HISTOIRE DES ROMAINS

 

APPENDICE

FORMATION HISTORIQUE DES DEUX CLASSES DE CITOYENS ROMAINS DÉSIGNÉS DANS LES PANDECTES SOUS LES NOMS D’HONESTIORES ET D’HUMILIORES.

 

 

Mémoire lu à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le 13 novembre 1874.

 

— I —

Dans l’empire romain, la loi admettait pour un même crime deux sortes de châtiments, les uns plus doux, les autres plus sévères. Il en est de même dans notre législation, qui, en autorisant l’admission des circonstances atténuantes, permet au juge d’abaisser la peine d’un ou de plusieurs degrés. En France, ce système provient d’une idée d’équité ; à Rome, on partait d’un principe absolument contraire, celui de l’inégalité des conditions humaines dont la loi devait tenir compte, comme si le pauvre était déjà un condamné des dieux. Le décurion, par exemple, coupable d’une faute qui envoyait l’humilior aux travaux forcés, devait au privilège de son titre de n’être que temporairement éloigné de la curie[1]. Par sentence de Marc-Aurèle, un chevalier romain qui avait commis un vol avec effraction fut exilé durant cinq ans de sa province[2] ; pour un crime semblable, l’humilier serait allé mourir dans les mines daciques ou les carrières égyptiennes. Quant aux séditieux, dit Paul, suivant la qualité de la personne, ils sont mis en croix, jetés aux bêtes ou déportés dans une île[3]. Enfin le bûcher était expressément réservé aux esclaves, aux plebeii et humiles personæ[4]. Ainsi les uns ne pouvaient être battus de verges[5], mis en croix, attachés sur un bûcher ou jetés aux bêtes ; et, en cas de condamnation, ces peines atroces étaient le lot ordinaire du malheureux qui n’avait pu sortir de son humble condition.

Ce phénomène social, dont les conséquences durèrent bien plus longtemps que l’empire, n’a jamais été, que je sache, étudié dans l’ordre de sa formation historique[6].

Je voudrais rechercher sous l’influence de quelles idées et de quels faits une si monstrueuse inégalité se produisit au sein des peuples latins que régissaient cependant les lois appelées la raison écrite, et auxquels nos préjugés d’enfance attribuent toujours l’égalité républicaine.

— II —

D’abord il n’y eut jamais et il rie pouvait y avoir d’égalité véritable dans une société qui avait l’esclavage et peu d’industrie ; où la grande propriété avait de beaucoup réduit la petite ; dont les traditions, les lois, reconnaissaient : au patricien, une origine supérieure ; au père de famille, un pouvoir absolu dans sa maison ; au maître, l’autorité sans limite sur ses esclaves ; au patron, des droits rigoureux sur ses affranchis. Une telle organisation de cité et de famille ne laissait de place au pauvre que dans la clientèle de ces riches arrogants que Martial appelle des rois.

Cette constitution de la famille avait déterminé celle de l’État. Aux plus anciens temps, la plèbe était exclue de la cité politique, et Servius ne l’y admit qu’en apparence. Pour avoir, en 304, renfermé dans les quatre tribus urbaines, de toutes les moins estimées, les ærarii et les libertini, ceux que Tite-Live appelle les humbles (IX, 46), le plus illustre des patriciens de ce temps, Fabius, reçut le surnom de Maximus, que n’avaient pu lui donner ses victoires sur les Samnites. Cette distinction entre honestiores et humiliores était si profondément entrée dans les idées romaines, que, à la prise de Carthagène, Scipion fit des habitants deux classes : les bourgeois qu’il renvoya libres, les artisans qu’il réduisit en esclavage[7]. On eut beau, à l’époque des guerres Paniques, modifier l’assemblée centuriate dans un sens démocratique, les grands gardèrent leur dédain pour les petits : Est-ce que tu marches sur les mains ? disait l’un d’eux, en prenant, un jour d’élection, la main calleuse d’un paysan. Dès que les nobles le purent, ils rétablirent l’organisation timocratique de l’assemblée, et, jusqu’au temps des guerres civiles, la constitution romaine resta fidèle à l’axiome : Ne plurimum valcant plurimi[8]. Tite-Live dit des censeurs de l’année 181 : Ils rangèrent les citoyens dans les tribus, d’après la race, la condition et les biens[9]. A la veille de l’empire, Cicéron parlait encore de classes formées selon l’ordre, l’âge, la fortune[10], et le mot : homme de la cinquième classe, était pour lui le terme du dernier mépris[11].

On se rappelle que les affranchis étaient exclus des tribus rustiques, à moins qu’ils ne fussent assez riches pour y acquérir une propriété foncière[12], et que le censeur Sempronius, le père des Gracques, proposa de leur ôter le droit de suffrage. Cette accumulation des anciens esclaves dans les tribus urbaines n’était point faite pour relever celles-ci. Aussi, en quels termes Cicéron parle-t-il de ces petites gens qui, pour lui, sont des barbares, operarios barbarosque[13], à qui l’on pouvait, dit-il, demander chaque jour le meurtre, l’incendie, le pillage, et que Clodius ne parvenait à réunir qu’en vidant les tavernes : Oh ! la belle image de la majesté romaine que ce ramassis d’esclaves, de mendiants et d’assassins.... Le vrai peuple, vous l’avez vu en ce jour mémorable où le Champ de Mars : se remplit d’hommes qui, pour y venir, avaient fermé non pas les boutiques de Rome, mais les cités municipales de l’Italie[14]. Cicéron sait pourtant que cette foule, c’est le plus grand nombre, car, pour désigner un homme de rien, il dit volontiers : tenuis unusque e multis[15].

Ainsi, dans Rome républicaine, le cens détermine les rangs, et le citoyen n’ayant rien à inscrire au registre des censeurs fait partie de ce que Lucien appellera la vile multitude[16], qui ne joue un rôle politique que lorsqu’un démagogue la soulève. Et, quand un homme de cette plèbe si rapprochée de la tourbe des malheureux tenus en servitude avait quelque compte à rendre à la justice, celle-ci aurait eu pour lui la sévérité dont elle usait envers les étrangers et les esclaves, si les Douze Tables n’avaient consacré le principe de l’égalité devant la loi pénale, et la lex Porcia, celui qu’un citoyen ne pouvait être battu de verges ni mis à mort[17].

La populace urbaine était donc fort dédaignée dans la capitale de l’empire, excepté les jours d’émeute, sans qu’on eût toutefois, jusqu’à la fin de la république, établi pour elle une pénalité particulière[18]. On pourrait croire que l’empire, si longtemps représenté comme la démocratie couronnée, aurait relevé la plèbe ; mais, gouverné par un prince absolu, administré par un corps aristocratique, il la laissa dans la condition où il l’avait trouvée. Les cités provinciales ne tenaient pas davantage à l’égalité ; on y aimait, autant qu’à Rome, la distinction des rangs : cela se voit par l’album sénatorial[19], où la place de chacun était marquée avec son degré particulier d’honneur ; on le voit aussi par les inscriptions où sont énumérées toutes les charges remplies, tous les grades obtenus.

Au-dessous des gens constitués en dignité, ou arrivés à la fortune, a la propriété[20], se trouvaient ceux qui n’avaient que leurs bras pour vivre. Nous manquons de textes précis pour affirmer qu’aux jours des comices ces successeurs des anciens ærarii étaient placés dans une condition inférieure, mais toutes les probabilités sont en faveur de cette opinion. Le chapitre vin de la Table d’Héraclée contient la longue liste de ceux qui sont incapables d’exercer une charge dans un municipe, et, parmi eux, se trouvent tous les humiliores mentionnés au Digeste. Les inscriptions font voir, dans les cités des deux premiers siècles, des assemblées populaires divisées en curies, qui parfois se partagent, comme dans les plus vieux temps, en sections de seniores et de juniores. Si nos renseignements étaient plus complets, nous y trouverions sans doute des classes, car le cens qui servait à les former avait été institué partout où les Romains portèrent leur domination. Dans la loi municipale, César eut soin de renouveler l’injonction aux magistrats des cités italiennes de faire le dénombrement d’après le formulaire qui leur serait envoyé de Rome, et dont une des questions était relative au bien de chacun des individus recensés. On était si habitué à remplir ce cadre, que les inscriptions répondent ordinairement à toutes les questions de la formule, une seule exceptée, celle de la fortune ; mais il est tout naturel que, sur les pierres tombales, on n’ait pas donné le cens du mort[21].

On vient de voir qu’à Rome les citoyens étaient répartis en catégories de fortune, dans les deux derniers siècles de la république, c’est-à-dire à l’époque où les provinciaux copièrent les institutions, les usages et jusqu’aux modes de la Ville éternelle. Nous savons que, pour arriver au décurionat, il fallait, comme pour entrer au sénat de Rome, un bien d’un chiffre déterminé[22]. Cette obligation imposée à leurs sujets caractérise la révolution timocratique que les Romains opérèrent dans tout le monde grec et oriental, et qu’Athènes avait, à deux reprises, accomplie au temps de la guerre du Péloponnèse[23]. Cicéron recommandait à son frère de maintenir soigneusement ces. distinctions dans son gouvernement d’Asie, et, deux siècles et demi plus tard, Pline le Jeune se félicitait de les voir conservées[24]. Auguste, en effet, n’avait rien changé à ces coutumes. Son premier soin, après Actium, fut d’organiser la société romaine en une vaste hiérarchie dont les divers degrés étaient marqués par la fortune nécessaire pour y prétendre. Il n’y a donc pas à s’étonner que les municipes considérables aient eu, ainsi que Rome, ceux-ci d’une façon, ceux-là d’une autre, leurs différents ordres de citoyens, les classici et les infra classent[25], usage si général, qu’il était passé de la vie publique dans la vie privée, où l’on rangeait ses clients, ses amis, en catégories du premier, du second et du troisième degré, tribus classibus factis[26]. Au bas de l’échelle se tenaient les affamés, λιμουργοί, teinturiers, cordonniers, charpentiers, etc., que Dion Chrysostome trouvait à Tarse en fort grand nombre, et qu’il considère comme étant en dehors de la cité[27]. C’était la plebs urbana, séparée du vrai peuple des possesseurs, δήμος, et qui n’était pas moins méprisée dans les provinces qu’elle ne l’était à Rome.

Montesquieu a écrit, après Cicéron : On ne fait pas les lois, on les découvre ; ce qui revient à dire que les mœurs les imposent. Il était donc nécessaire de montrer que, d’un bout à l’autre de l’empire, existait le respect de la fortune avec l’amour des distinctions sociales, parce qu’un tel état de l’opinion indique à l’avance que, dans cette société, le pauvre, tenu d’abord en grand mépris, pourra bien finir par être soumis à de grandes sévérités.

Mais comment passa-t-on de l’une de ces conditions à l’autre ? Comment arriva-t-on de l’ancienne égalité devant la justice à la terrible inégalité que constate le partage de toute la population libre en deux catégories qui font penser à celles des nobles et des vilains au moyen âge ? Voilà le premier point que je voudrais éclaircir. Je chercherai ensuite si l’on peut tracer nettement la ligne de démarcation entre ces deux classes.

— III —

Dans la Rome des beaux jours, rien ne distinguait un citoyen d’un autre. La propriété foncière y avait, pour tous, le même caractère ; et, depuis les Douze Tables, la loi Canuleia et la libre admission des plébéiens aux magistratures, la naissance n’assurait plus de privilège, si ce n’est pour quelques fonctions religieuses. Enfin, si le riche regardait avec mépris ceux qui traînaient au-dessous de lui leur vie misérable, si le pauvre jetait des regards d’envie sur la fortune des grands, il n’y avait point entre ces deux classes de distinction légale ; mais il en existait une profonde entre le dernier des citoyens de Rome et le plus noble des provinciaux. Avec le jus civitatis on échappait, riche ou pauvre, par un exil volontaire, et une sentence de mort, tandis qu’au tribunal du gouverneur, le provincial, quel qu’il fût, pouvait être condamné aux plus cruels supplices. Ainsi, sous la république, le civis et le peregrinus sont dans la situation où se trouvèrent sous l’empire l’honestior et l’humilior ; la difficulté est d’expliquer par quelle métamorphose le plebeius homo, tout citoyen romain qu’il était, devint passible des mêmes lois pénales que le peregrinus et y resta soumis quand il n’y eut plus de pérégrins.

Les fréquentes concessions du droit de cité faites par la république avaient assuré sa fortune en lui donnant la large et solide base d’une nombreuse population militaire qui avait manqué à Sparte et à Athènes, à Tyr et à Carthage. Cette politique, après avoir été la règle du sénat., devint celle des empereurs. Autrefois le droit de cité était donné avec ou sans le droit de suffrage, avec ou sans le droit adipiscendorum in Urbe honorum. Ce fut ce dernier droit qu’on accorda aux habitants des contrées transalpines. En l’année 48 de notre ère, les notables de la Gaule chevelue, depuis longtemps citoyens, sollicitèrent le droit d’entrer au sénat. Les Pères refusaient, trouvant que c’était assez d’avoir ouvert la curie souveraine à des Vénètes et à des Insubres[28] ; Claude fit prévaloir une opinion plus libérale : le droit réclamé fut accordé d’abord aux Éduens, et, depuis cette époque, à beaucoup d’autres peuples. Le dernier qui l’obtint fut celui d’Égypte[29].

Ainsi, tout en propageant le jus civitatis dans l’univers romain, on avait conservé, entre les anciens et les nouveaux citoyens, la barrière qui existait, avant les lois liciniennes, entre les patriciens et les plébéiens, celle qui avait si longtemps séparé les Quirites des Socii. Si l’on a eu, vers la fin de la république ou au commencement de l’empire, c’est-à-dire à l’époque des grandes concessions du droit de cité, la pensée de maintenir, relativement à la capacité d’obtenir les dignités de l’État, une différence entre les citoyens originaires d’Italie et ceux des provinces, il ne serait pas impossible que, dans le même esprit, on eût, à la même époque, distingué dans la masse des citoyens de Rome les honestiores et les humiliores. Nous essayerons de montrer comment on y arriva.

D’abord le droit de cité, livré à des multitudes, s’avilit ainsi que tout honneur qu’on prodigue ; et la société était menacée de voir se produire une confusion qui lui était antipathique, lorsque les jurisconsultes, si habiles à adapter les anciennes prescriptions légales à des conditions nouvelles, rétablirent peu à peu dans la loi la distinction dont le besoin était toujours dans les mœurs.

Ce changement se fit lentement. Les mots d’honnêtes gens et d’hommes de rien, honestiores et humiliores, qui appartiennent à la langue latine de toutes les époques, sont, en tant que désignation juridique de deux classes soumises à des lois différentes, d’un âge relativement moderne. On ne les trouve pas dans les inscriptions, c’est tout naturel, et nous savons qu’ils n’étaient pas dans les anciennes lois pénales de Rome. Mais une institution républicaine établie par les Gracques et Caton, conservée par César, qui la réglementa, la distribution de blé à prix réduit, força d’inscrire sur des registres publics les noms de tous les. pauvres de Rome, et fit revivre, sous une autre l’orme, les anciennes différences comitiales qui disparaissaient avec les comices. Ceux qui, au nombre de 150.000 d’abord[30], de 200.000 sous Auguste[31], donnèrent leurs noms pour recevoir la Cessera alimentaire, composèrent cette catégorie de citoyens que le testament d’Auguste appelle, dans le texte latin, plebs urbana, et, dans la version, grecque, όχλος ; ou la multitude[32]. Les juristes trouvèrent donc dans la capitale de l’empire une base légale pour instituer les nouvelles distinctions, dont cette société avait le goût invétéré, et, de Rome, cette coutume, comme toutes les autres, gagna rapidement les provinces.

Une lex Julia de vi déterminait ceux dont le témoignage ne pouvait être reçu en justice[33] ; Labéon, sous Auguste, interdisait l’action de dol à l’humilis adverses eum qui dignitate excellit, et il expliquait ce mot : puta plebeio adverses consularem receptæ auctoritatis, vel luxurioso arque prodigo, aut alias vili, adverses hominem vitæ emendatioris[34]. Dés cette époque, l’égalité devant la justice cesse donc pour une partie des citoyens, pour ceux qu’Auguste appelle plebs urbana et Labéon plebeii homines ; mais cette inégalité n’est déterminée que par des conditions morales : vita emendatior, et Julianus, sous Hadrien, parle encore comme Labéon[35].

Cependant la cité s’étend, la ville devient un univers, Claude compte sept millions de citoyens représentant une population de vingt-huit millions d’âmes, et les Flaviens, les Antonins, augmentent continuellement ce nombre. Le peuple romain est une immense multitude où d’innombrables individus seraient dignes de figurer dans la plebs urbana de Cicéron. A Ocriculum, cette plèbe semble même séparée du corps des citoyens : cives et plebeii, dit une inscription[36].

Claude, qui témoigne tant d’estime à l’aristocratie provinciale, porte le mépris, à l’égard de la foule romaine, jusqu’à la faire chasser du Forum avant de prononcer aux Rostres la formule des prières publiques qui doivent conjurer un présage funeste : summota operariorum turba[37]. Cette exclusion des rites sacrés qui, en une circonstance solennelle, mettait les pauvres en dehors de la communion des riches, est un fait significatif ; et, comme toute décision du prince faisait loi. il suffisait déjà de cette sorte d’excommunication religieuse pour qu’un citoyen de basse condition, un homme de métier, fût classé à part. Il l’était déjà sous les Flaviens, à Tarse, où les artisans étaient, au moment du vote, expulsés de l’agora[38].

Ce titre de citoyen romain, autrefois si grand, impose encore dans les provinces le respect aux officiers impériaux ; grâce à lui, saint Paul fut sauvé de la colère des Juifs de Jérusalem. A Rome, le pouvoir absolu, qui consent d’ordinaire à user des l’ormes de la justice avec les grands, se montre aux petits dans toute sa brutalité. Caligula, qui était fou, avait fait jeter aux bêtes des hommes honesti ordinis[39]. Néron, plus scrupuleux d’abord, n’ose frapper un sénateur qui sommeille pendant que le prince fait entendre au théâtre sa voix divine ; mais il ne s’inquiète pas de savoir si le malheureux qui n’applaudit pas assez bruyamment est ou n’est pas citoyen : il ordonne qu’on l’arrache des bancs et que, sur l’heure, on le batte de verges : tenuioribus statim irrogata supplicia[40]. Hadrien, le justicier, ne tient pas le titre de citoyen en plus haute estime que Néron, lorsqu’il s’agit du prolétaire : en sa présence, un fils renie sa mère pour ne point partager son congiaire avec elle : Si tu persistes, dit le prince, je ne te reconnaîtrai plus pour citoyen[41].

— IV —

Des six jurisconsultes qui se servent, dans la collection du Digeste, des mots honestior et humilior, Gaïus[42], Paul[43], Ulpien[44], Callistrate[45], Marcien[46] et Macer[47], le plus ancien, Gaïus, en est toujours au principe de Labéon. La peine, dit-il, est fixée par la nature du délit, par le lieu où il a été commis, par la personne qui en a souffert, tel qu’un magistrat ou un sénateur[48]. Cependant les termes se précisent. Labéon ne reconnaissait pas les mêmes droits à l’homme de mauvaise réputation et au citoyen de bonne renommée ; Gaïus ne cherche plus dans l’ordre moral la distinction qu’il convient d’établir pour la pénalité ; il vent celle-ci plus douce pour le magistrat et le décurion, quel qu’il soit.

C’est que le temps a marché : le mouvement de concentration qui s’était opéré à Rome sous Auguste et Tibère a gagné de proche en proche les cités provinciales. L’assemblée publique des municipes tombe en désuétude ; les élections passent à la curie, et la curie elle-même est sur le point de se fermer aux plébéiens. Déjà Pline demande à Trajan s’il ne vaudrait pas mieux admettre au décurionat des fils d’honestiores que des enfants du peuple, honestiorum hominem liberos quam e plebe (X, 83). A cette époque, c’est-à-dire vers l’an 111 de notre ère, la séparation des citoyens en deux classes est donc formellement établie ; toutefois le double domaine de la loi pénale n’est pas encore plus rigoureusement délimité que celui de la loi politique. Le grand jurisconsulte du règne d’Hadrien, Salvius Julianus, parle comme Labéon[49].

Mais le caractère aristocratique de là cité se prononçant à chaque génération davantage, le pauvre descend, le riche monte. Puis, comme le gouvernement impérial a besoin des uns pour les services administratifs[50], tandis qu’il n’a nul souci des autres, il flatte la vanité des riches en élevant une barrière légale entre eux et les pauvres. h’abord le privilège de ne pouvoir être condamné aux verges, que le vieux droit reconnaissait aux seuls magistrats des cités latines, après leur sortie de charge, fut accordé à tous les membres de la curie. On fit plus : nos rois recrutaient le corps aristocratique par des lettres de noblesse, les empereurs accrurent la classe des privilégiés par la concession de ses prérogatives à tous ceux qui s’élevaient dans les cités, in aliqua dignitate vel in aliquo gradu[51] : termes vagues et applicables à beaucoup plus de gens que ne l’était le mot d’honneur municipal par lequel on désignait les magistratures supérieures.

Ces avantages, précieux en eux-mêmes, avaient un autre mérite qui en relevait la valeur : la plèbe ne les possédait pas. L’humilis, depuis si longtemps habitué au mépris, et qui d’ailleurs, à Rome et dans les grandes cités, ne vivait qu’en tendant la main, cessa d’être couvert par la lex Porcia, et l’on reprit officiellement contre lui les dispositions autrefois réservées aux seuls pérégrins. La loi Cornelia, dit Marcianus[52], édictait, pour les assassins et les empoisonneurs, la peine de là déportation dans une île avec perte de tous les biens, mais, aujourd’hui, on a coutume de les condamner à mort lorsqu’ils ne sont pas de la classe des honestiores ; et Callistrate ajoute : Seuls les tenuiores homines peuvent être frappés de verges[53] ; cela a été formellement décidé par les rescrits impériaux.

Ainsi des empereurs dont le nom ne nous est pas donné avaient fini par écrire la coutume, par ériger en loi ce qui était, pour Labéon, le respect de la dignité de la vie ; pour Claude et Pline, le dédain de la foule indigente ; pour Néron, un caprice de cruauté ; pour Hadrien, le sentiment d’un droit que les paroles de Marcianus, hodie solent, autorisent à considérer comme récemment entré dans la pratique légale.

Cette législation une fois établie, quiconque eut les honneurs municipaux, une dignité, un rang dans la cité, ne fut plus du peuple, et les jurisconsultes opposèrent l’homme de la plèbe à l’homme des honneurs, qui in plebeio, qui in honestiore[54]. Pour fortifier cette opposition, on en vint même à décider qu’un plébéien ne pourrait plus devenir décurion. Paul et Ulpien le disent expressément[55]. Chaque cité eut donc, comme l’avait eu la Rome royale, son peuple privilégié, populos, et sa multitude déshéritée, plebs, que la politique et la loi pénale séparaient.

Cette plèbe des temps nouveaux est même tombée plus bas que celle des temps anciens, car l’empire la soumet aux sévérités dont la république usait contre l’esclave. Les peines édictées par les lois cornéliennes, de falso et de sicariis, étaient la mort pour celui-ci, la déportation pour le citoyen[56] ; le code impérial conserve la même gradation entre l’humilior et l’honestior. Il semble que cette révolution aurait dû exciter de vives réclamations ; elle n’en causa pas plus que ne l’avait fait la suppression des comices à Rome, parce qu’elle avait été l’œuvre des mœurs avant d’être celle de la loi.

Cependant quelques plébéiens enrichis parvenaient, comme les hommes nouveaux de la Rome républicaine, à entrer au sénat[57]. Par le, développement même de la vie sociale, par le besoin de tenir la curie au complet, par les concessions d’immunités que faisaient les empereurs, le nombre des citoyens assimilés à ceux qui se trouvaient in aliqua dignitate vel in aliquo gradu, dut s’accroître. Ainsi l’on peut considérer comme participant au privilège pénal des honestiores les augustaux, si souvent nommés à la suite des décurions[58] et qui géraient un sacerdoce viager ; les mercuriales, que plusieurs inscriptions mentionnent après les augustaux et avant le peuple[59] ; enfin les possessores ou propriétaires fonciers qui, au troisième siècle, furent parfois appelés à délibérer avec le sénat[60]. Ces privilégiés formaient sans doute le second ordre dont il est plusieurs fois question, uterque ordo, et, réunis aux décurions, constituaient ce qu’on a appelé dans la France de 1815 à 1848 le pays légal. Aux deux époques, la frontière de ce pays était gardée par le fisc, et l’on n’y entrait qu’avec une quittance du percepteur, puisque le droit était déterminé par le cens ; mais les censitaires de ce temps-là, moins exclusifs que ne l’ont été ceux du nôtre, ouvraient leurs rangs aux hommes des professions libérales et militaires : les vétérans qui avaient obtenu l’honesta missio, les médecins, les professeurs, n’étaient pas compris dans la classe des humiliores[61].

En dehors de ce pays légal se trouvaient : dans les campagnes, le colon ; dans les villes, l’artisan, l’affranchi, tous trois ancêtres des serfs du moyen âge ; même le petit marchand[62] qui utensilia negotiatur.

Mais certains possesseurs n’étaient pas plus à leur aise que le journalier ; l’artisan se rapprochait parfois du petit propriétaire, et des négociants, arrivés à la fortune, achetaient une maison, de la terre, de sorte que leur condition de marchand pouvait être primée par celle de propriétaire foncier. Comme on ne recourait pas pour les distinguer aux moyens faciles qu’employa le moyen âge, c’est-à-dire la naissance ou la tenure de la terre, il arrivait que les deux peuples, séparés par la loi pénale, confondaient leur commune limite sur le terrain juridique où le juge devait les placer. Alors il fallut chercher une règle qui était à la fois réclamée par la conscience du magistrat et par l’effroi de l’accusé, puisque, s’il y avait erreur sur sa condition, celui-ci pouvait être condamné à un supplice atroce, au lieu d’être frappé d’une peine relativement légère.

— V —

Deux titres du Digeste, l’un sur la note d’infamie[63], l’autre sur l’incapacité d’ester en justice[64], nous aideront peut-être à trouver cette limite.

Au point de vue de la pénalité, les infâmes étaient naturellement mis ait nombre des humiliores, et leurs noms étaient portés sur les registres de la police. Parmi ceux qui notantur infamia sont comptés, avec les repris de justice, le soldat chassé de l’armée, l’adultère, le bigame, même le mari qui tolère l’inconduite de sa femme[65], ceux qui tiennent des lieux de débauche, qui exercent les petits métiers ou qui vivent du théâtre et des jeux[66]. Une exception est faite en faveur des athlètes de la Grèce, parce que ceux-ci combattent pour l’honneur[67].

Dans l’autre titre sont frappés d’incapacité légale ceux qu’un jugement ou leur profession marque de la note d’infamie, propter proprium delictum ; ceux qui recherchent les gains honteux, même lés individus qui ont reçu de l’argent pour accuser ou pour n’accuser pas, propter turpem quæstum ; enfin les pauvres, dit Hermogenianus, propter paupertatem[68].

En faisant de la pauvreté une cause d’indignité, cette société était fidèle à la politique qui avait décidé Servius à constituer l’assemblée centuriate, où la prépondérance appartenait à la fortune ; Auguste, à tarifer le sénat, l’ordre équestre et les ducénaires ; les cités municipales, à mettre aux enchères leurs charges, leurs honneurs, même leur titre de citoyen. Il ne paraîtra donc pas téméraire d’appliquer à la loi pénale le critérium qui, après avoir été appliqué à la loi politique, servit à la loi judiciaire, et de penser que l’homme déclaré indigne de paraître en justice comme accusateur devait, lorsqu’il y venait en accusé, être regardé comme indigne des adoucissements accordés au rang, à la dignité, à la richesse.

Dans l’application, il ne pouvait y avoir de doute au sujet de ceux qui étaient frappés d’exclusion pour les deux premiers motifs : les registres de police en donnaient les noms. Mais la pauvreté, où commence-t-elle ? le même jurisconsulte répond : Au-dessous de 50 aurei, ut sunt qui minus quam quinquaginta aureos habent[69]. Si la diminution des droits civiques encourus par le pauvre conduit à le mettre là où sa pauvreté le range naturellement, parmi les tenuiores, nous aurions, dans le fragment d’Hermogenianus, la règle légale que nous cherchons et dont tous les tribunaux de l’empire avaient besoin. Qui donc, au troisième siècle, possédait plus de 50 aurei, n’avait point à craindre, avant le procès, la question ; après le jugement, la croix, les bêtes fauves, ou les mines, réservées pour les mêmes crimes à celui qui possédait moins[70]. Pour savoir si un accusé était dans la catégorie des pauperes, il suffisait de regarder aux livres du cens, comme on regardait, pour les infâmes, aux livres de la police. Tout était en règle, et, le malheureux, condamné aux bêtes à cause de sa pauvreté, pouvait bien maudire la loi, mais non pas son juge.

Alors une autre question s’élève : Si la pauvreté ne commence qu’au-dessous de 50 aurei, la classe des humiliores n’était-elle pas très considérable ?

50 aurei, soit 12 à 1300 francs[71], constituaient un avoir qui devait être rare dans la plèbe romaine. Aujourd’hui l’ouvrier libre n’est pas gêné par la concurrence de l’esclave, et les moyens d’acquérir une petite aisance sont faciles et nombreux. Cependant le Rapport sur l’instruction primaire du 5 mars 1865 constatait, d’après lés documents du ministère des finances, que près d’un million sept cent mille Français n’étaient pas imposés à la contribution personnelle et mobilière à cause de leur état de gêne, bien qu’ils ne fussent pas notoirement indigents, comme l’étaient quinze cent mille autres chefs de famille. Voilà donc, dans le pays où la richesse est le plus équitablement répartie, trois millions deux cent mille individus, ou près du tiers de la population mâle au-dessus de vingt ans, que la loi romaine aurait rangés dans la catégorie des humiliores[72]. Doubler cette proportion serait certainement insuffisant, et l’on n’ira pas trop loin en disant que la plèbe comprenait la plus grande partie de la population de l’empire. Un texte de Callistrate nous y autorise : Ceux qui ne peuvent être soumis au supplice des verges, dit-il, doivent jouir de la même considération que les décurions[73]. Ces seuls mots indiquent qu’un très petit nombre d’hommes avaient le privilège d’échapper aux grandes sévérités de la loi pénale, et nous savons que la loi politique interdisait aux humiliores de prétendre à aucune charge dans la cité.

— VI —

En résumé, la société romaine, gouvernée d’abord par une aristocratie de naissance, ensuite par une aristocratie d’argent, n’eut jamais que du dédain pour les citoyens pauvres, même aux beaux jours de la liberté républicaine. Il n’y eut pas davantage d’égalité pour les hommes libres des provinces, après qu’on leur eut concédé le droit de cité. L’empire effaça bien la différence établie par la république entre le crois et le peregrinus, mais il la reporta entre le riche et le pauvre ; et, aux deux époques, la plus grande partie des habitants du monde romain resta marquée par la loi du signe de la dégradation civique.

Les faits exposés dans ce mémoire donnent encore lieu à quelques observations.

D’abord on s’explique que, malgré leur multitude, ces plebeii homines n’aient pas constitué la puissante démagogie par qui l’on fait vendre aux Césars la liberté du monde et que leur rôle politique se soit borné à crier Panem et circenses ! ou à traîner aux gémonies les restes de Séjan et de Vitellius.

Ensuite on voit qu’avec les humiliores, plébéiens de la ville et colons des campagnes, dont la condition empira avec les malheurs publics, les empereurs allaient léguer au moyen âge un des éléments constitutifs de son organisation sociale, l’immense multitude des serfs.

Enfin il est juste d’attribuer aux idées et aux mœurs romaines, bien plutôt qu’à la politique impériale, du moins à celle des deux premiers siècles, le refoulement de la plèbe dans les bas-fonds de la société, où elle perdit tout patriotisme, et l’élévation de cette noblesse d’argent et de fonctions qui fut très habile à pressurer l’empire, mais absolument incapable de le défendre. A partir du troisième siècle, cette politique funeste devint un plan arrêté de gouvernement ; jusqu’alors elle ne s’était manifestée que par l’action latente des mœurs publiques qui minaient lentement les institutions municipales. Au temps des Césars et des Flaviens, plus tard encore, sous les Antonins, il y eut bien deux peuples dans l’empire, mais ils n’étaient séparés que par la fortune, chose mobile et changeante, que l’intelligence, l’esprit d’ordre et d’heureuses circonstances peuvent donner, que le contraire peut ôter. Par conséquent, dans l’intervalle qui sépara d’abord l’honestior et l’humilior, point d’infranchissable barrière ; la loi pénale finit par y mettre ses sévérités, comme la loi politique y avait si souvent mis ses exclusions ; mais les suprêmes honneurs de la cité et de l’État restaient alors accessibles à tous ceux qui savaient et pouvaient s’élever. C’est pourquoi l’empire put vivre et prospérer avec un tel régime, tant que le mouvement ascensionnel ne fut pas arrêté par la divine hiérarchie de Constantin.

Enfin il convient de modifier l’opinion que plusieurs écrivains se sont faite de la concession du droit, de cité à tous les sujets de l’empire, et qui règne encore en beaucoup d’esprits. On a représenté cet acte comme l’effet d’une politique libérale qui menait à l’égalité ; on a dit que cette grande et humaine mesure avait produit un nivellement général ; c’est une idée à laquelle il faut renoncer, pour prendre celle de saint Augustin qui montre une conséquence non prévue de cette constitution impériale : le droit reconnu aux pauvres des cités provinciales de réclamer leur part aux distributions gratuites.

 

 

 

 



[1] Ordine ad tempus moveri (Digeste, XLVIII, 18, 1, § 1).

[2] Digeste, XLVIII, 18, 1, § 2.

[3] Sent., V, 22 : cf. ibid., 21, 23.

[4] Digeste, XLVIII, 19, 28 ; cf. fr. 38, §§ 3, 5, 7.

[5] .... Fustibus cædi solent tenuiores homines, honestiores vero.... non subjiciuntur (Digeste, XLVIII, 19, 28, § 2).

[6] M. Naudet, dans son livre de la Noblesse chez les Romains, p. 115-117, a bien marqué la condition respective des honestiores et des humiliores ; mais le Digeste, les jurisconsultes modernes, les historiens et les archéologues ne nous apprennent rien sur la formation historique de ces deux classes. La question ne nous paraît même pas avoir été jamais posée. Walter, dans son Histoire du droit romain ; Rein, Criminal Recht der Römer ; Marquardt, Alterthümer ; Kuhn, Stædt und Bürgeri. Verfassung der röm. Reichs, etc., n’ont pas soulevé la question. Savigny ne s’en occupe point, et l’Encyclopédie de Pauly ne contient pas même les noms d’Honestior et d’Humilior. Holtzendorff (die Deportatio, 1858) les prononce (p. 110), mais seulement afin de constater le fait d’une condition pénale différente pour les riches et pour les pauvres.

[7] Polybe, X, fr. 2.

[8] Cicéron, de Re publ., II, 22. ... quod semper, ajoute-t-il, in re publica tenendum est.

[9] XL, 51 : Mutarunt suffragia, regionatimque generibus hominum, cansis et quæstibus tribus descripserunt.

[10] De Leg., III, 3 : .... populi partis in tribus discribunto, exin pecunias, ævitates, ondines partiunto.

[11] Acad., II, 23.

[12] Tite-Live, XLV, 14-15.

[13] Tusculanes, V, 36 ; cf. de Off., I, 42. et Sénèque, Lettres, XIII, 3.

[14] Pro domo, 33, et ad Att., I, 10 : misera ac jejuna plebecula. C’est le tunicatus popellus d’Horace (Ep., I, VII, 65) et la plebs de Salluste, qui vit au jour le jour, .... Cui omnes copiæ in usu quotidiano et culte corporis erant (Cat. 48), qui préfère urbanum otium ingrato labori ; tourbe famélique, dépravée dans ses mœurs, exaltée dans ses espérances, homines egentes, malis moribus, maruma spe, dont le fond est l’envie, bonis invident, et qui se recrute de tout ce que le crime et la honte chassent des cités voisines pour le jeter à Rome, comme dans la sentine de l’univers, quos flagitium aut facinus domo expulerat, hi Romam sicut in sentinam confluxerant (Cat., 37).

[15] De Fin., II, 20.

[16] Le Jupiter tragique, 53.

[17] Tite-Live, X, 9. On peut voir dans Cicéron (pro Cæcina, 35) comment, pour certains crimes, on éludait la loi Porcia.

[18] Les triumvirs, Octave, Antoine et Lépide, en établirent une lorsqu’ils décrétèrent que l’homme du peuple qui ne célébrerait pas la naissance de César serait puni de mort, tandis que le sénateur et le fils de sénateur ne payeraient qu’une amende de 250.000 drachmes. (Dion, XLVII, 19.) C’était le commencement de la législation qui se développa plus tard.

[19] Par exemple dans celui de Canusium, que nous avons encore (Mommsen, Inscr. Neap., 635), et dans celui de Thamugas, qu’on vient de trouver.

[20] .... Potiores, id est possessores, opponuntur inferioribus vel plebeiis (Code Théodosien, XI, 15, 2).

[21] La formule demandait : nomina, prænomina, patres aut patronos, tribus, cognomina et quot annos quisque eorum habet, et rationem pecuniæ. (Table d’Héraclée, c. XI.) Voyez, dans l’Index d’Henzen, p. 112, l’indication de nombreuses inscriptions relatives à des legali Aug, pr. pr. ad census accipiendos et à des censitores.

[22] Pline, Lettres, I, 19, et peut-être Catulle, 23. Il en était certainement ainsi en Sicile, où, d’après Cicéron (in Verr., II, 2, 49), les citoyens étaient répartis en classes ex genere, censu, ætate. Le cens était la base de toute l’administration romaine et municipale.

[23] Thucydide, VIII, 67 ; Xénophon, Hellén., II, III, 18. Il fallait une fortune déterminée pour arriver aux charges en Thessalie et en Achaïe (Tite-Live, XXXIV, 51 ; Pausanias, VII, 16) ; Gabinus établit cette règle en Judée (Josèphe, Ant. Jud., XIV, V, 4 ; cf. Bell. Jud., 1, 8), etc. Sur les changements aristocratiques accomplis dans Athènes sous l’empire, voyez A. Dumont, l’Éphébie attique, t. I, p. 153-156.

[24] Pline, Lettres, VIII, 24 ; Cicéron, ad Quint., I, 1.

[25] Aulu-Gelle, VII, 13.

[26] Suétone, Tibère, 46.

[27] Discours, t. II, p. 43 et 45, éd. Reiske.

[28] Tacite, Annales, II, 23.

[29] Au troisième siècle. (Dion, LI, 17.)

[30] Suétone, César, 41 ; cf. Dion, XLIII, 71.

[31] Monument d’Ancyre, 15. Voyez, au chapitre Ier de la lex Julia municipales, les précautions prises pour l’inscription des noms in fabula, in albo.

[32] Auguste légua populo Romano 40 millions de sesterces ; tribubus, c’est-à-dire à la plèbe frumentaire, 3.500.000 (Suétone, Auguste, 101). Tibère fit la même distinction ; il laissa des legs plerisque, c’est-à-dire à beaucoup de sénateurs et de chevaliers, puis aux vestales, à la grosse bourgeoisie, magistris vicorum, à tous les soldats, enfin plebi Romanæ.

[33] Digeste, XXII, 5, 3, § 3. Près de quatre siècles plus tard, Constantin répète : .... honestioribus potius fides habeatur (Code Théodosien, XI, 39, 3).

[34] Digeste, IV, 3, 11, § 1er. Tacite établit les distinctions suivantes dans la population romaine : 1° patres ; 2° primores equitum ; 3° pars populi integra et magnis domibus adnexa clientes libertique ; 4° plebs sordida simul deterrimi servorum (Histoires, I, 4). Aux Annales, XIII, 48, il montre une émeute à Pouzzoles entre la plèbe, multitudo, d’une part, et de l’autre les riches, ordo, magistratus et primi.

[35] Digeste, XLIII, 30, 3, § 4.

[36] Orelli, n° 3857.

[37] Il chassa aussi les esclaves. Les artisans étaient donc déjà, aux yeux du prince, rapprochés des esclaves comme ils vont l’être par la loi pénale. (Suétone, Claude, 22.)

[38] Dion Chrysostome, Discours, t. II, p. 43, éd. Reiske.

[39] Suétone, Caligula, 27.

[40] Tacite, Annales, XVI, 5.

[41] Dosithei, Fragm., § 14 ; ap. Böcking.

[42] Inst. Comm., III, 225.

[43] Sent., V, 4, § 10 ; 19, § 1er ; 21, § 2 ; 22, § 2 ; 30 B ; Digeste, XLVII, 12, 11.

[44] Digeste, I, 18, 6, § 2 ; II, 15, 8, § 23 ; IV, 3, 11, § 1 ; XXVI, 10, 1er ; § 8 ; 3, § 16 ; XLVII, 33, 3, § 4 ; XLVII, 9, 12, § 1er ; 18, 1, §§ 2, 3, 6, et fr. 7, § 2.

[45] Digeste, XLVIII, 19, 28, § 2 ; 38, § 3.

[46] Digeste, XLVIII, 8, 3, § 5.

[47] Digeste, XLVIII, 19, 10, 1. Modestinus (ibid., 8, fr. 16) parle aussi d’une distinction établie par la loi pénale entre in honore aliquo positi et qui secundo gradu sunt.

[48] Inst. Comm., III, 225.

[49] Interdicium ex persona.... constituendum est. Nam si is qui se patrem dicit, auctoritatis, prudentiæ, fidei exploratæ esset.... is vero qui controversiam facit, humilis calumniator, notæ nequitiæ.... (Digeste, XLIII, 30, 5, § 4), voyez encore, sous Antonin, un passage du décret de Tergeste, prout qui meruissent vita atque censu.... in curiam admitterentur. (Henzen, n° 7168.)

[50] Les munera et les honores. L’impôt pesant principalement sur la propriété foncière, qui eut à fournir une contribution en argent, des prestations en nature et des corvées, les princes furent conduits à concéder aux possessores des privilèges en échange des charges dont ils les accablaient.

[51] Ulpien au Digeste, XXVI, 10, 3, § 16, et ibid., XLVII, 9, 12, § 1.

[52] Digeste, XLVIII, 8, 3, § 5.

[53] Id principalibus rescriplis specialiter exprimitur (Digeste, XLVIII, 19, 28, § 2). Une exception était faite pour les crimes tombant sous le coup de la loi de Majesté : cum de eo crimine quæritur, nulla dignitas a tormentis excipitur (Paul, Sent., V, 29).

[54] Ulpien au Digeste, XLVIII, 18, 1, § 2. Il dit encore : Homo honestioris loci (Digeste, II, 15, 8, § 23.)

[55] Digeste, L, 2, 7, § 2 : .... decurionum honoribus plebeii fungi prohibentur.

[56] Inst., IV, 18, § 7.

[57] Neque populus ademptum jus questus est (Le peuple dépouillé de son droit), Tacite, Annales, I, 15.

[58] ....Viritim divisit decurionibus et augustalibus et curiis n. XXIIII (Orelli, n° 3740). Les sévirs augustaux sont même associés aux décurions : ordo decurionum et sevirum augustalium.... (ibid., 775) ; enfin on lit au Code Théodosien, XI, 15, 2 : potiores id est possessores opponuntur inferioribus vel plebeiis.

[59] Orelli, nos 155, 2420, où il est question d’un magister mercuriales. Cf. l’Index d’Henzen, p. 168. Dans l’inscription n, 3858 d’Orelli, le fils d’un chevalier romain, patron de la ville de Rudiæ, donne au municipe une somme dont le revenu annuel sera distribué par tête, viritim, de la manière suivante : 20 sesterces aux décurions, 12 aux augustales, 10 aux mercuriales, 7 au peuple, populus.

[60] Les inscriptions disent souvent : .... ordo possessoresque (Orelli, n° 3754) et même ordo possessorum (ibid., n° 5171). En d’autres, on trouve : uterque ordo, ainsi à Valentia (C. I. L., t. II, ad h. l.). Suivant Ulpien (Digeste, L, 9, 1), la nomination des médecins est remise dans les cités ordini et possessoribus.

[61] Digeste, XXVII, 1, 6, § 8. C’est la citation d’un rescrit d’Antonin. Cf. Philostrate, Vie des Sophistes, I, 8, 2 ; II, 30.

[62] Eos qui utensilia negotiantur et vendunt licet ab ædilibus cæduntur.... (Callistrate, au Digeste, 2, 12).

[63] Digeste, III, 2. Je note que ce titre rédigé par les jurisconsultes de Justinien n’est que le développement d’une partie du VIIIe chapitre de la lex Julia municipalis, promulguée par César, l’an de Rome 709, et où sont énumérés les cas d’indignité pour l’obtention du décurionat. Pour une infraction, l’amende était de 50.000 sesterces au profit du peuple.

[64] Digeste, XXII, 5, 3, § 3. Cf. ibid., XLVIII, 2, de Accusationibus.

[65] Ibid., XLVIII, 5, 2.

[66] Qui artis ludicræ pronunciandive causa scænam prodierit (Digeste, III, 2, 1).

[67] Virtutis enim gracia hoc facere (ibid., III, 2, 4).

[68] Digeste, XLVIII, 2, 8 et 10 : Dans l’ancienne constitution de Rome, le prolétaire était celui qui n’avait pas les 11.000 as de Tite-Live, les 12 mines et demie de Denys d’Halicarnasse ou les 400 drachmes de Polybe. Il était exclu des légions et relégué avec la chiourme des esclaves dans le service de la marine. On voit la persistance de la tradition romaine qui, du premier au dernier jour, retint le pauvre dans une condition inférieure.

[69] Digeste, XLVIII, 2, fr. 9. Je retrouve le chiffre des 50 sous d’or dans une constitution de Valentinien (Code Justinien, I, 55, 1) qui autorise les defensores civitatis à juger les causes tenuiores ac minusculariæ, usque ad 50 solid. summam. C’était donc bien la limite légale de la pauvreté.

[70] D’après une constitution du Code Théodosien (de Dec., lex 33), ceux qui possédaient 25 jugera ou, d’après une autre (Nov. Valent., III, tit. 3, § 4), 300 solidi, pouvaient être appelés à compléter l’ordo, pour remplir les munera civilia. Les deux chiffres, 300 solidi et 50 aurei, auraient marqué, l’un, le minimum nécessaire pour aller siéger parmi les honestiores, l’autre, le maximum qu’il fallait atteindre pour sortir des humiliores. L’intervalle était sans doute rempli par les petits possessores. A Tarse, le titre de citoyen actif coûtait 500 drachmes. (Dion Chrysostome, Discours, t. II, p. 43.)

[71] Sous les Flaviens et les Antonins, 1125 fr., suivant Mommsen ; 1246 fr., suivant Dureau de la Malle ; 1350, d’après les données de Friedlander. Pour le troisième siècle, Mommsen réduit d’un sixième la valeur de l’aureus, ce qui ramènerait les 50 aurei d’Hermogenianus, à 937 francs.

[72] M. Engel-Dollfus, dans son livre sur l’Assurance collective (1876), porte à 12 ou 1500 francs en moyenne la valeur d’un ménage d’ouvrier, c’est-à-dire le capital qu’il possède. Mais cette évaluation a paru trop forte à plusieurs économistes. Dans ses projets d’assurance, le prince de Bismarck considère l’ouvrier dont le salaire annuel ne s’élève pas au-dessus de 750 marks ou 937 fr. 50 centimes comme dispensé de toute cotisation. Dans ce cas le patron et l’État feraient les frais de l’assurance.

[73] Digeste, 19, 28, § 2.