus[25] au profit du Roi. Une grande partie de cette somme était en menue monnaie. Rosny mit le tout dans des caques (barils), les chargea sur 70 charrettes et partit pour Rouen, où se trouvait Henri IV, à la tête de ce singulier cortège, composé des charrettes, de 8 receveurs généraux, de 30 archers et d'un prévôt.

A son arrivée, Rosny fut assez mal reçu par le Roi, qui lui reprocha toutes les plaintes qu'on lui avait faites : sur ses prises d'argent, qu'il faudrait bientôt rendre au prince de Conty, au comte de Soissons, au duc de Montpensier, au connétable et à tant d'autres, — sur ces 50 receveurs généraux et officiers de finances qu'il traînait prisonniers à sa suite. Il fut facile à Rosny de prouver au Roi que toutes ces accusations, lancées contre lui pendant son absence, étaient absolument fausses, et le Roi le récompensa immédiatement pour l'avoir si bien servi, en lui donnant 6.000 écus comptant[26] et en portant sa pension à 600 écus par mois[27].

Sur ces entrefaites, M. de Sancy essaya d'empiéter sur les attributions de Rosny, qui le remit à sa place avec raideur devant tous les courtisans, lesquels furent tous obligés de convenir que M. de Sancy avait trouvé chaussure à son pied.

Henri IV avait réuni, le 4 novembre 1596, les Notables à Rouen, afin de compléter la pacification de son royaume, d'y rétablir une bonne administration et de se procurer l'argent nécessaire pour faire la guerre aux Espagnols. Les Notables, dit Sully, demandèrent au Roi de créer un Conseil de raison[28], dont les membres seraient nommés par l'Assemblée, qui administrerait à son gré la moitié des revenus de l'Etat, tandis que l'autre moitié serait administrée par le Roi et son Conseil des finances. Henri IV ne voulait pas entendre parler de ce Conseil de raison : seul, Rosny, parmi les membres du Conseil des finances, fut d'avis d'accorder aux Notables ce qu'ils demandaient, parce que bientôt les membres du Conseil de raison seraient hors d'état d'accomplir leur tâche, et viendraient d'eux-mêmes supplier le Roi de les relever d'un travail dont ils ne pouvaient venir à bout. Henri IV adopta l'avis de Rosny, et peu de temps après ce qu'il avait prédit arriva ; le Conseil vint en corps supplier S. M. de reprendre le soin d'administrer tous ses revenus, ce qui acheva de faire connaître au Roi la portée de l'esprit et la solidité du jugement de M. de Rosny.

Dans le même temps, Rosny montra au Roi que ses conseillers des finances lui volaient 270.000 livres (1.620.000 fr.) sur les 1.500.000 livres qu'il avait rapportées de sa tournée d'inspection. Les financiers soutenaient que le Roi n'avait pas reçu cette somme ; Rosny leur prouva qu'elle devait être, et qu'elle était en effet, dans le trésor de l'Etat, et les empêcha de voler ces 270.000 livres.

A cette époque, Madame, sœur du Roi, se réconcilia avec Rosny ; elle avait enfin reconnu qu'elle s'était trompée en le jugeant coupable dans l'affaire du projet de mariage avec M. de Montpensier.

M. de Rosny travaillait énergiquement afin de se mettre au courant de la comptabilité et des connaissances financières de ce temps, si compliquées et rendues encore plus embrouillées par la mauvaise foi et la malhonnêteté de tous les partisans, traitants ou financiers. Ce vigoureux soldat travaillait jour et nuit à étudier les anciennes ordonnances, les registres du Conseil d'Etat, des Parlements, de la Chambre des comptes, de la Cour des aides et ceux des anciens secrétaires d'Etat, afin de ne rien ignorer et d'être toujours prêt à mettre au pied du mur ses collègues, à signaler au Roi leurs malversations, et à être bientôt en état de les remplacer. Aussi Henri IV n'avait-il plus confiance qu'en Rosny et ne cessait de prendre son bon avis et conseil.

La Cour, à cette époque[29], était toute aux fêtes : princes, seigneurs, gentilshommes s'occupaient à diverses sortes d'ébats, plaisirs et passe-temps ordinaires et bienséants à la jeunesse, faisant diverses parties, les uns pour rompre en lice, les autres courre la bague, combattre à la barrière, jouer au ballon, à la paume, danser et faire mômeries et mascarades. Rosny, qui aimait la danse[30], avait dansé, chez le Roi, un ballet jusqu'à deux heures du matin, lorsqu'arriva inopinément la nouvelle que les Espagnols venaient de s'emparer d'Amiens par surprise. Le bal fut interrompu, et Henri IV dit : C'est assez faire le roi de France, il est temps de faire le roi de Navarre[31].

La prise d'Amiens, comme celle de Corbie, 39 ans plus tard, jeta l'alarme dans Paris et à Saint-Germain : la Somme était alors notre frontière, et, d'Amiens à Paris, les 25 lieues qui séparent les deux villes ne présentent nulle part un obstacle sérieux à l'ennemi. De plus, Henri IV se proposait, justement pour améliorer cette frontière, d'assiéger Arras, et il avait, dans ce but, rassemblé à Amiens : 40 canons, des munitions et des approvisionnements de toutes sortes. La perte était énorme et peu facilement réparable, en l'état des finances.

Il y avait à peine une heure que Rosny était couché, quand on vint lui dire qu'un grand malheur était arrivé, que tout était perdu, et qu'il fallait venir trouver le Roi. Rosny monta en carrosse et arriva au Louvre aussi rapidement que possible.

Je trouvai le Roi, dit-il, dans sa petite chambre, au delà du cabinet aux oiseaux ayant sa robe, son bonnet et ses bottines de nuit, se promenant à grands pas, tout pensif, la tête baissée, les deux mains derrière le dos ; plusieurs de ses serviteurs arrivés avant moi, appuyés tout droit contre les murailles sans se rien dire les uns aux autres, ni que le Roi parlât à eux, ni eux à lui, lequel ne m'eut pas plus tôt aperçu entrer, qu'il s'avança vers la porte, et me posant, selon sa coutume, l'une de ses mains sur l'une des miennes, en me la serrant, s'écria en voix plaintive tout haut : — Ah ! mon ami, quel malheur, Amiens est pris ! — Comment, Sire, Amiens pris ! lui repartis-je. Eh, vrai Dieu ! qui peut avoir pris une si grande et si puissante ville, et par quel moyen ? — Les Espagnols, me dit-il, s'en sont saisis par la porte, en plein jour, pendant que ces malheureux habitants, qui ne se sont pu garder et n'ont pas voulu que je les gardasse[32], s'amusaient à se chauffer, à boire et ramasser des noix que des soldats déguisés en paysans répandaient exprès près du corps de garde. — Or bien, Sire, lui dis-je, je vois bien que c'est une affaire faite, à laquelle les blâmes d'autrui ni les plaintes de nous ne sont pas capables d'apporter remède ; il faut que nous l'espérions de votre brave courage, vertu et bonne fortune ; car, à quelque prix que ce soit, il nous le faut reprendre ; aussi n'est-ce pas la première fois que, vos affaires étant bien en pire état, je vous ai vu parachever des choses plus difficiles. Vivez seulement, portez-vous bien, ne vous mélancoliez point, mettez les mains à l'œuvre, et ne parlons tous et ne pensons plus qu'à prendre Amiens ; et moyennant cela j'oserais répondre d'un heureux succès. — A la vérité, dit le Roi, ce que vous dites n'est pas du tout sans apparence ; aussi ai-je été grandement consolé par un tel langage, car nul ne m'avait dit parole qui ne ressentît sa plainte, sa douleur, voire quasi son désespoir. Et néanmoins, afin de ne bâtir pas des châteaux en Espagne, mais de pouvoir promptement dénicher les Espagnols qui en ont pris en France, dites-moi un peu sur quoi vous fondez de si indubitables espérances que vous nous les voulez faire prendre, et où pensez-vous recouvrer en bref (bientôt) les forces et moyens pour reprendre une si grande et si forte ville et si bien munie ?

Rosny répondit que, sans plus perdre le temps en discours, plaintes et paroles vaines, il lui fût permis de retourner en son logis chercher dans ses papiers les moyens d'avoir de l'argent, car il fallait en trouver, dit-il, n'en fût-il point, étant raisonnable de n'épargner personne, puisque tous les gens de bien et vrais Français avaient intérêt de ne laisser pas ainsi une telle tanière d'ennemis irréconciliables, pires que bêtes farouches, si proches de la capitale du royaume.

Rentré chez lui, Rosny se mit à travailler, et, après s'être alambiqué l'esprit, il ne trouva aucun moyen plus prompt pour avoir de l'argent que d'en demander aux plus opulents, et non pas au peuple de la campagne, qui était trop pauvre : il proposa donc au Roi de demander au clergé un ou deux décimes, de créer et de vendre divers offices de judicature et de finances, et, en attendant, de faire un emprunt sur tous les plus aisés, tant de la Cour que des grandes villes, l'intérêt et le remboursement garantis sur les gabelles et autres revenus. La Normandie, l'Ile-de-France, l'Orléanais, la Touraine et le Berry devaient lever trois régiments de 1.500 hommes chacun et les entretenir à leurs frais pendant la durée du siège.

Henri IV accepta avec plaisir ces diverses propositions de son ministre et les présenta à une grande assemblée qu'il réunit aussitôt, et qui était composée des principaux personnages de la Cour et de Paris, et des Notables de Rouen, dont beaucoup n'avaient pas encore quitté Paris. Bon gré, mal gré on tira 300.000 écus (5.400.000 fr.) de prêts volontaires, et les financiers donnèrent 1.200.000 écus (21.600.000 fr.), non par un généreux patriotisme, mais afin d'empêcher que le Roi n'ordonnât des recherches sur les malversations faites dans les finances.

Avant de partir à Amiens, Henri IV tint un Conseil des finances et déclara qu'il chargeait M. de Rosny de diriger seul les finances. Personne ne souffla mot, comprenant bien que c'était pour Rosny le commencement d'un établissement absolu aux finances. Sancy, qui s'était arrogé le plus d'autorité au conseil, s'en alla à Amiens sous prétexte d'y faire sa charge de colonel général des Suisses, laissant le champ libre à Rosny, et toute liberté pour faire l'empereur dans son logis, comme il le disait un jour à Henri IV.

Le siège d'Amiens dura plus de six mois. Mayenne s'y distingua par sa bravoure et sa loyauté, pendant que Biron commençait ses intrigues avec l'Espagne et ses trahisons envers le Roi et la France. Rosny déploya une activité prodigieuse pour rassembler l'argent, l'artillerie, les vivres, les fourrages, pour dresser un hôpital destiné aux blessés et aux malades, où l'on était mieux soigné qu'à Paris, et où les gens de qualité et de moyens se faisaient porter.

Tous les mois, Rosny partait de Paris pour Amiens avec 150.000 écus (2.700.000 fr.) destinés à payer l'armée, ce dont les capitaines lui donnaient force louanges.

A la quatrième voiture, Rosny fut reçu avec un applaudissement encore plus grand, tous les capitaines et soldats criant tout haut qu'il paraissait bien maintenant que le Roi avait mis en ses finances un gentilhomme d'illustre maison, qui était bon Français, bon soldat et en avait toujours fait le métier, puisqu'il servait si bien le Roi et la France, donnait si bon ordre au paiement des soldats et faisait en sorte que rien ne manquait à l'armée.

Il se passa pendant ce grand siège d'Amiens, l'événement principal de la guerre entre la France et l'Espagne, divers faits dont il faut parler.

Un financier nommé Robin offrit à madame de Rosny un diamant de 6.000 écus (108.000 fr.) pour son mari et un autre de 2.000 écus (36.000 fr.) pour elle, afin d'obtenir que Rosny laissât les financiers du Conseil adjuger certains offices de finances, pour 72.000 écus, opération sur laquelle ils espéraient gagner une grosse somme.

A d'autres, à d'autres, Monsieur Robin ! lui dit Rosny ; car l'on ne prend rien céans (ici) qui ne vienne des libéralités du Roi, lequel perdrait trop à ce marché, ayant déjà gens en main qui ne demandent que la moitié de ces offices et m'en offrent 60.000 écus ; et ne vous jouez plus de venir faire des offres céans pour tromper le Roi. Le Conseil, qui s'était entendu avec le Robin, et diverses femmes de qualité compromises dans cette affaire, en furent pour leurs espérances déçues.

Dans un de ses voyages à l'armée, Rosny alla voir les travaux du siège, en compagnie de M. de Saint-Luc, grand-maître de l'artillerie.

De quoi le Roi averti, dit Sully, il lui en sut mauvais gré et s'en courrouça fort contre lui, disant qu'il lui défendait absolument de faire le métier de la guerre, ni d'aller en lieu périlleux tant que ce siège durerait (d'autant que s'il lui arrivait mort ou grande blessure, tout son ordre venant à manquer, aussi ferait le paiement de son armée, et par conséquent la subsistance d'icelle), ni même de ne plus aller aux tranchées qu'avec lui (le Roi), y en ayant de tels qui, pour se défaire de lui, seraient bien aises de lui faire donner quelque nifflade, voire ne craindraient point de se hasarder eux-mêmes pour cela.

La faction huguenote, comme disait Henri IV, c'est-à-dire les intransigeants du calvinisme, dirigés par MM. de Bouillon, de la Trémoille[33] et Du Plessis-Mornay, ne cessait d'être mutine et séditieuse. Ces seigneurs égoïstes profitèrent des embarras de Henri IV pendant le siège d'Amiens pour demander au Roi un édit avec de grands privilèges, le menaçant, à son refus, de prendre les armes contre lui pendant qu'il assiégeait Amiens et faisait la guerre à l'Espagne. Henri IV chargea Rosny d'écrire à M. de la Trémoille, et encore une fois Rosny arrangea l'affaire.

Dans cette lettre Rosny invoquait l'intérêt du Roi et celui de la Patrie : Recevez, je vous prie, leur écrivait-il, recevez de bonne part les conseils que je vous donne, puisque j'en suis par vous requis, et par une bonne conscience, loyale à sa patrie.

Déjà nous avons entendu les capitaines et les soldats louer M. de Rosny de ce qu'il est bon Français, de ce qu'il sert si bien le Roi et la France. Au sortir des quarante années de guerres religieuses, la Patrie apparut à tous les grands et généreux esprits de l'époque, qui la voulaient conserver et relever. Sully est l'un de ceux qui travaillent le plus à son rétablissement, et, pour lui, le Roi est le symbole vivant de la France ; mais s'il se plaît à réunir ordinairement le Roi et la France, plus d'une fois aussi il met en avant la Patrie, la Patrie seule, supérieure à tous.

Au quatrième voyage de Rosny à Amiens, le grand maître de l'artillerie, M. de Saint-Luc, fut tué dans l'une de ses batteries. Henri IV en avertit Rosny et lui dit que déjà on lui demandait cette charge :

J'ai en même temps pensé à vous, continua-t-il, car je sais que j'en recevrais contentement ; mais faisant état de vous rendre seul absolu dans mes finances, je n'estime pas qu'il vous fût possible de vous bien acquitter de ces deux charges ensemble, chacune d'elles méritant bien un homme tout entier. Néanmoins j'y penserai, mais ne dites à personne que je vous en ai parlé ; car toujours de tout ce siège ne vous en voudrais-je pas pourvoir, de crainte de vous divertir (détourner) de votre ordre accoutumé pour le paiement de mon armée, et d'en faire perdre l'espérance à plusieurs ; lesquels, sous cette attente, essayeront de servir à qui mieux mieux.

Sire, lui dit Rosny, je n'ai rien à requérir de V. M., puisqu'elle a soin de moi avant que j'y aie pensé, et ne veux en cela que ce qu'il vous plaira ; mais, s'il m'était permis et bienséant de répliquer, je dirais que tant s'en faut que ces deux charges soient incompatibles ; que, selon mon avis, elles devraient être toujours ensemble, et que jamais l'artillerie ne sera mise en son lustre, et n'en tirerez l'utilité qu'elle doit produire, qu'elle ne soit exercée par un superintendant des finances, qui entende le métier de l'une et de l'autre, et ne manque pas de courage ; mais, votre prudence étant par dessus tout ce que je saurais dire, je la laisserai opérer, résolu de n'avoir jamais autre volonté que celle de Votre Majesté.

Le lendemain, Henri IV annonça à Rosny qu'il avait été obligé, par les larmes, les prières et les menaces de la marquise de Monceaux, de donner la charge de grand-maître de l'artillerie à M. d'Estrées son père ; il ajouta qu'aussitôt qu'il se trouverait une charge de qualité qui viendrait à vaquer, on la donnerait à M. d'Estrées ; de sorte que, dès à présent, je vous promets, lui dit-il, qu'elle ne passera jamais des mains de M. d'Estrées, sinon dans les vôtres. De quoi je le remerciai sans rien contester, jugeant bien que j'y perdrais mon temps.

Le gouvernement de Mantes étant venu à vaquer par la mort d'un frère de Rosny, Henri IV lui donna enfin ce gouvernement que Rosny désirait avoir depuis si longtemps.

Avec nos idées modernes sur la manière de faire la guerre, il semble qu'un siège ne puisse être qu'un détail plus ou moins important dans une campagne. Au temps de Henri IV, un siège long, difficile, avec une défense vigoureuse de l'assiégé, avec les armées de secours qui viennent délivrer la place et qu'il faut battre, un tel siège est un grand événement, et la prise de la ville est une importante victoire. La reprise d'Amiens a ce caractère ; et après la victoire d'Amiens les affaires se résolvent l'une après l'autre avec une facilité et une rapidité remarquables : le duc de Mercœur, l'un des grands chefs de la Ligue, fait la paix avec Henri IV[34], et cette soumission met fin à la Ligue ; les protestants acceptent l'édit de Nantes[35], auquel les plus intolérants d'entre eux s'étaient d'abord opposés ; enfin Philippe II, roi d'Espagne, signait la paix à Vervins[36]. Il n'appelait plus Henri IV le Béarnais comme au début de la guerre ; il le reconnaissait officiellement comme Henri quatrième du nom, roi de France, et lui restituait Calais et toutes les autres villes de Picardie qu'il détenait encore. Philippe II était obligé de reconnaître la précédence du roi de France, c'est-à-dire qu'il consentait à ce que partout, dans le traité, on nommât le roi de France avant le roi d'Espagne. Les armes et l'orgueil de l'Espagnol étaient vaincus.

A son retour à Paris, le Roi, dit Sully, fut reçu avec un merveilleux applaudissement des peuples et personnes plus qualifiées, chacun faisant des admirations de ses soins et diligences, et de cette humeur infatigable au travail qu'il avait toujours eue, et encore plus de sa vertu et de sa bonne fortune qui lui avaient enfin fait surmonter tant de périls et de difficultés, et réduit une si puissante Ligue que celle qui s'était élevée en France contre lui...

 

 

 



[1] Le Roi était couché sur une paillasse et deux matelas bas, sans aucun bois de lit.

[2] Ce ne sera pas la seule fois que Gabrielle aidera Sully à devenir tout-puissant dans les finances. C'est un service, désintéressé ou non, qu'elle à rendu à la France.

[3] Quand Henri IV s'aperçut qu'il s'était trompé en donnant tant de successeurs à M. d'O, il dit qu'il s'était donné huit mangeurs au lieu d'un seul qu'il avait auparavant.

[4] Près Fontainebleau, où Sully avait un château.

[5] MM. de Nevers, de Saint-Paul, de Bouillon et de Villars.

[6] Cette longue lettre, imprimée dans les Mémoires de Sully, a été certainement remaniée par les secrétaires de Sully et contient une erreur qui prouve le remaniement. Henri IV n'a pas pu écrire le 15 avril 1596 qu'il n'avait pas d'enfants, quand il avait déjà César, duc de Vendôme, né en 1594. J'ajoute ce fait grave aux observations qui ont été faites sur le style de cette missive, qui est absolument différent de celui de Henri IV. La fin seule paraît authentique ; le reste de la lettre du Roi a été altéré, amplifié et alourdi. On peut s'étonner que l'observation que je fais n'ait pas été signalée plus tôt.

[7] Richelieu reprendra cette théorie de Henri IV et la formulera ainsi : Rendre à la France moderne les limites naturelles de l'ancienne Gaule. Henri IV voulait être maître des pays où l'on parlait la langue française.

[8] Sous-entendu : personnes.

[9] Les Etats-Généraux.

[10] Dont j'augmenterai l'autorité, le pouvoir.

[11] Il n'y a rien à manger chez moi.

[12] Dans l'ancienne monarchie le frère du Roi était appelé Monsieur, tout court, et sa femme Madame. La sœur du Roi était aussi appelée Madame, tout court.

[13] Rosny, convaincu que sa mission auprès de Madame amènerait de fâcheuses conséquences pour lui, avait exigé du Roi qu'il lui donnât une lettre dans laquelle était spécifié tout ce que Rosny avait l'ordre de faire et dire, et même les formes dont il devait se servir.

[14] Quand je vous dépêchai, que je vous envoyai vers ma sœur.

[15] C'est cette fois. — Encore un coup, encore une fois.

[16] Volerie, rapine.

[17] La manière de se comporter.

[18] Pointilleux. L'un et l'autre dérivent du latin Punctum.

[19] Henri de Montmorency. Henri IV l'appelait son compère.

[20] Dans la Brie, près de Meaux. Ce château est presque complètement détruit.

[21] C'est ainsi que le nom de Mayenne s'écrivait et se prononçait alors.

[22] C'est le Roi qui s'avance vers Mayenne.

[23] Finesses.

[24] Divisions financières.

[25] 1.500.000 livres, soit 9 millions de francs.

[26] 18.000 livres, soit 108.000 francs.

[27] 1.800 livres, soit 10.800 francs, soit 129.000 francs par an.

[28] Sully se trompe. M. Noël Valois, dans la savante introduction qu'il a placée en tête de l'Inventaire des arrêts du Conseil d'Etat (Règne de Henri IV, 1 vol in-folio, 1886, pages XCV-C. — Collection des Inventaires et Documents, publiés par la Direction des Archives nationales), prouve avec évidence que ce Conseil de raison, élu par les Notables, dirigeant l'emploi de la moitié des revenus du royaume, est une erreur de Sully ou de ses secrétaires. La vérité est qu'après la prise d'Amiens par les Espagnols, et lorsque l'assemblée des Notables était close, le Roi ayant besoin d'argent pour reprendre la ville, et trouvant une vive opposition contre les projets qu'il avait formés pour se procurer les sommes nécessaires, crut devoir établir un Conseil, dont il nomma le président et les membres, pris principalement dans les Cours souveraines (29 mai 1597), afin de donner satisfaction à l'une des demandes des Notables, qui consistait à régler eux-mêmes une partie de l'emploi des revenus de l'Etat. Sully a donc commis deux erreurs : le Conseil de raison n'a pas été créé à la fin de janvier 1597, mais à la fin du mois de mai, et ses membres n'ont pas été élus par les Notables, mais nommés par le Roi. Marbault avait signalé cette erreur.

[29] En mars 1597.

[30] Tallemant des Réaux, Théodore-Agrippa d'Aubigné. — Colbert aussi aimait la danse, mais se cachait pour s'y livrer.

[31] C'est-à-dire de redevenir le vainqueur d'Arques et d'Ivry.

[32] Amiens avait le privilège de ne recevoir pas de troupes royales en garnison. Henri IV, craignant le malheur qui arriva, avait proposé à la ville de recevoir deux compagnies suisses pour garder ses portes. Les habitants d'Amiens payèrent cher leur refus, les Espagnols ayant pillé la ville à outrance.

[33] On prononçait la Trimouille.

[34] Le 20 mars 1598.

[35] 15 avril 1598.

[36] 2 mai 1598.