I. — Colbert. M. P. Clément fait justement observer que l'immense correspondance de Colbert ne renferme aucune lettre intime, aucun détail sur sa personne[1] : l'Etat, sa famille, ses enfants, sont l'objet de ses lettres[2] ; seule, sa bibliothèque lui donne occasion d'écrire quelquefois, à Baluze surtout. Faire de Seignelay un habile ministre et un successeur de grande valeur ; tâcher de faire du jeune d'Ormoy un surintendant ; accomplir son devoir avec zèle et intelligence, sont ses grandes préoccupations ; ne jamais fléchir devant un travail, qui pour tout autre serait excessif, est sa règle constante ; ne manquer aucune occasion d'augmenter sa fortune ou de faire celle de ses enfants, tels sont les traits du caractère de Colbert. C'est un grand ministre ; mais Richelieu est un roi. Colbert se présente à nous comme un homme d'ordre et économe de sa fortune et de celle de l'État. Il ne joue jamais ; il est d'une grande probité et d'une moralité complète. Il a des vues larges, et il est bien rare que son bon sens et sa grande expérience des affaires soient en défaut. Colbert et son fils, en matière religieuse, sont de l'école de Fénelon, qui est leur ami[3] ; une certaine tolérance les distingue de Louvois, ardent persécuteur, et Seignelay défendit plus d'une fois Fénelon, auquel on faisait un crime de sa douceur envers les protestants convertis. Malgré ses qualités et ses actes, les contemporains de Colbert se montrèrent fort injustes envers lui ; mais c'est le sort commun de tous les ministres de valeur. Les amis de Fouquet ne lui pardonnèrent jamais la chute du surintendant, et ne cessèrent, même après sa mort, de lui faire une guerre impitoyable. Les ambassadeurs de Venise qui résidèrent en France pendant le ministère de Colbert[4] lui rendirent la justice que méritait son administration ; mais ils furent à peu près les seuls à le faire. Depuis, on a été plus juste. Necker fit son éloge et fut couronné par l'Académie ; mais il a fallu la belle publication de M. P. Clément pour mettre enfin en lumière la grandeur réelle de Colbert et les services incontestables qu'il a rendus à Louis XIV et à la France. II. — Relations de Colbert avec Louis XIV. Dans les premières années de son ministère, Colbert eut toute la faveur de Louis XIV : il était d'accord avec le Roi sur toutes les questions ; il l'encourageait à faire la guerre à l'Espagne pour soutenir les droits de la Reine, et même à faire la guerre à la Hollande afin que la France fût maîtresse chez elle. Mais quand il vit l'excès des dépenses et la tournure violente que Louvois donnait à cette guerre, il voulut arrêter le Roi, et alors il se heurta contre la gloire de Louis XIV, que Louvois excitait sans relâche, sûr de plaire à son maître. Le jeune ministre de la guerre prit pour lui une partie de la grande faveur dont Colbert jouissait auprès du Roi, qui s'accommodait mieux du caractère orgueilleux et violent du premier que de la modération sensée et de la sage économie du second. Mais, au début du règne, Colbert est tout-puissant, bien que Louvois commençât déjà à lutter contre lui. Une des premières tentatives du fils de Le Tellier contre le crédit du contrôleur général eut lieu à propos du fameux carrousel de 1662. On lit dans les Mémoires du duc de Luynes[5] : On me contait aujourd'hui ce qui se passa dans le temps du grand carrousel que Louis XIV donna en 1662. C'était M. de Louvois qui avait proposé au Roi de donner ce carrousel. La proposition aurait assez plu à Louis XIV sans la dépense, qu'il regardait comme considérable et qu'il n'était pas en état de faire alors. M. de Louvois avait compté embarrasser M. Colbert par cette idée ; le Roi en parla à M. Colbert, mais comme d'une chose impossible. M. Colbert répondit au Roi qu'il ne pouvait assez approuver le conseil que M. de Louvois avait donné à S. M. ; que c'était un projet digne d'un aussi grand roi. Le Roi lui demanda à combien il estimait qu'irait la dépense, si ce serait un objet de 3 ou 400.000 livres. M. Colbert dit au Roi qu'il ne fallait pas le flatter sur cette dépense, qu'il fallait que la fête fût digne de celui qui la donnerait, et qu'elle coûterait au moins un million. Le Roi crut alors la chose impossible, et demanda à M. Colbert comment il imaginait pouvoir trouver cette somme. M. Colbert pria le Roi de ne se point mettre en peine de l'argent, et lui dit qu'il ne lui demandait qu'une seule grâce, qui était de vouloir bien en garder le secret pendant huit jours. C'était dans le temps que l'on venait de donner les fermes générales ; les fermiers craignaient fort que l'on ne leur retirât le domaine de Paris. M. Colbert les envoya querir aussitôt après la conversation qu'il eut avec le Roi, et leur demanda pour quel prix ils mettaient le domaine de Paris dans les fermes générales. Comme leur intérêt était d'y donner une moindre valeur, ils dirent à M. Colbert un prix fort au-dessous de ce qu'il savait être la valeur réelle ; M. Colbert leur répondit qu'il était persuadé que le domaine de Paris rapportait davantage, mais que, pour en être plus certain, le Roi le retirait pour six mois ; il convint avec eux d'un prix dont le Roi leur tiendrait compte et dont ils furent contents ; même le prix étant plus fort que leur estimation, ils furent obligés de lui en faire des remerciements. M. Colbert alla rendre compte au Roi de ce qu'il venait de faire, et lui dit que S. M. pouvait déclarer le carrousel, qu'il était même convenable qu'il fût annoncé dans toutes les cours étrangères et indiqué pour dans trois ou quatre mois. Ce conseil fut suivi exactement ; il vint de toutes parts un prodigieux nombre d'étrangers. Trois semaines ou un mois avant le jour destiné pour le carrousel, M. Colbert représenta au Roi que, tout n'étant pas encore arrangé pour cette fête, il était plus convenable de la remettre pour quinze jours ou environ. Ce court intervalle ayant obligé ceux qui étaient venus de rester à Paris, la consommation extraordinaire que cette affluence attira dans la ville augmenta considérablement les revenus de S. M. par rapport aux entrées[6], et lorsque la fête eut été donnée avec toute la magnificence possible et que le Roi voulut savoir ce qu'elle lui coûtait, M. Colbert lui montra que, bien loin de lui avoir coûté, elle lui avait valu plus d'un million, tous frais faits. En 1666, Colbert, fidèle aux habitudes qu'il avait prises chez Mazarin, remettait au Roi un mémoire sur les affaires : on n'analyse pas un pareil travail, il faut le lire tout entier[7]. Voici, Sire, un métier fort difficile que je vais entreprendre. Il y a près de six mois que je balance à dire à V. M. les choses fortes que je lui dis hier et celles que je vais encore lui dire. L'ordre de V. M., sa haute vertu, mon cœur qui n'est plein que d'amour et de zèle pour la personne et la gloire de V. M., me donnent la hardiesse de parler. Je fais auprès de V. M. le métier, sans comparaison, le plus difficile de tous ; il faut de nécessité que je me charge des choses les plus difficiles et de quelque nature qu'elles soient. Je me confie en la bonté de V. M., en sa haute vertu, en l'ordre qu'elle nous a souvent donné et réitéré de l'avertir au cas qu'elle allât trop vite, et en la liberté qu'elle m'a souvent donnée de lui dire mes sentiments. V. M. me dit hier que ma pensée était qu'il fallait licencier des troupes. Non, Sire, que V. M. soit, s'il lui plaît, persuadée qu'en tout ce qui dépendra de moi, j'irai plus vite que qui que ce soit aux choses qui regarderont sa véritable gloire. V. M. a quatre sortes de dépenses à faire : la première et la plus importante de toutes à présent est la guerre de mer[8] ; la seconde, les affaires étrangères ; la troisième, la guerre de terre ; la quatrième, les dépenses du dedans du royaume, les plaisirs et les divertissements de Votre Majesté. Je suis persuadé, Sire, que les deux premières doivent, sans difficulté, marcher d'un pas égal, à l'exclusion des deux autres, lesquelles ne doivent subsister que des restes, pour ainsi dire, de ces deux premières. La troisième[9] doit aussi subsister, s'il est possible ; mais comme elle doit avoir son temps, même de préférence aux deux autres, elle peut bien souffrir quelque diminution dans un temps où elle n'est pas nécessaire. La quatrième dépense doit souffrir toute la rigueur des retranchements et de toute l'économie possible, par cette belle maxime, qu'il faut épargner cinq sols aux choses non nécessaires, et jeter les millions quand il est question de votre gloire. Je déclare à V. M., en mon particulier, qu'un repas inutile de mille écus me fait une peine incroyable ; et lorsqu'il est question de millions d'or pour la Pologne[10], je vendrais tout mon bien, j'engagerais ma femme et mes enfants, et j'irais à pied toute ma vie pour y fournir s'il était nécessaire. V. M. excusera, s'il lui plaît, ce petit transport. Il faut donc voir s'il se peut faire des retranchements suffisants dans cette quatrième sorte de dépenses ; et, en cas que cela ne se puisse, voir ce qui se peut retrancher sur la troisième pour faire subsister les deux premières. C'est ici que V. M. me permettra, s'il lui plaît, de parler avec liberté. Elle a tellement mêlé ses divertissements avec la guerre de terre qu'il est bien difficile de les diviser ; et si V. M. veut bien examiner en détail combien de dépenses inutiles elle a faites, elle verra bien que, si elles étaient toutes retranchées, elle ne serait point réduite à la nécessité où elle est. J'entends dire que les 800.000 livres d'étapes qui ont été fournies dans les provinces, dans le même temps que les troupes ont été payées réglément, sont consommées. N'est- il pas vrai que, si l'on avait laissé les troupes dans leurs quartiers, sans les faire jouer la navette comme l'on a fait par des changements et des marches perpétuelles, cette somme pourrait servir aux dépenses de l'Etat ? J'entends dire de plus que tous les deniers revenants-bons de l'année dernière et de la présente sont consommés en revues, en subsistances de troupes et autres dépenses qui concernent les assemblées de troupes que V. M. a faites. Ces deniers revenants-bons ont monté toutes les années passées à 4 ou 500.000 livres et ont toujours été fournis par M. Le Tellier environ ce temps-ci. Je ne crois pas avoir eu tort de compter que ces deux sommes pourraient servir aux dépenses de l'État pendant ces mois-ci ; cependant tout est consommé. Mais si V. M. était bien informée de tous les désordres que ces marches perpétuelles de troupes causent dans les provinces, combien vos peuples en sont dégoûtés, combien de paysans de Champagne et des autres frontières ont déjà passé et se disposent de passer dans les pays étrangers, elle verrait bien de quelle importance il lui est de remédier à un si grand mal. Outre ces deux dépenses qui sont grandes, V. M. doit considérer qu'elle a triplé les dépenses de son écurie sous prétexte que, dès lors qu'elle aura des affaires, elle la remettrait au même état qu'elle était auparavant ; et si V. M. examine bien, elle trouvera que cette augmentation en livrées, en nourriture d'hommes et de chevaux, en achats, en gages, va à plus de 200.000 livres tous les ans. Si V. M. considère son jeu, celui de la Reine, toutes les fêtes, repas et festins extraordinaires, elle trouvera que cet article monte encore à plus de 300.000 livres, et que les rois, ses prédécesseurs, n'ont jamais fait cette dépense et qu'elle n'est point du tout nécessaire. La dépense des meubles, quoique V. M. s'en retranche, ne laisse pas de monter toujours insensiblement à des sommes assez considérables. V. M. donne encore beaucoup de pensions et de gratifications inutiles à sa gloire, demeurant d'accord toutefois qu'il faut que V. M. donne quelque chose à ses plaisirs. V. M. avait augmenté la dépense de ses gardes du corps de 64.000 livres par comptant[11] et cette augmentation ne devait durer que pendant la paix ; cependant cette dépense continue et augmente. V. M. a mis les compagnies de gendarmes et chevau-légers de Mgr le Dauphin, de la Reine, Écossais, etc., à 100.000 livres de solde chacune par an : c'est une dépense exorbitante qui n'a jamais été. Les gendarmes écossais avaient 20.000 livres de solde au plus, et les autres compagnies 30 ou 40 au plus. Jusqu'à présent, V. M. a voulu faire assembler souvent des corps d'armée au dedans de son royaume pour en faire des revues. Elle a voulu augmenter beaucoup les troupes de sa Maison. Elle a voulu qu'elles fussent extraordinairement lestes et braves. Elle a voulu que les officiers retinssent une partie de la solde pour fournir aux habits, casaques et autres ajustements. Elle a voulu que la solde de l'infanterie ordinaire fût de 6 sols 6 deniers, et a permis aux officiers de retenir un sol ou deux pour les habits. Que V. M. ait, s'il lui plaît, la bonté d'entendre quelques raisons contraires et de les examiner. Premièrement, en général, ce sont toutes augmentations de dépenses que l'État ne peut pas supporter. Sur la marche des troupes au dedans du royaume et l'assemblée des corps d'armée : Il suffit de dire que telle ville ou lieu d'étape a souffert depuis six mois cent logements différents de troupes, et que ceux qui en ont eu le moins en ont souffert plus de cinquante. Toutes les troupes vivent à discrétion en entrant et sortant des lieux où elles logent. Les quatre généralités de Paris, Amiens, Soissons et Châlons ont souffert plus de logements depuis six mois que pendant les six dernières années de la guerre ; c'est assez dire pour connaître clairement que ces généralités seront plus ruinées avant que la guerre commence qu'elles ne l'ont été pendant vingt-cinq années de la guerre passée. Les grands rois ont toujours pris plaisir d'être loués de n'avoir fait marcher leurs armées que dans le pays de leurs ennemis et jamais dans celui de leurs sujets. Sur l'augmentation et la beauté des troupes de sa Maison : La prodigieuse différence qui se trouvera entre ces troupes et celles des armées abattra le cœur des officiers et soldats de celles-ci et les ruinera, parce que, dès lors qu'il y aura un bon officier ou un bon soldat dans les troupes d'armée, il fera tous ses efforts pour entrer dans celles de sa Maison. Ces troupes seront toujours regardées comme l'objet particulier de l'amitié, des soins et de la dépense du Roi, ce qui causera de mauvais effets dans les esprits des autres troupes, qui composeront assurément le plus grand nombre. Le compte du Roi n'est pas d'avoir un corps de troupes extraordinairement bon, et le reste faible et mauvais, parce que partout où le bon corps se trouvera, il battra, mais l'autre sera battu, et comme il sera beaucoup plus grand, il y a quelque risque qu'il n'emporte l'autre. Le compte du Roi est que toutes ses troupes soient également fortes et bonnes, et qu'elles fassent partout une résistance égale à ses ennemis. Cette distinction trop grande de sa Maison en toutes choses ralentit le zèle de tous les autres sujets ; les grands rois ont toujours embrassé leur dernier et plus éloigné sujet comme le plus proche, toutefois avec quelque différence pour la distribution des grâces seulement. Nos grands rois, François Ier, Henri IV, n'ont jamais fait ces distinctions ; ce dernier s'est fait souvent garder par tous les vieux corps, et, de son temps jusqu'au règne de Louis XIII, le régiment de Picardie l'a toujours disputé au régiment des Gardes. Louis XIII a été le premier de nos rois qui ait fait la distinction des troupes de sa Maison ; encore n'y avait-il que sa compagnie de mousquetaires à cheval de cent hommes, avec ses compagnies de gendarmes et chevau-légers. Sur la beauté des habits et ajustements des troupes : L'on a toujours cru qu'un soldat et demi ou un soldat et un quart valaient plus qu'un soldat richement habillé, pourvu que le premier eût le nécessaire et qu'il fût également armé. Ç'a été une des plus grandes questions des plus grands conquérants de l'antiquité, de savoir s'il valait mieux que les soldats fussent richement armés et habillés que de ne l'être pas. Alexandre disait qu'il aimait mieux les voir richement armés, parce que, dans le combat, la conservation de leurs armes et de leurs habits augmentait leur valeur ; Jules César, au contraire, que la richesse des armes et des habits amollissait le cœur de ses soldats par la crainte de les perdre et la trop grande envie de les conserver, et redoublait la valeur de ses ennemis pour les gagner. V. M. verra de quel sentiment elle sera ; mais je lui dois dire que presque tous les grands capitaines ont été de celui de Jules César ; sur quoi il faut observer que cette question n'était, que sur les richesses gagnées par les soldats sur les ennemis. Sur ce que les officiers retiennent sur la solde de leurs soldats : Les rois François Ier et Henri IV, par leurs ordonnances sur le fait de la guerre, ont prononcé peine capitale contre les officiers qui en useraient ainsi, comme contre les voleurs publics. V. M. a établi et autorisé le contraire ; je doute fort qu'elle s'en trouve bien. Il y aura bien des officiers dont les soldats ne toucheront pas grand argent, sous ce prétexte ; et il ne sera pas possible de les punir, par l'autorité que V. M. leur donne. Il est presque certain que l'avantage ou pour mieux dire le plaisir de voir un soldat un peu mieux habillé n'est pas assez grand pour détruire des principes si sagement établis. Que V. M. considère, s'il lui plaît, que dans le temps de la guerre, l'on a licencié les mousquetaires parce que leur entretènement coûtait 97.000 livres. V. M. même a balancé dix-huit mois à mettre à cheval les petits mousquetaires, et tout d'un coup elle a augmenté les troupes de sa Maison de 8 à 900.000 livres par an. V. M. pourrait peut-être me reprocher deux choses : L'une, qu'à l'égard des revues et de la marche des troupes, j'ai peut-être le plus porté V. M. à assembler les corps d'infanterie et de cavalerie, et à faire ces revues ; L'autre, pourquoi je ne lui ai pas dit mes sentiments sur ces matières, vu la liberté qu'elle a toujours bien voulu me donner de lui parler en particulier avec toute liberté. Pour répondre au premier de ces reproches, il est vrai que j'ai parlé à V. M. de l'assemblée des corps et des revues fréquentes par V. M. même ; mais, Sire, à l'égard de l'assemblée des troupes et de leurs marches, je n'ai pas cru qu'une affaire si importante serait confiée à un jeune homme de vingt-quatre ans[12], sans expérience sur cette matière, fort emporté et qui croit qu'il est de l'autorité de sa charge de ruiner le royaume, et qui veut encore le ruiner parce que je le veux sauver. J'avais vu, dans la guerre dernière, que toutes les fois qu'il était question de faire marcher des corps de troupes et des revues, celui qui avait l'autorité de V. M. en main et le secrétaire d'État de la guerre, avec celui qui avait soin des finances, cherchaient tous les moyens possibles pour ne le pas faire ; et, quand cela ne se pouvait éviter, on cherchait tous les expédients pour en faire le moins et pour éviter la trop grande charge des peuples. On croyait faire quelque chose de considérable de sauver de logements et de passages une province, et aussi l'on écoutait favorablement les habitants des villes quand ils venaient se plaindre, et on rendait justice sévère sur les officiers et sur les troupes ; au lieu qu'à présent aucun habitant des villes n'ose plus se plaindre, parce que tous ceux qui sont venus ont été traités de coquins et de séditieux, et les peuples ont appris ces mauvais traitements qui ont été prononcés par celui qui parle au nom de Votre Majesté. A l'égard des revues, il est vrai, Sire, que j'en ai parlé à V. M. ; mais je n'ai jamais cru qu'elles dussent venir chercher V. M., ni que la marche des troupes et l'assemblée des armées au dedans du royaume, qui en attire la ruine, sans difficulté, pût devenir un divertissement de dames. Si V. M. veut rappeler sa mémoire, elle trouvera — et je ne sais même si la proposition écrite de ma main n'en est pas encore parmi les papiers de V. M. — que je disais alors qu'elle pourrait faire un ou deux voyages sur la frontière pendant l'hiver, visiter et faire les revues de trois ou quatre garnisons chacun voyage, ensuite envoyer quelques officiers d'armée et quelques ordinaires pour les surprendre et les tenir en haleine ; qu'au commencement du printemps V. M. pourrait aller à Compiègne, où, se trouvant à huit ou dix lieues de tous les quartiers, elle pourrait les visiter et les surprendre souvent par elle-même, par M. de Turenne, par des officiers d'armée, par des ordinaires. Et pour peu que V. M. y veuille faire réflexion, elle trouvera que de cette façon elle aurait su la véritable force des troupes et aurait toujours tenu les officiers dans la crainte et dans l'application d'avoir de bonnes compagnies. Les soins de V. M. se seraient également répandus sur toutes les troupes de ses armées, et l'on n'aurait point vu cette prodigieuse distinction des troupes de sa Maison aux autres, laquelle fera toujours un mauvais effet. Il n'y a pas d'apparence que V. M. soit persuadée que les revues qu'elle a faites soient véritables, puisque les officiers ont été avertis huit ou quinze jours auparavant qu'ils devaient paraître en présence de Votre Majesté. Pour répondre au second reproche, il est vrai, Sire, que V, M. m'a permis de lui parler avec liberté. Il est vrai que V. M. nous l'a souvent ordonné à M. Le Tellier et à moi dans les commencements. Il est vrai encore que l'année passée, à Saint-Germain, V. M. me témoigna de l'impatience d'apprendre ce que j'avais à lui dire. Mais, Sire, outre que le temps et l'occasion ne se présentent pas toujours, et même que je les évite autant que je le puis pour des raisons que V. M. sait, trois considérations puissantes m'en ont empêché : La première, que j'avais à parler contre ce que V. M. témoignait aimer plus fortement ; La seconde, qu'encore que ce que je dis à Versailles touchant les exils et les rappels[13], me parût avoir été agréé de V. M., n'ayant point vu qu'elle y ait fait aucune réflexion, j'ai commencé de douter si la liberté que j'avais prise avait été agréable à Votre Majesté. Et la troisième, qu'il m'a semblé que V. M. commençait de vouloir préférer ses plaisirs et ses divertissements à toute autre chose, et cela fondé sur deux rencontres considérables : La première, ayant fait voir, à Saint-Germain, par le nombre des vaisseaux, que V. M. pouvait encore fortifier son armée navale de six vaisseaux, pourvu que nous eussions de l'argent, dans le même temps que V. M. me disait que cela était tellement important pour sa gloire qu'il fallait se tirer le morceau de la bouche pour y fournir, dans le même temps V. M. dépense 200.000 livres d'argent comptant pour le voyage de Versailles, savoir :'13.000 pistoles pour son jeu et celui de la Reine, et 50.000 livres en repas extraordinaires ; La seconde, qu'encore à présent, dans le même temps que V. M. voit ses affaires prêtes à tomber, par l'excès de toutes sortes de dépenses, du plus florissant état que l'on puisse imaginer dans un abîme de nécessité qui produit toujours toutes sortes de désordres ; dans le même temps, dis-je, V. M. fait faire une dépense de 100.000 livres à chacune de ses compagnies de mousquetaires. Que V. M. considère, s'il lui plaît, de quoi elle veut qu'un mousquetaire à la basse paye, qui aura consommé sa solde de 360 livres pour une année en armements inutiles, vive pendant cette année. Il faut, Sire, que par douceur ou par force il vive aux dépens de son hôte. Les lieux de leurs logements se ruinent ; ils ne payent point la taille, et tout tombe dans la confusion. Si V. M. croit que leurs parents leur fourniront de l'argent, peut-être que cela pourra être pour trente ou quarante. Pour le surplus, elle se trompe ; qu'elle s'en informe. Si V. M. veut fournir ces sommes des deniers revenants- bons, ne vaudrait-il pas mieux les employer à tant de dépenses si importantes qui nous pressent de toutes parts ? Plut à Dieu, Sire, que V. M. eut une fois bien examiné celle matière, qu'elle eût même pris elle-même ou fait prendre les sentiments de tout ce qu'il y a de gens sensés ! Elle trouverait que sa gloire souffre quelque diminution de ces fanfares et de tous ces ornements inutiles dont, outre cela, la dépense ruine et les officiers et les cavaliers, et que la véritable gloire de V. M. recevrait de l'augmentation si elle retranchait toutes ces superfluités ; si elle répandait ses soins également sur les troupes de ses armées et sur celles de sa Maison ; si elle prenait soin que toute la cavalerie portât des cuirasses, que les armes fussent bonnes et que chaque cavalier eût un bon buffle, un bon chapeau de pluie et un manteau de même sur la croupe de son cheval ; tout le reste ne sert qu'à ruiner, à embarrasser, et est absolument inutile. J'entends dire qu'il est impossible que les cavaliers puissent porter des cuirasses. Je sais, Sire, pour l'avoir vu, et V. M. s'en peut informer, que pendant tout le temps que le maréchal de Gassion a été mestre de camp général de la cavalerie légère, ou qu'il a commandé les armées de V. M., aucun cavalier n'a osé se présenter devant lui sans cuirasse, et que jamais la cavalerie n'a été meilleure que de son temps. Pourquoi V. M. ne peut-elle pas faire la même chose ? Il est encore bon que V. M. sache deux choses dont on n'a osé demeurer d'accord quand elle l'a demandé : l'une, qu'il a été affiché dans Paris un libelle portant ces mots : Louis XIV donnera les grandes marionnettes dans la plaine de Moret ; l'autre, qu'il en a été distribué un autre dans les maisons portant ces mots : Parallèle des sièges de la Rochelle et de Moret faits par les rois Louis XIII et Louis XIV[14]. Je sais bien, Sire, que ces sortes d'écrits ne doivent entrer pour rien dans les résolutions des grands princes ; mais je crois qu'ils doivent être considérés dans les actions qui requièrent l'approbation publique. Toutes ces choses ont une si grande connexité avec les finances, qu'il a été impossible de les omettre ; mais, pour y revenir, il est certain que, pour l'année prochaine, si la guerre de mer continue, il faut licencier des troupes — ce licenciement se pourra faire ou par corps de troupes, ou en réduisant les compagnies à trente hommes — et réduire toute la dépense de la guerre de terre à un million par mois ; réduire de même toutes les autres dépenses, en arrêter un état, et, quand il sera une fois fait avec grande connaissance de cause, ne le point passer pour quelque raison et sous quelque prétexte que ce puisse être. Voilà pour l'année prochaine 1667. Pour le reste de cette année, il faut arrêter les troupes partout où elles se trouvent et empêcher qu'il n'en marche aucune dans les provinces. Réduire l'ustensile[15] de l'infanterie à un sol (cinq sols d'aujourd'hui), ce qui fera 6 sols (1 fr. 50 c. d'aujourd'hui) de solde ordinaire. Défendre aux officiers de rien retenir sur ladite solde, afin que les soldats puissent vivre sans foule des habitants. Réduire la fourniture de l'étape pour la gendarmerie et la cavalerie, qui est excessive. Tirer tout ce qui se pourra des 800.000 livres qui ont été fournies pour les étapes, ensemble des deniers revenants- bons de l'année dernière et de la présente, exciter M. Le Tellier d'y travailler ; retrancher toutes sortes de dépenses, pensions, gratifications, voyages, menus dons, etc., à la réserve des seules dépenses de la mer, étrangères, de la guerre et des Maisons ; retrancher tout ce qui se pourra sur cette dernière nature. Outre toutes ces choses, il faut prendre un million sur les deux de réserve et chercher à emprunter 600.000 livres pour le mois d'août et autant pour le mois de septembre. Je ne sache que cet expédient ; mais il faut de la fermeté pour ne rien accorder ni rien ordonner pendant ces mois ; il faudrait de plus charger les intendants de contenir les troupes. Faire rapporter les procès-verbaux des désordres en ma présence, afin qu'on ne les étouffe pas tous. Il faudrait terminer la pensée d'acheter une maison pour la Reine, et voir ce que V. M. veut faire pour MM. de Brancas, de Noailles et autres intéressés aux rentes rachetées, parce que ces affaires arrêtent la conclusion de ce traité. C'est tout ce que j'ai à dire sur cette grande et importante matière. La franchise et la fermeté de ces conseils, et le langage énergique dont il se sert en parlant de Louvois, attestent combien Colbert exerçait d'influence sur Louis XIV, et, jusqu'en 1680, sa correspondance avec le Roi[16] nous donne une preuve certaine que cette influence se continua à la satisfaction, au moins apparente, du maître. Le 1er janvier 1673, Louis XIV écrivait à son ministre : J'ai été surpris agréablement par la lettre que vous
m'avez écrite, où vous me mandez que mon revenu augmente. Je vous avoue que
je ne m'y attendais pas. Mais de votre industrie et de votre zèle je me dois
tout promettre. Je vous assure que vous m'avez fait commencer l'année
gaiement ; j'espère qu'elle sera heureuse comme l'autre ; au moins ne
tiendra-t-il pas à vous ; c'est de quoi je suis assuré. Demain vous me
rendrez compte plus en détail de toutes choses. En attendant, croyez que,
comme vous m'avez donné le premier plaisir de l'année, pendant son cours je
vous ferai paraître la satisfaction que j'ai de vos services et de vous. Le 14 août 1673, Colbert signale au Roi la situation. A l'égard des finances, dit-il, comme V. M. estime que la dépense sera égale, l'année prochaine, à celle de cette année, je la supplie de considérer qu'elle montera à 100 millions de livres ; Que les revenus de V. M. montent à 75 millions, à quoi ajoutant 3 millions de livres que l'on pourra tirer des formules[17], ce sera 78 millions. Que toutes les fermes diminuent considérablement par la guerre, en telle sorte qu'il faut faire état de trouver au moins 25 millions de livres en affaires extraordinaires, ce qui ne se peut sans une très grande application de Votre Majesté. J'assemble et discute tous les mémoires anciens et nouveaux d'affaires extraordinaires pour en faire rapport à V. M. à son retour. S. M. répond, le 18 août, de Nancy : La dépense me fait peur ; mais j'espère que, par votre application et votre travail, vous trouverez tout ce qu'il me faudra. J'ai une grande confiance à votre savoir-faire et à l'action que vous avez pour mon service et pour moi. Vous ne sauriez songer de trop bonne heure aux moyens dont on se pourra servir. Les félicitations adressées au laborieux ministre sont continuelles : Je vois, dit le Roi[18], les diligences que vous faites pour exécuter ce que je désire ; j'en suis très satisfait. — Je sais l'amitié que vous avez pour moi, et le zèle que vous avez pour mon service ; cela étant, vous devez être assuré du gré que je vous en sais[19]. — Pendant un voyage dans les provinces de l'Est, Louis XIV écrit à Colbert[20] qu'il est très content de l'état des fortifications de Metz. Rien ne peut nous donner l'idée, jusqu'en 1680, d'une diminution sérieuse du crédit de Colbert ; mais, cette année, il adressa au Roi le mémoire suivant, dont le ton semble indiquer que la faveur a diminué. Je supplie V. M. de lire ce peu de lignes avec un peu de réflexion. J'avoue à V. M. que la dernière fois qu'elle voulut bien me parler de l'état de ses finances, le respect, l'envie sans bornes que j'ai toujours eue de lui plaire et de la servir à son gré, sans peine et sans aucun embarras, et encore plus son éloquence naturelle, qui vient facilement à bout de persuader ce qu'il lui plaît, m'ôtèrent le moyen d'insister et d'appuyer un peu sur l'état de ses finances ; mais, après avoir fait une sérieuse réflexion sur tout ce que V, M. me fit l'honneur de me dire, voyant qu'il n'y a qu'un changement de destination de dépense, je croirais prévariquer à mon devoir et manquer à la fidélité que je lui dois si je ne lui remettais encore fidèlement devant les yeux et en peu de mots ce même état, afin qu'il lui plaise, y faisant la réflexion qu'elle estimera nécessaire, prendre la résolution qu'elle croira plus avantageuse à son service. Après les huit à neuf années de guerre et une dépense de 110 à 120 millions[21] par chacune année, V. M. n'avait consommé que 22 millions sur les années suivantes. En 1680, la dépense excède la recette de 20 millions, et V. M. devra encore, en reste des vivres, 4 millions, étapes 1 million, chambre aux deniers[22], argenterie, menues œuvres, bâtiments, fortifications, gratifications et toutes autres dépenses, 12 à 13 millions. Je conviens que l'on peut retarder une bonne partie de ces paiements ; mais il est certain que ce retardement ne peut aller qu'à un an ou deux au plus : ce sont 54 ou 55 millions consommés sur 1681. Les revenus de V. M., à cause de toutes les remises qu'elle a faites à ses peuples, montent à 65 et 66 millions de livres. Je les mets à 70 millions, et, en ôtant 6 ou 7 millions de dettes dont on peut retarder les paiements, il ne restera des revenus de 1681, pour les dépenses, que 22 ou 23 millions. En sorte qu'il faut faire état de tirer sur 1682 dès le mois de mars ou d'avril prochain[23]. Le crédit de V. M. a été établi[24] et soutenu au denier 20[25], pour plus de 20 millions de livres. L'excès des emprunts l'a réduit à présent au denier 10[26] ; en sorte qu'il faut déduire encore 8 à 9 millions de livres pour faire avancer 1682 en 1681, et il est à craindre que, si cela continue, il ne soit peut-être nécessaire de rétablir les 15 pour cent. J'ai toujours caché avec grand soin et ai toujours au contraire affecté de faire paraître une très grande abondance, pour maintenir le crédit, et c'est ce qui nous a fait trouver 15 à 16 millions de livres pour la caisse des emprunts. Cette caisse est fondée sur les obligations de tous les fermiers dont les paiements étaient de quartier en quartier, de sorte qu'à la fin de ce mois on peut leur demander le paiement entier. Le crédit diminué au denier 10 commence à faire connaître que l'abondance n'est pas telle que je l'ai voulu persuader ; il faut emprunter encore 4 millions de livres pour le mois de septembre. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, que ce forcement de crédit ne porte à retirer le tout ou une bonne partie de la caisse des emprunts. En ce cas, V. M. n'y pouvant pas pourvoir, et ces paiements excédant les forces des particuliers, V. M. verrait une banqueroute presque universelle, dont les suites donneraient beaucoup de peines et diminueraient considérablement les revenus de Votre Majesté. Je sais bien, Sire, que voilà le mal expliqué, mais qu'il faut y chercher des remèdes ; mais auparavant je ne sais si V. M. n'estimerait pas à propos que ce mal et l'état que je viens d'expliquer fût rendu constant à des commissaires qu'il plairait à V. M. de nommer, ou en son conseil royal en sa présence. Peut-être que ces Messieurs trouveraient des expédients ou feraient quelques propositions dont l'exécution pourrait remédier au mal et satisfaire Votre Majesté. Pour moi, Sire, tout ce que l'on peut penser sur cette matière ne peut aboutir qu'à augmenter la recette et diminuer la dépense. Pour l'augmentation de la recette, je ne puis m'empêcher de dire à V. M. qu'il y a à craindre que je n'aille trop loin, et que les prodigieuses augmentations des fermes ne soient fort à charge aux peuples. C'est la seule chose qui soit commise à mes soins, V. M. ayant réglé les tailles. Il n'y a plus d'affaires extraordinaires, et V. M. a disposé de ce qui pouvait produire quelque chose dans les pays conquis. Le crédit a produit jusqu'à présent plus de 40 millions de livres d'argent comptant, et difficilement peut-il aller plus avant. L'on ne prend plus de rentes, et l'on en prendrait encore moins si le pied en était baissé. A l'égard de la dépense, quoique cela ne me regarde en rien, je supplie seulement V. M. de me permettre de lui dire qu'en guerre et en paix elle n'a jamais consulté ses finances pour résoudre ses dépenses, ce qui est si extraordinaire qu'assurément il n'y en a point d'exemple. Et si elle voulait bien se faire représenter et comparer les temps et les années passées, depuis vingt ans que j'ai l'honneur de la servir, elle trouverait que, quoique les recettes aient beaucoup augmenté, les dépenses ont excédé de beaucoup les recettes, et peut-être que cela convierait V. M. à modérer et retrancher les excessives, et mettre par ce moyen un peu plus de proportion entre les recettes et les dépenses. Je sais bien, Sire, que le personnage que je fais en cela n'est pas agréable ; mais, dans le service de V. M., les fonctions sont différentes ; les unes[27] n'ont jamais que des agréments dont les dépenses sont les fondements ; celle dont V. M. m'honore a ce malheur qu'il est difficile qu'elle puisse rien produire d'agréable, puisque les propositions de dépenses n'ont point de bornes ; mais il faut se consoler en travaillant toujours à bien faire. Je supplie encore une fois V. M. de faire une sérieuse réflexion sur tout ce que je viens de lui représenter. Il est regrettable que la correspondance de Colbert et de Louis XIV finisse avec ce mémoire et que nous ne connaissions pas la réponse du Roi. Nous savons seulement que ce mémoire ne servit à rien. Ainsi, en 1680, le trésor est épuisé et chargé d'une dette de 200 millions de francs, payant en partie 10 p. 100 d'intérêt ; les impôts sont aussi lourds que possible ; on est à bout d'expédients. Colbert signale le mal avec une franchise bien digne d'éloges : nulle part, je crois, le gouvernement de Louis XIV n'a été si vertement jugé, et ici il l'est par un ministre, qui semble désespérer que le mal puisse prendre fin et qui n'a plus d'autre consolation qu'en travaillant toujours à bien faire. Louis XIV ne renoncera jamais à aucunes dépenses excessives et continuera encore pendant trente-cinq ans ce système épuisant, au risque de laisser à son successeur un royaume entièrement ruiné. Il me semble bien probable que certaines vérités contenues dans ce mémoire ont paru à Louis XIV une leçon trop forte, et que la diminution du grand crédit de Colbert sur le Roi, dont parlent les contemporains en l'exagérant, a été causée par ce rappel énergique au bon sens. Pendant ce temps, l'ambition de Louvois n'avait cessé de grandir et avec elle sa haine contre Colbert, contre tout ce qui lui faisait obstacle. Il ne manquait aucune occasion d'attaquer Colbert auprès du Roi, de lui signaler de prétendus travaux mal exécutés ; il lui faisait une guerre sans trêve, et plus tard il agira de même envers Seignelay, et n'hésitera pas à appeler les bombardements d'Alger et de Gênes, exécutés cependant par Duquesne, des bombarderies et des entreprises pitoyables. Il n'hésitera pas non plus, quand il sera chargé des fortifications, après la mort de Colbert, de faire détruire les défenses déjà élevées à Cherbourg par Vauban et Colbert, comme inutiles. Cherbourg inutile ! On sait ce que cette mesure coûta, quelques années après, à la flotte de Tourville. Les archives de France sont pleines, dit M. P. Clément[28], de preuves de cette haine implacable. Au milieu de cette rivalité, Louis XIV tenait pour Colbert à cause de ses grands services ; mais sa gloire l'attirait vers Louvois, qui trop souvent l'emportait dans les conseils du Roi. Jusqu'à la guerre de Hollande, Colbert avait été le maître de l'esprit de Louis XIV. On lit dans la Relation de l'ambassadeur vénitien Giustiniani[29] : Quelques mots échappés parfois au Roi contre Colbert entretiennent ses ennemis dans l'espérance de le voir bientôt tomber ; mais c'est un fait exprès de S. M., qui connaît le mérite de ce ministre et lui porte une véritable affection. Ces mois derniers qu'il était un peu indisposé, elle lui rendit visite, l'entretint de diverses affaires dans la ruelle de son lit, puis s'étant levée pour sortir de la chambre et arrivée à la porte, elle se retourna et dit : Colbert, la tristesse engendre le mal, soyez gai et vous guérirez, comme si le Roi, pensant qu'un doute sur sa faveur pouvait le troubler, eût voulu le rassurer par ces paroles. Les Mémoires du duc de Luynes[30] racontent ainsi cette visite. J'ai ouï dire à madame de Chaulnes, qui le savait de madame de Chevreuse, que, du temps de M. Colbert, le Roi étant à Paris ou à Saint-Germain, et ayant une confiance entière en M. Colbert pour toutes les choses dont il était chargé, il arriva cependant que des esprits jaloux de cette confiance firent courir le bruit qu'il était perdu dans l'esprit du Roi. M. Colbert crut devoir rendre compte de ces bruits à S. M., et lui ajouta en même temps que, comme il n'avait d'autre but que de lui plaire, s'il avait été assez malheureux pour n'y avoir pas réussi, il n'avait d'autre parti à prendre pour le bien même des affaires de S. M. que de lui demander la permission de se retirer, le crédit et la confiance du public étant absolument nécessaires au surintendant des finances ; que si au contraire S. M. agréait toujours ses services, il croyait devoir lui demander quelques marques de bonté distinguées. En conséquence de cette représentation, et de concert avec le Roi, M. Colbert étant mandé par S. M. pour aller travailler avec elle, répondit qu'il était au désespoir de ne pouvoir obéir, mais qu'il avait la goutte et qu'il était hors d'état de sortir. Le Roi, sur cette réponse, voulut bien venir chez M. Colbert une fois ou même deux, et les bruits cessèrent. Gui Patin précise la date de cette visite. Le Roi, dit-il, a aujourd'hui (23 octobre 1668) rendu une visite éclatante à M. Colbert ; il avait tous ses gardes avec l'épée nue. On dit que M. Colbert a la goutte et un peu de dysenterie ; c'est que sa tête travaille trop. En avril 1671, la faveur est toujours la même : les faits sont bien d'accord avec la correspondance que nous avons analysée précédemment. Pendant un voyage à Rochefort, où il avait été visiter les travaux, Colbert tomba malade, et le Roi lui écrivit aussitôt (15 avril) : Madame Colbert m'a dit que votre santé n'est pas trop bonne, et que la diligence avec laquelle vous prétendez revenir vous peut être préjudiciable. Je vous écris ce billet, pour vous ordonner de ne rien faire qui vous mette hors d'état de me servir, en arrivant, à tous les emplois importants que je vous confie. Enfin, votre santé m'est nécessaire ; je veux que vous la conserviez et que vous croyiez que c'est la confiance et l'amitié que j'ai en vous et pour vous qui me font parler comme je fais[31]. Quelques jours après, le 24 avril, Louis XIV envoyait à Colbert, de retour, une lettre bien différente. Que s'était-il passé ? On l'ignore ; mais il est bien évident qu'il y a eu entre Louis XIV et Colbert une scène assez vive à propos de Louvois. Chantilly, 24 avril 1671. Je fus assez maître de moi avant-hier pour vous cacher la peine que j'avais d'entendre un homme que j'ai comblé de bienfaits comme vous me parler de la manière que vous faisiez. J'ai eu beaucoup d'amitié pour vous, il y paraît par ce que j'ai fait : j'en ai encore présentement, et je crois vous en donner une assez grande marque en vous disant que je me suis contraint un seul moment pour vous, et que je n'ai pas voulu vous dire moi-même ce que je vous écris, pour ne vous pas commettre à me déplaire davantage. C'est la mémoire des services que vous m'avez rendus et mon amitié qui me donnent ce sentiment ; profitez-en et ne hasardez plus de me fâcher encore, car après que j'aurai entendu vos raisons et celles de vos confrères, et que j'aurai prononcé sur toutes vos prétentions, je ne veux plus jamais en entendre parler. Voyez si la marine ne vous convient pas, si vous ne l'avez à votre mode, si vous aimeriez mieux autre chose ; parlez librement. Mais après la décision que je donnerai, je ne veux pas une seule réplique. Je vous dis ce que je pense, pour que vous travailliez sur un fondement assuré et pour que vous ne preniez pas de fausses mesures. Soit que Colbert ait fait acte de soumission, soit que le Roi ait voulu adoucir l'impression de sa lettre du 24, toujours est-il que deux jours après il envoya à Colbert le billet suivant : Liancourt, 26 avril 1671. Ne croyez pas que mon amitié diminue, vos services continuant ; cela ne se peut, mais il me les faut rendre comme je le désire, et croire que je fais tout pour le mieux. La préférence que vous craignez que je donne aux autres ne vous doit faire aucune peine. Je veux seulement ne pas faire d'injustice et travailler au bien de mon service. C'est ce que je ferai quand vous serez tous auprès de moi. Croyez en attendant que je ne suis point changé pour vous, et que je suis dans les sentiments que vous pouvez désirer[32]. La bonne intelligence entre le Roi et le ministre ne cessa pas d'exister, malgré la scène de Chantilly. En décembre 1672, Colbert étant tombé malade, Louis XIV alla le visiter[33]. Les lettres de 1673 et années suivantes que nous avons citées précédemment, attestent la continuation des bonnes grâces du Roi envers Colbert. Si Louis XIV était satisfait de la manière dont Colbert administrait ses finances, il fut aussi content des succès de la marine que Colbert avait créée. M. de Vivonne, ou plutôt Duquesne, venait de battre Ruyter à la bataille de Palerme (1676) : c'était le troisième grand succès obtenu par nos vaisseaux sur la flotte hollandaise, la première de l'Europe. Louis XIV, qui était alors en Flandre, écrivit à Colbert, le 22 juin 1676 : Je n'ai pu vous écrire depuis avoir reçu la première nouvelle de l'action que mes vaisseaux et galères ont faite à Palerme sous le commandement de Vivonne. J'en reçois présentement la confirmation, et l'armée en témoignera ce soir sa joie par plusieurs salves de mousqueterie et de canon. Voilà ce que nous souhaitions il y a longtemps vous et moi, et il n'y a plus rien à désirer de ce côté-là. Il faut toujours travailler à perfectionner ce qui commence déjà à passer les autres nations. Il faut faire en sorte que la France l'emporte par mer sur les autres nations, comme elle le fait sur terre. En 1677, Louis XIV acceptait l'invitation que Colbert lui avait faite d'honorer de sa présence la fête qu'il offrait à S. M. dans son château de Sceaux, ce qui est une preuve évidente de sa faveur et de l'amitié du Roi. Deux ans après, en 1679, quand les intrigues de Lou- vois et de Colbert eurent décidé Louis XIV à renvoyer du ministère des Affaires étrangères le marquis de Pomponne, habile diplomate qui avait remplacé le duc de Lionne, mais qui avait le tort d'être le neveu du grand Arnaud et, comme tel, était suspect de jansénisme, Colbert fit nommer à la place de M. de Pomponne son frère le marquis de Croissy. Le Tellier et Louvois avaient espéré lui donner pour successeur un des leurs. Un certain homme, écrit madame de Sévigné, qui ne juge pas à propos de mettre le nom de Louvois en toutes lettres, avait donné de grands coups depuis un an, espérant tout réunir ; mais on bâties buissons, et les autres prennent les oiseaux. Le succès de Colbert irrita profondément Louvois, et la lutte entre les deux ministres devint dès lors de plus en plus vive. Louvois n'avait jamais rien à refuser au Roi ; Colbert était souvent obligé de discuter avec S. M. sur les dépenses et de prêcher l'économie ; Louis XIV le forçait à l'obéissance par un ordre formel ou par une menace. Souvenez-vous, lui avait-il écrit en 1673[34], de tout ce que je vous ai mandé sur les sommes d'argent que j'ai demandées, afin de les faire payer dans les temps que je vous ai dit. Plus tard, vers 1674 ou 1675, Louis XIV devient plus dur : ses besoins d'argent pour la guerre, pour les châteaux de Versailles, de Trianon, de Clagny, pour ses plaisirs, son jeu, ne font qu'augmenter à mesure que le royaume s'épuise et que le rendement des impôts diminue. Louis XIV veut qu'on emprunte, sûr moyen de se ruiner à bref délai : Colbert résiste, mais le Roi a besoin de 60 millions (300 millions de francs) et force le ministre à obéir. Perrault[35] raconte ainsi cette affaire. La guerre s'étant allumée plus que jamais[36], on[37] fit entendre au Roi que, pour la faire avec succès, il fallait assigner un fond à l'extraordinaire des guerres de 60 millions par an, sur le pied de 5 millions par mois. Le Roi en fit la proposition à M. Colbert, qui en fut effrayé et qui dit d'abord qu'il ne croyait pas qu'il fût possible de fournir à cette dépense. Le Roi lui dit qu'il y songeât, et qu'il se présentait un homme qui entreprendrait d'y suffire s'il ne voulait pas s'y engager. M. Colbert fut un assez long temps sans aller chez le Roi, travaillant chez lui à remuer tous ses papiers, sans que nous sussions[38] ce qu'il faisait et encore moins ce qu'il pensait. Enfin, après un temps considérable, il me dit d'aller à Versailles et de porter au Roi les dessins de quelques ouvrages qu'il devait résoudre. Le Roi, après les avoir examinés, m'ordonna de dire à M. Colbert qu'il vînt le lendemain à Versailles et qu'il y aurait conseil. Il y alla et les choses reprirent leur train ordinaire. On prétend qu'il avait pris la résolution de se retirer, voyant la difficulté qu'il trouverait à fournir à cette dépense de 60 millions avec toutes les autres dépenses de l'État, mais que sa famille lui persuada de ne point quitter la partie, et que c'était un piège qu'on[39] lui tendait pour le perdre, en l'éloignant ainsi des affaires. Pour moi je veux croire que son amour pour le bien public, joint à la connaissance qu'il avait que personne ne pouvait mieux que lui se tirer d'une conjoncture aussi dure que celle qui se présentait, lui fit affronter ce travail pour le bien du royaume. Cet événement, ou, pour mieux dire, cet horrible surcroît de dépense, est une des époques les plus considérables qui soit arrivée il y a bien longtemps. Jusque-là toutes les charges de l'État se payaient au jour ordinaire de leur échéance : depuis ce jour les pensions, dont beaucoup furent retranchées, furent de seize ou dix-huit mois. Dans les Bâtiments, les ordonnances qui, étant signées le matin, se payaient souvent l'après-dînée, ne se payaient guère que plusieurs mois après, en vertu d'un état de distribution qui se faisait à mesure qu'il y avait des fonds. Le trésorier des Bâtiments, à qui il restait ordinairement 50.000 écus ou 200.000 livres à la fin de son année, et qu'il remettait entre les mains de son confrère qui entrait en exercice, se trouvait ordinairement en avance de pareille somme dont il était fort longtemps à être remboursé. Nous remarquions que jusqu'à ce temps, quand M. Colbert entrait dans son cabinet, on le voyait se mettre au travail avec un air content et en se frottant les mains de joie ; mais que, depuis, il ne se mettait guère sur son siège pour travailler, qu'avec un air chagrin et même en soupirant. M. Colbert, de facile et aisé qu'il était, devint difficile et difficultueux, en sorte qu'on n'expédiait pas alors tant d'affaires à beaucoup près que dans les premières années de sa surintendance des Bâtiments. Cette résistance aux volontés du Roi faisait l'affaire de Louvois, qui, poussant à la guerre, aux dépenses et aux mesures violentes, satisfaisait ainsi l'orgueil de Louis XIV, et, du même coup, essayait de faire baisser le crédit de Colbert, qui semblait moins épris de la gloire du maître. Malgré tout, Louis XIV donnait encore à Colbert, clans les occasions, des preuves d'amitié sincère. Quand la marquise de Seignelay mourut, le 16 mars 1678, Louis XIV, qui était en Flandre, envoya à Colbert la lettre suivante : Au camp devant Ypres, 18 mars 1678. J'ai appris avec douleur la perte que vous avez faite. Vous savez assez l'amitié que j'ai pour vous pour croire qu'elle m'a été sensible au dernier point ; je voudrais la pouvoir soulager en quelque chose, mais je sais qu'il est difficile. J'ai permis à votre fils de s'en aller comme vous le désirez, et j'ai ordonné à Saint-Aignan[40] de l'accompagner. Croyez fermement que je prends grande part à tout ce qui vous touche, et qu'on ne peut pas avoir plus d'amitié que j'en ai pour vous. Je suis très persuadé de la joie que vous aurez eue de la prise de Gand ; elle est considérable, pour le présent et les suites[41]. En 1679, Louis XIV accordait à Colbert une gratification de 400.000 livres (2 millions d'aujourd'hui), en considération de ses services et pour lui donner le moyen de les continuer[42]. Malgré la pénurie du Trésor, Colbert accepta la gratification. III. — Mort de Colbert. A la fin de 1679, le Roi, paraît-il, crut avoir à se plaindre de Colbert, et lui exprima son mécontentement avec une certaine dureté. En l'année 1667[43], le Roi alla visiter les fortifications que M de Louvois avait fait faire à diverses places du royaume. S. M. en revint très satisfaite, mais surtout du peu qu'elles avaient coûté par rapport à la grandeur et à l'étendue des ouvrages que M. de Louvois n'avait pas manqué d'exagérer. Au retour, il dit à M. Colbert : Je viens de voir les plus belles fortifications du monde et les mieux entretenues ; mais ce qui m'a le plus étonné, c'est le peu de dépense qu'on y a faite : d'où vient qu'à. Versailles nous faisons des dépenses effroyables, et nous ne voyons presque rien d'achevé ? Il y a quelque chose à cela que je ne comprends point. M. Colbert fut vivement blessé de ce reproche, et quoiqu'il rendît au Roi de très bonnes raisons de la différence qui se trouvait entre les ateliers d'armée, où les soldats ne reçoivent qu'une très petite paye, et les ateliers de Versailles où l'on paye de fortes journées aux paysans qui y travaillent ; que les ouvrages des fortifications se voient d'un coup d'œil, et sont tous d'une même espèce j que ceux de Versailles sont répandus en mille endroits et presque tous d'espèces différentes ; il crut que ce monarque avait été prévenu sur cet article, et qu'assurément on lui avait fait entendre qu'on payait trop cher tout ce qui se faisait à Versailles. Pour ôter au Roi cette pensée très mal fondée, il ordonna qu'on donnât à l'avenir tous les ouvrages des bâtiments au rabais : et afin que la chose se fît avec éclat, il voulût qu'on mît des affiches au coin des rues pour recevoir les offres de tous les ouvriers. Ce fut pour moi un grand surcroît de travail que de dresser toutes ces affiches, qui furent en très grand nombre et d'un détail incroyable, car toutes les sortes d'ouvrages de chaque métier y étaient spécifiés. Cette précaution n'aboutit à rien d'utile ; au contraire, elle causa un très grand mal. Car les mauvais ouvriers chassèrent par leurs rabais les meilleurs et les plus en état de rendre de bons services. Il y eut des menuisiers qui, n'ayant que de méchants bois dans leurs chantiers, firent de si mauvais ouvrage pour Versailles, que quand les croisées qu'ils avaient faites étaient fermées, on y voyait presque aussi clair que quand elles étaient ouvertes. Il y eut de bons ouvriers qui continuèrent à travailler comme ils avaient accoutumé : et quand on leur disait que si on les payait sur le pied des affiches et des marchés faits avec leurs confrères, ils seraient ruinés : Nous ne nous soucions point des affiches, répliquaient-ils, nous ferons toujours de bons ouvrages et nous sommes sûrs que M. Colbert est trop juste pour ne pas les payer ce qu'ils valent, et c'est ce qui arriva. Ils furent payés à l'ordinaire, et l'on n'eut point d'égard aux marchés faits avec les autres ouvriers. Ce changement me rendit le travail si onéreux, et M. Colbert devint si difficile et si chagrin, qu'il n'y avait plus moyen d'y suffire ni d'y résister. Dans ce même temps, il voulut que M. de Blainville, son fils, que l'on appelait alors M. d'Ormoy, travaillât sous lui dans les Bâtiments et fît presque tout mon emploi. Je pris le parti de le lui abandonner tout entier. Je mis tous les papiers des Bâtiments en bon ordre ; je les lui rendis avec un inventaire très exact et me retirai sans éclat et sans bruit. Telle que la rapporte Perrault, témoin irrécusable, l'observation faite par le Roi à Colbert est assez grave, et il n'y avait nul besoin d'augmenter sa gravité. Monthyon[44], sans citer aucune source, raconte le fait ainsi qu'il suit, et il est évident qu'il a arrangé, en le dénaturant et en l'exagérant, le récit de Perrault. M. de Louvois découvrit en 1683 que, dans quelques ouvrages de bâtiments, il y avait eu des marchés trop dispendieux, et en donna avis au Roi. Lorsque M. Colbert rendit compte de ce qu'avait coulé la grille qui ferme la grande cour de Versailles, le Roi trouva cette dépense beaucoup trop chère, et, après plusieurs choses très désagréables, dit : Il y a là de la friponnerie. M. Colbert répondit : Sire, je me flatte au moins que ce mot-là ne s'étend pas jusqu'à moi. — Non, dit le Roi ; mais il fallait y avoir plus d'attention. Et il ajouta : Si vous voulez savoir ce que c'est que l'économie, allez en Flandre, vous verrez combien les fortifications des places conquises ont peu coûté. Ce mot, cette comparaison avec M. de Louvois furent un coup de foudre. Suivant Monthyon, Colbert en tomba malade et en mourut. Tout ce récit est absolument faux ; Monthyon confond les faits de 1679 et de 1683, travestit les paroles du Roi, fidèlement reproduites par Perrault, et forme une légende fort accréditée aujourd'hui. Perrault nous a appris ce qui s'est passé en 1679, l'ambassadeur vénitien Foscarini va nous informer de ce qui s'est passé en 1683[45]. Peu de gens, dit-il, ont su la véritable cause de la mort de Colbert, et très peu les reproches personnels du Roi, qui lui percèrent le cœur. A propos de certaines constructions de Versailles qui menaçaient ruine, S. M. se plaignit de la négligence et de l'incapacité de son jeune fils, le marquis d'Ormoy, qui en avait la surintendance, allant jusqu'à dire qu'il était étrange, étant si généreux, d'être plus mal servi que personne. Et, peu de jours après, Colbert faisant quelques difficultés sur une demande de fonds extraordinaire, S. M. lui répliqua brusquement qu'avec Louvois elle n'avait, qu'à indiquer les choses pour les voir aussitôt exécutées, tandis qu'avec lui il fallait toujours presser et pour ainsi dire prier. Jusqu'ici, le récit de Foscarini me parait vrai et conforme en tous points à ce que nous savons du caractère et du langage du Roi, aussi bien que de l'incapacité de d'Ormoy et des habitudes de Colbert. La suite du récit de Foscarini, vraie au fond, devient exagérée et aura besoin d'être rectifiée à l'aide d'autres documents. Colbert, plein de rage et de honte, continue Foscarini, parvint à dissimuler son inquiétude ; mais le feu concentré n'en eut que plus de prise sur ce tempérament mélancolique archibilieux et l'obligea enfin à prendre le lit[46], en proie aux plus vives douleurs. La cause interne et inattaquable du mal résistant à l'action des remèdes, la fièvre survint et bientôt les médecins déclarèrent la maladie mortelle, si le mal ne se calmait pas ; mais comme il tenait la place et voulait au moins le repos de l'esprit, d'où ne pouvait disparaître le fantôme de la faveur chancelante, il continua toujours et amena le malade à la dernière extrémité. Colbert, sentant lui-même que le mal était sans remède, refusait de manger et priait les assistants de le laisser mourir en paix, comme s'il en eût été capable. Il montra son dessein désespéré par l'obstination avec laquelle il repoussa les insinuations de ses amis et les prières de ses parents, qui le pressaient d'écrire au Roi dans ses derniers moments pour faire valoir, dans l'intérêt de sa famille, ses longs et importants services, tournant le dos sans rien dire à ceux qui lui en parlaient. Ainsi, inébranlable en apparence, mais intérieurement déchiré, mourut ou plutôt voulut se laisser mourir Colbert. La légende se mêle çà et là à l'histoire dans la Relation de Foscarini, mais il est facile de les séparer. On sait de science certaine que, dès 1668, Colbert était sujet à des attaques de goutte[47], et que sa santé était usée par le travail ; Sandras de Courtilz[48] dit qu'il succomba enfin sous ce travail continuel et obstiné de seize heures par jour ; que, dès 1672, il souffrait de l'estomac et qu'il suivait un régime très sévère. Je mange en mon particulier, écrit Colbert à l'un de ses frères, le 19 novembre 1672[49], et je ne mange qu'un seul poulet à dîner avec du potage. Le soir, je prends un morceau de pain et un bouillon, ou choses équivalentes, et le matin un morceau de pain et un bouillon aussi. Nous savons aussi que Colbert eut, en 1680, des fièvres violentes, dont un médecin anglais coupa les accès avec le quinquina, remède alors nouveau. Il souffrait aussi de la gravelle, et à l'autopsie on trouva une grosse pierre dans l'un des uretères ; il avait, en effet, pendant sa maladie, éprouvé les douleurs les plus cruelles, dont les médecins ne connaissaient pas la cause, et il. n'avait trouvé quelque soulagement que dans des bains d'huile[50]. Il est facile de comprendre que les attaques incessantes de Louvois, et les justes plaintes du Roi contre d'Ormoy, aient déterminé une crise fatale sur ce tempérament usé et maladif. Tout ceci paraît exact. Reste maintenant il savoir si Colbert est mort en désespéré, s'il s'est laissé mourir de faim, s'il a refusé d'écrire au Roi ou de lire une lettre que S. M. lui écrivait. Racine a raconté la mort de Colbert[51], et nous donne les détails qui suivent. On prétend, dit-il, qu'il est mort mal content ; que le Roi lui ayant évidemment écrit peu de jours avant sa mort, pour lui commander de manger[52] et de prendre soin de lui, il ne dit pas un mot après qu'on lui eût lu cette lettre. On lui apporta un bouillon là-dessus, et il le refusa. Madame Colbert lui dit : Ne voulez-vous pas répondre au Roi ? Il lui dit : Il est bien temps de cela. C'est au Roi des rois qu'il faut que je songe à répondre. Comme elle lui disait une autre fois quelque chose de cette nature, il lui dit : Madame, quand j'étais dans ce cabinet à travailler pour les affaires du Roi, ni vous ni les autres n'osiez y entrer ; et maintenant qu'il faut que je travaille aux affaires de mon salut, vous ne me laissez pas en repos. Monthyon prétend, toujours sans citer aucune source, que
Colbert, en parlant du Roi, dit : Si j'avais fait pour
Dieu ce que j'ai fait pour cet homme-là, je serais sauvé deux fois, et je ne
sais ce que je vais devenir. Il ajoute qu'à l'arrivée d'un gentilhomme
envoyé de Fontainebleau par Louis XIV, Colbert refusa de le recevoir et de
lire la lettre du Roi qu'il lui apportait, en disant : Je ne veux plus entendre parler du Roi ; qu'au moins à
présent il me laisse tranquille. Sa famille aurait obtenu cependant
qu'il laissât l'envoyé du Roi entrer dans sa chambre ; mais il feignit de
dormir pour ne pas lui parler. Il n'aurait pas ouvert la lettre du Roi, ce
dont la famille chercha à l'excuser en disant qu'il ne voulait plus penser
qu'à son salut. Tout ceci est de la légende. La prétendue lettre de Louis XIV
est de l'invention de la Baumelle, qui attribue à Madame de Maintenon la
lettre suivante : Fontainebleau, le 10 septembre 1683. Le Roi se porte bien et ne sent plus qu'une légère douleur. La. mort de M. Colbert l'a affligé, et bien des gens se sont réjouis de son affliction. C'est un sot discours que les desseins pernicieux qu'il avait ; et le Roi lui a pardonné de très bon cœur d'avoir voulu mourir sans lire sa lettre pour mieux penser à Dieu... Mais cette lettre est manifestement fausse, ainsi que l'a démontré M. Lavallée[53]. Le fait est que Colbert, souffrant cruellement de la gravelle et de sa gastralgie, a voulu avoir le plus de repos possible, et que tout prouve qu'il n'est pas mort ni disgracié, ni en désespéré, mais affligé certainement du juste mécontentement du Roi contre son fils, et n'ayant certainement pas perdu l'amitié de Louis XIV, ainsi que le prouvent les lettres adressées par M. de Seignelay à S. M. et les réponses du Roi, qui n'écrit pas à Colbert, trop malade pour lire ses lettres et y répondre, mais à son fils, qu'il charge de dire au malade tout ce qu'il lui mande. Paris, le 29 août 1683. Pour suivre l'ordre que V. M. a bien voulu me donner de lui rendre compte de la santé de mon père, je lui dirai qu'il a passé une très mauvaise nuit, que ses douleurs ont duré une partie de la journée, et que si, dans l'abattement, où il est, la fièvre se joignait à ses autres maux, sa maladie serait très dangereuse ; mais Dieu merci il n'en a point eu jusqu'à présent. Réponse du Roi. Je suis bien en peine du mal de votre père, et je le plains fort des douleurs qu'il souffre. J'espère qu'il sera bientôt en aussi bon état que nous le désirons tous. Dites-lui de ma part ce que je vous mande. Paris, le 2 septembre, à deux heures du matin. Le mal de mon père a tellement augmenté, Sire, et sa faiblesse est si grande, que les médecins, ne connaissant rien à cette maladie, qu'ils prétendaient n'être pas dangereuse tant qu'il n'y aurait pas de fièvre, ont conseillé de lui faire prendre cette nuit Notre-Seigneur en viatique. C'est de quoi j'ai cru devoir donner avis à V. M. Elle sera exactement informée des suites, et je crois que dans cette triste occasion V. M. me permettra de demeurer ici pour voir les suites de cette maladie. Réponse du Roi. L'état où est votre père me touche sensiblement. Demeurez auprès de lui tant que vous y serez nécessaire et que votre douleur ne vous empêchera pas de faire tout ce qui sera possible pour le soulager et pour le sauver. J'espère toujours que Dieu ne voudra pas l'ôter de ce monde où il est si nécessaire pour le bien de l'État. Je le souhaite de tout mon cœur par l'amitié particulière que j'ai pour lui et par celle que j'ai pour vous et pour toute sa famille. A coup sûr ce n'est pas au fils d'un ministre disgracié ou sur le point de l'être, d'un ministre mourant en désespéré et plein de fureur contre le Roi, que ce Roi écrit ces lettres si pleines d'amitié et de bons sentiments pour le pauvre malade, qui est encore si nécessaire au bien de l'État. Après la mort de Colbert, arrivée le 6 septembre, Louis XIV écrivit à Madame Colbert une lettre affectueuse pour elle et pour la mémoire de son mari. Fontainebleau. 12 septembre 1683. Madame Colbert, je compatis à votre douleur, d'autant plus que je sens par moi-même le sujet de votre affliction, puisque, si vous avez perdu un mari qui vous était cher, je regrette un fidèle ministre dont j'étais pleinement satisfait. Sa mémoire me sera toujours une forte recommandation, non seulement pour votre personne que votre vertu recommande assez, mais aussi pour tous les siens, et vous devez espérer que le sieur de Blainville faisant son devoir, comme je l'espère, dans la profession qu'il va suivre[54], n'en sentira pas moins les effets que le reste de la famille. Ce pendant, je prie Dieu qu'il vous ait, Madame Colbert, en sa sainte garde. M. Colbert, dit la Gazette de Leyde[55], fut enterré mardi au soir[56] en sa chapelle de Saint-Eustache, sa paroisse ; son corps a été ouvert et l'on y a trouvé une grosse pierre dans l'un des uretères et d'autres moindres dans la vésicule du fiel. Avant que mourir, il fit venir tous ses enfants l'un après l'autre pour leur dire adieu, ayant toujours conservé un jugement sain et entier ; il fit cacheter devant lui plusieurs papiers pour être remis entre les mains du Roi. Sa famille s'est retirée à l'hôtel de Matignon et l'on a mis le scellé chez lui avec des gardes, par ordre de S. M. ; on l'a mis aussi partout ailleurs où il avait des cabinets, à Saint-Germain, à Sceaux et ailleurs. Le Roi remplit dès le 6 sa charge
de contrôleur général des finances et la donna à M. Le Peletier, conseiller
d'Etat, et à M. de Louvois celle de surintendant des Bâtiments, dont M. de
Blainville, l'un des fils du défunt, avait la survivance ; mais S. M. lui a
donné 500.000 livres pour l'en dédommager. Colbert, comme nous venons de le dire, fut enterré à Saint-Eustache. Madame Colbert lui fit élever, sur les dessins de Lebrun, un splendide tombeau. Colbert est représenté à genoux ; un ange lui tient un livre, dans lequel il semble prier Dieu. La figure est de Coysevox, et l'ange de Tuby. Le tombeau est encore orné de deux Vertus : la Fidélité, aussi de Coysevox, et la Piété de Tuby[57]. Les principal es dépenses occasionnées par la maladie et les funérailles de Colbert se sont élevées à la somme de 41.378 livres (environ 207.000 fr.), savoir :
La Gazette de France[59] inséra, avec la permission du Roi, l'article suivant, qui est un bel éloge de son ministre : M. J.-B. Colbert, ministre et secrétaire d'État, mourut en cette ville le 6 de ce mois, âgé de 64 ans, après avoir reçu les sacrements avec des marques d'une piété singulière. Il a servi le Roi pendant plusieurs années, dans les principales affaires de l'État, avec les capacités, la fidélité, le zèle et l'exactitude qui font l'éloge des grands ministres. Le Roi l'ayant choisi pour établir un meilleur ordre dans l'administration de ses finances, il a exécuté ce grand dessein avec tout le succès qu'on pouvait espérer de son génie extraordinaire et de son travail infatigable. Le rétablissement de la marine, les manufactures de tout ce qui est nécessaire à l'armement des vaisseaux, la construction des arsenaux et de plusieurs ports, les bâtiments superbes et les meubles magnifiques des maisons royales dont il a eu la principale direction, font voir l'étendue de son esprit et l'application continuelle qu'il avait à tout ce qui pouvait être avantageux à la gloire et au service de S. M. Il s'est, dans cette vue, particulièrement appliqué à faire fleurir les lettres et les beaux-arts par l'établissement des académies de physique[60], d'architecture et de peinture, et par les récompenses qu'il a procurées aux personnes recommandables par leur savoir et par leurs ouvrages. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] On y trouve cependant, en 1672, qu'il aime les odeurs et parfums de Rome, et qu'il en fait venir : huiles, essences, eau de fleurs d'orange, gants parfumés (VII, 65). — En 1673, il prie M. de Croissy, ambassadeur à Londres, de lui acheter des lunettes, des meilleures et des plus fines qui soient en Angleterre, parce que sa vue commence fort à baisser (VII, 72).
[2] P. CLÉMENT, Lettres, instructions et mémoires, VII, XX.
[3] P. CLÉMENT, Lettres, etc., II, CLVI-CLVIII ; III, XXII-XXV.
[4] Giustiniani, Morosini, Michieli, Cantarini et Foscarini. — Voyez P. CLÉMENT, Lettres, etc., t. VII, pages CLXXI et suivantes.
[5] Publiés par L. Dussieux et E. Soulié, II, 333.
[6] Que le gouvernement perçut directement, sans l'intermédiaire des fermiers.
[7] Note de Colbert : J'ai envoyé ce mémoire au Roi le 22 juillet ; S. M. l'a lu une fois, l'a approuvé, l'a relu le 23 au matin en ma présence, et a pris résolution sur chacun article, laquelle elle a exécutée.
[8] On venait de déclarer la guerre à l'Angleterre.
[9] C'est Louvois, qui est fort malmené souvent dans ce mémoire.
[10] Louis XIV devait envoyer quelques milliers d'hommes au roi de Pologne pour l'aider à réprimer ses sujets révoltés.
[11] Par ordonnances de comptant.
[12] Louvois.
[13] On ne sait pas à quoi Colbert fait allusion.
[14] Voir dans le Journal d'Olivier Lefebvre d'Ormesson, II, 453, 461, 468, les détails de ces petites guerres et revues. La beauté des costumes frappa tous les assistants.
[15] Toutes les fournitures faites en nature ou en argent aux soldats logés ou en quartier chez l'habitant.
[16] Cette correspondance est imprimée au Tome II des Lettres, instructions et mémoires.
[17] Le papier formulé ou timbré.
[18] 18 mai 1674.
[19] 16 juin 1674.
[20] 24 février 1678.
[21] Il faut multiplier tous ces chiffres par 5 pour les convertir en francs d'aujourd'hui.
[22] Chambre ou juridiction qui avait dans ses attributions les dépenses des Maisons du Roi et des princes.
[23] On croit rêver en lisant cet exposé des finances fait par le ministre lui-même. Que sont à côté d'un tel déficit, d'un tel excédant régulier des dépenses, nos déficits et nos moins-values d'aujourd'hui.
[24] Colbert avait fixé l'intérêt légal à 5 pour cent.
[25] Un denier pour 20 deniers, soit, le vingtième ou 5 p. 100.
[26] Un denier pour 10, soit le dixième ou 10 p. 100.
[27] Celles de Louvois évidemment.
[28] VII, XVIII.
[29] Lettres, instructions et mémoires, VII, CLXXVI. — Giustiniani résida en France de 1665 à 1668.
[30] T. I, p. 160.
[31] Lettres, instructions et mémoires, VII, XVIII et 53.
[32] Lettres, instructions et mémoires, VII, 53, 54.
[33] Lettres, instructions et mémoires, VII, XIX.
[34] Lettres, instructions et mémoires, VII, 325.
[35] Mémoires, 1765, p. 168-171.
[36] Pendant la guerre de Hollande, en 1674, quand Guillaume d'Orange forma la première coalition contre Louis XIV.
[37] Qui on ? Louvois sans doute.
[38] Perrault était premier commis des Bâtiments du Roi et l'homme de confiance de Colbert.
[39] Toujours on.
[40] Gendre de Colbert.
[41] Lettres, instructions et mémoires, VII, XX.
[42] Lettres, instructions et mémoires, VII, CLXXXI.
[43] 1667 est une erreur de l'éditeur des Mémoires de Perrault, le manuscrit original porte 166... (P. CLÉMENT, VII, XXXV). — La date à peu près exacte est fixée par celle de l'association de d'Ormoy à son père pour la surintendance des Bâtiments, association qui date de 1679.
[44] Particularités sur les ministres des finances, p. 78.
[45] Lettres, instructions et mémoires, VII, CLXXXI.
[46] Vers le 20 août.
[47] JAL, 397.
[48] Vie de Colbert, p. 303.
[49] Lettres, instructions et mémoires, VII, XXXIII et XXXIV.
[50] Gazette de Leyde, 14 et 16 septembre 1683.
[51] Œuvres de Racine, édition Hachette : Fragments historiques, V, 110.
[52] La gastralgie lui causait de grandes douleurs quand il digérait ; aussi mangeait-il le moins possible.
[53] Correspondance générale de Madame de Maintenon, II, 317.
[54] La profession militaire.
[55] 16 septembre 1683. — Correspondance parisienne du 10 septembre.
[56] Il fallut assurer son convoi par une escorte de Gardes, dans la crainte d'une attaque de la populace, et non sans quelque raison, car le Roi croyait volontiers que sa mémoire était chargée de la haine et des imprécations de ses sujets, à cause du fardeau sous lequel ils gémissent (Foscarini, VII, CLXXXII). — Colbert était exécré, et à sa mort il y eut une pluie de vers satiriques et haineux.
[57] Germain BRICE, Description de Paris, I, 220. — A la Révolution, le tombeau de Colbert fut transporté au musée des Petits-Augustins ; il fut ensuite replacé à Saint-Eustache, mais il n'est plus dans son ancienne chapelle.
[58] Lettres, instructions et mémoires, VII, 378.
[59] 1683, p. 516 ; 11 septembre.
[60] Académie des sciences.