I. Santé du Cardinal. Le cardinal de Richelieu, dès l'année 1608, fut atteint de fièvres tierces. Le cardinal du Perron l'ayant prié d'officier, à Pâques, devant Henri IV, la maladie l'empêcha de satisfaire le Cardinal[1]. Puis arriva la migraine. Richelieu fit, en 1621, le vœu suivant : S'il plaît à la bonté divine, par l'intercession du bienheureux apôtre et bien-aimé saint Jean, me renvoyer la santé et me délivrer dans huit jours d'un mal de tête extraordinaire qui me tourmente, je fais vœu de fonder en ma maison de Richelieu une messe qui se célébrera tous les dimanches de l'année, et pour cet effet donnerai au chapelain 36 livres de revenu annuel, pour les messes qui seront célébrées en action de grâces. En 1625, il a de continuelles souffrances, des étourdissements[2]. Mais sa force d'esprit et sa volonté sont telles que, dès lors, quoique toujours souffrant ou malade, il dirige les affaires, il va aux armées, il lutte contre ses ennemis avec la même assiduité et la même énergie, ne se laissant jamais abattre. Louis XIII allait souvent tenir le conseil chez le Cardinal, autant pour lui épargner une fatigue que ses incommodités auraient rendue plus grande, qu'afin d'être plus libre[3]. En 1629, Richelieu a des fièvres d'accès, qui étaient alors si fréquentes. On voit, quand il demandait à se retirer, en 1629[4], à cause de sa santé, que ce motif était sérieux. En 1632, il fut atteint de la gravelle, à Bordeaux, et faillit en mourir. Un chirurgien de cette ville, nommé Juif, avait le secret de faire des sondes en bougie de cire cannelée : il sauva le Cardinal en faisant cesser la rétention d'urine. Un abcès, la fièvre, des rhumatismes qui le faisaient souffrir en même temps que la gravelle ne disparurent qu'à la fin de l'année, mais la gravelle et les rétentions d'urine le tourmentèrent encore plus d'une fois. Les veilles et les travaux d'esprit rendirent malade le Cardinal, en octobre 1633, pendant qu'il était en Champagne, mais la maladie n'arrêta pas un instant son travail. De sorte, dit la Gazette, que les ennemis de la France n'ont guère à choisir de le voir sain ou malade. Louis XIII se montra fort en peine de l'état de son ministre et plein d'affection pour lui : il lui envoya un chirurgien qui le guérit d'un coup de lancette, et quand le Cardinal rétabli put revenir à Ruel, le Roi alla au-devant de lui (3 janvier 1634), à Rochefort, chez le duc de Montbazon, et lui fit l'accueil le plus cordial[5]. Des fluxions et des douleurs de rhumatisme, votre vieux mal, lui écrivait Louis XIII, des hémorroïdes internes, pour lesquelles on le saigne[6] et qui occasionnent la publication d'un libelle ridicule[7], le tourmentent en 1634 et 1635. Il prend de la casse régulièrement[8]. En juin 1635, le rhumatisme s'est jeté sur les mâchoires[9], et pour la troisième fois il est atteint d'une rétention d'urine. Il ne peut même plus voyager en litière ; il a, dit-il, le plus faible et délicat corps qui soit au monde[10]. Il continue à travailler, et il le fallait, car on venait de déclarer la guerre à l'Espagne. A peu de temps de là, il est si faible qu'il ne peut pas seulement prendre l'air dans le jardin de Ruel, dans une chaire, sans se trouver mal[11]. Le ministre ne pouvant se remuer, le Roi vient à Ruel et travaille avec lui. Les incommodités continuent les années suivantes, mais, jusqu'en 1642, je ne trouve plus de maladies aussi graves. En 1642, pendant le siège de Perpignan, le Cardinal fut atteint d'une affection aussi sérieuse que douloureuse. Il avait supprimé un flux hémorroïdal, qui le tenait en vie, après la suppression duquel une série d'abcès survinrent au bras droit ; il ne pouvait plus écrire, ni même signer. Après avoir été guéri, les anciens abcès se rouvraient et jetaient du pus, comme les nouveaux. M. Juif ne cessait de jouer des couteaux pour ouvrir les abcès. On lui mettait des sétons, on faisait des injections : rien n'y faisait. Le malade souffrait cruellement, mais ne discontinuait pas son travail. Le mal avait commencé en mai, il était à peine guéri en octobre : en août, il y avait encore une plaie ; en octobre, le bras était toujours de laine. Revenu à Paris, le Cardinal eut encore quelques semaines de santé, mais en décembre une fluxion de poitrine allait enfin briser cette volonté de fer qui, jusqu'alors, avait résisté à tant de maux. II. La dernière maladie et la mort du Cardinal. 1° Récit d'Aubery.Le vendredi 28 novembre 1642, la nuit, le Cardinal-Duc se sentit attaqué d'une grande douleur de côté avec fièvre. Le dimanche, le mal de côté et la fièvre ayant beaucoup augmenté, il fallut avoir recours deux fois à la saignée, et la duchesse d'Aiguillon et les maréchaux de Brézé et de la Meilleraye résolurent de coucher au Palais-Cardinal. Le lundi 1er jour de décembre, il semblait se porter mieux le matin, mais sur les trois heures après midi il eut de grands redoublements, accompagnés d'un crachement de sang et d'une difficulté de respirer : et la nuit ayant été fort mauvaise, il fut encore saigné deux fois, de l'avis et en présence du sieur Bouvard, premier médecin du Roi. Le mardi, S. M. ayant su par son premier médecin l'extrémité où il était, donna ordre que l'on fit des prières publiques pour lui dans toutes les églises de Paris, et s'y rendit de Saint-Germain pour le voir et lui donner cette dernière consolation, qu'il reçut avec les sentiments de reconnaissance qu'il devait. Après avoir remercié le Roi de l'honneur qu'il lui faisait, il lui dit qu'il prenait congé de S. M., voyant bien qu'il fallait mourir ; mais qu'il mourait avec cette satisfaction qu'il n'avait jamais rien fait contre son service et qu'il laissait son État au plus haut point de réputation, et tous ses ennemis dans le dernier abattement et la dernière faiblesse ; et qu'il la suppliait de vouloir, en considération de ses services, continuer sa bienveillance et sa protection à ses parents et alliés, auxquels il ne donnerait sa bénédiction qu'à la charge qu'ils conserveraient inviolablement la fidélité et l'obéissance qu'ils lui avaient vouée. Et enfin il lui donna pour dernier conseil de ne point changer les ministres qui se trouvaient actuellement dans l'emploi, étant tous fort bien instruits des affaires et bien intentionnés pour son service, et lui protesta surtout qu'il ne connaissait personne qui pût mieux remplir la place qu'il quittait que M. le cardinal Mazarin, dont il avait éprouvé en diverses rencontres la capacité et le zèle. Ce que S. M. lui promit[12] et lui fit prendre ensuite Elle-même deux jaunes d'œuf. Le même jour, il eut recours au sacrement de Pénitence, et demanda résolument aux médecins jusques à quand ils croyaient qu'il pourrait encore vivre ; qu'ils ne lui célassent point leurs véritables sentiments, puisqu'aussi bien il était tout à fait résigné à ce qu'il plairait à Dieu d'ordonner de lui. Lesquels, après quelques excuses, lui ayant dit qu'ils ne voyaient encore rien de désespéré, et qu'ils ne savaient qu'en juger jusqu'au septième [jour] : Voilà donc qui va bien, ajouta-t-il. Sur le soir, ayant eu de nouveaux redoublements, il fut encore saigné deux fois ; et, à une heure après minuit, le curé de Saint-Eustache lui apporta le Viatique, à la vue duquel il crut être obligé de faire une déclaration sincère des motifs de sa conduite passée, et prit son Créateur et son Juge, qu'il allait présentement recevoir, à témoin s'il avait jamais eu d'autre objet que l'avantage de la Religion et de l'État. Il demanda ensuite l'Extrême-Onction : et le curé lui ayant témoigné qu'à une personne instruite et éclairée comme il était, l'on pouvait omettre quelques circonstances et aller droit à l'essentiel, il le conjura de le considérer et de le traiter comme le moindre de ses paroissiens. Il récita lui-même le Pater, le Credo et les autres prières, embrassant sans cesse et avec grande ferveur le crucifix. Lui étant demandé s'il croyait absolument tous les articles de la Foi : Absolument, répondit-il, et plût à Dieu avoir mille vies, afin de les donner toutes pour la Foi et pour l'Église ; s'il pardonnait à ses ennemis et à tous ceux qui pourraient l'avoir offensé : De tout mon cœur, et comme je prie Dieu qu'il me pardonne ; et en cas que Dieu lui renvoyât la santé, s'il ne l'emploierait pas à son service avec plus de fidélité que jamais : Qu'il m'envoie plutôt mille morts, s'il sait que je doive consentir à un seul péché mortel. Étant sollicité de demander à Dieu la vie et la santé, il déclara qu'il ne demandait pas à Dieu ni l'un ni l'autre, mais sa seule volonté. Et lorsque le même curé l'exhorta de vouloir donner sa bénédiction à toute la compagnie qui était là présente : Hélas, dit-il, je n'en suis pas digne, mais puisque vous me le commandez, je la recevrai de vous pour la leur donner, priant l'esprit de J.-C. de leur donner celui de piété et de crainte. Il ajouta tout bas quelques autres pensées dévotes qu'on ne put pas bien entendre, et enfin se recommanda avec beaucoup d'humilité et de douceur aux prières des assistants. Lesquels, ne pouvant se résoudre de perdre celui qui les quittait si courageusement, se laissèrent entièrement maîtriser à la douleur, et, fondant tous en larmes, formèrent par leurs sanglots et leurs plaintes un concert si lugubre, qu'il eût été capable d'amollir les cœurs les plus durs et les moins sensibles. Le mercredi, les médecins ne voyant plus de remède à son mal, l'inflammation étant à la poitrine et la douleur de côté allant de l'un à l'autre, l'abandonnèrent et le laissèrent entre les mains d'un empirique de Troyes, qui se nommait Le Fèvre, lequel lui donna d'une eau et peu après une pilule[13] qui lui apporta d'abord quelque soulagement. Cependant, ayant été rapporté au Roi que Son Éminence n'avait plus que vingt-quatre heures à vivre, l'on envoya faire défense à toutes les postes de donner des chevaux sans billet ; et l'on manda à Messieurs du Parlement de se rendre, sur les deux heures après midi, au Louvre, au sujet de la déclaration qu'on leur devait envoyer au premier jour contre Monsieur, par laquelle on lui ôtait toute espérance de pouvoir jamais venir au gouvernement de l'État. Et sur les quatre heures, S. M. retourna au Palais-Cardinal et y demeura près d'une heure, témoignant de grands ressentiments de compassion et de douleur de le voir en un si pitoyable état. Il n'y avait presque que le malade seul qui eût de la constance et qui fût moins touché de son propre mal. Ce n'est pas qu'il ne demandât parfois aux médecins s'il avait encore longtemps à souffrir : Non pas, ajoutait-il, qu'il m'ennuie d'endurer ce qui part de la main de Dieu, mais parce que je lui veux demander la grâce de supporter jusqu'à la fin mes douleurs, quelque longues qu'elles puissent être. Sur les cinq heures, on lui donna une seconde pilule, qui eut un assez bon effet et lui fit même passer la nuit assez doucement. Le jeudi, 4e du même mois, il prit, à cinq heures du matin, une médecine qui opéra si heureusement que ses domestiques ne doutèrent presque plus de sa guérison. Sur les dix heures, il reçut la visite de l'abbé de la Rivière de la part de Monsieur, puis d'un gentilhomme de la part de la Reine, auquel il parla avec assez de vigueur et avec beaucoup de jugement. Mais un peu devant midi il se sentit extraordinairement faible, et reconnaissant par là qu'il approchait infailliblement de sa fin, il dit avec un visage tranquille à la duchesse d'Aiguillon : Ma nièce, je suis bien mal, je m'en vais mourir, je vous prie de vous retirer, votre tendresse m'attendrit ; n'ayez pas ce déplaisir de me voir mourir. Ce qu'elle fit avec des sentiments de douleur qu'il serait malaisé d'exprimer. En même temps entra le Père Léon, carme réformé, qui lui fit faire des actes intérieurs de contrition et de résignation aux volontés divines, et lui donna de nouveau l'absolution. Cependant M. Lescot, nommé dès lors à l'évêché de Chartres, qui était son confesseur ordinaire, fut appelé à la hâte pour venir faire les prières des agonisants, et les eut à peine commencées qu'il prit au malade une sueur froide, accompagnée des douleurs de la mort, contre lesquelles il semblait que la grandeur de son courage luttait ; et reprenant un peu de forces, à mesure qu'on lui donnait des cuillerées de vin, il levait ordinairement les yeux au ciel, et les y arrêtant une fois fixement, il jeta un si grand soupir que l'on crut que ce fût le dernier, et néanmoins il fut incontinent suivi d'un autre qui termina enfin ses travaux et sa vie dans la cinquante-huitième année de son âge. Il mourut si doucement, qu'il fallut que les médecins elles autres personnes qui étaient restées dans la chambre approchassent la bougie pour juger s'il était mort. La porte de la chambre ayant été ouverte, le maréchal de Guiche y entra le premier et témoigna des sentiments de douleur et des regrets inconcevables ; comme firent aussi le cardinal Mazarin, le chancelier, MM. de Chavigny, de Noyers, de Paluau, et quantité d'autres personnes de condition ; mais particulièrement l'évêque d'Auxerre, autrefois son maître de chambre, qui semblait ne vouloir pas survivre un si bon maître, ou au moins ne se pouvoir séparer de celui dont il avait reçu tant de preuves d'amitié et de bienveillance. Quoique la mort eût ruiné effectivement ce qu'il était, il ne paraissait pas néanmoins beaucoup changé, mais conservait à peu près le même air, qui donnait également du respect et de l'amour. Il était d'un aspect agréable, tirant un peu sur le maigre, grêle et haut de stature[14], et de complexion délicate, la vivacité de l'esprit ayant beaucoup endommagé la force du corps. On lui trouva deux apostumes (abcès) dont il y en avait une de crevée, et tout le poumon gâté, mais les autres parties saines et belles. On lui trouva aussi tous les organes de l'entendement doubles ou triples, ce qui passa dans l'opinion des plus habiles anatomistes pour un prodige de nature et pour une cause nécessaire de cette force de jugement extraordinaire que l'on avait admiré en sa conduite[15]. Il demeura exposé trois ou quatre jours en habit de cardinal, avec la chape et le bonnet rouge, sur un lit de brocatelle. Il avait à ses pieds la couronne de duc d'un côté, et de l'autre le manteau ducal, et aux pieds du lit il y avait une croix d'argent sur une crédence, et tout autour quantité de chandeliers d'argent, garnis de cierges. A sa main droite, au chevet, était assis M. de Bar, son capitaine des gardes, vêtu de deuil ; et il y avait des deux côtés un double chœur de religieux de divers ordres qui psalmodiaient. L'on ne saurait s'imaginer la foule des personnes qui allaient lui rendre les derniers devoirs, et à qui la considération d'une si grande perte pour la France tirait ordinairement des regrets ou des larmes. Mais particulièrement les Parisiens y faisaient éclater leur douleur, soit qu'ils aient un meilleur naturel ou qu'ils se crussent plus intéressés que les autres en la mort de leur concitoyen et de celui qui se pouvait dire l'ornement de leur ville comme il était en effet l'appui de l'État. Ils remarquaient aussi qu'il était né et mort dans un même hôtel, et qu'il avait reçu le premier et le dernier sacrement d'un même curé, ou au moins d'une même paroisse. Il y en avait même qui estimaient que ce lui avait été une consolation de mourir ainsi au lieu de sa naissance, et qui l'inféraient avec quelque apparence du compliment qu'il fit à l'Hôtel de Ville, à son retour de la Rochelle : Étant né Parisien, comme je suis, il m'est impossible de me voir parmi vous sans être touché de la joie qu'ont ceux qui reviennent au lieu de leur naissance après en avoir été longtemps absents. Comme le Soleil départ sa lumière, que seul il possède primitivement à tous les astres, le Roi, par sa bonté, veut faire part de sa gloire à ses serviteurs, bien que seul il la mérite. Nous abandonnons ici Aubery pour donner le récit de la Gazette, qui complète la relation de la mort du Cardinal. 2° Récit de la Gazette[16].Le 4 décembre, sur le midi, mourut dans son palais de cette ville (Paris), en la 58e année de son âge, le cardinal-duc de Richelieu, premier ministre d'État de notre invincible monarque : laquelle charge il a exercée depuis vingt ans si dignement, qu'il n'y a point de paroles assez relevées pour le bien exprimer. Ce que feront beaucoup mieux les incomparables effets de ses merveilleux conseils incessamment concertés avec S. M., par lesquels il a généreusement fait réussir tous les héroïques desseins d'un si bon Maître, dont l'heur et la valeur particulière ont toujours surmonté les ennemis et soutenu les alliés de cette Couronne, si puissamment qu'elles ont mis les affaires du Roi en cette haute réputation où elles sont à présent par tout le monde. Dans lesquels travaux cet esprit infatigable ayant ruiné la santé de son corps, débilité par ses veilles et fatigues, laisse à tous les gens de bien et amateurs de la gloire de cet État autant de regret de sa mort comme de satisfaction de tant d'avantages que la France a remportés durant son administration. S. M., qui était mardi dernier revenue exprès de Saint-Germain ici pour le visiter, comme Elle a fait plusieurs fois pendant sa maladie, après avoir eu tant de tendresse et de bonté que de donner abondance de larmes à la perte d'un si bon serviteur, animant par ce moyen d'autant plus un chacun à La bien servir, a continué tous ceux qui étaient dans les principales charges de l'État : montrant par là et par les autres témoignages qu'elle en a rendus, que leurs actions avaient répondu au choix qui en avait été fait par S. M. et par Son Éminence, et qu'elle avait satisfaction entière des services de tous ses ministres. Et d'autant que le cardinal Mazarin avait été depuis longtemps nourri et élevé en la connaissance des affaires de toute l'Europe et a donné des preuves sans nombre de sa rare intelligence et grande fidélité envers S. M. et cette monarchie, le Roi l'a appelé en son Conseil. Chacun ayant aussi sujet d'être curieux de ce qui s'est passé en la mort d'un personnage qui a fait tant de belles actions durant sa vie : Dans les six jours qu'a duré sa maladie, qui était une pleurésie fausse, il a envoyé souvent vers le Roi, pour lui parler des affaires plus importantes au service de S. M., ledit cardinal Mazarin, le chancelier de France et les sieurs de Chavigny et de Noyers, secrétaires d'État, et son esprit a toujours été si présent, qu'une heure avant sa mort il y envoya encore avec la même vigueur d'esprit qu'il eût pu faire au point de la plus ferme santé. Son affection au service et à la personne du Roi, outre ce qui en a paru en toutes ses actions passées, s'est montrée particulièrement en ce qu'il a laissé à S. M. 500.000 écus, son beau Palais-Cardinal et ses plus riches meubles et pierreries. Pendant tout le cours de cette dernière maladie, ce qu'il avait aussi fait en toutes les précédentes, il a témoigné une grande et profonde dévotion, avec une résignation entière à la volonté divine, et s'est muni des saints sacrements : et comme durant sa vie il avait été un parfait exemplaire de piété à tous les siens, il a donné en sa mort toutes les marques de sa ferveur envers Dieu. De sorte que ses discours et ses charités servent d'une preuve suffisante que les affaires d'État ne sont pas incompatibles avec celles de la piété. Aussi Dieu lui a-t-il fait cette grâce dès ce monde, que l'on n'a jamais remarqué personne avoir rendu l'âme avec plus de résolution et de quiétude d'esprit, et cette grave sérénité qui paraissait en son visage ne l'a point quitté même après sa mort : laquelle le Roi n'eût pas plus tôt apprise, que S. M. envoya un gentilhomme à la duchesse d'Aiguillon, aux maréchaux de Brézé, de la Meilleraye et de Guiche les assurer de la continuation de sa bienveillance royale envers eux et tous les leurs, et que, s'ils avaient perdu un bon parent, il leur restait en lui un bon Maître qui ne les abandonnerait jamais. III. — Obsèques du Cardinal. 1° Premier récit de la Gazette[17].Le 13e de ce mois, le corps du Cardinal-Duc fut transporté de son palais en l'église de Sorbonne, étant dans un char magnifique, couvert d'un grand poêle de velours noir, croisé de satin blanc et enrichi des écussons des armes de Son Éminence, brochées d'or et d'argent : les six chevaux qui le traînaient, entièrement couverts de même parure ; environné de ses pages tenant chacun un gros flambeau de cire blanche, précédés et suivis d'une si grande quantité de mêmes lumières, que faisaient porter et portaient devant eux les parents, alliés, amis, domestiques et officiers du défunt, qui se sont trouvés ici, en carrosse, à cheval et à pied, que le soir du jour auquel se fit ce convoi était plus clair que le midi : les grandes rues de cette ville se trouvant trop étroites par la foule innombrable du peuple dont elles étaient bordées, comme dans les plus grandes et augustes cérémonies. Les Cours souveraines furent invitées au service solennel que l'on devait faire, le 20 janvier, à Notre-Dame. Elles reçurent la semonce suivante : Nobles et dévotes personnes, priez pour l'âme de très haut, très puissant, très vertueux, illustrissime et éminentissime seigneur, Monseigneur Armand-Jean du Plessis, cardinal de Richelieu, duc, pair, grand-maître et intendant de la navigation et commerce de France, l'un des prélats et commandeurs de l'ordre du Saint-Esprit, chef du Conseil et principal ministre de l'État du Roi, pour l'âme duquel se feront les services et prières en l'église de Paris ; auquel lieu lundi prochain, après midi, seront dites vêpres et vigiles des morts, pour y être lendemain mardi, à dix heures du matin, célébré son service solennel. Priez Dieu qu'il en ait l'âme. C'est encore à la Gazette que nous empruntons la relation de ce service. 2° Les Cérémonies faites en cette ville (Paris), au service célébré dans l'église Notre-Dame pour le défunt cardinal-duc de Richelieu, les 19 et 20 du mois de janvier 1643[18].Le sieur de Sainctot, maître des cérémonies de France, ayant reçu les ordres du Roi pour faire rendre les honneurs funèbres au défunt cardinal-duc de Richelieu, se trouva en la Grand'Chambre du Parlement, le 17 de ce mois, en cet ordre. Le sieur Le Breton fils, reçu en la survivance de son père roi d'armes de France, au titre de Montjoie-Saint-Denis, marchait devant lui, assisté de quatre de ses compagnons, hérauts d'armes des titres de Bourgogne, Valois, Bretagne et Alençon, tous vêtus de deuil, chargés de leurs cottes d'armes, chacun l'épée au côté, la toque de velours ras sur la tête : le roi d'armes tenant son sceptre en main, couvert de velours violet, semé de fleurs de lys d'or, et ses compagnons leurs caducées, qui ne diffèrent point autrement du sceptre du premier, sinon que celui-ci a une plus grande fleur de lys à sa pointe et qu'elle est couverte d'une couronne royale. La robe du roi d'armes était à longue queue, portée par son homme. Ensuite marchait ledit maître des cérémonies, qui avait le bonnet carré en tête, l'épée au côté, son bâton de commandement à la main, botté et couvert d'une robe, dont la queue, de deux aunes de long, était portée par trois de ses hommes suivis de six autres, tous en habits de deuil et en manteaux longs. Ils étaient suivis de vingt-trois crieurs, aussi vêtus de robes noires, chargées devant et derrière d'écussons aux armoiries du défunt, dont le blason est d'argent à trois chevrons de gueule : tous ces crieurs tenant leurs clochettes à la main. Sitôt que le roi d'armes et les hérauts eurent salué la Cour, ils s'arrêtèrent à l'entrée du barreau, et le maître des cérémonies, passant au milieu d'eux, la salua aussi de trois révérences, prit sa place entre les deux derniers conseillers de ladite Chambre ; puis, s'étant couvert, avertit la Cour de se trouver à la cérémonie du défunt, et présenta la lettre du Roi à elle adressée sur ce sujet. Après la lecture de laquelle les vingt-trois crieurs sonnèrent par trois fois leurs clochettes ; puis l'un desdits crieurs fit la proclamation accoutumée en telle occasion ; laquelle achevée, le maître des cérémonies se retira et alla faire les mêmes semonces (convocations), avec le même appareil en la Chambre des Comptes, en la Cour des Aides, au Corps de Ville et à l'Université. Le 19e, le chœur, la nef et les portails de l'église Notre-Dame de Paris, avec l'archevêché[19], se trouvèrent tendus de drap noir jusqu'aux premières voûtes. Au-dessus duquel drap étaient des lez de velours, chargés de pied en pied d'écussons aux armes susdites. Et sur les trois à quatre heures de relevée furent commencées les vêpres et vigiles des morts, où se trouva le Corps de Ville. Avant lequel service, le roi d'armes et les hérauts susdits, vêtus comme auparavant, furent conduits, par six Suisses de la garde du Roi, dans le chœur de l'église, où chacun d'eux prit sa place sur les sièges préparés à cette fin aux quatre coins de la chapelle ardente : le roi d'armes à la tête, du côté droit ; Bourgogne, à sa gauche ; et vis-à-vis de lui, Valois, à la colonne du même côté ; et Bretagne, à celle qui était au-dessous du roi d'armes. Le quatrième héraut, qui est Alençon, était assis sur un placet[20] semblable à ceux de ses compagnons, tout au bas de la chapelle ardente et près la tête de la représentation. Ce fait, le maître des cérémonies, au même habit ci-dessus, s'assit sur un banc couvert de deuil, au-devant de la chapelle ardente, tirant vers l'autel : d'où il alla avertir le clergé et le conduire dans le chœur, où les vêpres et vigiles susdites ayant été solennellement célébrées, chacun s'est retiré. Le lendemain, 20e dudit mois, l'église étant parée comme le jour précédent, la chapelle ardente, qui était au milieu du chœur, composée de neuf clochers, se trouva chargée de 1.200 cierges : le pourtour de l'église, de plus de 1.500 ; le devant du jubé, de 100 ; et la traverse et herse du chœur, de 60. Outre tous ces luminaires, qui étaient de cire jaune, chargés desdites armes, il y avait encore à l'entour du grand autel 200 cierges de cire blanche. Sur la représentation étaient deux poêles : tous les ornements de l'église, de velours noir croisés de toile d'argent et bordés d'un grand passement aussi d'argent. Les séances furent telles. Au côté de l'Évangile était placé, dans une chaire à bras et dossier, le cardinal Mazarin, ayant devant lui un drap de pied de velours violet. Du côté de l'Épitre, sur trois bancs un peu plus éloignés de l'autel, étaient assis les archevêques et évêques, qui s'y trouvèrent jusqu'au nombre de vingt-deux. Entre les chaires du chœur et les degrés montant à l'autel, du côté de l'Évangile, furent mis les bancs pour les ambassadeurs. A main droite du chœur et du côté de l'archevêque de Paris, qui officia en cette cérémonie, étaient les sièges préparés pour ceux de la parenté du défunt qui devaient représenter le deuil. Vis-à-vis d'eux, à la main gauche, sur une haute chaire, le chancelier de France à la tête du Parlement. De l'autre côté des ambassadeurs, étaient le surintendant des finances, puis les sieurs de la Vrillière, de Chavigny et de Noyers, secrétaires d'État. Derrière eux, les intendants des finances ; et derrière ceux-ci encore, les secrétaires du Conseil et trésoriers de l'épargne. En suite du deuil, et du même côté, étaient la Chambre des Comptes, la Cour des Aides et le Corps de Ville. Les dignités de l'Église remplissaient les derniers sièges de chaque côté vers la porte. Lesquelles séances furent données par ledit maître des cérémonies. Autour de l'autel, sur des échafauds, étaient plusieurs seigneurs et dames de grande condition. Les personnes et les choses ainsi disposées, le maître des cérémonies partit de derrière l'autel, après avoir salué toutes les compagnies ; et en même temps le roi d'armes (qui fut ce jour-là le sieur Le Breton père), ayant devant lui les hérauts, partit de dessous la chapelle ardente, et marchant devant ledit maître des cérémonies, ils furent tous ensemble à l'archevêché, où étaient les parents du défunt représentant le deuil, lesquels ils amenèrent dans l'église en l'ordre qui suit : Cent pauvres allaient devant, revêtus de robes et chaperons noirs, chargés devant et derrière d'écussons ; chacun d'eux tenant une torche acostée de doubles écussons aux armes du défunt. Ces pauvres étaient suivis de vingt-trois crieurs, et ceux-ci des quatre hérauts, marchant deux à deux, le roi d'armes derrière, et après lui, le maître des cérémonies et quantité de noblesse et de gardes qui les accompagnaient ; et tous, en cet ordre, entrèrent dans l'église, où les deuils furent conduits en leurs places par lesdits maître des cérémonies et hérauts, lesquels retournèrent aussi dans les leurs. Puis l'archevêque de Paris, assisté de son clergé, se rendit dans le chœur de l'église, où, ayant commencé sa messe pontificalement, et la musique entonné le Requiem, tous les luminaires susdits allumés et la chapelle ardente parée de ses ornements : incontinent après l'évangile, le roi d'armes se leva de sa place, salua par ordre toutes les séances ; et, prenant un cierge de la main d'un aumônier, se rendit vis-à-vis du premier deuil, où il s'arrêta ; et lors le maître des cérémonies sortit aussi de sa place, et après avoir salué tous les corps et compagnies en séance, alla prendre ledit premier deuil, dont la queue était portée par trois de ses gentilshommes, lequel allant à l'offrande salua toutes les séances ; puis le maître des cérémonies prit le cierge dudit roi d'armes et, s'agenouillant près l'archevêque, le présenta audit premier deuil : lequel ayant baisé la Paix, le rendit à un aumônier : et le roi d'armes allant toujours devant le maître des cérémonies, ils reconduisirent ce deuil en sa place, et chacun d'eux retourna en la sienne. Le premier héraut se leva ensuite et alla faire la même cérémonie à l'autre deuil, qu'il mena à l'offrande, et le reconduisit. Et étant retourné chacun à leur place, un autre héraut fut querir le sieur de Lingendes, évêque de Sarlat, qu'il mena en la chaire préparée pour l'oraison funèbre, chacun demeurant fort satisfait du bon ordre qu'avait apporté en cette action le maître des cérémonies, et le tout ayant été bien exécuté par le roi d'armes et autres employés en cette action. La messe fut célébrée et entendue avec grande dévotion, qui ne se trouva point interrompue par l'oraison funèbre, en laquelle l'orateur fit d'autant plus admirer sa doctrine et son éloquence, qu'encore que, depuis vingt ans, les langues plus disertes et les styles plus polis de ce siècle semblassent avoir épuisé tout ce qu'on pouvait dire en la louange du défunt, il enrichit néanmoins son discours de tant de nouvelles pensées et se rendit si agréable à tout son auditoire, des plus capables d'en juger, qu'il n'y eut aucun des assistants qui n'en remportât une satisfaction entière[21]. IV. Testament du cardinal-duc de Richelieu. Par-devant Pierre Falconis, notaire royal en la ville de Narbonne, fut présent en sa personne Éminentissime Armand-Jean du Plessis, cardinal-duc de Richelieu et de Fronsac, pair de France, commandeur de l'ordre du Saint-Esprit, grand-maître, chef et surintendant général de la navigation et commerce de ce royaume, gouverneur et lieutenant général pour le Roi en Bretagne, lequel a fait entendre audit notaire l'avoir mandé en l'hôtel de la vicomté de ladite ville, où il est, à présent, en son lit malade, pour recevoir son testament et ordonnance de dernière volonté en la manière qui s'ensuit : Je, Armand-Jean du Plessis de Richelieu, cardinal de la sainte Église Romaine, déclare, qu'ayant plu à Dieu, dans la grande maladie en laquelle il a permis que je soie tombé, de me laisser l'esprit et le jugement aussi sains que je les ai jamais eus, je me suis résolu de faire mon testament et ordonnance de dernière volonté. PREMIÈREMENT. Je supplie sa divine bonté de n'entrer point en jugement avec moi et de me pardonner mes fautes par l'application application précieux sang de J.-C. son fils, mort en croix pour la rédemption des hommes ; par l'intercession de la sainte Vierge, sa mère, et de tous les saints, qui après avoir vécu en l'Église Catholique, Apostolique et Romaine, en laquelle seule on peut faire son salut, sont maintenant glorieux en paradis. Lorsque mon âme sera séparée de mon corps, je désire et ordonne qu'il soit enterré dans la nouvelle église de la Sorbonne de Paris, laissant aux exécuteurs de mon testament, ci-après nommés, de faire mon enterrement et funérailles ainsi qu'ils l'estimeront plus à propos. Je veux et ordonne que tout l'or et l'argent monnayé que je laisserai lors de mon décès, en quelque lieu qu'il puisse être, soit mis ès mains de madame la duchesse d'Aiguillon, ma nièce, et de M. de Noyers, conseiller du Roi, en son Conseil d'État, secrétaire de ses commandements ; fors et excepté la somme de 1.500.000 livres, que j'entends et veux être mise entre les mains de Sa Majesté incontinent après mon décès, ainsi que je l'ordonnerai ci-après. Je prie madame la duchesse d'Aiguillon, ma nièce, et M. de Noyers, aussitôt après mon décès, de payer et acquitter mes dettes, si aucunes se trouvent lors, des deniers que j'ordonne ci-dessus être mis entre leurs mains, et mes dettes payées, sur les sommes qui resteront, faire des œuvres de piété utiles au public, ainsi que je leur ai fait entendre, et à M. Lescot, nommé par S. M. à l'évêché de Chartres, mon confesseur, déclarant que je ne veux qu'ils rendent aucun compte à mes héritiers, ni autres, des sommes qui leur auront été mises entre les mains et dont ils auront disposé. Je déclare que, par contrat du 6 juin 1636, j'ai donné à la Couronne mon grand hôtel que j'ai bâti sous le nom du Palais-Cardinal, ma chapelle d'or enrichie de diamants[22], mon grand buffet d'argent ciselé et un grand diamant que j'ai acheté de Lopez. Toutes lesquelles choses le Roi a eu agréable, par sa bonté, d'accepter, à ma très humble et très instante supplication, que je lui fais encore par ce présent testament, d'ordonner que le contrat soit exécuté en tous ses points[23]. Je supplie très humblement S. M. d'avoir agréable (sic) huit tentures de tapisseries et trois lits, que je prie madame la duchesse d'Aiguillon, ma nièce, et M. de Noyers de choisir entre mes meubles pour servir à une partie des ameublements des principaux appartements dudit Palais-Cardinal. Comme aussi je la supplie d'agréer la donation que je lui fais en outre de l'hôtel qui est devant le Palais Cardinal, lequel j'ai acquis de feu M. le commandeur de Sillery, pour, au lieu d'icelui, faire une place au-devant dudit Palais-Cardinal. Je supplie aussi très humblement S. M. de trouver bon que l'on lui mette entre les mains la somme de 1.500.000 livres dont j'ai fait mention ci-dessus, de laquelle somme je puis dire avec vérité m'être servi très utilement aux plus grandes affaires de son État, en sorte que, si je n'eusse eu cet argent à ma disposition, quelques affaires qui ont bien succédé eussent apparemment mal réussi : ce qui me donne sujet d'oser supplier S. M. de destiner cette somme que je lui laisse, pour employer en diverses occasions qui ne peuvent souffrir la longueur des formes des finances. Et pour le surplus de tous et chacuns mes biens présents et à venir, de quelque nature qu'ils soient, je veux et ordonne qu'ils soient partagés et divisés ainsi qu'il suit : Je donne et lègue à Armand de Maillé, mon neveu et filleul, fils d'Urbain de Maillé, marquis de Brézé, maréchal de France, et de Nicole du Plessis, ma seconde sœur, et, en ce, je l'institue mon héritier pour tous les droits qu'il pourrait prétendre en toutes les terres et autres biens qui se trouveront en ma succession lors de mon décès, ce qui s'en suit. Premièrement, je lui donne et lègue mon duché et pairie de Fronsac et Caumont, y joint ensemble tout ce qui en dépend, et qui sera joint et en dépendra, lorsqu'il plaira à Dieu de disposer de moi. Plus, je lui donne la terre et marquisat de Graville, ses appartenances et dépendances. Item, je lui donne et lègue le comté de Beaufort en Vallée. Item, je lui donne et lègue la terre et baronnie de Tresne, sise au pays d'Anjou, que j'ai acquise du marquis de Lezé, par contrat passé pardevant Parque et Guerreau, notaires au Châtelet de Paris. Item, je lui donne et lègue la somme de 300.000 livres qui est au château de Saumur, laquelle somme je veux et ordonne être employée en acquisition de terres nobles, en titre du moins de châtellenie, pour jouir par mondit neveu desdites terres aux conditions d'institution et substitution qui seront ci-après apposées en ce mien testament. Item, je lui donne et lègue la ferme des Pois de Normandie, qui est présentement affermée à 50.000 livres par an ou environ. Je veux et entends que mondit neveu Armand de Maillé laisse à M. le maréchal de Brézé, son père, la jouissance de ladite terre et baronnie de Tresne sa vie durant. Je veux et entends que la décharge que j'ai ci-devant donnée audit sieur maréchal de Brézé, par acte passé pardevant Guerreau et Parque, notaires, le 30 août 1632, de tout ce qu'il me pourra devoir lors de mon décès, ait lieu et soit exécuté fidèlement, ne voulant pas que mondit neveu Armand de Maillé, fils dudit sieur Maréchal, ses frères et sœurs, et autres qui auront part en ma succession, puissent lui en rien demander demander en principal qu'arrérages de rentes, et intérêts des sommes que j'ai payées aux créanciers de la maison de Brézé, dont j'ai les droits cédés, voulant seulement que les biens de la maison de Brézé demeurent affectés et hypothéqués au principal et arrérages desdites dettes, qui sont échues ou qui écherront ci-après, au profit des enfants dudit sieur maréchal de Brézé et de madite sœur, sa femme, et de leurs descendants, ainsi qu'il est déjà porté par le susdit acte, sans que ladite affectation et retenue d'hypothèque puisse empêcher ledit sieur maréchal de Brézé de jouir desdits biens sa vie durant. Je donne et lègue à madame la duchesse d'Aiguillon, ma nièce, fille de défunt René de Vignerot et de dame Françoise du Plessis, ma sœur aînée, pour tous les droits qu'elle pourrait avoir et prétendre en ma succession, outre ce que je lui ai donné par son contrat de mariage, et, en ce, je l'institue mon héritière, savoir : la maison où elle loge à présent, vulgairement appelée le Petit-Luxembourg, sise au faubourg Saint-Germain, joignant le palais de la Reine mère du Roi. Item, ma maison et terre de Ruel, et tout le bien en fond de terre et droits sur le Roi que j'ai et aurai audit lieu lors de mon décès, tant de celui que j'avais il y a quelques années que de tout ce que j'ai acquis par échange de M. l'abbé et des religieux de Saint-Denis en France : à la charge, qu'après son décès madite maison de Ruel, avec ses appartenances et sesdits droits sur le Roi, reviendront à celui des enfants mâles de mon neveu du Pont-de-Courlay, qui sera mon héritier et qui portera le nom et les armes de Richelieu, à la charge des institutions et substitutions qui seront ci-après apposées, et quant à la maison, dite vulgairement le Petit-Luxembourg, elle appartiendra, après le décès de madite nièce, la duchesse d'Aiguillon, à celui qui sera duc de Fronsac, aux conditions d'institutions et substitutions qui seront ci-après apposées. Item, je lui donne le domaine de Pontoise et autres droits que je pourrai avoir en ladite ville lors de mon décès. Item, je lui donne la rente que j'ai à prendre sur les cinq grosses fermes de France, qui monte à 60.000 livres par an, ou environ, laquelle, après le décès de madite nièce, reviendra à mondit neveu du Pont-de-Courlay, ou à celui qui sera mon héritier, si ladite rente se trouve pour lors en nature : et en cas qu'elle ait été rachetée, les deniers en provenant ou rentes auxquelles ils auront été employés appartiendront à mondit neveu. Item, je donne et lègue à madite nièce la duchesse d'Aiguillon, tous les cristaux, tableaux et autres pièces qui sont à présent, ou pourront être ci-après lors de mon décès, dans le cabinet principal de ladite maison dite vulgairement le Petit-Luxembourg, et qui y servent comme d'ornements, sans y comprendre l'argenterie du buffet, dont j'ai déjà disposé, qui y pourrait être lors de mon décès. Je lui donne aussi toutes mes bagues et pierreries, à l'exception seulement de ce que j'ai laissé ci-dessus à la Couronne : ensemble un buffet d'argent vermeil, doré, neuf, pesant 535 marcs, 4 gros[24], contenu en deux coffres faits exprès. Je donne et lègue à François de Vignerot, sieur du Pont-de-Courlay, mon neveu, et, en ce, l'institue mon héritier, savoir la somme de 200.000 livres, qui lui seront payées par l'ordre des exécuteurs de mon testament, à la charge qu'il les emploiera à l'acquisition d'une terre, pour en jouir sa vie durant, et, après son décès, appartenir à Armand de Vignerot, son fils aîné, ou à celui qui après lui sera duc de Richelieu, aux conditions d'institution et substitution ci-après déclarées. Je donne et lègue audit Armand de Vignerot, et, en ce, je l'institue mon héritier, savoir : mon duché-pairie de Richelieu, ses appartenances et dépendances, avec toutes les terres que j'ai fait ou pourrai faire venir à icelui avant mon décès. Item, je lui donne la terre et baronnie de Barbezieux, que j'ai acquise de M. et madame Vignier. Item, je lui donne la terre et principauté de Mortagne, que j'ai acquise de M. de Loménie, secrétaire d'État. Item, je lui donne et lègue la comté de Cosnac, les baronnies de Coze, de Saugeon et d'Alvert. Item, je lui donne et lègue la terre de la Ferté-Bernard, que j'ai acquise, par décret, de M. le duc de Villars. Item, je lui donne et lègue le domaine d'Hiers-en-Brouage, dont je jouis par engagement. Item, je lui donne et lègue l'hôtel de Richelieu, que j'ai ordonné et veux être bâti joignant le Palais-Cardinal, aux conditions d'institution et substitution qui seront ci-après déclarées. Item, je lui donne et lègue ma tapisserie de l'histoire de Lucrèce, que j'ai achetée de M. le duc de Chevreuse, ensemble toutes les figures, statues, bustes, tableaux, cristaux, cabinets, tables et autres meubles qui sont à présent dans sept chambres de la conciergerie du Palais-Cardinal et dans la petite galerie qui en dépend, pour meubler et orner ledit hôtel de Richelieu lorsqu'il sera bâti, voulant et entendant que toutes les choses susdites demeurent perpétuellement attachées audit hôtel de Richelieu, comme appartenances et dépendances d'icelui. Item, je lui donne et lègue, outre ce que dessus, tous mes autres biens tant meubles qu'immeubles, droits sur le Roi, ou de ses domaines, que je possède par engagement, et généralement tous les biens que j'aurai lors de mon décès, de quelque nature et qualité qu'ils puissent être, dont je n'aurai disposé par le présent testament ; le tout aux conditions d'institution et substitution qui seront ci-après apposées. Et, pour cet effet, je veux et ordonne qu'après mon décès, il soit fait un inventaire par mes exécuteurs testamentaires, ou par telles personnes qu'ils estimeront à propos, de tous mes meubles qui se trouveront tant en l'hôtel de Richelieu et Palais-Cardinal, qu'en ma maison de Richelieu, dont celui qui sera duc de Richelieu se chargera. Je veux et entends que tous les legs que j'ai ci-dessus faits audit Armand de Vignerot, mon petit-neveu, soient à la charge et condition expresse qu'il prendra le seul nom du Plessis de Richelieu, et que mondit neveu, ni ses descendants qui viendront à ma succession, en vertu de ce présent testament, ne pourront prendre et porter autre nom, ni écarteler les armes de la maison du Plessis de Richelieu, à peine de déchéance de l'institution et substitution que je fais en leur faveur. Je veux et entends qu'Armand de Vignerot, ou celui de mes petits-neveux, enfants de François de Vignerot, mon neveu, qui viendra à ma succession en vertu de ce mien testament, donne, par chacun an, audit François de Vignerot, leur père, la somme de 30.000 livres sa vie durant, à prendre sur tous les biens que je leur ai ci-dessus légués : à la charge que ledit sieur François de Vignerot, sieur du Pont-de-Courlay, mon neveu, ne jouira desdites 30.000 livres de rente qu'aux termes et conditions ci-après déclarées, pour le temps que mes héritiers commenceront à jouir entièrement de mes biens, et que le paiement desdites 30.000 livres lui sera fait par l'ordre de ceux qui auront la direction desdits biens, en attendant que sondit fils soit majeur, ou par l'ordre de sondit fils lorsqu'il sera en âge. Item, je donne et lègue audit Armand de Vignerot, mon petit-neveu, aux clauses et conditions des institutions et substitutions qui seront ci-après apposées, ma bibliothèque, non seulement en l'état en lequel elle est à présent, mais en celui auquel elle sera lors de mon décès, déclarant que je veux qu'elle demeure au lieu où j'ai commencé à la faire bâtir dans l'hôtel de Richelieu joignant le Palais-Cardinal : et d'autant que mon dessein est de rendre ma bibliothèque la plus parfaite et accomplie que je pourrai, et la mettre en un état qu'elle puisse non seulement servir à ma famille, mais encore au public, je veux et ordonne qu'il en soit fait un inventaire général, lors de mon décès, par telles personnes que mes exécuteurs testamentaires jugeront à propos, y appelant deux docteurs de la Sorbonne qui seront députés par leur corps, pour être présents à la confection dudit inventaire, lequel étant fait, je veux qu'il en soit mis une copie en ma bibliothèque, signée de mesdits exécuteurs testamentaires et desdits docteurs de Sorbonne, et qu'une autre copie soit pareillement mise en ladite maison de Sorbonne, signée ainsi que dessus. Et, afin que madite bibliothèque soit conservée en son entier, je veux et ordonne que ledit inventaire soit récollé et vérifié tous les ans par deux docteurs qui seront députés par la Sorbonne, et qu'il y ait un bibliothécaire qui en ait la charge, aux gages de 1.000 livres par chacun an, lesquels gages et appointements, je veux être pris par chacun an par préférence à toutes autres charges, de quartier en quartier, et par avance, sur le revenu des arentements des maisons bâties et à bâtir à l'entour du Palais-Cardinal, lesquelles ne font point part dudit palais, et je veux et entends que, moyennant lesdites 1.000 livres d'appointement, il soit tenu de conserver ladite bibliothèque, la tenir en bon état, donner l'entrée, à certaines heures du jour, aux hommes de lecture et d'érudition pour voir les livres et en prendre communication dans le lieu de ladite bibliothèque, sans transporter les livres ailleurs ; et en cas qu'il n'y eût aucun bibliothécaire lors de mon décès, je veux et ordonne que la Sorbonne en nomme trois audit Armand de Vignerot et à ses successeurs, qui seront dues de Richelieu, pour choisir celui des trois qu'ils jugeront le plus à propos ; ce qui sera toujours observé lorsqu'il sera nécessaire de mettre un nouveau bibliothécaire. Et d'autant que pour la conservation du lieu et des livres de ladite bibliothèque, il sera besoin de la nettoyer souvent, j'entends qu'il soit choisi par mondit neveu un homme propre à cet effet, qui sera obligé de balayer tous les jours une fois ladite bibliothèque et d'essuyer les livres ou les armoires dans lesquelles ils seront ; et pour lui donner moyen de s'entretenir, et de fournir les balais et autres choses nécessaires pour ledit nettoiement, je veux qu'il ait 400 livres de gages par an, à prendre sur le même fonds que ceux dudit bibliothécaire, et en la même forme ; ce qui sera fait, ainsi que ce qui concerne ledit bibliothécaire, par les soins et par l'autorité de mondit neveu et de ses successeurs en la possession dudit hôtel de Richelieu. Et d'autant qu'il est nécessaire pour maintenir une bibliothèque en sa perfection, d'y mettre de temps en temps les bons livres qui seront imprimés de nouveau, ou ceux des anciens qui peuvent manquer, je veux et ordonne qu'il soit employé la somme de 1.000 livres par chacun an en achat de livres, par l'avis des docteurs qui seront députés tous les ans par la Sorbonne pour faire l'inventaire de ladite bibliothèque ; laquelle somme de 1.000 livres sera pareillement prise par préférence à toutes autres charges, excepté celle des deux articles ci-dessus, sur ledit revenu des arentements des maisons qui ont été et seront bâties à l'entour du Palais-Cardinal. Je déclare que mon intention et ma volonté est, en cas que, lors de mon décès, ledit Armand de Vignerot, ou celui de ses frères, à son défaut, qui viendra à ma succession en vertu de ce mien testament, ne soit encore majeur : que ma nièce, la duchesse d'Aiguillon, ait l'administration et conduite tant de sa personne que desdits biens que je lui donne jusques à ce qu'il soit venu en âge de majorité, sans que madite nièce, la duchesse d'Aiguillon, soit tenue d'en rendre aucun compte audit Armand de Vignerot, ni à autre personne que ce soit. Et en cas que madite nièce, la duchesse d'Aiguillon, fût décédée avant moi, ou qu'elle décédât avant la majorité dudit Armand de Vignerot, ou de celui de ses frères qui sera mon héritier, je veux et ordonne que lesdits biens soient administrés par mes exécuteurs testamentaires, sans qu'ils soient aussi tenus d'en rendre compte à qui que ce soit. Item, je donne et lègue audit Armand de Vignerot, mon petit-neveu, la somme de quatre cent quarante et tant de mille livres, que j'ai prêtée par contrat de constitution de rente à mon neveu du Pont-de-Courlay, son père, pour acquitter les dettes par lui contractées, ensemble tout ce que ledit sieur du Pont-de-Courlay, mon neveu, me devra, tant à cause des arrérages desdites constitutions de rente que pour quelqu'autre cause que ce soit, et à quelque somme que lesdites dettes se trouveront monter lors de mon décès, à la charge et condition néanmoins que mondit neveu ne pourra faire aucune demande desdites sommes, tant en principal qu'intérêt, audit sieur du Pont-de-Courlay, son père, pendant son vivant, ains se réservera à se pourvoir sur ses terres après son décès, si ce n'est que les terres et biens dudit sieur du Pont-de-Courlay, mon neveu, soient de son vivant saisis et mis en criées à la requête de ses créanciers ; auquel cas je veux et entends que ledit Armand de Vignerot, mon petit-neveu, puisse s'opposer aux biens saisis, et même s'en rendre adjudicataire, s'il le juge ainsi à propos ; et en cas qu'il se rende adjudicataire desdits biens, ou qu'étant vendus il soit mis en ordre sur les deniers provenant de la vente d'iceux, je veux et entends que mondit neveu du Pont-de-Courlay jouisse sa vie durant du revenu desdits biens, dont il se sera rendu adjudicataire, ou de l'intérêt des sommes dont mon petit-neveu aura été mis en ordre. Et d'autant qu'il a plu à Dieu de bénir mes travaux et les faire considérer par le Roi, mon bon maître, en les reconnaissant par sa munificence royale au-dessus de ce que je pouvais espérer, j'ai estimé, en faisant ma disposition présente, devoir obliger mes héritiers à conserver l'établissement que j'ai fait en ma famille, en sorte qu'elle se puisse maintenir longuement en la dignité et splendeur qu'il a plu au Roi lui donner, afin que la postérité connaisse que si je l'ai servi fidèlement, il a su, par une vertu toute royale, m'aimer et me combler de ses bienfaits. Pour cet effet, je déclare et entends que tous les biens que j'ai ci-dessus légués et donnés soient à la charge des substitutions ainsi qu'il ensuit. Premièrement, je substitue à Armand de Vignerot, mon petit-neveu, fils de François de Vignerot, sieur du Pont-de-Courlay, mon neveu, en tous les biens, tant meubles qu'immeubles, que je lui ai ci-dessus légués, son fils aîné, et audit fils aîné, je substitue l'aîné des mâles de ladite famille, et d'aîné en aîné gardant toujours l'ordre et prérogative d'aînesse. Et, en cas que ledit Armand de Vignerot décède sans enfants mâles, ou que la ligne masculine vienne à manquer en ses enfants, je lui substitue celui de ses frères qui sera l'aîné en sa famille, ou à son défaut l'aîné des enfants mâles dudit frère, selon l'ordre de primogéniture et gardant toujours la prérogative d'aînesse. Et, en cas que ledit frère ou ses enfants mâles, décèdent sans enfants mâles, et que la ligne masculine vienne à manquer, je lui substitue celui de ses frères ou de ses neveux qui sera l'aîné des mâles en la famille, et d'aîné en aîné, gardant toujours l'ordre de primogéniture d'aînesse, tant que la ligne masculine de François de Vignerot, sieur du Pont-de-Courlay, durera. Je déclare que je veux et entends que celui des enfants mâles de mon neveu du Pont-de-Courlay, ou de ses descendants, qui sera ecclésiastique, s'il est in sacris, ne soit compris en l'institution et substitution ci-dessus faite pour jouir d'icelle, encore qu'il fût plus âgé ; mais je veux et ordonne qu'en tous les degrés d'institution et substitution, celui qui se trouvera le plus âgé et aîné de la famille, après celui qui sera ecclésiastique et in sacris, lors de l'ouverture de la substitution, jouisse, en son lieu, des droits d'institution et de substitution selon l'ordre de primogéniture. Et, en cas qu'il n'y eût plus aucun descendant mâle de mondit neveu du Pont-de-Courlay, et que la ligne masculine venant de lui vînt à manquer en sa famille, j'appelle à ladite substitution Armand de Maillé, mon neveu, ou celui de ses descendants mâles, par les mâles, qui sera duc de Fronsac, par augmentation des biens institués et substitués, et pour sortir même nature et aux mêmes conditions, institutions et substitutions que les autres biens que je lui ai légués ; le tout à la charge que mondit neveu, Armand de Maillé, et ses descendants qui viendront à ladite substitution, prendront le seul nom de du Plessis de Richelieu, avec les armes pleines de ladite maison du Plessis de Richelieu, sans adjonction d'autres. Item, je substitue audit Armand de Maillé, en tous les biens que je lui ai ci-dessus légués, le fils aîné qui viendra de lui en loyal mariage, et audit fils aîné je substitue l'aîné des mâles issus de lui et d'aîné en aîné, à l'exclusion de ceux qui seront ecclésiastiques in sacris, ainsi que j'ai dit ci-dessus. Et, en cas que mondit neveu, Armand de Maillé, vînt à décéder sans enfants mâles, ou qu'il n'y eût aucuns descendants mâles de lui, et que la ligne masculine venant de lui vînt à manquer en sa famille, j'appelle à ladite substitution Armand de Vignerot, mon petit-neveu, ou celui de ses descendants mâles qui sera lors duc de Richelieu ; et à faute d'hoirs mâles descendants par les mâles dudit Armand de Vignerot, j'appelle à ladite substitution l'aîné des mâles de la famille de mondit neveu du Pont-de-Courlay, descendant de lui par les mâles, selon le degré de primogéniture, par augmentation de biens institués et substitués, et pour sortir même nature et aux mêmes conditions, institutions et substitutions que les autres biens que je leur ai légués. Et, en cas que la ligne masculine de mondit neveu du Pont-de-Courlay et d'Armand de Maillé, mon neveu, vienne à manquer, en sorte qu'en toutes les deux familles il n'y ait plus aucuns enfants mâles descendant des enfants mâles en légitime mariage, pour venir à ma succession selon l'ordre ci-dessus prescrit, j'appelle à la substitution des biens auxquels j'ai institué Armand de Vignerot, mon petit-neveu, le fils aîné de la fille aînée venant de l'aîné, ou celui qui le représentera, et puis l'aînée des filles venant des puînés selon l'ordre de primogéniture des mâles, à l'exclusion de ceux qui seront in sacris. Et en cas, ainsi qu'il est dit ci-dessus, que la ligne masculine vienne à manquer tant en la famille d'Armand de Maillé, mon neveu, qu'en celle de mondit neveu du Pont-de-Courlay, j'appelle à la substitution des biens auxquels j'ai institué ledit Armand de Maillé, mon neveu, le fils aîné de sa fille aînée, puis des puînés, ou celui des mâles qui le représentera, et de mâle en mâle, à l'exclusion de ceux qui seront in sacris, gardant toujours de degré en degré l'ordre de primogéniture des mâles, et aux mêmes charges, conditions, institutions et substitutions, ainsi qu'il est dit ci-dessus. Et, s'il arrivait que tous les mâles descendant des filles de mondit neveu du Pont-de-Courlay décédassent sans enfants mâles, je leur substitue celui de mes successeurs qui sera duc de Fronsac, en vertu de mon testament, par augmentation d'institution et substitution ; et, en cas que tous les mâles descendant des filles, venant d'Armand de Maillé, mon neveu, décédassent sans enfants mâles, je leur substitue celui de mes successeurs qui possédera lors, en vertu de mon testament, le duché de Richelieu, par augmentation d'institution et substitution. Je prie ceux des familles de Vignerot et de Maillé auxquels les biens que je substitue écherront, de vouloir renouveler, en tant que besoin serait, lesdites institutions et substitutions, selon mon intention ci-dessus ; ce que je crois qu'ils feront volontairement, tant en considération des grands biens qu'ils auront reçus de moi, que pour l'honneur de leur famille. Et, comme mon intention est que les terres des duchés et pairies de Richelieu, de Fronsac et Caumont, leurs appartenances et dépendances, soient conservées entières en ma famille sans être divisées, pour cette considération, je prohibe, autant que je puis, à mondit petit-neveu Armand de Vignerot et Armand de Maillé mon neveu, et leurs descendants, et à tous autres qui viendront à la succession desdites terres, tant par institution que substitution, en vertu du présent testament, toute distraction de quarte, légitime, douaire ou autrement, en quelque manière que ce soit, sur lesdites terres, duchés et pairies, voulant que lesdites terres et seigneuries demeurent entières à celui qui se trouvera substitué en son ordre, sans qu'elles puissent être démembrées ni divisées pour quelque cause et occasion que ce soit. Je veux et entends que mon neveu du Pont-de-Courlay se contente pour tous droits qu'il pourrait prétendre en ma succession de la somme de 200.000 livres que je lui ai ci-dessus léguées, et des 30.000 livres que je lui ai aussi léguées, à prendre par chacun an sur tous les biens que j'ai légués par ce mien testament à Armand de Vignerot, mon petit-neveu, son fils : ensemble de la jouissance des sommes de deniers qu'il me doit, ainsi que j'en ai disposé ci-dessus. Item, je déclare qu'en cas que mondit neveu, François de Vignerot, sieur du Pont-de-Courlay, conteste cette mienne disposition, et que le duché de Richelieu lui fût adjugé, ou la part et portion dont je n'aurais pu disposer : en ce cas, je révoque ladite donation de 200.000 livres faite en sa faveur, et, en outre, je révoque toutes les institutions que j'ai faites dudit duché de Richelieu en faveur d'Armand de Vignerot, son fils, et de ceux de la famille de Vignerot, et veux et entends qu'Armand de Maillé, mon neveu, soit appelé à la substitution dudit duché, après le décès dudit François de Vignerot, sieur du Pont-de-Courlay, mon neveu, à l'exclusion de tous les descendants de mondit neveu du Pont-de-Courlay, et qu'il jouisse lors de l'ouverture de ma succession des parts et portions dudit duché dont je puis disposer : et en tant que besoin est, en cas que ledit François de Vignerot, mon neveu, conteste ce mien testament, je donne à Armand de Maillé lesdites parts et portions dont je puis disposer, avec l'hôtel de Richelieu, que j'ai ordonné être bâti joignant le Palais-Cardinal, ensemble tous les meubles qui se trouveront lors de mon décès, tant en la maison de mon duché de Richelieu, qu'au Palais-Cardinal et audit hôtel de Richelieu, et ce, par augmentation d'institution, substitution, et pour sortir même nature et aux mêmes conditions, institutions et substitutions que les autres biens à lui ci-dessus légués, et à la charge qu'il prendra le seul nom et les seules armes de la maison du Plessis de Richelieu, ainsi qu'il est dit ci-dessus. Et, quant aux autres biens, tant meubles qu'immeubles, dont j'ai disposé ci-dessus en faveur d'Armand de Vignerot, mon petit-neveu, je veux et entends qu'il en jouisse ainsi que j'ai ordonné ci-dessus, aux conditions d'institutions et substitutions apposées ci-dessus : à la charge néanmoins que cette dernière disposition n'aura lieu qu'en cas que mondit neveu, François de Vignerot, sieur du Pont-de-Courlay, conteste mon testament. Et d'autant que dans les biens dont j'ai ci-dessus disposé, il y en aura peut-être du domaine du Roi, et d'autres biens et rentes qui pourraient être rachetés, je veux et entends qu'en cas de rachat de tout ou de partie des biens de cette nature, soit ceux institués ou substitués, le prix en provenant soit remplacé par celui auquel le rachat sera fait, en acquisitions d'héritages, pour tenir lieu et place desdits biens rachetés, aux mêmes conditions, institutions et substitutions auxquelles je les ai données et léguées ci-dessus, et ce dans six mois du jour du remboursement qui en sera fait, si l'on peut trouver à faire ledit remploi ; au défaut de quoi les deniers provenant desdits rachats et remboursements seront mis ès mains de personnes solvables jusques à ce que le remploi en soit fait, avec le consentement de celui qui sera le plus proche appelé à la substitution desdites choses. Je ne fais aucune mention, en ce mien testament, de ma nièce, la duchesse d'Enghien[25], d'autant que, par son contrat de mariage, elle a renoncé à ma succession moyennant ce que je lui ai donné en dot, dont je veux et ordonne qu'elle se contente. Mon intention est que les exécuteurs de mon testament et madite nièce, la duchesse d'Aiguillon, aient le maniement, durant trois ans, à compter du jour qu'il aura plu à Dieu disposer de moi, des deux tiers du revenu de tout mon bien, l'autre tiers demeurant à mesdits héritiers, chacun en ce qui leur concerne, pour être lesdits deux tiers employés au paiement de ce qui pourrait rester à acquitter de mes dettes, de mes legs, et à la dépense que j'ai ordonné être faite et achevée, savoir de l'église de la Sorbonne de Paris, ornements et ameublements d'icelle, de ma sépulture que je veux être faite en ladite église, suivant le dessin qui en sera arrêté par ma nièce la duchesse d'Aiguillon et M. de Noyers, — du collège de Sorbonne, suivant le dessin que j'en ai arrêté avec M. de Noyers et le sieur Mercier, architecte, — à l'achat des plans nécessaires tant pour l'édification dudit collège que pour le jardin de la Sorbonne, suivant les prisées et estimations qui en ont été faites, comme encore à la dépense de l'hôtel de Richelieu, que j'ai ordonné être fait joignant le Palais-Cardinal, — et la bibliothèque dudit hôtel dont les fondations sont jetées, laquelle je prie M. de Noyers de faire soigneusement achever suivant le dernier dessin et devis arrêtés avec Tiriot, maître maçon[26], et de faire acheter tous les livres qui y manqueront. Je le prie aussi de faire réparer, accommoder et orner la maison des Pères de la Mission, que j'ai fondée à Richelieu, et de leur faire acheter un jardin dedans l'enclos de la ville de Richelieu, le plus proche de leur maison que faire se pourra, de la grandeur que j'ai ordonnée ; comme aussi de faire achever les fontaines et autres accommodements commencés et nécessaires pour la perfection de mes bâtiments et jardins de Richelieu, le tout sur lesdits deux tiers du revenu de mondit bien, comme dit est, sans que, de toutes les dépenses ci-dessus, madite nièce, ni M. de Noyers soient tenus de rendre compte à qui que ce puisse être. Et, bien que j'aie déjà suffisamment fondé audit Richelieu lesdits Pères de la Mission pour entretenir vingt prêtres afin de s'employer aux missions dans le Poitou, suivant leur institut, je leur donne encore la somme de 60.000 livres, afin qu'ils aient d'autant plus de moyens de vaquer auxdites missions et qu'ils soient obligés à prier Dieu pour le repos de mon âme ; à la charge d'employer ladite somme de 60.000 livres en achat d'héritage pour être de même nature que les autres biens de leur fondation. Je défends à mes héritiers de prendre alliance en des maisons qui ne soient pas vraiment nobles, les laissant assez à leur aise pour avoir plus d'égard à la naissance et à la vertu qu'aux commodités et aux biens. Et d'autant que l'expérience nous fait connaître que les héritiers ne suivent pas toujours la trace de ceux dont ils sont successeurs : désirant avoir plus de soin de la conservation de l'honneur que je laisse aux miens que de celle de leur bien, je recommande absolument auxdits Armand de Vignerot et Armand de Maillé, et à tous ceux qui jouiront après eux desdits duchés et pairies et biens que je leur ai ci-dessus substitués, de ne se départir jamais de l'obéissance qu'ils doivent au Roi et à ses successeurs, quelque prétexte de mécontentement qu'ils puissent prendre pour un si mauvais sujet, et déclare en ma conscience que si je prévoyais qu'aucun d'eux dût tomber en telle faute, je ne lui laisserais aucune part en ma succession. Je donne et lègue au sieur..... du Plessis de Civray, mon cousin, la somme de 60.000 livres, qui m'est due par M. le comte de Charost, capitaine des gardes du corps du Roi ; auquel j'entends que ledit sieur du Plessis de Civray, ni aucun de mes héritiers, ne puisse demander aucune chose pour les intérêts de ladite somme de 60.000 livres, mais seulement que ledit sieur de Civray se puisse faire payer du principal d'icelle dans l'an de mon décès. Pour marque de la satisfaction que j'ai des services qui m'ont été rendus par mes domestiques[27] et serviteurs, je donne au sieur Didier, mon aumônier, 1.500 livres. — Au sieur de Bar[28], 10.000 livres. — Au sieur de Manse, 6.000 livres. — Au sieur de Bel-Esbat, parce que je ne lui ai encore rien donné, 10.000 livres. — A Beaugency, 3.000 livres. — A Estoublon, 3.000 livres. — Au sieur de Marsal, 3.000 livres. — Au sieur de Palvoisin, parce que je ne lui ai jusques ici rien donné, 12.000 livres. — A Genillé, 2.000 livres. — Au sieur Cytois, 6.000 livres. — Au sieur Renaudot, 2.000 livres. — A Bertereau, 6.000 livres. — A Blouyn, 6.000 livres. — A Desbournais, mon valet de chambre, 6.000 livres, et je désire qu'il demeure concierge, sous mon petit-neveu du Pont-de-Courlay, dans le Palais-Cardinal. — Au Cousin, 6.000 livres. — A l'Espolette et à Prévost, chacun 3.000 livres. — Au sieur Eujenat (ou Evienat), mon argentier, 4.000 livres. — A mon maître d'hôtel, 6.000 livres. — A Picot, 6.000 livres. — A Robert, 3.000 livres. — Aux sieurs de Grave et de Saint-Léger, mes écuyers, chacun 3.000 livres, et en outre mes deux carrosses avec leurs attelages de chevaux, ma litière et mes trois mulets qui y servent, pour être partagés également entre mesdits deux écuyers. — A Chamarante et du Plessis, chacun 3.000 livres. — A Vilandry, 1.500 livres. — A de Roques, 18 chevaux d'école, après que les douze meilleurs de mon écurie auront été choisis par mes parents. — Au sieur de Fort, écuyer, 6.000 livres. — A Grand-Pré, capitaine de Richelieu, 3.000 livres. — A La Jeunesse, concierge de Richelieu, 3.000 livres. — Au petit Mulot, qui écrit sous le sieur Charpentier, mon secrétaire, 1.500 livres. — A La Garde, 3.000 livres. — A mon premier cuisinier, 2.000 livres. — A mon premier crédencier, 2.000 livres. — A mon premier cocher, 1.500 livres. — A mon premier muletier, 1.200 livres. — A chacun de mes valets de pied, 600 livres. — Et généralement à tous les autres officiers de ma maison, savoir de la cuisine, sommelerie et écuries, chacun six années de leurs gages, outre ce qui leur sera dû jusques au jour de mon décès. Je ne donne rien au sieur Charpentier, mon secrétaire, parce que j'ai eu soin de lui faire du bien pendant ma vie ; mais je veux rendre ce témoignage de lui que, durant le long temps qu'il m'a servi, je n'ai point connu de plus homme de bien, ni de plus loyal et plus sincère serviteur. Je ne donne rien aussi au sieur Chéré, mon autre secrétaire, parce que je le laisse assez accommodé, étant néanmoins satisfait des services qu'il m'a rendus. Je donne au baron de Broye, héritier du feu sieur Barbin[29], que j'ai su être en nécessité, la somme de 30.000 livres. Je prie mon frère, le cardinal de Lyon, de donner au sieur de Sagilly le prieuré de Coussay, que je possède présentement et lequel est à sa nomination. Et pour exécuter le présent testament et tout ce qui en dépend, j'ai nommé et élu M. le chancelier[30] et MM. Bouthillier, surintendant, et de Noyers, secrétaire d'État, ou ceux qui les survivront, voulant qu'ils aient un soin particulier que rien ne soit omis de tout ce que dessus, qui est mon testament et ordonnance de ma dernière volonté, laquelle j'ai faite, ainsi qu'il est dit ci-dessus, après y avoir mûrement pensé plusieurs fois, parce que la plus grande part de mon bien étant venue des gratifications que j'ai reçues de Leurs Majestés, en les servant fidèlement, et de mon épargne, il m'est libre d'en user comme bon me semble. Joint que je laisse à chacun de mes héritiers légitimes beaucoup plus de bien qu'il ne leur appartiendrait de ce qui m'est arrivé de la succession de ma maison. Et afin qu'il n'y ait point de différends entre eux, et que cette mienne volonté et ordonnance dernière soit pleinement exécutée, je veux et ordonne qu'au cas que quelqu'un de mes héritiers et légataires prétendit qu'il y eût de l'ambiguïté ou obscurité en ce mien présent testament, que mon frère le cardinal de Lyon et mes exécuteurs testamentaires tous ensemble, ou ceux d'eux qui seront lors vivant, expliquent mon intention et jugent définitivement du différend qui pourrait naître sur le sujet du présent testament, et que mesdits héritiers ou légataires soient tenus d'acquiescer à leur jugement, sur peine d'être privés de la part que je leur donne et laisse, laquelle sera en ce cas pour ceux qui obéiront au jugement donné par les dessusdits. Je supplie très humblement le Roi de vouloir traiter mes parents qui auront l'honneur de le servir aux occasions qui s'en présenteront, selon la grandeur de son cœur vraiment royal, et de témoigner en cela l'estime qu'il fera de la mémoire d'une créature qui n'a jamais rien eu en si singulière recommandation que son service. Et je ne puis que je ne die, pour la satisfaction de ma conscience, qu'après avoir vécu dans une santé languissante, servi assez heureusement dans des temps difficiles et des affaires très épineuses, et expérimenté la bonne et mauvaise fortune en diverses occasions, en rendant au Roi ce que à quoi sa bonté et ma naissance m'ont obligé particulièrement, je n'ai jamais manqué à ce que j'ai dû à la Reine, sa mère, quelques calomnies que l'on m'ait voulu imposer sur ce sujet. J'ai voulu, pour plus grande sûreté de ce mien testament, déclarer que je révoque tous autres que je pourrais avoir faits ci-devant, et ne vouloir aussi, en cas qu'il s'en trouve ci-après quelqu'autre de date postérieure qui révoque celui-ci, que l'on n'y ait aucun égard s'il n'est tout écrit de ma main et reconnu de notaires, et que les mots suivants : Satiabor cum apparuerit gloria tua, ne soient insérés à la fin et immédiatement avant mon seing. Et d'autant qu'à cause de madite maladie et des abcès survenus sur mon bras droit, je ne puis écrire ni signer, j'ai fait écrire et signer mon présent testament, contenant seize feuillets, et la présente page, par ledit Pierre Falconis, notaire royal, après m'en être fait faire lecture distinctement et intelligiblement. Fait audit hôtel de la Vicomté, le 23e jour du mois de mai l'an 1642 après midi. Signé : FALCONIS. L'an 1642 et le 23e jour de mai après midi, dans l'hôtel de la Vicomté de Narbonne, régnant Très chrétien prince Louis XIII, roi de France et de Navarre, devant moi notaire fut présent en sa personne Mgr Armand-Jean du Plessis, cardinal de la Sainte Église Romaine, duc de Richelieu et de Fronsac, pair de France, etc., lequel détenu de maladie et sain d'entendement a dit et déclaré avoir fait écrire, dans les seize feuillets et demi de papier écrits, fermés et cachetés du cachet de ses armes, avec cire d'Espagne, par moi notaire, son testament et acte de dernière volonté, lequel moi notaire ai signé, mondit seigneur le Cardinal n'ayant pu écrire ni signer sondit testament de sa main à cause de sa maladie et des abcès survenus sur son bras droit : tout le contenu auquel testament Son Éminence veut valoir par droit de testament clos et solennel, codicile, donation, à cause de mort, et par toute telle autre forme que de droit pourra mieux valoir, nonobstant toutes observations de droit écrit auxquelles le lieu où se trouve présentement Son Éminence pourrait l'astreindre, et toutes autres lois et coutumes à ce contraires ; et a prié les témoins bas nommés d'attester sondit présent testament, et moi notaire lui en donner le présent acte, concédé en présence de Mgr l'Éminentissime cardinal Mazarin, MM. L'Escot, nommé par S.M. à l'évêché de Chartres, d'Aumont, abbé d'Uzerches, de Péréfixe, maître de chambre de mondit seigneur Cardinal-Duc, de la Barde, secrétaire du Cabinet du Roi et trésorier de France à Paris, Le Roy, secrétaire de S. M., Maison et Couronne de France, et de Remefort, abbé de la Clairté-Dieu, soussignés, et moi dit notaire avec iceux témoins, mondit seigneur le Cardinal-Duc n'ayant pu signer le présent acte à cause de sadite maladie. Ainsi signé : le Card. Mazarini, I. L'Escot, R. d'Aumont, I. de la Barde, Denis de Remefort, Le Roy, Hardouin de Péréfixe. FALCONIS. V. — Violation du tombeau du Cardinal en 1793[31]. — Cérémonie de 1866. Comme tant d'autres, le tombeau du cardinal de Richelieu fut violé en 1793[32]. Le Cardinal et toute sa famille avaient leur sépulture dans les caveaux de l'église de la Sorbonne. En 1793, cinquante cercueils furent ouverts et brisés, et les ossements dispersés sur le sol des caveaux. Trente-neuf de ces cercueils portaient des plaques de cuivre faisant connaître les noms des personnes renfermées dans lesdits cercueils : 27 indiquaient des membres des familles Richelieu et d'Aiguillon, 12 indiquaient des docteurs de Sorbonne. Pendant l'accomplissement de l'acte de vandalisme, le facies, le masque[33] du Cardinal fut enlevé par un bonnetier de la rue de la Harpe, nommé Cheval, ardent patriote du quartier, qui le garda chez lui jusqu'au 9 thermidor. Craignant alors d'être arrêté et déporté, il donna le masque du Cardinal à l'une de ses pratiques, l'abbé Armez. La précieuse relique passa de celui-ci à son frère, et, en 1846, elle se trouvait entre les mains de M. Armez, député des Côtes-du-Nord, neveu de l'abbé. Averti de ces faits, le Comité des Arts et Monuments[34] pria le Ministre de faire les démarches nécessaires pour que le masque du Cardinal fût replacé au tombeau de la Sorbonne. Il fallut attendre encore vingt ans. Enfin, en 1866, Armez fit don du masque à l'empereur Napoléon III, qui chargea M. Duruy, ministre de l'Instruction publique, de faire replacer le masque dans son tombeau. Ceux qui ont vu cette tête assurent qu'elle était dans un état de conservation extraordinaire et produisait un effet prodigieux[35]. Nous avons vu, dit M. Fontaine de Resbeck, le masque du Cardinal, et sa vue seule avait suffi pour nous convaincre que nous avions sous les yeux la figure même du grand ministre. Comparé à son buste, aux gravures du temps, au portrait de Philippe de Champagne, la ressemblance est encore frappante. C'est bien la face amaigrie, la figure fine et aristocratique que l'on voit au Louvre. La peau desséchée est grumeleuse, les yeux ont disparu dans une orbite immense et profondément creusée, à laquelle tiennent encore les paupières garnies de leurs cils ; le nez, à partir de l'os, est un peu écrasé vers la droite, cette partie cartilagineuse ayant été écrasée par le poids du linceul ; la bouche se relève contractée vers la droite ; elle est garnie de presque toutes ses dents qui sont fort pures ; la barbe et la moustache y sont encore. La pointe des cheveux est parfaitement indiquée au sommet du front, telle qu'elle sortait de la calotte rouge. La tête est uniformément d'une couleur brune, couleur qu'elle doit à un vernis[36]. La cérémonie eut lieu le 15 décembre 1866, devant plusieurs évêques et une députation de l'Académie française. M. Duruy remit à l'archevêque de Paris, Mgr Darboy, les restes du Cardinal, et dit quelques paroles au prélat, qui lui répondit ainsi : M. le Ministre, je remercie le gouvernement de l'Empereur d'avoir eu la pensée de faire restituer à la Sorbonne les restes précieux que Votre Excellence veut bien me remettre. J'ose vous féliciter, M. le Ministre, d'avoir attaché votre nom à cette œuvre réparatrice, et je suis heureux de la part qu'il m'est donné d'y prendre en ce moment. Je ne m'étonne pas que tant de personnes considérables aient tenu à honneur de se rendre à cette cérémonie expiatoire. C'est la sagesse du présent qui vient protester contre l'inexpérience et les entraînements du passé. C'est un acte de haute moralité et d'une politique vraiment sociale. Il est bon de montrer que la violence n'a jamais le dernier mot, mais que c'est la raison qui finit toujours par avoir raison. Ce que les pères renversent, les fils le relèvent ; l'homme outrage, mais le temps venge. Grand exemple pour la génération actuelle, qui ne refusera pas de comprendre qu'elle doit faire œuvre de bon sens et de modération, et non pas œuvre de colère et d'aveugle violence. Je demande à Dieu qu'il en soit ainsi et que les destinées de la France soient à jamais protégées contre toutes ces tristes vicissitudes où la force insulte et proscrit, sans que le droit puisse se faire reconnaître et la liberté s'établir, et sans que les hommes y gagnent en grandeur morale[37]. Un débris du corps du Cardinal se trouve aussi à la bibliothèque Mazarine. On lit dans l'article RICHELIEU de la Biographie universelle, de Michaud[38] : Son buste en bronze, placé dans la salle des actes de la Sorbonne, est aujourd'hui à la bibliothèque Mazarine, et l'on y a joint, enchâssé sous le cristal, un petit doigt du Cardinal ministre que, lors de l'exhumation révolutionnaire, un maçon détacha pour en avoir la bague, et que recueillit précieusement le frère du bibliothécaire, M. Petit-Radel. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Lettres et papiers d'État, VII, 318.
[2] Lettres et papiers d'État, VII, 945.
[3] Lettres et papiers d'État, V, 809.
[4] Voir chapitre V.
[5] Lettres et papiers d'État, IV, 781.
[6] Lettres et papiers d'État, IV, 557.
[7] Bibliothèque facétieuse, historique et singulière..., Paris, Claudin, 1858, in-8°.
[8] Lettres et papiers d'État, IV, 555.
[9] Lettres et papiers d'État, IV, 784.
[10] Lettres et papiers d'État, V, 55.
[11] Lettres et papiers d'État, V, 925, 927.
[12] Et ce que Louis XIII fit aussitôt après la mort de son grand ministre.
[13] De laudanum. — Voir GUY PATIN, I, 308, édit. Réveillé-Parise.
[14] L'admirable portrait du Cardinal par Ph. de Champagne est au salon carré du Louvre. Il a été gravé par Nanteuil en 1657. Cette admirable gravure montre bien l'aspect agréable de la figure du Cardinal, sa nature délicate, son intelligence, la douceur de son caractère et en même temps la sévérité du regard. Il existe aussi une belle médaille de Varin : le Cardinal y est représenté de profil. Le visage, avec son nez busqué, a ici un air d'autorité qui répond bien à l'idée que nous nous faisons du grand ministre.
[15] A l'autopsie, on trouva le poumon gâté et deux abcès dans la poitrine, mais le cerveau en excellent état. C'est, sans doute, l'origine de ce bruit populaire et absurde que rapporte Aubery sur le volume double ou triple du cerveau du Cardinal. (Marius TOPIN, Louis XIII et Richelieu, p. 404, note.)
[16] Gazette, 1642, p. 1155.
[17] Page 1196.
[18] Gazette de France, 1643, p. 73.
[19] Qui était alors sur le côté méridional de la cathédrale.
[20] Petit siège sans bras ni dossier.
[21] Le 14 février on fit encore un grand service en Sorbonne ; on avait fait, à la prière du Roi, des services particuliers dans toutes les paroisses de Paris. — Voir aussi sur les funérailles du Cardinal l'Histoire de l'Université de Paris, par JOURDAIN, dont le récit est tiré d'un manuscrit appartenant au Ministère de l'instruction publique.
[22] Le 25 mars 1633, le Cardinal fit présent au Roi de sa chapelle d'or. (Gazette de 1633, p. 136.)
[23] La chapelle de diamants consistait en une grande croix d'or émaillé, enrichie de diamants ; plus une figure de saint Louis d'or enrichie de rubis et de quelques diamants ; plus un ciboire d'or, deux burettes d'or émaillé enrichis de rubis et de diamants ; plus une paix d'argent doré, enrichie de perles et de rubis ; plus son grand buffet d'argent blanc ciselé, pesant 3.000 marcs (environ 750 kilogr.) ; et un grand diamant en forme de cœur, pesant 20 carats et plus, que le Cardinal avait acheté du sieur Lopez. (Donation de l'hôtel de Richelieu au Roi, in AUBERY, p. 627.)
[24] L'ancienne livre était de 2 marcs. Le buffet pesait donc environ 140 kilogrammes.
[25] Claire-Clémence de Maillé, duchesse de Fronsac et de Caumont, mariée en 1641 au Grand-Condé ; reléguée au château de Châteauroux, où elle mourut en 1694.
[26] Qu'on retrouve aussi dans les constructions de la ville de Richelieu.
[27] Gens, officiers de la maison, et non pas valets et autres gens de service à qui l'on donne aujourd'hui le nom de domestiques. — Valets sont devenus domestiques ; — portiers, concierges ; — pratiques, clients ; — garçons, commis ; — gages, appointements, etc.
[28] Capitaine des gardes du Cardinal.
[29] Intendant de Marie de Médicis et contrôleur général des finances pendant la minorité de Louis XIII, qui avait fait entrer Richelieu au ministère en 1616.
[30] Pierre Séguier.
[31] Les Tombeaux de Richelieu à la Sorbonne (par Fontaine de Resbecq), brochure, 1867, chez Thorin.
[32] 9-13 décembre (19-23 frimaire an II).
[33] Pour faciliter l'embaumement, on sciait le crâne verticalement, de la base des cheveux au menton, de sorte que la figure, le facies, fût séparée de la partie postérieure du crâne.
[34] Bulletin de ce comité, IV, 154.
[35] On fit faire un moulage, à six exemplaires, de cette noble figure par Talrich.
[36] Les Tombeaux de Richelieu, p. 16.
[37] Moniteur universel, 2e semestre 1866, p. 1416.
[38] Nouvelle édition, t. XXXV, p. 625, note.